21 novembre 2024

Flo Stoffner Rudi Mahall Michael Griener/ Erhard Hirt Willi Kellers Klaus Kürvers Richard Scott / Matthew Goodheart Georg Wissel & Georg Cremaschi/ Gosia Zagajewska, Paulina Owczarek & Emilio Gordoa

Die Exorzistin Flo Stoffner Rudi Mahall Michael Griener Wide Ear WER077
https://wideearrecords.bandcamp.com/album/die-exorzistin

Wide Ear n’est pas à son premier coup d’essai avec le guitariste Florian Stoffner et le clarinettiste basse Rudi Mahall. Mein Freund Der Baum est le titre de leur précédent album pour ce label en compagnie du percussionniste Paul Lovens. Un album vraiment fascinant, tant pour le guitariste que le batteur et l'implication anguleuse et vorace du souffleur. Il y eut ensuite une enregistrement d’un concert mémorable de ce trio pour Live Spontaneous Series paru en digital. Seulement, depuis deux ans ou un peu plus, Paul Lovens a remisé baguettes et tambours et ses mocassins de batteur et ne fait plus de concert. Rudi et Michael ont fait alors appel au batteur Michael Griener et pour de très bonnes raisons. Non seulement il est un excellent batteur inventif mais il est un des principaux collaborateurs de Rudi Mahall depuis leur adolescence, puis au sein de Die Enttäuschung, mais aussi un fan passionné du grand Paul chez qui il a découvert le monde de la percussion libérée et improvisée lors de concerts organisés par Günter Christmann il y a bien longtemps. Et comme Günter a toujours été un très proche de Paul Lovens, cela tombe sous le sens. Évidemment, par rapport à des artistes aussi éclatés au niveau des formes et de l’explorations des sons que Wolfgang Fuchs, Günter Christmann, Rudi Mahall est par essence plus « jazz » tout comme Michael Griener. Il suffit d’écouter leur quartet Die Enttäuschung qui swingue plus d’une fois qu’à son tour et s’est spécialisé dans la musique de Thelonious Monk (cfr Monk’s Casino avec Alex von Schlippenbach / Intakt et 2 – 19 Records). Mais c’est aussi toute la magie de l’improvisation quand des musiciens qui semblent diverger esthétiquement, improvisent librement, il peut tout autant jaillir des étincelles. Ce trio en est une belle démonstration. Comme batteur, Michael Griener joue tout à fait free de merveilleuse manière en requérant l’entièreté de son brio technique niveau frappes et roulements en se focalisant sur des pulsations mouvantes et ses enchaînements millimétrés, alors que Lovens est un dératé imprévisible. Mais l’ouverture de son jeu et l’excitation que celui-ci engendre apportent une belle inspiration aux attaques pleines d’effets, d’harmoniques, sauts de volume, combinaisons de sons très audacieuses du guitariste toujours sur la corde raide. Griener tape et articule des micro-sons en cascades irrégulières comme s’il avait six bras. Une option ludique proche de celle de Roger Turner et de Lovens avec ce côté batteur de jazz « classe » et une conception bien personnelle de la polyrythmie. Le trio fonctionne à merveille : cet aspect anguleux, pointilliste, équilibriste où chaque artiste contribue à égalité question trouvailles, improvisations et prise de risques. Et ce sens de la mélodie quand Rudi se rapproche d’une manière de jazz cool d’une grande richesse. Même si peu après, il étire des aigus extrêmes dans les harmoniques et tarabiscote son phrasé comme un canard virtuose avec triples détachés assassins. Avec cet album, Florian Stoffner démontre qu’avec son style aussi complexe et radical que celui de Bailey, il s’adapte aisément à toutes les configurations de nos deux joyeux drilles avec une coordination télépathique mutuelle. La pochette est celle d'un 45 tours en papier fort, orné des collages surréalistement réalisés par Katja Mahall comme il se doit comme tout album de Mahall et de Die Enttäuschung. Du grand art.

Erhard Hirt Willi Kellers Klaus Kürvers Richard Scott Trails Creative Sources CS832CD
https://creativesources.bandcamp.com/album/trails

Un bien curieux assemblage de talents apparemment dissemblables mais qui fonctionne à merveille. Deux des musiciens jouent acoustiques : le batteur Willi Kellers, entendu aux côtés des (Thomas) Borgmann, Brötzmann, Petrowsky, (Frank Paul) Schubert est une figure archétypique du free-jazz germanique. Et le contrebassiste Klaus Kürvers, un vétéran de la scène locale Berlinoise qu’on entend souvent dans des ensembles à cordes publiés par Creative Sources. Mais dès les premières notes, on a compris que la musique collectivement jouée ici se situe dans l’univers mouvant, bruitiste, électronique complexe des deux autres larrons, le britannique Richard Scott, crédité ici « live-electronics » et le e-guitariste Erhard Hirt, un grand pionnier des recherches sonores sur la guitare au même titre que Derek Bailey ou Fred Frith, à base d’effets électroniques détournés, d’altérations sonores électrosoniques. Ces deux-là s’entendent comme des larrons en foire emportant avec eux leurs deux autres collègues qui jouent le jeu à fond, tellement qu’on a peine à distinguer qui fait quoi, l’ensemble semblant détraqué. Trails traque toutes les angles morts et cultive l’effarement ultra-polyrythmique au niveau des textures. Il faut entendre Kellers faire cliqueter ses éléments de batterie. Le premier morceau évolue dans une empoignade pas possible. Live-electronics ou pas, je reconnais aisément les rebondissements colorés et volatiles du jeu de Richard Scott. Les contrastes et la fragmentation de la continuité du flux (on songe parfois à une mare où une assemblée de batraciens paradent en faisant claquer leurs joues gonflées dans une belle anarchie sonore) créent une multitude de soubresauts, hoquets, frictions d’une souplesse et d’une agilité étourdissante. Ceux qui ont pu et aimé écouter Do they do those in red ? de Lytton/ Joker Nies/ Scott/ Wissel doivent absolument se ruer sur cet ovni sonique, ces Trails qui s’affirment en dehors des tendances récentes ou déjà datées de la free – music (prétendument) radicale. Sept improvisations de différentes durées qui réussissent à se différencier les unes des autres tout en s’approchant du chaos, relâchant spasmes, vibrations électriques, crissements, ondes néphritiques, bruitages improbables, glissandi étranges, boucles trafiquées et centrifuges, l’art du glitch, des explosions contenues, secousses multi directionnelles … Plus vous avancerez dans l’écoute, plus vous vous trouverez dans un univers méconnu, troublant, opaque ou étonnamment lisible avec une infinités de détails sonores qui s’agrègent hors des lois de la physique ordinaire avec des paradigmes suggérés par la physique quantique. Prodigieusement intéressant et fascinant et un brillant chapitre de l'infatigable équipe portugaise de Creative Sources!!

