20 juillet 2025

Mark Sanders – Paul Rogers – Larry Stabbins/ Lawrence Casserley & Emil Karlsen/ Kristof K.Roll + Ensemble Dedalus/ Savina Yannatou Floros Floridis Barry Guy Ramon Lopez

SAROST Aurora Mark Sanders – Paul Rogers – Larry Stabbins JazzinBritain
https://jazzinbritain1.bandcamp.com/album/aurora

“Classique” trio saxophone – contrebasse – batterie dans une veine free inspirée, « libre » et aventureuse où chacun des musiciens va jusqu’au bout de ses idées dans le sens de minutieuses explorations sonores spontanées et agencées dans le feu de l’action. Si la paire batterie – contrebasse Mark Sanders et Paul Rogers collabore depuis plus de trois décennies avec plusieurs autres improvisateurs d’envergure comme Evan Parker, Sarah Gail Brand, Elton Dean, Paul Dunmall, c’est sans doute la première fois qu’on les retrouve tous deux aux côtés du saxophoniste Larry Stabbins, un as du ténor aussi doué pour le soprano et habitué du Little Theatre Club fin des années 60 et début années 70. Il semble qu’il soit un des premiers saxophonistes britanniques à jouer des concerts en solo, avant qu’Evan Parker n’enregistre son premier concert solo en 1975 (saxophone solos Incus 19). Larry a été très présent dans la scène britannique et européenne durant la période phare des années 70 et 80 avec une résurgence au début des années 2000. Il fut le saxophoniste de prédilection des groupes de Keith Tippett en succédant à Elton Dean, et des Quartet et Quintet de Tony Oxley. Ses albums les plus appréciés de cette lointaine époque sont Fire Without Bricks en duo avec le percussionniste Roy Ashbury (Bead Records) et TERN en trio avec feu Keith Tippett et Louis Moholo (FMP SAJ). Aussi, Continuum avec Eddie Prévost, Veryan Weston et Marcio Mattos (Matchless). Plus tard, Larry a enregistré un album solo, Monadic et trois CD en quartet avec Sanders le pianiste Howard Riley et le contrebassiste Tony Wren (Four in The Afternoon/ Emanem – St Cyprian’s vol 1 et 2/ FMR). J’ai gardé de lui un souvenir impérissable d’un concert en duo avec Roy Ashbury en 1979, où assis sur le sol à deux mètres de son sax soprano, je pouvais distinguer très clairement la multiplicité des sons, sifflements, harmoniques, strangulations de la colonne d’air dans le moindre détail etc… alors que Roy Ashbury jouait à même le sol en modifiant continuellement l’assemblage de ses percussions tout en frappant, grattant, frottant … son matériel. Fascinant ! Pour ceux qui ont connu et écouté Stabbins auparavant, Aurora sera une aussi belle surprise que pour ceux qui vont le découvrir ici pour la première fois. Non seulement, nous avons ici le batteur Mark Sanders au meilleur de sa forme et son indicible sens des pulsations qui profite à fond de l’ouverture spirituelle et musicale de ce trio dans un parfait équilibre fait autant de tensions électriques que d’empathie créatrice. Multirythmique et coloré, discret et actif, Sanders est un batteur free de rêve auprès de nombreux improvisateurs comme John Edwards, John Butcher, Evan Parker, Gail Brand, Trevor Watts Paul Dunmall… Chaque instrumentiste occupe la même importance dans les interventions individuelles et dans l’espace sonore. La participation du contrebassiste (à sept cordes) Paul Rogers est un bonus magnificent dans cette superbe session. Non seulement son partenariat avec Sanders est incontournable entre autres avec Paul Dunmall ou Elton Dean, il a aussi croisé la route de Stabbins chez Keith Tippett. Paul joue de l’archet comme s’il était un orchestre à cordes à lui tout seul ; le registre de son instrument à sept cordes donne l’illusion d’être à la fois une « piccolo » bass (on songe à Barry Guy), un violoncelle et une viole de gambe. Son jeu à l’archet est complexe, raffiné et strié d’ombres et de moirages boisés teintés d’harmoniques scintillantes. Sa contrebasse (Luthier Alain Leduc - Nîmes) est munie de cordes sympathiques, la vibration desquelles en magnifie la sonorité. Les sonorités aériennes aux cymbales et les frappes pointillistes du batteur se marient avec les interventions du bassiste avec une réelle empathie. Ses improvisations en pizzicato sur la touche apportent la dose de lyrisme charnel qui équilibre l’équipée et donnent du sens au développement mélodique du souffleur. Ses deux acolytes inspirés permettent à cet authentique skipper océanique au long cours qu’est Larry Stabbins d’évoluer aux First Lights de l’Aurora, à 67 North et 67 South jusqu’aux Boreas Curtains, selon les quatre titres de leur remarquable suite. Chacun d’eux assume en alternance l’élément moteur du trio et détermine sa dynamique en assurant une exemplaire lisibilité tout en donnant le meilleur de lui-même sans entraver l’élan de ses camarades. Lançant quelques imprécations modales, le souffleur a tôt fait de faire exploser la colonne d’air de son ténor avec un expressionnisme virulent ou tournoyer irrégulièrement avec la sonorité acide de son soprano au fil des improvisations intenses et subtilement dosées de ce TRIO SAROST, une belle surprise du free-free jazz allumé à l’improvisation libre.

