16 novembre 2023

John Butcher Terry Day Max Eastley/ Suspensão / Marteau Rouge & Evan Parker // Ernesto Rodrigues Nuno Torres João Gato Luisa Gonçalves Flak João Madeira Carlos Santos José Oliveira/ Jean-Marc Foussat Evan Parker Jean-François Pauvros Makoto Sato/ Philippe Lauzier & Carlo Costa

John Butcher Terry Day Max Eastley Angles of Enquiry Confront Recording Core 35
https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/angles-of-enquiry

John Butcher est un improvisateur du saxophone (ténor et soprano) qui ne cesse de se bonifier et affiner son jeu avec le temps. Travail du son ultra précis, structuration formelle de l’improvisation, pointillisme, focus sur des systèmes harmoniques complexes qui l’aide à spatialiser son phrasé, subtil et spontané. Il travaille souvent avec des collaborateurs proches « aussi sérieux » que lui : Chris Burn , John Russell, Mark Sanders, Gino Robair, John Edwards, Axel Dörner, Xavier Charles Dom Lash, Steve Beresford, Thomas Lehn, Minton , AMM etc… Avec Terry Day et Max Eastley, ce professeur de physique défroqué est tombé dans la marmite un peu canaille de la musique improvisée. Le batteur Terry Day, qui souffle des flûtes de bambou, occasionnellement du sax alto et dit superbement ses textes, est un légendaire trouble-fête de la scène improvisée britannique, le prince de la harangue libertaire. Membre et fondateur de l’improbable People Band (en 1965 !) et compagnon des allumés d’Alterations (Steve Beresford, Peter Cusack, David Toop, Terry Day), on se souvient de lui jouant d’éléments de batterie à même le sol avec Maarten Altena…. Max Eastley était un abonné de cette mouvance Toop, Beresford, Cusack, Hugh Davies ou encore Lol Coxhill. Il joue de l’Arc, soit une longue corde tendue et amplifiée sur un support qu’il tend et détend de manière très élastique avec des coups de fine baguette ou en frottant avec un archet, la faisant gronder, siffler, percuter, sursauter : bourdonnements, gargouillis, sifflements métalliques, suraigus vocalisés, glissandos, gratouillis, harmoniques , murmures... Enfin une gamme étonnante de sons et de timbres curieux. C’est assez récemment que Terry Day a renoué avec la batterie, instrument abandonné pour des raisons de santé. On peut recommander un beau Midnight and Below avec Alex Ward (guitare et clarinette) et Dominic Lash (contrebasse) sur le label Illuso pour goûter sa conception épurée de la percussion. En se joignant à Eastley et Butcher, Terry Day fait prendre la sauce entre ces deux personnalités assez différentes, voire disparates avec des micro-frappes sur sa batterie, des décalages free et son sens de la dynamique particulièrement délicat. Son jeu discret a un sens affirmé de la pagaille, du désordre organisé, mais son attention se focalise sur le jeu de ses partenaires. L’instrument monocorde apparemment simpliste de Max Eastley contient des possibilités sonores très étendues qu’on est surpris de découvrir, Max jouant aussi avec la dynamique permise par son astucieuse amplification. Son output sonore peut être assimilé tant à une sculpture sonore qu’aux « live electronics » de Paul Lytton et de feu Hugh Davies, un de ses proches. John Butcher se révèle autant comme un architecte de l’exploration du saxophone, construisant un narration alambiquée avec tous les éléments sonores découverts et mémorisés au fil de ses recherches, que comme un funambule de l’improvisation. Son sens du timing est sidérant, aussi improbable que « scientifique ». Ensemble, les trois musiciens se valorisent mutuellement par leurs capacités d’écoute et de partage imaginatif. Le fûté Mark Wastell de Confront a encore réalisé un beau carré d’as en réunissant ces trois artistes dans le même projet sur son catalogue, comme souvent : un excellent cru Butcher, un original comme Max Eastley très peu documenté et le joyeux luron de la scène londonienne depuis le début, Terry Day, le poète de l’improvisation.

