22 septembre 2020

Adam Bohman Marcello Magliocchi Adrian Northover/ Tell No Lies/ Günter Christmann Sven-Åke Johansson Mats Gustafsson/ Guilherme Rodrigues Sebu Tramontana

Föhn Adam Bohman Marcello Magliocchi Adrian Northover https://adriannorthover.bandcamp.com/album/f-hn 

10 morceaux, trente-cinq minutes. La voix d’Adam Bohman récite ses textes collages imprévisibles de temps à autres. Ses doigts aggripent, grattent, frictionnent les cordes tendues sur les objets collés et amplifiés par micro-contacts (cartes à jouer, larges verres à bière, pinces à linge en bois, boîtiers, ampoules, ressorts, cartes de crédit obsolètes) . Ces bruitages trouvent un écho ahurissant dans le traitement des percussions métalliques de Marcello Magliocchi à portée de micro. Les amateurs de lovenseries, turnerages, prévostilles, centazzogies, lê-quanhismes etc… doivent absolument tendre l’oreille. Ses extrémités sonores mettent en perspective, créent une profondeur de champ pour les crissements du lunatique objétiste. Le percussionniste manipule une rare sculpture sonore aux propriétés acoustiques étonnantes. Adrian Northover et Marcello Magliocchi ont établi une intense relation de travail au sein du Runcible Quintet (Dan Thompson, Adrian, Marcello, Neil Metcalfe, John Edwards) et dans des associations momentanées avec le contrebassiste Okamoto, le guitariste Phil Gibbs, et ici Adam Bohman. Quant à Bohman, il forme un trio éberlué avec les souffleurs Sue Lynch et Adrian Northover : The Custodians. Adrian apporte ici une dimension lyrique, un souffle physique dans cet univers métallique et souvent réverbéré. Certains de ces courts morceaux mettent en valeur la diction British improbable d’Adam au contact des percussions frottées à l'archet ou même indescriptibles (métaux). D’autres sont concentrés sur les échanges vifs entre le sax alto tortueux et torturé et les grincements, sifflements, vibrations métalliques de l’infernale sculpture conçue et fabriquée par le sculpteur Andrea Dami. Les enregistrements avec celle-ci ont été effectués à Monopoli dans les Pouilles. Ceux où on entend les gongs et cymbales de Marcello ont été captés à l’OXO Studio en bord de Tamise. Le final avec le sax soprano dans le suraigu et les gongs frappés à la main (!) remplit merveilleusement son office en clôturant cette rare anthologie inclassable. L’écoute attentive de Föhn révèle bien des surprises et moments secrets. Éthérés, vibrationnels, intenses, défiants, bruissants, grinçants, cascades intergalactiques, poésie du moindre effort, sarcasmes bohmaniens à froid.  Trois personnalités bien typées qui impriment leurs marques secrètes dans les intervalles de l’absolu. 

Tell No Lies : Anasyrma Aut Records – Fonterossa AUT 063 Nicola Guazzaloca Edoardo Marraffa Filippo Orefice Luca Bernard Andrea Grillini 

Quintet jazz atypique à la lisière du free, animé par des grooves affirmés et des thèmes tournoyants inspirés par les musiques africaines kwela, balkaniques etc… On songe au Brotherhood of Breath de Chris Mc Gregor ou au Moiré Music de Trevor Watts. Deux souffleurs enragés ET disciplinés, Edoardo Marraffa et Filippo Orefice aux sax ténor, Maraffa doublant au sopranino. Le pianiste virtuose Nicola Guazzaloca est le compositeur des morceaux et le responsable – âme du groupe. Un solide tandem rythmique : le batteur Andrea Grillini et le bassiste Luca Bernard. Trois invités pour un morceau chacun renforce l’édifice : le sax baryton Christian Ferlaino, le violoncelliste Francesco Guerri et le tromboniste Federico Pierantoni. Un groupe profondément soudé qui n’hésite pas à larguer les amarres quand le besoin se fait sentir et nous sert des grooves pulsés et super bien balancés. À l’intersection des dérapages et des thèmes antiphonés, se créent des imbrications imprévisibles, formes nouvelles qui enrichissent le déroulement des sept compositions et en transforme la perspective. Deux d’entre elles figuraient déjà dans leur album Live at The Torrione Jazz Club qui lui comprenait aussi des morceaux de leur premier album, Tell No Lies, « Ne racontez pas de mensonges ». Bien sûr leur musique est profondément authentique, sincère : elle va droit au but sans tentative de recycler tel ou tel truc (cliché – bienséance – mode – hommage – ficelle – clin d’œil). Edoardo Marraffa cultive les glissandi et les speaking in tongues d’obédience aylérienne au sax ténor et Filippo Orefice n’est pas en reste. Le pianiste est à suivre à la trace ! Cette équipe est née et a grandi dans la scène « bolognaise » , un des plus vivaces de la péninsule italienne. À Bologne les concerts de free-jazz, de musique improvisée et expérimentale pullulent, au point que le Teatro San Leonardo de la fameuse organisation Angelica a parfois du mal à remplir sa salle pour des concerts hors programme à cause des multiples opportunités de gigs qui se présentent aux musiciens et au public. C’est dans ce terreau fertile que Guazzaloca a recruté ses acolytes (et amis) afin de pouvoir travailler sa musique en profondeur et … comme en famille, créant ainsi une solidarité à toute épreuve. Lui et Marraffa font d'ailleurs équipe depuis fort longtemps, tournant et enregistrant en duo (Les Ravageurs - Klopotek records / Gluck Auf - Setola di Maiale). Il faut écouter attentivement le jeu puissant de Guazzaloca dans les ensembles, ses solos audacieux et ses débrayages au quart de tour. Le batteur et le bassiste ont créé une entité rythmique qui incarne et vivifie les formes et les pulsations spécifiques des compositions syncrétiques du pianiste dont se font l’écho le travail d’ensemble chaloupé des cuivres. Un air de famille avec les groupes de Carlos Actis Dato. Du jazz engagé par un quintet magique dont l’identité est immédiatement reconnaissable.. 

