13 mars 2021

Paul Hubweber – Joscha Oetz/ Duck Baker - Mike Cooper/ Joke Lanz - Ute Wassermann/ Irene Kepl - Udo Schindler

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http://ebbajahnprojects.blogspot.com/2020/12/abbey-duet-paul-hubeweber-joscha-oetz.html

Pochette cartonnée assemblée à la maison avec au recto / verso la photographie d’une sculpture en bois – racine de Brele Scholz, Daphne & Apoll et celle des deux musiciens, le tromboniste Paul Hubweber et le contrebassiste Joscha Oetz qu’on entend ici dans un merveilleux exercice chantant, dansant, vibrant des Chants pour la Maison. La contrebasse vibre et rebondit, puissante et chaleureuse en nous racontant de belles histoires en chœur avec la voix cuivrée qui anime et agite le trombone dans un répertoire traditionnel de chants populaires, de musiques du cœur. Parsemée dans la liste des seize titres joués, le Can’t Find My Way Home de Stevie Winwood, I Have A Dream d’Adrian Belew et the Sheltering Key de King Crimson (explication : Hubweber est un fan de King Crimson). Deux de ses compositions figurent ici, So Far et l’intrigant Horsie jouée dans un magnifique unisson décalé. On va dire que leur musique ressemble à du folk-jazz, mais aussi qu’il n’y a aucun soliste et aucun accompagnateur. C’est un magnifique duo comme le grand contrebassiste Red Mitchell aimait à le faire, cfr le merveilleux LP I Concentrate on You avec Lee Konitz, si on considère le superbe travail du contrebassiste. Hubweber se concentre lui, sur la face chantante de son instrument comme s’il entonnait des hymnes, des prières ou des chansons à boire mélancoliques. Dans cette manière à la fois humble, festive et lyrique, le tromboniste connu pour son travail d’avant-garde dans la scène improvisée nous montre que la musique n’a pas de frontière. Hubweber atteint ici le sommet expressif et universel du trombone et son acolyte, Joscha Oetz n’est pas en reste avec son magnifique jeu à la contrebasse : intonation, projection, suggestion dans un style à la fois florissant et épuré avec quelques effets de timbre bien placés. Son art de l’interprétation spontanée est le fruit d’un travail intense d’improvisateur. On songe à ces artistes singuliers que sont Jimmy Giuffre ou Roswell Rudd pour les instruments à vent et Charlie Haden et Gary Peacock pour la contrebasse. La majorité des pièces sont exécutées avec des pizz amoureux et quelques-unes avec un frottement d’archet profond (Mondlich). Si Hubweber avait officié dans la scène jazz des années cinquante – soixante, les critiques avisés l’auraient désigné comme un styliste original pour son instrument. Sa capacité à chanter pleinement dans l’embouchure nous fait oublier qu’il y a des super-virtuoses, mais surtout on est subjugué par l’empathie rare qui unit les deux musiciens. Une super musique pour attendre la fin de l’hiver et des vents agités au coin du feu.
Ci-dessus, le lien d'une rare vidéo d'Ebba Jahn illustrant tout la poésie du duo.

Cumino in Mia Cucina Mike Cooper / Duck Baker confront core series / core 19
https://www.confrontrecordings.com/mike-cooper-duck-baker

