Paper Pairs and Trombone DVD Video & Artworks by Ebba Jahn - Music by Paul Hubweber. Ltd Edition 50 copies.
Translation of my notes published in the DVD (English/ German)
La musique et l’image font
ici la paire. Dans la galerie, chaque peinture sur papier (format A3) est
exposée en vis-à-vis de celle avec qui elle forme un couple en raison du
mouvement suggéré, de la composition, des motifs et de la technique employée. Ebba Jahn, l’artiste, a conçu une trame, un
cheminement graphique pour que le tromboniste Paul Hubweber construise (invente –
improvise) sa musique dans l’instant face aux multiples paires de tableaux,
structurant ainsi sa pensée et son action musicales. Une promenade musicale
dans l’idée de Moussorgsky et ses Tableaux. Le musicien, non accompagné, donc solitaire, est
libre de concevoir ses improvisations ou compositions instantanées en
s’inspirant de ce qu’il voit et observe en faisant appel à ses émotions, ses
références, sa pratique musicale et son imagination. Les œuvres exposées
embrassent un large panorama de conceptions et de centres d’intérêt dans ce
qu’il est convenu de définir par « art abstrait »… huile, graphite,
aquarelle, vinyle, papier photo, motifs répétitifs et mouvants, végétation
enchevêtrée ou délicate, contorsions ou apaisement… Faut-il ajouter que
l’œuvre d’Ebba Jahn est focalisée sur la musique improvisée et le free jazz
qu’elle a illustré brillamment avec le film désormais classique Rising Tones
Cross (1984) ?
En réécoutant ces 27
minutes les yeux fermés, on est frappé par la cohérence de chacune des
improvisations s’emboitant progressivement dans une grande œuvre sensible et
poétique du trombone, mélodique, sonore, issue du jazz et son expérience
d’improvisateur libre. Dans chaque pièce jouée en regard d’une paire de papiers,
le tromboniste choisit un élément particulier de l’un d’eux ( des
deux !) : forme, couleur, texture, rythme, espace qu’il interprète en
créant tour à tour de manière franche, quasi-mimétique, elliptique,
tangentielle ou éloignée. On entend la couleur bleue dans ses nuances, le détail
pointilliste, le mouvement des traits, l’écoulement de l’eau teintée sur le
papier. Au spectateur de deviner à quel élément du tableau se réfère le
musicien. Libre à tous, les auditeurs, la peintre, le musicien et vous qui
contemplez la vidéo, de comprendre et interpréter l’évolution de ce dialogue
dans le temps et l’espace.
La marche est clôturée /
résumée par une mélopée - ritournelle infinie qui délivre les dernières impressions
de Paul Hubweber sur l’exposition d’Ebba Jahn et l’émotion des spectateurs en
s’étant placé dos à l’angle de la salle en s’adressant au public réceptif. Si
chaque tableau a nourri le travail du musicien, sa musique renforce la raison
d’être des Paper Pairs et la transcende.
Electro-Phonic Art Trio : Through the Rings of Saturn Lawrence Casserley Trevor Taylor Phil Wachsmann FMRCD 540-0519
L’image de pochette, la référence aux Anneaux de Saturne du titre et le nom du groupe feraient croire à un projet académique cousu de fil blanc où à une mise en scène. Rassurez-vous, ce trio navigue à vue dans les eaux les plus dangereusement risquées musicalement et soniquement et nous divulgue bien des secrets étonnants. Ces anneaux de Saturne ont des propriétés extraordinaires : faits de myriades de gouttes d’eau gelée et de composants rocheux et traversés par des satellites qui en déforment l’ordonnancement : Daphnis, Pandora, Atlas, Pan, Prometheus donnent leurs noms respectifs aux cinq improvisations enregistrées ici. Les n° 1 et 5 ont été enregistrés à I’Klectic, les trois autres au studio Visconti, tous deux à Londres.
