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7 janvier 2025

Ulf Mengersen Lina Allemand Kamil Korolczuk/ Floros Floridis Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues Ulf Mengersen/ Nathalie Peters & Sebi Tramontana/ Anne Foucher & Jean-Marc Foussat

Computation Intensive Spontaneousness True Stomach of A Bird Ulf Mengersen Lina Allemand Kamil Korolczuk Citystream CYTCD0010
https://ulfmengersen.bandcamp.com/album/computation-intensive-spontaneousness

Un trio contrebasse (Ulf Mengersen) trompette (Lina Allemand) et synthé modulaire et bandes magnétiques (Kamil Korolczuk). 12 improvisations, courtes pour la plupart. Ulf Mengersen a déjà laissé quelques bonnes traces enregistrées. Il fait partie de The Chemical Expansion League avec l’improbable Adam Bohman aux objets amplifiés et ses deux collègues parmi les plus proches, les saxophonistes Sue Lynch, ici aux sax ténor, clarinette et flûte, et Adrian Northover crédité alto et soprano, wasp synthesizer et autoharp. Comme tous les groupes d’Adam Bohman, les titres farfelus des morceaux sont de sa plume : leur dernier CD s’intitule Salute Rabid Raspberry et il y est question d’une Armed Rhubarb Rhumba Visiblement, Ulf Mengersen a une inspiration similaire : on entend une Stereo Based Inflamation ou une Sound Border Patrol. Parenthèse fermée et en avant la musique ! Celle-ci démarre un peu bruyamment dans les 3:18 de New Village Pharmacists, mais au fil des pièces suivantes, l’inspiration évolue pour un mieux et atteint un excellent niveau de jeu, d’invention, de cohésion du trio, une dose de folie. La trompettiste Lina Allemand se bonifie d’une plage à l’autre requérant de nouveaux sons en étendant les techniques de souffle et de bruissement de sa trompette. Kamil Korolczuk au synthé modulaire fait plus qu’honorer l’instrument, il en divulgue graduellement les propriétés plastiques et soniques de manière orginale. Comme il le fait adroitement avec des musiciens aussi compétents qu’Ernesto et Guilherme Rodrigues et Floros Floridis dans Xafnikes Synantiseis (Creative Sources), le contrebassiste Ulf Mengersen s’intègre adroitement dans le trio, complétant intelligemment le propos des deux autres et conférant la densité sonore et le feeling qu’il se doit pour placer le trio sur orbite. S’il y a déjà plusieurs trouvailles, les derniers morceaux sont gagnants quelques soient leur orientation ludique et l’ambiance sonore. Comme ils le disent, ils se veulent non conventionnels à tout point de vue et inclassifiables ! C’est réussi.

Une question : il y a un album avec Adam Bohman où figurent des titres à coucher dehors « d’inspiration bohmanesque » et qui ne sont pas de sa plume (j’en suis témoin !). Et donc, la question est la suivante : lequel des albums des groupes dans lequel Adam Bohman joue et dont les titres des morceaux ne sont pas de sa plume ? Celui qui trouvera le premier la bonne réponse recevra gratos un CDR rarissime d’un groupe favori d’Adam Bohman. Bonne chance ! Pour m’atteindre par courrier, il suffit de répondre sur ma page Facebook ou de demander à un musicien de vos amis de vous filer mon contact.

Xafnikes Synantiseis Floros Floridis Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues Ulf Mengersen Creative Sources CS819CD
https://ernestorodrigues.bandcamp.com/album/xafnikes-synantiseis

« Musique de Chambre » à l’abord grave et austère, mais aussi ludique, soyeuse, pleine de fictions, lyrique, expressive avec une science harmonique et une maîtrise exceptionnelle des voicings des cordes d’un point de vue harmonie, dissonances, spectralisme et … une énergie faite de bourrasques, grondements et soubresauts pointillistes ou un hiératisme classique contemporain pour ouvrir les débats. Adjoindre une clarinette « free », qu’elle soit en mi-bémol ou contrebasse avec l’alto (violon « alto »), le violoncelle et la contrebasse et l’intégrer, l’accorder aussi bien au sein du trio à cordes est une belle idée qui tombe sous le sens. Mais nous offrir une réussite d’une telle envergure, d’une telle qualité, avec autant de sensibilité est un bel exploit musical. S’il y a de toute évidence un savoir-faire qui provient du classique contemporain, les quatre musiciens, Floros Floridis aux clarinettes, Ernesto Rodrigues à l’alto, son fils Guilherme au violoncelle et Ulf Mengersen à la contrebasse ont cette capacité d’inventer immédiatement chacune des 6 improvisations avec force détails, un sens du timing époustouflant, une invention sonore toujours renouvelée, une alternance dans les actions individuelles séparées par des silences de l’un ou l’autre des cordistes sans qu’on devine qui que quoi. Compositeurs de l’instant et découvreurs de sonorités qui s’intègrent adroitement dans une véritable dimension orchestrale. En suivant attentivement chacun des six morceaux à la file, vous découvrirez une variation parfois radicale dans les formes, les cas de figures, les procédés compositionnels nés de l’action et du jeu, les textures les plus diverses, du vif éclair au languissant, de superbes oscillations de fréquences et d’harmonies stochastiques qui sont ressenties par les mouvements du corps et l’extrême sensibilité des musiciens et les déconstructions « conflictuelles » des paramètres de la musique écrite où notre clarinettiste hoquète, growle, s’écrie, rage... Tout cela dans une suite ou chacun des six morceaux gravite ou flotte dans un univers focalisé avec précision par une intention musicale très particulière, mais non préméditée. Du très grand art ! Pour un superbe clarinettiste tel que Floros Floridis, la paire des Rodrigues est à la fois un challenge et une bénédiction avec la complicité de Mengersen. Ils partagent de nombreux affects expressifs avec une grande subtilité qui s’impriment magnifiquement dans les moindres nuances de leurs jeux respectifs. Floros Floridis est un des clarinettistes parmi les plus compétents avec une subtile saveur hellénique, aussi saxophoniste et toujours adapté dans les différents groupes auxquels ils participent (pour rappel Paul Lytton, Louis Moholo, Gunther Sommer, Peter Kowald, Okay Temiz). Creative Sources a publié en son temps l'excellent album Penetralia du trio GRIX avec Floridis, Antonis Anissegos et Yorgos Dimitriadis. Ulf Mengersen navigue à vue et fait exactement ce qui doit être joué au bon moment en s'intégrant excellement dans cette équipe haut de gamme. Xafnikes Synantiseis est aussi une œuvre à dimension humaine, existentielle et prodigieuse de musicalité.
Tous, tous, tous convergez vers https ://ernestorodrigues.bandcamp.com , l’île portugaise aux trésors phoniques et sonores.

Nathalie Peters & Sebi Tramontana live at Frequenze Libere DDD
https://digitaldddd.bandcamp.com/album/sebi-tramontana-natalie-peters-live-at-frequenze-libere
https://nataliepeters.ch/2024/10/18/cd-release-sebi-tramontana-and-natalie-peters/
Le tromboniste Sebi Tramontana aime à vocaliser joyeusement dans son trombone et sa sonorité découle du jazz swing décontracté qu’il distend et éclate avec des effets de souffles, des glissandis et aigus jouissifs, des bruitements colloquiaux, chaleureux autant que Roswell Rudd ou Nick Evans . Idéal pour ce duo avec une vocaliste expressive, délurée et audacieuse telle que Natalie Peters. Celle-ci vit plusieurs vies au travers de sa superbe voix avec hyper aigus tordus au fond du gosier, glossolalies improbables, inventions phoniques, dérapages existentiels et toute une gamme de sonorités, textures et de méli-mélodies fofolles à souhait. Leur association scénique est avant tout ludique et spontanée, instantanée et festive. Ces deux là communiquent leur plaisir d’inventer des interactions et de communiquer cette folle joie de vivre. Mais cela peut devenir mélodramatique ou frénétique. Derrière l’impression qu’ils dégagent, se trouvent un métier de chanteuse et de tromboniste, une assurance de soi dans le feu de l’improvisation, un feeling sincère et une intense générosité. Les suivre seconde après seconde est une véritable découverte, la chanteuse ayant plus d'un tour dans son sac et un abattage peu commun, sans pour autant nous étourdir avec excès, et son collègue regorge d'inventivité gouailleuse. C'est du solide ! Natalie est suissesse et Sebi (Sebastiano) est italien. Ils ont choisi cet enregistrement réalisé à Locarno, ville suisse de langue italienne pour se sentir chez eux de part et d’autre, au bord d’un lac face aux sommets des Alpes sur cette voie de communication millénaire qui relie Bâle et Zurich à Milan via le col du St Gothard. Et donc pour mieux se comprendre. Comme ils expectorent un maximum pour chanter et jouer à tue-tête, rien de tel que le grand air Alpin à seulement quelques centaines de mètres d’altitude. C’est à eux de grimper sur les sommets.

Chair ça Anne Foucher & Jean-Marc Foussat FOU FR-CD 61
https://fourecords.com/FR-CD61.htm

Un album à dominante électronique un brin artisanale pleine de poésie et de belles trouvailles. En sus du violon, Anne Foucher manie l’électronique de manière avantageuse car ses sons, son enveloppe sonore se distingue clairement du synthé AKS de Jean-Marc Foussat (FOU c’est lui). Deux longues improvisations enregistrées le 1er novembre 2022 à Montpellier et le 5 novembre suivant à Bignac : Circonstances Enfreintes (25’22’’) et Nature du Bonheur (L’amateur d’Aube) (22’09’’). La musique se décline dans des évolutions dynamiques, éthérées, circonvolutives, spatialisées ou convulsives. On y entend le violon utilisé avant toutcomme source sonore de manipulations électroniques, des boucles qui s’échappent de leurs prisons, des ambiances sombres ou élégiaques, de curieux chants d’oiseaux, des grondements sourds et des accélérations de moteurs.. L’interconnexion et l’équilibre entre les deux artistes coexistent pour le mieux, chacun prenant des initiatives heureuses pour s’intégrer successivement aux propositions de l’autre. Fort heureusement, cette musique inclassable est un beau témoignage des possibilités expressives instantanées des instruments électroniques. Et on a droit à un Poème de Paul Nougé dit par J-MF et ça me fait penser que je devrais emmener Jean-Marc dans le légendaire bistro Q.G. de ce poète avec Marcel Mariën, Magritte et compagnie, La Feuille en Papier Doré, la prochaine fois qu’il sera de passage à Bruxelles. Il y joue aussi du piano « en l’état »… Au fil des années de pratique, J-M Foussat a peaufiné ce qu’il peut extraire de son matériel et comment mettre ses trouvailles en commun avec l’imagination des autres. Et je dois dire qu’Anne Foucher trouve en elle-même de quoi alimenter et mettre en valeur la musique du duo. Tout ce qu’elle joue ici est une intéressante et belle contrepartie au travail de son collègue. Bien qu’il soit un fervent anti-capitaliste, on peut dire que la musique de J-M F s’est bonifiée en cumulant de nombreuses expériences qui augmentent son potentiel de réussite… en concert. Jean-Marc Foussat documente fréquemment nombre de ses concerts sur son label FOU Records en collaborant indifféremment avec des artistes à la notoriété internationale qui ont fait plus que leurs preuves (Evan Parker, Daunik Lazro, Joe Mc Phee, Urs Leimgruber) et des artistes nettement moins connus dans la sphère improvisée (Xavier Camarasa, Marialuisa Capurso, Guy-Frank Pellerin, JJ Duerinckx), car ce qui compte c’est ce qui se passe sur scène et ce que ses micros ont capté et surtout la camaraderie et la passion. Et je dois dire que cette nouvelle collaboratrice, Anne Foucher, co-signe ici une musique qui fait bien plus que passer la rampe.