Im Podewil Vol II Sven Åke Johansson Günter Christmann Mats Gustafsson saj records.

OOOLLLLYAAKKKOOO ! 1993 ! C’est l’époque où un jeune souffleur suédois vient réveiller les initiateurs de l’euro-free improvisation. Mats Gustafsson d’avant la période – à – projets aux quatre coins du monde et ses centaines d’albums, cédés, vinyles, cassettes, éditions limitées etc…. Qui plus est, en compagnie de deux fortes têtes de la scène improvisée des débuts : le tromboniste et violoncelliste hanovrien Günter Christmann et le percussionniste - poète - accordéoniste compatriote Sven-Åke Johansson, celui-là même qui officiait à la batterie dans le Peter Brötzmann Trio (cfr For Adolphe Sax FMP) et Machine Gun, et qui est toujours un collaborateur régulier d’Alex von Schlippenbach.  Je dois dire que si je goûte les interventions astucieuses et amusantes de Sven et ses bruissements sur la surface de la caisse claire,  la rage vocalisée et l’articulation vorace de Mats, et que la cohérence et la connivence du trio est solide et pétaradante, c’est la voix unique de Günter qui polarise mon écoute. Ces détails extrêmes, les vocalisations étirées, les effets de souffle qui n’appartiennent qu’à lui, ses grondements aériens, ses multiphoniques inextricables… Pour notre bonheur, le trio s’engage dans des occurrences sonores distinctes, évolutives … Sven le diseur (quel talent) occupe un instant l’avant-scène pendant lequel les deux autres concoctent un guet-apens. Son solo de batterie au morceau quatre est un véritable numéro d’anthologie. Et quand les deux souffleurs se concentrent sur des sons ténus et soutenus, c’est le batteur qui provoque avec des roulements drôlatiques auxquels répond une morsure brûlante et surnaturelle du sax. On entre ici dans le vif du sujet de l’improvisation libre. L’archet de Christmann batifole sur les cordes évoquant Webern et percute comme un pivert. Il alimente la conversation par une invention permanente où le sens du silence et de la dynamique est le maître mot. C’est en sa compagnie que Gustafsson donne le meilleur de lui-même, où il se révèle un des souffleurs les plus originaux (cfr cinquième morceau). Les changements de cadences et de pulsations du trio sont absolument optimaux. Bref, un superbe document à écouter absolument, même si vous êtes gavés de Mats G et de ses très (trop) abondantes rondelles, car il y a aussi Günter et Sven et la rencontre de ces trois personnalités vaut vraiment le déplacement. 
PS : je recommande de chercher le cd OKKADISK ODL 1002 (édition limitée 750 copies) one to (two).... de Günter Christmann et Mats Gustafsson. Vous aurez là la quintessence de leur collaboration en duo les 15 et 16 août 1997. Le hasard a fait que j'en détiens deux copies numérotées 361/750 ???? 

Guilherme Rodrigues Sebi Tramontana – han jiae inexhaustible editions ie – 024

Le violoncelliste Guilherme Rodrigues et le tromboniste Sebi Tramontana se rencontrent ici, sans doute fortuitement, dans un magnifique échange – partage en sept actes numérotés de I à VII et assez courts (maximum 5’27’’). Ils ont plaisir à altérer les sons de leurs instruments, étendant et transformant les possibilités sonores, en renouvelant continuellement les éléments de langages : lexique, grammaire, syntaxe, extrapolation dans une dimension ludique souveraine, la spontanéité du dialogue instantané. Si le violoncelliste fait vibrer le timbre et l’élasticité sonore de son instrument en y ajoutant des techniques alternatives à bon escient, le tromboniste excelle à chanter dans l’embouchure, vocalisant à l’instar des grands anciens (Tricky Sam Nanton, Lawrence Brown ou Roswell Rudd), ses inflexions vocales travaillent et zigzaguent autant que ses sourdines et que sa coulisse. Tout l’intérêt de cet enregistrement réside dans l’adaptation de chacun des deux protagonistes, deux artistes assez, voire très différents, dans la personnalité musicale de l’autre au fil d'improvisations spontanées ET millimétrées. Rien à jeter ! Une forme de contraste chaleureux, humain, une connivence naturelle  et joyeuse, débouche sur les même histoires (de I à VII)  racontées en coups d’archets brefs, glissandi, cadences brisées, phonèmes instrumentaux, vibrations élégiaques, unissons informels, glossolalies du pavillon, bribes de mélodies, concassages du timbre, simplicité apparente des matériaux, bonne humeur sans clin d’œil, grattements de cordes, passage de l’air dans le tube, compressions de la colonne d’air, multiphoniques, col legno…. Guilherme et Sebi ne se perdent pas dans des avalanches de sons, le moindre détail de leurs jeux contribuent à faire passer leur message d’un jour (22-02-2020). J’avais beaucoup apprécié le solo récent de Guilherme Rodrigues, 22 miniatures exquises au violoncelle, Cascata (Creative Sources). Et donc, Han Jiae est sans doute le plus beau et surtout le plus touchant des albums de ces deux improvisateurs. L'image de pochette reproduit un dessin - portrait des duettistes signé Tramontana. À écouter attentivement. Un vrai plaisir !

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