Parallel Aesthetics Ivo Perelman & Tyshawn Sorey 2CD Fundacja Sluchaj
https://sluchaj.bandcamp.com/album/parallell-aesthethics
Double CD qui porte bien son titre : Parallel Aesthetics. Les deux artistes ont un type d’expressivité et de tempérament très différent. Autant le saxophoniste Brésilien Ivo Perelman est sensuel, lyrique jusqu’à une forme d’expressionnisme poétique post aylérien avec des approches momentanément disruptives que le batteur américain Tyshawn Sorey est méthodique, construisant des improvisations percussives subtiles et millimétrées. Mais la session est répartie sur deux volumes avec le batteur alternant avec le piano qu’il joue de manière très personnelle et remarquable dans trois morceaux. Dans chacune des six longues improvisations dont deux pour le deuxième volume, ils assument leur démarche en « parallèle » par une belle écoute mutuelle en faisant coïncider leurs dialogues en des passages de jonction expressifs et imaginatifs. Le style de Tyshawn Sorey à la batterie se démarque de l’évolution des batteurs de jazz historiques de Jo Jones à Elvin Jones et des batteurs free dont il se distingue tout autant. Des frappes millimétrées qui suggèrent des pulsations sans les accentuer avec une infinité de nuances et une conception très structurée. L’influence des rythmes de l’électro et du métal. Somptueusement original de bout en bout, son drumming inspire toutes sortes de détours mélodiques, sonores, morsures d’aigus convulsives, glissandi d’harmoniques chantantes évoquant le chant Brésilien avec quelques écarts 100% free-music. Le contraste entre ce dernier et la dynamique sereine du jeu batteur rend le duo fascinant. Mais, Ivo Perelman convie aussi l’esprit des anciens du sax ténor jazz (Webster, Byas, Gordon, Getz) avec une magnifique sonorité veloutée lorsque démarrent plusieurs de ces duos. Il faut entendre leur connivence dans le CD1 n° 03 : après avoir commencé soft à l’ancienne, Perelman se lance dans des morsures de l’anche, des sons étirés dans l’aigu alors que Tyshawn fait osciller doucement ses baguettes sur les bords pour ensuite faire silence laissant le souffleur chercher les sons au-delà de la tessiture du ténor alternant avec des fragments mélodiques. On assiste alors à une véritable tentative d’échange improvisé entre l’expressionisme saudade d’Ivo avec ses artifices sonores et les interventions super imaginatives délicates et maîtrisées de Tyshawn avec un sens subtil de l’élision ou de l’épure. La classe. Le point de vue musical de ce dernier augure bien de l’esprit de recherche du saxophoniste : cela nous change tout à fait de la démarche des batteurs tout aussi excellents avec qui il a joué jusqu’à présent comme Gerald Cleaver, Whit Dickey et le vétéran Bobby Kapp. Mais où cet album est bien inhabituel tient dans la rencontre de Perelman avec Tyshawn Sorey pianiste. Fundacja Sluchaj a publié un coffret de duos de Perelman avec neuf pianistes différents d’obédience jazz free contemporain : Brass & Ivory Tales (9CD’s), une véritable anthologie de duos piano - saxophone ténor. Dans le n°2 du CD 1, le pianiste sollicite les notes graves et profondes de manière assez austère sans vouloir de prime abord coïncider avec l’état d’esprit expressif et brûlant de son partenaire qui fait chauffer l’anche au-delà la normale. Mais il se mettra ensuite à faire ruisseler les notes perlées en finesse pour rafraîchir la séance et le souffle enflammé d’Ivo. Celui-ci a développé une expérience peu commune en jouant intensivement avec le pianiste Matt Shipp dans de nombreux concerts et des dizaines d’enregistrements. Cela est un plus déterminant pour la confluence des deux improvisateurs. Plus loin, Tyshawn développe une autre approche avec cet esprit méthodique qui contraste avec les incartades du Brésilien invoquant à tout va les mânes des esprits du candomblé. La longue improvisation sax batterie du CD2 – n°1 de 22 minutes rentre plus dans le champ du hard free, le batteur faisant rouler toutes ses caisses à satiété poussant la furia rageuse du souffleur jusqu’au bout. Mais une fois repu dans un apex d’énergie collective enflammée, les deux improvisateurs se retrouvent pour des échanges subtils, éthérés, plus minimalistes, émissions de sons isolés, bruissements de cymbales grattées de la pointe de la baguette, frappes mesurées, le souffleur explorant des bribes de mélodies déchiquetées, becquetées