Enregistré à Rome en 2010, Cumino in Mia Cucina réunit deux guitaristes qui ont des expériences musicales similaires. L’américain Richard « Duck » Baker est le Fingerstyle Jazz Guitarist par excellence avec un répertoire très étendu : ragtime, blues, folk, jazz swing, Monk, Herbie Nichols et Ornette Coleman. Depuis ses rencontres avec John Zorn et Eugene Chadbourne vers 1977 alors que ces artistes étaient totalement inconnus, il est devenu un fascinant improvisateur « free » à la guitare acoustique (Outside – Emanem 5041). Mike Cooper fut un remarquable praticien du blues sous toutes ses formes jusqu’à ce qu’il se décide à faire de la musique expérimentale entre autres avec Lol Coxhill et Roger Turner au sein des Recedents. Baker et Cooper se connaissent depuis plus de quarante ans ayant tous deux enregistré pour le label Kicking Mule du guitariste Stefan Grossman, l’élève du génial Reverend Gary Davis, dont plusieurs enregistrements ont figuré au catalogue de ce label consacré à la guitare acoustique, principalement Fingerstyle, au blues, au folk traditionnel, bluegrass, ragtime etc… Fingerstyle, ça veut dire qu’on joue des six cordes de la main droite avec les doigts et que le musicien est à même d’interpréter un ragtime ou un standard de jazz en solo comme s’il jouait du piano. Donc, c’est une technique semblable à celle de la guitare classique « espagnole » mais avec des exigences techniques contraignantes. Il doit assurer la rythmique, l’harmonie et la mélodie en pinçant les cordes avec trois ou quatre doigts et il faut que cela swingue ! Au fil de l’évolution du jazz et de sa complexité, on a vu le nombre de guitaristes « Fingerstyle » fondre comme neige au soleil, car c’est une démarche ingrate, non amplifiée et donc littéralement asphyxiée par la puissance sonore d’un orchestre.
Dans le domaine du jazz free, je pense bien que Duck Baker est bien le seul guitariste fingerstyle d’envergure à jouer Peace d’Ornette Coleman ou Tintiyana d’Abdullah Ibrahim et ses propres compositions qui évoquent celles de Roscoe Mitchell avec des cadences rythmiques affolantes et… des cordes en nylon ! Oui, des cordes en nylon et le bout des doigts. Afin de créer une bonne communication et une symbiose efficace, Mike Cooper a adopté une guitare à cordes nylon similaire. Et quel régal ! Je me souviens du fantastique Guitar Trio de Duck avec Chadbourne et Randy Hutton paru en 1979 (label Parachute) qu’Emanem a réédité il y a peu (Guitar Trio in Calgary in 1977 Emanem 5041). Je rappelle aussi les deux rencontres fascinantes du guitariste (cordes nylon !) Pascal Marzan en duo avec Roger Smith et John Russell parues chez Emanem (Two Spanish Guitars et Translations Emanem 4145 et 5019) que j’ai adoré. Comme le titre Cumino in Mia Cucina l’indique, Mike Cooper, aujourd’hui un habitant de Rome, a invité Richard Baker dans sa cuisine pour concocter de beaux menus pour guitares « espagnoles » à l’italienne, chaque morceau étant dédié à un de ses ingrédients fétiches : Aglio Selvatico, Curcuma, Dragoncello, Peperoncino, Zafferano Saraceno, Fieno Greco, Cannella, Origanum Vulgare et Chiodi di Garofano.
Ce qui me plaît beaucoup, c’est leur cuisine spontanée instantanée avec tous les moyens expressifs et sonores des deux guitares et la fusion joyeuse de leurs interactions comme si leur musique « duelle » était en toute « apparence auditive » celle d’un seul musicien. Leurs jeux respectifs se répandent dans la multiplicité des registres des deux guitares avec un tel niveau d’interpénétration et de connivence gémellaire qu’il est impossible de distinguer chacun des deux guitaristes l’un de l’autre. Quand vous mangez amoureusement un plat savoureux, vous ignorez totalement lequel des cuisiniers a laissé sa trace dans la substance culinaire dont vous vous délectez. Le plat est un tout, une entité dont tous les éléments créent une « harmonie », un entente « concertée ». En musique improvisée cela doit être pareil. Leur musique divague, s’imbrique comme rarement, crée des correspondances, des cadences, des bruissements, des résonances... Chacun s’échappe subrepticement un instant pour aiguillonner leur écoute mutuelle. Entendu la nature de l’instrument, il y a une part de délicatesse, des accents mélancoliques ou rêveurs, la douceur des timbres, la vibration intime de l’âme de la six cordes à travers l’écoutille. Mais aussi, des percussions audacieuses, décalages de phrasés fragmentés, leurs inversions subites et sursauts slappés (Dragoncello). Ou la foire d’empoigne anguleuse et virevoltante de Zafferano Saraceno. Les rotations sinueuses de notes évoquent l’évolution de couleuvres dans les fougères (Fieno Greco), la flagellation et le râclage des cordes sur les frettes et les frappes et grincements sur la caisse de la guitare suggèrent leur démolition sarcastique (Curcuma). Cannella est l’instant d’un swing hésitant et déconstructeur. Il n’y a pas vraiment un style déterminé dans leur « avant-garde », mais plutôt une capacité sagace à faire feu de tout bois en créant des thématiques éphémères, un brin hésitantes, mais diantrement efficaces. Je réitère donc, un vrai régal et une dimension poétique !
Merveilleux !
PS : Et ne devrait-on pas saluer encore la démarche du producteur de Confront, Mark Wastell ? En conviant autant d’artistes différents et aussi intéressants / passionnants dans son catalogue tels que Julie Tippetts, Derek Bailey, Simon H Fell, Rhodri Davies, Mike Cooper, David Sylvian, Steve Beresford, Valentina Ma, Paul Dunmall, Tony Bianco, Benoît Delbecq, Mandhira de Saram, Max Eastley, Clive Bell, Arild Andersen, Chris Burn, Philip Thomas et lui-même, Mark Wastell, un improvisateur « réductionniste » ou « lower case notoire, il crée une synergie dynamique avec une réelle sensibilité. Les auditeurs qui suivent attentivement Confront feront de belles découvertes dont le dénominateur commun réunit l’audace, l’originalité et la diversité innovatrice. Les auditeurs intéressés par quelques-uns des artistes proposés seront tentés par des albums de musiciens dont ils ont entendu parler ou dont ils ignorent tout. Cela renforce la cohésion de la communauté des musiciens et du public par delà les démarches musicales qui, en apparence, semblent esthétiquement divergentes. Avec son label, tout semble possible.