5 janvier 2025

Carlos Zingaro João Madeira Sofia Borges/ Daunik Lazro Tristan Honsinger Jean-Jacques Avenel/ Ernesto Rodrigues Carlos Santos Miguel Mira/ Martin Walter Matthias Boss Marcello Magliocchi

Trizmaris Carlos Zingaro João Madeira Sofia Borges 4DA Records 4DRCD 013.
https://joaomadeira.bandcamp.com/album/trizmaris
Trois générations d’improvisateurs portugais pour une belle musique expressive, subtile et énergique. La percussionniste Sofia Borges se définit aussi comme compositrice dans l’univers des musiques contemporaines et utilise des objets usuels, outils de travail, boîtes musicales et jouets. Elle a justement publié un panorama intéressant de ses réalisations dans le double CD Trips and Findings publié par le même 4DA Records, label au catalogue en expansion piloté par le contrebassiste João Madeira. Celui-ci se révèle comme un artiste qui compte, collaborant activement avec Ernesto Rodrigues, Guilherme Rodrigues, Bruno Parrinha, Hernani Faustino etc… soit la galaxie Creative Sources et, bien sûr le violoniste Carlos Zingaro, le doyen de cette vivace scène portugaise, que nous retrouvons dans ce Trizmaris où les deux cordistes, violon et basse, donnent le meilleur d’eux-mêmes avec le travail subtil, la délicatesse même et le sens de la dynamique sonore de la percussionniste laissant le champ libre à la spontanéité de leurs improvisations. Le jeu de Carlos Zingaro a un caractère microtonal spécifique qui l’identifie immédiatement ou autrement dit il imprime de minimes altérations, accentuant les intervalles entre les notes de la gamme qui sont sa marque de fabrique personnelle. On peut visualiser les mouvements de son archet créant des spirales et des circonvolutions qui évoquent le vol d’oiseaux dans un ciel lumineux. Son collègue contrebassiste offre une contrepartie dynamique et créative puissante, élégante et souvent audacieuse dans l'équilibre des forces, outrepassant allègrement le rôle de "support" assigné à la contrebasse dans les musiques plus conventionnelles. Il y a une dimension orchestrale dans son travail qui revêt plusieurs changements successifs de registres et d'approches et crée des formes mouvantes en phase avec ses deux comparses. Un sens très sûr de l'initiative. Au fil de quatre longues improvisations (I II III et IV) de 13’48’’, 7’38’’, 17’45’’ et 9’31’’, le trio explore des paysages sonores variés, chacune d’elles constituant une véritable composition instantanée avec sa logique propre et une sensibilité distincte. Car, sensibilité et raffinement sonore sont ici le maître-mot, combinés avec l’énergie primale de la free-music atavique. Leur interactivité et leur écoute fonctionnent avec différents modus vivendi, João Madeira travaillant sa contrebasse à l’archet sur le même plan que celui de Carlos Zingaro. Le savoir-faire expressif de Sofia Borges à la percussion émerge le mieux dans le III où Zingaro nous fait un envol sottovoce irrésistible et où le trio étend ses trames dans des ramifications extensibles et fantasmatiques. Une mention spéciale à João Madeira : au fil des enregistrements, il est devenu un improvisateur créateur incontournable dans son pays et son label 4DA records au catalogue grandissant tient une place à part parmi les autres étiquettes portugaises dédiées aux musiques que nous aimons.

Dunois 9 Mai 1982 True & WholeTones in Rythms Daunik Lazro Tristan Honsinger Jean-Jacques Avenel. FOU Records FR - CD 66
https://www.fourecords.com/FR-CD66.htm
Voici une étape supplémentaire et tout aussi essentielle que les albums d’archives précédents du saxophoniste Daunik Lazro et cie enregistrés et publiés par Jean-Marc Foussat et Fou Records : DUO de Lazro et JJ Avenel, ecstatic jazz : Lazro, Avenel et Siegfried Kessler, Enfances : Lazro, George Lewis et Joëlle Léandre. Sans parler du tandem Annick Nozati et Daunik avec Sept Fables sur l’Invisible au catalogue de Mazeto Square. Comme le titre l’indique, il y a un aspect rythmique ou « pulsationnel » dans la musique jouée par ce trio du feu de l’enfer. Tristan Honsinger scie littéralement son violoncelle à tout va avec des accents rageurs et en filigrane des structures cycliques sauvagement enchâssées et tourneboulées. Cela convient à merveille au contrebassiste Jean-Jacques Avenel, lequel devint un remarquable joueur de kora africaine dont on entend déjà l’écho ici . S’ajoutent à cela la voix et les exhortations divagantes de Tristan Honsinger et l’emploi sauvage et borborygmique du tubausax, soit un sax alto muni d’un tuyau supplémentaire entre le tube et la partie supérieure où se trouve l’embouchure : la magie fonctionne. Daunik Lazro nous livre des improvisations charnues et mordantes en cascades irrégulières de riffs détraqués nourries par une écoute intensive d’Ornette, Dolphy, Braxton et aussi, Roscoe Mitchell comme on peut l’entendre précisément à certains moments. Deux « improv. » incluant des compositions : Pat (Lazro) et Ever Never (Honsinger) sur 14’16’’ et l’autre sur 39’30’’ avec Cordered (Lazro) et Canoë (Avenel). Ce trio avait joué au festival de Willisau avec Toshinori Kondo à la même époque ; il en reste un témoignage dans le double LP Sweet Zee publié par Hat Hut. C’est vraiment un excellent témoignage avec de magnifiques emprunts inspirés des musiques caraïbes et africaines et des échanges de pizzicati rebondissant et tournoyant entre le violoncelliste et le contrebassiste. Si des labels comme FMP, Moers Music ou Black Saint avaient publiés ne fût-ce que deux ou trois des enregistrements mentionnés plus haut, cela aurait changé pas mal de choses, non seulement pour Daunik Lazro, mais aussi pour la scène française du free en augmentant la synergie internationale. Le Dunois était un haut-lieu brûlant des musiques improvisées et à l’écoute de ces True & Whole Tones in Rythms et aussi du coffret FOU Records « Topologie Parisienne » avec Han Bennink/ Derek Bailey/ Evan Parker, on en est tout à fait convaincu. Et si je vous dis que, en plus, FOU Records a publié un quartet réunissant Fred Van Hove Annick Nozati Paul Lovens et Daunik Lazro, vous allez fulminer et vous faire un solide brelan d'as aux rois avec les cinq cédés de Daunik Lazro et sa bande d'allumés chez FOU Records. Servez-vous tant qu'il est encore temps, car cela a mis le temps de voir le jour (quarante ans et plus) et que depuis Daunik joue du sax ténor et Tristan et Jean-Jacques nous ont tous les deux quitté. De temps en temps, il vaut mieux être un peu FOU.

The knowledge that our time is limited can inspire us Ernesto Rodrigues Carlos Santos Miguel Mira Creative Sources CS847CD
https://ernestorodrigues.bandcamp.com/album/the-knowledge-that-our-time-is-limited-can-inspire-us

Le label Creative Sources est un point de rencontre de l’improvisation contemporaine radicale qui explore sans relâche toutes les occurrences sonores sous la houlette collective d’Ernesto Rodrigues et ses comparses Carlos Santos, Guilherme Rodrigues, Miguel Mira, Nuno Torres, Bruno Parrinha, José Oliveira, João Madeira, Hernani Faustino, Flak, et de nombreux autres tous localisés au Portugal. Dans l’exceptionnelle production du label, exceptionnelle tant en quantité d’enregistrements (850 et plus), qu’en qualité musicale, qui documente leurs musiques, il convient de distinguer deux types de projets. D’une part, les enregistrements consacrés au travail collectif des Lisboètes proprement dit, lequel a une forte identité dans leur recherche sonore, et d’autre part leurs tentatives de plus en plus souvent réussies avec des artistes extérieurs à leur cercle, même si ces musiciens ont une esthétique bien différente (récemment Frank Gratkowski, Floros Floridis, Alex von Schlippenbach et antérieurement Birgit Ulher, Alex Frangenheim, Jean-Luc Guyonnet, Sharif et Christine Sehnaoui, etc…. « The knowledge that our time is limited can inspire » est le parfait exemple de la vivacité et de la continuité créative de la galaxie Rodrigues et compagnie. Miguel Mira est un super violoncelliste avec un jeu sensible et raffiné dans les moindres détails en complète empathie avec les trames et ondulations oscillatoires d’Ernesto Rodrigues, lequel entretient une relation particulière avec son fils Guilherme, violoncelliste établi à Berlin depuis un certain nombre d’années. L’alto est un instrument plus compliqué que son petit frère le violon, mais Ernesto en tire les sonorités les plus irisées, soyeuses, sifflantes, en frôlant les cordes de son archet magique au plus proche du silence. Son sens de la dynamique est absolument extraordinaire et la réalité de sa pratique musicale va bien au-delà du vocable « réductionniste », « textural » ou « minimaliste lower-case», enzovoort (etc…en flamand !). Miguel Mira rivalise d’inventivité et de sensibilité, conférant avec son collègue un miroitement lyrique irrésistible. Il faut tout le talent et l’esprit d’à propos de Carlos Santos au synthé modulaire – une machine hérissée de câbles vivement colorés, de boutons et molettes - pour s’intégrer au plus près des textures chatoyantes et étirées des deux cordistes durant une longue improvisation de 37:58 enregistrée le 2 octobre 2024 à Cossoul, Lisbonne et déjà publiée, car urgence. La précision extrême et la présence active, mais presque différée, de Santos apporte une dimension éthérée, cosmique à cette musique qui se liquéfie ou se gazifie en apesanteur dans une autre réalité gravitationnelle. Et croyez-moi, je suis muni d’une pile imposante de leurs CD’s, à la bande à Ernesto et compagnie, que j’écoute sans jamais m’ennuyer que du contraire. Ces artistes sont parvenus à bonifier leurs capacités à créer dans l'instant au point que leur contribution intéressante au départ est devenue essentielle.

Leocantor Trio Martin Walter Matthias Boss Marcello Magliocchi FMR CD689-524
https://marcellomagliocchi1.bandcamp.com/album/leocantor-trio-walter-boss-magliocchi

Enregistré dans l'église néo-gothique de St Jacques d'Escholzmatt à Lucerne en août 2023 par un improbable trio sortant de l'ordinaire. A t-on idée de joindre un orgue à tuyaux (pipe organ en anglais) à un binôme de zazous improvisateurs free tels que le violoniste Matthias Boss et le percussionniste Marcello Magliocchi ! L'organiste Martin Walter (Leocantor - Kapelmeister) s'est laissé prendre au jeu avec une grande bonne volonté et tout autant d'esprit d'ouverture à l'invention sonore de ses deux acolytes. Une petite explication tout à fait accessoire : Marcello Magliocchi, lui-même un super batteur professionnel a développé une inspiration particulière avec les "piatti", soit les cymbales et gongs ; surtout celles qui sont amoureusement réalisées par le facteur U.F.I.P. de Pistoia avec qui il a conçu des prototypes hors du commun. Or, il se fait que les responsables de cette entreprise centenaire, la famille Tronci est établie depuis au moins deux siècles dans cette ville dédiée au travail du cuivre et du zinc depuis la plus haute antiquité pré-romaine. Initialement, les ancêtres Tronci étaient des facteurs d'orgue réputés et ils se sont ensuite orientés vers la percussion métallique pour répondre à la demande croissante de cymbales pour les fanfares, harmonies et "bandas" italiennes. On entend d'ailleurs Marcello faire siffler une cymbale manufacturée à cet effet au moyen d'un archet. Ces sonorités confluent avec les ullulements de l'orgue dans les aigus et les notes étirées du violoniste Matthias Boss. Des drones subtiles et ondulantes dans le registre piano de l'orgue joué patiemment par Martin Walter évoluent vers un infini de suggestions harmoniques suspendues dans le silence alors que résonne le menu crépitement des micro-frappes sur les peaux avec des baguettes ultra-fines et que tintent des clochettes. De cette ambiance mystérieuse émerge la voix fantômatique du violon de Matthias Boss inspirée par je ne sais quel songe secret et l'aura sonore de son collègue organiste. Quatre titres se succèdent dans une suite cohérente et audacieuse mise en perpective par une prise de son judicieuse, d'une part, l'auditeur de ce compact aura l'impression d'être assis à une bonne distance des musiciens dans une rangée de chaises d'église, d'autre part, Matthias et Marcello jouant parcimonieusement en évitant d'occuper l'essentiel de l'espace sonore au profit des nuances des jeux de l'orgue. Une musique céleste à laquelle se joint le violoniste qui joue comme s'il faisait partie intégrante de la machinerie des tirants et tuyaux. Une collaboration musicale étonnante qui sort complètement des sentiers battus. Holi Shadows 13:08, LeoTor Holi Hope 6:50, Bunter Sonntag 13:36, LeoCanTor Holi Sacred Thoughts 15:05. C'est à la fois fascinant, mystérieux et entièrement différent - off the wall par rapport aux courants habituels qui agitent la sphère improvisée contemporaine. Merveilleux d'entendre des improvisateurs de la trempe des Boss et Magliocchi s'intégrer aussi finement à l'univers magique de Martin Walter, un musicien entièrement dédié à l'univers sonore et émotionnel de son instrument, l'orgue à tuyaux.

