20 octobre 2022

Daunik Lazro Carlos Zingaro Sakis Papadimitriou Jean Bolcato/ Mark Wastell Solo / Gianni Mimmo & Pierfrancesco Mucari

Peripheria Daunik Lazro Carlos Zingaro Sakis Papadimitriou Jean Bolcato Fou Records FR CD 43.
https://fourecords.com/FR-CD43.htm

Publié en 1994 au début de l’ère du CD de musique improvisée, Peripheria était alors (1994) un des rares documents d’improvisation libre disponibles en compact disque sur le label du violoncelliste Didier Petit, In Situ (IS 164) en collaboration avec Basta sarl et le festival du CCAM de Vandoeuvre – lez – Nancy . In Situ avait aussi à son catalogue François Tusquès, Steve Lacy en solo, un duo de Lazro avec Joe Mc Phee, Joëlle Léandre, Michel Doneda, Lè Quan Ninh, Malcolm Goldstein, Didier Petit, Denis Colin, Alan Silva/ Hannes Bauer/ Roger Turner, Sophie Agnel, etc… Ce label a écrit une belle page de l’évolution des musiques improvisées en France. Je pense que c’est une excellente idée de rééditer Peripheria et cela pour plusieurs raisons. Sa réalisation se situe à un moment charnière où une prise de conscience de nombreux improvisateurs français les pousse à se démarquer définitivement du free-jazz et de concepts tels le « folklore imaginaire » ou la « création contemporaine » pour revendiquer une radicalité de l’improvisation. Daunik Lazro avait publié aussi quelques albums avec contrebasse et batterie (et un autre souffleur éventuel) pour les labels Bleu Regard ou 2Z et ce Peripheria a lui, une toute autre configuration instrumentale sans batterie : saxophone alto et baryton (Lazro), violon (Carlos Zingaro), piano (Sakis Papadimitriou) et contrebasse (Jean Bolcato). Leur musique est basée sur l’interactivité, l’évolution de formes mouvantes, une conception collective et égalitaire basée sur l’écoute de tous les instants et une empathie profonde. Des états d’équilibre instable et de recherche constante de formes nouvelles où personne ne joue le rôle d’un « soliste » ou d’un « accompagnateur ». On y trouve aussi des effets d’ostinato et quelques interventions « solistes » de la part du saxophoniste, du violoniste et du contrebassiste, avec des alternances spontanées, le pianiste créant une trame sonore, percussive etc… L’accent est mis sur la lisibilité des interventions individuelles, des « questions-réponses », une intention ludique et une forme d’indépendance spontanée de chacun vis – à vis du groupe. Ce quartet Peripheria était aussi l’initiative de Daunik Lazro et fait suite à un quartet précédent avec Joëlle Léandre, Yves Robert et Irène Schweizer (Paris Quartet 1989 Intakt 012). Par la suite, d’autres quartets enregistrés verront le jour avec une musique organique, continue et texturale où le « soliste » s’efface et le musicien s’intègre nettement plus dans la masse sonore jusqu’au point où l’auditeur distingue à peine « qui joue quoi » . Un bon exemple en est Quat Neum Sixx avec Sophie Agnel, Jerome Noettinger et Michael Nick « Live at festival NPAI » ou « Humus » avec Benjamin Bondonneau, Laurent Sassi, David Chiesa, Didier Lasserre, tous deux chez Amor Fati.
Alors ce Périphéria fait le tour des qualités particulières de chaque musicien, lesquelles mettent magnifiquement en valeur chacun d’entre eux et l’ensemble. Un enrichissement mutuel. Il y a bien quelques ficelles pour faire tenir l’édifice et elles devraient permettre à l’auditeur lambda, celui qui découvre ce genre d’expression musicale, de trouver une main courante dans cet espèce de brouillard qui s’impose à une écoute inhabituelle. Incontournable, la profondeur de champ du travail à l’archet de Bolcato, point d’ancrage terrien du groupe, les sons quasi flûtés et les harmoniques chatoyantes du violon de Zingaro, le lyrisme et la sonorité mordante de Lazro et la vision architecturale de Papadimitriou. Et donc, il s’agit d’une musique libre, à la fois sincère et généreuse... et très sensible. Elle garde un lien et un feeling propre au jazz tout en s’affranchissant des repères formels propres à celui-ci. Excellent !!

