Anna Homler Wolfgang Schliemann Joachim Zoepf Jaw Acheulian Handaxe
https://handaxe.bandcamp.com/album/jaw
Recorded live at the 8th Nozart Festival Cologne by Ansgar Ballhorn April 3rd 2004. Enregistrée il y a plus de vingt ans, cette rencontre atypique entre la chanteuse conteuse Anna Homler et les deux improvisateurs pointus que sont le percussionniste Wolfgang Schliemann et le souffleur Joachim Zoepf (sax soprano et clarinette basse) méritait vraiment d’être publiée. À sa voix expressive, Anna Homler ajoute l’utilisation ludique de jouets et d’appareils, dont une boîte musicale ce qui crée une connexion interactive avec les improvisations instrumentales alambiquées radicales du tandem Schliemann Zoepf. Schliemann développe un jeu pointilliste et disparate avec plusieurs instruments et accessoires de percussions tout en créant un espace pour ses deux collègues. La chanteuse ajoute une approche narrative à son Gesprech-Gesang (chanté-parlé) volatile et subtilement expressif. Anna Homler est une des vocalistes chanteuses parmi les plus originales parmi les nombreuses chanteuses qui s’adonnent à la libre improvisation et que je n’ai jamais manqué de commenter, expliquer et soutenir dans mes nombreux articles. Irrésistible et hors des catégories. Je trouve que cette collaboration est superlative au niveau du dialogue et de l’empathie collective. Si nos deux lascars au sax et à la percussion sont des artistes plutôt abstraits face à cette chanteuse qui n’hésite pas à chanter un texte avec une mélodie ou zézayer ses pensées, leurs interventions sont orientées vers un seul but : illustrer la vocalité et l’expression d’Anna Homler de manière astucieuse, discrète, subtile et aérée, pointilliste avec les possibilités sonores de leurs instruments et les objets percussifs de Wolfgang Schliemann. De même la chanteuse utilise de curieux objets / jouets et (peut-être ?) des appeaux dans une dimension bruissante évoquant des volatiles à l’instar des contorsions de la colonne d’air de Joachim Zoepf à la clarinette basse. Il n’y a rien à dire de plus que cette rencontre d’un soir intitulée Jaw datant d’il y a plus de vingt ans est une belle démonstration d’ouverture d’esprit de la part de chaque artiste et surtout, on y trouve des moments d’anthologie magiques pouvant illustrer le leitmotiv trop rarement invoqué dans cet univers de « spécialistes » qu’est l’impro « non idiom… ou autre ique ou isme) de la diversité affichée dans la cohérence totale. Si leur style ne se répand pas en avalanches énergétiques, il est d'une précision rare, chaque son, chaque mouvement est à sa place et surgit au meilleur instant avec une formidable évidence. Magnifique et sans prétention. Acheulian Handaxe est un label à suivre de près.
Music for Guitars, Bass Clarinets & Contrabasses Earle Brown David Ryan, Christian Wolf, Morton Feldman Thanos Chrysakis Tim Hodgkinson Aural Terrains TRRN1957.
https://www.auralterrains.com/releases/57
Le compositeur Grec Thanos Chrysakis est un excellent producteur de projets de musique contemporaine originaux très souvent focalisés sur des instruments particuliers comme les clarinettes basses, les trombones avec une sélection de compositeurs incontournables voire atypiques comme ici Earle Brown, Christian Wolf ou Morton Feldman ainsi que ses propres compositions et celles de ses collaborateurs proches, tels le clarinettiste Tim Hodgkinson ou le guitariste David Ryan. Il empile les réussites sur son label Aural Terrains en diversifiant régulièrement le choix des instruments. Aussi sa démarche fait appel à des improvisateurs libres. Dans cet album enregistré le 10 décembre 2023 au Café OTO à Londres, on retrouve le bassiste Dominic Lash, les clarinettistes Chris Cundy, Tim Hodgkinson et Jason Alder. Il introduit de nouveaux musiciens à ses équipes comme l’excellent guitariste William Crosby qui interprètent Fields and Refrains de David Ryan composé pour une seule guitare acoustique (15 :10) nous éclairant sur les possibilités sonores de la guitare en apportant un regard neur et des techniques inusitées. C’est justement David Ryan qui dirige 4 Systems (1954- 5 :08) d’Earle Brown pour cinq clarinettes basses (Alder, Cundy , Hodgkinson et deux nouvelles venues Michelle Hromin et Hannah Shilvock), composition ouvrant l’espace sonore et la dynamique. Tilbury 4 de Christian Wolff fait rencontrer quatre des clarinettistes basses précédents avec la guitare électrique jouée par William Crosby et les deux contrebasses de Lash et de Gwen Reed. Chaque musicien intervient quasiment seul au seuil du silence Une œuvre quasi diaphane de 5:25 datant de 1970. Suivi de The Possibilty of A New Work for Electric Guitar de Morton Feldman (1966 – 7:03) dans un esprit très similaire à la précédente interprétée par William Crosby. Riverwind (2023- 17 :50) de Thanos Chrysakis est une de ses oeuvres orchestrales parmi les plus réussies rassemblant trompette (Jack Jones), deux clarinettes en Sib, deux clarinettes basses, un clarinette contrebasse, deux guitares électriques et deux contrebasses avec les instrumentistes déjà cités dont aussi le guitariste James O’Sullivan sous la direction de Leo Geyer. Il s’agit d’une belle œuvre spectrale avec une phase proche du free-jazz radical. Plus loin on rencontre une guitare noise abrasive. La démarche de Chrysakis est limpide : pour à la fois illustrer son projet de composition qui s’impose comme partie centrale de l’album et nourrir la diversité musicale et l’intérêt du public, il reprend une série d’œuvres composées par d’autres compositeurs pour chacun ou plusieurs des instruments qui figurent dans Riverwind, celle – ci se distinguant musicalement de ces œuvres qui la précèdent dans l’ordre de l’album. . Il reste alors deux compositions pour conclure ce cheminement particulier. One To Five d’Earle Brown (1970 – 5 :57) conduite par David Ryan reprend une bonne partie l’instrumentation de Riverwind au niveau des clarinettes (moins la cl. contrebasse), mais avec une seule guitare électrique et une seule contrebasse. Mais cette œuvre a une toute autre optique avec ses mouvements saccadés, parsemés de silences et de breaks, avec une rythmique sous-jacente et des effets de tutti agrémentés de pointillisme. Cette sélection d’œuvres différentes fait que ce programme s’écoute volontiers grâce à sa diversité pointue et aux contrastes de chaque composition par rapport aux autres. Kryptoplégma de Tim Hodgkinson (2023 - 14:12) est écrit pour un orchestre semblable à celui de Riverwind : trompette, clar Sib, deux clarinettes basses, une clarinette basse, deux guitares électriques, et deux contrebasses et dirigée par son compositeur. Celui-ci a opté pour un style de composition dynamique et enlevée similaire à ces œuvres de jazz d’avant-garde avec de larges intervalles dissonants, guitares noise, alternances rapides de chaque instruments en mouvements disjoints, hoquets, passages presque silencieux, combinaisons de notes isolées de plusieurs souffleurs qui se chevauchent à une double croche près. Hodgkinson utilise à bon escient une série d’idées d’écriture qui se succèdent avec bonheur. L’ensemble de l’album et la succession de ces sept compositions dans l’ordre de celui-ci apportent un réelle bonification pour chacune des œuvres jouées par la grâce de leurs qualités intrinsèques qui mettent en valeur toutes les autres. Un excellent travail réalisé et enregistré la même soirée en concert et un sens rare de la synergie dans chaque projet de Thanos. Il faut pouvoir le faire, signalons-le. Chapeau Thanos Chrysakis, Aural Terrains et tous ceux qui ont participé au projet.
Quartetics Federico Reuben Mark Hanslip Dom Lash Paul Hession Bead Records
https://www.beadrecords.com/reuben/hanslip/lash/hession-quartetics
L’antique label de musiques improvisées Bead Records fondé par un collectif autour du violoniste Philipp Wachsmann, (avec Tony Wren, Peter Cusack, puis Matt Hutchinson etc…) a fait peau neuve récemment et propose des idées nouvelles sous la responsabilité du percussionniste Emil Karlsen avec un panel diversifié de musiciens intéressants. Que dire de ce nouveau Quartetics composé de Federico Reuben (laptop improvisation / live coding), du saxophoniste ténor Mark Hanslip, du contrebassiste Dominic Lash et du batteur Paul Hession. On pourrait croire que leur musique soit dans la lignée du free-jazz qu’on entend toujours un peu partout dans les festivals et les clubs avec le sempiternel trinôme saxophone, contrebasse, batterie + guitare électrique, clavier ou électronique, la vulgate du jazz libre d’avant-garde qui peut être ressentie comme un cliché. Je découvre que Mark Hanslip a sérieusement évolué depuis ses collaborations avec Javier Carmona, Tony Bianco, Ollie Brice et le Crux Trio ou Michael Garrick. Son jeu artistement découpé fait de larges intervalles est assez particulier. Face au drumming crépitant et irrégulier de Paul Hession, un fidèle de feu Simon Fell et du saxophoniste explosif Allan Wilkinson dans un trio hard-free saturé en diable, le jeu sophistiqué de Hanslip et ses subtiles inversions harmoniques créent un équilibre instable et un contraste remarquable qui mettent en valeur les deux musiciens. Vous ajoutez à cette équation volatile le travail sonique multiforme de Dominic Lash à l’archet et on aboutit à un approfondissement des perspectives et des percées dans l’univers éclaté des sons de la free music sans plan A ou plan B. La contribution « électronique » de Federico Reuben est tout à fait pertinente, entretenant des échanges avec les frappes millimétrées free plus radicales d’Hession dont on découvre la finesse et la précision en empathie avec la dynamique et le chaos des improvisations au laptop avec une multitude de facéties sonores surgissant de nulle part. Son output est particulièrement intéressant et multiforme. Un très bon point pour Hession, les drummers free excitants devenant trop rares parmi la génération montante. Par-dessus, le souffle d’Hanslip trace son chemin sinueux sur un canevas polyrythmique qui s’appuie sur les impulsions des trois autres. Leur musique faite de voix qu’on jugerait disparates ou antagonistes du point de vue formel se révèle étonnamment cohérente, dynamique et profondément lisible. L’auditeur a le plaisir d’entendre clairement toutes les interventions et interactions individuelles dans le son global de ce Quartetics durant les cinq improvisations collectives sur une durée de 33 minutes. Et oui , la qualité de l’enregistrement et le savoir-faire des instrumentistes ! Et chacun a le loisir de cultiver ses marottes personnelles au bénéfice de l’ensemble. Je trouve cet album vraiment remarquable. Congratulations.
Duo PsicoGeografico Iskra Andrea Bini & Sergio Fedele. Setola di Maiale.
https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM5010
Un bien curieux duo de multi-instrumentistes improvisateurs qui alimentent 9 sequenze (pluriel de sequenza) d’improvisations contemporaines. Andrea Bini joue du piano, de la « flauto dolce basso » soit une flûte à bec basse, voix, « richiamo » soit un appel ou un cri, rombo ou grondement, percussions et gong. Sergio Fedele est crédité ecatorf, un instrument à vent de son invention avec anches coulisses, pavillons combinant plusieurs tuyaux et des éléments mobiles et d’une grande complexité au niveau de la construction. Une espèce de monstre avec lequel on obtient de curieux effets de souffles similaires à la clarinette contrebasse et au trombone. Il ajoute à ce curieux instrument hybride, le sax alto, la clarinette contra alto, la clarinette et l’ocarina bassa. Iskra signifie l’étincelle en Russe et servit de titre pour la revue marxiste de Lénine lors de son séjour en Grand Bretagne. Plus tard, Paul Rutherford intitula son trio avec Derek Bailey et Barry Guy, Iskra 1903, tandis qu’un groupe free suédois s’est baptisé Iskra. Ses 9 Sequenze s’intitulent Iskra 01, Iskra 02 , etc… jusqu’à Iskra 09 et les notes de pochette indiquent clairement les instruments utilisés. Parmi ces 9 pièces , Andrea Bini jouent du piano dans cinq d’entr’elles, la première nous faisant entendre les possibilités sonores et dynamiques de cet ecatorf mystérieux dans une approche avant garde contemporaine réussie Pour la deuxième pièce avec sax alto et piano, la musique se rapproche de l’univers du free-jazz. Au fil de chaque improvisation, le centre de gravité et l’approche musicale varie comme dans ce duo percussions et clarinette contra alto rêveuse. On y entend des frappes clairsemées sur un tambour et la résonance d’un gong face à un souffle retenu et note à note parsemé de silences dans une ambiance intime. Chacun de ces duos cultivent une ambiance particulière avec les moyens de chacun des instruments sollicités successivement d’un Iskra à l’autre. On y trouve l’étincelle de la sensibilité sans pour autant y mettre le feu aux poudres. On est plus ici dans la réflexion ou les appels d’oiseaux au sein d’une volière comme dans cet Iskra 04 et son dialogue ocarina basse et flûte à bec basse et quelques trouvailles sonores. Iskra 05 : retour à la démarche musique contemporaine entre la clarinette contralto et le piano dans le sillage de Iskra 01. J’en apprécie la résonnance des cordes « bloquées » du piano et le cheminement de la clarinette de graves discrets à la limite du souffle vers les égosillements des harmoniques aiguës Chaque pièce offre ainsi une nouvelle opportunité sensible et bien choisie et l’ecatorf en est bien la part de mystère (Iskra 06). Un album d’improvisation à part soigneusement préparé et simplement poétique. En fait, une belle réussite.
Consacré aux musiques improvisées (libre, radicale,totale, free-jazz), aux productions d'enregistrements indépendants, aux idées et idéaux qui s'inscrivent dans la pratique vivante de ces musiques à l'écart des idéologies. Nouveautés et parutions datées pour souligner qu'il s'agit pour beaucoup du travail d'une vie. Orynx est le 1er album de voix solo de J-M Van Schouwburg (1996 - 2005). https://orynx.bandcamp.com
13 octobre 2025
10 octobre 2025
Urs Leimgruber Duos with Bobby Burri, Fritz Hauser, Tizia Zimmermann, Christy Doran / Derek Bailey & Paul Motian / John Edwards Daniel Thompson.
AIR vol.3 Urs Leimgruber Duos with Bobby Burri, Fritz Hauser, Tizia Zimmermann, Christy Doran. Creative Works CD CW 1079.
https://creativeworksrecords.jimdoweb.com/
Troisième mouture des duos du saxophoniste Urs Leimgruber au saxophone soprano publiée par Creative Works en compagnie de ses camarades du groupe OM, le bassiste Bobby Burri et du guitariste électrique Christy Doran, du percussionniste Fritz Hauser, lui aussi un vieux compagnon et d’une nouvelle venue dans l’univers d’Urs, l’accordéoniste Tizia Zimmermann. Pour rappel les coffrets AIR VOL.1 comportait des duos avec Gerry Hemingway, Hans Peter Pfamatter, Jacques Demierre et le VOL.2 des duos avec Joëlle Léandre, Magda Mayas et Dorothea Schürch. Ce volume 3 est tout aussi méritant que les précédents, le saxophoniste ne se privant pas d’explorer les infinies ressources sonores du saxophone soprano tant au bord du silence qu’aux extrémités des hyper-aigus des harmoniques extrêmes de l’instrument qu’il manie avec autant de contrôle que de dérive aléatoire. On aimera les belles tentatives de dialogues tangentiels avec la contrebasse trafiquée d’effets de Bobby Burri et les contorsions électroniques subtiles de Christy Doran. Dans ces échanges le souffleur fascine par sa poésie sonore zen et ses effets acoustiques avec la colonne d’air, doigtés fourchus, pincements forcenés de l’anche et ce souffle si singulier à la recherche des imperfections transformées en art – sculpture vivante et palpitante de l’air et du son. Le duo avec le percussionniste Fritz Hauser est une excellente confrontation entre le jeu sur les pulsations et les battements rythmiques et les extrêmes du souffle au sax soprano. Pour les deux artistes, il s’agit de créer une interaction oblique entre deux conceptions différentes qui aboutit à la fusion dans une démarche bruitiste (en #4) où le frottement des peaux avec une mailloche en caoutchouc évoque la vocalité du saxophone soprano. La matière sonore est devenue ténue, vibratile, hiératique et supérieurement épurée et stridente. Dans d’autres plages, les frappes coordonnées du batteur autour de pulsations croisées génèrent des réactions éclatées, déchirantes mais retenues du saxophoniste ou des interventions rêveuses au lyrisme secret. Une belle découverte que la présence de Tizia Zimmermann dans ces Duos, secouant son instrument de souffles à touches qu’est l’accordéon en contorsionnant les sonorités, clusters, bruissements face aux giclées et cris perçants de Leimgruber. L’excellence des Duos, leur spontanéité, la sincérité et la simplicité de la démarche, l’intense recherche de formes imprévisibles et de sons inouïs font de ce troisième volume et des deux précédents, une écoute recommandée pour méditer et goûter la profondeur humaine et esthétique des improvisations en duo d'Urs Leimgruber et ses fidèles amis.
Duo in Concert Derek Bailey Paul Motian Frozen Reeds fr24v
https://frozenreeds.bandcamp.com/album/duo-in-concert
Publié en 2023. J’aurais aimé chroniquer ce Duo In Concert plus tôt. Encore eut-il fallu mettre la main sur ce vinyle plus tôt. Enregistré au Jazz Marathon de Groningen le 7 décembre 1990, ce concert réparti sur les deux faces du vinyle est tout à fait remarquable 35:28 qui court aussi sur la face B suivie d’un encore de 9’. Un autre concert à NYC en 1991 est proposé en digital sur le sire de Frozen reeds et j’ai bien trouvé le code pour le téléchargement. C’est vers cette époque que Derek Bailey a commencé à être invité avec des improvisateurs jazz et des batteurs comme Jack De Johnette, Tony Williams (projets Arcana avec Bill Laswell), le guitariste Pat Metheny ou le saxophoniste Lee Konitz. Sur la pochette du LP, on peut lire un commentaire du guitariste Bill Frisell qui, lui a longtemps joué avec Motian, mais aussi avec John Zorn et George Lewis, des collaborateurs fréquents de Derek Bailey. À l’intérieur de la pochette, on trouve un feuille insérée qui contient une conversation des guitaristes Henry Kaiser et Bill Frisell, à nouveau. Ceux-ci soulignent que Paul Motian était alors très concentré sur son groupe (le trio avec Bill Frisell et Joe Lovano, parfois augmenté d’autres artistes) et n’était pas intéressé de jouer en « sideman » ou de rencontrer d’autres artistes. Mais il fut alors très content à l’idée de jouer avec Derek Bailey. Il faut dire que même si Derek Bailey a un tout autre univers musical, ses nombreuses collaborations avec des « grands » du jazz contemporain tels qu’ Anthony Braxton, Steve Lacy, David Holland, George Lewis, Kenny Wheeler, leurs commentaires enthousiastes et son évidente inventivité virtuose ont du éveiller l’intérêt de nombreux musiciens d’envergure. Ce duo est en tout point excellent et excellemment joué et entendre un drumming aussi swinguant que subtilement et délicatement polyrythmique face au style particulier de Derek Bailey est tout à fait réjouissant. Dans le jeu et les sonorités de Paul Motian, on ressent clairement les rudiments et l’élégance issues de la pratique des pères de la batterie jazz comme Papa Jo Jones et Kenny Clarke. Le jeu de guitare de Derek est étincelant, zig-zagant et tournoyant obliquement dans les infinis dédales dodécaphoniques ou sériels et ces intervalles extravagants où pointent ces harmoniques brefs ou lancinants d’une justesse absolue. Dans la poursuite du concert, après avoir chacun développé longuement leurs idées et réagit à celles de l’autre, on entend le drumming libre, mais contenu, de Motian dilater, décaler et se métamorphoser en implosions des pulsations vers une polyrythmie plus anarchique et réjouissante. Le guitariste facétieux se met alors à cisailler les cordes suramplifiées en augmentant le volume avec un effet légèrement « destroy », avec un certaine goguenardise. J’apprécie beaucoup cet album et je pense que les enregistrements de Bailey des années de la deuxième partie des seventies, des années 80 et début 90 donnent un excellent éclairage de son travail. On a l’embarras du choix avec le guitariste : il y a beaucoup d’excellents albums en solo, duo ou trio, et si un acheteur doit se limiter à quelques disques pris au hasard de leur disponibilité, il sera rarement déçu et très très souvent enthousiaste.
C’est le cas de ce Duo In Concert, même si je préférais un album complet en duo avec les percussionnistes Paul Lovens, Paul Lytton et Roger Turner avec qui Derek Bailey n’a jamais enregistré d’album, même s’il y a un ourt morceau avec Lovens sur l’Idyllen Und Katastrophen et un album digital récent Im Podewil par Lovens – Bailey – Jon Rose datant de la même période. Je plonge maintenant sur le concert de NYC 1991 qui s'avère tout aussi excellent.
