8 mai 2025

Misha Mengelberg & Sabu Toyozumi/ Carlos Zingaro Bruno Parrinha Fred Lonberg-Holm João Madeira/ Daniel Studer & Giancarlo Schiaffini/ Laurent Rigaut Andrea Bazzicalupo Peter Orins

Misha Mengelberg & Sabu Toyozumi:The Analects of Confucius No Business
1. My guru MM (39:56)
2. Song for AMY~Misha Mengelberg solo (7:38)
3. Teremakashi to Forest of KEYAGU (19:54)
4. Off Minor (Thelonious Monk) (3:44)
https://nobusinessrecords.bandcamp.com/album/the-analects-of-confucius
Misha Mengelberg (p) , Sabu Toyozumi (ds)
Recorded on 21,Oct,2000 at Aoshima Hall,Shizuoka City,Japan
Recorded by Shigeru Inoue. Concert produced by Shigeru Inoue/IMA Shizuoka
Produced by Danas Mikailionis & Takeo Suetomi (Chap Chap Records). Thanks to Amy Mengelberg, Hideo Takaoka

Ce n’est pas le premier album de Misha Mengelberg et de Sabu Toyozumi. Chap Chap Records et Takeo Suetomi ont déjà publié The Untrammeled Traveller, un enregistrement de concert de 1994 (CPCD 006). Mais Chap-Chap récidive à travers la série Chap-Chap de No Business avec ce concert du 21 Octobre 2000. Bien que Sabu Toyozumi a joué et enregistré avec de nombreux artistes de haut vol tels que Charlie Mingus, Derek Bailey, Han Bennink, Leo Smith, Barre Phillips, Peter Kowald, Peter Brötzmann, Joseph Jarman, Paul Rutherford, John Russell, ses compatriotes Kaoru Abe, Masahiko Satoh, Yuji Takahashi, Takashi Mizutani, Otomo Yoshihide, le percussionniste voue son plus profond attachement esthétique et spirituel au pianiste Misha Mengelberg, autant au point de vue musical que philosophique. Comme il me l’affirmé : Misha Mengelberg est mon « guru ». Sans doute, Misha est une personne qui lui a beaucoup apporté, pour l’équilibre de sa santé, dit-il. Pour Sabu-san, cet enregistrement revêt une importance tout à fait particulière, une dimension profondément humaine, amicale et admirative. Je dois ajouter que Sabu Toyozumi était un proche du grand maître du shakuhachi, ces flûtes sans bec taillées dans une large tige de bambou par une main experte : Watazumi Dosō. Mais en fait, son instrument était plus exactement un hocchiku dont la pratique très exigeante demandait une ouverture à tous les aléas de la vie et un apprentissage « sauvage » . Celui-ci était aussi une forte personnalité du Zen Rinzai- Shū, et c’est dans le cadre de cette « philosophie » que Sabu est venu à fréquenter le vénérable maître. Indépendant d’esprit, celui-ci refusa de recevoir le titre de Trésor National du Japon pour ces disciplines. Sabu Toyozumi est un homme d’une grande simplicité qui s’intéresse à l’individu musicien et auditeur en tant que personne humaine de manière intensément positive. Il se fait que Misha Mengelberg était très intéressé par les philosophies orientales et l’alimentation japonaise. Amy à qui est dédié le solo de Misha est son épouse dont la mère est d’origine Indonésienne. Un profond échange de valeurs et de sentiments, de discussions musicales ont contribué à créer cette compréhension mutuelle, un lien fondamental entre des improvisateurs qui se fondent en une seule entité lors d’ un concert. L’album se compose d’une longue improvisation de quarante minutes où intervient assez vite un solo de percussion ou plus exactement le batteur joue le temps d’un long silence du pianiste. Celle-ci est suivie d’un solo de Misha Mengelberg dédié à Amy et d’une seconde improvisation en duo longue d’une moitié moindre que la précédente. Le tout est couronné par une interprétation finale de l’Off Minor de Thelonious Monk qui fut une influence majeure de Misha Mengelberg.