expressionnistes, éclatement de spirales, morsures aylériennes et staccatos imprévisibles. La qualité du travail du batteur est à la hauteur de son intelligence musicienne. Il commente, soutient, s’adapte, évolue face aux changements d’humeurs et du lyrisme charnel de son camarade avec une belle élégance. Il n’y pas une seule frappe qui soit hors sujet, son inspiration polyrythmique à contre-temps épouse cordialement et émotionnellement la tendresse sensuelle à fleur de peau d’Ivo Perelman. La libre improvisation sans ego au service du jazz free le plus sincère. Le dernier duo piano – saxophone réserve encore des surprises par rapport à ce qui a été joué jusqu’à présent. On navigue ici dans la véritable avant-garde sonore, la main de Tyshawn bloquant ou grattant les cordes du piano dans une approche tout à fait personnelle. À l’écoute, il est impossible de prévoir ce qui va être joué, ni comment va se dérouler l’improvisation durant les cinq première minutes. La conclusion de cette improvisation de quatorze minutes ajoute encore un registre élégiaque, apaisé ou enlevé, et ses détours peu prévisibles, à cette remarquable confrontation amicale de haut niveau.
Même si peut vous chaut la démarche et l’évolution de ces deux artistes, car il est temporellement et matériellement impossible de « tout» suivre et parcourir, vous avez l’assurance ici que le jeu (car c’est de cela qu’il s’agit) en vaut la chandelle, la flamme de l’improvisation brillant au-delà de l’espérance.
Scant Marcello Magliocchi Bruno Gussoni Adrian Northover
https://marcellomagliocchi1.bandcamp.com/album/scant-magliocchi-northover-gussoni
Un autre trio atypique percussions : Marcello Magliocchi, flûtes (y compris japonaises en bambou) : Bruno Gussoni et saxophone soprano : Adrian Northover. Un véritable batteur free à l’œuvre, avec des qualités supérieures de fluidité, dynamique sonore, de précision et d’invention, voisin de Tony Oxley et de John Stevens. Tout en détails, micro-frappes, manipulation d’ustensiles les plus divers, couleurs, bruissements, son jeu crée une magnifique espace ludique et sonore pour ces deux souffleurs nuancés et inspirés que sont Bruno Gussoni, flûtiste qui joue aussi du « shakuhachi » , la flûte traditionnelle japonaise en bambou et le sopraniste Adrian Northover, un pilier incontournable de la scène londonienne. Les deux acolytes folâtrent avec doigtés croisés, souffle rêveur ou ensauvagé évoluant avec subtilité de manière organique. Le volume sonore de la mini-batterie de Magliocchi est restreint mais sa palette semble infinie, délicate, sèche, vibrante, réverbérante de timbres métalliques épars, de frottements intrigants, de vocalisations intimistes. Il y a une abondance de sonorités les plus diverses et de pulsations en liberté totale par rapport à la notion de « rythmes ». L’empathie des trois musiciens crée une musique irréelle, flottante, de souffles voilés agitée par la multiplicité des frappes tous azimuts du percussionniste. Les trouvailles sonores et toutes ces correspondances poétiques sensibles font ici merveille. Bruno Gussoni souffle entre les notes de son difficile instrument de bambou entaillé d'une encoche rudimentaire d'où vibre étragement l'air insufflé dans le tube. Ces sonorités aériennes colorent la musique de bout en bout conférant au trio une coloration phonique irréelle, fantomatique venue d'un étrange au-delà. Les contorsions de la colonne d'air du soprano de Northover sont complètement en phase avec le feeling de ses deux compagnons. Les 12 morceaux se succèdent en modifiant peu à peu la vivacité des échanges dans une évolution graduelle. Cela permet de mesurer de quel bois ils se chauffent, le sens de la polyrythmie démultipliée de Magliocchi faisant merveille. Une musique collective unique en son genre, sublimant la technique instrumentale au profit de l'état de transe des voyants, ... fort éloignée du soit disant free-jazz tombé sous la coupe de batteurs cogneurs et de sax hurleurs désolants de monotonie à qui ils manquent un tant soit peu d’originalité musicienne. Cette expression pleine de nuances aspire notre écoute, fait voyager l’imaginaire dans une autre dimension, celle d’une forêt enchantée, de la nature vierge, feuilles, fleurs, herbes, branches, buissons, humus, minéraux, ruissellements, pépiements dans les arbres…. Écoute mutuelle et transmissions télépathiques ..Un vrai bonheur !
