8 mars 2021

Veryan Weston Phil Durrant/ Lol Coxhill Pat Thomas/ Primoz Sukič Tom Jackson/ Udo Schindler Jaap Blonk Damon Smith/ Peter Urpeth Ntshuks Bonga Olie Brice Terry Day

four Early Sonatas for piano & violin Veryan Weston & Phil Durrant scätter digital
https://scatterarchive.bandcamp.com/album/four-early-sonatas-for-piano-and-violin

Duo piano violon improvisé : Phil Durrant explore le timbre, la vibration des cordes en modifiant continuellement la pression de l’archet pour chaque son comme s’il cherchait les pierres les plus rares et les plus dissemblables dans un filon inespéré. Il joue avec les extrêmes de son instrument, suraigus tortueux, harmoniques sinueuses, frictions étirées avec des gestes nerveux, brefs, saccadés … une science du mouvement. On aurait imaginé que, face à un violoniste aussi facétieux, le pianiste ait « préparé » son piano avec gommes, pinces à linge, vis et boulons et se soit affairé dans la table d’harmonie, grattant les cordes du piano, les bloquant, frappant la carcasse vibrante comme un instrument de percussion. Mais il n’en est rien. Contrairement à la grande majorité des pianistes qui se dédient à l’improvisation radicale (non – idiomatique, comme on dit), Veryan Weston a fait le vœu de se consacrer uniquement au clavier sans jamais jouer dans la table d’harmonie ou préparer son piano. Il développe ici un jeu épuré et économe basé à la fois sur des pulsations en rotation permanente et des choix de notes étonnants/ étonnés basé sur des infra - harmonies sophistiquées cultivant les dissonances étirées les plus curieuses. Comme s’il éliminait systématiquement et avec goût, ce trop-plein de notes qui fusent sous les doigts des virtuoses. L’aspect le plus fascinant de leur dynamique duo est l’infinie précision de l’un qui répond instantanément aux sons de l’autre ou évoque sublimement sa gestuelle giratoire ou rebondissante. Le phrasé de chacun est fragmenté par de très brefs silences dans lesquels, à la vitesse de la lumière, pointe un accent sonique ou une infime exclamation, geste sonore ou graphie de l’émotion indicible. Une percussivité immanente se fait jour, créant un équilibre véritable entre l’énorme machinerie de câbles sous tension (des tonnes !) sur un robuste cadre métallique se réverbérant dans la table d’harmonie et le bois massif du grand piano et le frêle violon, sa touche ultra-sensible et ses quatre cordes tendues sur la lame boisée du chevalet vibrionnant sur sa caisse entre les ouïes. L’archet peut créer toutes les occurrences sonores en glissandi improbables et musardés, flûtés ou fantomatiques, frictions maniaques confinant à la torture d’ébéniste sadique ou sursauts dynamiques, l’âme du piano et celle du pianiste enchantent les échanges. L’écoute intense de Veryan transforme intégralement la nature même du piano pour se rapprocher de la poésie auditive suggérée par Phil Durrant. Les différences marquantes qui semblent séparer radicalement les deux instrumentistes soulignent remarquablement tout ce qui unit les deux improvisateurs par de-là les formes, les sonorités et l’inspiration. Phil Durrant peut se permettre toutes les folies ravageuses, Veryan Weston s’en fait l’écho avec ce lyrisme gauchi et élégiaque qui transcende les notions besogneuses du pseudo-imaginaire improvisé « logique ». Quatre improvisations intitulées Cirro Sonata (2 :06), Cumulo Sonata (24 :54), Strato Sonata (16 :21) et Nimbo Sonata (20 :13) enregistrées en 1996 à l’époque où Phil Durrant défiait l’entendement avec John Russell et John Butcher (Concert Moves Random Acoustics : on trouve encore des copies, magnez – vous !) et Veryan Weston enregistrait « Playing Alone » pour Acta, le même label qui avait publié le premier vinyle du trio Butcher Durrant Russell (1986 Conceits). Ces quatre pièces inédites incarnent la quintessence de l’improvisation véritable et la plus sincère. Si cet enregistrement a échappé aux radars il y a vingt-cinq ans, il est difficile aujourd’hui de trouver un opus qui échappe autant aux bavardages intempestifs dont se prévalent aujourd’hui les labels propres sur eux et répétitifs, free-consensuels et pas très inspirés. En plus, comme à mon goût, trop de pianistes improvisés ont tendance à se ressembler, Veryan, lui (comme Fred Van Hove), est tout à fait unique en son genre. Et comme dirait l’illustre Johannes Rosenberg, Phil Durrant est un original ! Donc … Les nuages des titres évoquent sans doute les formes en constante évolution maculant le ciel bleu du flux imprévisible de l’improvisation libérée. Remercions bien Liam Stefani d’inclure cette merveille dans le catalogue de son label digital scätter et d’avoir utilisé ce texte pour ses notes de « pochette ».