On sait que MM fit partie du mouvement Fluxus dans les années 60. Cette démarche a continué à se révéler prépondérante dans sa musique. Il déclarait que sa musique improvisée est vécue comme la vie de tous les jours : on boit un verre, répond au téléphone, ouvre un paquet de cigarettes, on prend une cigarette et on l’allume, on fume, on lit son journal ou on va faire ses emplettes… Sa musique n’établit pas de hiérarchie entre le savant ou le populaire : quelques notes jouées presque par hasard, un morceau de Monk, un air de musique de cirque ou une évocation de chansonnette, des intervalles dissonants dont il a le secret, des miniatures dodécaphoniques ou une cascade de notes virevoltante qui déboule par surprise. Même s’il ne semble pas être concerné, Misha Mengelberg est toujours profondément à l’écoute, car il ne veut pas perdre un seul instant une occasion de nous étonner. À cet égard, le numéro que les deux improvisateurs nous offrent dans cette teremakashi vers la Forêt de KEYAGU aux accents très contrastés. Tout ce que Mengelberg inspire à notre Sabu – san est phénoménal : il y a alors chez le batteur une invention débridée, imaginative et farfelue. Les deux compères s’en donnent à cœur joie, comme des enfants dans un paradis perdu. Sabu Toyozumi fait cliqueter, secouer ou agiter ses ustensiles percussifs, baguettes, cendriers comme on ne l’a jamais entendu faire. Cendriers, oui ! En effet, le cendrier était un objet indispensable pour Misha Mengelberg, ne fut-ce que pour y déposer l’éternel mégot de cigarette qui pendait à ses lèvres par-dessus le clavier. Par contre, lors de la première longue improvisation, Misha -San tâtait scrupuleusement le terrain en jouant avec le silence et laissant les notes parcimonieuses résonner, permettant à Sabu de déployer son univers sonore et rythmique, son abondante imagination. Misha y fait même un long silence, sans doute pour s’intégrer mentalement au rayonnement ludique du percussionniste qui nous donne là une merveilleuse démonstration de son approche joyeuse et unique de la batterie polyrythmique éclatée… et déchaînée lors d’un instant crucial, tant avec les baguettes et les balais que sur toutes les surfaces de ses tambours. Sa démarche est sans nul doute en phase avec cette vision « sauvage », organique de batteurs comme Milford Graves ou Sunny Murray de façon tout aussi originale et authentique. Aussi, on dira que sa spontanéité naturelle est balancée par un sens aigu du dosage équilibré et même de l’épure pointilliste, comme il appert dans cette longue première partie. En finale conclusive, la version à la fois désenchantée et enjouée d’Off Minor est une narquoise, mais fidèle leçon de choses. Le titre de Monk est joué à la lettre un instant par Misha, pour être subitement détourné de manière free au clavier, digne du Cecil des années cinquante (Jazz Advance, High Drivin’Jazz). Sabu ne peut alors s’empêcher de forcer le trait comme une caricature vivante du swing dixieland. Comme quoi, une forme d’humour est partagée par ces deux amis, tout autant que les sujets les plus fondamentaux de l’existence. La musique de la vraie vie. (notes de pochette de J-M VS)

Carlos Zingaro Bruno Parrinha Fred Lonberg-Holm João Madeira Enleio 4DARecords
https://joaomadeira.bandcamp.com/album/enleio