Aspects of Memory Lawrence Casserley & Emil Karlsen Bead Records
https://beadrecords.bandcamp.com/album/aspects-of-memory

Aspects of Memory is the first meeting between Lawrence Casserley (signal-processing instrument) and Emil Karlsen (percussion). "Lawrence Casserley has devoted his professional career to the creation and performance of real-time electroacoustic music, culminating in the development of his own unique device—The Signal Processing Instrument. This instrument allows him to use physical gestures to control the processing and to direct the morphology of the sounds." Casserley writes: “A key element of the Signal Processing Instrument is the manipulation of musical time, and the Signal Processing Instrument might be likened to a kind of musical time machine. Time is at the core of our understanding of the world; and memory is at the core of our understanding of time. Both are fundamental to our perception of music. What happens to this understanding when “artificial memory” interferes with our perceptions ?”
Le percussionniste norvégien et résident de Manchester Emil Karlsen s’est révélé ces dernières années comme un artiste sensible, créatif et chercheur. Il a joué et enregistré avec Philipp Wachsmann et Neil Metcalfe, Phil Durrant, John Butcher & Dominic Lash, Ed Jones, Pierre Yves Tremblay et Alex Bonney et même en duo de percussions avec Mark Sanders. Du point de vue de l’évolution du travail de Lawrence Casserley et de son signal processing, on attendait de sa part un album avec un percussionniste improvisateur qui mette en évidence une preuve supplémentaire de sa créativité en relation avec la raison d’être essentielle de sa démarche de transformation en temps réel des sons musicaux joués par un autre improvisateur. L’interpénétration et le mariage des deux sources sonores, l’une instrumentale, l’autre « processée » font qu’il est souvent difficile de distinguer qui du percussionniste ou du « processeur » émanent les sonorités complexes et curieuses de leurs interactions croisées. On retrouve ici la dynamique des solos de percussions + électroniques du grand Tony Oxley de l’album Incus 8 (jamais réédité) avec une acuité accrue et un raffinement sonore inouï. Emil Karlsen révèle ici toute sa sensibilité dans le moindre détail de son jeu sur les fûts, ustensiles et cymbales. Pour ceux qui ont écouté les albums de Casserley tels que Dividuality (avec Evan Parker et Barry Guy), Garuda (avec Philipp Wachsmann), Integument (avec Adam Linson) ou MouthWind, on retrouvera ici ce qui fait la quintessence de l’art de ce magicien de la transformation sonore par le truchement du live signal processing au travers de plusieurs canaux ( 14 bien souvent) et de rhizomes d’applications successives et enchevêtrées créées dans ce but par L.C., le but de toute une vie d’essais et de recherches élaborées. Un univers fascinant, une technologie organique dont on en oublie la technicité au profit d’une musicalité insoupçonnée. Vagues, tourbillons, accélérations fantômes, agrégats sonores mutants, descentes glissantes dans les graves, étagements de fréquences éphémères, pulsations factices, vibrations percussives, boucles décalées et hésitantes, mystères. Voici une musique qui se découvre au fil de nombreuses écoutes tant les paramètres de l’élaboration des sons sont devenus surréels. Mention spéciale au travail d' Emil Karlsen qui anime activement l'aventure créative du label Bead Records "established in 1974"