Teufel – musik Suspensão Ernesto Rodrigues Nuno Torres João Gato Luisa Gonçalves Flak João Madeira Carlos Santos José Oliveira Creative Sources CS787CD
https://creativesources.bandcamp.com/album/teufelmuzik

Sur la pochette rouge intense de ce CD il y a un diable noir qui pose sa main par-dessus une table (teufel) pour toucher un instrument de musique invisible (muzik). Orchestre de huit musiciens (ou plus) d’improvisation, Suspensão n’est pas à son coup d’essai et chaque nouvel album voit un changement dans sa composition. Si Ernesto Rodrigues (alto et crackle box), Nuno Torres (sax alto) et Carlos Santos (électronique) se retrouvent dans les onze éditions, João Madeira (contrebasse), José Oliveira (percussion), Flak (guitare) avaient déjà participé à quelques albums du groupe et sont des collaborateurs réguliers d’Ernesto Rodrigues. Ici, la pianiste Luisa Gonçalves et le saxophoniste soprano João Gato complètent l’ensemble. Il y a une densité de sons émis par chacun des huit improvisateurs qui se croisent, s’étagent, se différencient dans des mouvements constants avec des phases de silence d’un, deux, trois ou quatre.. d’entre eux. Une masse grouillante, des rhizomes subtils, un réseau de connexions qui s’allument, vacillent, grondent ou s’éteignent sans logique apparente, mais suivent des sentiers qui illuminent l’espace sonore ou s’effacent dans les bruissements d’activités fébriles ou sous des drones bourdonnants ou effilés. Une musique collective, fruit d’une écoute mutuelle studieuse ou dérapage de l’imaginaire. Des éléments hétérogènes (timbres, vibrations, textures, suraigus, graves, chocs, frottements, crissements, fragments) confluent dans un éventail d’interactions qui aspirent à un état d’esprit homogène de communion de différences étalées au grand jour : une fois échangées, partagées, disparues, alors que de nouvelles propositions surgissent ou s’immiscent et regénèrent la trame ; la durée se dilate, le paysage a évolué au point d’être méconnaissable, inexplicable, métamorphosé sans raison. Aucun d’entre eux ne peut vous en donner la raison, le but, ni expliquer ce qui arrive, est arrivé ou va arriver. Mais ils jouent, cherchent des sonorités, s’écoutent, réagissent, se taisent, recommencent, continuent ou s’arrêtent jusqu’à ce qu’un faisceau de vibrations électroniques s’étale, s’étiole et s’éteint après avoir été rejoint par deux ou trois autres musiciens que nous ne pouvons à peine identifier. C’est un mystère, une démocratie totale, une liberté qui force à suivre une partition invisible à laquelle il faut peu ou prou se soumettre au lieu de quoi elle perdrait tout son sens. Une improvisation collective vraiment prenante et réussie !!

Gift : Marteau Rouge & Evan Parker Jean-Marc Foussat, Jean-François Pauvros Makoto Sato FOU Records FRCD – 51
https://fourecords.com/FR-CD51.htm