P.S. Comme me l'a fait remarquer verbalement mon défunt ami et guitariste John Russell (celui-ci a été un élève "technique" de D.B. au début des années 70), le jeu multiforme de Derek Bailey est, entre autres, basé sur les positions de la main gauche des accords de guitare jazz évolués (be-bop, George Van Eps, etc...) et les harmonies développées par Bill Evans, qu'il modifie et altère par de subtils déplacements de doigts pour atteindre des constructions harmoniques dodécaphoniques. Simultanément, il ajoute des changements de volume grâce à deux, puis une, pédale(s) de volume, des harmoniques,des pressions des cordes derrière le chevalet. On ajoute à cela une rythmique d'enfer.
John Edwards & Daniel Thompson Where the Butterflies Go. Earshots EAR027
https://earshots.bandcamp.com/album/where-the-butterflies-go
On a entendu ces deux musiciens, le contrebassiste John Edwards et le guitariste Daniel Thompson, dans le Runcible Quintet avec le saxophoniste Adrian Northover, le flûtiste Neil Metcalfe et le percussionniste Marcello Magliocchi dans une succession de compacts aussi volatiles et métamorphiques les uns que les autres. Les retrouver en duo est une belle surprise pour voir jusqu’où les papillons vont ou s'envolent. Daniel Thompson a évolué dans le sillage de son ami John Russell, lui-même compagnon d’Edwards et Evan Parker dans un excellent trio acoustique. En effet, Daniel Thompson ne joue de la guitare qu’acoustique sans amplification ni effet. Tout est dans les doigts et les plectres : il utilise des plectres de feu Derek Bailey, mais il développe une autre approche, pointilliste, arachnéenne, grouillante, des boucles de notes obstinées ou des griffures métalliques. Derek avait un style très typé et aisément reconnaissable, un système atonal et mélodique très personnel même s’il était aussi un explorateur de sonorités en diable. L’univers de Daniel Thompson est plus instantané, polymorphe, basé sur l’imagination et l’imaginaire et pas toujours reconnaissable d’un enregistrement à l’autre. Son collègue est sans doute le contrebassiste de prédilection d’un grand nombre d’improvisateurs d’envergure et de poids lourds du free-jazz. Mais John Edwards aime aussi à naviguer et s’égarer dans les méandres et eaux troubles de l’improvisation totale. On retiendra de lui une énergie phénoménale à faire vibrer la contrebasse, sa carcasse boisée, les cordes sur la touche, et actionner l’archet sur toutes les directions possibles. Ses pizzicatos sont puissants, charnels, vibratiles, résonnants, sourds ou bruissants. Les deux ensemble en duo devient un parfait régal, une foire, une dérive poétique, un idéal de musique improvisée sans souffleurs criants, sans batterie crépitantes, sans amplis saturés, mais une intrigante histoire de cordes coordonnées dans l’anarchie et un lâcher prise sans retour. On n’a pas fini de découvrir indéfiniment une combinatoire exponentielle d’éléments sonores, bruitistes, fragmentaires, de chassés-croisés courses-poursuites sans résolution finale. Ou simplement un sens de la respiration de notes vibrantes égrenées en toute quiétude et s'enchaînant remarquablement avec un sixième sens, celui des formes musicales évidentes (en 3). Quatre Pièces pour chaque saison : For Summer, For Autumn, For Winter, For Spring. Earshots Recordings (le tromboniste Edward Lucas) vient d’ajouter une page remarquable à son catalogue.
https://creativeworksrecords.jimdoweb.com/
Troisième mouture des duos du saxophoniste Urs Leimgruber au saxophone soprano publiée par Creative Works en compagnie de ses camarades du groupe OM, le bassiste Bobby Burri et du guitariste électrique Christy Doran, du percussionniste Fritz Hauser, lui aussi un vieux compagnon et d’une nouvelle venue dans l’univers d’Urs, l’accordéoniste Tizia Zimmermann. Pour rappel les coffrets AIR VOL.1 comportait des duos avec Gerry Hemingway, Hans Peter Pfamatter, Jacques Demierre et le VOL.2 des duos avec Joëlle Léandre, Magda Mayas et Dorothea Schürch. Ce volume 3 est tout aussi méritant que les précédents, le saxophoniste ne se privant pas d’explorer les infinies ressources sonores du saxophone soprano tant au bord du silence qu’aux extrémités des hyper-aigus des harmoniques extrêmes de l’instrument qu’il manie avec autant de contrôle que de dérive aléatoire. On aimera les belles tentatives de dialogues tangentiels avec la contrebasse trafiquée d’effets de Bobby Burri et les contorsions électroniques subtiles de Christy Doran. Dans ces échanges le souffleur fascine par sa poésie sonore zen et ses effets acoustiques avec la colonne d’air, doigtés fourchus, pincements forcenés de l’anche et ce souffle si singulier à la recherche des imperfections transformées en art – sculpture vivante et palpitante de l’air et du son. Le duo avec le percussionniste Fritz Hauser est une excellente confrontation entre le jeu sur les pulsations et les battements rythmiques et les extrêmes du souffle au sax soprano. Pour les deux artistes, il s’agit de créer une interaction oblique entre deux conceptions différentes qui aboutit à la fusion dans une démarche bruitiste (en #4) où le frottement des peaux avec une mailloche en caoutchouc évoque la vocalité du saxophone soprano. La matière sonore est devenue ténue, vibratile, hiératique et supérieurement épurée et stridente. Dans d’autres plages, les frappes coordonnées du batteur autour de pulsations croisées génèrent des réactions éclatées, déchirantes mais retenues du saxophoniste ou des interventions rêveuses au lyrisme secret. Une belle découverte que la présence de Tizia Zimmermann dans ces Duos, secouant son instrument de souffles à touches qu’est l’accordéon en contorsionnant les sonorités, clusters, bruissements face aux giclées et cris perçants de Leimgruber. L’excellence des Duos, leur spontanéité, la sincérité et la simplicité de la démarche, l’intense recherche de formes imprévisibles et de sons inouïs font de ce troisième volume et des deux précédents, une écoute recommandée pour méditer et goûter la profondeur humaine et esthétique des improvisations en duo d'Urs Leimgruber et ses fidèles amis.
Duo in Concert Derek Bailey Paul Motian Frozen Reeds fr24v
https://frozenreeds.bandcamp.com/album/duo-in-concert
Publié en 2023. J’aurais aimé chroniquer ce Duo In Concert plus tôt. Encore eut-il fallu mettre la main sur ce vinyle plus tôt. Enregistré au Jazz Marathon de Groningen le 7 décembre 1990, ce concert réparti sur les deux faces du vinyle est tout à fait remarquable 35:28 qui court aussi sur la face B suivie d’un encore de 9’. Un autre concert à NYC en 1991 est proposé en digital sur le sire de Frozen reeds et j’ai bien trouvé le code pour le téléchargement. C’est vers cette époque que Derek Bailey a commencé à être invité avec des improvisateurs jazz et des batteurs comme Jack De Johnette, Tony Williams (projets Arcana avec Bill Laswell), le guitariste Pat Metheny ou le saxophoniste Lee Konitz. Sur la pochette du LP, on peut lire un commentaire du guitariste Bill Frisell qui, lui a longtemps joué avec Motian, mais aussi avec John Zorn et George Lewis, des collaborateurs fréquents de Derek Bailey. À l’intérieur de la pochette, on trouve un feuille insérée qui contient une conversation des guitaristes Henry Kaiser et Bill Frisell, à nouveau. Ceux-ci soulignent que Paul Motian était alors très concentré sur son groupe (le trio avec Bill Frisell et Joe Lovano, parfois augmenté d’autres artistes) et n’était pas intéressé de jouer en « sideman » ou de rencontrer d’autres artistes. Mais il fut alors très content à l’idée de jouer avec Derek Bailey. Il faut dire que même si Derek Bailey a un tout autre univers musical, ses nombreuses collaborations avec des « grands » du jazz contemporain tels qu’ Anthony Braxton, Steve Lacy, David Holland, George Lewis, Kenny Wheeler, leurs commentaires enthousiastes et son évidente inventivité virtuose ont du éveiller l’intérêt de nombreux musiciens d’envergure. Ce duo est en tout point excellent et excellemment joué et entendre un drumming aussi swinguant que subtilement et délicatement polyrythmique face au style particulier de Derek Bailey est tout à fait réjouissant. Dans le jeu et les sonorités de Paul Motian, on ressent clairement les rudiments et l’élégance issues de la pratique des pères de la batterie jazz comme Papa Jo Jones et Kenny Clarke. Le jeu de guitare de Derek est étincelant, zig-zagant et tournoyant obliquement dans les infinis dédales dodécaphoniques ou sériels et ces intervalles extravagants où pointent ces harmoniques brefs ou lancinants d’une justesse absolue. Dans la poursuite du concert, après avoir chacun développé longuement leurs idées et réagit à celles de l’autre, on entend le drumming libre, mais contenu, de Motian dilater, décaler et se métamorphoser en implosions des pulsations vers une polyrythmie plus anarchique et réjouissante. Le guitariste facétieux se met alors à cisailler les cordes suramplifiées en augmentant le volume avec un effet légèrement « destroy », avec un certaine goguenardise. J’apprécie beaucoup cet album et je pense que les enregistrements de Bailey des années de la deuxième partie des seventies, des années 80 et début 90 donnent un excellent éclairage de son travail. On a l’embarras du choix avec le guitariste : il y a beaucoup d’excellents albums en solo, duo ou trio, et si un acheteur doit se limiter à quelques disques pris au hasard de leur disponibilité, il sera rarement déçu et très très souvent enthousiaste.
C’est le cas de ce Duo In Concert, même si je préférais un album complet en duo avec les percussionnistes Paul Lovens, Paul Lytton et Roger Turner avec qui Derek Bailey n’a jamais enregistré d’album, même s’il y a un ourt morceau avec Lovens sur l’Idyllen Und Katastrophen et un album digital récent Im Podewil par Lovens – Bailey – Jon Rose datant de la même période. Je plonge maintenant sur le concert de NYC 1991 qui s'avère tout aussi excellent.
P.S. Comme me l'a fait remarquer verbalement mon défunt ami et guitariste John Russell (celui-ci a été un élève "technique" de D.B. au début des années 70), le jeu multiforme de Derek Bailey est, entre autres, basé sur les positions de la main gauche des accords de guitare jazz évolués (be-bop, George Van Eps, etc...) et les harmonies développées par Bill Evans, qu'il modifie et altère par de subtils déplacements de doigts pour atteindre des constructions harmoniques dodécaphoniques. Simultanément, il ajoute des changements de volume grâce à deux, puis une, pédale(s) de volume, des harmoniques,des pressions des cordes derrière le chevalet. On ajoute à cela une rythmique d'enfer.
John Edwards & Daniel Thompson Where the Butterflies Go. Earshots EAR027
https://earshots.bandcamp.com/album/where-the-butterflies-go
On a entendu ces deux musiciens, le contrebassiste John Edwards et le guitariste Daniel Thompson, dans le Runcible Quintet avec le saxophoniste Adrian Northover, le flûtiste Neil Metcalfe et le percussionniste Marcello Magliocchi dans une succession de compacts aussi volatiles et métamorphiques les uns que les autres. Les retrouver en duo est une belle surprise pour voir jusqu’où les papillons vont ou s'envolent. Daniel Thompson a évolué dans le sillage de son ami John Russell, lui-même compagnon d’Edwards et Evan Parker dans un excellent trio acoustique. En effet, Daniel Thompson ne joue de la guitare qu’acoustique sans amplification ni effet. Tout est dans les doigts et les plectres : il utilise des plectres de feu Derek Bailey, mais il développe une autre approche, pointilliste, arachnéenne, grouillante, des boucles de notes obstinées ou des griffures métalliques. Derek avait un style très typé et aisément reconnaissable, un système atonal et mélodique très personnel même s’il était aussi un explorateur de sonorités en diable. L’univers de Daniel Thompson est plus instantané, polymorphe, basé sur l’imagination et l’imaginaire et pas toujours reconnaissable d’un enregistrement à l’autre. Son collègue est sans doute le contrebassiste de prédilection d’un grand nombre d’improvisateurs d’envergure et de poids lourds du free-jazz. Mais John Edwards aime aussi à naviguer et s’égarer dans les méandres et eaux troubles de l’improvisation totale. On retiendra de lui une énergie phénoménale à faire vibrer la contrebasse, sa carcasse boisée, les cordes sur la touche, et actionner l’archet sur toutes les directions possibles. Ses pizzicatos sont puissants, charnels, vibratiles, résonnants, sourds ou bruissants. Les deux ensemble en duo devient un parfait régal, une foire, une dérive poétique, un idéal de musique improvisée sans souffleurs criants, sans batterie crépitantes, sans amplis saturés, mais une intrigante histoire de cordes coordonnées dans l’anarchie et un lâcher prise sans retour. On n’a pas fini de découvrir indéfiniment une combinatoire exponentielle d’éléments sonores, bruitistes, fragmentaires, de chassés-croisés courses-poursuites sans résolution finale. Ou simplement un sens de la respiration de notes vibrantes égrenées en toute quiétude et s'enchaînant remarquablement avec un sixième sens, celui des formes musicales évidentes (en 3). Quatre Pièces pour chaque saison : For Summer, For Autumn, For Winter, For Spring. Earshots Recordings (le tromboniste Edward Lucas) vient d’ajouter une page remarquable à son catalogue.
16 septembre 2025
Ivo Perelman Nate Wooley Matt Moran Mark Helias Tom Rainey/ Barry Guy London Jazz Composers Orchestra/ Charlemagne Palestine & Seppe Gebruers/ Gabriele Cancelli Lori Freedman Stefano Giust Giorgio Pacorig Paolo Pascoli
A Modicum of Blues Ivo Perelman Nate Wooley Matt Moran Mark Helias Tom Rainey Fundaja Sluchaj
https://sluchaj.bandcamp.com/album/a-modicum-of-blues
Ivo Perelman, Mark Helias et Tom Rainey ont gravé il y a quelques années un album très réussi pour Fundacja Sluchaj : Truth Seeker. Dans cet album Ivo Perelman nous a fait entendre la transformation – mutation de sa sonorité au saxophone ténor, à la fois plus liquide, plus sensuelle, et d’une merveilleuse profondeur d’expression. Depuis trois décennies, il pratique l’improvisation totale spontanée (pas de compositions, thèmes, grilles d’accords) dans l’instant avec des collègues de confiance. Il a aussi souvent joué et enregistré avec le trompettiste Nate Wooley en duo et en groupe et le vibraphoniste Matt Moran. Ce Modicum of the Blues en quintet permet à la musique initiale du trio (ou des duos), de se diversifier, de construire des interactions confluentes, pointillistes (début de n°1) ou alternées entre chacun des musiciens. Il n’y a donc pas de solistes à proprement parler mais des alternances ou imbrications de dialogues fructueux où un ou deux ou trois des improvisateurs s’arrêtent de jouer pour laisser les autres créer leurs connivences. Les paysages sonores et les perspectives expressives, la dynamique sont en perpétuelle évolution avec cette qualité intrinsèque des pulsations qu’est le swing, suggéré par des allusions gestuelles plutôt que souligné et appuyé. Cette musique est pleine d’émotions, de tensions, de tendresses ou de fureurs et déchirements, d’apaisements et de moments lucides en suspension. On travaille autant à l’économie que dans l’ébullition de notes éclatées, étirées, torrentielles un bref instant … Et le blues pointe dans le n° 4, de manière cool. Chacun apporte sa contribution au moment le mieux choisi. On adore les sonorités expressives exacerbées, bruissantes ou soulful de Nate Wooley qui asticote son embouchure et ses pistons autant qu’il maîtrise le language du jazz. Le timbre sensuel qui fleure bon la saudade brésilienne d’Ivo Perelman, ses gammes particulières hors des intervalles classiques, les harmoniques étirées au-delà du registre aigu du ténor, les sons tour à tour mordants et brûlants, veloutés et soyeux, vocalisés et inimitables, ses glissandi si personnels. Un Ayler cool ou un Shepp réfléchi. Le contrebassiste Mark Helias joue tous les rôles changeant l’humeur de son jeu, le son boisé de la contrebasse vibrant dans l’âme de ce gros violon et sur la touche avec des pizzicatos puissants, sereins ou lyriques qui peuvent s’emporter sous la houlette de ce fin batteur qu’est Tom Rainey. Si celui-ci ne s’affiche pas comme un free-drummer, sa palette et son sens inné du rythme passent par bien des occurrences rythmiques volatiles avec une très grande finesse. De grandes qualités de jazzman à la batterie qu’il met adroitement au service d’une musique libre. Vous ajoutez à cela un partenaire subtil et original comme le vibraphoniste Matt Moran dont le mérite principal est de s’insérer à bon escient dans les échanges avec de très bonnes idées et une sonorité, un toucher étincelant sur les lamelles vibrantes du vibraphone. On retrouve d’ailleurs Moran, Perelman et Wooley dans Seven Skies Orchestra pour le même label Fundacja Sluchaj avec Mat Maneri, Joe Morris et Fred Lonberg-Holm, un sextet qui pratique avec le même bonheur ces échanges improvisés avec le même talent collectif sans le moindre raté (double CD).
Si vous avez déjà entendu ces musiciens sur d’autres albums et que leurs musiques vous a convaincu, vous ne serez pas déçu un instant par leurs merveilleuses improvisations collectives, même si le nombre de publications de Perelman, Wooley, Helias ou Rainey a de quoi effrayer celui qui recherche le « maître-achat », surtout si leurs compacts s’empilent déjà sur votre étagère. Mais si vous êtes tenté et peu au fait de leur musique free, n’hésitez pas, c’est du meilleur principalement pour la haute qualité d’interaction collective qui magnifie toutes les qualités de ces artistes.
Harmos – Krakow Barry Guy London Jazz Composers Orchestra Maya Recordings. Maya CD2501
https://mayarecordings.bandcamp.com/album/harmos-krak-w
Barry Guy - bass, director Agustí Fernández – piano , Michael Niesemann - alto saxophone, Torben Snekkestad - tenor & soprano saxophone, Jürg Wickihalder - alto saxophone, Simon Picard - tenor saxophone, Julius Gabriel - baritone saxophone, Konrad Bauer – trombone, Andreas Tschopp – trombone, Alan Tomlinson - trombone, Henry Lowther – trumpet, Martin Eberle – trumpet, Rich Laughlin – trumpet, Marc Unternährer – tuba, Phil Wachsmann – violin, Bruno Chevillon – bass, Lucas Niggli - drums, percussion.
Si le London Jazz Composers Orchestra de Barry Guy était initialement une composante majeure de la scène improvisée londonienne dans les années 70, simplement parce que l’orchestre à sa naissance réunissait la quintessence des improvisateurs radicaux d’alors : Derek Bailey, Evan Parker, Trevor Watts, Paul Rutherford, Howard Riley, Tony Oxley, Paul Lytton, puis Phil Wachsmann. Quand Barry Guy fit revivre son LJCO dans les années 80 et enregistra plusieurs albums pour le label Intakt à Zurich, Anthony Braxton fut son premier invité et co-leader (Zürich Concerts 1988). Avec un personnel renouvelé comprenant rien moins que Barre Phillips, deux saxophonistes ténor « free-jazz » de très haute tenue, Paul Dunmall et Simon Picard, le sax alto de Pete McPhail, des trombonistes radicaux comme Radu Malfatti et Alan Tomlinson, le trompettiste de studio et de jazz Henry Lowther et son collègue Jon Corbett, le cornet de Marc Charig et Steve Wick au tuba, des poids lourds comme Evan Parker, Trevor Watts, Paul Rutherford, Howard Riley, Philipp Wachsmann, Paul Lytton assurant la continuité du projet. C’est alors que la première version d’Harmos fut enregistrée (Intakt CD 013 1989) La musique s’est clairement orientée dans une synthèse – coexistence de courants : improvisations libres, jazz contemporain free « risqué », architecture – formes issues de la musique classique contemporaine avec une alternance de solos, duos et passages improvisés et de mouvements concertés, masses sonores changeantes sauvages ou raffinées, de thèmes mélodiques savamment structurés inspirés par l’expérience de Duke Ellington ou celle de Gil Evans avec un sens de la structure. Guy, n’est-il pas un architecte de formation ? Harmos est une œuvre majeure de Guy, un canevas type mobile, une méthode cohérente pour créer une musique syncrétique. Sans nul doute on peut dire que le LJCO est l’orchestre de free-jazz par excellence, free-jazz dans le sens où le compositeur exploite tout ce qui est bon à prendre du passé, du présent en envisageant le futur. Peu importe à Guy, les discussions sémantiques sur l’improvisation libre ou non-idiomatique, c’est un musicien visionnaire qui fut un interprète pointu d’œuvres contemporaines pour contrebasse et de musique baroque au plus haut niveau.