Kristof K.Roll Les Ombres de la Nuit
Kristof K.Roll & Dedalus Grande Suite à l’Ombre des Ondes
Mazeto Square Un livre couverture cartonnée. Deux Compact Discs. Textes détaillés des rêves et partitions.
https://www.mazeto-square.com/product-page/les-ombres-de-la-nuit-livre-cd
Malheureusement, impossible d'insérer les images de ce magnifique Livre 2CD
Voici un magnifique projet du tandem Kristof K.Roll (Carole Rieussec & Christophe Camps) dans le domaine de la musique concrète et de voix enregistrées – témoignages vivants de personnes exprimant leurs expériences de rêves et mises en sons. « La bibliothèque sonore de récits de rêves du monde » et « La Petite Suite à l’Ombre des Ondes » sont contenues dans le CD1. Cet ensemble de témoignages rassemblent de nombreuses personnes qui narrent leurs souvenirs dans des contextes de conflits (comme le Prologue en 1/ enregistré à Bagdad). Les récits ou la relations de ces rêves ont été enregistrés dans de nombreux pays avec des interventions dans de nombreuses langues : français, arabe, italien, pashto, anglais, croate, macédonien etc… Le Livre contient un maximum d’informations sur les circonstances de ces projets et les textes des récits individuels dans la langue de chaque narrateur/ narratrice comme on l’entend dans l’enregistrement et leurs traductions en langue française et anglaise. La Grande Suite à l’Ombre des Ondes est une collaboration de Kristoff K.Roll et de l’Ensemble Dedalus. Il est contenu entièrement dans le CD2. On est plongé dans l’imaginaire du rêve, dans sa narration réaliste et dans une poésie brute , parfois déroutante. La réalisation technique de haut vol intègre les voix à une bande son d’une extrême précision, habillage sonore organique en phase avec la multiplicité des voix, des rêves et des personnalités qui ouvrent leur cœur et leur sensibilité profonde aux micros. Musique concrète de la vie concrète des gens, aventuriers de la vie par le rêve. Le livre lui-même détaille avec cette précision factuelle tous les intervenants, prénoms, lieux, temps, circonstances, paroles sans divulguer la puissance poétique, suggestive, émotionnelle qui émane de l’audition. Aussi, les Kristof K Roll se sont ouverts à plusieurs manifestations du rêve, existentielle, de survie, anecdotique, purement émotionnelle, ou tragique ou « non-sensique ». Ces différentes approches des rêves nous sont livrées sans aucun parti-pris ou une thèse à illustrer. Ce livre se lit dans les deux sens en inversant le recto ou le verso selon que vous suivrez les Suites du CD1 et du CD2. Si le contenu CD1 est focalisé sur la mise en sons électroacoustique à la Kristoff K Roll de la narration des rêves individuels dans l’espace public – fragments de reportage, la Grande Suite à l’Ombre des Ondes s’écoule en 17 compositions successives et 64’. L’ensemble Dedalus rassemble Didier Aschour, guitare, Amelie Berson Maximilien Dazas, percussions, Christian Pruvost, trompette, Deborah Walker, violoncelle. Je cite : « La Grande Suite est un déclinaison de la bibliothèque sonore de rêves du monde. Huit rêveuses et rêveurs dialoguentavec cinq instrumentistes dans un composition sonore mixte, imaginée par le duo Kristoff K. Roll, en dialogue avec les interprètes de l’ensemble Dedalus. » « Le public plonge au cœur de récits de rêves. Voyage onirique collectif qui navigue entre les récits dans une traversée sonore archipélique ». L’œuvre a été enregistrée par Nicolas Brouillard au Théâtre Jean Bart en février 2023. Le montage a été réalisé par Kristoff K. Roll et Nicolas Brouillard s’est joint à eux pour un mixage hyper réussi.
L'oeuvre de Kristoff K. Roll se développe depuis de nombreuses années d'aventures et de travail minutieux : elle atteint ici un niveau de qualité exceptionnelle, l'ambition créatrice et la modestie réunies. Je pense que cette réalisation est aussi cohérente qu’expressivement contemporaine au plus grand service des narrations des rêveuses – rêveurs, les musiciens de l’ensemble Dedalus excellant dans la partie musicale au service du projet. Précise, feutrée, concentrée, suggestive, la musique, les textes et les trouvailles sonores s’imposent en toute simplicité laissant le lyrisme, l’onirisme et la surréalité des voix et des narrations s’imprimer dans nos émotions, perceptions et stimuler notre faculté de recréer l’imaginaire au creux de nous – mêmes. Un travail très touchant, absolument atypique et qui permet à cette expression musicale sonore contemporaine de toucher un public « non averti ».

