18 juillet 2023

FOU FOU FOU : ECSTATIC Jazz : Jean-Jacques Avenel Siegfried Kessler & Daunik Lazro/ Rustiques : Jean-Marc Foussat & Sylvain Guérineau/ Armonicord - Libres : Rachid Houari Jouk Minor Jean Querlier & Joseph Traindl

Ecstatic jazz Jean-Jacques Avenel Siegfried Kessler Daunik Lazro Crypte des Franciscains Béziers 12 février 1982.
https://www.fourecords.com/FR-CD55.htm

Ecstatic jazz est un vocable apparu dans le sillage des David S.Ware, William Parker, Charles Gayle, Joe McPhee, Sabir Mateen, Daniel Carter et leurs camarades, il y a au moins une vingtaine d’années, pour désigner cette vague résurgente d’improvisateurs afro-américains qui continuaient à s’exprimer contre vents et marées leur vision hautement énergétique du jazz libre. Free jazz, New Thing, Great Black Music, improvised music etc… = ecstatic jazz. À cette époque, le saxophoniste Daunik Lazro publia Outlaws in Jazz avec Jac Berrocal, Dennis Charles et Didier Levallet et s’est toujours situé esthétiquement du côté de « l’ecstatic jazz », tout en devenant un pilier de l’improvisation libre collective « européenne » plus orientée vers l’exploration sonore sans filet, éructant de courts fragments mélodiques en fusion dont il décale les accents et l’émission de chaque note avant de triturer le timbre et cela dès le début des années 70. D’ailleurs, Lazro se fit connaître à cette époque lointaine au sax alto aux côtés du contrebassiste Saheb Sarbib, avec le batteur Muhammad Ali et le saxophoniste Frank Wright, quand ces derniers , alors résidents en France, explosaient sur scène à chacune de leurs apparitions « ultra-expressionnistes » 100% ecstatic jazz (Center of the World). Par la suite, il prolongea sa démarche au sax baryton et récemment au ténor Comme on peut l’entendre dans ce concert fleuve improvisé de 1982, Daunik Lazro est un des saxophonistes (alto, ici) européens les plus allumé de la free music : il met carrément le feu à son embouchure, pressurant la colonne d’air en soufflant très fort, avec une sonorité exacerbée, brûlante. Dans ces notes de pochette, Christian Pouget,qui enregistra le concert, cite Ornette Coleman dont Daunik a bien mérité et hérité. Je me souviens d’une interview de cette époque où Daunik déclara sa fascination pour les musiques "d’énergies", citant Evan Parker, Peter Kowald et aussi Jackie Mc Lean. (Et des bribes de Dolphy surgissent ici).Dès les premières minutes, le souffleur pirate un standard en le tourneboulant, fragmentant et lacérant le matériau parkérien du jazz moderne avec des morsures au vitriol et une projection du son saturé, chauffé à blanc. Un peu logique de sa part de remuer des lambeaux du bop modal en présence du contrebassiste Jean-Jacques Avenel et du pianiste Siegfried Kessler, aujourd’hui disparus. Durant plus d’une vingtaine d’années, Avenel fut un des plus proches compagnons de Steve Lacy jusqu’à la mort de ce dernier en 2004 et a fréquemment accompagné des jazzmen pur jus comme Alain Jean-Marie. Kessler, disparu en 2007, était alors le pianiste attitré du quartet d’Archie Shepp et détenait de solides crédits dans la scène jazz hard-bop modal tout ayant joué dans le mémorable Perception, un groupe free français historique avec Didier Levallet, Yoshko Seffer et Jean My Truong. Ce trio JJ-SK-DL du 12 février 1982 est en fait la réunion de deux duos : Lazro- Avenel et Kessler – Lazro. Jean-Jacques figure dans la face B du premier LP de Daunik pour Hat Hut, The Entrance Gates of Tshee Park, la face A étant consacrée à une performance solo du saxophoniste au sax alto. Un peu plus