9 février 2024

Guillermo Gregorio Damon Smith Jerome Bryerton/ Ivo Perelman Barry Guy Ramon Lopez/ Carlo Mascolo Miguel Mira Marcello Magliocchi / Joris Rühl Feuilles avec Xavier Charles Jonas Kocher Toma Gouband/ Roberto Di Biaso

The Cold Arrow Guillermo Gregorio Damon Smith Jerome Bryerton Balance Points Acoustics bpaltd 19019
https://balancepointacoustics.bandcamp.com/album/the-cold-arrow-bpaltd19019

Le clarinettiste Guillermo Gregorio s’est fait connaître par plusieurs albums Hatology parmi lesquels Background Music avec Mats Gustafsson et le batteur Kjell Nordeson dans un trio atypique et une version du Treatise de Cornelius Cardew. Plus récemment, Takeo Suetomi a publié une Futura Spartan suite d’un trio de Gregorio avec le bassiste Nicolas Letman Burtinovic et du batteur Todd Capp et lui font suite d’autres trios le batteur Ramon Lopez et le guitariste basse Rafal Mazur (Wandering the Sound) ou le bassiste Joe Fonda (Intersecting Lives) pour Fundacja Sluchaj. Ce même label polonais propose aussi Room of the Present avec le contrebassiste Damon Smith et le percussionniste Jerome Bryerton (Room of the Present). Rien que de penser à ces inattendus October Meetings déjà lointains (dans le temps) de cette paire Smith & Bryerton avec le génial Wolfgang Fuchs pour le label Balance Points Acoustics, je me dis que cette Flèche Froide doit sûrement être incontournable. Le problème avec cette inexorable avalanche d’albums CD’s et digitaux c’est que sous une couche épaisse d’enregistrements qui cultivent la plaisante lingua franca de la free-music, se trouvent aussi et malgré tout de véritables trésors. Enfin du moins, une combinaison d’instruments /musiciens vraiment astucieuse comme ce trio « Cold Arrow » . Si Guillermo Gregorio est un brillant clarinettiste volubile formé au classique contemporain avec un sens de l’écartement instinctif vers le sonore et un don inné pour souffler au plus proche du silence, ce penchant est cultivé savoureusement et profondément par Damon Smith, un véritable sculpteur du son et de la matière de la contrebasse acoustique et par Jerome Bryerton. Celui-ci ajuste ces ustensiles percussifs pour livrer des vibrations, textures et bruissements avec agilité et une belle précision sans envahir le champ sonore et la capacité d’écoute : interventions superbement équilibrées par rapport à la dynamique et aux subtilités de ces deux collègues. On apprécie l’usage nuancé des ustensiles métalliques : tam-tam, cymbales (archet ou mailloche, grattage…) et des « secouages » d’objets percussifs, tintements divers en phase avec le contrebassiste – explorateur etc… Damon Smith déploie son imagination à l’archet et un toucher sensible en pizz parfaitement approprié à l’ensemble (on songe à Barre P.). Atmosphères évoluant dans différents registres mettant en évidence le lyrisme extensible et secret de Gregorio, un clarinettiste parmi les plus originaux, attaché au timbre et à la ductilité de la clarinette « normale » dans un univers harmonique contemporain post Webern. Cette dualité est développée lors de dix improvisations autour des quatre minutes dont huit sont intitulées Planar Effect numérotées de 1 à 8 dans le désordre. Une autre, Coplanar 4 et N°12x. Compositions , improvisations ? Peu importe, on se laisse emporter par leur musique introspective, la rêverie et aussi la réalité intransigeante de leur démarche collective, avec aussi quelques passages virevoltants de la clarinette. Le dosage des interventions individuelles est en tout point remarquable, et celles-ci sont toujours cohérentes avec les affects de chacun et du trio, lequel met magnifiquement en valeur leurs intentions et leur talent musical.

Carlo Mascolo Miguel Mira Marcello Magliocchi Bridge in the Dark FMR CD638-822
https://muzicplus.bandcamp.com/album/mmm-trio-bridge-in-the-dark