27 décembre 2024

Jac Berrocal Vincent Epplay Jorgen Teller Jakob Draminsky Hojmark / Iva Bittova Ivo Perelman et Michael Bisio/Vid Drasler Tom Jackson Daniel Thompson/ Ernesto Rodrigues Fred Lonberg-Holm Flak João Madeira José Oliveira/ Udo Schindler Nikolaus Neuser Georg Karger

Sparkling Sessions Copenhagen Jac Berrocal Vincent Epplay Tzarina re-Tuned FOU Records FR CD 60
https://fourecords.com/FR-CD60.htm
Artiste visuel et sonore, cinéaste expérimental multimédia trouble-fête, Benjamin Epplay a établi une collaboration intensive avec Jac Berrocal, le légendaire trompettiste à effets underground qui sévit depuis des décennies en marge du jazz et du post-rock. Ils se sont abouchés avec deux activistes de la scène expérimentale danoise, Jakob Draminsky Hojmark et Jorgen Teller, crédités keys ou sonic snare et vocal, Le Bastard dans un Sparkling Quartet pour 5 morceaux courts en forme de bric-à-brac expérimental électrique sonique réalisés en studio, illuminée par les enluminures éthérées de Berrocal à la trompette. À cela s’ajoute une partie enregistrée en concert pour 20 minutes déjantées. C’est sans façon avec des petits textes paroles en français. Le Concert qui s’étend sur les plages 6,7,8 documente le Sparkling Sextet, soit les artistes précédents rejoints par trois autres : la/le chanteuse/eur Tanja Schlander et Randi Pontoppidan et Per Buhl Acs au synthé. Une belle kermesse païenne, transgression électroïde au croisement de la performance art, du délire situationniste. Avec la voix instrumentale et une solide dose d’écho de Berrocal dans une dégaine de Miles à la punk parmi ce pandémonium faussement hasardeux. Est-ce Randi P ou V Epplay qui parle ? On trafique des sons des voix en écho ou en boucle decrescendo, on bafouille ou vocalise … ça percole … une bien étrange réunion sonique désarçonnante. FOU Records – Jean-Marc Foussat est bien un intrépide producteur de la musique improvisée libre intransigeante, il n'en est pas moins sans œillère, ouvert à toutes les aventures. Dont acte. Et Berrocal est toujours aussi Jac !

Vox Popoli Vox Dei Iva Bittova Ivo Perelman Michael Bisio Mahakala Music
https://ivoperelman.bandcamp.com/album/vox-popoli-vox-dei

Deux cordes , une voix, un sax ténor. À la contrebasse Michel Bisio, au violon Iva Bittova, au sax ténor Ivo Perelman et la voix libératrice de la même Iva Bittova chantant, s’écriant, murmurant, contorsionnant son émission vocale de manière intime, surprenante. Cet album composé de trois longues improvisations met en valeur toutes ses possibilités vocales expressives auxquelles le chant instrumental d’Ivo Perelman répond avec une magnifique inventivité lyrique, tous deux secondés par la contrebasse attentive de Michael Bisio. Ivo et Iva, deux prénoms prédestinés à se rencontrer dans une fascinante mise en commun de sons, de mélodies effilochées, d’improvisations intrépides, de fins dialogues et de dérives poétiques. Des narratifs surgissent de leurs rencontres réitérées comme s’ils s’inventaient des histoires communes, Je ne pense pas qu’on ait jamais entendu Iva Bittova chanter en compagnie d’un souffleur flamboyant d’obédience afro-américaine aylerienne, ni Ivo Perelman jouer avec une chanteuse au moment de l’ enregistrement de Vox Popoli en 2017. Son jeu détient un lyrisme irrésistible influencé par la « saudade » brésilienne. Ceux qui ont entendu parler et chanter le portugais brésilien vont directement identifier ces saveurs en écoutant le saxophone d’Ivo Perelman. Cette qualité vocale trouve un écho empathique et lumineux dans les vocalises délirantes d’Iva Bittova, une artiste exceptionnelle capable de conquérir tous les publics par son art désarmant et universel. C’est confronté à un problème au niveau des cordes vocales et en travaillent le chant, qu’Ivo Perelman s’est convaincu de l’importance de la voix humaine ou féminine. Cette rencontre providentielle est devenue une source d’inspiration mutuelle. Vous ajoutez à cela la complicité du contrebassiste Michael Bisio avec le traitement du violon de la chanteuse et avec les interactions du duo ou de Iva/Ivo dans leurs solos de voix ou de sax ténor avec la seule contrebasse lovée au centre de l'action, vous avez un tiercé gagnant. Les trois musiciens se mettent en valeur avec une réelle spontanéité, car toute la musique est ici totalement improvisée ou si vous voulez composée instantanément. Merveilleux.

Gozd Forest Vid Drasler Tom Jackson Daniel Thompson Sazas Jazz Cerkno ZJC CD 009
https://jazzcerkno.bandcamp.com/album/gozd-forest


Le clarinettiste Tom Jackson et le guitariste Daniel Thompson ont déjà une longue histoire commune avec des collègues comme l’altiste Benedict Taylor, le guitariste Dirk Serries, le trompettiste Roland Ramanan, et un premier album en trio avec le percussionniste Vid Drasler, Nauportus (Creative Sources). Cette dernière collaboration trouve sa continuité dans cette Forêt imaginaire. Les étonnantes micro-frappes du petit bout des baguettes touchant à peine les peaux (bongos ?) offrant un maximum d’espace pour le souffleur et le jeu discret du guitariste dans deux logues improvisations , The First Leaf & the Second Leaf Avec les années, Tom Jackson s’est forgé une voix singulière, une sorte de lyrisme à fleur de peau nostalgique et désenchanté en inclinant ses notes un peu au-dessus ou en dessous de la justesse exacte. Il imprime des lueurs languissantes. C’est pour l’introduction du premier morceau, parce que leurs improvisations virent volontiers à 180° avec les grands écarts contrastés de Daniel Thompson à la six cordes qui propulsent Jackson dans des aigus surpris et sautillants corroborés par les frappes décentrées du batteur. Silence …. Et puis le clarinettiste trace des boucles en solitaire suivi par Drasler qui se révèle petit à petit comme un vrai percussionniste free d’une point de vue conceptuel. Ça manque un peu de folie ( je me réfère à cet égard à Lovens Lytton Muir Turner qui sont vraiment dingues), mais son jeu est très subtil, précis et original. Vid Drasler convient parfaitement pour cette musique de chambre free improvisée qui permet à chacun de jouer égalitairement collectivement pour-que-l’auditeur-n’en-perde-pas-une goutte. Beaucoup de nuances, jeu parfois minimaliste qui respire et exhale l’écoute mutuelle et une grande sincérité. Peut-être aurait-il fallu couper (éditer) pour resserrer le narratif. Mais essayer de jouer ensemble de cette manière est une démarche de recherche dans le temps et la durée, contre le temps et dans l’instant. Et si c’est pour aboutir à ces aigus chatoyants à la clarinette et ce gauchissement subtil du souffle à la fois tendre et élégiaque et soudain en zig-zag. Et ces cisailles de clusters décalés à la guitare qui finissent par chauffer l’atmosphère. Depuis que je suis Daniel Thompson, je deviens enchanté par sa maîtrise de la complexité et son sens du collectif qui sait aussi se distinguer par cette déraison excentrique toute British, laquelle fait sursauter les baguettes de Vid Drasler sur les peaux. Un beau concert de décembre 2023.

The Giving Tree Moving On Ernesto Rodrigues Fred Lonberg-Holm Flak João Madeira José Oliveira Creative Sources CS784CD
https://ernestorodrigues.bandcamp.com/album/the-giving-tree-moving-on

Cela fait des mois que ce remarquable enregistrement stationne sur ma pile de CD’s à chroniquer et à côté de fichiers digitaux rassemblés dans des « playlists » Itunes qui n’attendent qu’à être ingurgitées, réécoutées, disséquées et décrites en quelques lignes de ma part. En fait, avec les albums enregistrés par Ernesto Rodrigues et ses acolytes d’un jour ou de tous les jours pour son label Creative Sources, on a sérieusement l’embarras du choix : c’est sûrement la production d’enregistrements de musiques improvisées libres la plus dense et la plus documentée qui soit. On est arrivé ici au n° 784 avec cette session du 13 mars 2023 et on aborde déjà l’année 2025 avec le n° 849 : le génial cd Double Whispers in the Moonlight du trio de base Nuno Torres, Ernesto et Guilherme Rodrigues, et le n° 854 : Meari Instant Waves avec Ernesto, Jung Jaekim au saxophone et Alvaro Rosso à la contrebasse que je n’ai pas encore écouté. Ces dernières années, je pense avoir eu entre les mains de nombreuses perles, de magnifiques improvisations auxquelles Ernesto, son fils Guilherme et leurs proches amis portugais participent ou des artistes étrangers comme l’incontournable violoncelliste chicagoan Fred Lonberg-Holm. Ces dernières années certains de leurs projets ont rassemblés des artistes tels que Gunther Sommer, Alex von Schlippenbach, Carlos Zingaro, Axel Dörner, Frank Gratkowski, Michael Griener, Floros Floridis, Ute Wassermann, Alexander Frabgenheim, Eva-Maria Houben, Simon Rose en s’écartant souvent fortement de leur trajectoire « réductionniste » « minimaliste » « bruitiste » révélée au début du label en 1999-2000. Ces enregistrements sont très souvent des réussites cohérentes où s’affirment toujours les caractéristiques de l’univers des Rodrigues et consorts en symbiose avec celles de leurs invités. Mais ce qui rend leur travail et leur démarche esthétique essentiel va bien au-delà du fait de s’aligner avec des improvisateurs à la notoriété aussi indiscutable que les Alex, Gunther, Fred, Carlos, Ute etc… . En suivant le travail d’Ernesto son fils Guilherme et ses camarades, Carlos Santos l’électronicien réalisateur exclusif des pochettes CS, les bassistes João Madeira, Alvaro Rosso, Hernani Faustino, le violoncelliste Miguel Mira, les guitaristes Abdul Moi-Même et Flak, les souffleurs Nuno Torres et Bruno Parrinha, le percussionniste José Oliveira etc… se découpe une ligne de force, un projet collectif auxquels se sont joints de nombreux musiciennes et musiciens. Par exemple avec leur Variable Geometry Orchestra ou l’ensemble IKB. Au fil des années, ce noyau d’artistes s’est étendu à une communauté active au Portugal et au-delà des frontières en bonifiant et optimisant son niveau musical et créatif avec la plus grande exigence esthétique et musicale. Aussi le label Creative Sources a servi la cause de nombreux improvisateurs dans toute l’Europe en publiant des centaines d’enregistrements parmi les plus aventureux. On peut facilement imaginer le travail colossal que représente la production de huit cent cinquante compacts en l’espace de 25 ans et toute la générosité et le dévouement insufflés avec un sourire et une simplicité désarmantes. Ernesto et ses proches sont des artistes de la stature des John Stevens et John Russell autant pour leur talent intrinsèque que pour leur intense travail COLLECTIF au plus grand bénéfice de la scène improvisée, œuvre d’une valeur inestimable bien au-delà leur contribution artistique individuelle. D’ailleurs, le premier CD CS001, Multiples avec Ernesto, Guilherme et José Oliveira était dédicacé à John Stevens, ce qui veut tout dire.
Alors cet Arbre « Donnant » qui bouge (en avant) décliné en huit parties fait songer au rêve de John Stevens tel qu’il l’a narré à Victor Schonfield. « Nous avions un saule dans le fond du jardin et j’observais cet arbre, les oiseaux et l’herbe en pensant « Bon, nous (les musiciens du Spontaneous Music Ensemble) pourrions être comme cela ». Nous pourrions être tout proche de la nature, si nous apprenions comment interagir. ». J’entends ici se développer une musique sauvage, d’une grande finesse avec une multiplicité d’attributs sonores, de textures, d’actions instrumentales, vibrations, filetages, grincements, éclats, de magnifiques nuances qui se joignent, se défont, s’évanouissent ou surgissent tout de go, s’agrègent étrangement, accélèrent leur ou sont concassées inexorablement. L’écoute mutuelle est à la hauteur de l’esprit d’à-propos et de leurs intuitions instantanées. Une réussite musicale au niveau des meilleurs albums publiés par CS chroniqués dans ces lignes depuis des années.