Trio à cordes violon -violoncelle – contrebasse avec clarinette basse.
Le violoniste portugais Carlos Alves « Zingaro » a entamé une relation musicale avec le violoncelliste Chicagoan Fred Lonberg-Holm il y a de nombreuses années en 2003 : Grammar les réunissait avec le platiniste Lou Mallozzi (Rossbin CD 2003) et Zingaro / Lonberg- Holm en duo fut enregistré lors du même séjour (label Aspidsitra). Les revoici de 2024 dans deux sessions Lisboètes en compagnie du contrebassiste João Madeira, le boss de 4DARecords et respectivement avec le clarinettiste (basse) Bruno Parrinha dans le présent CD Enleio et avec le guitariste suisse Florian Stoffner dans le CD Na Parede paru sous le même label 4DAR en CD, parution précédée par une publication en digital chez Catalytic et chroniquée dans ces pages. À la fois ou successivement énergique, pointilliste, multiforme et en évolution constante au gré de l’humeur et de l’inspiration instantanée des quatre improvisateurs, la musique d’Enleio comporte plusieurs facettes : dans Trama (9 :47) les improvisateurs sursautent, se relancent par de brèves interventions en zigzag qui se répondent vivement et jouent à saute-mouton sans se laisser le temps de dire ouf, les idées fragmentaires s’emboîtent en cascade… Notez le parti pris du clarinettiste basse, Bruno Parrinha de s’intégrer au plus près de ses camarades comme s’il était l’alto d’un quatuor. Il fait cela avec flair par petites touches plutôt que de jouer au soliste omniprésent par-dessus ses trois camarades. Nervos 18’35’’ commence dans une lente complainte à plusieurs voix formant des torsades expressives. L’accent est mis sur la qualité du travail à l’archet, l’étirement du son, une qualité de timbre spécifique à chacun des trois cordistes s’agrègent et se distinguent par leurs dynamiques, vibrations tactiles boisées respectives et une qualité intensément métamorphique. Il faut vraiment réécouter ce long deuxième morceau est ses multiples phases, ses aspérités, ses fluctuations liquides ou vif argent, ses nuances, ses diversions ludiques et ses formes mouvantes parfois contrastées. Si les violons et violoncelles sont fait de bois, la terminologie générique des vents tels les clarinettes est « les bois ». On ne croyait pas si bien dire tant le souffleur se fond dans ce quartet. Liames 11’35’’ approfondit la démarche initiale de Nervos avec plus de détachement, de lenteur et de langueur et une belle partie de pizzicatos puissants de João Madeira. Notez le contraste entre les envolées en arabesque de Zingaro et certains frottements maniaques et astringents de Lonberg – Holm et aussi comment ils intègrent leurs facéties respectives avec une cohérence complice. Dans Enleio, 5’34’’ , dernier morceau, Lonberg-Holm initie des frappes d’archet en secousse, on entend des col legno, grincements, la touche pressée au point de faire chuinter la corde, violon sifflant dans les aigus, soit un beau et touffu concentré de sonorités expressives tel que le modus operandi , l’empathie et le feeling maniaque de l’improvisation libre collective amène des instrumentistes en trance à laisser éclater au travers de notre perception éblouie. Une séance vraiment réussie.

Breeze Daniel Studer & Giancarlo Schiaffini Lineae Occultae
https://danielstuder.bandcamp.com/album/breeze