Pour cette nouvelle version repensée d’Harmos - Krakow et comme il vit en Suisse depuis plusieurs années, le LJCO s’est étoffé de musiciens suisses avec qui Barry Guy travaille : le saxophoniste Jürg Wickihalder, le batteur Lucas Niggli, le tubiste Marc Unternährer, le tromboniste Andreas Tschopp, …. La musique de Harmos est devenue plus joyeuse, chaloupée, presque festive. Mais quelle musique ! Elle suscite des émotions, des impressions, elle nous fait entendre des structures complexes et imbriquées avec beaucoup de naturel, apporte une nourriture pour l’esprit, et parlera autant aux amateurs de musique post-classique vingtiémiste (Bartok – Stravinsky), de jazz contemporain, ou à ceux qui ont intégré amoureusement les avancées d’Ellington et de Mingus et surtout pour tous les fans qui sont ouverts aux dérapages spontanés ou organisés du free-jazz de haute volée. Un orchestre exceptionnel.
Charlemagne Palestine & Seppe Gebruers Beyondddddd the Notessssss Konnekt CD
https://charlemagnepalestineseppegebruers.bandcamp.com/album/beyondddddd-the-notessssss
Le légendaire pionnier du piano d’avant-garde Charlemagne Palestine fit un jour un concert mémorable au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (l’actuel Bozar) vers 1976. J’en fus informé par un client d’un antique disquaire d’occasion, « Le Pied », là où je commençais à acheter mes premiers disques de « free-jazz » (en fait, c’était d’abord à Pêle-Mêle). Qui aurait dit à l’époque que Charlemagne Palestine allait s’établir ici, à Bruxelles et travailler avec un jeune pianiste innovateur digne du grand Fred Van Hove, disparu aujourd’hui ? J’ai assisté à un concert hors du commun donné par ces deux pianistes à Gand : ils jouaient en duo avec quatre pianos accordés en quart de ton. Fascinant ! Seppe Gebruers venait alors de publier un album OVNI « Standards » fait de trois CD’s bourrés de Standards (de jazz) ou … de leurs fantômes en jouant de deux pianos accordés au quart de ton (label Negocito). Je pense bien qu’il a lu ma chronique de cet album. J’avais fait remarquer que la sonorité du piano au quart de ton est marquée par des résonnances nettement métalliques, des vibrations un peu ferrailleuses. Dans ce nouvel album, Beyondddddd the Notessss, leur jeu respectif est plus perlé, introverti, l’écoulement des notes est plus aéré, fluide, liquide même. Trois parties de 21:00, 13:31, 5 :49. Question ces chiffres ont-ils une signification dans le cadre de cette œuvre remarquable ? Curieusement le jeu sombre dans les graves du n°2, évite ces vibrations trop métalliques et flotte comme un nuage bruissant avant de tournoyer en ostinato pour muter dans des doigtés délicats en vagues répétitives. La communication sensorielle et musicale des deux artistes est optimale. On croit entendre un seul musicien tant leurs notes et doigtés à quatre mains s’interpénètrent en un seul flux suspendu dans un espace dilaté, un mouvement subtil d’ondes et de vagues sonores où règne l’art ultime de la dissonance, de la friction d’ intervalles étrangement croisés soit étirés ou réduits et cette qualité de toucher cristalline qui peut se transformer en martèlement obsessionnel ou en un violent orage. Cette pièce de 13 :31 évolue comme un prodige avec différents mouvements qui s’enchaînent avec une véritable maîtrise. On entre dans le champ ouvert de la microtonalité, un concept adaptable à diverses démarches musicales et instrumentales, dont cet album est une manifestation insigne. Des mélodies issues de l’inconnu, une sensibilité mutante. Il s’agit d’une expérience d’audition incontournable pour quiconque désire découvrir des musiques autres, alternatives, secrètes, inouïes.
A Life in The Day Of Gabriele Cancelli Lori Freedman Stefano Giust Giorgio Pacorig Paolo Pascoli Setola di Maiale
https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM4950
Quintet de musique libre enregistré à l’Arsenale Jazz House, Cividale del Friulo le 16 octobre 2024 rassemblant d’une part, le tandem piano – percussions de Giorgio Pacorig et Stefano Giust et d’autre part, trois souffleurs, le trompettiste Gabriele Cancelli, la clarinettiste basse Lori Freedman et le flûtiste Paolo Pascolo. Les quatre musiciens italiens travaillent souvent ensemble, la clarinettiste canadienne Lori Freedman complétant le groupe dans le registre grave. En effet, si on peut qualifier leur musique de free « free-jazz » spontané sans thèmes, l’absence de contrebasse qui éloigne le groupe du « free-jazz » formaté crée un espace de liberté pour la clarinette basse, même si Freedman n’hésite pas à faire éclater sa colonne d’air, tailladant les aigus, grognant les graves, Deux longues suites de plus de 27 minutes improvisées collectivement d’une traite sont intitulées A Life In The Day Part I et Part II. Les musiciens créent instantanément une composition évolutive avec de multiples paysages, différents niveaux de tensions, d’écoute et d’initiatives individuelles excellemment alternées, contournées, convergentes ou contrastées. La trompette de Gabriele Cancelli, s’envole, la flûte de Paolo Pascoli musarde, la clarinette basse de Lori Freedman s’enfonce dans les sous-bois pour surgir inopinément. Le percussionniste Stefano Giust à qui on doit un superbe cd duo « Cosi Com’è » avec le pianiste Giorgio Pacorig (Setola di Maiale 2023), surprendra plusieurs fois l’auditoire : son free drumming enchaîne une cascade de ricochets sonores truffés de sonorités recherchées, micro frappes en rafales, accélérations subites… Vous savez, la tendance Paul Lovens, Roger Turner. Pacorig est à l’écoute en action-réaction ou en créant un fil conducteur dans ces mouvements collectivement improvisés et dérivants au fil des vagues, ressacs et ondulations. Cette fructueuse collaboration bonifie les talents individuels validant une belle musique de groupe sans doute réuni pour l’occasion. Et une belle occasion transformée en belle œuvre spontanée et … mûrement réfléchie dans l’instant. Chaoeau enncore pour la ténacité de producteur de Stefano Giust pour son label Setola di Maiale, un des meilleurs qui existent pour la cause de notre musique d'improvisation et expérimentale.
https://sluchaj.bandcamp.com/album/a-modicum-of-blues
Ivo Perelman, Mark Helias et Tom Rainey ont gravé il y a quelques années un album très réussi pour Fundacja Sluchaj : Truth Seeker. Dans cet album Ivo Perelman nous a fait entendre la transformation – mutation de sa sonorité au saxophone ténor, à la fois plus liquide, plus sensuelle, et d’une merveilleuse profondeur d’expression. Depuis trois décennies, il pratique l’improvisation totale spontanée (pas de compositions, thèmes, grilles d’accords) dans l’instant avec des collègues de confiance. Il a aussi souvent joué et enregistré avec le trompettiste Nate Wooley en duo et en groupe et le vibraphoniste Matt Moran. Ce Modicum of the Blues en quintet permet à la musique initiale du trio (ou des duos), de se diversifier, de construire des interactions confluentes, pointillistes (début de n°1) ou alternées entre chacun des musiciens. Il n’y a donc pas de solistes à proprement parler mais des alternances ou imbrications de dialogues fructueux où un ou deux ou trois des improvisateurs s’arrêtent de jouer pour laisser les autres créer leurs connivences. Les paysages sonores et les perspectives expressives, la dynamique sont en perpétuelle évolution avec cette qualité intrinsèque des pulsations qu’est le swing, suggéré par des allusions gestuelles plutôt que souligné et appuyé. Cette musique est pleine d’émotions, de tensions, de tendresses ou de fureurs et déchirements, d’apaisements et de moments lucides en suspension. On travaille autant à l’économie que dans l’ébullition de notes éclatées, étirées, torrentielles un bref instant … Et le blues pointe dans le n° 4, de manière cool. Chacun apporte sa contribution au moment le mieux choisi. On adore les sonorités expressives exacerbées, bruissantes ou soulful de Nate Wooley qui asticote son embouchure et ses pistons autant qu’il maîtrise le language du jazz. Le timbre sensuel qui fleure bon la saudade brésilienne d’Ivo Perelman, ses gammes particulières hors des intervalles classiques, les harmoniques étirées au-delà du registre aigu du ténor, les sons tour à tour mordants et brûlants, veloutés et soyeux, vocalisés et inimitables, ses glissandi si personnels. Un Ayler cool ou un Shepp réfléchi. Le contrebassiste Mark Helias joue tous les rôles changeant l’humeur de son jeu, le son boisé de la contrebasse vibrant dans l’âme de ce gros violon et sur la touche avec des pizzicatos puissants, sereins ou lyriques qui peuvent s’emporter sous la houlette de ce fin batteur qu’est Tom Rainey. Si celui-ci ne s’affiche pas comme un free-drummer, sa palette et son sens inné du rythme passent par bien des occurrences rythmiques volatiles avec une très grande finesse. De grandes qualités de jazzman à la batterie qu’il met adroitement au service d’une musique libre. Vous ajoutez à cela un partenaire subtil et original comme le vibraphoniste Matt Moran dont le mérite principal est de s’insérer à bon escient dans les échanges avec de très bonnes idées et une sonorité, un toucher étincelant sur les lamelles vibrantes du vibraphone. On retrouve d’ailleurs Moran, Perelman et Wooley dans Seven Skies Orchestra pour le même label Fundacja Sluchaj avec Mat Maneri, Joe Morris et Fred Lonberg-Holm, un sextet qui pratique avec le même bonheur ces échanges improvisés avec le même talent collectif sans le moindre raté (double CD).
Si vous avez déjà entendu ces musiciens sur d’autres albums et que leurs musiques vous a convaincu, vous ne serez pas déçu un instant par leurs merveilleuses improvisations collectives, même si le nombre de publications de Perelman, Wooley, Helias ou Rainey a de quoi effrayer celui qui recherche le « maître-achat », surtout si leurs compacts s’empilent déjà sur votre étagère. Mais si vous êtes tenté et peu au fait de leur musique free, n’hésitez pas, c’est du meilleur principalement pour la haute qualité d’interaction collective qui magnifie toutes les qualités de ces artistes.
Harmos – Krakow Barry Guy London Jazz Composers Orchestra Maya Recordings. Maya CD2501
https://mayarecordings.bandcamp.com/album/harmos-krak-w
Barry Guy - bass, director Agustí Fernández – piano , Michael Niesemann - alto saxophone, Torben Snekkestad - tenor & soprano saxophone, Jürg Wickihalder - alto saxophone, Simon Picard - tenor saxophone, Julius Gabriel - baritone saxophone, Konrad Bauer – trombone, Andreas Tschopp – trombone, Alan Tomlinson - trombone, Henry Lowther – trumpet, Martin Eberle – trumpet, Rich Laughlin – trumpet, Marc Unternährer – tuba, Phil Wachsmann – violin, Bruno Chevillon – bass, Lucas Niggli - drums, percussion.
Si le London Jazz Composers Orchestra de Barry Guy était initialement une composante majeure de la scène improvisée londonienne dans les années 70, simplement parce que l’orchestre à sa naissance réunissait la quintessence des improvisateurs radicaux d’alors : Derek Bailey, Evan Parker, Trevor Watts, Paul Rutherford, Howard Riley, Tony Oxley, Paul Lytton, puis Phil Wachsmann. Quand Barry Guy fit revivre son LJCO dans les années 80 et enregistra plusieurs albums pour le label Intakt à Zurich, Anthony Braxton fut son premier invité et co-leader (Zürich Concerts 1988). Avec un personnel renouvelé comprenant rien moins que Barre Phillips, deux saxophonistes ténor « free-jazz » de très haute tenue, Paul Dunmall et Simon Picard, le sax alto de Pete McPhail, des trombonistes radicaux comme Radu Malfatti et Alan Tomlinson, le trompettiste de studio et de jazz Henry Lowther et son collègue Jon Corbett, le cornet de Marc Charig et Steve Wick au tuba, des poids lourds comme Evan Parker, Trevor Watts, Paul Rutherford, Howard Riley, Philipp Wachsmann, Paul Lytton assurant la continuité du projet. C’est alors que la première version d’Harmos fut enregistrée (Intakt CD 013 1989) La musique s’est clairement orientée dans une synthèse – coexistence de courants : improvisations libres, jazz contemporain free « risqué », architecture – formes issues de la musique classique contemporaine avec une alternance de solos, duos et passages improvisés et de mouvements concertés, masses sonores changeantes sauvages ou raffinées, de thèmes mélodiques savamment structurés inspirés par l’expérience de Duke Ellington ou celle de Gil Evans avec un sens de la structure. Guy, n’est-il pas un architecte de formation ? Harmos est une œuvre majeure de Guy, un canevas type mobile, une méthode cohérente pour créer une musique syncrétique. Sans nul doute on peut dire que le LJCO est l’orchestre de free-jazz par excellence, free-jazz dans le sens où le compositeur exploite tout ce qui est bon à prendre du passé, du présent en envisageant le futur. Peu importe à Guy, les discussions sémantiques sur l’improvisation libre ou non-idiomatique, c’est un musicien visionnaire qui fut un interprète pointu d’œuvres contemporaines pour contrebasse et de musique baroque au plus haut niveau.
Pour cette nouvelle version repensée d’Harmos - Krakow et comme il vit en Suisse depuis plusieurs années, le LJCO s’est étoffé de musiciens suisses avec qui Barry Guy travaille : le saxophoniste Jürg Wickihalder, le batteur Lucas Niggli, le tubiste Marc Unternährer, le tromboniste Andreas Tschopp, …. La musique de Harmos est devenue plus joyeuse, chaloupée, presque festive. Mais quelle musique ! Elle suscite des émotions, des impressions, elle nous fait entendre des structures complexes et imbriquées avec beaucoup de naturel, apporte une nourriture pour l’esprit, et parlera autant aux amateurs de musique post-classique vingtiémiste (Bartok – Stravinsky), de jazz contemporain, ou à ceux qui ont intégré amoureusement les avancées d’Ellington et de Mingus et surtout pour tous les fans qui sont ouverts aux dérapages spontanés ou organisés du free-jazz de haute volée. Un orchestre exceptionnel.
Charlemagne Palestine & Seppe Gebruers Beyondddddd the Notessssss Konnekt CD
https://charlemagnepalestineseppegebruers.bandcamp.com/album/beyondddddd-the-notessssss
Le légendaire pionnier du piano d’avant-garde Charlemagne Palestine fit un jour un concert mémorable au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (l’actuel Bozar) vers 1976. J’en fus informé par un client d’un antique disquaire d’occasion, « Le Pied », là où je commençais à acheter mes premiers disques de « free-jazz » (en fait, c’était d’abord à Pêle-Mêle). Qui aurait dit à l’époque que Charlemagne Palestine allait s’établir ici, à Bruxelles et travailler avec un jeune pianiste innovateur digne du grand Fred Van Hove, disparu aujourd’hui ? J’ai assisté à un concert hors du commun donné par ces deux pianistes à Gand : ils jouaient en duo avec quatre pianos accordés en quart de ton. Fascinant ! Seppe Gebruers venait alors de publier un album OVNI « Standards » fait de trois CD’s bourrés de Standards (de jazz) ou … de leurs fantômes en jouant de deux pianos accordés au quart de ton (label Negocito). Je pense bien qu’il a lu ma chronique de cet album. J’avais fait remarquer que la sonorité du piano au quart de ton est marquée par des résonnances nettement métalliques, des vibrations un peu ferrailleuses. Dans ce nouvel album, Beyondddddd the Notessss, leur jeu respectif est plus perlé, introverti, l’écoulement des notes est plus aéré, fluide, liquide même. Trois parties de 21:00, 13:31, 5 :49. Question ces chiffres ont-ils une signification dans le cadre de cette œuvre remarquable ? Curieusement le jeu sombre dans les graves du n°2, évite ces vibrations trop métalliques et flotte comme un nuage bruissant avant de tournoyer en ostinato pour muter dans des doigtés délicats en vagues répétitives. La communication sensorielle et musicale des deux artistes est optimale. On croit entendre un seul musicien tant leurs notes et doigtés à quatre mains s’interpénètrent en un seul flux suspendu dans un espace dilaté, un mouvement subtil d’ondes et de vagues sonores où règne l’art ultime de la dissonance, de la friction d’ intervalles étrangement croisés soit étirés ou réduits et cette qualité de toucher cristalline qui peut se transformer en martèlement obsessionnel ou en un violent orage. Cette pièce de 13 :31 évolue comme un prodige avec différents mouvements qui s’enchaînent avec une véritable maîtrise. On entre dans le champ ouvert de la microtonalité, un concept adaptable à diverses démarches musicales et instrumentales, dont cet album est une manifestation insigne. Des mélodies issues de l’inconnu, une sensibilité mutante. Il s’agit d’une expérience d’audition incontournable pour quiconque désire découvrir des musiques autres, alternatives, secrètes, inouïes.
A Life in The Day Of Gabriele Cancelli Lori Freedman Stefano Giust Giorgio Pacorig Paolo Pascoli Setola di Maiale
https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM4950
Quintet de musique libre enregistré à l’Arsenale Jazz House, Cividale del Friulo le 16 octobre 2024 rassemblant d’une part, le tandem piano – percussions de Giorgio Pacorig et Stefano Giust et d’autre part, trois souffleurs, le trompettiste Gabriele Cancelli, la clarinettiste basse Lori Freedman et le flûtiste Paolo Pascolo. Les quatre musiciens italiens travaillent souvent ensemble, la clarinettiste canadienne Lori Freedman complétant le groupe dans le registre grave. En effet, si on peut qualifier leur musique de free « free-jazz » spontané sans thèmes, l’absence de contrebasse qui éloigne le groupe du « free-jazz » formaté crée un espace de liberté pour la clarinette basse, même si Freedman n’hésite pas à faire éclater sa colonne d’air, tailladant les aigus, grognant les graves, Deux longues suites de plus de 27 minutes improvisées collectivement d’une traite sont intitulées A Life In The Day Part I et Part II. Les musiciens créent instantanément une composition évolutive avec de multiples paysages, différents niveaux de tensions, d’écoute et d’initiatives individuelles excellemment alternées, contournées, convergentes ou contrastées. La trompette de Gabriele Cancelli, s’envole, la flûte de Paolo Pascoli musarde, la clarinette basse de Lori Freedman s’enfonce dans les sous-bois pour surgir inopinément. Le percussionniste Stefano Giust à qui on doit un superbe cd duo « Cosi Com’è » avec le pianiste Giorgio Pacorig (Setola di Maiale 2023), surprendra plusieurs fois l’auditoire : son free drumming enchaîne une cascade de ricochets sonores truffés de sonorités recherchées, micro frappes en rafales, accélérations subites… Vous savez, la tendance Paul Lovens, Roger Turner. Pacorig est à l’écoute en action-réaction ou en créant un fil conducteur dans ces mouvements collectivement improvisés et dérivants au fil des vagues, ressacs et ondulations. Cette fructueuse collaboration bonifie les talents individuels validant une belle musique de groupe sans doute réuni pour l’occasion. Et une belle occasion transformée en belle œuvre spontanée et … mûrement réfléchie dans l’instant. Chaoeau enncore pour la ténacité de producteur de Stefano Giust pour son label Setola di Maiale, un des meilleurs qui existent pour la cause de notre musique d'improvisation et expérimentale.