Joke Lanz & Ute Wassermann Half Dead Half Alive Live in Nickelsdorf klanggalerie gg 325 February 2021
https://klanggalerie.bandcamp.com/album/half-dead-half-alive-live-in-nickelsdorf

Platines et voix humaine : Joke Lanz et Ute Wassermann qui, elle est aussi créditée appeaux et objets. Les deux artistes évoluent aux confins des possibles sonores, dans une dimension bruitiste, ludique et subtilement expressive. Deux longues improvisations enregistrées au Festival Konfrontationen Nickelsdorf 2019 : Half Dead et Half Alive. La voix d’Ute Wasserman a une capacité surréelle à transformer son organe vocal comme celui d’un volatile – oiseau rare avec une articulation extraordinaire, ses bruitages vocaux étant travaillés au millimètre près, utilisant les ressources de l’aspiration de l’air dans la gorge comme si c’était un instrument accordé par Harry Partch lui-même. Un phénomène de la voix humaine distillant phonèmes sibyllins, aigus fluctuants qui se dilatent dangereusement, secousses de gloussements improbables, effets de glotte démultipliés, croassements d’échassiers ou de hiboux, hululements, sifflotements extatiques d’appeaux. Des effets d’harmoniques, diphonies en glissando…, halètements inconvenants, growls agressifs dans le gosier, diphtongues de martien, jacasseries siphonnées relayées par le platiniste. Ute a un côté organisé, presque prémédité et pourtant, il est évident qu’elle travaille à l’instinct et dans la magie de l’instant, aimant se surprendre. Pour son bonheur, elle a affaire à un acolyte facétieux avec un solide sens de la répartie et de l’invention qui n’hésite pas à toujours rechercher des sons inédits et à brouiller les pistes. Des secousses vocalisées et des voix parlées issues de je ne sais quel disque entament une conversation imaginaire avec la fée du logis. Joke Lanz traque l’extrême vocal et la fièvre audible aux creux des sillons, des échos d’accordéon, d’orgue de barbarie ou de guimbarde, des grincements vivants et des beats détraqués auxquels la chanteuse répond du tac-au tac avec un surprenant esprit d’à-propos et un délire à froid. Si on n’y prend garde, on distingue à peine qui fait quoi. Leur connivence échafaude des sens dessus-dessous dans une écoute mutuelle intense. Plutôt que de chercher à créer un œuvre avec un début, un développement et une fin avec des ambiances bien caractérisées, des variations calibrées et une relative logique, les deux artistes ont fait le pari de la déconstruction permanente, du coq-à-l’âne et des cadavres exquis avec des correspondances inavouées. Si au départ, à la première écoute, l’auditeur pris par surprise se demandera où ils veulent en venir, il comprendra bien vite qu’ils ne veulent aller nulle part, si ce n’est nous donner le tournis. Petit à petit, un autre univers s’installe, celui de l’instant, du moment présent, celui qui ne voit pas de fin et découpe le fil conducteur en rondelles de sens, éléments de vocalités, de déchets technologiques, scories du temps et épluchures du fruit défendu. Finalement, si leur œuvre semble n’avoir ni queue ni tête, c’est parce que nos voyages et les paysages traversés nous paraîtraient insensés et incompréhensibles si nous n’avions pas incorporé et assimilé une culture, un savoir, une expérience, une destination. Ute Wassermann et Joke Lanz taillent tout en pièces, le fil de l’instant qui trace son destin et nos sens apeurés par l’inconnu.

Schindler & Kepl Fabulierblättchen Creative Sources 653

Enregistré à Munich en juillet 2019 avec l’activiste de l’étape, le souffleur multi instrumentiste Udo Schindler, Fabulierblättchen, met en évidence le jeu lumineux de la violoniste Irene Kepl dont mon ami Jean-Marc Foussat a publié un magnifique album solo sur son label FOU Records. Donc, l’occasion de retrouver cette musicienne inspirée en compagnie des clarinettes et du cornet d’Udo Schindler dont je viens d’avaler une série d’albums avec le chanteur Jaap Blonk et le bassiste Damon Smith dont je vous ai entretenu il y a peu et aussi avec la chanteuse Franziska Baumann, Damon Smith & Karina Erhard, Korhan Erel & Sebi Tramontana. Ces sept improvisations présentées ici suivent à la trace le parcours subtil et dialogué de deux excellents improvisateurs qui ont l’art de s’enquérir dans le détail et les nuances leurs idiosyncrasies les plus secrètes. Incursions introverties dans les possibilités bruissantes de leurs instruments, grinçantes ou saturées, elles renvoient avec bonheur à la conception initiale de l’improvisation non-idiomatique sans qu’on puisse relier leurs sonorités et actions instrumentales à un style ou une marque de fabrique individuelle. Recherche de timbres délicates, forcenées ou expressives. J’apprécie particulièrement Udo Schindler à la clarinette (diese saugten erregtheit) ou au cornet (morgenscheibe rotorange), complètement viscéral et quasi aléatoire. On frise aussi le silence (zahlreiches vorhandensein) intelligemment avec de curieuses harmoniques… Et schicksals blasrohr concentre un lyrisme épuré. Je m’imagine très bien dans l’assistance, concentré par l’écoute et une sorte de ravissement face à cette sincérité qui ne trompe pas. De la véritable improvisation instantanée au ralenti où le temps s’allonge sans peser.

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