27 décembre 2018

Gerauschhersteller rewilding John Cage / JJ Duerinckx - Anatole Damien/ Ivo Perelman Mat Maneri Hank Roberts Ned Rothenberg / Edoardo Marraffa


Gerauschhersteller There is nothing we really need to do that isn’t dangerous. Rewilding John Cage. 

Initiative très originale du collectif britannique Gerauschhersteller spécialisé dans les œuvres contemporaines d’avant-garde « dérangeantes » qui ont un rôle phare à une époque lointaine (années 50 – 60) dans le tournant vers l’improvisation libre et les musiques expérimentales et dont les partitions laissent aux exécutant une grande marge de liberté, de choix sonores et de créaitivité. Après le Treatise de Cornelius Cardew publié en 2017 dans un superbe coffret de 5 cd’s à 50 copies en édition limitée, voici une série de compositions de John Cage, certaines méconnues, rassemblées dans un nouveau coffret de 5 cd’s. Rewilding John Cage : avec ce sous-titre, les quatre musiciens de Gerauschhersteller, Tom Cleverley , Steve Gibson, Adrian Newton et Stuart Riddle font remarquer que de nombreux interprètes de Cage sont victimes de leurs enseignement, préjugés et comportements académiques officiels, alors que selon eux (et pas mal d’autres) l’univers et la philosophie de Cage est tout sauf conventionnelle, socialement engagée et … anarchiste. Il publie d’ailleurs sa composition Anarchy en première mondiale. On trouve aussi Electronic Music for Piano/ Music for Piano, Four 6 et Four 4, Ryoanji, Cartridge Music. En tant qu’auteur – journaliste, je n’hésite pas à déclarer / j’estime ne pas avoir les compétences suffisantes pour chroniquer valablement les interprétations de compositions contemporaines. J’ai écouté de ci de là quelques œuvres de Cage, mais pas au point de pouvoir écrire un essai à son sujet ou d’exprimer une pensée cohérente. Je me permets de le faire avec l’improvisation libre parce que j’en ai beaucoup écouté, rencontré les « maîtres » et croisé des dizaines de praticiens, organisé des dizaines de concerts, assisté à des festivals et des concerts historiques durant les années 70 et que j’en suis un praticien expérimenté.  Donc après écoute je vais vous livrer mes impressions de profane après avoir insisté sur le fait que cette production de Gerauschhersteller est superbement soignée et que ces musiciens font un travail exemplaire. John Cage posait des questions essentielles sur la vie humaine, la nature et c’est ce message qu’ils veulent transmettre. Je vous livre ce texte, sans encore y joindre mon analyse d’écoute pour vous informer de cette parution au cas où certains d’entre vous seraient tentés de commander ce beau coffret.

Dry Wet  Anatole Damien Jean Jacques Duerinckx https://legeorge.bandcamp.com/album/dry-wet
Duo free basé sur l’écoute subtile et l’invention sonore entre un jeune guitariste électrique qui n’a pas froid aux yeux, Anatole Damien, et un saxophoniste sopranino, Jean-Jacques Duerinckx a/k/a Maurice Charles JJ, qui n’est pas à son coup d’essai. On entre dans un champ sonore – territoire musical exploratoire dont Derek Bailey et Evan Parker, Keith Rowe ou Michel Doneda ont ouvert les portes libres à leurs émules de trouver leurs marques. JJD, est un des principaux activistes de la scène improvisée et expérimentale Bruxelloise et Wallonne et un as du sax sopranino avec une maîtrise exceptionnelle de l’instrument. Tous les grands artistes collègues du sax soprano – sopranino, Evan Parker, Lol Coxhill, Michel Doneda l’ont sincèrement félicité pour son jeu personnel, sa maîtrise technique et sa fougue inspirée. Quant à Anatole Damien, c’est un artiste intelligent à l’aise dans plusieurs domaines musicaux qui se défriche une démarche de plus en plus originale, étrangement bruissante et cohérente à la guitare électrique. Après un morceau – carte de visite qui dégage une belle énergie, le duo se livre à des escapades, musardages, explorations soniques captivantes. La guitare électrocutée, pédales en sur tension et croisées dangereusement, pagaille contrôlée, vibrations subaquatiques vénéneuses s’étalent dans un réseau – canevas anarchique au milieu duquel l’articulation, les coups de langue, les explosions du bec de JJD font tournoyer des spirales de souffles, déchiqueter le timbre, le frictionner aussi méthodiquement que frénétiquement, plier les notes ou entonner une ligne mélodique assaisonnée de quintoiements et d’harmoniques. Il joue aussi sans bec en soufflant à même le tuyau comme un ney avec une projection sonore appréciable et va chercher les extrêmes du souffle dans les moindres recoins de la colonne d’air. Pour les amateurs d’émotions fortes, il peut aussi balancer la purée comme on l’entend rarement. Bref, l’improvisation libre dans tous ses états. Anatole Damien est un artiste prometteur à suivre, sans aucun conteste. JJ Duerinckx mérite d’être soutenu par un fan – club. Même s’il n’a encore publié que très peu de documentation sur son travail, sa musique est réellement fascinante.  Duo à écouter d’urgence !
Ivo Perelman Mat Maneri  Hank Roberts Ned Rothenberg Strings 2 Leo records LR CD 851 