27 août 2025
Derek Bailey & John Stevens / Trance Map+ Evan Parker Matthew Wright Robert Jarvis/ Udo Schindler Erhard Hirt Ove Volquartz
The Duke of Wellington Derek Bailey & John Stevens Confront Records core 52
https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/the-duke-of-wellington
Providentiel ! Les enregistrements parus de Derek Bailey et de John Stevens deviennent « sold out » au fil du temps. Bien qu’ils aient souvent joué ensemble en duos ou trios et au sein du Spontaneous Music Ensemble, leur unique CD précédent en duo est aujourd’hui indisponible (une copie ou deux sur discogs > 25 €) : Playing Incus CD 14. Pour votre info, il y a trois CD’s où Derek et John jouent en trio. « Dynamics of the Impromptu » avec Trevor Watts au sax soprano fut enregistré au Little Theatre Club en 1973/74 (CD label Entropy, réédité par FMR), "Once A Time" avec le contrebassiste Kent Carter (CD Incus 22) et Hello Goodbye (Emanem 4065 1992) où John joue de la batterie au lieu de son mini-kit « SME » et Frode Gjerstad au saxophone alto. Comme tous ces enregistrements sont aujourd’hui indisponibles et au cas où vous n’auriez pas pu les écouter, la démarche vaut vraiment la peine de s’y intéresser pour de multiples raisons et de vous dépêchr prestement si vous voulez acquérir le CD à 300 copies (!). Le concert a été enregistré le 24 mars 1989 au pub The Duke of Wellington, Ball’s Pond Road à Dalston lors d’un concert organisé par the Makeshift Club (Stuart Wilding, Nick Smith et Geoff Collins). L’ingé – son : Michael Gerzon, un génial inventeur de microphones (le Soundfield) et ingénieur acousticien qui a fait avancer la technologie stéréo de Blumlein dans la troisième dimension. Michael Gerzon (1945-1996) est un incontournable scientifique connu pour son travail sur les Ambisonics et l’audio numérique, mais aussi un ami personnel et supporter inconditionnel des improvisateurs londoniens, fortement attaché à l’esprit de ces clubs où tous ces artistes, légendaires ou inconnus (des médias) aimaient à se rencontrer pour le plaisir de jouer et y entretenir leurs sens aigus de la création sans intermédiaires prescripteurs. L’enregistrement live est d’excellente qualité, mais il reproduit aussi les conséquences matérielles et sonores de la mise en place de la mini- batterie de Stevens (SME-kit en jargon musique improvisée British). En effet, comme tous ses contemporains pionniers du free-drumming « européen » (Bennink, Lovens, Lytton, Turner etc..), John Stevens s’était inventé sa propre batterie de percussions..., la sienne, simplissime et adaptée à sa démarche musicale de manière à jouer au même niveau sonore et avec la dynamique voulue face à des collègues qui sculptaient et disséquaient le fonctionnement mécanique de leurs instruments (saxophones, guitares etc…) et l’articulation « atomistique » ou pointilliste de leurs flux sonores. Une caisse claire ou un étroit tambour à une peau, une ou deux cymbales, une mini grosse caisse et un hi-hat avec deux petites cymbales. À l’âge où pas mal de batteurs d’improvisation des nouvelles générations semblent restés « accrochés » aux tics et tocs du batterisme issu de l’apprentissage conventionnel, écouter à nouveau ou carrément découvrir le jeu de John Stevens sera bénéfique. Pas de roulements et de figures, mais un flux de frappes assez diversifiées par leur intensité et jetées en grappes mouvantes, cellules rythmiques atomisées en cadences élastiques et volatiles. On ajoute à ça sa trompette de poche qui surgit inopinément... Dans cet enregistrement, les frappes violentes sur la caisse sont amplifiées sourdement à cause du contact direct des pieds de la batterie sur le sol. Les autres chocs s’égaient eux dans l’espace évoquant une peinture abstraite comme John aimait à créer. Il faisait partie de cette génération de musiciens britanniques formés dans les écoles d’art, tels ses amis Charlie Watts, Terry Day, Keith Rowe, etc… et la pratique des arts graphiques l’a inspiré. Derek Bailey appréciait beaucoup de jouer avec John Stevens si on en juge par leurs nombreux gigs dans le réseau des clubs londoniens et des séries organisées par des bénévoles. Autre témoignage du duo : London 1992-1993 publié par Liam Stefani sur scatter archives.
Pour les amateurs de Derek Bailey, il s’agit d’un album intéressant des années 80's durant lesquelles l’art de l’alors cinquantenaire est arrivé à son apogée créative avant que sa notoriété croissante attire un tas d’autres artistes de jazz, drum n’bass, noise, etc… à collaborer avec lui et que plusieurs de ces projets d’un jour défraient la chronique internationale. Ici, pour celui qui a écouté de près Derek Bailey et ses nombreux enregistrements, on distingue clairement les phases de jeu où il injecte des fragments de morceaux tels qu’on les entend précisément dans d’autres disques ou bien, il réagit à fleur de peau en inventant des réparties cinglantes ou abruptes que vous n’entendrez pas ailleurs. Derek Bailey avait une mémoire très précise d’enchaînements de figures aux intervalles atonaux et aux formes complexes et biscornues, certains ayant été enregistrés et qu’il ressortait au bon moment à une autre occasion. En fait, Derek Bailey est un grand compositeur et en même temps un improvisateur génial. Un de ses meilleurs collègues et pionniers d’envergure m’a un jour dit que Derek Bailey (outre son extraordinaire virtuosité) excellait à jouer complètement différemment de ses interlocuteurs en duo tout en faisant sonner son jeu comme un évident dialogue d’une grande subtilité. Je le décris comme un compositeur suite à l’écoute attentive de ses albums solos tels que Lot 74 Solo Improvisations, Aïda et Notes parus chez Incus entre 1974 et 1986. La face A de Lot 74 (Incus 12), qui dure 22 minutes et semble être une improvisation libre hasardeuse, est quasiment identique à une autre prise de Lot 74 parue dans le CD Incus CD60 « More 74 » en 4 mouvements aux digits de 7 à 10. C’est d’ailleurs indiqué sur la pochette de ce CD. Comme s’il en connaissait la partition par cœur. Un autre indice flagrant : un curieux passage du morceau Niigata Snow paru sur la face B du LP Aïda (Incus 40) entièrement à la guitare acoustique et enregistré à l’ICA le 3 août 1980 se retrouve dans une version très similaire enregistrée par la BBC un peu plus tard et parue dans la réédition vinyle en 2LP du même album qui contient deux morceaux inédits en face C et D. Ce passage paraît assez simple avec son rythme claudiquant/ hésitant et est assez difficile à reproduire avec précision étant joué avec des harmoniques obtenues en bloquant des cordes près du chevalet avec des intervalles dissonants très précis en jouant sur deux ou trois cordes entre le chevalet et le cordier. Il a fallu qu’il répète souvent ce passage pour le mémoriser aussi bien autant que Steve Lacy répétait inlassablement ces enchaînements d’harmoniques au-dessus du registre du sax soprano et ces notes calibrées ultra-précises qui sont à la base du travail de COMPOSITEUR de Steve. Tout ça pour dire : écoutez de très près des improvisateurs de ce calibre aidera quiconque de motivé à comprendre le processus et à se situer. Personnellement, c’est ce qui m’a motivé à trouver ma voie avec la voix. On aime réentendre ces deux copains de toujours se concerter aussi bien en toute spontanéité et batailler comme des chiffonniers pour un lambeau d’éternité.
Grounded Abstraction Trance Map+ Evan Parker Matthew Wright Robert Jarvis FMRCD0647-822
Sorry pour le retard, cet album a été publié en 2022, mais le Brexit et les mesures douanières ralentissent le flux des CD’s british vers l’Europe (et …. un envoi égaré !). Depuis l’époque de son imposant Electro Acoustic Ensemble, Evan Parker a réduit ses groupes «électro-acoustiques » à un duo « modulable » en compagnie de l’artiste électronique Matthew Wright avec le projet Trance Map. Avant de cesser ses activités, son label Psi avait publié Trance Map en duo en 2011 : https://www.discogs.com/release/2857223-Evan-Parker-Matthew-Wright-Trance-Map avec des enregistrements datés de 2008, 2009, 2010 et 2011. Pour info les deux musiciens étaient crédités ainsi : Matthew Wright : Sampler [Live Sampling], Turntables, Composed By [Co-composition], Sounds [Sound Design] et Evan Parker Soprano Saxophone, Sampler [Sample Collection], Composed By [Co-composition]. J’ai assisté à un concert de Trance Map+ avec le percussionniste Toma Gouband en février 2009. Par rapport à la dense complexité de l’Electro – Acoustic Ensemble (avec Casserley, Ryan, Barrett, Obermayer etc…) on est passé de l’intrication absolue et aux machinations cybernétiques de la quatrième dimension à une plane juxtaposition étalée dans le temps et suspendue dans l’espace entre le flux électronique (Live electronics et sound design de Wright) et les boucles en souffle continu jouées au saxophone soprano par Parker, sa démarche la plus reconnue. Avec l’excellent tromboniste Robert Jarvis agrégé à ce tandem, on obtient d’intéressantes propositions en contrepoint ou en empathie absolue qui enrichissent la musique « planante » du groupe, jusqu’à ce qu’elle se fragmente de manière ludique où Robert Jarvis dialogue admirablement un utilisant tous les effets de souffle, dérapages, staccatos. Et là, enfin se détachent d’excellentes trouvailles. Il faut entendre les manipulations elliptiques et contorsionnées qui surgissent des mains de Matthew Wright, pour s’en convaincre. Ce n’est peut-être pas LE disque par excellence d’Evan Parker, mais il vaut surtout pour toutes les variations sonores, mélodiques, conversations spontanées très précises et autres transmutations que les trois musiciens intègrent dans leurs deux longues improvisations Grounded (33’30) et Abstraction (34’52).
Shifting Types of Amazement Udo Schindler Erhard Hirt Ove Volquartz FMR CD0719-0215 FMR Records
Le guitariste « électronique » Erhard Hirt avait déjà enregistré Floating in Green avec le souffleur Udo Schindler. Les voici avec un collaborateur relativement régulier de Schindler, le clarinettiste basse et contrebasse Ove Volquartz, lequel joue aussi des saxophones et flûtes tout comme son collègue Udo. Ayant parcouru une (petite) partie de la production discographique d’Udo Schindler, je pense que ce multi-instrumentiste donne souvent le meilleur de lui-même à la clarinette basse en duo ou trio avec Ove Volquartz. Un bon exemple de cette collaboration sont leurs enregistrements en duo « Answers and Maybe a Question » et « Tales about Exploding Trees and Other Absurdities » (FMR) ou leur « ArtToxin » avec le subtil guitariste Gunnar Geisse. Leur « Shifting Types of Amazement » se situe dans le même sillage créatif que leurs précédents opus qu’il faut rechercher dans l’imposant catalogue de Schindler. À mon avis, leurs duos nous offrent pratiquement le meilleur de ce que Schindler peut nous offrir musicalement parmi les dizaines de CD’s et albums digitaux qu’il a produits. Si ces deux clarinettistes basse (et contrebasse) cultivent réciproquement une entente parfaite avec leurs souffles graves conjugués, leurs alternances grasseyantes, boisées, venteuses ou mordorées, la présence du guitariste Erhard Hirt est providentielle. Erhard est assurément un des guitaristes « trafiqués » électroniques essentiels avec une riche palette d’extrapolations sonores, d’effets pressurisés, d’agrégats de fréquences inouïes, de timbres rares,… Il est véritablement unique. Avec le matériel de pédales électroniques dispionibles et tous les effets et applications qui circulent, un bon guitariste intéressant parvient à créer quelque chose d'intéressant. Mais avec Erhard Hirt, ces sons électroniques et toutes ses extrapolations manipulatoires opèrent dans une autre réalité, créant des amalgames rarissimes dans cette table de Mendeliev exponentielle de densités sonores et de facettes et agrégats de couleurs inconnues ailleurs. Je ne vais pas déclarer qu’il s’agit ici d’une œuvre « indispensable » au top du métier d’improviser librement, mais je goûte avec un vrai plaisir à écouter les échanges des deux clarinettistes basses et contrebasses avec les sonorités électroïdes de cet OVNI de la six-cordes, le contraste entre vents et électricité se révélant bénéfique aux destinées de ce trio pas comme les autres.
https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/the-duke-of-wellington
Providentiel ! Les enregistrements parus de Derek Bailey et de John Stevens deviennent « sold out » au fil du temps. Bien qu’ils aient souvent joué ensemble en duos ou trios et au sein du Spontaneous Music Ensemble, leur unique CD précédent en duo est aujourd’hui indisponible (une copie ou deux sur discogs > 25 €) : Playing Incus CD 14. Pour votre info, il y a trois CD’s où Derek et John jouent en trio. « Dynamics of the Impromptu » avec Trevor Watts au sax soprano fut enregistré au Little Theatre Club en 1973/74 (CD label Entropy, réédité par FMR), "Once A Time" avec le contrebassiste Kent Carter (CD Incus 22) et Hello Goodbye (Emanem 4065 1992) où John joue de la batterie au lieu de son mini-kit « SME » et Frode Gjerstad au saxophone alto. Comme tous ces enregistrements sont aujourd’hui indisponibles et au cas où vous n’auriez pas pu les écouter, la démarche vaut vraiment la peine de s’y intéresser pour de multiples raisons et de vous dépêchr prestement si vous voulez acquérir le CD à 300 copies (!). Le concert a été enregistré le 24 mars 1989 au pub The Duke of Wellington, Ball’s Pond Road à Dalston lors d’un concert organisé par the Makeshift Club (Stuart Wilding, Nick Smith et Geoff Collins). L’ingé – son : Michael Gerzon, un génial inventeur de microphones (le Soundfield) et ingénieur acousticien qui a fait avancer la technologie stéréo de Blumlein dans la troisième dimension. Michael Gerzon (1945-1996) est un incontournable scientifique connu pour son travail sur les Ambisonics et l’audio numérique, mais aussi un ami personnel et supporter inconditionnel des improvisateurs londoniens, fortement attaché à l’esprit de ces clubs où tous ces artistes, légendaires ou inconnus (des médias) aimaient à se rencontrer pour le plaisir de jouer et y entretenir leurs sens aigus de la création sans intermédiaires prescripteurs. L’enregistrement live est d’excellente qualité, mais il reproduit aussi les conséquences matérielles et sonores de la mise en place de la mini- batterie de Stevens (SME-kit en jargon musique improvisée British). En effet, comme tous ses contemporains pionniers du free-drumming « européen » (Bennink, Lovens, Lytton, Turner etc..), John Stevens s’était inventé sa propre batterie de percussions..., la sienne, simplissime et adaptée à sa démarche musicale de manière à jouer au même niveau sonore et avec la dynamique voulue face à des collègues qui sculptaient et disséquaient le fonctionnement mécanique de leurs instruments (saxophones, guitares etc…) et l’articulation « atomistique » ou pointilliste de leurs flux sonores. Une caisse claire ou un étroit tambour à une peau, une ou deux cymbales, une mini grosse caisse et un hi-hat avec deux petites cymbales. À l’âge où pas mal de batteurs d’improvisation des nouvelles générations semblent restés « accrochés » aux tics et tocs du batterisme issu de l’apprentissage conventionnel, écouter à nouveau ou carrément découvrir le jeu de John Stevens sera bénéfique. Pas de roulements et de figures, mais un flux de frappes assez diversifiées par leur intensité et jetées en grappes mouvantes, cellules rythmiques atomisées en cadences élastiques et volatiles. On ajoute à ça sa trompette de poche qui surgit inopinément... Dans cet enregistrement, les frappes violentes sur la caisse sont amplifiées sourdement à cause du contact direct des pieds de la batterie sur le sol. Les autres chocs s’égaient eux dans l’espace évoquant une peinture abstraite comme John aimait à créer. Il faisait partie de cette génération de musiciens britanniques formés dans les écoles d’art, tels ses amis Charlie Watts, Terry Day, Keith Rowe, etc… et la pratique des arts graphiques l’a inspiré. Derek Bailey appréciait beaucoup de jouer avec John Stevens si on en juge par leurs nombreux gigs dans le réseau des clubs londoniens et des séries organisées par des bénévoles. Autre témoignage du duo : London 1992-1993 publié par Liam Stefani sur scatter archives.
Pour les amateurs de Derek Bailey, il s’agit d’un album intéressant des années 80's durant lesquelles l’art de l’alors cinquantenaire est arrivé à son apogée créative avant que sa notoriété croissante attire un tas d’autres artistes de jazz, drum n’bass, noise, etc… à collaborer avec lui et que plusieurs de ces projets d’un jour défraient la chronique internationale. Ici, pour celui qui a écouté de près Derek Bailey et ses nombreux enregistrements, on distingue clairement les phases de jeu où il injecte des fragments de morceaux tels qu’on les entend précisément dans d’autres disques ou bien, il réagit à fleur de peau en inventant des réparties cinglantes ou abruptes que vous n’entendrez pas ailleurs. Derek Bailey avait une mémoire très précise d’enchaînements de figures aux intervalles atonaux et aux formes complexes et biscornues, certains ayant été enregistrés et qu’il ressortait au bon moment à une autre occasion. En fait, Derek Bailey est un grand compositeur et en même temps un improvisateur génial. Un de ses meilleurs collègues et pionniers d’envergure m’a un jour dit que Derek Bailey (outre son extraordinaire virtuosité) excellait à jouer complètement différemment de ses interlocuteurs en duo tout en faisant sonner son jeu comme un évident dialogue d’une grande subtilité. Je le décris comme un compositeur suite à l’écoute attentive de ses albums solos tels que Lot 74 Solo Improvisations, Aïda et Notes parus chez Incus entre 1974 et 1986. La face A de Lot 74 (Incus 12), qui dure 22 minutes et semble être une improvisation libre hasardeuse, est quasiment identique à une autre prise de Lot 74 parue dans le CD Incus CD60 « More 74 » en 4 mouvements aux digits de 7 à 10. C’est d’ailleurs indiqué sur la pochette de ce CD. Comme s’il en connaissait la partition par cœur. Un autre indice flagrant : un curieux passage du morceau Niigata Snow paru sur la face B du LP Aïda (Incus 40) entièrement à la guitare acoustique et enregistré à l’ICA le 3 août 1980 se retrouve dans une version très similaire enregistrée par la BBC un peu plus tard et parue dans la réédition vinyle en 2LP du même album qui contient deux morceaux inédits en face C et D. Ce passage paraît assez simple avec son rythme claudiquant/ hésitant et est assez difficile à reproduire avec précision étant joué avec des harmoniques obtenues en bloquant des cordes près du chevalet avec des intervalles dissonants très précis en jouant sur deux ou trois cordes entre le chevalet et le cordier. Il a fallu qu’il répète souvent ce passage pour le mémoriser aussi bien autant que Steve Lacy répétait inlassablement ces enchaînements d’harmoniques au-dessus du registre du sax soprano et ces notes calibrées ultra-précises qui sont à la base du travail de COMPOSITEUR de Steve. Tout ça pour dire : écoutez de très près des improvisateurs de ce calibre aidera quiconque de motivé à comprendre le processus et à se situer. Personnellement, c’est ce qui m’a motivé à trouver ma voie avec la voix. On aime réentendre ces deux copains de toujours se concerter aussi bien en toute spontanéité et batailler comme des chiffonniers pour un lambeau d’éternité.
Grounded Abstraction Trance Map+ Evan Parker Matthew Wright Robert Jarvis FMRCD0647-822
Sorry pour le retard, cet album a été publié en 2022, mais le Brexit et les mesures douanières ralentissent le flux des CD’s british vers l’Europe (et …. un envoi égaré !). Depuis l’époque de son imposant Electro Acoustic Ensemble, Evan Parker a réduit ses groupes «électro-acoustiques » à un duo « modulable » en compagnie de l’artiste électronique Matthew Wright avec le projet Trance Map. Avant de cesser ses activités, son label Psi avait publié Trance Map en duo en 2011 : https://www.discogs.com/release/2857223-Evan-Parker-Matthew-Wright-Trance-Map avec des enregistrements datés de 2008, 2009, 2010 et 2011. Pour info les deux musiciens étaient crédités ainsi : Matthew Wright : Sampler [Live Sampling], Turntables, Composed By [Co-composition], Sounds [Sound Design] et Evan Parker Soprano Saxophone, Sampler [Sample Collection], Composed By [Co-composition]. J’ai assisté à un concert de Trance Map+ avec le percussionniste Toma Gouband en février 2009. Par rapport à la dense complexité de l’Electro – Acoustic Ensemble (avec Casserley, Ryan, Barrett, Obermayer etc…) on est passé de l’intrication absolue et aux machinations cybernétiques de la quatrième dimension à une plane juxtaposition étalée dans le temps et suspendue dans l’espace entre le flux électronique (Live electronics et sound design de Wright) et les boucles en souffle continu jouées au saxophone soprano par Parker, sa démarche la plus reconnue. Avec l’excellent tromboniste Robert Jarvis agrégé à ce tandem, on obtient d’intéressantes propositions en contrepoint ou en empathie absolue qui enrichissent la musique « planante » du groupe, jusqu’à ce qu’elle se fragmente de manière ludique où Robert Jarvis dialogue admirablement un utilisant tous les effets de souffle, dérapages, staccatos. Et là, enfin se détachent d’excellentes trouvailles. Il faut entendre les manipulations elliptiques et contorsionnées qui surgissent des mains de Matthew Wright, pour s’en convaincre. Ce n’est peut-être pas LE disque par excellence d’Evan Parker, mais il vaut surtout pour toutes les variations sonores, mélodiques, conversations spontanées très précises et autres transmutations que les trois musiciens intègrent dans leurs deux longues improvisations Grounded (33’30) et Abstraction (34’52).