Rhapsodic Topologies Udo Schindler Nikolaus Neuser Georg Karger FMR FMRCD646-1222

Trio sans batterie : Udo Schindler clarinettes et cornet, Nikolaus Neuser trompette et Georg Karger contrebasse. 4 Rhapsodic Topologies en forme de trilogues concertés, éclatés, chercheurs, lyriques, étagées en durée longue (22 :26), medium (11 :40) ou courtes ( 6 :50 et 6 :40). Nikolaus Neuser est un trompettiste doué, chercheur – trouveur ès techniques alternatives qui se retrouve parfois confronté avec le cocasse cornet d’Udo Schindler, le commanditaire de cette session concert 21 mai 2022 à la Galerie arToxin de Munich. Udo vocalise dans l’embouchure et le pavillon comme au bon vieux temps. Cela ajoute une couleur bienvenue en forme de bonne humeur qui complète agréablement les effets de souffles et spirales ésotériques de Neuser. Veillant au grain, le contrebassiste Georg Karger décoche les bons traits dans l’entre-deux assurant un lien, un liant dans cette formule en trio réussi(e). D’un morceau à l’autre, on l’entend dans plusieurs registres tout comme ses deux collègues enrichissant la palette de ce trio pas comme les autres. Cette réunion se déroule en se bonifiant au fil de chaque morceau et d’une improvisation à l’autre. Ludique à souhait, parfois lyrique ou dérapage sonore garanti. Au fur et à mesure que je suis les enregistrements d’Udo Schindler avec ses nombreux comparses, je constate que la musique se ramifie, progresse et les échanges deviennent plus fins, plus subtils et plus requérants pour une oreille exercée. Recommandable. Remarque : vu que Udo Schindler a beaucoup documenté son travail avec un très grand nombre de parutions, je n’ai pas pu trouver de lien pour cet album.

26 décembre 2024

Orynx-improv'andsounds Blog Reads- Sights - Hits /// Lists of the great duo albums of these recent months, 2024 two last years . Happy New year 2025 !



Just one see of the recent statistics of our Blog. So the improvisers and musicians who are sending - giving me up CD's , LP's and digital files to me, thankfully, can see that they don't waste their energy and times. I am trying to write as much it is possible considering my writing capabilities and readers/ followers give us some credit. + 3.900 hits in November 24 and + 3600 in December until 26th
So thanks to everyone who is feeding my enthusisasm and curiosity and who has showed interest since 2011


Only DUOS !!
Intenso como o Mar Ernesto & Guilherme Rodrigues Creative Sources CS809CD
https://ernestorodrigues.bandcamp.com/album/intenso-como-o-mar
Cochlea João Madeira & Jose Olivares 4DA Records CD
https://joaomadeira.bandcamp.com/album/cochlea
Sept Fables sur l'Invisible Daunik Lazro & Annick Nozati Mazeto Square CD
https://www.mazeto-square.com/product-page/sept-fables-sur-l-invisible-digital
Time Textures Adrian Northover & Marcello Magliocchi Empty Birdcage EBR011 CD
https://emptybirdcagerecords.bandcamp.com/album/time-textures
AIR Vol. 2 Urs Leimgruber Duos with : Joëlle Léandre Magda Mayas Dorothea Schurch 3CD Creative Works CW1076
https://creativeworksrecords.jimdoweb.com/airvol2/
Oiseaux Imaginaires Stefano Agostini & Guy-Frank Pellerin album digital Spring Art Development
DUO 13 Novembre 1980 Jean-Jacques Avenel & Daunik Lazro FOU RECORDS FR CD 68
https://www.fourecords.com/FR-CD68.htm
Breath Awareness Derek Bailey & Sabu Toyozumi No Business Records CD
https://nobusinessrecords.bandcamp.com/album/breath-awareness
Loose Connections Paul Lytton & Georg Wissel Confront Recordings core 46 CD
https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/loose-connections
The Jugglerdrum Ra Kalam Bob Moses & Jerome Bryerton Balance Point Acoustics
https://balancepointacoustics.bandcamp.com/album/the-jugglerdrum
Crossland Frangenheim Basic Tracks Baltimore New-York Patrick Crossland & Alexander Frangenheim Concepts of Doing COD 010 LC 10087 CD
http://frangenheim.de/news
Murmuration Michel Doneda & Alex Frangenheim FMR Records FMRCD685-1023
Live / Studio Phil Durrant & Daniel Thompson Bead Records Bead 49
https://beadrecords.bandcamp.com/album/live-studio
Schnellissimo Matthias Boss & Marcello MagliocchiPlus Timbre
https://plustimbre.bandcamp.com/album/schnellissimo
Father, Son and Holy Sound Zlatko Kaucic & Gal Furlan Klopotek IZK CD1K52
https://www.youtube.com/watch?v=OEua95tD_N0
Edged Once Fractured Karoline Leblanc & Paulo J Ferreira Lopes atrito afeito 013
https://karolineleblanc.bandcamp.com/album/edged-once-fractured
two lives Phil Minton & Szilárd Mezei inexhaustible editions CD IE-66
https://inexhaustibleeditions.bandcamp.com/album/two-lives
Turning Point Duologues n°1 Ivo Perelman & Tom Rainey Ibeji digital
https://open.spotify.com/intl-fr/album/3EhYTBT44vUjoLI41UuZQw
Magic Incantation Ivo Perelman & Matthew Shipp CD Soul City Sounds
https://perelmanshipp.bandcamp.com/album/magical-incantation
Corps et Biens MouthWind : Lawrence Casserley & Jean-Michel Van Schouwburg Creative Sources CS853CD
https://creativesources.bandcamp.com/album/corps-et-biens-hommage-robert-desnos
Hands and Tongues, 3 Meta Dialogues J-M Van Schouwburg & Pascal Marzan/Bill Young & Noel Taylor/ Rodrigo Brandão & João Madeira 4DA Records
https://joaomadeira.bandcamp.com/album/hands-and-tongues-3-meta-dialogues

16 décembre 2024

Misha Mengelberg SOLO/ Carine Bonnefoy Jean-Marc Chouvel Pascal Marzan Roula Safar/ Jean-Jacques Avenel & Daunik Lazro/ Davide Barbarino Géraldine Ros Jean- Brice Godet

Misha Mengelberg Ghent Solo 1993 ICP digital
https://icporchestra.bandcamp.com/album/misha-mengelberg-ghent-solo-1993

Enregistré le 23 Novembre 1993 à Gand et retrouvé dans les archives personnelles de Misha Mengelberg après sa mort, ce concert en solo est une belle aubaine. Même un beau miracle. Je m’étais consolé de son départ avec le superbe Untrammelled Traveller en duo avec le batteur Sabu Toyozumi (Chap- Chap Records). Sabu Toyozumi qui est un personnage hors du commun, considère Misha comme étant son gourou n°1 en musique improvisée ! Mais voici une somme de tout qui rendait le jeu et les improvisations de Misha Mengelberg, un artiste unique et extrêmement attachant. Misha est un poseur de questions, un artiste qui pousse à nous faire réfléchir. Sa musique un peu folle se nourrit des singularités des grands pianistes de jazz comme Thelonious Monk, Herbie Nichols, Ran Blake, et Cecil Taylor jeune, des compositeurs tels Schönberg ou Webern, voire même John Cage, et des pianistes de cinéma muet ou de cirque. Il y dans sa musique une dose de dadaïsme Fluxus (mouvement dont il fit partie), l’air libre des musiques populaires, la plus grande simplicité et une absence de prétention. Au travers de développements de motifs dodécaphoniques et d’enchaînements non sensiques, peut surgir des allusions / fragments de Monk à la Monk (on s’y croirait). Ou la joie ludique enfantine d’une ou deux notes simplistes enfoncées et réitérées avec force en contraste avec un fragment de mélodie qui se déglingue ou s’enroule sur lui-même. Farfelu et magique. Son premier album solo Pech Onder Weg (1979) est un catalogue saugrenu de trouvailles, un herbier excentrique. Ghent Solo 1993 est une véritable tranche de vie qui sert autant à être écoutée qu’à vous faire réfléchir sur la valeur du contenu de la musique, sa finalité. Une forme d’humour, un sens du sarcasme d’accordeur et une véritable bonhommie. Et non pas une marchandise culturelle savante et éduquée …Son sens mélodique est très sûr, comme ceux de Paul Bley ou Ran Blake, Mal Waldron ou Thelonious Monk, on le reconnaît immédiatement. Adorable.

Jusqu’au soleil , l’improbable CIEL : Carine Bonnefoy Jean- Marc Chouvel Pascal Marzan Roula Safar Hortus 239
https://www.editionshortus.com/catalogue_fiche.php?prod_id=313

CIEL pour Collectif d’Improvisation Expérimental Libre. L’idée et la pratique de l’improvisation libre (expérimentale) a été mise à toutes les sources et à toutes les sauces au fil des décennies. Et cette pratique s’est étendue à un nombre exponentiel de musiciens de toute origine, obédience, venus des horizons du classique contemporain, académique ou alternatif, du jazz, du rock, des arts graphiques, de la danse, du théâtre et... autodidactes et cette multipolarité en fait tout l’intérêt. La pianiste Carine Bonnefoy a réuni le clarinettiste Jean-Marc Chouvel, la chanteuse lyrique mezzo-soprano Roula Safar et le guitariste Pascal Marzan avec sa guitare à dix cordes accordée au sixième de ton. Quel qu’en soit le « résultat musical », le fait de vouloir créer ou essayer à faire de la musique en improvisant est une expérience ou un mode de vie ou une nécessité ou simplement un essai etc… Et quelques soient les intentions personnelles ou le but ultime pour élaborer des formes, des sonorités, ... chacun s’autorise son parcours personnel, intime, rêvé en toute indépendance d’esprit ou suivant des formules, des idées etc… Il reste la liberté de l’auditeur. On découvre ici une musique raffinée, des dialogues précieux : la pianiste et le clarinettiste dans Corail. Des interventions du troisième type : la guitare en sixième de ton déguisée en harpe céleste dans Pourquoi ?. Le concours percussif de la chanteuse et la vocalisation de la clarinette – glissandi originaux - (Pourquoi ?). Il y aussi la capacité à faire cheminer une improvisation dans différents niveaux d’échanges, d’affects… minutieusement et spontanément, de nouveaux apports de plus en plus audacieux, ainsi qu'à doser ces trouvailles au fil des huit improvisations de manière évolutive. Chaque morceau acquiert une identité propre qui le distingue du précédent. Remarquable ! Petit à petit, la voix de Roula Safar se libère, improvise, la clarinette de Jean-Marc Chouvel s’envole, lumineuse ou atterrit, sombre. Les doigtés main gauche main droite de Pascal Marzan s’insèrent adroitement au milieu des échanges. De belles cadences cristallines sous les doigts de Carine Bonnefoy entraînent la féerie de la voix et du souffle (Cornet). Le souffle de JM Chouvel devient audacieusement microtonal : « jusqu’au soleil ». Et on appréciera le chant « naturel » de Roula Safar dans ses improvisations. Pour qui vient du classique stricto sensu, il y a bien une appétit d’aventures hors des sentiers battus. Moi, personnellement, j’en ressens la poésie, l’émotion non feinte, les nuances, un idéal de respect, d’écoute mutuelle, d’exigence esthétique, un feeling radieux. La musique de CIEL d’excellente facture s’écoute avec plaisir et convient très bien pour convaincre un auditeur classique « pur et dur » que la musique improvisée libre est une option possible, même souhaitable.