Le duo contrebasse – trombone s’impose comme une des combinaisons instrumentales les plus significatives de la musique improvisée libre. Pensez donc : Paul Rutherford et Barry Guy, Günter Christmann & Torsten Müller, Radu Malfatti & Harry Miller, Paul Hubweber & John Edwards, Patrick Crossland & Alexander Frangenheim. La raison fondamentale : dans les mains d’improvisateurs expérimentés, ces deux instruments sont propices aux dérapages, glissandi, recherches de timbres curieux, effets expressifs, bruissements, délires ludiques, jeu en dehors de la marge et des similitudes au niveau des fréquences…. Giancarlo Schiaffini est un des premiers pionniers du free – jazz en Italie et a contribué à créer le courant improvisation libre « européenne ». Il a laissé un super témoignage « d’avant-garde » sur le légendaire label italien Cramps : Memo From en duo avec le percussionniste Michele Iannacone série DIVerso n°12 – 1979. Schiaffini a gardé pour lui une sonorité issue du jazz tout en jouant vraiment contemporain. On retrouve ces inflexions subtilement blues jouées du bout des lèvres malaxant la pâte sonore alors que G.S. a adopté cet esprit d’invention imaginative instantanée en mutations sonores constantes proches des Rutherford et Christmann avec une expressivité méditerranéenne, abusant joyeusement des soudines. Daniel Studer, contrebassiste Suisse et brillant partenaire d’Harald Kimmig et d’Alfred Zimmerlin au sein du String Trio de Zürich, un groupe incontournable, ou d’un duo de basses avec Peter K.Frey, incarne la démarche « contemporaine » avant-gardiste « sérieuse » des improvisateurs Européens. Il n’a pas son pareil pour pêcher d’innombrables effets soniques dans les moindres recoins de sa contrebasse. Mais c’est vraiment bien vu, leurs différences et leur capacité à dialoguer et partager leurs inventions font de ce rare duo un tandem de grande classe. Jouer de manière aussi disparate en insérant des silences bien calibrés en alternant aussi précisément les moindres gestes, les sonorités crissantes des cordes, les effets de souffle grasseyant du trombone, des changements de registre, des accents lyriques, zig-zags en vrille, notes tenues à l’archet, sourdines wouah-wouah, effets percussifs soudains à même la surface du gros violon, murmures sotto voce dans le pavillon ou harmoniques effilées… C’est une belle conversation entre deux locuteurs, l’un germanique, l’autre italien qui se comprennent profondément dans ressentir le besoin de traduire dans la langue de l’autre, de s’imiter… Ils se racontent des histoires qui elles-mêmes se transforment en une magnifique narration, en précis de philosophie, audace auditive pour artistes visuels visionnaires. C’est absolument magnifique , généreux et mesuré à la fois. Neuf courtes improvisations qui déclinent tous les possibles de l’improvisation sans tambour ni trompette mais avec un sourire en coin, prodige de subtilités toujours renouvelées.

Manœuvres sentimentales Delightfully Deceitful Laurent Rigaut Andrea Bazzicalupo Peter Orins circum disc.com
lien audio disponible à partir du 15 mai.

Un sax ténor et alto d’obédience free jazz expressionniste ou rêveur : Laurent Rigaut ; un guitariste « noise » aux trouvailles et effets multiples : Andrea Bazzicalupo ;un batteur réactif dans la marge : Peter Orins ; changements d’ambiances d’un morceau à l’autre. On a droit à des recherches de sons tous azimuts, et des occurrences d’actions et perspectives pluri dimensionnelles des quelles ruissellent de nombreuses inventions sonores d’une variété profuse au niveau de la guitare et des percussions, elles-mêmes parfois discrètes (Not Loud Enough et Into the Boiling Sand), alors que le souffle de Laurent Rigaut truste plusieurs modes de jeux entre expressionnisme free et déambulation lunaire (Into the Boiling Sand). Le travail percussif de Peter Orins est concentré sur la dynamique, la lisibilité et actionne une belle diversité de frappes sur un ensemble d’ustensiles variés qui rend son jeu intéressant, très remarquablement articulé dans le sillage des batteurs free les plus pointus (Lovens, Turner, Blume). Son style remarquable est particulièrement affirmé avec une belle qualité de toucher et incarne le vrai free drumming authentique et complexe celui qui vous donne le tournis (Into the Boiling Sand). Un très bon point : ça tournoie très vif avec une belle classe. Andrea Bazzicalupo utilise à souhait un maximum des possibilités sonores de la guitare électrique avec une large palette aussi détaillée que confinant au noise brut. Laurent Rigaut, saxophoniste qui peut se révéler outrageusement aylérien avec son acolyte Jérôme Ternoy la joue collective s’insérant excellemment entre les deux pôles électrique / acoustique tout s’autorisant de super dérapages. Là, aussi, on salue sa capacité d’adapter son jeu dans ce trio Manoeuvres Sentimentales lequel manifeste une écoute mutuelle fructueuse et un vrai sens du décalage.

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