Shifting Types of Amazement Udo Schindler Erhard Hirt Ove Volquartz FMR CD0719-0215 FMR Records
Le guitariste « électronique » Erhard Hirt avait déjà enregistré Floating in Green avec le souffleur Udo Schindler. Les voici avec un collaborateur relativement régulier de Schindler, le clarinettiste basse et contrebasse Ove Volquartz, lequel joue aussi des saxophones et flûtes tout comme son collègue Udo. Ayant parcouru une (petite) partie de la production discographique d’Udo Schindler, je pense que ce multi-instrumentiste donne souvent le meilleur de lui-même à la clarinette basse en duo ou trio avec Ove Volquartz. Un bon exemple de cette collaboration sont leurs enregistrements en duo « Answers and Maybe a Question » et « Tales about Exploding Trees and Other Absurdities » (FMR) ou leur « ArtToxin » avec le subtil guitariste Gunnar Geisse. Leur « Shifting Types of Amazement » se situe dans le même sillage créatif que leurs précédents opus qu’il faut rechercher dans l’imposant catalogue de Schindler. À mon avis, leurs duos nous offrent pratiquement le meilleur de ce que Schindler peut nous offrir musicalement parmi les dizaines de CD’s et albums digitaux qu’il a produits. Si ces deux clarinettistes basse (et contrebasse) cultivent réciproquement une entente parfaite avec leurs souffles graves conjugués, leurs alternances grasseyantes, boisées, venteuses ou mordorées, la présence du guitariste Erhard Hirt est providentielle. Erhard est assurément un des guitaristes « trafiqués » électroniques essentiels avec une riche palette d’extrapolations sonores, d’effets pressurisés, d’agrégats de fréquences inouïes, de timbres rares,… Il est véritablement unique. Avec le matériel de pédales électroniques dispionibles et tous les effets et applications qui circulent, un bon guitariste intéressant parvient à créer quelque chose d'intéressant. Mais avec Erhard Hirt, ces sons électroniques et toutes ses extrapolations manipulatoires opèrent dans une autre réalité, créant des amalgames rarissimes dans cette table de Mendeliev exponentielle de densités sonores et de facettes et agrégats de couleurs inconnues ailleurs. Je ne vais pas déclarer qu’il s’agit ici d’une œuvre « indispensable » au top du métier d’improviser librement, mais je goûte avec un vrai plaisir à écouter les échanges des deux clarinettistes basses et contrebasses avec les sonorités électroïdes de cet OVNI de la six-cordes, le contraste entre vents et électricité se révélant bénéfique aux destinées de ce trio pas comme les autres.
7 août 2025
Simon Rose & Nicolas Hein/ Constellation Ensemble/ Larry Stabbins & Mark Sanders/ La cloche qui résonne Vincent Martial
Moon Simon Rose & Nicolas Hein Confront Recordings core
https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/moon
Une guitare microtonale sept cordes électrocutée en sustain affrontant les grondements graveleux et ondulants d’un sax baryton sous tension. Musiques de drones oscillants en parallèles, en tuilage venteux, parfois crépitants. Simon Rose, un souffleur British établi à Berlin, la métropole où ça joue, s’est créé un univers secret de souffles prêt à s’inscrire dans des aventures sonores inédites, bruissantes ou décapantes. Avec le guitariste Nicolas Hein, entendu avec Paul Lytton, Matthias Muche, Robert Dick, Nicolas Souchal et bien d’autres, ils déclinent patiemment toutes les options de frictions, tensions, disruptions, que le permet le trafic radical des pédales, effets électroniques et manipulations des cordes et micros face aux intonations flottantes ou mordantes du souffle rêveur suspendu par-dessus les abîmes. Cette approche linéaire d’étalement de nappes sonores, d’oscillations vaporeuses ou caustiques ou de fractures abruptes et machiniques se meut dans un allongement quasi infini de l’inspiration, de variations d’intensités, de métamorphoses instantanées. On passe du statique opaque au tournoiement ludique, strates vivantes de vibrations sonores qui se différencient, se complètent, s’agrègent, suspendues dans le vide intersidéral ou crépitantes dans l’urgence. Une collaboration fructueuse dans la recherches de sons insolites et décapants (guitare) et de souffles charnels et oniriques (sax baryton). Depuis ses débuts free avec Mark Sanders, Steve Noble et Simon H. Fell, Simon Rose a évolué vers la radicalité, entre autres aux côtés de souffleurs prodigieux comme Michel Doneda et Philippe Lemoine. Avec Nicolas Hein, il s’inscrit dans la fascination sonique extrême tout en gardant sa dimension terrienne et lyrique, créant un contraste du meilleur effet.
Constellation Ensemble Dove Morde La Taranta FMR CD670-423
https://muzicplus.bandcamp.com/album/dove-morde-la-taranta-constellation-ensemble
Constellation Ensemble est un orchestre à géométrie variable de neuf musiciens qui s’unissent tous ensemble pour Dove Morde la Taranta qui donne son titre à l’album en 1° et pour Terzo Mare en n°8, s’égaient ensuite en sous-groupes pour les six autres compositions instantanées (signées par trois ou quatre d’entre eux) de cet album intéressant au niveau des formes et sincèrement collectif. Pas de « soliste », mais bin des constructions spontanées de pièces où chacun s’exprime égalitairement avec un sens de l’écoute et une dose d’invention. Un collectif sous-jacent : OSIMU. Quatre souffleurs : Alice Tanganeli : clarinette, Pino Colonna : sax ténor, ciaramella et chalumeau, Emiliano Marrochi : trompette, Carlo Mascolo : No – input trombone. Organetto diatonico de Donatello Pisanello, Piano et synthé de Marco Oliveri. Le contrabotto de Sandro Perdighe est une sorte d’instruments à cordes tendues entre un bidon métallique et un manche fixé au bidon style gaffophone de Gaston Lagaffe. Et puis, Vito Basile à la basse électrique et Sem Devigus à la batterie complètent l’édifice. Bien qu’il y ait sans doute un niveau inégal dans le savoir-faire instrumental au sein de cette constellation, il y a surtoutune profonde cohérence collaborative et un taux de réussite dans les improvisations collectives+. Cela est dû à un beau sens de l’écoute et à l’auto discipline de chaque musicien dans leurs interventions individuelles avec un maximum de lisibilité et de coordination des efforts. L’individu est au service de la dimension orchestrale. Et si l’un deux est une solide pointure, l’accordéoniste diatonique Donatello Pisanello, il s’efforce avec succès à insérer discrètement des couleurs sonores et des interventions qui enrichissent l’ensemble. Comme dans ce duo avec le contrabotto de Sandro Perdighe. Et on dira cela aussi du trompettiste, de la clarinettiste ou du tromboniste, mais tous œuvrent pour donner du sens à chacun des morceaux sublimant leurs moyens dans l’inspiration collective transmise à chacun. Le n°8 , Il Terzo Mare, est une superbe improvisation collective, nuancée, chatoyante et contrastée. Cet orchestre est natif de la région d’Altamura - Monopoli dans les Pouilles où l’œuvre été enregistrée. Dans ces provinces italiennes, pullulent des musiciennes – musiciens free qui ont le feeling de collaborer, investiguer, se réunir, travailler localement pour le plaisir. En voici un document probant.
Cup and Ring Larry Stabbins & Mark Sanders Discus 191CD.
https://discusmusic.bandcamp.com/album/cup-ring-191cd-2025
Il s’agit du deuxième album du saxophoniste ténor & soprano Larry Stabbins en duo avec un percussionniste à cinquante ans d’intervalle après son LP séminal Fire Without Bricks (Bead Records) avec Roy Ashbury, lui-même un collaborateur de la première heure de John Russell. Un point commun entre Fire Without Bricks et Cup and Ring : la pochette de chacun des albums est illustrées par des artefacts préhistoriques datant de -3000 avant J-C. Des figurines d’argile trouvées dans l’Eye Temple de Tel Brak en Syrie au recto et des gravures rupestres scandinaves au verso pour l’album Bead 4 publié en 1977. Des marques de tasses et d’anneaux sur des roches de Kilmartin Glen en Écosse.
La différence : dans Fire Without Bricks, Larry se concentrait sur ses deux instruments habituels les sax ténor et soprano, mais c’est avec d’autres instruments à anche qu’il parcourt ces six Cups et ces cinq Rings : flûte alto, concert flute, sax alto et clarinette basse, sans doute la première fois qu’il enregistre avec d’autres instruments. Chacune des onze morceaux cultivent une ambiance, une thématique, un matériau mélodique différents face au drumming free superbement expressif, lisible et coordonné de Mark Sanders, le quel joue aussi de l’archet avec ses cymbales en vibrant la surface d’un gong accompagnant une mélopée mélancolique et éthérée à la flûte. Sa clarinette basse se fait tumultueuse et mordante, voire hargneuse et en un bref instant son sax alto évoque Ornette. Il s’agit donc d’un magnifique duo où de multiples approches sonores et pulsatoires sont envisagées avec une inspiration lyrique et un vécu transcendants, renouvelant l’intérêt de l’auditeur. La maîtrise des percussions est phénoménale… Un bel album à écouter sur la terrasse un soir d’été ou au coin du feu.
La cloche qui résonne Vincent Martial avec Marc Siffert Camille Émaille Bertrand Fraysse Jean-François Oliver Fabien Nicol et Elsa Jauffret. Mazeto Square 570 569-5
https://vincentmartial.com/la-cloche-qui-resonne
https://www.mazeto-square.com/product-page/la-cloche-qui-r%C3%A9sonne-cd
Voilà un bien inhabituel projet animé par un compositeur doublé luthier créateur d’instruments hybrides, Vincent Martial. Flûtiste, il a mis au point un instrumentarium expérimental fait de tubes où vibrent l’air, de résonnateurs et où intervient la robotique et une étonnante innovation. Les images publiées sur son site sont très impressionnantes. On peut essayer de le décrire, mais il vaut mieux assister à une performance scénique plutôt que d’en imaginer leurs configurations défiant la norme des instruments connus et nécessitant une logistique poussée vu la multiplicité des tubes, tuyaux, mécanismes disposés sur une large scène. Incroyable ! pour parvenir à réaliser ces machines à sons improbables, il faut y croire et oser, car cela représente le travail de toute une vie et un défi matériel ardu à surmonter. Déjà, sans avoir écouté déjà, je salue l’originalité et l’audace. Les autres musiciens participants sont des instrumentistes « normaux ». Dans ce projet, ils sont tenus d’explorer les possibilités des instruments de Vincent Martial en en interprétant – créant leur fonctionnement personnel afin de jouer les compositions avec leur sensibilité et leur imagination personnelle. Au fil des 17 compositions, la musique flotte, s’étale, vibre, remue, résonne suspendue dans le silence ou sifflant, grinçant, produisant toutes les manières percussives : toute un gamme de cloches et objets métalliques tintinabulants, friselis cuivrés, frappes sourdes, scintillements de cymbales ou crotales, battements africains circulaires, bruits de moteurs ou harmoniques soufflées comme un ou des bagpipe(s) détraqué(s), drones organiques, harmoniques..., cordes pincées de guingois, vibrations inconnues. Le résultat ser évèle d'une grande richesse sonore et une kyrielle d'idées et de formes diverses toutes autant achevées les unes que les autres en allant du soigné méticuleux au sauvage.. Sans nul doute, une brillante réussite dans le domaine trop galvaudé de la musique expérimentale tout court, fascinante, atavique, déroutante et bien curieuse. Le champ des sonorités possibles est très large vu les registres étendus des machineries en présence.
https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/moon
Une guitare microtonale sept cordes électrocutée en sustain affrontant les grondements graveleux et ondulants d’un sax baryton sous tension. Musiques de drones oscillants en parallèles, en tuilage venteux, parfois crépitants. Simon Rose, un souffleur British établi à Berlin, la métropole où ça joue, s’est créé un univers secret de souffles prêt à s’inscrire dans des aventures sonores inédites, bruissantes ou décapantes. Avec le guitariste Nicolas Hein, entendu avec Paul Lytton, Matthias Muche, Robert Dick, Nicolas Souchal et bien d’autres, ils déclinent patiemment toutes les options de frictions, tensions, disruptions, que le permet le trafic radical des pédales, effets électroniques et manipulations des cordes et micros face aux intonations flottantes ou mordantes du souffle rêveur suspendu par-dessus les abîmes. Cette approche linéaire d’étalement de nappes sonores, d’oscillations vaporeuses ou caustiques ou de fractures abruptes et machiniques se meut dans un allongement quasi infini de l’inspiration, de variations d’intensités, de métamorphoses instantanées. On passe du statique opaque au tournoiement ludique, strates vivantes de vibrations sonores qui se différencient, se complètent, s’agrègent, suspendues dans le vide intersidéral ou crépitantes dans l’urgence. Une collaboration fructueuse dans la recherches de sons insolites et décapants (guitare) et de souffles charnels et oniriques (sax baryton). Depuis ses débuts free avec Mark Sanders, Steve Noble et Simon H. Fell, Simon Rose a évolué vers la radicalité, entre autres aux côtés de souffleurs prodigieux comme Michel Doneda et Philippe Lemoine. Avec Nicolas Hein, il s’inscrit dans la fascination sonique extrême tout en gardant sa dimension terrienne et lyrique, créant un contraste du meilleur effet.
Constellation Ensemble Dove Morde La Taranta FMR CD670-423
https://muzicplus.bandcamp.com/album/dove-morde-la-taranta-constellation-ensemble
Constellation Ensemble est un orchestre à géométrie variable de neuf musiciens qui s’unissent tous ensemble pour Dove Morde la Taranta qui donne son titre à l’album en 1° et pour Terzo Mare en n°8, s’égaient ensuite en sous-groupes pour les six autres compositions instantanées (signées par trois ou quatre d’entre eux) de cet album intéressant au niveau des formes et sincèrement collectif. Pas de « soliste », mais bin des constructions spontanées de pièces où chacun s’exprime égalitairement avec un sens de l’écoute et une dose d’invention. Un collectif sous-jacent : OSIMU. Quatre souffleurs : Alice Tanganeli : clarinette, Pino Colonna : sax ténor, ciaramella et chalumeau, Emiliano Marrochi : trompette, Carlo Mascolo : No – input trombone. Organetto diatonico de Donatello Pisanello, Piano et synthé de Marco Oliveri. Le contrabotto de Sandro Perdighe est une sorte d’instruments à cordes tendues entre un bidon métallique et un manche fixé au bidon style gaffophone de Gaston Lagaffe. Et puis, Vito Basile à la basse électrique et Sem Devigus à la batterie complètent l’édifice. Bien qu’il y ait sans doute un niveau inégal dans le savoir-faire instrumental au sein de cette constellation, il y a surtoutune profonde cohérence collaborative et un taux de réussite dans les improvisations collectives+. Cela est dû à un beau sens de l’écoute et à l’auto discipline de chaque musicien dans leurs interventions individuelles avec un maximum de lisibilité et de coordination des efforts. L’individu est au service de la dimension orchestrale. Et si l’un deux est une solide pointure, l’accordéoniste diatonique Donatello Pisanello, il s’efforce avec succès à insérer discrètement des couleurs sonores et des interventions qui enrichissent l’ensemble. Comme dans ce duo avec le contrabotto de Sandro Perdighe. Et on dira cela aussi du trompettiste, de la clarinettiste ou du tromboniste, mais tous œuvrent pour donner du sens à chacun des morceaux sublimant leurs moyens dans l’inspiration collective transmise à chacun. Le n°8 , Il Terzo Mare, est une superbe improvisation collective, nuancée, chatoyante et contrastée. Cet orchestre est natif de la région d’Altamura - Monopoli dans les Pouilles où l’œuvre été enregistrée. Dans ces provinces italiennes, pullulent des musiciennes – musiciens free qui ont le feeling de collaborer, investiguer, se réunir, travailler localement pour le plaisir. En voici un document probant.
Cup and Ring Larry Stabbins & Mark Sanders Discus 191CD.
https://discusmusic.bandcamp.com/album/cup-ring-191cd-2025
Il s’agit du deuxième album du saxophoniste ténor & soprano Larry Stabbins en duo avec un percussionniste à cinquante ans d’intervalle après son LP séminal Fire Without Bricks (Bead Records) avec Roy Ashbury, lui-même un collaborateur de la première heure de John Russell. Un point commun entre Fire Without Bricks et Cup and Ring : la pochette de chacun des albums est illustrées par des artefacts préhistoriques datant de -3000 avant J-C. Des figurines d’argile trouvées dans l’Eye Temple de Tel Brak en Syrie au recto et des gravures rupestres scandinaves au verso pour l’album Bead 4 publié en 1977. Des marques de tasses et d’anneaux sur des roches de Kilmartin Glen en Écosse.
La différence : dans Fire Without Bricks, Larry se concentrait sur ses deux instruments habituels les sax ténor et soprano, mais c’est avec d’autres instruments à anche qu’il parcourt ces six Cups et ces cinq Rings : flûte alto, concert flute, sax alto et clarinette basse, sans doute la première fois qu’il enregistre avec d’autres instruments. Chacune des onze morceaux cultivent une ambiance, une thématique, un matériau mélodique différents face au drumming free superbement expressif, lisible et coordonné de Mark Sanders, le quel joue aussi de l’archet avec ses cymbales en vibrant la surface d’un gong accompagnant une mélopée mélancolique et éthérée à la flûte. Sa clarinette basse se fait tumultueuse et mordante, voire hargneuse et en un bref instant son sax alto évoque Ornette. Il s’agit donc d’un magnifique duo où de multiples approches sonores et pulsatoires sont envisagées avec une inspiration lyrique et un vécu transcendants, renouvelant l’intérêt de l’auditeur. La maîtrise des percussions est phénoménale… Un bel album à écouter sur la terrasse un soir d’été ou au coin du feu.
La cloche qui résonne Vincent Martial avec Marc Siffert Camille Émaille Bertrand Fraysse Jean-François Oliver Fabien Nicol et Elsa Jauffret. Mazeto Square 570 569-5
https://vincentmartial.com/la-cloche-qui-resonne
https://www.mazeto-square.com/product-page/la-cloche-qui-r%C3%A9sonne-cd
Voilà un bien inhabituel projet animé par un compositeur doublé luthier créateur d’instruments hybrides, Vincent Martial. Flûtiste, il a mis au point un instrumentarium expérimental fait de tubes où vibrent l’air, de résonnateurs et où intervient la robotique et une étonnante innovation. Les images publiées sur son site sont très impressionnantes. On peut essayer de le décrire, mais il vaut mieux assister à une performance scénique plutôt que d’en imaginer leurs configurations défiant la norme des instruments connus et nécessitant une logistique poussée vu la multiplicité des tubes, tuyaux, mécanismes disposés sur une large scène. Incroyable ! pour parvenir à réaliser ces machines à sons improbables, il faut y croire et oser, car cela représente le travail de toute une vie et un défi matériel ardu à surmonter. Déjà, sans avoir écouté déjà, je salue l’originalité et l’audace. Les autres musiciens participants sont des instrumentistes « normaux ». Dans ce projet, ils sont tenus d’explorer les possibilités des instruments de Vincent Martial en en interprétant – créant leur fonctionnement personnel afin de jouer les compositions avec leur sensibilité et leur imagination personnelle. Au fil des 17 compositions, la musique flotte, s’étale, vibre, remue, résonne suspendue dans le silence ou sifflant, grinçant, produisant toutes les manières percussives : toute un gamme de cloches et objets métalliques tintinabulants, friselis cuivrés, frappes sourdes, scintillements de cymbales ou crotales, battements africains circulaires, bruits de moteurs ou harmoniques soufflées comme un ou des bagpipe(s) détraqué(s), drones organiques, harmoniques..., cordes pincées de guingois, vibrations inconnues. Le résultat ser évèle d'une grande richesse sonore et une kyrielle d'idées et de formes diverses toutes autant achevées les unes que les autres en allant du soigné méticuleux au sauvage.. Sans nul doute, une brillante réussite dans le domaine trop galvaudé de la musique expérimentale tout court, fascinante, atavique, déroutante et bien curieuse. Le champ des sonorités possibles est très large vu les registres étendus des machineries en présence.
24 juillet 2025
Steve Lacy Three avec JJ Avenel et Barry Wedgle/ Carlos Zingaro & João Madeira/ Eugenio Sanna Lucio Bonaldo Michele Scariot/ Fingers : Dave Green Lol Coxhill Bruce Turner Michael Garrick et Alan Jackson.