Mark Wastell Cello – Intern Solos Confront Core Series Core 27
https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/cello-intern-solos

Le temps de recevoir ce nouveau CD de Mark Wastell par ces temps de Brexit et je constate qu’il ne reste quasiment plus d’exemplaires disponibles. Confront Recordings est le label géré et animé par le multi instrumentaliste Mark Wastell et c’est avec plaisir que je l’entends retourner à ses premières amours, le violoncelle. Cello – Intern Solos est le résultat d’une intense série d’enregistrements solitaires dans la légendaire Hundred Years Gallery d’Hoxton Londres, sans doute le lieu le plus propice pour créer des projets de musique improvisée tant son responsable, Graham McKeachan, lui-même contrebassiste est ouvert, bienveillant, disponible et collaborant. C’est d’ailleurs Graham lui-même qui a patiemment procédé à l’enregistrement de ces 17 morceaux réalisés entre février et may 2022. Toute la musique virevolte autour de glissandi et d’harmoniques de multiphoniques et de sons fantômes évoquant un chant de baleine physique, organique, un glapissement soutenu et contorsionné, un mouvement continu d’ondes sonores oscillantes . Un travail sonore précis, très fin, puissant et volatile. Le chant des cordes pressées sur la touche et de frottements « sifflés » tournoyants. Des graves sublimées s’extraient des aigus éthérés, réverbérés, instables. Une musique d’énergie et un univers sonore qui semble éloigné de ses expériences passées, si ce n’est que Mark fut un des plus proches collaborateurs du génial contrebassiste improvisateur et exceptionnel compositeur aujourd’hui disparu, Simon H. Fell et avec un tel camarade aussi proche, il a de qui tenir avec son archet, les cordes sur la touche et le chevalet près duquel il frictionne son instrument de manière aussi obsédante qu’inspirée. Une très belle réussite.

How To Get Rid of The Darkness Pierfrancesco Mucari & Gianni Mimmo Amirani AMRN 070
https://www.amiranirecords.com/editions/howtogetridofthedarkness

Deux saxophonistes : Gianni Mimmo à l’unique saxophone soprano avec des accents et des intervalles caractéristiques de la musique de Steve Lacy. Pierfrancesco Mucari aux sax soprano, alto et « préparés » ainsi qu’au marranzano dans les n°5 et 12. Le marranzano est en fait une guimbarde traditionnelle qui est utilisée pour marquer des pulsations alors que Gianni Mimmo développe une improvisation. L’échange intense et excellement coordonné entre les deux souffleurs contribue à construire une remarquable musique collective où les traits précis de chacun s’emboîtent dans une surprenante architecture. Une partie des 12 pièces, véritables compositions instantanées, ont une durée assez courte autour des deux minutes, mais deux autres font plus de six minutes et les deux plus longues dépassent les neuf minutes. Les plus longues sont construites autour d’une narration imaginaire alors que les plus courtes sont de remarquables miniatures qui expriment l’essentiel. Le degré d’empathie et d’imbrication est tout à fait remarquable. L’auditeur ne se pose pas la question de distinguer « qui joue quoi » tant les interventions alternées détaillent un matériau structurel unifié, alors que les durées des segments que chacun des deux improvisateurs s’attribuent spontanément par leur jeu individuel sont tout à fait irrégulières rompant ainsi l’impression d’une forme structurée, alors qu’ils donnent le sentiment qu’il y aurait un plan préétabli qui d’ailleurs suggère un labyrinthe alors que les différentes pièces s’emboîtent comme un puzzle dans notre perception. Ouf ! Cette manière de partager l’espace sonore et le flux de l’improvisation répond à l’exigence de spontanéité et de formes originales en arpentant des canevas polymodaux. Polymodal est le terme choisi entre autres par Steve Lacy pour expliquer sa conception de superposer et imbriquer plusieurs échelles modales différentes dans la même composition. On retrouve ici l’angularité récurrente du « monkisme » chère à Steve Lacy, bien que les accentuations de Gianni Mimmo soient plus élusives et nettement moins marquées. Leurs improvisations sont consistantes et si elles font partie de l’univers Lacyen, les deux musiciens leur apportent un feeling et une orientation esthétiques bien différentes, et sutout, chaque note est jouée avec sa raison d’être. Une superbe musique poétique et raffinée qui me procure un vrai plaisir d’écoute.

Vous constaterez, chers lecteurs, que le débit de textes chroniquant ces merveilleux albums (ou simplement intéressants) dans ces lignes a sensiblement ralenti par rapport aux phases plus productives. Un explication : je réécoute de plus en plus profondément les meilleures sessions sur lesquelles je me suis étendu par le passé. Certains albums semblent "tout" exprimer à la première ou deuxième écoute et d'autres fascinent au point qu'une écoute répétée devient irrésistible. Le plaisir, l'urgence, la grâce etc.... Cordialement !!

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