7 novembre 2024

Faradena Afifi Steve Beresford Paul Khimasia Morgan/ Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues Nuno Torres/ Adam Goodwin & Danny Kamins / Neil Metcalfe Phil Wachsmann Emil Karlsen Pierre - Alexandre Tremblay

Bee Reiki Faradena Afifi Steve Beresford Paul Khimasia Morgan Discus Music 173CD
https://discusmusic.bandcamp.com/album/bee-reiki-173cd-2024

Faradena Afifi - viola, violin, voice and drum set, Steve Beresford - piano, electronics and toys & Paul Khimasia Morgan - guitar body and electronics. Voici bien un album collaboratif d’improvisateurs qui échappe au radar et à une quelconque idée toute faite. À la fois chanteuse, violoniste et percussionniste, Faradena est une artiste à la fois afghane et britannique et influencée par sa pratique du T’ai Chi, les chants d’oiseau, Maggie Nicols, la danse, les arts visuels et les musiques populaires des quatre coins du monde. Paul Khimasia Morgan est un professionnel de la prise de son, musicien improvisateur et artiste visuel ayant collaboré avec Bianca Regina, Richard Sanderson, Jason Kahn, Christian Alvear, … et bien sûr Faradena Afifi et le pianiste Steve Beresford qu’on ne présente plus, étant un familier de Derek Bailey, Evan Parker, Louis Moholo, Han Bennink, John Butcher, John Russell, David Toop et membre des légendaires Alterations. La musique de Bee Reiki a d’ailleurs un air de famille avec celle de ce groupe, Alterations. Il y est question d’abeilles dans plusieurs titres où cet insecte bienfaisant est nommément cité ou simplement suggéré. On entend ici et là des zézaiements, des pépiements, des bourdonnements fugaces, un fredonnement, des bruissements de la nature , le timbre du violon qui oscille et miaule, la voix de Faradena Afifi, de discrètes interventions au piano deBeresford avec les cordes et les mécanismes , des vibrations fugaces, frottements minimalistes, tâtonnements sur une batterie toute en sensibilité. Une quelconque virtuosité est écartée au profit d’une intrigante poésie sonique. Chaque geste compte même leur insignifiance apparente est savamment maîtrisée. Rien n’est laissé au hasard. Une dimension heuristique, anarchiste et poétique se répand dans notre écoute et réunit les trois artistes dans une œuvre instantanée imprévisible et indescriptible. Il faut se déplacer à Londres pour croiser de tels artistes et découvrir leur rafraîchissante utopie.

Whispers from the Moonlight in seven movements Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues Nuno Torres Creative Sources CS849CD
https://creativesources.bandcamp.com/album/whispers-in-the-moonlight-in-seven-movements