Steve Lacy Three Live Lugano 1984 First Visit avec Jean-Jacques Avenel et Barry Wedgle ezz-thetics 110
https://first-archive-visit.bandcamp.com/album/live-lugano-1984-first-visit
La série First Visit d’ezz-thetics(ex Hat Art – hatology) nous fait découvrir de précieux inédits (Cecil Taylor) ou des rééditions incontournables (Albert Ayler). Au rayon des inédits, ce nouvel album de Steve Lacy Three enregistré en 1984 à Lugano, tranche tout à fait dans la production habituelle du saxophoniste disparu, grand-maître du sax soprano s’il en fût un. Le travail d’édition principal de Lacy s’est concentré d’une part sur ses Quintets et Sextets entre autres avec Steve Potts, Irene Aebi, Oliver Johnson, Bobby Few, Kent Carter et puis Jean-Jacques Avenel qu’on retrouve dans ce S.L. Three et bien sûr ses albums solos. D’autre part, il y eut une ribambelle de rencontres enregistrées en duo avec Derek Bailey, Kent Carter, Andrea Centazzo, Evan Parker, Mal Waldron, Maarten Altena, Masa Kwaté, Michael Smith ou des trios librement improvisés ou interprétant / improvisant sur ses magnifiques nombreuses compositions. Ce Steve Lacy Three est lui tout à fait spécial dans son œuvre par son instrumentation avec le guitariste Barry Wedgle et le contrebassiste J.J. Avenel et pas moins de 6 de ses compositions inconnues ou quasi pas enregistrées à l'exceptions de Flakes et Clichés qui ont fait l’objet de plusieurs enregistrements. L’intérêt pour l’auditeur « habitué » de la musique de Lacy et aussi pour ceux qui connaissent son œuvre partiellement par rapport à sa musique en Quintet et Sextet réside dans le fait que Steve en est le principal soliste et qu’il s’oblige à improviser longuement sur les huit compositions sur de longues durées de plus de 6 , 7, 8, 9 et 16 minutes pour un total de 73’20’’, sans jamais lasser, toujours consistant, ultra précis, lyrique lunaire, dynamique. Spirales, ellipses, articulation complexe d’hiéroglyphes magiques, chaque note ayant sa forme propre, sa densité, son intensité, sa dynamique, son pouvoir de suggestion en déployant de nouveaux sortilèges au fil de chaque improvisation. Comme il n’y a pas de batteur l’intensité rythmique est partagée entre les saccades, staccatos et imprécations du souffleur et l’allant puissant et impétueusement discret de Jean – Jacques Avenel à la contrebasse en pizz et la rage intériorisée à l’archet, le guitariste Barry Wedgle officiant comme électron libre ou comme « accompagnateur atypique. C’est absolument merveilleux si vous voulez acquérir et écouter le grand Steve au sommet de son art dans de longues improvisations et exposés originaux des thèmes de ses compositions. C’est un de ses albums où ses sons et aspects créatifs sont les plus diversifiés que l’on puisse entendre On y entend toujours le côté expressif tragique ou dramatique de son œuvre qui transparaissait dans la sonorité spécifique des années 70’ s avant que celle-ci se soit adoucie et relaxée dans les deux décennies suivantes. Un vrai trésor que Steve avait oublié de publier à l’époque.
Arcada Pendular Carlos Zingaro & João Madeira 4DARecords 4DRCD018
https://joaomadeira.bandcamp.com/album/arcada-pendular
On a entendu à plusieurs reprises le contrebassiste Lisboète João Madeira dans la galaxie des Rodrigues père et fils , Ernesto, l’altiste et Guilherme le violoncelliste comme dans cette superbe perle, Chaos, CD publié par Creative Sources, On le retrouve aussi dans No Strings Attached et Hoya sur le même label, toujours avec Ernesto Rodrigues, mais aussi Hernani Faustino, Daniel Levin … . L’année dernière, 4DARecords, le label de João, avait publié un excellent trio réussi du violoniste Carlos Zingaro et de la percussionniste Sofia Borges avec ce singulier contrebassiste : Trismariz. Convaincus par leurs échanges et partageant toute une philosophie de l’improvisation et un territoire sonore et émotionnel comme un véritable dénominateur commun extensible, Zingaro et Madeira se sont réunis pour nous livrer cette belle rencontre à la hauteur, et même plus, des associations de ce violoniste, pionnier de l’improvisation contemporaine, avec des contrebassistes tels que Joëlle Léandre, Kent Carter, Simon H Fell, … ou avec les violoncellistes Fred Lonberg-Holm et Peggy Lee.
Pour ceux qui ne seraient pas convaincus de l’art de ce violoniste portugais, plongez seulement dans ce fabuleux document d’une extraordinaire performance solo de Carlos Zingaro : Live at Mosteiro De Santa Clara A Velha (Cipsela). C’est le top à l’instar des Phil Wachsmann, Malcolm Goldstein et Harald Kimmig. Et j’aime cette arcade pendulaire, le mouvement de l’archet guidé par un pendule magique, celui de Philémon Cyclône à la recherche de trésors enfouis en travers des cordes, cherchant au milieu d'un terrain lunaire, silicé ou granitique, sec comme une trique à l’ombre lointaine et rasante des Pyramides au soleil couchant. Surfaces recouvertes de micro-champignons et de mousses multicolores comme on peut le voir sur la pochette du digipack, œuvre de Carlos… sous laquelle des attractions magnétiques invisibles guident les pas de danse de ces deux funambules du violon et de la contrebasse, le petit et le gros de cette famille d’instruments des violons qui ne s’associent au plus fin qu’au sein de leur fratrie : violon, alto, cello et contrebasse. Musique de recherches, d’actions instrumentales multiformes et mouvantes qui tiennent de l’exploration, de gestuelles expressives, d’introspections sonores qui se distancent, chacun à son rythme propre, se réunissent en contrepoints anguleux, spiralés, moirés ou fracturés, ou se contredisent, chacun détalant de son côté en feignant de ne pas se soucier des préoccupations de l’autre, mais lui apportant une question subtile, une énergie oblique, ou la conclusion qui se fait attendre. Il ne s’agit pas de déballage technique, mais plutôt d’un étalement en panorama graphique, strié, ondulatoire, abstrait et expressionniste autant que pointilliste ou impressionniste,... cubiste, tachiste, Turner, Delaunay, Kandinsky, Klee, de Kooning, Pollock, Richter, Frankenthaler ou mon ami le dessinateur André Dael et ses paysages imaginaires. C’est profondément sincère tout en utilisant de multiples techniques de frottement d’archets, d’harmoniques, de vibrations cordistes et boisées, dérapages, percussions, diffractions, amalgames, frénésies, extases ou méditations, réflexions, instants télépathiques para-normaux. L’imaginaire suggéré dépasse la faculté d’imagination et la notion de dialogue par la grâce de leur simplicité intérieure ouverte à l’instant présent et à leurs inclinations ludiques rebelles. Au-delà de cette notion de dialogue, on navigue et divague dans l’océan de l’écriture automatique, les limbes du rêve éveillé et de cette curiosité insatiable qui n’est jamais assez satisfaite d’une apparente réussite, lui préférant le risque, le méconnu, la défriche... À mettre dans un rayonnage aux côtés des duos de Barre Phillips et Malcolm Goldstein, de Philipp Wachsmann et Teppo Hauta-Aho ou du String Trio de Harald Kimmig,Alfred Zimmerlin et Daniel Studer.
Eugenio Sanna Lucio Bonaldo Michele Scariot Punti d’Incontro 13 silentes - Stella Nera
http://13.silentes.it/private_sounds/sps2485.htm
Eugenio Sanna , le guitariste pisan a plus d’un tour dans son sac. Non content de jouer et enregistrer dans quelques rencontres de pointe comme celles documentées dans Live In Pisa (avec Edoardo Ricci & Roger Turner/ Burp Productions) ou Water Reflections avec Guy-Frank Pellerin & Matthias Boss (FMR), il se prête à des jeux volatiles et particulièrement bruitistes avec quiconque se présente à lui, très souvent pour le meilleur. Pour notre bonheur, la paire Lucio Bonaldo (batterie préparée et sculpture métallique) et Michele Scariot (walkman & speaker « portatile ») a quasi tout compris en matière de croisements de pulsations et de bruitages dosés et interactifs. C’est superbement bruissant, noisy micro-détaillé, complexe et aéré avec une dynamique exemplaire. Ça gicle, râcle, crisse, croustille, buzze, s'hérisse et s’étale tous azimuts. Le guitariste frictionne la six cordes avec des lames et bandes métalliques , des petits ballons, du cellophane et quelconques objets. Sonorité abrasive, glitcheuse, électricité vagabonde. Et ce joyeux trio est interconnecté sur ces fréquences, bruitages, parasites avec une forme de percussivité ludique assez aléatoire en apparence. On entre ici dans le cœur battant de l’improvisation libre chercheuse, canaille, qui ferait passer certains ténors de cette mouvance comme étant quasiment néo-classique contemporain. Une musique « atomistique », où éclatent et se télescopent étincelles cosmiques, électrons incandescents ou calcinés, neutrons silencieux, shrapnels de métaux rares, scories etc.. traçant des fusées millimétriques, des escarbilles crépitantes sulfureuses ordonnées par une improbable théorie des cribles, une galaxie de lueurs s’évanouissant hors gravitation … Bref, c’est un album réjouissant où trois joyeux inventeurs décalés créent un univers sonore qui se concentre autant sur l’identité de leur trio qu’il s’égare dans les ramifications les plus diversifiées. Points de rencontre (Punti d’incontro) ? Je dirais rhizomes, réseaux volatiles, concassage du mélodique, impertinence du bruit, manipulations improbables d’instruments à côté et au-delà de leur raison d’être. Fuite en avant irrationnelle, mais dialogues réussis et qualité optimale d’imbrications spontanées de sons et bruits à perte de vue… Comme me l’a indiqué Eugenio, cet enregistrement capté à Vittorio Veneto illustre l’état d’esprit de la scène locale du Nord Vénitien ( Brescia, Padova, Treviso etc… ) devenue récemment plus active et plus rebelle.
The Complete Fingers Remember Mingus Dave Green Bruce Turner Lol Coxhill Alan Jackson Michael Garrick Jazz In Britain JIB-55-S-CD.
https://jazzinbritain1.bandcamp.com/album/the-complete-fingers-remember-mingus
J’avais raté le LP de ce Fingers en hommage à Mingus en 1980 faute d'argent disponible (label Spotlite). Mais je me rattrape avec la totale : trois CD’s de standards et morceaux de Mingus, Ornette et Monk à toutes les sauces, parfois « incongrues » et un beau paquet d’unreleased. Vous allez me dire : Ah oui ! Dave Green, le contrebassiste de jazz d’une rock star, feu Charlie Watts, le batteur des Stones. Un jour, j’ai bu un pot dans le pub the Bell à Walthamstow avec le guitariste John Russell qui me logeait dans son quartier lors d’une petite tournée. Il m’a présenté ce pub comme étant le lieu de rencontre de trois étudiants en arts graphiques et apprentis batteurs de jazz dans les années 1956-57 etc… :Terry Day, John Stevens et Charlie Watts. Dave Green est devenu un des piliers incontournables du jazz Londonien et resté en contact proche avec son ami d’enfance Charlie, lequel a produit l’album du People Band de son copain Terry Day en 1968 (pour Transatlantic), sans doute un des groupes les plus craignos du free sauvage et délirant. Mais en fait, Londres était peuplé de zèbres improbables qui déjouent encore les pronostics. Au départ, Dave Green voulait faire un hommage à Charlie Mingus, disparu en 1979 et son panel d’invités est tout aussi curieux (dans tous les sens de l’adjectif) que bien réfléchi. Il faut dire Green a une très solide expérience comme pilier du humphrey Littleton Band 18 ans d'affilée et il a joué avec Sonny Rollins, Roland Kirk et Coleman Hawkins. Le saxophoniste alto Bruce Turner est un unique improvisateur bop européen de « l’école » de Lennie Tristano avec un phrasé sournois étiré mâtiné d’humour british indéchiffrable qui évoque un Lee Konitz égrillard. Il a séjourné à NYC et le studio où Lennie donnait "ses leçons" et répétaient. L’idée géniale, joindre à cette équipe l’improbable Lol Coxhill un des plus grands saxophonistes sopranos de la terre entière (avec Steve et Evan) et un vrai compère amical et jovial envers quiconque croise sa route. Ces deux – là ne se connaissaient pas mais durant ce concert dans la Merlin Cave en 1979 et une enfilade de sessions pour la BBC (1983-84), les deux lascars se sont entendus comme des larrons en foire, avides des trucs et ficelles de leur alter-ego respectif. Dois – je informer que le saxophoniste préféré de Coxhill était Lester Young? Lester était un artiste qu’on doit absolument éviter d’appréhender seulement avec deux ou trois sessions d’époque (Commodore, Keynote ou Signature) mais aussi/ surtout investiguer massivement les sessions Alladin et Clef-Norgran, rééditées par Verve. Lester était en fait un artiste complexe dont le style a évolué drastiquement au fil des ans en conséquence de certaines mauvaises expériences de la vie et d’un désenchantement existentiel .
Complexe, c’est aussi ce qon peut dire de Lol Coxhill. Mais lui, était un joyeux drille, qui aimait tant se sentir libre de « jouer une mélodie » ou évoquer un standard dans le fil d’improvisations libres. Un enregistrement solo publié récemment par SLAM, Coxhill 1985 enregistré dans un pub de Bristol illustre bien cette tendance. Lol se délecte, entre autres, à disséquer et étendre les lignes mélodiques et les harmonies de I Thought About You de Van Heusen – Mercer et de divaguer sur des fantômes du Real Book au milieu de ses improvisations à tendance plus jazz tout en confondant le public écroulé de rire ou amusé par ces succulents « Dialogues » parlés. Écoutez le précisément, le gars, vous entendrez sa connaissance gargantuesque de l’idiome jazz et des standards qu’il chantait sans effort rien qu’à la vue de la partition qu’on lui fourrait sous le nez à la dernière seconde. Un petit frère d’Ornette (même génération née début des années 30) tout aussi original que lui avec ses notes « pliées » immédiatement reconnaissables. Mais c’est pas fini : il y a le batteur Alan Jackson. Celui-ci enregistra des plaques immémoriales avec le pianiste Howard Riley et le bassiste Barry Guy, des perles sérieuses et audacieuses du free-jazz européen (Angle – The Day Will Come), mais aussi avec Mike Osborne, John Surman, Keith Tippett, Mike Westbrook et Harry Beckett… Un sérieux client rompu à tous les styles. Au piano, Michael Garrick, dont Jackson a été le batteur attitré, connu pour ses performances avec des poètes et son travail avec la paire Don Rendell et Ian Carr, entre autres avec Dave Green. Il faut saisir les interventions de Michael Garrick au piano : du jazz contemporain post Bill Evans avec une toute grande classe dans Remember Mingus (omit Bruce Turner) dont les 18 minutes contiennent aussi une longue intervention digression free de Coxhill. Ces trois CD’s offrent une musique basée dans le bop qui n’hésite pas à déraper, rêver et développer au-delà de l’idiome jazz moderne, s’égarer ce qu’il faut bien au-delà du formatage qui rend cette musique insipide. Chacun s’écoute et intervient alternativement ex-tempore. Il suffit de goûter la faconde d’un solo de basse de Green dans le Alice in Wonderland de Mingus (deux versions). Et encore : les ingénuités et l’expressivité des deux souffleurs dans deux versions du Tears Inside d’Ornette Coleman, le chant irrésistible de Coxhill dans Embraceable You , le duo Garrick et Coxhill dans She ‘s Funny That Way. Les deux compères avaient enregistré en duo deux morceaux dans le LP de Coxhill The Joy Of Paranoia (Ogun). Il y a aussi un Anthroplogy saisissant et un Mood Indigo presque Mingusien avec un Bruce Turnr suave à la clarinette C’est touchant, excellent , plein d’instants de grâce dont l’écoute bon enfant rend le rabâchage du jazz moderne revisité dans les années fin 70, puis 80 et 90, académique, formaté, lassant et sans intérêt. Un paquet de notes sur le triple digipack à rabas et dans un épais livret très détaillé contenant une mine d'informations sur ce projet unique, sans doute le plus curieux hommage à Charles mingus défiant toute logique, idées toutes faites et poncifs. Écoutez les enregistrements de la tournée 1964 de Mingus avec Byard, Dolphy, Jordan et Richmond avec ses versions labyrinthiques de compositions de Mingus et vous comprendrez l'inspiration exercée sur ses impénitents et facétieux British. En plus, Jazz In Britain livre les commandes en Union Européenne depuis la Pologne, vous évitant ces taxes post brexit stupides.
https://first-archive-visit.bandcamp.com/album/live-lugano-1984-first-visit
La série First Visit d’ezz-thetics(ex Hat Art – hatology) nous fait découvrir de précieux inédits (Cecil Taylor) ou des rééditions incontournables (Albert Ayler). Au rayon des inédits, ce nouvel album de Steve Lacy Three enregistré en 1984 à Lugano, tranche tout à fait dans la production habituelle du saxophoniste disparu, grand-maître du sax soprano s’il en fût un. Le travail d’édition principal de Lacy s’est concentré d’une part sur ses Quintets et Sextets entre autres avec Steve Potts, Irene Aebi, Oliver Johnson, Bobby Few, Kent Carter et puis Jean-Jacques Avenel qu’on retrouve dans ce S.L. Three et bien sûr ses albums solos. D’autre part, il y eut une ribambelle de rencontres enregistrées en duo avec Derek Bailey, Kent Carter, Andrea Centazzo, Evan Parker, Mal Waldron, Maarten Altena, Masa Kwaté, Michael Smith ou des trios librement improvisés ou interprétant / improvisant sur ses magnifiques nombreuses compositions. Ce Steve Lacy Three est lui tout à fait spécial dans son œuvre par son instrumentation avec le guitariste Barry Wedgle et le contrebassiste J.J. Avenel et pas moins de 6 de ses compositions inconnues ou quasi pas enregistrées à l'exceptions de Flakes et Clichés qui ont fait l’objet de plusieurs enregistrements. L’intérêt pour l’auditeur « habitué » de la musique de Lacy et aussi pour ceux qui connaissent son œuvre partiellement par rapport à sa musique en Quintet et Sextet réside dans le fait que Steve en est le principal soliste et qu’il s’oblige à improviser longuement sur les huit compositions sur de longues durées de plus de 6 , 7, 8, 9 et 16 minutes pour un total de 73’20’’, sans jamais lasser, toujours consistant, ultra précis, lyrique lunaire, dynamique. Spirales, ellipses, articulation complexe d’hiéroglyphes magiques, chaque note ayant sa forme propre, sa densité, son intensité, sa dynamique, son pouvoir de suggestion en déployant de nouveaux sortilèges au fil de chaque improvisation. Comme il n’y a pas de batteur l’intensité rythmique est partagée entre les saccades, staccatos et imprécations du souffleur et l’allant puissant et impétueusement discret de Jean – Jacques Avenel à la contrebasse en pizz et la rage intériorisée à l’archet, le guitariste Barry Wedgle officiant comme électron libre ou comme « accompagnateur atypique. C’est absolument merveilleux si vous voulez acquérir et écouter le grand Steve au sommet de son art dans de longues improvisations et exposés originaux des thèmes de ses compositions. C’est un de ses albums où ses sons et aspects créatifs sont les plus diversifiés que l’on puisse entendre On y entend toujours le côté expressif tragique ou dramatique de son œuvre qui transparaissait dans la sonorité spécifique des années 70’ s avant que celle-ci se soit adoucie et relaxée dans les deux décennies suivantes. Un vrai trésor que Steve avait oublié de publier à l’époque.
Arcada Pendular Carlos Zingaro & João Madeira 4DARecords 4DRCD018
https://joaomadeira.bandcamp.com/album/arcada-pendular
On a entendu à plusieurs reprises le contrebassiste Lisboète João Madeira dans la galaxie des Rodrigues père et fils , Ernesto, l’altiste et Guilherme le violoncelliste comme dans cette superbe perle, Chaos, CD publié par Creative Sources, On le retrouve aussi dans No Strings Attached et Hoya sur le même label, toujours avec Ernesto Rodrigues, mais aussi Hernani Faustino, Daniel Levin … . L’année dernière, 4DARecords, le label de João, avait publié un excellent trio réussi du violoniste Carlos Zingaro et de la percussionniste Sofia Borges avec ce singulier contrebassiste : Trismariz. Convaincus par leurs échanges et partageant toute une philosophie de l’improvisation et un territoire sonore et émotionnel comme un véritable dénominateur commun extensible, Zingaro et Madeira se sont réunis pour nous livrer cette belle rencontre à la hauteur, et même plus, des associations de ce violoniste, pionnier de l’improvisation contemporaine, avec des contrebassistes tels que Joëlle Léandre, Kent Carter, Simon H Fell, … ou avec les violoncellistes Fred Lonberg-Holm et Peggy Lee.