Enregistré le 13 décembre 2009 aux Instants Chavirés à Montreuil. Pochette : une lithographie de Karel Appel. Marteau Rouge, groupe légendaire composé de Jean-Marc Foussat (synthé VCS3, voix jouets), Jean-François Pauvros (guitares, voix) et Makoto Sato (percussions). Et le saxophoniste ténor et soprano Evan Parker avec qui Marteau Rouge avait déjà enregistré un CD « LIVE » l’année d’avant, publié par In Situ en 2009.
Marteau Rouge est un trio focalisé dans le noise tellurique, électrique avec la guitare saturée et électrocutée de Pauvros et les strates et boucles insaisissables de Foussat qui fusionnent, s’entremêlent ou explorent des drones mouvants, des murmures, brouets que les baguettes folles de Makoto Sato agitent, soulèvent, et Evan s’envole en tournoyant, ou laissent s’étaler les vibrations. C’est alors dans un moment de presque silence légèrement électrique qui a traversé l’espace de jeu (18 minutes) comme un bolide, que nait lentement le souffle d’Evan, ses notes qui gonflent légèrement comme des bulles de gaz sur l’eau pourrie stagnante d’un étang délaissé, sortent de leur gangue en oscillant autour d’une tonique fantôme. L’archet de JFP fait monter un hymne de deux notes dans l’espace par-dessus les vibrations électroniques, quelques frappes de cymbales discrètes contribuent à l’ambiance séquence imprévue. Le sax ténor marque sa signature un instant. Un peu d’Air Frais. Into the Deep. Cette musique remplit l’espace et oblitère le temps, crée l’écoute, laisse le silence s’écouler, marque son territoire. Le souffleur commente, mord la pâte sonore du sax ténor qui s’élève, spirale, tournoie, se retourne face aux sifflements de rotors, au grésillements de machines, réagit brièvement à des signaux sonores, s’accroche aux frictions du guitariste. Le batteur étale ses baguettes rebondissantes sur les peaux, les cymbales s’écrasent, les fûts résonnent, la machine siffle, le sax enroule les morsures et brûlures comme des rubans enflammés, s’enfouit au creux de voix venues de nulle part. Quelques notes aiguës de guitare oscillent , un tambour répercute des roulements, sifflements électroniques , la guitare psyché sature, fracture les sons, secoue l’électricité, le sax d’Evan Parker reprend au vol des fragments joués par JFP et s’en emparant, démultiplie son phrasé. Les articulations implacables du souffle se chevauchent, triturent et fractionnent l’illusion de mélodies. Guitariste et électronicien font sauter la centrale, les plombs, ça explose ou trois notes de guitare font jeu égal avec les guirlandes parkeriennes. L’improvisation collective devient épique, le temps est complètement éclaté, la logique est remise aux vestiaires, le ring est devenu un champ de foire et on entend des appels d’oiseau, des craquements, des battements du percussionniste. Un passage bruitiste allumé surgit, guitare – synthé indescriptible, outrancier, le batteur perdu dans une rythmique qui rappelle tout le monde à l’ordre en cadence et le sax ténor joue le jeu, sa sonorité transformée par instants par J-MF. Construction collective cohérente pour quelques minutes avant que tout n’implose, la lave emporte les barrières, des scories surnagent. Il reste des fumeroles, des frappes de batterie, des ombres …. Will O the Wisp, le moment d’agilité collective, d’énergie kinesthésique… de gravitation ascendante par-dessus le vide. Tout éclate. Cette musique ne cherche pas une continuité, une narration, une logique, mais laisse venir des événements sonores, des contrastes, des sautes d’humeur, des outrances, des délires , des vociférations dans lesquels le saxophoniste marque sa trace, duquel il se nourrit et par-dessus lequel il s’envole pour y plonger. Échanges, provocations, rêves, instants qui s’engloutissent, folies… Le don.

Philippe Lauzier & Carlo Costa interspace. Tour de bras – inexhaustible edition tdb 90063 – ie-060
https://inexhaustible-editions.com/ie-060/

Sincronia vaga en quatre parties numérotées I , II, III, IV composée par Carlo Costa et Soft routine composée par Philippe Lauzier. Celui-ci est crédité clarinette basse, synthé, haut-parleurs et objets et Costa percussions et objets. Musique contemporaine s’étalant dans l’espace et la durée. Les deux musiciens alternent clairement leurs interventions espacées en intégrant un silence vécu et ressenti. Notre écoute a le loisir de caresser la douceur du souffle de la clarinette basse et ressentir les légères vibrations d’ éléments de percussions qui s’élancent lentement dans l’espace auditif l’un après l’autre (temple blocks, chimes, gongs, lamellophone etc..). C’est un travail minutieux, un enchaînement de sonorités contiguës qui s’agrègent un instant. Un synchronie « minimaliste. Et le feeling et le caractère de cette Sincronia vaga se retrouve dans Soft routine. La précision ici est portée au maximum dans les coïncidences, les accords entre les hauteurs des timbres, le transport diagonal de l’éphémère unisson et la dynamique. Ce sentiment d’élévation de chacun de ses unissons est un des caractères fondamentaux de cette suite. Est-ce un exercice de style ou une projection sincère de la sensibilité des deux musiciens ? Je penche pour la deuxième option, car il y a dans cette œuvre une profonde sensibilité, une expression pleine de gravité et une immobilité gravitationnelle réussie. Interspace est un titre d’album qui convient bien à cette musique, un travail réalisé avec beaucoup de soin, de préparation qui conte une fable sur une réalité vivante de la pratique musicale de qualité. Cela constitue une matière à réflexion : penser une forme de relativité dans l’univers des musiques créatives, improvisées ou expérimentales. Écoute recommandée.

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