DUO Jean-Jacques Avenel & Daunik Lazro Bibliothèque de Massy 13 novembre 1980 . FOU Records FR-CD 68
https://www.fourecords.com/FR-CD68.htm

Encore un témoignage enregistré qui nous vient d’une époque pas tout à fait révolue. Daunik Lazro est à mon avis, au sax alto, le souffleur « free » central en France, je veux dire au cœur de l’extrême. Sans concession par rapport aux conventions en vigueur au sein du jazz ou du classique ou des variétés. Son camarade Jean-Jacques Avenel y contribue avec le plus grand bonheur. La musique de la liberté avec quelques formules de départ que les deux artistes tourneboulent, griffent, excèdent, éclatent. On se souvient du vocable qui fit florès dans l’univers du « free » hexagonal : le folklore imaginaire. En voici un exemple vivant, vivifiant, expressif, sauvage. Le souffleur assène des boucles qu’il accentue énergiquement, des fragments d’éructations dolphystes qu’il combine adroitement en en modulant sauvagement la métrique. Et par surprise pulvérise leur articulations à coups de langue sur l’anche, vocalisations (on pense à la ghïta d’Afrique du nord) et multiphoniques. L’archet du contrebassiste virevolte, se fait sourd et sombre, lyrique ou irisé transitant par différents états émotionnels et ondulations sonores. Une comptine aussi (Cordered), dédiée à Lacy et Braxton. Un thème vraiment intéressant (intervalles, construction mélodique, accents rythmiques) digne des grands free-jazzmen (Roscoe, Byard Lancaster) et variations free enflammées. Ce disque est une merveille car il nous confie l’enregistrement le plus clair du phénomène Lazro et le rapport intense qu’il entretenait alors avec son ami Jean-Jacques Avenel. Celui-ci se surpasse et démontre une grande qualité à échafauder tous les plans possibles pour bonifier la musique avec les ressources de son jeu multiforme. Du grand art ! Celui de la giration infinie sans tourner en rond. La qualité de l’enregistrement , les nuances de leur musique en vivant surpasse aisément celles confiées au sillon dans l’album solo et duo de D.L. avec JJA publié par Hat Hut sous le titre The Entrance Gates at Tshee Park. DUO est une pièce essentielle du « free » en France. On n’est jamais mieux servi que par soi-même et Jean-Marc Foussat, le preneur de son providentiel. Grâce lui soit rendue à J-MF ! Notez quand même que si ce disque est très fidèle à la musique du duo avec toutes ses nuances, on trouve ici un jeu calibré mais intense, sans doute en relation avec le lieu et son espace, et l’attention du public. Dans d’autres circonstances, Lazro pouvait se révéler plus déchaîné, expressionniste, flamboyant à l’extrême (cfr le CD ECSTATIC JAZZ du trio Lazro Avenel et Siegfried Kessler/ FOU Records FR-CD55 : plus que ça tu meurs !!). Ici il se concentre sur le contenu musical en variant les effets à l’envi et en les métamorphosant avec une belle énergie sans devenir redondant. En cela, il est vraiment choyé par son camarade, le contrebassiste Jean-Jacques Avenel, devenu plus tard un des piliers de l’équipe Steve Lacy, c’est dire. JJA est inspiré et inspirant, renouvellant les formes, les élans, les angles de fuite, plein d'énergie. Ces artistes sont avant tout sincères et authentiques, ils jouent dans l’instant afin de construire la plus belle musique possible sans chercher à impressionner le public, seulement à lui parler au cœur.

WOLF SILENT - fragments for a chamber opera Objet-a digital
DAVIDE BARBARINO pedal steel & baritone guitar, piano-midi & electronic instruments, drum programming, field recordings, JEAN-BRICE GODET bass clarinet & GERALDINE ROS voice
https://objet-a.bandcamp.com/album/wolf-silent-fragments-for-a-chamber-opera

Il y a sans doute un opéra imaginaire fictif duquel on aurait extrait les parties du livret que chante Géraldine Ros, mises en musique par Davide Barbarino avec les différents instruments mentionnés plus haut et la granuleuse clarinette basse de Jean-Brice Godet. Pas moins de huit fragments constituent une œuvre mystérieuse et enchanteresse qui gravite entre plusieurs pôles esthétiques avec une grâce séduisante (musique contemporaine, souffle issu du jazz contemporain, Webern, vocalité classique vingtiémiste, ambient, électronique, etc…). Inclassable. Chacun des acteurs musiciens évoluent en contraste dans leur idiome stylistique respectif. Les parties instrumentales jouées Davide Barbarino au piano-midi en sont l’ossature harmonique, parsemées des sonorités en suspension émanant de son électronique qui meuvent dans l’espace comme des rideaux de lumière ou des écrans d’ombre, alors que défile le long ruban sinueux en clair-obscur de la clarinette basse suave de Jean-Brice Godet dont le grain s’effrite. Mais un dialogue interactif agité entre clavier et clarinette peut très bien survenir (Caustico Lunare) jouxtant l’univers du free jazz ainsi que s’insèrent des bruissements électroniques frictionnels. La soprano Géraldine Ros est absolument remarquable, perfection du chant, de la diction avec cette emphase expressive caractéristique de la musique classique contemporaine hautement exigeante. Mais sa voix peut évoluer dans l’idiome plus populaire de la voix « naturelle » comme on peut l’entendre dans Serai Eimi Has No Fear. Cette artiste vocale, professeure de chant et compositrice s’est révélée dans de multiples créations, œuvres et concerts dont on goûte ici tout le fruit de l’expérience (cfr https://www.harmoniques.fr/geraldine-ros/). Cet enregistrement aussi délicieux que requérant est publié sur la plate-forme bandcamp Objet A du saxophoniste et compositeur Gianni Gebbia lui-même un artiste tout aussi inclassable. Une belle découverte décrite avec une belle précision par les artistes eux-mêmes, ci-dessous.
« Wolf Silent is an improvised chamber opera realised in interchangeable fragments and patterns that are never definitive. This characteristic allows the work to be renewed with each performance, escaping from a demonstrative practice and allowing each performer to become an agent of an active and personal transformation. The music provides for the maintenance of the different musical areas to which the instruments used usually belong, aiming at preserving the contrasts created by them rather than smoothing them out: a pedal steel guitar, a bass clarinet and lyrical singing form the basic triangulation, the field within which the compositions unravel. Further drift comes from the use of filters and real-time modulations for electronic sound experimentation. The lyrics, treated as a magic formulary, are composed with the technique of a continuous, never-ending cut-up poem. They develop and evoke a peculiar poetic journey with references and resonances as much with the world of Nature as with the most enigmatic and mysterious metaphysical drifts. One can find traces of poets such as Novalis, Wallace Stevens, Rilke, Hermann Hesse, T. S. Eliot, Emily Dickinson, E.E. Cummings, Dylan Thomas, Seamus Heaney, Henri Michaux among the others, sublimated by the lyrical voice or deconstructed in a sort of declamatory de-lyrism. In this fragmentation and fermentation of themes, both musical and lyrical, the work, disseminating and recomposing itself, realises its becoming-minor, in an attempt to evoke differently in each listen a peculiar direction."

12 décembre 2024

Hans Schneider contrebassiste improvisateur R.I.P. (1951 – 2024)

Hans Schneider contrebassiste improvisateur R.I.P. (1951 – 2024)


Parmi les improvisateurs pionniers du free – jazz et des musiques improvisées qui ont contribué à l’explosion de la free – music en Allemagne de Cologne à Berlin, on compte deux contrebassistes incontournables : Peter Kowald et Buschi Niebergall, compagnons de la première heure de Peter Brötzmann, Alex von Schlippenbach, Fred Van Hove, Manfred Schoof, Gerd Dudek, Sven Åke Johansson. La pratique de cette musique s’est développée dans de nombreuses villes régionales dans les régions du Rhin, de la Ruhr (Wuppertal) , Hesse, Hannover, Bremen Hamburg etc… jusque Berlin même où ces musiciens se sont fédérés au tour du Globe Unity Orchestra et l’organisation Free Music Production avec ses Total Music Meeting et Workshop Freie Musik. Ces événements se sont perpétués d’année en année de 1968 jusque dans les années 2000. Et il y a toujours le festival de Moers, fondé en 1974, avec l’aide du tromboniste Günter Christmann, lui-même organisateur à Hannover (Hohe Ufer Konzerte). Mais ceci n’est que le sommet de l’iceberg. Il y eut les orchestres de Gunther Hampel et l’alors très jeune Alfred Harth et Just Music qui fut sans doute le plus ancien groupe de « musique improvisée libre dès 1965-66 à Frankfurt am Main. Peter Kowald est devenu une figure culte et ces nombreux enregistrements et concerts en solo, avec Brötzmann, le Schlippenbach Quartet, Leo Smith, Gunther Sommer, Charles Gayle et plusieurs duos avec des contrebassistes comme Barre Phillips, Maarten Altena Barry Guy et Damon Smith. Ses albums en Duos Europe America Japan avec de nombreuses personnalités sont une solide référence.

Il y eut très vite une deuxième vague et parmi les contrebassistes, il y avait l’embarras du choix : Torsten Müller, Hans Schneider, Georg Wolf, Ulrich Philipp, Rainer Hammerschmidt et plus tard Alexander Frangenheim. Parmi tous les contrebassistes, Hans Schneider incarnait une voie diamétralement opposée à la voie « propre », claire, lisible, ronde, détachée venant du classique et du jazz. Et cette démarche est partagée par ces autres collègues, spécialement Torsten Müller et plus tard Alexander Frangenheim. De nombreux bassistes free aiment à déraper, jouer des harmoniques, des glissandi, frictionner les cordes avec une pression plus forte de l’archet ou les frapper col legno presqu’occasionnellement par diversion par rapport à un jeu « normal » bien rond, « lisible » dans la tradition du pizzicato du jazz. Hans Schneider jouait souvent sans ampli et cherchait uniquement la nature profonde ligneuse du bois, de la caisse de résonance et dévoiler l’âpreté des frottements âpres, physiques un jeu qui dévoilait la nature organique de la contrebasse et de l’archet et des matières mises en œuvre dans l’instrument. Il ne passait pas d’une technique « normale » aux techniques alternatives : il vivait sa musique par-delà cette limite sans arrière-pensée. Une vision bruissante, ligneuse, sauvage, grinçante sans concession pour la facilité digitale des pizzicati ou la grâce du coup d’archet stylé d’obédience classique. On aurait aimé avoir de lui un souvenir audio de sa contrebasse jouée en solo. J’avais conservé un catalogue du label Random Acoustics du pianiste Georg Gräwe et daté de 1993. Il y était indiqué que Hans Schneider avait un CD en préparation : Ventil RA 013. J’avais mentionné l’existence de cette référence via Facebook lorsqu’on annonça le décès d’Hans Schneider en novembre dernier. Le saxophoniste Stefan Keune, un de ses proches amis et collaborateurs en fut étonné ainsi que la trompettiste Birgit Ulher et après quelques recherches, Georg Gräwe a confirmé qu’il n’y aurait aucune trace de ce futur album jamais publié. A-t-il été enregistré ?

C’est d’ailleurs au sein du Georg Gräwe Quintet que le nom d’Hans Schneider est mentionné pour la première fois : les deux LP’s FMP New Movements & Pink Pong (1976 – 1978) qui contiennent une musique vraiment intéressante. À la batterie, Achim Krämer qui continuera à jouer avec Hans par la suite. Mais le choc provient du trio FUCHS – SCHNEIDER – HUBER : Momente LP FMP 0670 1979. https://destination-out.bandcamp.com/album/momente Le clarinettiste basse et saxophoniste sopranino prodige Wolfgang Fuchs est aussi impressionnant avec sa grosse clarinette (l’instrument d’Éric Dolphy) qu’avec son saxophone sopranino.
La musique est âpre, tendance "bruitiste" , vitriolique, ravageuse avec une PROJECTION DU SON miraculeuse et hallucinante. On entendra plus tard que le moindre des effets sonores inédits, brefs et discrets glissandi claquent dans l’espace sonore. Wolfgang explore la colonne d’air, les secrets cachés du bec et de l’anche dans le sillage du jeu révolutionnaire d’Evan Parker, lui-même à la base des élucubrations des John Butcher, Urs Leimgruber, Michel Doneda ou Stefan Keune. Aussi expressionniste qu’introspectif. La démarche ardue d’Hans Schneider est le complément idéal d’un tel phénomène tant il sculpte, lézarde, craque, exaspère les résonances et vibrations ligneuses de sa contrebasse appréhendée sur sa face sombre, occulte, magique. L’archet arrachant les tréfonds de cellulose « lignans » de son grand violon est conçu comme le vecteur du bruissement, équivalent sonore de l’abstraction picturale « matiériste », délivrant les textures inouïes enfouies par des siècles de pratiques baroque et romantique. Un philosophe extrémiste du son. Hans n’essaie pas d’esbaudir l’auditeur par des figures fulgurantes. Il nourrit et inspire la recherche de son collègue en approfondissant des interférences infinies. Le troisième membre du trio, le batteur Klaus Huber carbure allègrement en faisant chavirer et éclater la polyrythmie pour faire osciller le souffleur sur orbite. On trouve là la folie Brötzmannnienne et l’atomisation explosive de la colonne d’air EvanParkerienne conçue et extériorisée de manière complètement originale avec un contrôle du son phénoménal. FMP organise alors un Berlin Jazz Workshop Orchestra sous la houlette de John Tchicaï réunissant les « jeunes » talents : Who is Who ? SAJ-24. Parmi les nombreux participants, sont réunis les pianistes Bernhardt Arndt et Georg Gräwe, Wolfgang Fuchs, Hans Schneider, Andreas Boje, Thomas Wiedermann, Friedmann Graef, Harald Dau…. Un album intéressant qui témoigne de la vivacité et du niveau de qualité de la pratique du free-jazz en Allemagne en 1979.