Pour ceux qui ne seraient pas convaincus de l’art de ce violoniste portugais, plongez seulement dans ce fabuleux document d’une extraordinaire performance solo de Carlos Zingaro : Live at Mosteiro De Santa Clara A Velha (Cipsela). C’est le top à l’instar des Phil Wachsmann, Malcolm Goldstein et Harald Kimmig. Et j’aime cette arcade pendulaire, le mouvement de l’archet guidé par un pendule magique, celui de Philémon Cyclône à la recherche de trésors enfouis en travers des cordes, cherchant au milieu d'un terrain lunaire, silicé ou granitique, sec comme une trique à l’ombre lointaine et rasante des Pyramides au soleil couchant. Surfaces recouvertes de micro-champignons et de mousses multicolores comme on peut le voir sur la pochette du digipack, œuvre de Carlos… sous laquelle des attractions magnétiques invisibles guident les pas de danse de ces deux funambules du violon et de la contrebasse, le petit et le gros de cette famille d’instruments des violons qui ne s’associent au plus fin qu’au sein de leur fratrie : violon, alto, cello et contrebasse. Musique de recherches, d’actions instrumentales multiformes et mouvantes qui tiennent de l’exploration, de gestuelles expressives, d’introspections sonores qui se distancent, chacun à son rythme propre, se réunissent en contrepoints anguleux, spiralés, moirés ou fracturés, ou se contredisent, chacun détalant de son côté en feignant de ne pas se soucier des préoccupations de l’autre, mais lui apportant une question subtile, une énergie oblique, ou la conclusion qui se fait attendre. Il ne s’agit pas de déballage technique, mais plutôt d’un étalement en panorama graphique, strié, ondulatoire, abstrait et expressionniste autant que pointilliste ou impressionniste,... cubiste, tachiste, Turner, Delaunay, Kandinsky, Klee, de Kooning, Pollock, Richter, Frankenthaler ou mon ami le dessinateur André Dael et ses paysages imaginaires. C’est profondément sincère tout en utilisant de multiples techniques de frottement d’archets, d’harmoniques, de vibrations cordistes et boisées, dérapages, percussions, diffractions, amalgames, frénésies, extases ou méditations, réflexions, instants télépathiques para-normaux. L’imaginaire suggéré dépasse la faculté d’imagination et la notion de dialogue par la grâce de leur simplicité intérieure ouverte à l’instant présent et à leurs inclinations ludiques rebelles. Au-delà de cette notion de dialogue, on navigue et divague dans l’océan de l’écriture automatique, les limbes du rêve éveillé et de cette curiosité insatiable qui n’est jamais assez satisfaite d’une apparente réussite, lui préférant le risque, le méconnu, la défriche... À mettre dans un rayonnage aux côtés des duos de Barre Phillips et Malcolm Goldstein, de Philipp Wachsmann et Teppo Hauta-Aho ou du String Trio de Harald Kimmig,Alfred Zimmerlin et Daniel Studer.
Eugenio Sanna Lucio Bonaldo Michele Scariot Punti d’Incontro 13 silentes - Stella Nera
http://13.silentes.it/private_sounds/sps2485.htm
Eugenio Sanna , le guitariste pisan a plus d’un tour dans son sac. Non content de jouer et enregistrer dans quelques rencontres de pointe comme celles documentées dans Live In Pisa (avec Edoardo Ricci & Roger Turner/ Burp Productions) ou Water Reflections avec Guy-Frank Pellerin & Matthias Boss (FMR), il se prête à des jeux volatiles et particulièrement bruitistes avec quiconque se présente à lui, très souvent pour le meilleur. Pour notre bonheur, la paire Lucio Bonaldo (batterie préparée et sculpture métallique) et Michele Scariot (walkman & speaker « portatile ») a quasi tout compris en matière de croisements de pulsations et de bruitages dosés et interactifs. C’est superbement bruissant, noisy micro-détaillé, complexe et aéré avec une dynamique exemplaire. Ça gicle, râcle, crisse, croustille, buzze, s'hérisse et s’étale tous azimuts. Le guitariste frictionne la six cordes avec des lames et bandes métalliques , des petits ballons, du cellophane et quelconques objets. Sonorité abrasive, glitcheuse, électricité vagabonde. Et ce joyeux trio est interconnecté sur ces fréquences, bruitages, parasites avec une forme de percussivité ludique assez aléatoire en apparence. On entre ici dans le cœur battant de l’improvisation libre chercheuse, canaille, qui ferait passer certains ténors de cette mouvance comme étant quasiment néo-classique contemporain. Une musique « atomistique », où éclatent et se télescopent étincelles cosmiques, électrons incandescents ou calcinés, neutrons silencieux, shrapnels de métaux rares, scories etc.. traçant des fusées millimétriques, des escarbilles crépitantes sulfureuses ordonnées par une improbable théorie des cribles, une galaxie de lueurs s’évanouissant hors gravitation … Bref, c’est un album réjouissant où trois joyeux inventeurs décalés créent un univers sonore qui se concentre autant sur l’identité de leur trio qu’il s’égare dans les ramifications les plus diversifiées. Points de rencontre (Punti d’incontro) ? Je dirais rhizomes, réseaux volatiles, concassage du mélodique, impertinence du bruit, manipulations improbables d’instruments à côté et au-delà de leur raison d’être. Fuite en avant irrationnelle, mais dialogues réussis et qualité optimale d’imbrications spontanées de sons et bruits à perte de vue… Comme me l’a indiqué Eugenio, cet enregistrement capté à Vittorio Veneto illustre l’état d’esprit de la scène locale du Nord Vénitien ( Brescia, Padova, Treviso etc… ) devenue récemment plus active et plus rebelle.
The Complete Fingers Remember Mingus Dave Green Bruce Turner Lol Coxhill Alan Jackson Michael Garrick Jazz In Britain JIB-55-S-CD.
https://jazzinbritain1.bandcamp.com/album/the-complete-fingers-remember-mingus
J’avais raté le LP de ce Fingers en hommage à Mingus en 1980 faute d'argent disponible (label Spotlite). Mais je me rattrape avec la totale : trois CD’s de standards et morceaux de Mingus, Ornette et Monk à toutes les sauces, parfois « incongrues » et un beau paquet d’unreleased. Vous allez me dire : Ah oui ! Dave Green, le contrebassiste de jazz d’une rock star, feu Charlie Watts, le batteur des Stones. Un jour, j’ai bu un pot dans le pub the Bell à Walthamstow avec le guitariste John Russell qui me logeait dans son quartier lors d’une petite tournée. Il m’a présenté ce pub comme étant le lieu de rencontre de trois étudiants en arts graphiques et apprentis batteurs de jazz dans les années 1956-57 etc… :Terry Day, John Stevens et Charlie Watts. Dave Green est devenu un des piliers incontournables du jazz Londonien et resté en contact proche avec son ami d’enfance Charlie, lequel a produit l’album du People Band de son copain Terry Day en 1968 (pour Transatlantic), sans doute un des groupes les plus craignos du free sauvage et délirant. Mais en fait, Londres était peuplé de zèbres improbables qui déjouent encore les pronostics. Au départ, Dave Green voulait faire un hommage à Charlie Mingus, disparu en 1979 et son panel d’invités est tout aussi curieux (dans tous les sens de l’adjectif) que bien réfléchi. Il faut dire Green a une très solide expérience comme pilier du humphrey Littleton Band 18 ans d'affilée et il a joué avec Sonny Rollins, Roland Kirk et Coleman Hawkins. Le saxophoniste alto Bruce Turner est un unique improvisateur bop européen de « l’école » de Lennie Tristano avec un phrasé sournois étiré mâtiné d’humour british indéchiffrable qui évoque un Lee Konitz égrillard. Il a séjourné à NYC et le studio où Lennie donnait "ses leçons" et répétaient. L’idée géniale, joindre à cette équipe l’improbable Lol Coxhill un des plus grands saxophonistes sopranos de la terre entière (avec Steve et Evan) et un vrai compère amical et jovial envers quiconque croise sa route. Ces deux – là ne se connaissaient pas mais durant ce concert dans la Merlin Cave en 1979 et une enfilade de sessions pour la BBC (1983-84), les deux lascars se sont entendus comme des larrons en foire, avides des trucs et ficelles de leur alter-ego respectif. Dois – je informer que le saxophoniste préféré de Coxhill était Lester Young? Lester était un artiste qu’on doit absolument éviter d’appréhender seulement avec deux ou trois sessions d’époque (Commodore, Keynote ou Signature) mais aussi/ surtout investiguer massivement les sessions Alladin et Clef-Norgran, rééditées par Verve. Lester était en fait un artiste complexe dont le style a évolué drastiquement au fil des ans en conséquence de certaines mauvaises expériences de la vie et d’un désenchantement existentiel .
Complexe, c’est aussi ce qon peut dire de Lol Coxhill. Mais lui, était un joyeux drille, qui aimait tant se sentir libre de « jouer une mélodie » ou évoquer un standard dans le fil d’improvisations libres. Un enregistrement solo publié récemment par SLAM, Coxhill 1985 enregistré dans un pub de Bristol illustre bien cette tendance. Lol se délecte, entre autres, à disséquer et étendre les lignes mélodiques et les harmonies de I Thought About You de Van Heusen – Mercer et de divaguer sur des fantômes du Real Book au milieu de ses improvisations à tendance plus jazz tout en confondant le public écroulé de rire ou amusé par ces succulents « Dialogues » parlés. Écoutez le précisément, le gars, vous entendrez sa connaissance gargantuesque de l’idiome jazz et des standards qu’il chantait sans effort rien qu’à la vue de la partition qu’on lui fourrait sous le nez à la dernière seconde. Un petit frère d’Ornette (même génération née début des années 30) tout aussi original que lui avec ses notes « pliées » immédiatement reconnaissables. Mais c’est pas fini : il y a le batteur Alan Jackson. Celui-ci enregistra des plaques immémoriales avec le pianiste Howard Riley et le bassiste Barry Guy, des perles sérieuses et audacieuses du free-jazz européen (Angle – The Day Will Come), mais aussi avec Mike Osborne, John Surman, Keith Tippett, Mike Westbrook et Harry Beckett… Un sérieux client rompu à tous les styles. Au piano, Michael Garrick, dont Jackson a été le batteur attitré, connu pour ses performances avec des poètes et son travail avec la paire Don Rendell et Ian Carr, entre autres avec Dave Green. Il faut saisir les interventions de Michael Garrick au piano : du jazz contemporain post Bill Evans avec une toute grande classe dans Remember Mingus (omit Bruce Turner) dont les 18 minutes contiennent aussi une longue intervention digression free de Coxhill. Ces trois CD’s offrent une musique basée dans le bop qui n’hésite pas à déraper, rêver et développer au-delà de l’idiome jazz moderne, s’égarer ce qu’il faut bien au-delà du formatage qui rend cette musique insipide. Chacun s’écoute et intervient alternativement ex-tempore. Il suffit de goûter la faconde d’un solo de basse de Green dans le Alice in Wonderland de Mingus (deux versions). Et encore : les ingénuités et l’expressivité des deux souffleurs dans deux versions du Tears Inside d’Ornette Coleman, le chant irrésistible de Coxhill dans Embraceable You , le duo Garrick et Coxhill dans She ‘s Funny That Way. Les deux compères avaient enregistré en duo deux morceaux dans le LP de Coxhill The Joy Of Paranoia (Ogun). Il y a aussi un Anthroplogy saisissant et un Mood Indigo presque Mingusien avec un Bruce Turnr suave à la clarinette C’est touchant, excellent , plein d’instants de grâce dont l’écoute bon enfant rend le rabâchage du jazz moderne revisité dans les années fin 70, puis 80 et 90, académique, formaté, lassant et sans intérêt. Un paquet de notes sur le triple digipack à rabas et dans un épais livret très détaillé contenant une mine d'informations sur ce projet unique, sans doute le plus curieux hommage à Charles mingus défiant toute logique, idées toutes faites et poncifs. Écoutez les enregistrements de la tournée 1964 de Mingus avec Byard, Dolphy, Jordan et Richmond avec ses versions labyrinthiques de compositions de Mingus et vous comprendrez l'inspiration exercée sur ses impénitents et facétieux British. En plus, Jazz In Britain livre les commandes en Union Européenne depuis la Pologne, vous évitant ces taxes post brexit stupides.
20 juillet 2025
Mark Sanders – Paul Rogers – Larry Stabbins/ Lawrence Casserley & Emil Karlsen/ Kristof K.Roll + Ensemble Dedalus/ Savina Yannatou Floros Floridis Barry Guy Ramon Lopez
SAROST Aurora Mark Sanders – Paul Rogers – Larry Stabbins JazzinBritain
https://jazzinbritain1.bandcamp.com/album/aurora
“Classique” trio saxophone – contrebasse – batterie dans une veine free inspirée, « libre » et aventureuse où chacun des musiciens va jusqu’au bout de ses idées dans le sens de minutieuses explorations sonores spontanées et agencées dans le feu de l’action. Si la paire batterie – contrebasse Mark Sanders et Paul Rogers collabore depuis plus de trois décennies avec plusieurs autres improvisateurs d’envergure comme Evan Parker, Sarah Gail Brand, Elton Dean, Paul Dunmall, c’est sans doute la première fois qu’on les retrouve tous deux aux côtés du saxophoniste Larry Stabbins, un as du ténor aussi doué pour le soprano et habitué du Little Theatre Club fin des années 60 et début années 70. Il semble qu’il soit un des premiers saxophonistes britanniques à jouer des concerts en solo, avant qu’Evan Parker n’enregistre son premier concert solo en 1975 (saxophone solos Incus 19). Larry a été très présent dans la scène britannique et européenne durant la période phare des années 70 et 80 avec une résurgence au début des années 2000. Il fut le saxophoniste de prédilection des groupes de Keith Tippett en succédant à Elton Dean, et des Quartet et Quintet de Tony Oxley. Ses albums les plus appréciés de cette lointaine époque sont Fire Without Bricks en duo avec le percussionniste Roy Ashbury (Bead Records) et TERN en trio avec feu Keith Tippett et Louis Moholo (FMP SAJ). Aussi, Continuum avec Eddie Prévost, Veryan Weston et Marcio Mattos (Matchless). Plus tard, Larry a enregistré un album solo, Monadic et trois CD en quartet avec Sanders le pianiste Howard Riley et le contrebassiste Tony Wren (Four in The Afternoon/ Emanem – St Cyprian’s vol 1 et 2/ FMR). J’ai gardé de lui un souvenir impérissable d’un concert en duo avec Roy Ashbury en 1979, où assis sur le sol à deux mètres de son sax soprano, je pouvais distinguer très clairement la multiplicité des sons, sifflements, harmoniques, strangulations de la colonne d’air dans le moindre détail etc… alors que Roy Ashbury jouait à même le sol en modifiant continuellement l’assemblage de ses percussions tout en frappant, grattant, frottant … son matériel. Fascinant ! Pour ceux qui ont connu et écouté Stabbins auparavant, Aurora sera une aussi belle surprise que pour ceux qui vont le découvrir ici pour la première fois. Non seulement, nous avons ici le batteur Mark Sanders au meilleur de sa forme et son indicible sens des pulsations qui profite à fond de l’ouverture spirituelle et musicale de ce trio dans un parfait équilibre fait autant de tensions électriques que d’empathie créatrice. Multirythmique et coloré, discret et actif, Sanders est un batteur free de rêve auprès de nombreux improvisateurs comme John Edwards, John Butcher, Evan Parker, Gail Brand, Trevor Watts Paul Dunmall… Chaque instrumentiste occupe la même importance dans les interventions individuelles et dans l’espace sonore. La participation du contrebassiste (à sept cordes) Paul Rogers est un bonus magnificent dans cette superbe session. Non seulement son partenariat avec Sanders est incontournable entre autres avec Paul Dunmall ou Elton Dean, il a aussi croisé la route de Stabbins chez Keith Tippett. Paul joue de l’archet comme s’il était un orchestre à cordes à lui tout seul ; le registre de son instrument à sept cordes donne l’illusion d’être à la fois une « piccolo » bass (on songe à Barry Guy), un violoncelle et une viole de gambe. Son jeu à l’archet est complexe, raffiné et strié d’ombres et de moirages boisés teintés d’harmoniques scintillantes. Sa contrebasse (Luthier Alain Leduc - Nîmes) est munie de cordes sympathiques, la vibration desquelles en magnifie la sonorité. Les sonorités aériennes aux cymbales et les frappes pointillistes du batteur se marient avec les interventions du bassiste avec une réelle empathie. Ses improvisations en pizzicato sur la touche apportent la dose de lyrisme charnel qui équilibre l’équipée et donnent du sens au développement mélodique du souffleur. Ses deux acolytes inspirés permettent à cet authentique skipper océanique au long cours qu’est Larry Stabbins d’évoluer aux First Lights de l’Aurora, à 67 North et 67 South jusqu’aux Boreas Curtains, selon les quatre titres de leur remarquable suite. Chacun d’eux assume en alternance l’élément moteur du trio et détermine sa dynamique en assurant une exemplaire lisibilité tout en donnant le meilleur de lui-même sans entraver l’élan de ses camarades. Lançant quelques imprécations modales, le souffleur a tôt fait de faire exploser la colonne d’air de son ténor avec un expressionnisme virulent ou tournoyer irrégulièrement avec la sonorité acide de son soprano au fil des improvisations intenses et subtilement dosées de ce TRIO SAROST, une belle surprise du free-free jazz allumé à l’improvisation libre.
Aspects of Memory Lawrence Casserley & Emil Karlsen Bead Records
https://beadrecords.bandcamp.com/album/aspects-of-memory
Aspects of Memory is the first meeting between Lawrence Casserley (signal-processing instrument) and Emil Karlsen (percussion). "Lawrence Casserley has devoted his professional career to the creation and performance of real-time electroacoustic music, culminating in the development of his own unique device—The Signal Processing Instrument. This instrument allows him to use physical gestures to control the processing and to direct the morphology of the sounds." Casserley writes: “A key element of the Signal Processing Instrument is the manipulation of musical time, and the Signal Processing Instrument might be likened to a kind of musical time machine. Time is at the core of our understanding of the world; and memory is at the core of our understanding of time. Both are fundamental to our perception of music. What happens to this understanding when “artificial memory” interferes with our perceptions ?”
Le percussionniste norvégien et résident de Manchester Emil Karlsen s’est révélé ces dernières années comme un artiste sensible, créatif et chercheur. Il a joué et enregistré avec Philipp Wachsmann et Neil Metcalfe, Phil Durrant, John Butcher & Dominic Lash, Ed Jones, Pierre Yves Tremblay et Alex Bonney et même en duo de percussions avec Mark Sanders. Du point de vue de l’évolution du travail de Lawrence Casserley et de son signal processing, on attendait de sa part un album avec un percussionniste improvisateur qui mette en évidence une preuve supplémentaire de sa créativité en relation avec la raison d’être essentielle de sa démarche de transformation en temps réel des sons musicaux joués par un autre improvisateur. L’interpénétration et le mariage des deux sources sonores, l’une instrumentale, l’autre « processée » font qu’il est souvent difficile de distinguer qui du percussionniste ou du « processeur » émanent les sonorités complexes et curieuses de leurs interactions croisées. On retrouve ici la dynamique des solos de percussions + électroniques du grand Tony Oxley de l’album Incus 8 (jamais réédité) avec une acuité accrue et un raffinement sonore inouï. Emil Karlsen révèle ici toute sa sensibilité dans le moindre détail de son jeu sur les fûts, ustensiles et cymbales. Pour ceux qui ont écouté les albums de Casserley tels que Dividuality (avec Evan Parker et Barry Guy), Garuda (avec Philipp Wachsmann), Integument (avec Adam Linson) ou MouthWind, on retrouvera ici ce qui fait la quintessence de l’art de ce magicien de la transformation sonore par le truchement du live signal processing au travers de plusieurs canaux ( 14 bien souvent) et de rhizomes d’applications successives et enchevêtrées créées dans ce but par L.C., le but de toute une vie d’essais et de recherches élaborées. Un univers fascinant, une technologie organique dont on en oublie la technicité au profit d’une musicalité insoupçonnée. Vagues, tourbillons, accélérations fantômes, agrégats sonores mutants, descentes glissantes dans les graves, étagements de fréquences éphémères, pulsations factices, vibrations percussives, boucles décalées et hésitantes, mystères. Voici une musique qui se découvre au fil de nombreuses écoutes tant les paramètres de l’élaboration des sons sont devenus surréels. Mention spéciale au travail d' Emil Karlsen qui anime activement l'aventure créative du label Bead Records "established in 1974"
Kristof K.Roll Les Ombres de la Nuit
Kristof K.Roll & Dedalus Grande Suite à l’Ombre des Ondes
Mazeto Square Un livre couverture cartonnée. Deux Compact Discs. Textes détaillés des rêves et partitions.
https://www.mazeto-square.com/product-page/les-ombres-de-la-nuit-livre-cd
Voici un magnifique projet du tandem Kristof K.Roll (Carole Rieussec & Christophe Camps) dans le domaine de la musique concrète et de voix enregistrées – témoignages vivants de personnes exprimant leurs expériences de rêves et mises en sons. « La bibliothèque sonore de récits de rêves du monde » et « La Petite Suite à l’Ombre des Ondes » sont contenues dans le CD1. Cet ensemble de témoignages rassemblent de nombreuses personnes qui narrent leurs souvenirs dans des contextes de conflits (comme le Prologue en 1/ enregistré à Bagdad). Les récits ou la relations de ces rêves ont été enregistrés dans de nombreux pays avec des interventions dans de nombreuses langues : français, arabe, italien, pashto, anglais, croate, macédonien etc… Le Livre contient un maximum d’informations sur les circonstances de ces projets et les textes des récits individuels dans la langue de chaque narrateur/ narratrice comme on l’entend dans l’enregistrement et leurs traductions en langue française et anglaise. La Grande Suite à l’Ombre des Ondes est une collaboration de Kristoff K.Roll et de l’Ensemble Dedalus. Il est contenu entièrement dans le CD2. On est plongé dans l’imaginaire du rêve, dans sa narration réaliste et dans une poésie brute , parfois déroutante. La réalisation technique de haut vol intègre les voix à une bande son d’une extrême précision, habillage sonore organique en phase avec la multiplicité des voix, des rêves et des personnalités qui ouvrent leur cœur et leur sensibilité profonde aux micros. Musique concrète de la vie concrète des gens, aventuriers de la vie par le rêve. Le livre lui-même détaille avec cette précision factuelle tous les intervenants, prénoms, lieux, temps, circonstances, paroles sans divulguer la puissance poétique, suggestive, émotionnelle qui émane de l’audition. Aussi, les Kristof K Roll se sont ouverts à plusieurs manifestations du rêve, existentielle, de survie, anecdotique, purement émotionnelle, ou tragique ou « non-sensique ». Ces différentes approches des rêves nous sont livrées sans aucun parti-pris ou une thèse à illustrer. Ce livre se lit dans les deux sens en inversant le recto ou le verso selon que vous suivrez les Suites du CD1 et du CD2. Si le contenu CD1 est focalisé sur la mise en sons électroacoustique à la Kristoff K Roll de la narration des rêves individuels dans l’espace public – fragments de reportage, la Grande Suite à l’Ombre des Ondes s’écoule en 17 compositions successives et 64’. L’ensemble Dedalus rassemble Didier Aschour, guitare, Amelie Berson Maximilien Dazas, percussions, Christian Pruvost, trompette, Deborah Walker, violoncelle. Je cite : « La Grande Suite est un déclinaison de la bibliothèque sonore de rêves du monde. Huit rêveuses et rêveurs dialoguentavec cinq instrumentistes dans un composition sonore mixte, imaginée par le duo Kristoff K. Roll, en dialogue avec les interprètes de l’ensemble Dedalus. » « Le public plonge au cœur de récits de rêves. Voyage onirique collectif qui navigue entre les récits dans une traversée sonore archipélique ». L’œuvre a été enregistrée par Nicolas Brouillard au Théâtre Jean Bart en février 2023. Le montage a été réalisé par Kristoff K. Roll et Nicolas Brouillard s’est joint à eux pour un mixage hyper réussi.