tard, Hat Musics publia Aeros, de Lazro et Kessler en duo. Même s’il ne s’agit pas à proprement parler d’un « vrai groupe » au départ (ils ont joué trois fois en trio), les trois musiciens combinent leurs efforts avec un vrai sens de l’écoute et surtout avec une énergie décapante, une folie de tous les instants, une musicalité indubitable, créant des séquences où chacun développe sa musique, propose des idées à jouer et réagit spontanément aux deux autres avec un vrai « à propos » et des dialogues inventifs qui se renouvellent successivement. Ou en laissant la bride sur le cou du partenaire seul ou en duo. Les deux parties du concert sont subdivisées en sept sections : 1a – 4:03, 1b - 13:33, 1c - 13:45 et 2a – 7:42, 2b – 9:14 2c – 12:33 et 2d – 9:33, soit plus de 70 minutes. Il faut noter l’introduction magistrale à la contrebasse d’Avenel et ses pizzicatos puissants, une walking bass complexe et majestueuse (Partie 1a). Créant un momentum, son intervention met le souffleur sur orbite ravageant un standard qu’on a peine à reconnaître. En 2c, J-J A ouvre l’improvisation avec un solo mirifique, puissant et très fin sur lequel Lazro se place après trois minutes pour tirer à vue avec la colonne d’air, le bec et le tube coudé de l’alto vibrant et cornant au maximum. Ailleurs, après avoir embouché énergiquement une flûte traversière ( !) en duo avec un Avenel survolté, le pianiste enfourche le clavinet muni du ring modulator livrant une véritable pièce d’anthologie Sun-Raesque décapante. Siegfried entraîne Lazro dans la danse à s’éclater encore plus fort, plus intensément, jusqu’à asséner des barrissements à effrayer les rois de la jungle (2b). C’est absolument dantesque. Il faut entendre Lazro hurler au summum de la saga ayléro-brötzmanniaque des grands jours et jongler avec chaque fragment mélodico-rythmique comme un dératé en altérant les accents, les cris, la hauteur des notes, la dimension de chaque élément sonore… Une virulence déchirante obstinée… plus que ça tu meurs. Le folk imaginaire au hachoir avec un style et des intervalles spécifiques. Et par dessous, le vrombissement imperturbable de la contrebasse, les cordes oscillant comme les cordages de la Méduse dans une mer noire sous la pression des doigts de JJ Avenel. Le niveau de la performance égale au moins le fabuleux solo de Roscoe Mitchell à Willisau en 1975 tel qu’il est reproduit dans le double LP Noonah (Nessa), si ce n’est que Lazro insuffle une énergie brute d’une intensité - déflagration comparable à celle de l’Evan Parker des Saxophones Solos – Incus 18 (1975 réédité en CD par Chronoscope et Psi en vinyle par otoroku) et du Brötzmann intrépide en compagnie d’un Bennink en transe (Balls, Cousscouss et The End) ou l’Albert Ayler des albums ESP, tout en gardant un sens des structures dans ces interventions !! . OOL’YAKOO !!!
Mais en sus, les deux autres ne se contentent pas d’être un « back-up » band, un tandem d'accompagnateurs et de "porteurs d'eau", ils chargent en première ligne. Il suffit d’écouter l’énorme solo de basse qui se détache du trio en 2c et l'intrépidité des élans de JJA qui déborde au sommet de la côte. Et le pianiste ne se contente pas d’être un virtuose : Kessler accentue la rythmique de ses arpèges inclinant un zeste vers l’esprit du pianiste Chris Mc Gregor et on entend ensuite Lazro réitérer des fragments de mélodie avec un feeling proche ddu Sud-Africain Dudu Pukwana en soufflant de plus en plus fort, saturant le son (2). Il va même dans la foulée jouer des mesures en Slendro Javano-Balinais. Ce sens inné de la suggestion