Five Apparitions Matthew Goodheart and Broken Ghost Consort w Georg Wissel & Georg Cremaschi Infrequent-Seams IS-1060
https://matthewgoodheart.bandcamp.com/album/five-apparitions

Cinq Apparitions étagées depuis les 20 :30 de #1 jusqu’aux successives 5 :05 de #2, 6 :17 de #3, 3 :03 de #4 et 5 :12 de #5. Le souffleur Georg Wissel est crédité clarinet et George Cremaschi, bass (lisez contrebasse). George et le pianiste Matthew Goodheart sont des improvisateurs de la Côte Ouest des États-Unis. Le contrebassiste a été entendu avec Mats Gustafsson et le légendaire pianiste Greg Goodman, Vinny Golia, Biggi Vinkeloe, Gino Robair et Mya Masaoka. Goodheart a croisé la route de Gianni Gebbia (tout comme Cremaschi) dans le trio Zen Widow, de Leo Smith. Mais quiconque l’a écouté jusqu’à présent ne pourra deviner ce qu’il trafique avec son « transducer-actuated metal percussion » dont il est aussi crédité dans ces Five Apparitions. Si la troisième Apparition nous le fait entendre dans la configuration acoustique piano – clarinette – contrebasse post Bley – Giuffre- Swallow, les amateurs de jazz même « free » vont s’encourir à l’écoute de l’espace intersidéral électro-acoustique dans #4 ou le côté « industriel » presque abrasif de #1. auxquels se mêlent les audaces sonores instrumentales de lui-même au piano, de Wissel qui déchiquète le son de sa clarinette ou pratique des crescendos funèbres, sans parler de certaines atrocités commises par Cremaschi. La musique étonne et à l’occasion vrille le cerveau. Musique improvisée, planifiée, expérimentale, contemporaine pirate ? Mais elle ne laisse pas indifférent. Au moins, les trois compères évoluent hors des sentiers battus, de la lingua franca du free de toujours. En #5 , on a même droit à une voix d’outre-tombe étrangement réverbérée (métallique), du chant des baleines de la contrebasse à l’archet et des sonorités métalliques lancinantes et sifflantes de science-fiction jusqu’à ce que la sonorité sensuelle de la clarinette palpite. Georg Wissel est aussi membre des fabuleux Canaries on the Pole et un duettiste attitré de Paul Lytton. À plusieurs reprises et depuis des décennies , différentes personnes impliquées dans l’écoute compulsive de musiques alternatives – de traverses – post rock – électro m’ont signalé que j’écoutais toujours la même chose depuis , dix ans, vingt ans, quarante ans , bientôt cinquante. Voilà bien de quoi les démentir. Curieux, intéressant et surtout beau, ça oui !!

Gosia Zagajewska, Paulina Owczarek & Emilio Gordoa - Spontaneous Live Series D06
https://spontaneousliveseries.bandcamp.com/album/spontaneous-live-series-d06

Une chanteuse, Gosia Zagajewska, une saxophoniste, Paulina Owczarek et un vibraphoniste (avec « objets »), Emilio Gordoa, soit un trio avec des instruments qu’on associe très peu. Une seule improvisation pour l’entièreté de ce document témoignage de 34 :59 et publié en juin 2024. Une tentative sincère de rencontre comme on aime à le faire lors du Spontaneous Music Festival au Dragon Social Club à Poznan et c’est aussi la ligne directrice du label Spontaneous Live Series. 2021 , 3 octobre : cinquième édition. Le but du jeu est de créer autant dans la surprise, l’écoute inventive et souvent/ parfois avec une recherche de sons diversifiés ou éclatés autant que de cohérence. Dans cette juxtaposition simultanée de sons et de « techniques étendues », on distingue clairement les instruments et la voix de Gosia Zagajewska en alternance avec des zones où les actions individuelles s’incorporent dans un flux où les repères s’effacent. Emilio Gordoa bruite à souhait avec les « objets » qui font vibrer les lames de son vibraphone de bien étrange façon. La vocalité des longues notes tenues du vibra soutiennent la vocalise hantée de Gosia Zagajewska qui hulule autour de deux notes aussi bien par-dessus la percussion de ces mêmes lames à l’air libre. La souffleuse triture la colonne d’air de son sax alto dans le sillage du vibra ou plonge dans un rêve éveillé pour un court instant. Plus loin, la chanteuse balbutie une comptine imaginaire parsemée des frappes délicates en apesanteur du percussionniste. Les trois artistes échangent de superbes idées et motifs avec un vrai sens de la répartie et d’une coexistence de nombreuses mues sonores instantanées qui dérive adroitement. Vraiment un beau moment sincère d’improvisation collective.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......