Enregistré en 2018 et publié récemment par le prolifique label FMR Records, Bridge in the Dark s'affirme comme un excellent témoignage de cette musique improvisée « libre » qui s’affirme plus comme une rencontre d’individualités aux parcours et aux esthétiques différentes voire même divergentes jouent le jeu créer des liens sonores, des correspondances, soit « un pont dans le noir » de l’instant et du lieu. Ce qui compte dans ces 7 improvisations bien typées aux durées courtes (3 seulement tournent autour des 5 et 6 minutes), est l’empathie, la trouvaille d’une forme spontanée et réfléchie dans laquelle les sons produits par chacun se mêlent, s’enrichissent, s’agrègent dans une magnifique empathie. Miguel Mira appartient à cette fratrie géante de cordistes portugais qui collaborent intensément les uns avec les autres (Carlos Zingaro, Ernesto Rodrigues, Guilherme Rodrigues, Joao Madeira, Hernani Faustino, etc...) dans une kyrielle de formations aussi intéressantes les unes que les autres. Sa musicalité et ses idées sont structurantes, permettant au percussionniste Marcello Magliocchi, un vétéran de la scène italienne (Gianni Lenoci, Roberto Ottaviano, William Parker, Carlo Actis Dato, Adrian Northover, Matthias Boss etc…) et puriste de l’improvisation, de détailler adroitement toutes les ressources sonores et ludiques de son savoir-faire de batteur de haut vol, sans jamais obstruer le dialogue avec des frappes «inconsidérées ». On songe à Roger Turner par exemple. Une finesse remarquable, une légèreté dynamique et «coloriste» spécialement dans le travail des métaux, cymbales …. L’électron libre du trombone méridional, Carlo Mascolo, un résident de l’antique ville d’Altamura qui a accueilli cette superbe session, a plus d’un tour dans son sac : bruissements aux lèvres bourdonnantes, sonorités vocalisées en glissandi expressifs, toute cette grammaire trombonistique partagée des anciens (Rutherford, Schiaffini, Bauer, Rudd) dont il prolonge créativement les artifices et coup d’éclats. Et Miguel Mira, force tranquille, livre le complément sonore « adéquat », ce ciment qui ajoute encore plus de cohérence… et de musicalité partagée. Rien à redire : Bridge in the Dark est un véritable album de musique improvisée libre, offre une belle écoute mutuelle, un excellent travail collectif. Une trentaine de minutes parfaitement remplies qui s’écoulent comme dans un songe ou comme une communion d’esprit qui fait s’évanouir le temps.

Interaction Ivo Perelman Barry Guy Ramon Lopez
https://ivoperelmanmusic.bandcamp.com/album/interaction

Trio “Classique” sax ténor – contrebasse – percussions enregistré en 2017 , plus de deux heures de musique publiée en digital par Ivo Perelman lui-même. Celui-ci enregistre tellement qu’une partie de ses sessions sont publiées hors CD ou vinyle, uniquement en digital via la plate-forme bandcamp. Le contrebassiste Barry Guy fait merveille de bout en bout, héritier « free » des contrebassistes modernes tels La Faro et Peacock et pour ce faire, son coéquipier batteur Ramon Lopez est plus qu’à la hauteur avec toutes les nuances de frappe, glissement, frottement, scintillement. Trilogue pleinement réussi mettant en évidence le jeu si précis, reconnaissable et hautement original d’Ivo Perelman. Le lyrisme à l’état pur et un sens mélodique profondément brésilien qui étirent les notes, leurs harmoniques, morsures du vent, growls, spirales, extrêmes de la colonne d’air… poésie du souffle. Musique en trio translucide dans laquelle il est possible de suivre distinctement le jeu instrumental de chacun à égalité. Jazz – free dira-t-on … oui mais le leur a épousé les « règles » et l’éthique ultra démocratique de l’improvisation libre collective égalitaire – antihiérarchique où chaque contribution individuelle a la même importance que ce soit pour le contrebassiste, le batteur ou le saxophoniste lequel puise allègrement dans le registre sonore des anciens (Mobley, Getz, Henderson, Webster) tout en poursuivant sa propre route. Il n’y pas une once d’accompagnement ou de "section rythmique », aucun soliste. Mais une construction instantanée basée sur l’écoute mutuelle. Cela dit ces trois musiciens ont un niveau instrumental, esthético-musical etc… exceptionnel.
Vingt morceaux, Part 1 & Part 2 subdivisées chacune en Tracks numérotées de 1 à 11 et de 1 à 9. Ça a l’air assez prosaïque pour des improvisations aussi raffinées qu’habitées, sensuelles (Ivo), subtiles (Barry), raffinées (Ramon et Barry). On n’arrive pas à s’en lasser, c’est vraiment le top-notch de ce free free-jazz totalement improvisé. Face aux sonorités merveilleuses du sax ténor, tour à tour veloutées, spiralées, éthérées, aux harmoniques étirées jusqu’au cri modulé par magie, le contrebassiste sollicite toutes les nuances de frottement à l’archet poussées jusqu’au sublime et cette percussion du bois de l’archet sur tous les angles des cordes vibrantes. Écoutez-le bien, il n’a pas son pareil… puissance et délicatesse souvent au bord du silence. Et le percussionniste au pur service de ce qui se trame dans une démarche épurée et un sens de la dynamique permanent du foisonnement jusqu’à l’effacement. Une parfaite réussite.