Savina Yannatou Floros Floridis Barry Guy Ramon Lopez Kouarteto Maya Recordings
https://mayarecordings.bandcamp.com/album/kouart-to

Deux artistes Grecs, Savina Yannatou et Floros Floridis, l’une chanteuse, l’autre clarinettiste saxophoniste en Kouarteto avec un batteur Catalan – Français et le contrebassiste Britannique Barry Guy. La musique, ici librement improvisée penche émotionnellement du côté de la Méditerranée. Le timbre « hellénique » de la voix de Savina Yannatou, à la fois lyrique, audacieuse, expressive moëlleuse et puissante a quelque chose de spécifique par rapport aux voix de ses collègues germaniques, anglo-saxonnes, françaises ou italiennes. Elle collabore fréquemment avec Barry Guy t Ramon Lopez. Et quelle idée lumineuse d’avoir invité Floros Floridis aux clarinettes basse et mi-bémol spécialiste du clair-obscur et d’une singulière manière pointilliste et expressionniste alliant retenue et découpage tranchant. Le batteur souligne, répercute des impressions, dose habilement ses frappes avec un vrai souci du détail pour laisser le champ libre à la voix fantastique de sa collègue et aux doigtés décalés du contrebassiste. Ces quatre – là nous démontrent ce qu’écouter, s’entraider et se répondre – suggérer – se compléter signifie dans le moindre instant de jeu et de partage. Enregistré à Ydra, Kouartéto se décline et se renouvelle merveilleusement au fil de 13 Ydra numérotés de 1 à 13 durant 67 minutes de plénitude. Chacun s’impose tour à tour comme un soliste d’avant-plan, comme un infiltrateur dans le maquis sonore, comme duettiste en trio : il faut écouter les détails d Ydra 6 (Greek Lullaby) avec la voix « traditionnelle » grecque, les frappes aléatoires de Ramon et les friselis des doigts de Barry effleurant les cordes de la contrebasse comme si c’était une harpe magique. Des trouvailles, coups de gueule et morsures du souffleur éclatent et s’étalent dans l’espace-temps comme une déflagration puis dans les murmures. On a droit à une multitude d’états d’âme instrumentaux et d’expressions vocales qui coïncident dans l’instant ou un peu plus tard et de morceau n morceau. Un album réussi et disons – le, fabuleux. Et la présence des deux artistes helléniques, Savina Yannatou et Floros Floridis (un vieux compagnon de Peter Kowald, Gunther Sommer ou Okay Temiz) est providentielle tant pour l’art de Barry Guy et la faconde de Ramon Lopez (ici aussi aux tablas indiens !).