Ces enregistrements du trio Ernesto Rodrigues, Guilherme Rodrigues et Nuno Torres s’étalent en sept mouvements sur deux compacts, le premier mouvement (Berlin I) atteignant les 43 minutes qui résume et développe simultanément à lui tout seul l’essence de leur musique improvisée aérienne tour à tour élégiaque, lunaire, raffinée, affairée. Entre l’alto d’Ernesto et le violoncelle de Guilherme s’insère discrètement le saxophone alto de Nuno Torres à la sonorité travaillée spécifique. La lingua franca du free-jazz ou du be-bop fait appel à cette sonorité tranchante, brillante, pleine de sève, colorée, une expressivité pétillante, pleine d’altérations de la gamme pour accentuer le phrasé quasi-agressive. Parker, Coleman, Dolphy, Osborne, Watts, Lyons, ou même Marion Brown. Mais le son de Nuno Torres n’a tout autant rien à voir avec ceux de Paul Desmond, Konitz ou Pepper. Il semble qu’il vise à intégrer son souffle aux timbres des deux instruments à cordes, à leurs frottements, à leurs sons graves avec un son granuleux, lunaire, une texture proche de celle de l’alto d’Ernesto, des giclées de staccatos cotonneux, cette sonorité détimbrée imitant les qualités sonores des vibrations des cordes. Il faut vraiment tendre l’oreille et se concentrer pour isoler et entendre réellement où se situe le son du saxophone au sein du trio. Berlin 1 est à lui tout seul le contenu d’un album qui se suffit à lui-même et constitue une œuvre que les trois musiciens auraient pu publier isolément dans un album. On y trouve une belle suite dans les idées dans l’évolution de leur improvisation avec une variété de climax et d’assemblages de formes, de sonorités diffuses, de traitement du son d’ensemble et celui de chacun des trois protagonistes.
Mais, ils ont choisi d’accumuler les témoignages de leur tournée avec un morceau de durée moyenne de 10 minutes , deux pièces très courtes et trois longues improvisations de 27, 22 et 23 minutes durant lesquelles ils distendent la musique, recherchent les sonorités, s’étalent en drones scintillants, agrégats lumineux ou ombragés, murmures de rayon de lune, frottements délicats ou subtilement grinçants, coups de griffes, grattages, pizzicatos oscillatoires, sonorités voilées sur lesquelles le souffleur répand parcimonieusement notes désincarnées, effets de souffle, pépiements ralentis. On y trouve des chassés croisés bruitistes, sifflants ou vif argent accidentés…. Les propriétés du mercure qui s’assemble dans une masse et éclate dans une multitude de bulles qui s’agrègent instantanément à la moindre secousse… Le premier mouvement cultivait des formes tangibles, une écriture précieuse dans une série de constructions « logiques ». Par la suite, on cherche, on gratte, on frétille, fait tournoyer des spirales ou projeter des éclats mats qui se métamorphosent dans des motifs volatiles complexes ou ces échanges ludiques, voire rebondissants. Et ce sens de la dérive poétique, de la fuite en avant et de l’infini des configurations sonores multipliées sans frein procurent un plaisir intense à l’écoute et à la sensibilité pour les instruments à cordes dont l’adage souligne l’empathie innée entre eux mieux que face à un autre instrument. Adage démenti ici par la superbe démarche de Nuno Torres au sax alto qui s’allie merveilleusement avec les trames sonores des deux cordistes à l’alto et au violoncelle. Quand on pense que ces même messieurs sont parvenus à enregistrer un album remarquable et cohérent avec Alex von Schlippenbach et Willi Kellers ou avec Udo Schindler. En comparant avec un excellent album précédent d'Ernesto et Guilherme et le clarinettiste - saxophoniste Frank Gratkowski, Unstable Molecules, , on peut prendre la mesure de la profonde différence entre la démarche de Torres et celle de Gratkowski
Un enregistrement majeur dans le parcours discographique massif des Rodrigues, E. & G. et la mise en valeur des ressources insoupçonnées de l’improvisation libre.

Adam Goodwin/Danny Kamins The East End Sessions Musical Eschatology digital
https://adamgoodwindannykamins.bandcamp.com/album/the-east-end-sessions

Une contrebasse : Adam Goodwin et un sax sopranino : Danny Kamins. Un CD publié par Musical Eschatology. Un dialogue précis, amoureux, exigeant et multiple. Les pulsations libres des doigts de la main droite adroite et rebondissante ou l’archet grondant en glissandi graves et bourdonnants et le souffle exploratoire se jouant des possibilités sonores du « tout petit » saxophone droit : harmoniques spirales perçantes ou effets de souffle ou « de langue », techniques partagées avec celles du contrebassiste qui en improvise la translation avec son gros violon. Une fine et expressive interaction naît, se développe, s’agglutine, évolue au fil des phases de jeux. On découvre les nuances infinies des frottements et coups d’archets à l’arraché ou grincements face aux inspirations – expirations bruissantes dans le tube ou les suraigus scintillants. Les paysages sonores défilent comme un action painting obstiné, savant et sauvage avec de superbes suites dans les idées. La musique peut y naître en s’extrayant très lentement du silence (Part II) avec des gestes précautionneux et précis comme une ombre qui s’éloigne. Un souffle léger s’insinue et l’archet s’agrippe aux cordes obstinément, grince au plus près du chevalet. Une dramaturgie introspective se révèle, ces sons du quotidien par-dessus le mystère insondable des gestes, des à-coup, des réflexes et de l’inconnu. Un univers inconnu se révèle et prends corps dans les échanges tactiles de plus en plus prononcés, évidents ou en correspondance intime entre chaque acteur. Risquée, la tentative s’illumine dans une profonde communion qui s’affirme incontournable. Vibrations sensibles, boisées, vocalisées (avec aisance au sopranino !), expressives avec accès mélodique un instant et / ou abstraction dans les graves mouvants. On découvre cette capacité intuitive à renouveler les éléments sonores, la dynamique, le matériau en constante évolution qui est le fruit d’une écoute intense, d’une concentration réfléchie et d’une plénitude créatrice. Bien sûr en III, viennent les spirales ardentes mêlant glissandi, boucles en respiration circulaire et suraigus mordants et malléables pour changer l’atmosphère, l’archet pressant la corde sur la touche avec une belle intensité ou oscille dans les graves en tournoyant. Par n’importe quel bout vous les prenez, les six improvisations de ces East End Sessions fonctionnent, s’écoutent avec un vrai plaisir du début à la fin, sans jamais « se répéter », chaque partie se distinguant des cinq autres par leurs affects, leur déroulement et leur dynamique propres. Une très belle réussite.