Lol Coxhill + Pat Thomas Duos (and Solos) scätter digital
https://scatterarchive.bandcamp.com/album/duo-and-solos

C’est déjà le quatrième ou cinquième album avec Lol Coxhill en digital ou CDr… depuis que Martin Davidson d’Emanem a levé le pied. Étrange qu’aucun label d’importance ne consacre une publication à Lol Coxhill, un des saxophonistes les plus originaux de la galaxie free-jazz et free-improvisation. Enfin ! Liam Stephani de scätter nous propose ces solos et duos avec le pianiste Pat Thomas enregistrés en concert en 1991, plus le solo final en 1998. Et c’est toujours un grand bonheur, surtout que le consommateur donne ce qu’il veut pour acquérir l’album et que Lol Coxhill est un artiste inimitable et un saxophoniste improvisateur aussi irrésistible qu’irréductible. Un style à nul autre pareil où chaque note jouée est pliée, étirée, gauchie, vocalisée de manière éminemment personnelle. Un lyrisme déjanté, oblique, avec une pluie de glissandi et de coups de becs évoquant le caquetage d’un canard musicien jusqu’au bout des ongles, des clés et du bec !! Avec Pat Thomas au piano et avec l’électronique, il avait trouvé un acolyte créatif. Ensemble, ils s’écoutaient intensément tout en se permettant de divaguer et de s’échapper et puis de se retrouver deux instants avec une belle exactitude à la fraction de seconde près. Le duo avec l’électronique (en 3/) est tout à fait réjouissant. L’album est organisé de manière que deux solos de Lol ouvre et ferme ce recueil entourant les trois duos pour un total de 41 minutes et bien concentrés. Scätter avait, dans une autre vie, produit One Night in Glasgow du duo Coxhill-Thomas en CD et tout récemment, to Elsie avec le contrebassiste Lindsay Cooper et live at the 13th Note Glasgow (Lol Coxhill + Pat Thomas + Bill Wells + Lindsay Cooper). Un label d’acharnés sans concession !! Non content d’être un pianiste singulier qui échappe aux pronostics, Pat Thomas a développé une utilisation originale des moyens électroniques et de l’échantillonnage au point où il figure dans cette agora des trouvetouts incontournables, les Richard Barrett, Paul Obermayer, Thomas Lehn, Richard Scott. Il avait participé à ce mystérieux Tony Oxley Quartet qui comprenait Derek Bailey, Matt Wand ou Philip Wachsmann. C’est dire ! Lol, mon vieil ami, tous tes amis et moi-même ne nous lasserons jamais de t’écouter et de te réécouter jusqu’à la fin de nos jours, ton souffle décortiquant et déjouant cette biguine inextinguible et loufoque pour notre plus grande fascination. Sans nul doute, tu étais la sincérité et l’originalité incarnées. Le type le plus cool de la galaxie ! Je m’arrête parce que qu’est-ce que vous voulez dire de plus !!

The Godson's Way Primoz Sukič & Tom Jackson Roam
https://roamreleases.bandcamp.com/album/the-godsons-way