Quelques années se passent et la pratique sonore d’Hans et de ses proches collègues évoluent. Les Germaniques ont dans leurs rangs un personnage extraordinaire, un découvreur de sons radical et percussionniste délirant qui a construit la batterie de percussions la plus étonnante de l’époque : Paul Lytton. Celui-ci habite à la frontière belge non loin d’Aix la Chapelle où vit le batteur Paul Lovens. Les deux amis jouent dans un duo légendaire et sont les deux collaborateurs les plus proches d’Evan Parker avec qui Lytton joue en duo et d’autres improvisateurs radicaux comme Günter Christmann, Paul Rutherford, Maarten Altena, Radu Malfatti. Ils produisent leurs vinyles d’improvisation radicale sur leur label Po Torch. Le duo Lovens - Lytton est un modèle d’intrication sonore où il est quasi impossible de distinguer qui joue quoi (le titre du 1er album = Was It Me ?) exemplifiant le son collectif « télépathique » plutôt que l’exploit individuel « soliste ». Peu après, le nouveau trio d’Evan Parker avec Barry Guy et le même Paul Lytton inaugure son parcours par l’album Tracks/ Incus où on entend encore les live electronics low-fi du batteur alors que l’interaction du trio est nettement lisible… pour chacun des instruments… et fascinante. On y entend distinctement le jeu exceptionnel de chaque instrumentiste mis en valeur dans le moindre détail et c’est époustouflant. Un peu plus tard à l’occasion d’une tournée américaine, Paul Lytton va adopter la batterie traditionnelle tout en conservant des accessoires lyttoniens disposés sur les fûts et qu’il déplace tout en jouant avec une aisance déconcertante.
Il faut dire que les live electronics – cordes de guitare et objets amplifiés et triturés de Lytton sont alors le summum du bruitisme au sein du « free-jazz ». Et c’est tout à fait la stratégie du nouveau groupe qui réunit Wolfgang Fuchs et Hans Schneider avec Paul Lytton et un guitariste nouveau venu : Erhard Hirt. X-PACT. Aussi Wolfgang Fuchs est à la base d’un nouveau label, Uhlklang, dédié à l’aventure sonore radicale des outsiders locaux. On y trouve un album solo d’Erhard Hirt, Zwischen Der Pause, B-A-D (Berliner Austauch Dienst) avec Fuchs , Schneider, le guitariste Frans De Byl, le batteur Knut Remond et le tromboniste Andreas Boje, une association de joyeux drilles : Echo. Mais aussi le premier album noise du duo Norbert Moslang et Andy Guhl : « Knack On ». Et le super album de free-music – improvisation radicale de X-PACT : Frogman’s View. https://destination-out.bandcamp.com/album/frogmans-view

C’est alors un document magistral de cette approche plus proche de la tendance AMM où les sons s’interpénètrent ou de la future EAI que celle du Spontaneous Music Ensemble. Au sein du SME, le jeu et les actions sonores de chacun se distinguent tout en étant interactives à la nano-seconde près (Cfr Face to Face Stevens - Watts / Emanem ou The Longest Night Parker - Stevens/ Ogun). Cette approche sert de modèle à toute une génération d’improvisateurs libres british et germaniques. Chez XPACT, on entend avant tout l’aspect électro – acoustique bruitiste de Lytton, avec son cadre métallique amplifié et ses manipulations d’objets hétéroclites qui sont étroitement mêlés aux frictions et sifflements sonores produits par la guitare d’Erhard Hirt, reliée à un réseau de pédales d’effets dont il entrecroise les outputs et les inputs au point qu'il est impossible de distinguer son jeu de guitare proprement dit et qui fait quoi dans le groupe. Le placide Hans Schneider tout aussi à l’écoute que les autres joue avec précision à l’archet à moitié enfoui dans ce pandémonium opaque où surnagent les canarderies subtiles de Fuchs à la clarinette basse. Quand celui-ci s’excite de plus en plus tout en restant dans la bonne dynamique, les trois autres demeurent impassibles formant un agrégat sonique sombre et industriel. Quand l’un s’agite, l’autre émet quelques sonorités bien à son aise. Parfois l’archet prends l’initiative cahin-caha une fois que l’intensité et le bruitage s’estompent. Ou, finalement Fuchs et Lytton interagissent quelques minutes en fin de la deuxième face : fragmentation éclatée du souffle vs éparpillement des frappes millimétrées sur toutes les surfaces (bois, peau, métal, plastique) sans pour autant augmenter le volume sonore, juste l’intensité. À quoi s’ajoute les shrapnels oscillants de la guitare électrique et les grondements de la contrebasse de Hans Schneider, qui lui garde son calme. Dans le chaos apparent, se dégage un véritable sens de la construction après leur enfouissement parmi des strates sonores brutes. Ce n’est peut-être pas le « meilleur » des albums au goût de certains, mais à l’époque postpunk, de Einsturzende Neubauten, du noise naissant et du Locus Solus de John Zorn, cet album atypique avait bien fière allure en 1984.

Mais, l’improvisation libre radicale initiée par les British et relayée par les Allemands s’étend à d’autres pays. On a entendu parler du violoniste portugais Carlos Zingaro, du percussionniste italien Andrea Centazzo, et d’un pianiste grec, Sakis Papadimitriou. Voilà que celui-ci joue avec un tubiste allemand, Pinguin Moshner, et Hans Schneider à Thessalonique. Finalement, un comparse de Papadimitriou, le clarinettiste Floros Floridis, réunit un quartet comprenant Hans Schneider, Pinguin Moshner et Paul Lytton pour un concert en octobre 83 au théâtre Adônis, deux mois avant l’enregistrement du disque d’ X-PACT. Un disque sera publié par le label grec j n d records sous le titre Adônis 21.10.1983 avec le nom de groupe L.S.F.M., soit 42 minutes ininterrompues sur deux faces. Au moment du concert, Lytton ignorait que Floros est un clarinettiste, alors qu’ici il ne joue que du saxophone. Cela le fait dans le cadre du "free-jazz". Dans cet album, toute la place est laissée à l’exploration sonore du tubiste qui investigue une série d’options alors que le saxophoniste triture et expectore des sonorités compressées, vocalisées, mordantes, sauvages allant jusqu’au bout des possibilités expressives free de l’anche, du bec et de la colonne d’air. Le batteur allonge de ci de là des bruitages. Le bassiste s’infiltre patiemment dans les interstices, fait vibrer les cordes dans la pénombre et attend son tour pour proposer une nouvelle idée alors que le souffleur s’écarte un moment. Jusqu’à ce que Lytton se déchaîne avec des frappes surmultipliées et disruptives plus tard dans la performance à laquelle se mêle le bassiste avec de petits coup d’archet. Le souffleur insiste avec des ostinati désespérés en soufflant de toutes ses forces dans son soprano. Le batteur joue autant des peaux que du cadre amplifié sans qu’on comprenne où il veut en venir. Les roulements commencent une fois le souffleur bien relancé et s’amplifient pour ensuite éclater alors que l’intensité du souffle décroit graduellement pour finir par des petits sons suraigus. Face 2 le tubiste et le sax étirent les sons, la contrebasse reste à l’ombre et imprime un mouvement lent imperturbablement adopté par le tubiste, le percussionniste laisse un espace considérable afin qu’on puisse entendre le dialogue de Hans et de Pinguin ? Il parsème des sons isolés ou secoue légèrement son attirail en arrière-plan, le souffleur étant tout en son affaire. Il donne ensuite dans le souffle continu de manière chatoyante en évoluant vers une autre étape. Comme Hans préfère jouer sans amplification, il ne passe pas bien dans les micros contrairement à Momente où son jeu polymorphe crève l’écran. Une première rencontre réussie hors des sentiers battus.
Mais les musiciens d’XPACT voient grand. Sous la houlette de Hirt et de Fuchs, un orchestre plus imposant est formé, rassemblant Fuchs, Hirt, Lytton et Schneider, le tromboniste Radu Malfatti, les trompettistes Guido Mazzon et Marc Charig, le saxophoniste Norbert Möslang, le violoniste Phil Wachsmann et le violoncelliste Alfred Zimmerlin. Le groupe fut invité au Workshop Freie Muziek les 22 et 23 décembre 1984 et l’enregistrement publié par Uhlklang : Music Is Music is… en l’absence de Charig. Mais celui-ci m’a narré la gestation du groupe. Après un de leurs premiers concerts, les musiciens fêtent l’événement avec force bières et schnaps tout en cherchant un nom pour leur nouveau groupe. Jusqu’à ce que tout le monde ou presque est fin saoul, l’un d’entre eux (mais lequel ?) se lève devant l’assemblée son dernier verre à la main en éructant la bouche pâteuse : King Übü Örchestrü ! Et ainsi fut fait. Le premier album de King Übü est un modèle du genre qui pourrait servir d’étalon aux Company de Derek Bailey. C’est resté un des meilleurs documents où on improvise collectivement à plus de cinq ou six. Il sont dix ! https://destination-out.bandcamp.com/album/music-is-music-is

La Face A fait entendre sept improvisations très courtes intitulées short pieces – someone’s missing. Le plus long est seulement de 4’34’’. Chacun raconte une histoire et se distingue clairement des autres. Ils ont la discipline intuitive pour s’arrêter de jouer un instant et d’insérer des silences. Les rôles dévolus à chaque instrument sont distribués alternativement et simultanément à ceux des autres. Des sonorités étranges fusent d’ici et là et ils jouent avec des « vitesses » et des intensités différentes, les éclats épars laissent découvrir des micro-sons et des détails, les idées fusent en écho … La face 2 est une longue construction étalée dans le temps, patiemment construite et toute en nuances. Il y règne une écoute mutuelle évidente : on a presque l’impression qu’il y a une ligne de conduite, une partition. Et quand il faut, cela grouille de toute part, ça s’envole avec des dissonances remarquables. On y entend des crescendos contrôlés ou des decrescendo vers des détails insignifiants à faible volume. L’un joue de manière atomistique ultrarapide (le sopranino de Fuchs) alors qu’un autre applique patiemment deux notes au milieu des petites sonorité qui fusent ici et là ou de toute part. Le final emporté et tournoyant est, comme la longue introduction, une pièce d’anthologie avec la paire Charig / Mazzon compressant leurs embouchures en réitérant un motif survolté par-dessus le tourbillon de l’orchestre dont le son finit par mourir magiquement. Je me souviens avoir dit à Paul Lytton et Wolfgang Fuchs lors d’un déplacement en camionnette que leur musique rivalisait avec celle de Xenakis. J’étais jeune et assez impressionnable. Mais en réécoutant cet album, je suis vraiment saisi, happé dans l’écoute. Magistral.

J’ai rencontré une seule fois Hans Schneider. En 1985, je voulais programmer Evan Parker AVEC Paul Rutherford (ABSOLUMENT !), Barry Guy et Paul Lytton, le fameux trio élargi avec le tromboniste, lequel a, à mon avis, beaucoup d’affinités musicales dans les échanges avec Parker. Mais étant alors assez novice, je me suis emmêlé les pinceaux. Par ma faute Barry Guy n’était pas disponible pour Evan, les deux Paul et moi, ni pour Tony Oxley et Wachsmann une semaine plus tôt à Anvers. Donc, sans doute sur la recommandation de Paul Lytton, Parker m’annonça qu’ils joueront avec le contrebassiste Hans Schneider du groupe X-PACT. X-Pact ?? En fait à mon avis dans ce contexte le choix d’Hans Schneider était parfait. Le concert a été publié : Waterloo 1985/ Emanem 4030. Soixante minutes ininterrompues d’une seule improvisation subdivisée en parties distinctes aux proportions presqu’identiques question durée, mais différentes dans le contenu musical. Dans cet album mémorable, les deux souffleurs alternent leurs interventions en se répondant et s’échangeant les fragments mélodiques, les harmonies, les intervalles, les accents, les inflexions dans une symbiose gémellaire en prenant le temps de jouer. Paul Lytton imprime sa marque avec ses frappes sur les tambours chinois en créant un espace pour inclure ses trois camarades dans le champ sonore. Ainsi, règne un équilibre parfait pour les rendre audibles de manière strictement égalitaire et que l’auditeur puisse distinguer le moindre détail dans la musique. Détail qui a son importance : Hans Schneider joue complètement acoustique en explorant les vibrations, le corps de la contrebasse, la résistance et la tension des cordes comme un sculpteur. Quoi qu’il arrive. Subitement, les souffleurs s’écartent et un duo bruitiste irrégulier s’établit entre la contrebasse malmenée et les crissements et soubresauts des live- electronics qui laissent incrédules le public habitué au (free) jazz stricto sensu. Au final, c’est à mon avis un des meilleurs enregistrements très réussis d’un groupe d’Evan Parker et Paul Lytton, surtout grâce à la présence lumineuse de Paul Rutherford qui apporte une rare dimension supplémentaire. Le parti pris ludique discret d’Hans Schneider a alors orienté la musique dans une autre direction que s’il y avait eu Barry Guy et son jeu virtuose et hyperactif. C’est l’évidence même. Mon souvenir d’Hans Schneider est celui d’un homme sensible, amical et aussi déterminé qu’il était aimable. Durant toute la performance, il n’a pas dévié de son chemin comme s’il savait où l’aventure le mènerait, développant ses idées et sa conception de l’improvisation d’un seul tenant du début à la fin. De devoir lui permettre d’être entendu comme il le souhaite sans devoir forcer le ton et faire des signaux activistes, il a engendré une contrainte pour les trois autres qui a été en fait salutaire pour l'équilibre groupe, contrebalançant aussi la facette lyrique de Paul et Evan enfin réunis. La dynamique sonore des musiciens dans cet enregistrement signé Michel Huon est exceptionnelle vu les circonstances, les musiciens ayant joué vers minuit après une série d’autres concerts : Lol Coxhill/Mike Cooper/ Roger Turner, Fred Van Hove/ Marc Charig/ Ernst Reyseger, Christian Leroy, Tom Bruno-Eddy Loozen. J’avais contacté Emanem pour faire publier ce concert : Martin Davidson a hésité et Evan m’a d’abord répondu en disant que je voulais le faire publier parce que c’était « mon concert ». Mais une fois l’avoir écouté soigneusement, il a insisté auprès de Martin pour qu’il sorte deux mois plus tard.

