25 mars 2021

Simon Rose & Youjin Sung / Michaël Attias Gaël Mevel Thierry Waziniak/ Urs Leimgruber Jim Baker Jason Roebke/ Paul Dunmall Percy Pursglove Olie Brice Jeff Williams

Map of Dreams Youjin Sun & Simon Rose Creative Sources CS687CD https://www.creativesourcesrec.com/catalog/catalog_687.html

Simon Rose a sans doute assimilé l’influence d’Evan Parker et, justement, je me souviens avoir discuté avec Evan, il y a bien des années, à propos de nos albums préférés de musiques traditionnelles. Il m’avait signalé l’existence de Korean Social & Folk Music publié par John Levy chez Lyrichord en 1968. Un des morceaux documente un Ajaeng Sanjo, soit une musique jouée sur une cithare coréenne à l’archet (Ajaeng) et complètement « free », ainsi que des pièces au Komungo, une autre cithare différente du Gayageum. On entend cette cithare coréenne Gayageum jouée à l’archet dans le morceau 1 et 8, Pandora et Map of Dreams par Youjin Sung. Je pense même bien que le Gayageum joué à l’archet se fait appeler Ajaeng, si je me souviens , car les notes de pochette incluses dans ma copie de l’album Korean Social & Folk Music ont disparu. Toutefois, si sa musique est un peu moins sauvage et hantée qu’ Ajaeng Sanjo dans le 8 - Map of Dreams, la musicienne fait carrément déraper son archet sur les cordes avec ces effet sonores étonnants qu’on entend aussi dans le vinyle précité. La musique coréenne se caractérise par ses rythmes flottants qui oscillent étrangement et dont la vitesse accélère ou ralentit ou, si vous voulez, l’espacement entre les temps accélère ou ralentit légèrement, comme si la musique hésitait à se mouvoir. La qualité sonore erraillée du sax baryton de Simon Rose, son jeu avec les harmoniques et la fluctuation de ses accents et boucles sonores en rythme libre cadrent parfaitement avec le jeu particulier de Youjin Sung. Simon sort l’essentiel de son baryton et donne le meilleur de lui-même. Youjin Sung ajoute une subtilité et une légèreté aérienne qui contrastent et paradoxalement s’imbriquent dans la pâte sonore mouvante et déchirante de son collègue. Tous deux sont en communion totale autour de ces pulsations hésitantes qu’on retrouvent à la fois dans les doigtés un peu fous du Gayageum et les coups de langue et de bec du souffleur. Je suis tout à fait ravi de ce magnifique échange entre cette tradition extrême orientale ouverte à l’avant-garde et la free-music Ouest Européenne : les deux artistes font corps l’un à l’autre et crée des paysages sonores hantés et envoûtants. Excellent !!

PS : Nombre de musiciens japonais et chinois traditionnels ont un solide pied dans l’avant – garde et les musiques improvisées comme Kazue Sawaï, la géniale Kinshi Tsuruta, Min Xiao Fen et Xu Feng Xia. Les musiciens coréens eux sont carrément prédestinés à ce type de rencontre du troisième type.

Trio Alta Michaël Attias Gaël Mevel Thierry Waziniak label Rives
https://www.gaelmevel.com/trio%20alta.html

Un objet rare en soi, un cédé emballé entre deux feuilles de caoutchouc carrées et aimantées, avec une peinture unique sur une face, pour une musique peu commune. Une volonté de jouer épuré et parfois un peu minimaliste en évoquant – interprétant Les Mots d’Amour de Charles Dumont, Nana de Manuel de Falla, Josqin des Prés, et l’Énigme Éternelle de Maurice Ravel, auxquels s’ajoutent trois compositions du violoncelliste Gaël Mevel. Le souffleur, Michaël Attias, sax alto et piano, stylise le substrat mélodique en sélectionnant ses notes en jouant avec le silence. Un lyrisme réservé affleure et illumine l’espace laissé libre par Le violoncelliste n’est pas en reste en délivrant un jeu hiératique en répétant inlassablement une ligne ou en flagellant les cordes en douceur avec des harmoniques pointues. Des notes de pianos clairsèment les échanges au centre des quels agit un batteur au sens mélodique affirmé tout en légèreté. Thierry Waziniak se contente de faire rebondir ses baguettes d’un côté à l’autre des peaux, des bords et des cymbales en variant le toucher, la sensibilité des frappes offrant un espace de jeu grand ouvert. Rythmique libre et consciente de complexes pulsations exquisement suggérées. Un poète de la batterie en complète maîtrise de l’instrument. Les musiciens mettent en avant le silence, une forme de contemplation du vide et de beaux mouvements lents. Il suffit de quelques coups d’archet vibrant de Gaël Mevel pour mettre une fois pour toutes en évidence la densité lumineuse de son jeu, occulté ici par le parti-pris minimaliste qui préside à l’esprit d’ouverture de ce magnifique trio aussi discret que sensible. Car c’est la sensibilité, la légèreté, l’épure de formes musicales réduites à leur existence fantomatique qui inspirent leur géométrie triangulaire aventureuse et mouvante. Ils se rapprochent ou s’écartent de la mélodie en étirant les pulsations jusqu’à leur dissolution dans le son. C’est très fort et aux antipodes de l’expressionnisme free, dessinant un univers où le moindre geste, une vibration de cymbale et deux notes de basse répétées sur la touche du violoncelle prennent tout leur sens. Admirable et, je vous assure, sans pareil.

