17 juin 2025

John Edwards/ Albert Ayler Prophecy Complete w Peacock & Murray/ Evan Parker & Barry Guy/ Gertrude Clarissa Durizzotto Paolo Pascolo Gabriele Cancelli Marko Cisilino et Martin O’Loughlin

John Edwards Lisbon Solo Double Bass digital.
https://johnedwards.bandcamp.com/album/lisbon-solo-2

Une seule improvisation de 36 :20 durant lesquelles John Edwards fait vibrer les cordes, la touche, le corps de l’instrument, avec autant de sauvagerie débridée que de contrôle instrumental … alternant la percussion des cordes, les frottements ligneux, les glissandi, la frappe « col legno », les rebondissements de l’archet. Un jeu organique, frénétique ou détaché. Vous souvenez – vous de l’île au Trésor de R.L. Stevenson, ce livre légendaire qui raconte les tribulations du jeune Jim Hawkins et le pirate cuistot unijambiste et Long John Silver ? Stevenson décrit la force redoutable des doigts et des mains de Long John Silver qui agrippe et maintient le jeune Jim Hawkins sous sa domination en lui les serrant les bras tel une pince, un étau. John Edwards incarne à la fois toute l’espérance du jeune aventurier et la force irrésistible puissante du forban qui inflige des chocs et des pizzicato furieux en saccades improbables pressant les cordes sur la touche avec une force inouïe, dure et élastique. Au fil de sa longue improvisation, il décline toutes sortes d’effets, de résonances, de notes appuyées au-delà des gammes, grattements crissants, grosses vibrations bouleversant l’âme de l’instrument, la carcasse tremblante, le son du bois hypertrophié, des dérapages et incartades de l’archet, des bruitages insensés et surprenants . C’est à la fois intime, furieux, sauvage, savamment dosé et subtilement enchaîné dans l’instant. Un sommet qui apporte encor plus d’au au moulin de ses solos (cfr Volume/ CD Psi). John Edwards est l’aventurier de la contrebasse, son pirate qui aurait viré de bord pour la cause de l’amour du prochain et une réincarnation de ce Jim Hawkins de légende à qui tout arrive et qui parvient à retomber sur ses pattes après bien des aventures périlleuses … et… quelles pattes ! Ahurissant, existentiel. Unique.

Albert Ayler Trio avec Sunny Murray et Gary Peacock Prophecy Live First Visit Complete ezz-thetics 109.
https://first-archive-visit.bandcamp.com/album/prophecy-live-first-visit