Fort heureusement, Schneider et Lytton étaient retournés en Grèce pour jouer (et enregistrer) avec Floros Floridis un peu après Waterloo 85. Et cette fois avec un grand copain de Lytton, le violoniste Phil Wachsmann qui, à l’époque, joue autant avec Fred Van Hove qu’avec Tony Oxley. Ce quartet intitulé L S F W grave un excellent document : Ellispontos / jnd. Dans ce concert remarquable, Floros Floridis se concentre sur sa clarinette : son style est aérien mais charnu, lyrique mais hérissé dans les aigus qu’il distord à souhait avec un parfum de la musique grecque et une fluidité musicale. Avec le travail à l’archet de Wachsmann et Schneider, la combinaison sonore et ludique est parfaite avec les apports du clarinettiste et du percussionniste. Dans ce disque on entend clairement les grincements frottés par Hans au plus près du chevalet ou la vibration grave et ombrée proche de drones. Le tout est commenté adroitement et ponctuellement par Lytton à coups de woodblocks, cymbales chinoises renversées, de tam-tams touchés ou heurtés parcimonieusement laissant beaucoup d’espace aux trois autres. Cet album est superbe !
Mais, tout ne fonctionne pas toujours quand vous faites de l’improvisation libre dans un cadre professionnel. Certains groupes continuent durant des années voire des décennies. Une discussion intervient entre Fuchs et Hirt, et X-PACT est remisé aux oubliettes. Hirt quitte King Übü, un projet d’album Hirt – Lytton en duo est abandonné (un enregistrement a vu le jour récemment via Corbett vs Dempsey sous le titre Borne on a Whim - Duets 1981). Plus tard, c’est Torsten Müller qui jouera de la contrebasse dans King Übü et Günter Christmann rejoint l’Örchestrü. Mais pour Hans Schneider la vie continue. Un jeune saxophoniste pointe le bout de son nez : Stephan Keune. Avec Lytton à la percussion, il grave « Loft » par le Stefan Keune Trio pour Hybrid Music Productions, un micro-label qui nous fera découvrir de nouveaux artistes comme Agusti Fernandez & Christoph Irmer, Birgit Ulher & Wolfgang Ritthof, Harald Kimmig, Dirk Marwedel, Ursel Sclicht & Hans Tammenn, Giessen Improvisers Pool, Wiesbadener Improvisations Ensemble, Martin Speicher ou le trio CHW avec mon copain Paul Hubweber etc… Comme Lytton explore son attirail en live electronics et parsème l’espace de micro frappes et manipulations d’accessoires sur ses peaux ou cymbales, le jeu singulier de Hans Schneider est largement audible, approfondissement de sa démarche radicale. Malgré la configuration en trio sax ténor – basse batterie assez explicite, on est ici loin du free-jazz mais plutôt dans l’exploration sonore. Stefan Keune, dont ce sont les débuts, semble bien prometteur. Hans et Stefan deviendront amis pour la vie.
Dans les années 80, un trio British incontournable voit le jour : le saxophoniste John Butcher, le violoniste Phil Durrant et le guitariste John Russell. Il représente ce courant Londonien introspectif pointilliste sans batterie basé sur les techniques de jeu alternatives. Inévitablement, ils tournent en Allemagne au début des années 90 invités par des collectifs germaniques de cette jeune génération « post FMP ». Non contents de jouer en trio, ces trois-là se joignent à leurs collègues allemands. Deux albums séminaux enregistrés en 1991-92 paraissent sur un autre nouveau label lancé par le pianiste Georg Gräwe : Random Acoustics. Hans Schneider est responsable de l’«artwork & design ». Le design original de Hans conçoit une pochette de papier fort monochrome coloré à rabas élégante et soignée qui tranche largement sur le jewel box ou le digipack par son originalité, reconnaissable entre mille. Premier numéro (RA001), le quartet Frisque Concordance réunissant John Butcher, Georg Gräwe, Hans Schneider et le percussionniste Martin Blume. Le titre de ce « classique » incontournable de la scène improvisée est Spellings (Énoncés) ou l’art d’énoncer toutes les variations, nuances et interactions d’un quartet saxophone – piano – contrebasse – percussions contemporain. La musique est basée sur une écoute et des réactions minutieuses, équilibrées dans la répartition de chaque instrumentiste dans l’espace auditif avec un esprit musique de chambre. Les spirales fracturées de John Butcher tant au soprano qu’au ténor, le grain organique de l’archet d’Hans Schneider, les pianismes cristallins à la fois anguleux et ondulés de Georg Gräwe et les friselis et micro-frappes de Martin Blume s’unissent magistralement faisant de Spellings un album révélateur. À ce joyau, s’ajoute Concert Moves du trio Butcher – Durrant – Russell enregistré la même année après quoi ces trois musiciens deviennent des références. Profitant de la présence de Russell dans une nouvelle tournée de 1993, un autre concert rassemble Paul Lovens et son pote Johnny « Guitar » (Russell), avec Hans Schneider et ce nouveau venu, le saxophoniste Stefan Keune à Bochum où Georg Gräwe organise des concerts.
Bien plus tard, quelqu’un retrouve la cassette de l’enregistrement. Publié en 2019, l’année même où John Russell nous a quitté, Live in Bochum ’93 porte un titre supplémentaire : Nothing Particularly Horrible - Keune Russell Schneider Lovens / FMR. Notez que Lovens et Russell se connaissent très bien, ayant joué avec les mêmes collègues-amis : Evan Parker, Günter Christmann et Maarten Altena. Le son est littéralement « échoïque » - réverbérant « caverneux » bien qu’on distingue clairement chaque instrumentiste. Le saxophoniste, excellent au sopranino et le batteur jouent au départ parcimonieusement pour permettre à l’auditeur de ne pas perdre une goutte des sons et harmoniques pointillistes et espacées de John Russell sur sa guitare archtop aux cordes métalliques datant de l’époque jazz-swing. Les frappes éclair et les manipulations sonores de Lovens sont étincelantes et Keune s’avère à la hauteur du guitariste et du batteur. Concentré dans une écoute intense, le bassiste ajoute petites touches et murmures graves rappelant les trois lurons à l’ordre « au bord du silence ». Si la musique de Frisque Concordance est fluide dans son jeu, raisonnée dans sa constructions et équilibrée au niveau collectif bien que kaléïdoscopique, Nothing Particularly Horrible explore des possibilités sonores étirées et plus extrêmes : hyper aigus hargneux du sopranino, cymbales et crotales frottés, crissement ou grattage bruitiste de la guitare avec un plectre en pierre, frappes maniaques sur les cymbales renversées sur les peaux, scie musicale sifflante, jeu espacé ou drone de la contrebasse et des accès et éclats rageurs. Il en résulte que, suite à ce concert, Keune et Russell forment un duo permanent qui fera plusieurs enregistrements (Excerpts & Offerings , Frequency of Use etc…) et que Schneider et Keune confortent leur collaboration future. Et aussi des amitiés profondes. Hans Schneider est sans doute le plus discret, intervenant du tac-au tac à l’intérieur ajoutant un geste, un son dans le sillage de chacun des trois autres créant le ciment qui imprime une cohérence au groupe ou indique une direction avec trois coups d’archet répétés autour duquel les autres évoluent (en 2). Un concert sensationnel qui nous fait transiter dans de multiples occurrences comme on l’entend trop rarement avec une dimension collective et exploratoire exemplaire. Hans figure aussi dans quelques plages d’un album intéressant du label Random Acoustics : Chamber Works qui réunit plusieurs artistes dans différentes formations et compositions de Georg Gräwe.

Hans figure aussi dans quelques plages d’un album intéressant du label Random Acoustics : Chamber Works de Georg Gräwe. Mais le pianiste et le bassiste s’éloignent dans des directions différentes : GG avec Gerry Hemingway et Ernst Reyseger dans un trio qui fera florès en Europe et aux USA et HS dans les arcanes de la scène « locale », devenue une véritable pépinière de talents inventifs à l’échelle de l’Europe. Le talent réel n’ayant rien à voir avec la notoriété.
Suite à ces deux ou trois réussites exemplaires que sont Ellispontos, Spellings et ce concert de Bochum 93, on va trouver Hans Schneider dans des groupes faits pour durer. Parmi ceux – ci, le QUATUOHR , un quartet qui ressemble au « jazz » par son instrumentation trompette, sax/clarinette, contrebasse et batterie, mais qui navigue dans les eaux incertaines de l'improvisation libre collective. Le trompettiste Marc Charig est un vétéran du Brotherhood of Breath et du free-jazz british (Elton Dean, Mike Osborne, Keith Tippett, Barry Guy) et un fidèle partenaire du pianiste Fred Van Hove. Le clarinettiste basse et sax soprano Joachim Zoepf est un chercheur pointu proche de Günter Christmann et joue souvent avec le batteur Wolfgang Schliemann. Hans a réalisé amoureusement les pochettes en papier fort monochrome et collé les photos tirées sur papier des musiciens (KJU - 2002) ou des instruments sans les musiciens (KJU : too – 2003). Ces deux merveilles collectives intimistes toutes en nuances sont publiées par le label Nur Nicht Nur. Son catalogue exponentiel et artisanal rassemble un grand nombre d’artistes peu ou très peu connus où brillent des perles fantastiques signées Paul Hubweber, Uwe Oberg, Ulli Philipp avec Birgit Ulher et Roger Turner ou en duo de basses avec Georg Wolf, Schliemann & Zoepf en duo, Erhard Hirt, Georg Wissel, Malcolm Goldstein, Ute Wassermann, Michal Vorfeld, Claus Van Bebber, Carl Ludwig Hübsch etc… Incontournable !! La musique de Quatuohr est la quintessence de la musique improvisée libre et dans cette atmosphère presque feutrée où chacun relaie adroitement l’autre par petites touches, accents bien placés, sons étranges, usage du silence et un sens de l’espace rare, la contrebasse de Hans Schneider opère par à coups répondant ou proposant avec cohérence juste ce qu’il faut pour que chacun occupe un angle égal dans la géographie des paysages – tableaux évolutifs et jouit d’une dynamique sonore propice qui autorise tout ce qui est possible sans entraver la liberté individuelle. Dans un des albums (KJU :) , Hans joue de la basse électrique comme le ferait un émule de John Russell. Mais ici c’est (KJU : too) que j’épluche et il y joue de la contrebasse en bonne et due forme. Il appert qu’on y entend que quelques sons épars de chacun sur lesquels s’appuient le clarinettiste pour jouer quelque note. À un moment précis, c’est le bassiste qui s’agite de courts instants sollicitant les autres à alterner à contre-courant et à répondre de plus belle et l’archet alors oscille en glissandi sur lesquels oscillent le souffle spiralé en sourdine du trompettiste. Une quantité de figures/ motifs ou actions différentes s’emboîtent comme les mots dans une phrase dans un constant renouvellement d'idées et de mouvements. Ailleurs Hans fait grincer ses cordes avec insistance comme si le moteur de la voiture était en panne, c’est là que les drôles canardent et chahutent de bonne humeur (4). C’est absolument remarquable et d’une grande richesse. L’ego du soliste « expressionniste » est complètement annihilé pour une collaboration instantanée fructueuse. Être capable d’improviser sans interruption six improvisations à ce niveau durant près d’une heure est l’achèvement de toute une vie.
Pour les fines bouches, je mentionne un des deux albums "Live Tempera" initiée par le peintre Marcus Heesch, celui-ci improvisant son art en direct en compagnie de musiciensimprovisateurs. Nur Nicht Nur (encore lui !) avait déjà publié deux extraits de concerts de Heesch avec Simon H.Fell et Lol Coxhill. Le deuxième Live Tempera sur N N N réunit le clarinettiste basse Joachim Zoepf et Hans Schneider à la guitare basse, le CD étant emballé dans une belle pochette jaune canari à rabas et du texte imprimé sur un feuillet. Un bel objet audio à déguster ! Mais direz-vous, le free-jazz « rentre-dedans » s’en est allé ? Et là vous serez surpris ! Il y a à Cologne un saxophoniste alto qui ne craint personne question outrance : rien à envier à Peter Brötzmann, à l’explosif Alan Wilkinson ou le Daunik Lazro à-l’alto-de-notre-jeunesse. J’ai parlé de Jeffrey Morgan, un sujet Américain installé à Cologne. Celui-ci, malade a abandonné son sax alto il y a une dizaine d’années et joue maintenant de la clarinette alto et du piano entre autres avec Lawrence Casserley. Avec le bassiste poids lourd – ceinture noire Peter Jacquemyn et le volatile batteur Mark Sanders, il a gravé The Raven, un brûlot à la gloire du free-free jazz agressif. Violent ! Mais sous le pseudonyme des The Flying Pyjama Fishers (Konnex) en compagnie d’Hans Schneider et de l’électronicien Konrad Doppert, il faut avoir écouté une fois dans sa vie Jeffrey Morgan. C’est à la fois musical vu l’extraordinaire contrôle du souffle dans l’anche (chauffée à blanc) et la colonne d’air et expressionniste avec une disposition d’esprit unique et une expressivité qui égale celle d’Albert Ayler sans lui ressembler le moins du monde. Et là, le travail d’Hans ne crée pas la surenchère, mais calme le jeu en finesse afin que le saxophoniste garde un cap, capte un moment de grâce. Idem pur le travail fin, discret et intéressant de Konrad Doppert. Comme il se doit dans l'improvisation libre intelligente, le souffle brûlant et les harmoniques extrêmes sont audibles dans tous leurs détails. Flamboyant !