Trevor Taylor manipule vibraphones et marimba ainsi que des percussions métalliques et intervient avec de l’électronique en empathie avec ses deux collègues. Phil Wachsmann questionne l’acte musical en frottant/ frappant (col legno), grattant subtilement les cordes de son violon et en en décalant la gestuelle avec un usage subtil du delay. Il joue un son, esquissant une mélodie qui s’évanouit aussitôt. Il cherche un timbre aigu qui flotte dans les vibrations électro-acoustiques ou des accents qui se tortillent dans une valse-hésitation au ralenti. Lawrence Casserley est sensé capter les sonorités de ses deux collègues en temps réel et de les transformer immédiatement au travers de son installation très complexe où interviennent plusieurs logiciels (Max Msp) qu’il a transformé, refondu, complexifié. Un Mac Book, deux I Pads et un I-Pad beaucoup plus ancien reliés entre eux et où on voit défiler une multitude d’écrans colorés qui s’éclipsent et réapparaissent subitement recouverts de poussoirs, de curseurs, de boutons en tous genres sur lesquels s’agitent avec frénésie ou minutie les dix doigts des deux mains dans une chorégraphie manuelle improbable. Le résultat sonore, la dynamique, les fréquences, le souffle de cette musique (céleste) est sidérant. La frappe des mailloches sur les lames de Taylor se marie merveilleusement avec ses nuages sonores qui s’échappent de l’horizon ou bien une de ses clochettes vient tinter entre deux attaques. Wachsmann ne poursuit pas l’exécution d’un "solo", mais ajoute – soustrait des interventions spécifiques et changeantes en fonction de l’évolution de la musique du trio et de l’imprévisibilité des extrapolations électro-acoustiques de Casserley. J’ajoute encore que Wachsmann est le pionnier du mouvement qui, au sein de la scène improvisée, allait déboucher sur le minimalisme réductionniste – lower case – new silence : Less is More ! Logiquement, sa pratique devrait se trouver en contradiction avec la musique très complexe de Casserley au style plus efflorescent qui souvent étale sa magnificence sonore dans l’espace. Ces deux artistes qui furent membres du Electro Acoustic Ensemble d’Evan Parker, ont enregistré un curieux album en duo, Garuda (Bead Records CD), où ils mettent en exergue leur appétit commun pour la non linéarité, l’imprévu, le ténu, la retenue et la précision dans l’instant. Et c'est bien cette démarche qui est à l'oeuvre ici avec un souffle nouveau, plus enlevé, mais tout aussi minutieux... Avec un troisième musicien aussi attentif et créatif que Trevor Taylor, les échanges du duo se métamorphosent encore plus dans l’étirement du continuum de l’espace -temps où la grande diversité des sons, des timbres, des dynamiques et une multiplicité de congruences enrichissent fortement ce qu’un auditeur familier attend de leur association "sur le papier". De nombreux passages se déroulent à la limite du silence, la sonorité du groupe se manifeste comme un agrégat collectif duquel se dévoile de subtiles interventions individuelles du violoniste ou du percussionniste qui s'échappent vite dans l'éther. De constants changements de registres sonores, de timbres et de textures superbement enchaînés créent un univers spatial mouvant dans lequel plongent de souples descentes de clusters dont on visualise le mouvement – chute intersidéral. Les différentes hauteurs de notes qui forment cet "accord" continu évolue chacune dans de lents glissandi graduels qu'on perçoit seulement dans la résultante du cluster, créant cet effet de chute ralentie dans l'apesanteur. Le 4), Daphnis contraste intensément avec les paysages enchanteurs de Prometheus (3) : de subites brisures d’intensités et les éclats sismiques nous font redresser les oreilles dans notre fauteuil. Le questionnement du silence et du mouvement musical qui s’ensuit est des plus requérants, pleins de mystères. Si Casserley utilise la boucle (loop) – effet électronique de base – il est assurément un des artistes où cet élément incontournable s’entend le moins. Electro-Phonic ? Phonic est tiré du mot grec Phonos, la voix, qui caractérise la qualité réellement vocale des sons électroniques d’une grande richesse et qui se présentent à nous dans cet album. Si en tant que musicien électronique de l’instant, sa marque personnelle devient prépondérante dans le son d'ensemble, au point qu’on aimerait dire qu’un groupe avec Casserley, « c’est du Casserley », un auditeur attentif devra reconnaître que sa palette et ses moyens sont très étendus au point qu’il nous surprend toujours en se nourrissant littéralement des actions musicales et des sonorités de ses comparses. Sa sensibilité dans l’utilisation de ses processus nécessite pour être perçue une écoute approfondie et réfléchie, une découverte prudente, une compréhension (d’une partie) de son œuvre passée et du cheminement de sa composition dans l’instant. Il faut dire qu’avec des partenaires de choix comme Taylor et Wachsmann et leur profonde empathie, l’intérêt de la musique ne faiblit jamais. Through the Rings of Saturn est un des enregistrements majeurs parmi toutes ses nombreuses associations et la collaboration clairvoyante de PW et TT frise ici la perfection.