L'oeuvre de Kristoff K. Roll se développe depuis de nombreuses années d'aventures et de travail minutieux : elle atteint ici un niveau de qualité exceptionnelle, l'ambition créatrice et la modestie réunies. Je pense que cette réalisation est aussi cohérente qu’expressivement contemporaine au plus grand service des narrations des rêveuses – rêveurs, les musiciens de l’ensemble Dedalus excellant dans la partie musicale au service du projet. Précise, feutrée, concentrée, suggestive, la musique, les textes et les trouvailles sonores s’imposent en toute simplicité laissant le lyrisme, l’onirisme et la surréalité des voix et des narrations s’imprimer dans nos émotions, perceptions et stimuler notre faculté de recréer l’imaginaire au creux de nous – mêmes. Un travail très touchant, absolument atypique et qui permet à cette expression musicale sonore contemporaine de toucher un public « non averti ».
Savina Yannatou Floros Floridis Barry Guy Ramon Lopez Kouarteto Maya Recordings
https://mayarecordings.bandcamp.com/album/kouart-to
Deux artistes Grecs, Savina Yannatou et Floros Floridis, l’une chanteuse, l’autre clarinettiste saxophoniste en Kouarteto avec un batteur Catalan – Français et le contrebassiste Britannique Barry Guy. La musique, ici librement improvisée penche émotionnellement du côté de la Méditerranée. Le timbre « hellénique » de la voix de Savina Yannatou, à la fois lyrique, audacieuse, expressive moëlleuse et puissante a quelque chose de spécifique par rapport aux voix de ses collègues germaniques, anglo-saxonnes, françaises ou italiennes. Elle collabore fréquemment avec Barry Guy et Ramon Lopez. Et quelle idée lumineuse d’avoir invité Floros Floridis aux clarinettes basse et mi-bémol spécialiste du clair-obscur et d’une singulière manière pointilliste et expressionniste alliant retenue et découpage tranchant. Le batteur souligne, répercute des impressions, dose habilement ses frappes avec un vrai souci du détail pour laisser le champ libre à la voix fantastique de sa collègue et aux doigtés décalés du contrebassiste. Ces quatre – là nous démontrent ce qu’écouter, s’entraider et se répondre – suggérer – se compléter signifie dans le moindre instant de jeu et de partage. Enregistré à Ydra, Kouartéto se décline et se renouvelle merveilleusement au fil de 13 Ydra numérotés de 1 à 13 durant 67 minutes de plénitude. Chacun s’impose tour à tour comme un soliste d’avant-plan, comme un infiltrateur dans le maquis sonore, comme duettiste en trio : il faut écouter les détails d Ydra 6 (Greek Lullaby) avec la voix « traditionnelle » grecque, les frappes aléatoires de Ramon et les friselis des doigts de Barry effleurant les cordes de la contrebasse comme si c’était une harpe magique. Des trouvailles, coups de gueule et morsures du souffleur éclatent et s’étalent dans l’espace-temps comme une déflagration puis dans les murmures. On a droit à une multitude d’états d’âme instrumentaux et d’expressions vocales qui coïncident dans l’instant ou un peu plus tard et de morceau n morceau. Un album réussi et disons – le, fabuleux. Et la présence des deux artistes helléniques, Savina Yannatou et Floros Floridis (un vieux compagnon de Peter Kowald, Gunther Sommer ou Okay Temiz) est providentielle tant pour l’art de Barry Guy et la faconde de Ramon Lopez (ici aussi aux tablas indiens !).
https://jazzinbritain1.bandcamp.com/album/aurora
“Classique” trio saxophone – contrebasse – batterie dans une veine free inspirée, « libre » et aventureuse où chacun des musiciens va jusqu’au bout de ses idées dans le sens de minutieuses explorations sonores spontanées et agencées dans le feu de l’action. Si la paire batterie – contrebasse Mark Sanders et Paul Rogers collabore depuis plus de trois décennies avec plusieurs autres improvisateurs d’envergure comme Evan Parker, Sarah Gail Brand, Elton Dean, Paul Dunmall, c’est sans doute la première fois qu’on les retrouve tous deux aux côtés du saxophoniste Larry Stabbins, un as du ténor aussi doué pour le soprano et habitué du Little Theatre Club fin des années 60 et début années 70. Il semble qu’il soit un des premiers saxophonistes britanniques à jouer des concerts en solo, avant qu’Evan Parker n’enregistre son premier concert solo en 1975 (saxophone solos Incus 19). Larry a été très présent dans la scène britannique et européenne durant la période phare des années 70 et 80 avec une résurgence au début des années 2000. Il fut le saxophoniste de prédilection des groupes de Keith Tippett en succédant à Elton Dean, et des Quartet et Quintet de Tony Oxley. Ses albums les plus appréciés de cette lointaine époque sont Fire Without Bricks en duo avec le percussionniste Roy Ashbury (Bead Records) et TERN en trio avec feu Keith Tippett et Louis Moholo (FMP SAJ). Aussi, Continuum avec Eddie Prévost, Veryan Weston et Marcio Mattos (Matchless). Plus tard, Larry a enregistré un album solo, Monadic et trois CD en quartet avec Sanders le pianiste Howard Riley et le contrebassiste Tony Wren (Four in The Afternoon/ Emanem – St Cyprian’s vol 1 et 2/ FMR). J’ai gardé de lui un souvenir impérissable d’un concert en duo avec Roy Ashbury en 1979, où assis sur le sol à deux mètres de son sax soprano, je pouvais distinguer très clairement la multiplicité des sons, sifflements, harmoniques, strangulations de la colonne d’air dans le moindre détail etc… alors que Roy Ashbury jouait à même le sol en modifiant continuellement l’assemblage de ses percussions tout en frappant, grattant, frottant … son matériel. Fascinant ! Pour ceux qui ont connu et écouté Stabbins auparavant, Aurora sera une aussi belle surprise que pour ceux qui vont le découvrir ici pour la première fois. Non seulement, nous avons ici le batteur Mark Sanders au meilleur de sa forme et son indicible sens des pulsations qui profite à fond de l’ouverture spirituelle et musicale de ce trio dans un parfait équilibre fait autant de tensions électriques que d’empathie créatrice. Multirythmique et coloré, discret et actif, Sanders est un batteur free de rêve auprès de nombreux improvisateurs comme John Edwards, John Butcher, Evan Parker, Gail Brand, Trevor Watts Paul Dunmall… Chaque instrumentiste occupe la même importance dans les interventions individuelles et dans l’espace sonore. La participation du contrebassiste (à sept cordes) Paul Rogers est un bonus magnificent dans cette superbe session. Non seulement son partenariat avec Sanders est incontournable entre autres avec Paul Dunmall ou Elton Dean, il a aussi croisé la route de Stabbins chez Keith Tippett. Paul joue de l’archet comme s’il était un orchestre à cordes à lui tout seul ; le registre de son instrument à sept cordes donne l’illusion d’être à la fois une « piccolo » bass (on songe à Barry Guy), un violoncelle et une viole de gambe. Son jeu à l’archet est complexe, raffiné et strié d’ombres et de moirages boisés teintés d’harmoniques scintillantes. Sa contrebasse (Luthier Alain Leduc - Nîmes) est munie de cordes sympathiques, la vibration desquelles en magnifie la sonorité. Les sonorités aériennes aux cymbales et les frappes pointillistes du batteur se marient avec les interventions du bassiste avec une réelle empathie. Ses improvisations en pizzicato sur la touche apportent la dose de lyrisme charnel qui équilibre l’équipée et donnent du sens au développement mélodique du souffleur. Ses deux acolytes inspirés permettent à cet authentique skipper océanique au long cours qu’est Larry Stabbins d’évoluer aux First Lights de l’Aurora, à 67 North et 67 South jusqu’aux Boreas Curtains, selon les quatre titres de leur remarquable suite. Chacun d’eux assume en alternance l’élément moteur du trio et détermine sa dynamique en assurant une exemplaire lisibilité tout en donnant le meilleur de lui-même sans entraver l’élan de ses camarades. Lançant quelques imprécations modales, le souffleur a tôt fait de faire exploser la colonne d’air de son ténor avec un expressionnisme virulent ou tournoyer irrégulièrement avec la sonorité acide de son soprano au fil des improvisations intenses et subtilement dosées de ce TRIO SAROST, une belle surprise du free-free jazz allumé à l’improvisation libre.
Aspects of Memory Lawrence Casserley & Emil Karlsen Bead Records
https://beadrecords.bandcamp.com/album/aspects-of-memory
Aspects of Memory is the first meeting between Lawrence Casserley (signal-processing instrument) and Emil Karlsen (percussion). "Lawrence Casserley has devoted his professional career to the creation and performance of real-time electroacoustic music, culminating in the development of his own unique device—The Signal Processing Instrument. This instrument allows him to use physical gestures to control the processing and to direct the morphology of the sounds." Casserley writes: “A key element of the Signal Processing Instrument is the manipulation of musical time, and the Signal Processing Instrument might be likened to a kind of musical time machine. Time is at the core of our understanding of the world; and memory is at the core of our understanding of time. Both are fundamental to our perception of music. What happens to this understanding when “artificial memory” interferes with our perceptions ?”
Le percussionniste norvégien et résident de Manchester Emil Karlsen s’est révélé ces dernières années comme un artiste sensible, créatif et chercheur. Il a joué et enregistré avec Philipp Wachsmann et Neil Metcalfe, Phil Durrant, John Butcher & Dominic Lash, Ed Jones, Pierre Yves Tremblay et Alex Bonney et même en duo de percussions avec Mark Sanders. Du point de vue de l’évolution du travail de Lawrence Casserley et de son signal processing, on attendait de sa part un album avec un percussionniste improvisateur qui mette en évidence une preuve supplémentaire de sa créativité en relation avec la raison d’être essentielle de sa démarche de transformation en temps réel des sons musicaux joués par un autre improvisateur. L’interpénétration et le mariage des deux sources sonores, l’une instrumentale, l’autre « processée » font qu’il est souvent difficile de distinguer qui du percussionniste ou du « processeur » émanent les sonorités complexes et curieuses de leurs interactions croisées. On retrouve ici la dynamique des solos de percussions + électroniques du grand Tony Oxley de l’album Incus 8 (jamais réédité) avec une acuité accrue et un raffinement sonore inouï. Emil Karlsen révèle ici toute sa sensibilité dans le moindre détail de son jeu sur les fûts, ustensiles et cymbales. Pour ceux qui ont écouté les albums de Casserley tels que Dividuality (avec Evan Parker et Barry Guy), Garuda (avec Philipp Wachsmann), Integument (avec Adam Linson) ou MouthWind, on retrouvera ici ce qui fait la quintessence de l’art de ce magicien de la transformation sonore par le truchement du live signal processing au travers de plusieurs canaux ( 14 bien souvent) et de rhizomes d’applications successives et enchevêtrées créées dans ce but par L.C., le but de toute une vie d’essais et de recherches élaborées. Un univers fascinant, une technologie organique dont on en oublie la technicité au profit d’une musicalité insoupçonnée. Vagues, tourbillons, accélérations fantômes, agrégats sonores mutants, descentes glissantes dans les graves, étagements de fréquences éphémères, pulsations factices, vibrations percussives, boucles décalées et hésitantes, mystères. Voici une musique qui se découvre au fil de nombreuses écoutes tant les paramètres de l’élaboration des sons sont devenus surréels. Mention spéciale au travail d' Emil Karlsen qui anime activement l'aventure créative du label Bead Records "established in 1974"
Kristof K.Roll Les Ombres de la Nuit
Kristof K.Roll & Dedalus Grande Suite à l’Ombre des Ondes
Mazeto Square Un livre couverture cartonnée. Deux Compact Discs. Textes détaillés des rêves et partitions.
https://www.mazeto-square.com/product-page/les-ombres-de-la-nuit-livre-cd
Voici un magnifique projet du tandem Kristof K.Roll (Carole Rieussec & Christophe Camps) dans le domaine de la musique concrète et de voix enregistrées – témoignages vivants de personnes exprimant leurs expériences de rêves et mises en sons. « La bibliothèque sonore de récits de rêves du monde » et « La Petite Suite à l’Ombre des Ondes » sont contenues dans le CD1. Cet ensemble de témoignages rassemblent de nombreuses personnes qui narrent leurs souvenirs dans des contextes de conflits (comme le Prologue en 1/ enregistré à Bagdad). Les récits ou la relations de ces rêves ont été enregistrés dans de nombreux pays avec des interventions dans de nombreuses langues : français, arabe, italien, pashto, anglais, croate, macédonien etc… Le Livre contient un maximum d’informations sur les circonstances de ces projets et les textes des récits individuels dans la langue de chaque narrateur/ narratrice comme on l’entend dans l’enregistrement et leurs traductions en langue française et anglaise. La Grande Suite à l’Ombre des Ondes est une collaboration de Kristoff K.Roll et de l’Ensemble Dedalus. Il est contenu entièrement dans le CD2. On est plongé dans l’imaginaire du rêve, dans sa narration réaliste et dans une poésie brute , parfois déroutante. La réalisation technique de haut vol intègre les voix à une bande son d’une extrême précision, habillage sonore organique en phase avec la multiplicité des voix, des rêves et des personnalités qui ouvrent leur cœur et leur sensibilité profonde aux micros. Musique concrète de la vie concrète des gens, aventuriers de la vie par le rêve. Le livre lui-même détaille avec cette précision factuelle tous les intervenants, prénoms, lieux, temps, circonstances, paroles sans divulguer la puissance poétique, suggestive, émotionnelle qui émane de l’audition. Aussi, les Kristof K Roll se sont ouverts à plusieurs manifestations du rêve, existentielle, de survie, anecdotique, purement émotionnelle, ou tragique ou « non-sensique ». Ces différentes approches des rêves nous sont livrées sans aucun parti-pris ou une thèse à illustrer. Ce livre se lit dans les deux sens en inversant le recto ou le verso selon que vous suivrez les Suites du CD1 et du CD2. Si le contenu CD1 est focalisé sur la mise en sons électroacoustique à la Kristoff K Roll de la narration des rêves individuels dans l’espace public – fragments de reportage, la Grande Suite à l’Ombre des Ondes s’écoule en 17 compositions successives et 64’. L’ensemble Dedalus rassemble Didier Aschour, guitare, Amelie Berson Maximilien Dazas, percussions, Christian Pruvost, trompette, Deborah Walker, violoncelle. Je cite : « La Grande Suite est un déclinaison de la bibliothèque sonore de rêves du monde. Huit rêveuses et rêveurs dialoguentavec cinq instrumentistes dans un composition sonore mixte, imaginée par le duo Kristoff K. Roll, en dialogue avec les interprètes de l’ensemble Dedalus. » « Le public plonge au cœur de récits de rêves. Voyage onirique collectif qui navigue entre les récits dans une traversée sonore archipélique ». L’œuvre a été enregistrée par Nicolas Brouillard au Théâtre Jean Bart en février 2023. Le montage a été réalisé par Kristoff K. Roll et Nicolas Brouillard s’est joint à eux pour un mixage hyper réussi.
L'oeuvre de Kristoff K. Roll se développe depuis de nombreuses années d'aventures et de travail minutieux : elle atteint ici un niveau de qualité exceptionnelle, l'ambition créatrice et la modestie réunies. Je pense que cette réalisation est aussi cohérente qu’expressivement contemporaine au plus grand service des narrations des rêveuses – rêveurs, les musiciens de l’ensemble Dedalus excellant dans la partie musicale au service du projet. Précise, feutrée, concentrée, suggestive, la musique, les textes et les trouvailles sonores s’imposent en toute simplicité laissant le lyrisme, l’onirisme et la surréalité des voix et des narrations s’imprimer dans nos émotions, perceptions et stimuler notre faculté de recréer l’imaginaire au creux de nous – mêmes. Un travail très touchant, absolument atypique et qui permet à cette expression musicale sonore contemporaine de toucher un public « non averti ».
Savina Yannatou Floros Floridis Barry Guy Ramon Lopez Kouarteto Maya Recordings
https://mayarecordings.bandcamp.com/album/kouart-to
Deux artistes Grecs, Savina Yannatou et Floros Floridis, l’une chanteuse, l’autre clarinettiste saxophoniste en Kouarteto avec un batteur Catalan – Français et le contrebassiste Britannique Barry Guy. La musique, ici librement improvisée penche émotionnellement du côté de la Méditerranée. Le timbre « hellénique » de la voix de Savina Yannatou, à la fois lyrique, audacieuse, expressive moëlleuse et puissante a quelque chose de spécifique par rapport aux voix de ses collègues germaniques, anglo-saxonnes, françaises ou italiennes. Elle collabore fréquemment avec Barry Guy et Ramon Lopez. Et quelle idée lumineuse d’avoir invité Floros Floridis aux clarinettes basse et mi-bémol spécialiste du clair-obscur et d’une singulière manière pointilliste et expressionniste alliant retenue et découpage tranchant. Le batteur souligne, répercute des impressions, dose habilement ses frappes avec un vrai souci du détail pour laisser le champ libre à la voix fantastique de sa collègue et aux doigtés décalés du contrebassiste. Ces quatre – là nous démontrent ce qu’écouter, s’entraider et se répondre – suggérer – se compléter signifie dans le moindre instant de jeu et de partage. Enregistré à Ydra, Kouartéto se décline et se renouvelle merveilleusement au fil de 13 Ydra numérotés de 1 à 13 durant 67 minutes de plénitude. Chacun s’impose tour à tour comme un soliste d’avant-plan, comme un infiltrateur dans le maquis sonore, comme duettiste en trio : il faut écouter les détails d Ydra 6 (Greek Lullaby) avec la voix « traditionnelle » grecque, les frappes aléatoires de Ramon et les friselis des doigts de Barry effleurant les cordes de la contrebasse comme si c’était une harpe magique. Des trouvailles, coups de gueule et morsures du souffleur éclatent et s’étalent dans l’espace-temps comme une déflagration puis dans les murmures. On a droit à une multitude d’états d’âme instrumentaux et d’expressions vocales qui coïncident dans l’instant ou un peu plus tard et de morceau n morceau. Un album réussi et disons – le, fabuleux. Et la présence des deux artistes helléniques, Savina Yannatou et Floros Floridis (un vieux compagnon de Peter Kowald, Gunther Sommer ou Okay Temiz) est providentielle tant pour l’art de Barry Guy et la faconde de Ramon Lopez (ici aussi aux tablas indiens !).
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