Shadow Figures Spaces Unfolding (Neil Metcalfe Philipp Wachsmann Emil Karlsen) + Pierre-Alexandre Tremblay Bead Records.
https://beadrecords.bandcamp.com/album/shadow-figures
Le trio Spaces Unfolding, soit le flûtiste Neil Metcalfe, le violoniste Philipp Wachsmann et le percussionniste Emil Karlsen, s'est adjoint la collaborations de l'artiste de musique électronique Pierre-Alexandre Tremblay. Le précédent album de Spaces Unfolding était essentiellement acoustique, à ceci près que le violon de Wachsmann est joué avec une très fine installation électronique basée entre autres sur le delay et une subtile adaptation "algorythmique" "hésitante" des boucles. Il semble que l'interaction avec les processus de Tremblay intensifie et multiplie certains des aspects de cette approche personnelle de Wachsmann pour incorporer les sons de chacun dans le trio. En fait, d'un point de vue auditif il y a deux "sortes" de musiques improvisées : celle qui vous fait entendre ce que vous savez déjà de la musique d'un groupe que vous aimez et qui se ressemble assez bien par rapport à l'enregistrement précédent ou à leurs concerts. Et celle qui vous propose une musique dont le son d'ensemble et la direction musicale est sensiblement éloignée de ce que vous connaissez déjà de ce groupe. Spaces Unfolding + Pierre-Alexandre Tremblay nous envoie dans un autre univers. Bien sûr, nous identifions les interventions du flûtiste et son style si personnel sur le timbre suave et les relations entre chaque note qui le rend aussi identifiable que Lol Coxhill, son ami disparu. Et les interventions calibrées et surprenantes de Phil Wachsmann restent toujours du Wachsmann pur jus avec son sens unique du timing et de soudaines diversions. Ainsi de la percussion d'Emil Karlsen. Ces Shadow Figures révèlent une démarche expérimentale à base de différents concepts et leurs applications technologiques de transformations d'éléments sonores - aspects du jeu instrumental et d'interactions induites par Pierre-Alexandre Tremblay. Les quatres musiciens explorent des détails sonores, et leurs échos ou "ombres" différées, actions où s'imbriquent des interventions dosées et calibrées de chacun des trois improvisateurs dont on distingue clairement l'identité de leur jeu respectif, entièrement recontextualisé ici. Dans plusieurs pièces, c'est l'aspect du timing qui est en jeu comme on l'entend jamais ailleurs Aussi, la dynamique et l'interactivité a ici une toute autre nature que celles de leur enregistrement précédent, the Way We Speak. Chacun des morceaux enregistrés ici : Shadow Figures Pt. 1, Shadow Figures Pt. 2, In Praise of Shadows Pt. 1,Refractions Pt. 1, Refractions Pt. 2, Echoes of Being Pt. 1, Echoes of Being Pt. 2 , In Praise of Shadows Pt. 2, Reflect / Reflex Pt. 1, Reflect / Reflex Pt. 2, In Praise of Shadows Pt. 3 est focalisé sur un caractère différent du travail interactif de Tremblay avec les membres de Spaces Unfolding dans des approches divergentes, parfois complémentaires qui soulignent et singularisent des éléments du travail instrumental : la texture, le timing, les spécificités des sonorités et des possibilités du violon ou de la percussion, la mise en évidence de la "voix" très particulière du souffle de Neil Metcalfe, un artiste identifié plus "free-jazz".Aussi il faut souligner les curieux effets de rebondissements - redoublements des frappes sur les peaux d'Emil Karlsen qui accentuent et mettent en évidence sa conception de la percussion et du timing.Ce serait fastidieux de vouloir décrire précisément chacun des options qu' on découvre à l'écoute des Shadow Figures, In Praise of Shadows, Refractions, Echoes of Being, Reflect/ Reflex et chacune de leurs parties n° 1 ou 2. Un O.V.N.I dans la multitude des enregistrements de musiques improvisées. Chaudement recommandé à quiconque s'intéresse au croisement de la musique instrumentale contemporaine et de la technologie digitale / électronique d'aujourd'hui. Bead Records, le label de Phil Wachsmann où Emil Karlsen s'investit intensément, a encore ajouté un bijou à son catalogue, un des plus diversifiés de l'univers des musiques improvisées depuis des décennies.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......