Elastic Urs Leimgruber Jim Baker Jason Roebke Creative Works
https://www.creativeworks.ch/home/cd-shop/cw1066ccd/

Ce n’est pas la première fois qu’Urs Leimgruber enregistre à Chicago (Cfr Chicago solos Leo Records). Ici à Elastic en compagnie du pianiste Jim Baker, crédité au synthé analogue et du contrebassiste Jason Roebke, deux piliers de la scène de la Windy City. Le sax soprano d’Urs pointe dans la recherche de sonorités aigues, de caquetages – nasillements contorsionnés et bruissant au milieu des vibrations multiformes de l’électronique pointue de Jim Baker, un véritable as dans ce domaine. S’insèrent adroitement les frottements et grincements d’ébéniste sur la contrebasse par un Jason Roebke attentif. La musique se développe à travers des mutations soniques introspectives, extrêmes, entre bruits, aigus striés, brouillages de fréquences, recherche éperdue de sonorités cachées au creux des instruments et de leurs agrégations pensées ou aléatoires… La musique improvisée radicale vécue, assumée, subtile, parfois surprenante et menée dans la logique de l’instant à l’écart de formes décelables dans la durée. Tentatives réitérées par des essais de dialogues concluants ou illusoires, instants éphémères… on y poursuit aussi l’infime, l’infra – son, le dérisoire, l’exacerbé … l’invention, en fait. Une dérive de deux pièces qui semblent ne pas s’allonger dans un temps élastique, mais 19:42 et 23:34 quand même, et encadrant un troisième de 4:59, concentré probant avec un piano agile. À cet instant, on songe à un frère inconnu de Steve Lacy. Il se passe donc beaucoup de choses qui s’interpénètrent, se succèdent et nous entraînent dans un rêve éveillé, un état semi-conscient de poésie, de sonorités âpres, fluides en métamorphose constante, l’invariant du changement perpétuel assumé dans le moindre détail, malgré les scories.

Palindromes Paul Dunmall Percy Pursglove Olie Brice Jeff Williams West Hill Records WHR002
https://westhill.bandcamp.com/album/palindromes


Superbe quartet “jazz libre” entièrement improvisé dans l’instant tout au long de deux longues improvisations collectives de 31 :47 (Tattarratattat 1) et de 30 :30 (Tattarratattat 2) enregistrées au Café Oto le 04/02/2020. Deux souffleurs interagissant subtilement de manière très fair-play et ouverte : au sax ténor, Paul Dunmall et le trompettiste Percy Pursglove dont ce n’est la cinquième collaboration enregistrée. Un batteur attentif, sensible, jouant de toute l’étendue de la palette percussive au fil de l’évolution de ces instants improvisés en constante mutation : Jeff Williams, venu exprès d’Amérique. Pilier solide et remarquable archet, le contrebassiste Olie Brice. La musique baigne dans une écoute mutuelle intense et une empathie profonde. Plus qu’un style au sein de la mosaïque free-jazz, ces quatre-là revendiquent un mode de vie, une énergie puissante, une exigence au niveau de l’instrument, du son et des échanges incessants. Dunmall c’est la science du sax ténor jazz : Coltrane, Henderson, Griffin, etc.. avec une articulation impressionnante, une sonorité qui transite du soft cool à la puissance mordante et brûlante des allumés du « coltranisme » côté organique, sauvage et suprêmement complexe, voyageant dans les spirales des échelles modales distendues au-delà de la raison et modulant le matériau mélodique sans cesse jusqu’à l’exacerber, le triturer ... Avec Percy Pursglove, Dunmall a trouvé un fantastique alter ego inspiré, fougueux et inventif. Chaque musicien présent trouve l’espace pour s’exprimer à égalité et s’écarte un moment pour mettre son ou ses collègues en évidence. C’est ce qui se passe dans les premières minutes du deuxième morceau, Tattarratattat 2, où Pursglove et Brice dialoguent avec bonheur servis par le batteur inventif et aux petits soins. On rentre et on sort dans et hors de la rythmique cadencée explicite ou de la polyrithmie désarticulée. La musique se construit patiemment, poussant jusqu’au bout les ressources des éléments mélodiques et les configurations. Cet enchaînement aussi spontané que follement méthodique se construit en augmentant continuellement et graduellement la tension et une passion de plus en plus effervescente. Une fois lancé Dunmall grimpe dans la stratosphère à coup de triples détachés vertiginieux, alternant harmoniques acérées et morsures incandescentes dans des spirales tortueuses, alambiquées... Cela finit par aboutir à une empoignade à toute vapeur ou des no man’s land imprévus. Là, Olie fait vibrer la caisse de son gros violon en frottant les cordes, les faisant geindre, crier, miauler.. et les deux souffleurs crachent, interjectent,... la trompette implose, le sax maugrée... Avec Dunmall, la free-improvisation sonore n’est jamais loin au gré de la transe intérieure et des événements … heureusement , Jeff Williams percute avec un remarquable à propos, proposant sons, vibrations, chocs, cliquetis colorés et vagabonds. Olie Brice cultive ce son puissant et cet engouement qui fait se promener la basse dans la troisième dimension : synergetic walking bass ! Je reviens encore sur Percy Pursglove : il me convainc de plus en plus dans sa recherche des multiples occurrences sonores qui émaillent son délire. Tout bénéfice pour ce quartet de rêve.

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