Joris Rühl Feuilles avec Xavier Charles Jonas Kocher Toma Gouband Umlaut Records umfr-cd46
https://umlautrecords.bandcamp.com/album/feuilles

La pochette est recouverte d’enchevêtrements photographiques d’arbres et branches ayant perdu leurs feuilles en fin d’automne. Joris Rühl est crédité « composition » et clarinette, clarinette tout comme Xavier Charles. Jonas Kocher est un accordéoniste proche de Hans Koch, Michel Doneda et Jacques Demierre alors que le percussionniste Thomas Gouband a tourné et enregistré avec Evan Parker et Matthew Wright. Joris Rühl a enregistré lui aussi en duo avec Doneda et Xavier Charles fait partie du légendaire trio « The Contest of Pleasures » avec John Butcher et Axel Dörner. Tous sont experts en « techniques étendues » dans la recherche sonore (et conceptuelle) de l’improvisation radicale à la limite de la composition alternative et d’une mouvance minimaliste dite « lower case ». Si Rühl a « écrit » / devisé cette composition, c’est bien à l’intention de musiciens rompus à l’improvisation. Feuilles s’étale durant 50’34’’ et fut enregistré en novembre 2022 au studio La Ferrière à Mésanger. De superbes et presqu'immobiles agrégats de souffle et de vibrations sonores planent dans l'espace se relaient en se modifiant insensiblement. L'art infini des drones et de l'interpénétration de sonorités et de vibrations. Tout à fait remarquable au départ, cette musique éthérée et étirée devient de plus en plus intrigante au fil des minutes jusqu'à un cahot - hoquet imbriquant les deux clarinettes et les soufflets alors que la percussion tintinabule. Il y a une intensité dans la durée, une communion profonde de chacun des musiciens. L'écoute doit être aussi intense et attentive pour sentir les implications de cette oeuvre mystérieuse où l'apparente simplicité semble se dérober face à l'infini. La fin s'estompant graduellement vers le silence, d'ailleurs. D'autres commentateurs ou experts plus au fait que moi de ce genre de compositions musicales, en diront plus ou... moins. Joris Rühl a des intentions esthétiques à la hauteur de son grand talent (partagé par ses trois acolytes et vice et versa ; l'écoute, même "naïve", a tout autant d'importance. Cette musique demande à être entendue avec nos sens et notre imagination, sans pour autant en approcher, et encore moins en approfondir, l'exégèse. Pour une expérience sensitive de haute qualité.

Aniello Perduto cade la neve sovrana, vicina è la stella lontana Roberto Di Blasio Setola di Maiale SM 4660
https://anielloperduto.bandcamp.com/album/cade-la-neve-sovrana-vicina-la-stella-lontana

One-man band en re-recording du souffleur Roberto Di Blasio, crédité ici aux sax alto et soprano, à la batterie et aux percussions. Aniello Perduto : l'agneau égaré. Quinze morceaux rythmés aux métriques décalées et aux riffs en escalier, comptines insolites, rythmes impairs ou peu réguliers, avec les deux sax à l'unisson ou en hoquets sautillants. Musique joyeuse et enjouée ou nostalgique, faussement "simple" et bourrées de clin d'oeil. Scansions répétitives, gigues imaginaires, spirales abruptes sur ressorts, fragments mélodiques en ritournelles qui se télescopent (13 Orto). Le feeling des musiques populaires. Pas de "solos" ou d'improvisations. Un travail original dans le sillage de tous ces improvisateurs "mélodistes" italiens tels que le trio O.M.C.I. (Geremia, Rusconi, Periotto) ou Carlo Actis Dato. On songe aussi quelque peu à la musique breukérienne ou à un accordéon populaire qui vient de nulle part. Mais en fait trêve de comparaison, Roberto Di Blasio est un original qui, à force d'ingéniosité, a poussé son travail dans une formule - concept vraiment personnelle, un univers en soi dont le matériau mélodique est retravaillé au fil des plages, certains motifs réapparaissant plus loin dans des perspectives différentes et plus complexes. Derrière l'apparente simplicité (deux sax et une batterie), se cachent les perspectives eschériennes du pauvre. La dernière composition flotte avec un "tutti" - drone incertain de plus de 10 minutes alors que tous les autres morceaux se déclinent entre une et trois minutes. En finale, une comptine désenchantée du bout des lèvres avec une voix absente dans un dialecte italien que j'ai peine à identifier. Pour retrouver l'Agneau Perdu, le berger a effectué bien des girations certaines à colin-maillard avec lui-même... Concept album qui peut laisser perplexe l'auditeur "branché" de "free-music" improvisée ou de jazz d'avant-garde à la première écoute. Mais en grattant la surface et en se laissant conquérir, l'écoute de cette "musiquette" sans prétention apparente peut se révéler fascinante. Félicitations à cet astucieux musicien créatif !

1 commentaire:

Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......