On arrive presqu’à la fin ! Mis à part un trio avec le tromboniste Paul Hubweber et à nouveau, Erhard Hirt dont le titre, The Funny Side of Discreet évoque à la fois un standard de jazz, le titre d'un solo enregistré de Paul Rutherford, le label de Frank Zappa et le trio Iskra 1903 de Paul Rutherford par son instrumentation trombone guitare contrebasse (Acheulian Handaxe 2018), les enregistrements d’Hans Schneider se concentrent sur son travail avec Stefan Keune. En pleine vague « réductionniste », le label phare de cette tendance, Creative Sources publie The Long and The Short of It (2007) : Stefan Keune alto et sopranino sax, Hans Schneider contrebasse et le batteur Achim Krämer, son vieux copain des années Gräwe des seventies. S’ouvrant dans la fureur du free-free jazz dans le premier morceau, cet album constitue une belle carte de visite autant pour l’ensemble des facettes du souffle de Keune et la cohérence de ses deux coéquipiers. Les échanges peuvent autant se situer au bord du silence dans une démarche égalitaire (tout le monde au même niveau et dans une écoute mutuelle précise). Dans cet album dont certains morceaux semblent minimalistes, on entend clairement les affinités partagées par Stefan et Hans. Le souffle au sax soprano éclate l’articulation dans les suraigus dans de multiples cadences sauvages ou un jeu ultraprécis et asticoté au fil du rasoir qui sollicitent des instants de silence entre chaque spasme électrisant et un démarche pointilliste sophistiquée du bassiste. Celui-ci exprime avec « peu » un « beaucoup » avec de nouvelles idées qui changent constamment de registre ou d’affect relançant discrètement le souffleur. Quand le batteur se joint à eux, on songe par moment à John Stevens. Sur la lancée, c’est le label FMP lui-même qui publie No Comment sous le nom de Keune - Schneider - Krämer l’année suivante. No comment ! Si ce n’est que, ça va vous changer du sax maison FMP, Brötzm. Vous n’y perdez rien au change. En effet, dans cet album Keune joue aussi du sax baryton et la musique est (un peu) plus musclée – énergétique que dans le précédent, dans la ligne dure FMP de l'époque vinyle.


https://creativesources.bandcamp.com/album/the-long-and-the-short-of-it-2
https://destination-out.bandcamp.com/album/no-comment

Mais le vieux copain de Hans, le clarinettiste et saxophoniste Wolfgang Fuchs décède malheureusement un peu plus tard après des déboires dans la gestion de FMP. Quelques années se passent. Et bouf ! Tout à trac, XPACT ressuscite sous le nom de XPACT II, soit Erhard Hirt, Hans Schneider et Paul Lytton … et le saxophoniste Stefan Keune. Concerts en vue dont un, enregistré en 2020, est publié chez FMR, le label british Future Music Records. Avec la paire sonique électro-acoustique de Lytton et Hirt s’intègre à l’esprit ludique austère du tandem Keune – Schneider. Dans cet enregistrement, Hans Schneider prend parfois les devants ou temporise adroitement alors que s’éclatent sax et batteur dans de brefs instant successifs. Toujours aux aguets, la guitare bourrée d’effets de Hirt injecte, disjoncte, soustrait, s’efface ou explose en jouant au chat et à la souris dans les interactions des trois autres. Ou scintille incognito. Mais est-ce Lytton ou Hirt ? Toujours est-il, ce qui survient avec surprise est excellement calibré en fonction du jeu collectif. On appréciera la discrète inventivité anarchiste de Paul Lytton, qui bien avancé dans la septantaine, est resté vert, bien en verve avec les ustensiles percussifs posé sur deux tables de camping brinquebalantes et son installation amplifiée (Trobriander laptop + miscellaneous table top objects). Stefan est crédité tenor sax mais on entend la folle articulation «atomistique» au sax soprano dont il cultive le registre au-delà de sa tessiture normale et en concasse les sonorités, les contorsionne, étire, explose tout en imprimant sa marque personnelle. Son "style" ets reconnaissable entre milles. La diversité des sons, des ambiances et des intrications est phénoménale. Elle peut très bien se raréfier dans avec un archet frottant légèrement le bord d’une cymbale et le ronflement à peine perceptible de l’électronique ou les cordes de la contrebasse frôlées par l’autre archet celui de Hans. Convergent plusieurs tendances de l’improvisation libre (je vous passe les qualificatifs redondants) en une seule musique, celle d’XPACT : du grand art.
https://lytton1.bandcamp.com/album/xpact-ii
Mais comme cette musique est avant tout collective et que c’était le leitmotiv de sa vie de musicien improvisateur, le dernier enregistrement d’Hans Schneider paru le réunit avec le bon vieux King Übü Örchestrü qui en 2021 a adopté Stefan Keune au saxophone sopranino (comme W Fuchs) en compagnie des vétérans Marc Charig, Lytton, Phil Wachsmann, Malvyn Poore, Alfred Zimmerlin, Phil Minton, Axel Dörner et le « plus » jeune tromboniste Matthias Muche. Titre : ROI Deux sets : ROI 3 et ROI 4 (27 :05 et 35 :06) d’une musique à nulle autre pareille. Onze musiciens improvisant ensemble en se faisant de la place à chacun d’eux pour créer un flux sonore aussi lisible qu’inextricable.
https://lytton1.bandcamp.com/album/roi

Ce parcours serait incomplet si je ne faisais pas un petit retour de trois années en arrière. J'avais mentionné plus haut l'existence de The Funny Side of Discreet, enregistré en 2018 par surprise par le trio de Paul Hubweber - Hans Schneider - Erhard Hirt. soit la formule instrumentale trombone - contrebasse - guitare du groupe Iskra 1903 de Paul Rutherford avec Derek Bailey et Barry Guy (double vinyle Incus 3/4 enregistré en 1970-71) dont les prestations radicales durant la première tournée du London Jazz Composer's Orchestra de Barry Guy en 1972 sont à l'origine de l'expression "British Disease". https://handaxe.bandcamp.com/album/the-funny-side-of-discreet
D'ailleurs le titre de ce compact est un clin d'oeil à un titre du légendaire vinyle en solo de Paul Rutherford, The Gentle Harm of the Bourgeoisie. Tout comme Rutherford (R.I.P.), Paul Hubweber souffle avec un maximum de dynamique et de nuances juste à l'opposé de la démarche ultra-puissante et quasi expressionniste de son collègue Hannes Bauer. Paul H. est sûrement un des artistes les plus sous-estimés de la scène internationale alors même qu'il a formé un magnifique trio avec John Edwards et Paul Lovens, deux des improvisateurs les plus demandés (trio PaPaJo). Depuis que Lovens a remisé ses fameux mocassins usés et ses baguettes, Paul H et John E continuent en duo (Where's My Girl ? Nur Nicht Nur). Qui plus est, le tromboniste a le chic pour proposer exclusivement des projets musicaux avec des collègues différents et qui ont une identité musicale, sonore et une esthétique chaque fois bien distincte et une qualité au sommet de la profession avec respectivement Philip Zoubek, Georg Wolf, Claus van Bebber, Ulli Böttcher, DJ Sniff, PaPaJo et ses albums solos Tromboneos,Lurix & Paranoise et Loverman. Au sein du trio Funny Side of Discreet, est associée la connivence évidente contrebasse - trombone, celle qui n'a pas échappé aux astucieux (Barry Guy et Paul Rutherford à Moers 1976, Rutherford et Paul Rogers plus tard, ou Harry Miller et Radu Malfatti) ET les tripatouillages électroniques d'Erhard Hirt, l'occasion d'écouter en détail toutes les extrapolations et métamorphoses sonores, micro-pulsatoires et frictionnelles de l'e-guitar d'Erhard Hirt ou l'humour et la poésie intrinsèque du dobro dans ce contexte. Pas de batterie, car il faut qu'on en entende le moindre détail. D'ailleurs, Erhard a publié sous l'étiquette FMP - Own, Two Concerts d'un super trio sans batteur, avec Phil Minton et John Butcher, une des meilleures productions de FMP de lère compact. Et fort heureusement, ce compact Funny Side permet d'entendre le jeu "DiscReet" d'Hans Schneider sous toutes ses coutures, boisé-ligneux, grinçant, jamais rond, mais accidenté, craquelé, frictionnel, contrasté et hyper attentif avec cette logique imparable qui associe des sonorités variées et éparses en un clin d'oeil. Et comme toujours, il est le facteur d'unité structurant du trio qui intègre autant le lyrisme aérien d'Hubweber, les grattages obsessionnels des cordes, les tirebouchonneries audacieuses de l'embouchure et de la colonne d'air au trombone,les phases de jeu à l'orée du silence salvateur, le bruitisme maniaque,les timbres électroniques de l'e-guitar et la curieuse gaucherie au dobro de Hirt, jusqu'au bout de leurs extrémités ludiques et imaginatives. La classe des vrais "super-groupes" et une fleur au chapeau des trois artistes. Cela dit, je recommande d'investiguer les labels Nur Nicht Nur, Acheulian Handaxe, Hybrid, Concepts of Doing, Edition Explico, Impakt, etc.. trop méconnus et pleins à craquer d'enregistrements essentiels.
Malheureusement, la santé d’Hans Schneider s’est affaiblie vers un état alarmant les derniers mois, jusqu’à ce qu’il nous quitte au cours du mois de novembre dernier. Il avait encore pu jouer avec son ensemble VENTIL avec Ute Wassermann, Birgit Ulher, Stefan Keune et Erhard Hirt au Festival de Moers en juin 2020. J’ai eu l’idée d’écrire ce parcours d’Hans Schneider simplement parce qu’il est évident que cette musique existe autant (si pas plus) par l’activité passionnée d’un grand nombre de praticiens que des notoriétés sur lesquels les média et certains journalistes, groupies ou cognoscenti informés se concentrent bien souvent. La liste des artistes jouant à ce niveau est absolument exponentielle et défie l'imagination à l'instar de ces musiques
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