Eddie Prévost Matching Mix earshots.org Vinyle
Ear013
Enregistrements
de solo de percussion d’Eddie Prévost captés en une seule journée autour de
Matching Tye, Essex, Octobre 2018. Enregistrés par Daniel Kordik et Edward
Lucas. Mastering Rupert Clervaux. Cover Art Ross Lambert. Notes de N.O. Moore.
Entourés de fidèles musiciens, Eddie Prévost, fondateur d’AMM et musicien /
percussionniste essentiel de la scène improvisée, nous livre ici une mouture sensiblement différente de ses improvisations solitaires par rapport à ses précédents
opus publiés par Matchless Records (Loci
of Change – 1996 et Material Consequences – 2011). La majeure partie de la prise de son a
eu lieu dans une église, la qualité du silence environnant étant bien différent
de celui des studios. La première plage commence par un superbe frottement très
étudié de sa cymbale à l’archet, cymbale fichée sur une tige métallique. Tout
le travail du musicien consiste à varier les intensités, la vitesse et le
mouvement du geste dans le maniement de l’archet produisant ainsi d’infinies
nuances dans le timbre, les harmoniques, les crissements striant ainsi l’espace
sonore, créant sifflements, vibrations, froissements métalliques, suraigus,
multiphoniques, grondements, glissandi surréels, saturation des fréquences…
Bruit musical bien plus musical que puisse paraître le bruit. C’est une voix
qui nous parle en provenance de l’espace. On parle de minimalisme, mais en fait
la simplicité du geste - frotter le bord d’une cymbale avec un archet de haut
en bas ou de bas en haut – est / semble paradoxale, tant la complexité des
textures, des sonorités, des couleurs, des densités, du souffle, du cri est
insondable. Lyrisme qu’on ne peut pas toucher et encore moins décrire. Rien que
cet extraordinaire Mixing and Match qui couvre la moitié de la première face du
disque vaut à lui seul son achat et une écoute répétée. Rotology se déroule comme
une étude de la frappe d’un Tom dans une dimension rythmique mouvante avec
roulements sous des angles variés et avec un sens de la construction musicale
peu commun. On apprécie la qualité de la touche, la variété des notes (!)
et leur expressivité, l’aisance polyrythmique naturelle. MaxPlus évoque le travail
de Max Roach au hi-hat seul avec une dimension tout à fait personnelle. J’en
apprécie vraiment le son qui meurt et s’échappe dans le silence alors que les
frappes des cymbales s’accélèrent ou se relâchent. Rythme et son
s’interpénètrent insensiblement avec mille nuances. Une merveilleuse
démonstration de musicalité sur un instrument ingrat dont on se sert pour
marquer le rythme. Sous les doigts d’Eddie Prévost, le flux s’épanouit en
fontaine de jouvence. Locked In explore la caisse claire
vibrante (ressorts tendus) comme un hommage à Sunny Murray (?). Air
Oak Metal Air est un enregistrement de terrain en plein air à proximité
d’un chêne avec sa cymbale et l’archet. De fins aigus ténus et invisibles
traversent l’espace quand la chair de la cymbale gronde, mugit, chante,
s’élève... L’air vibre. On ne nous dit pas s’il y avait un étang à côté :
le chant du cygne pour une magnifique fin d’album. Un remarquable témoignage
d’un musicien incontournable et très remarquable batteur.