esthétique est en fait très subtil. C’est ce qui distingue les artistes indubitables des faiseurs et des prétentieux. Ces musiciens n’ont pas d’agenda, ils nous fourrent candidement leurs manies et les fruits de leurs mémoires ludiques pour en combiner tous les sortilèges cachés ou entrevus en un éclair sans regarder dans le rétroviseur. Retour au fil de l’improvisation : la plainte scandée devient alors un cri déchirant, un hymne infernal. Le bassiste s’active alors outre - mesure dans un chassé-croisé de doigtés diaboliques comme s’il agitait une sanza cosmique !? Vous n’en trouvez – trouverez pas souvent des pareils à J-J Avenel. Plus loin, Siegfied répète une courte ritournelle cosmique, laissant le Daunik à sa transe. Elle finira dans les suraigus déchirants du souffleur qui s'effacera ensuite en jouant discrètement pour qu'on entende son collègue.
Tout l’intérêt de ce genre d’improvisations free (on pense au trio Brötzmann - Van Hove - Bennink, décrié par un Derek Bailey puriste avant de lancer lui-même son projet Company) sur le principe de l’auberge espagnole où chacun apporte « ses idées » même si elles accusent des différences notables de « style », de vécu, de background, sans craindre d'éventuelles citations ou allusions, mais contribuent surtout à rendre le terrain accidenté, contrasté en trouvant des réparties imaginatives et, étonnamment, créent la surprise d'où émane un charme imprévisible. Il faut aussi éviter le lieu commun et les effets faciles dans un maquis - patchwork, sous-tendu par une vision originale et pointant déjà vers ce qui pourrait advenir un peu ou beaucoup plus tard . Dans ce concert, on navigue à vue dans la convergence – divergence de trois courants, trois expériences, trois personnalités, en en évitant les écueils, les "coups de téléphone", la co-imitation, les signes de la main, les bonnes manières et la simulation. On est sur le même bateau en apportant au flux commun ses propres musiques intimes, sa personnalité profonde et sa folie assumée. Pas moyen - ni le temps - de s’ennuyer, il faut assurer et relever le défi en permanence. En écoutant attentivement, on est finalement sidéré par cet équilibre instable où chacun a l’air de tirer la couverture à soi, alors qu’on est dans le partage total. Et c’est comme cela que l’action immédiate, la musique collective est partagée et ressentie par ceux-là même qui la jouent ici. C’est leur musique et surtout pas la vôtre. Laissons aux musiciens leurs intentions profondes et spontanément immédiates, en tentant de comprendre où ils veulent en venir et évitons de supposer "ceci - cela" avec l’étroitesse d’esprit de certains omniscients qui n’ont jamais dû sauver leur peau sur des planches en jouant face à un micro et un public sans devoir s'exposer de la sorte. Comme disait mon ami John Russell, le guitariste disparu en 2019 : "Sometimes I feel like an idiot" et c'est bien ce que devraient se dire ceux qui aiment à porter des jugements rapides. On peut peut-être couper dans ce concert-fleuve, ayant parfois le sentiment d’une sorte de redondance dans la succession des séquences. Mais il me semble que leur(s) démarche(s) est (sont) plus vitale(s) et finalement plus compliquée(s) à assumer que lorsque les improvisateurs d’un groupe partagent la même esthétique au millipoil et où on en devine au préalable l’aboutissement dans la durée, car rien de fâcheux ne risque de se produire. Ici cette durée vécue est secrètement déstabilisante, labyrinthique en trompe l'oreille et elle se doit d’être ingurgitée d’un seul tenant. Un must total !!