12 juin 1964, Cellar Café, NYC : l’an zéro du free-jazz. Lors d’un concert légendaire, le poète Paul Haines enregistre ce nouveau trio issu d’un quintet – quartet de Paul Bley auquel participaientt John Gilmore, Gary Peacock, Paul Motian et puis Sunny Murray et, ensuite ce mystérieux saxophoniste ténor rencontré par Cecil Taylor et Sunny Murray en Suède au Gyllene Cirkel presque deux ans plus tôt: ALBERT AYLER. Dans l’assistance, il y a John Coltrane, Bill Dixon et beaucoup d’autres. Le mois suivant, ce trio (Albert Ayler Gary Peacock et Sunny Murray) enregistrera « Spiritual Unity » pour le label ESP Disk – ESP 1002. Jusqu’en 1975, les auditeurs et amateurs n’écouteront que l’Albert Ayler Trio enregistré en MONO et réédité en stéréo par ESP, Fontana etc .. avec une autre version du morceau Spirits indiqué en 1/ de la face B dc ce légendaire SPIRITUAL UNITY. Le vrai talisman audio de l’ « Albert Ayler Trio » est bien cet album live qui fut ensuite publié en 1975 par ESP Disk (Réf. ESP 3030) juste avant la cessation d'activités. Par rapport à Spiritual Unity Stéréo, la version la plus connue et la plus vendue, on y entend le « vrai » Spirits tel qu’on l’entend aussi dans l’album Spirits (publié par Debut et dont la réédition Transatlantic British reproduit le dessin de pochette).
Le grand avantage de ce CD , c’est qu’il reproduit avec un nouveau mastering l’entièreté des neuf morceaux enregistrés lors de ce concert inoubliable. Tu parles, c’est lors de ce concert que John Coltrane a été marqué à jamais et on retrouve dans le jeu de ce géant, certains des caractéristiques expressives d’Ayler.Bon nombre d'artistes incontournables du free-jazz étaient présents comme les apôtres du Christ lors de la ... Première Cène... On a droit à Spirits, Wizard et les deux versions de Ghosts 1st & 2nd Variations , … écoutez, vous comprendrez « ces deux variations ». Mais aussi Prophecy, Saints, encore Ghost , encore Wizard, Children (noté Spirits dans l’édition ESP 1002 Stereo). Oui c’est masterisé sérieusement : il suffit d’écouter le son de la contrebasse de Gary Peacock et ses doigtés – pizzicatos révolutionnaires. Oui, c’est bien l’an zéro du « vrai » free-jazz. Sunny joue ses vagues de vibrations sonores hors tempo, le saxophoniste énonce les thèmes mélodiques genre comptines enfantines pour s’échapper dans des glissandi et harmoniques, en speaking tongues échevelées et morsures rageuses, contorsionnant l’articulation du souffle, criant l’espoir et le désespoir. Tabula rasa ! Et le comble dans ce trio révolutionnaire, l’attitude cool et relax du contrebassiste qui joue sur un tout autre plan avec une sonorité de basse chaleureuse et des déboulés à la fois speedés, imprévisibles et … lyriques. La cohérence du trio est aussi puissante et irrévocable que le contraste entre Ayler et Peacock est total. C’est là que des improvisateurs « libres » comme John Stevens et Paul Lovens viendront puiser leur inspiration qui les amèneront dans un autre univers. En plus d’un point de vue « transharmonique » - les intervalles etc… ce sont les faces d’Ayler les plus révélatrices qui permettent de se faire un idée la plus fidèle de sa démarche ou de son « système », tout comme Coltrane ou Coleman ont leurs propres systèmes qui sous-tend leurs visions et les libertés qu’ils se donnent et nous donnent. Rien que pour la troisième version survoltée et différente de Ghosts en 7/ vous en aurez pour votre argent… Même si vous trouvez cet album à un prix trop cher, rien ne justifie de ne pas l’acheter. Car, face à ce moment de folie enregistrée en 1964, vous pouvez jeter une bonne partie de votre collection de disques de «free-jazz», tellement c’est extraordinaire…
Pour la petite histoire, Sunny Murray détenait l’entièreté des bandes de ce concert mirifique et en a fait publier l’entièreté dans « Albert Smiles with Sunny », un double CD du label In Respect en 1996 avec l’aide de Harmut Geerken, musicien et activiste impliqué dans la scène free. Ce double album s’est attiré les foudres d’un représentant légal d’ayant droit, comme si cette musique n’appartenait pas autant à Albert qu’à Sunny, celui-ci inventant un style aussi personnel et innovant que celui d’Albert. Ezz-thetics avait déjà publié cet album en caractères orange « Hatology ». Le voici avec des lettres bleues, celui du blues le plus profond. À se taper la tête contre les murs. LE DISQUE DE FREE JAZZ par excellence.
NB : pour ceux qui recherchent l’album vinyle avec le « véritable » Spiritual Unity – avec – le vrai-Spirits gravé sur le vinyle ESP 1002 MONO ( !), j’informe que le seul autre vinyle ou CD qui reproduit cette version originale est le LP Spiritual Unity publié par E.S.P. Explosive (France) et cela le restera longtmps. Mais qui s’en doute ? Par la suite on retrouve cette version dans le CD réédité par le label japonais Venus. Beaucoup plus tard et à la demande de Martin Davidson et d’autres allumés, ESP a finalement inclus le « vrai » Spirits dans une réédition CD ESP 1002. Le 9ème morceau de ce Prophecy First Visit, intitulé « Children » (et sa mélodie de base) est identique à ce Spirits inclus dans le LP ESP 1002, si ce n’est que la version présente est plus forcenée, plus incisive, plus sauvage, car il s’agit du dernier morceau joué lors du concert, vraisemblablement. On entend d’ailleurs « Children » dans l’album aylérien suivant, « Ghosts » a/k/a « Vibrations », enregistré avec les trois mêmes plus Don Cherry à Copenhagen en automne 1964 et aussi dans le CD d’A.A., The Copenhagen Tapes (Ayler Records) enregistrements publiés dans la grosse boîte Holy Ghost, chère aux collectionneurs fétichistes (label Revenant). Quelle époque !