Spinneret
Mandhira de Saram & Benoît Delbecq Confront
Core 06
À chaque
numéro des Core Series du label
Confront, son responsable, Mark Wastell s’affirme comme un producteur de
premier ordre sublimant encore le profond intérêt de sa série de CDR CCS vendues à une centaine de copies dans
des boîtes métalliques en nous offrant maintenant de véritables réussites.
Après son duo avec Julie Tippets, Klinker le double album de Company, le
concert hommage à Coltrane par Dunmall, Bianco et cie featuring Skidmore, Son
travail avec le contrebassiste Arild Andersen et le flûtiste Clive Bell, les Core series aligne un pur chef d’œuvre
dans un exercice difficile. Un duo piano - violon est une affaire délicate
lorsque les musiciens improvisateurs jouent en utilisant les ressources sonores
insoupçonnées de leurs instruments en maintenant un équilibre entre la grosse
machine et le frêle violon. Je me souviens de belles réussites. Il y a fort
longtemps : Agusti Fernandez et Christoph Irmer (Ebro Delta Hybrid 18 1998), l’inénarrable Temperaments de Jon Rose
et Veryan Weston (Emanem 2001) ou le
récent Sonata Erronea de Gunda Gottschalk et Dusica
Cajlan-Wissel (acheulian handaxe aha 1701). Spinneret s’ouvre au
bord du silence (False Window 6 : 32) avec
un jeu délicat du pianiste Benoît Delbecq dans les cordes et avec les mécanismes. Cette
ambiance se développe dans les premières minutes des 31:11 de Lace Weaver. La
violoniste Mandhira De Saram laisse frotter légèrement l’archet pour des harmoniques éraillées
quasi pentatonique. Légèreté, finesse, émotion, subtilité. Les sons des cordes
bloquées du piano préparé semblent venir d’une civilisation inconnue et il en
joue d’une manière peu commune. Toucher exquis du clavier. Finesse dynamique du
jeu de l’archet à la fois vif et dans un registre … au bord du silence avec ses
superbes harmoniques qui relancent l’écoute et l’attention. Ou alors le timbre
est deviné en filigrane d’un frottement quasi-muet. Un dialogue intense se crée
entre deux improvisateurs qui se démarquent par leur approche individuelle et
se complètent néanmoins au-delà toute vraisemblance. Un profond partage des
intentions des deux interlocuteurs et leur écoute mutuelle nous révèlent la
dimension cachée des surfaces, cordes tendues et bloquées, de l’infini anneau
de cuivre gratté et frotté qui enroule ces câbles sous tension, des résonances
de la caisse du piano, … l’archet s’exaspère comme un cri d’animal effrayé et
les intervalles des cordes frappées, on ne sait comment, se devinent
écartelés. Piano et violon ? Objets sonores qui subliment leur fonction
conventionnelle dans une exacerbation de leurs possibilités expressives. De temps à
autre, le superbe toucher du pianiste
affleure comme des gouttes d’eau. Un étrange ostinato s’impose sollicitant les
touches des cordes préparées, assourdies minutieusement et le frêle suraigu du
violon, lequel virevolte un instant avant que les deux improvisateurs nourrissent
encore leurs échanges d’idées nouvelles dans le droit fil de ce qui a déjà été
dit. On ne sent pas le temps s’écouler tant la musique coule naturellement avec une évidence insaisissable. La marque de l'improvisation optimale. Un
lyrisme se dégage, envahit l’espace avec légèreté, grâce et une infinie
subtilité et conjugue le temps avec notre plaisir, notre émotion. En tout point
remarquable.
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