Rustiques Jean-Marc Foussat Sylvain Guérineau FOU Records FR-CD 49
https://fourecords.com/FR-CD49

Enregistré à la maison en novembre 2022 dans le Loiret, cette curieuse petite rivière régionale qui donne son nom au département dont le chef-lieu est Orléans, la ville où officia Albert Ayler, alors jeune milicien U.S. inconnu, voici un beau témoignage de dialogue entre deux incarnations distinctives du jazz libre et des musiques improvisées. D’une part un créateur de musique électronique « analogique », Jean-Marc Foussat crédité ici Synthi AKS, piano, jouets et voix et de l’autre un souffleur free au très beau timbre très inspiré par la tradition du jazz entre Coleman Hawkins, Don Byas et un sens mélodique issu de Coltrane, Sylvain Guérineau, lequel initie l’album avec Une Belle Volée à la clarinette basse alors que son instrument habituel est le saxophone ténor. Solidement campé chacun dans leurs univers musicaux respectifs très contrastés, les deux improvisateurs se complètent par la tangente et œuvrent de concert par la grâce de leur sensibilité. La technique d’enregistrement est de qualité supérieure tant pour le timbre majestueux du saxophone ténor de Guérineau que pour la dynamique et les timbres de l’électronique, que celle-ci vrombisse, murmure, scintille, glisse, grésille ou dérape en crissant. Musiques de moteurs discrets à tous les régimes, spécialement le registre intime pour ce bel enregistrement. Flottant comme sur un nuage de timbres électriques mouvants, soutenus dans un temps arythmique, la superbe sonorité de Sylvain Guérineau vibre, respire et hante la demeure avec ses improvisations mélodiques chaleureuses au départ d’une forme thématique sortie tout droit de la Great Black Music et du lexique commun des souffleurs afro-américains. Sa faconde se précise et s’enhardit au fil des six morceaux (aux alentours des 6 ou 7 minutes avec une pointe vers les onze minutes) jusqu’à ce que Jean – Marc Foussat tâte du piano bastringue en secouant les touches. Nombre de théoriciens de l’improvisation (souvent issus de conservatoires ou de cénacles musidéologiques un peu rigides) se gaussent de telles entreprises un tant soit peu (trop) hybrides. Mais l’écoute active et portée sur le plaisir de la découverte sans idées toutes faites d’un tel duo fait dire à nos sens et à notre imaginaire ô combien cette collaboration tient la route. Tout comme Derek Bailey avait en son temps enregistré en duo avec le clarinettiste de jazz contemporain Tony Coe – le mariage de la carpe et du lapin- , Sylvain et Jean-Marc démontrent par la pratique que l’improvisation libre ne répond à aucune définition, aucun présupposé, ou quelconque agenda, cahier de charges etc...et que le dialogue et une forme tangentielle d’interactivité se nourrissent non seulement de l’écoute mutuelle, mais surtout de l’imagination, du sensible et de l’imaginaire des musiciens et de leurs auditeurs. Une question d’ouverture.
Après que les quatre premiers morceaux aient défilé suavement ou avec une belle passion, le cinquième , Carpes et Grondins, s’affirme comme le moment orageux de l’album avant le retour de la précieuse clarinette basse dans l’Ange Dérangé, face aux bruissements étranges, pépiements d’une singulière ménagerie à-la-Foussat et une curieuse voix. Dans Carpes et Grondins, Guérineau évoque le drame et presse l’électronique décapante avec de subtils accents et intonations dramatiques où gronde une saine colère ou peut être l’angoisse des innocents face au délire, en déconnectant l’imbrication mélodique de son phrasé sans pour autant déraper. L’art du déséquilibre assumé. Cet album est aussi un des plus beaux exemples de la part sensible du travail de Jean-Marc Foussat.

Inclus dans la pochette , un poème de Jacques Prévert : LA BELLE VIE
Quand la vie a fini de jouer
la mort remet tout en place
La vie s’amuse
la mort fait le ménage
peu importe la poussière qu’elle cache sous le tapis
Il y a tant de belles choses qu’elle oublie

JACQUES PRÉVERT

Armonicord LIBRES Rachid Houari Jouk Minor Jean Querlier Jozef Traindl Festival de Massy 26 octobre 1975 FOU Records FR CD 53
https://www.fourecords.com/FR-CD53.htm