Excellent duo guitare électronique et clarinette entre Primoz Sukič et Tom Jackson, deux improvisateurs qui se sont côtoyés à Bruxelles où tous deux résidaient. Tom Jackson n’a pu résister à mettre leur musique en ligne sur son label Roam, lequel a publié un beau solo de l’altiste (viola !) Benedict Taylor. Comme je l’ai déjà souligné à plusieurs reprises, Tom Jackson est une valeur sûre de la scène improvisée et un musicien avec un potentiel peu commun que ce soit dans le jazz contemporain, l’improvisation radicale, la musique classique et contemporaine écrite, mais aussi le jazz swing ou manouche. Son collègue Primoz Sukič est assurément un guitariste à suivre ayant développé un langage très personnel et aisément reconnaissable parmi tant qui manient effets et pédales. Avec une excellente maîtrise de la six cordes, il évolue dans plusieurs registres en jouant aussi en amplifiant à peine comme dans les morceaux 5 et 6. Les deux musiciens font le pari d’étendre leurs dialogues de manière à tenir les auditeurs en haleine avec autant de virtuosité que de créativité. Avec des sauts de registre tournoyants ou cascadants et de circonvolutions acrobatiques, Tom Jackson relance le dialogue en introduisant dans son jeu scories, suraigus, contorsions de la colonne d’air tout en prenant au vol les signaux anguleux, zig-zags, bruitismes et autre bizarreries soniques de Primoz Sukič. Au fil des 6 morceaux et trente huit minutes d’improvisation subtiles et haletantes des deux compères, on entend défiler une véritable évolution dans les configurations sonores, les trouvailles et les remises en question tout au long de cette Voie enchantée du Filleul, cheminement d’une profonde et aventureuse réflexion musicale. Ici on ne se contente pas d’entretenir une sorte de stock in trade de capacités instrumentales couplées à une grammaire déjà remarquable de l’improvisation dont l’intérêt viendrait à s’émousser au fil des minutes, si leur duo n’était guidé par une auto-exigence lucide à repousser un peu / beaucoup plus loin leur recherches d’actions et réactions dans l’instant avec un sens aiguisé de formes convaincantes.
Moi, je vote pour !!

Udo Schindler Damon Smith – Jaap Blonk The Munich Sound Studies vol 2 & 3 FMR
https://balancepointacoustics.bandcamp.com/album/the-munich-sound-studies-vol-2-3-fmrcd594-0920

Très intéressant d’écouter le contrebassiste US Damon Smith en duo avec le multi-instrumentiste Udo Schindler aux sax ténor et sopranino, à la clarinette basse et au cornet (vol.2 dasvinzenz_dialogue). Et Jaap Blonk ? Il apparaît seulement en trio dans les cinq derniers morceaux (vol.3 dasvinzenz _conversation). Donc le duo établit un excellent rapport dans les huit premières improvisations pour lesquelles Udo Schindler change d’instrument passant du sax ténor (dv_d intro), au cornet (dv_d intro2), à la clarinette basse (dv_d.1, dv_d.2) etc… Ce n’est pas toujours évident de passer d’un instrument à l’autre dans le cours d’une suite d’improvisations en duo avec un mono-instrumentiste. Le contrebassiste Damon Smith est cool et nous fait découvrir petit à petit de nombreuses facettes de son jeu et de ses capacités instrumentales. Une superbe qualité de timbre à l’archet et une propension à étirer et explorer les densités fractales, les vibrations graves et les harmoniques de son gros violon. Le duo fonctionne bien lorsqu’Udo sollicite le registre graveleux et les harmoniques vocalisées dans le bocal de sa clarinette basse. Les sonorités respectives se marient vraiment bien et cela inspire le contrebassiste dans chaque morceau où il renouvelle entièrement son approche comme s’il avait chaque fois une autre histoire à raconter. J’ai songé aux facéties de Maarten Altena ou aux infinies variations de timbres en pizz ou coup d’archet sauvages de Barre et de Peter K. , tant son jeu est friand de trouvailles sonores et de changements de registre à rebondissements. Et toujours à l’écoute, le souffleur est toujours inspiré en malaxant ce son vocalisé et charnu qui le caractérise en laissant de l’espace à son collègue (dv_d.3 au sax ténor et dv_d.4 au sax sopranino). Le final nous fait entendre son cornet, un instrument qui lui va à merveille Enregistré le même jour, le 15 septembre 2019, ce deuxième set voit le duo s’élargir avec la participation attendue de Jaap Blonk et Udo qui persévère à bon escient au cornet. Son choix est parfait pour communiquer avec les glossollalies délirantes du vocaliste. Les trois musiciens jouent le jeu. Concurremment aux échanges vocalisés et la verve canaille entre le vocaliste et le souffleur, Damon Smith ne rate pas un instant pour commenter astucieusement l’ambiance folle avec un vrai sens ludique et un à propos sans faille. On écouterait cette deuxième partie rien que pour ses interventions audacieuses et toujours diversifiées. Jaap Blonk multiplie les techniques extrêmes en faisant vibrer les lèvres, les joues en vocalisant à la fois dans la gorge et la cavité buccale ou aspirant l’air comme s’il y avait une machine à son dans son organe vocal. À la fois méthodique et sauvagement spontanés, sa vocalité entraîne ses acolytes dans un rêve éveillé ou une séance de spiritisme dada. Dans dv_d.c4, sa voix mute tout à fait à un moment et les trois délirent comme s’ils étaient des voyants chamanes exorcisant la folie humaine. Dans la plage 11 , le don de la parole se métamorphose comme si Jaap était habité par des esprits … Heureusement, cela s’arrête abruptement, car on a déjà peur qu’il ne puisse revenir de cet au-delà inquiétant. Se pointent alors des machouillements improbables, maugréments d’aliénés, grésillements de gosier, sons étirés et fragiles, monologue intraduisible dans un sabir inconnu et inventé sur le champ. À ce stade , c’est parfaitement réussi, éphémère moment de délire d’un autre monde.