Ivo Perelman est un de ces saxophonistes de haut vol qui ne cesse de documenter sa démarche musicale et ses nombreuses rencontres avec une réelle suite dans les idées. On déplore presque la surproduction digitale et vinylique des ténors de la profession (qui squatte aussi le réseau des clubs et des festivals rémunérateurs) ; Brötzmann, Gustafsson, Vandermark, Gjerstad, McPhee qui finissent par lasser les auditeurs expérimentés. Evan Parker, au moins est un vrai génie du saxophone et il a pris de nombreux risques esthétiques, par exemple avec son Electro Acoustic Ensemble publié à cinq reprises chez ECM. Ivo Perelman n’est pas en reste : son magistral duo avec le pianiste Matt Shipp a été publié tous azimuts sur Leo : une dizaine d’albums en duo, d’innombrables trios ou quartets avec batteurs, bassistes, etc... Mais aussi des choses subtiles en duo et trio avec l’altiste Mat Maneri à faire pâlir un Coxhill- o-lâtre tout en quittant sa posture de cracheur de feu aylérien (qui lui réussissait si bien) pour une démarche plus introspective, librement improvisée et profondément réfléchie. Son projet musical actuel s’intitule Strings dont sept enregistrements ont déjà été mis en boîte et est basé sur sa profonde relation musicale avec Mat Maneri et incluant différents violinistes ou violoncellistes, ici, Hank Roberts et le saxophoniste Ned Rothenberg. Perelman ne court pas après des collaborateurs qui pourraient lui assurer de meilleures perspectives de travail et des assemblages de bric de broc. Ses formations naissent d’une profonde réflexion musicale portée par son goût de la microtonalité et du dialogue intime dans les arcanes des sons, des cordes dans le cas précis. Et après ce remarquable Strings 1 où il cohabitait avec trois violonistes, cet ensemble sax ténor et  violon alto augmenté selon les plages de la clarinette basse et/ou du violoncelle se déploie dans de fascinantes courbes, spirales, croisements, tangentes construites dans un jeu infini de miroirs scintillants. Une musique intime, étirée, où la hauteur de chaque note est décalée de la gamme occidentale par de subtils partiels de tons qui eux-mêmes s’intègrent dans un mode imaginaire, créé sur le champ par les musiciens, principalement Mat Maneri dont c’est la marotte. En parcourant cet album, on notera des modes de jeux variés et évolutifs, la cohérence dans les échanges collectifs et l’intensité de l’écoute. Ivo Perelman module la dynamique de son sax ténor et l’intensité de ses improvisations au niveau idéal pour se fondre avec les cordes. Cette approche musicale me semble aussi forte et originale que celle d’artistes aussi singuliers que Steve Lacy, Leo Smith, Roscoe Mitchell ou Lol Coxhill. Il s’agit d’une tentative en studio, finalement très aboutie et dont la profonde qualité se dévoile au fil des écoutes successives.

Edoardo Marraffa Solo Diciotto Aut Records 

Un album d’un saxophoniste en solo, on se croirait dans les années 74 – 82, lors du déferlement de la free music radicale quand Steve Lacy, Anthony Braxton, Evan Parker, Peter Brötzmann, Oliver Lake, Joe McPhee, David Murray publiait des albums solos, suivis en cela par les trombonistes (Mangelsdorff, Rutherford), les trompettistes (Leo Smith, Baikida EJ Carroll), les guitaristes (Bailey, Frith, Reichel, Boni), les contrebassistes (Phillips, Guy, Altena, Holland, H. Miller) etc….
Saxophoniste ténor de Bologne, Edoardo Marraffa a développé une démarche à la fois expressionniste au niveau de la sonorité et construite méthodiquement. Accessoirement, il joue aussi du sax sopranino pour ajouter une couleur en soufflant simultanément dans les embouchures des deux saxophones. Il fait plus qu’évoquer Albert Ayler avec ses harmoniques extrêmes, ses vocalisations, les grincements et son souffle puissant et brut.  Parmi les pièces (composées) où ses sons perçants et joyeusement agressifs, ses glissandos accentués  et ses staccattos primitifs à la Albert Ayler (qui s’en plaindrait ?), ses pointes d’harmoniques exacerbées font merveille, on entend poindre de ci de là une tendresse mélodique suave et un brin paresseuse. J’aime aussi sa manière d’introduire des grincements vocalisés en ressassant un riff décalé. Au sopranino dans un morceau, il faussoie et siffle ouvertement avec un vibrato d’un autre temps, utilisant cet instrument ingrat pour illustrer  son expressionisme. Certains diront que c’est du déjà entendu, mais en réalité, sa sonorité ne court pas les rues et à mon humble avis, c’est plus original que pas mal de ses collègues au don d’ubiquité prononcé. Un excellent album réjouissant.


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