Armonicord . En 1977 était paru un album au nom d’Armonicord dont je viens de trouver une copie par l’intermédiaire d’un ami commun : Esprits de Sel. Ayant eu vent de la sortie de l’album à cette époque, le souvenir de la présence de la claveciniste Odile Bailleux et du batteur Christian Lété me faisait imaginer sans doute une éventuelle sorte de musique de chambre. Dans la pochette, on peut admirer les partitions graphiques du saxophoniste baryton Jouk Minor toutes en courbes et ellipses avec indications d’instruments et de minutage. Une mention aussi : Ce disque est dédié à Rachid Houari. Rachid est bien le batteur crédité sur la pochette du CD Libres. Il fit partie du légendaire groupe Gong et enregistra leur premier album « Magick Brother » (BYG Actuel 5) avec Daevid Allen, Gilly Smyth, le bassiste Christian Tritsch et le saxophoniste Didier Malherbe en 1969, avant d’être remplacé par Laurie Allen et puis Pip Pyle pour Flying Teapot, Camembert Électrique, etc. Magick Brother était aussi crédité de la participation des contrebassistes Barre Phillips, Earl Freeman et Dieter Gewiffler ainsi que le pianiste Burton Greene. Rachid en était le batteur sur la scène du festival d’Amougies, c’est tout dire. On retrouve aussi Rachid Houari dans les sessions de Camembert Éclectique et de Continental Circus. Dans ce Libres d’Armonicord, on découvre ici un solide batteur free-jazz dans la lignée des Steve Mc Call, Don Moye et cie qui résidaient et tournaient alors en Europe (1968 et 1969). Le responsable et « compositeur » du groupe était Jouk Minor, ici crédité sax baryton et sopranino. Pour les lecteurs auditeurs friands d’émotions estampillées free-music vintage, il convient de rappeler l’existence de Candles of Vision où Jouk Minor mat le feu aux poudres en compagnie de Pierre Favre et du tromboniste Eje Thelin, album enregistré en juin 72 par l’ORF à Graz et publié par le label Calig dont le catalogue contient le Nipples de Brötzmann (avec Bennink Van Hove et Parker/ Bailey en face B), les Gesprächsfetzen et Live in Sommerhausen de Marion Brown et Gunther Hampel avec l’énorme Buschi Niebergall dans le 1er , la fée Jeanne Lee dans le second et Steve Mc Call dans les deux. Aussi un album curieusement expérimental de Wolfgang Dauner et le We Are You de Karl Berger avec Peter Kowald et Allen Blairman. Candles of Vision se situe dans la mouvance hard-free « teutonne » et partage la même instrumentation que le King Alcohol de Rudiger Carl avec Christmann et Schönenberg réédité récemment par John Corbett. Ce n'est pas tout à fait l’esprit de ce Quartet, mais on retrouve ici un tromboniste autrichien Jozef Traindl, issu du légendaire Reform Art Unit. Traindl a aussi enregistré dans Opium For Franz avec Steve Lacy et Franz Koglmann sur la face B (face A : Bill Dixon trio avec Alan Silva et Stephen Horenstein 1975)… ainsi qu’avec Machi Oul Big Band, Pierre Barouh … Quant au saxophoniste et hautboïste Jean Querlier, c’est un incontournable du free-jazz français, excellent mélodiste dans une esthétique plus formelle et lyrique, avec thèmes et improvisations plus cadrées, connu pour son travail dans le groupe Confluence avec Didier Levallet , Jean Charles Capon, Christian Lété et aussi Clivage, Soleil Noir, Didier Levallet, René Bottlang, etc…
Les deux morceaux – compositions signées Jouk Minor, Contact (21 :12) et Un Goût de Rouge (17 :01) ont été enregistrées lors du 1er Festival Indépendant de Massy le 26 octobre 1975, un événement incontournable orchestré par la bande à Raymond Boni, Gérard Terronès et cie. À l’affiche : Archie Shepp Quartet (2LP Ujaama-Unité label Unitélédis), un florilège de guitaristes d’avant-garde : Raymond Boni, le tandem décapant et punk avant la lettre Jean François Pauvros & Gaby Bizien, Derek Bailey (qui invita en duo impromptu Tristan Honsinger qui faisait la manche sur le trajet) les Skies of America d’Ornette Coleman, Steve Lacy (dont le texte rédigé pour le programme du festival est reproduit dans la pochette du CD) et j’en oublie … Quelle époque !