Peter Urpeth Quartet Live at Café OTO Terry Day Olie Brice Ntshuks Bonga Peter Urpeth
https://peterurpeth.bandcamp.com/album/live-at-cafe-oto

Album digital qui confirme encore le retour du légendaire batteur Terry Day, un des pionniers de la free-music britannique. Le pianiste Peter Urpeth, déjà entendu en duo avec Maggie Nichols et Roger Turner, a rassemblé un quartet dont l’instrumentation évoque le free-jazz à plein nez : Peter Urpeth, piano, Ntshuks Bonga, sax alto, Olie Brice, contrebasse et Terry Day, batterie. Seulement, les îles Britanniques ont vu naître l’improvisation libre radicale et même si les trois improvisations « athématiques » enregistrées au Café OTO évoluent dans le champ esthétique du jazz libre, les quatre musiciens s’échappent aisément de cette sorte de déterminisme par certains aspects de leurs jeux. Vous avez là Ntshuks Bonga, sûrement un des sax altos parmi les plus originaux de Grande Bretagne. Il suffit d’entendre le cri déchirant, les morsures brûlantes et les furieux coups de langues qui lacèrent son souffle endiablé et sinueux, voire torturé, pour s’en convaincre. Une superbe énergie et un empressement à oblitérer modèles ou références, cette lingua franca qui appartient à tant de solistes, même parmi les plus estimés, pour explorer et triturer sa superbe sonorité en fragmentant les timbres. Vocalisant, sifflant, exacerbant les extrêmes avec glissandi multidirectionnels et triples détachés impatients et explosifs dans une démarche jusqu’au-boutiste. En cela, il est aidé par l’audace ludique et les frappes insensées du farfadet de la batterie, un rebelle des fûts qui prend un malin plaisir à frapper à côté, à entrechoquer ses baguettes, secouer ses accessoires, cliqueter ses cymbales comme personne, Terry Day. Un original comme l’était son ami John Stevens, disparu depuis trop longtemps. Du vrai « free-drumming » subtil et dynamique. Ces deux joyeux drilles sont là pour nous divertir alors que le pianiste nous régale d’un jeu de piano grandiose avec une logique musicale confondante issue d’une pratique intense inspirée de la musique contemporaine et du jazz extrapolé le plus risqué. Un musicien très sérieux au niveau du contenu musical qui vous fait entendre du « solide » piano avec une maîtrise exemplaire. Rien à envier à Irene Schweizer, la copine de Maggie Nicols, par exemple. Vous ajoutez à cette équation peu commune la puissance et le savoir-faire d’Olie Brice qui apporte une sorte de colonne vertébrale élastique, rebondissante, grave avec une belle indépendance, créant ainsi le bel équilibre instable qui fait que le groupe oscille admirablement autour de ses forces centrifuges et elliptiques. On entend ce genre de musique « free » free-jazz libre avec une telle instrumentation un peu partout au point que cela devient une ritournelle quasi consensuelle. Mais ces British ont le sens de l’excentricité, du contraste assumé et du délire pour faire passer le message et communiquer un plaisir canaille ce qui rend ce genre d’entreprise (un quartet sax piano basse batterie, quoi de plus rebattu) vraiment séduisante. Une authentique urgence. Au fil des minutes, Terry Day se déchaîne et le pianiste s’emballe dans le final. Un super concert !!

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