Evan Parker Barry Guy So It Goes Maya Recordings MCD 2301.
https://mayarecordings.bandcamp.com/album/so-it-goes

Il s’agit bien du cinquième album d’Evan Parker et Barry Guy en duo après Incision (FMP SAJ 1981), Tai Kyoku (jazz & Now 1985), Obliquities (Maya 1995) et Birds & Blades (Intakt 2001, sans compter les nombreux albums en trio avec Paul Lytton. La musique du duo a toujours fluctué entre un jazz très libre complexe décoiffant et très détaillé mélodiquement et/ou une approche délibérément sonore, éraillée et presque bruitiste comme sur cet album du duo enregistré au Japon ou la collaboration avec Eddie Prévost et Keith Rowe (Supersession/ Matchless). Dans cet album dédié à Samuel Beckett et John Stevens et intitulé « So It Goes », un rituel bout de phrase de Stevens et extrait des correspondances de Beckett (quelle coïncidence !), Guy et Parker ont réuni deux duos contrebasse – sax ténor (So It Goes 1 et So It Goes 3) qui ouvrent et clôturent l’album pour 12 :13 et 10 :42 minutes, un duo sax soprano et contrebasse (So It Goes 2 pour 5 :48), un solo de basse (Grit 6 :47) et un solo de sax soprano (Creek Creak 5 :28) d'Evan Parker. On y retrouve concentrées les caractéristiques spécifiques de leur(s) musique(s), y compris le solo en respiration circulaire avec harmoniques, spirales imbriquées, illusion de polyphonie et notes très aiguës jouées au-dessus du registre aigu et ces pulsations isochrones tournoyantes. Ce qui me touche le plus est cette capacité à dialoguer librement avec une très grande précision comme si le matériau mélodique développé interactivement et les structures harmoniques qu’il implique apparaît clairement comme une démarche commune, interconnectée au plus profond de leurs neurones, leur perception, et leurs gestes réactifs. Une qualité d’écoute, un grand sens des nuances, un souffle décontracté prêt à s’emballer dans les spirales les plus hardies aux intervalles de notes « tarabiscotés » comme on aime en écouter chez Trane ou Braxton. Barry Guy s’affirme comme un contrebassiste « violoniste » aussi énergétique que délicat et léger avec cette unique qualité de frottement à l’archet (quels sons aigus sublimes) qui contrastent hardiment avec ses pizzicatos complètement décalés en zig-zag, bourdonnements, sursauts etc… Il y a des moments où la musique s’arrête subitement, les sons s’éclatent, implosent par giclées et frictions bruissantes pour mourir dans le silence. Parmi leurs grands œuvres enregistrés, un moment intime d’une belle qualité musicale fruit d’une collaboration et de recherches fructueuses depuis quasi un demi-siècle.

Nuageux Gertrude Klopotec IZKCD156
https://www.klopotec.si/klopotecglasba/cd_gertrude_nuageux/

Sorry pour le retard pris pour la rédaction de ce texte sensé commenter cet excellent album de Gertrude intitulé Nuageux et ses dix morceaux - compositions orchestrales pour ensemble d’instruments à vents de durées très variées. Clarissa Durizzotto clarinette, Paolo Pascolo flûtes, Gabriele Cancelli trompette, Marko Cisilino trombone et french horn, Martin O’Loughlin tuba. Gertrude, comme Gudule, est le parfait prénom médiéval Brabançon typiquement belge d’une autre époque, devenu un tant soit peu godiche au fil des siècles. Et puis , il est question de Cielo, Cloud, Temporale, Nuageux, ça évoque un pays de par chez nous où il pleut plus souvent qu’à son tour (Pays Bas, Belgique…) . À l’écoute, ce qui débute par une sorte gimmick mélancolique venteux et pluvieux se révèle au fil des morceaux très variés, une musique chatoyante, amusante, nostalgique avec force remarquables voicings, développements de formes et un bel amalgame orchestral, goût des nuances, demi-teintes, passages insolites, bâillements même. Rêveuse aussi : les deux Sonno parte 1 & parte 2 (Sonno : songe ou sommeil, c’est selon. Goût italien de la mélodie et faussoiements de notes. Assemblage insolite et décalé (Ovi – 1:42). Mais aussi, son d’ensemble travaillé, contre-chants, effets de canon . Même si je ne perçois pas bien le but de la musique, celle-ci, remarquablement bien exécutée et somme toute originale, se déploie à son avantage dans un parcours parfois accidenté (Ceneri 6 :35) et fructueux, si l’on considère chacune des compositions renouvelant agréablement les débats. On peut largement y trouver son plaisir et cette étonnante nostalgie imaginaire. Eh oui, il me faut du temps pour parvenir à écrire, les albums 100% improvisés étant prioritaires vu mes choix éditoriaux. Mais ne boudons pas notre plaisir , Gertrude est un projet méritant et avec un tel prénom ...

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