À écouter au casque : pour pouvoir mieux localiser les frappes de Rachid Houari, batteur polyrythmique et tournoyant en diable avec une belle dynamique et une maîtrise des pulsations. Excellent batteur. Les trois souffleurs dégagent et Jean Querlier est méconnaissable se laissant coupablement aller au délire, au cri et à ces maudites harmoniques exacerbées, lesquelles constituent le fonds de commerce de Jouk Minor souvent déchaîné. Donc Querlier, similitudes avec Dolphy et Lyons. Minor plus chercheur de sons. Joseph Traindl appuye et accentue l’ambiance de jungle effervescente d’Armonicord. Évidemment, l’enregistrement n’est pas optimal, mais cette prise de son suffit pour vous faire une idée de l’engagement physique et mental de ce quartet d’allumés. Et pourtant, les quatre musiciens suivent scrupuleusement les indications précises de Jouk Minor, lesquelles constituent un tremplin pour décoller et se mouvoir dans l’espace et le temps avec une belle fulgurance. Cela peut commencer par un tutti à demi-consonnant qui se désagrège dans des imbrications de « solos » individuels qui se répondent, se superposent, se distancent ou se rapprochent pour laisser un des souffleurs improviser seul, toujours soutenu par la batterie trépidante et vraiment « libre -swinguante » de Houari, lequel sait varier les plaisirs avec une super aisance. Chaque musicien acquiert épisodiquement la proéminence dans l’espace auditif au travers de crescendos étalés ou ramassés, des riffs cosmiques et flottants (baryton de Minor) ou des brouhaha impromptus, des changements de pulsations, des passages obligés d’où repartent une autre orientation de l’improvisation. Querlier et / ou Minor se révèlent minutieux au soprano et sopranino ou carrément siffleurs extrêmes ou déchirants, laissant ses aises au tromboniste et à sa pâte sonore un brin nonchalante. C’est au sopranino et à l’hautbois que débute la deuxième composition Un Goût de Rouge. Les structures et interventions font monter le niveau et l’intensité interactive et rebondir/ intensifier la fluidité des échanges et améliorer la dynamique d’Armonicord, lequel a bien des ressources qu’on devine ici ? Un groupe cohérent, une écoute partagée, la Great Black Music n’étant pas loin du hard free. On songe un peu à l’esprit du quintet d’Archie Shepp Live at Donaueschingen, mais sans « soliste » principal, car le collectif est à l’ordre du jour pour partager le temps de jeu et la connivence optimale.
Certains diront qu’il y des « plus grands » que ceux-là « individuellement » mais question équipe soudée et collaboration collective, ces excellents musiciens crèvent le plafond bien au-dessus de la décence et de l’enthousiasme habituel. Généreusement allumés, ils créèrent ce soir-là une musique enjouée, pertinente et chercheuse digne de l’AACM d’alors par exemple et plus radicale que le free de séance qui commençait à sévir. Fantastique label FOU !!


La démarche du label FOU (J-M Foussat) documente autant les musiciens improvisateurs les plus "célèbres" ou "notoires" tels Derek Bailey - Han Bennink - Evan Parker (Topologie Parisienne), Joëlle Léandre, George Lewis, Urs Leimgruber, Keiji Haino, Paul Lovens... que d'"illustres inconnus" méritants et très souvent de haut niveau comme Irene Kepl, Jean-Luc Petit, Christiane Bopp, Emmanuel Cremer avec la même foi, le même élan amoureux sans aucune condescendance. Exemplaire !

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