Floating Similarities Dirk Serries & Christian Vasseur Creative Sources
https://dirkserries.bandcamp.com/album/floating-similarities
On saluera volontiers le raffinement acoustique (The Chatty Pilgrims) de ces deux guitaristes et activistes infatigables de l’improvisation unissant leurs efforts pour sept remarquables duos dont les développements se révèlent imprévisibles. Comme points de références on trouve des albums en duo du guitariste Pascal Marzan avec Roger Smith (Two Spanish Guitars 2006-2007) et John Russell (Translations 2011) publiés par Emanem CD ou The Guitar Lesson par Eugene Chadbourne et Henry Kaiser (Victo 1999). Nos deux acolytes originaires respectivement des agglomérations lilloises et anversoises parcourent une maximum de possibilités expressives, sonores, bruitistes pour capter sans relâche notre attention, voire notre fascination au travers d’une recherche exponentielle systématique mais joyeusement ludique, exacerbée, obstinée. Ça a l’air d’être sans queue ni tête, mais au fil de leurs improvisations improbables, Dirk Serries & Christian Vasseur nous livrent un précis très exhaustif de toutes les facéties alternatives de la six cordes en face à face. Ça percute, bourdonne, gratte, grésille, éclate, tournique, mugit, crisse, s’emporte, grince, bruite sous toutes les coutures, fréquences, ou résonne dans le silence… Il n’y a pas de système, de démarche particulière, de « style » ici : il s’agit d’une volonté d’ouverture à de nombreuses possibilités de rendre expressive la six cordes au-delà des conventions, même celles de l’avant-garde. Il suffit de comparer les deux premiers morceaux The Celestial Peat ou The Chatty Pilgrims avec le dernier, The Traveller Surprised by His Dream et ses extraordinaires ostinatos délirants. On n'a pas le temps de s’ennuyer, leur connivence merveilleuse sublime l’art d’inventer à la guitare. Que ceux qui ne parlent que de Derek Bailey, Fred Frith, Hans Reichel ou Bill Frisell etc.. portent une oreille sur ces étranges Floating Similarities et leurs fluctuations sonores insaisissables. Un album à marquer d’une pierre blanche.
Five Sneaky Leaf Tales Helena Espvall Sofia Borges Joāo Madeira 4DaRecords Digital
https://joaomadeira.bandcamp.com/album/five-sneaky-leaf-tales
Une excellente “batteriste” et recrue de choix comme percussionniste d’improvisation, Sofia Borges. Ça fait aussi quelque années qu’on découvre le talent de violoncelliste d’Helena Espvall au sein de cette riche scène portugaise et le rôle de catalyseur du contrebassiste Joāo Madeira avec les sessions suscitées pour son label 4DaRecords et les albums avec Ernesto et Guilherme Rodrigues. Pas de souffleur, pas de piano ou de guitare, mais un trio atypique violoncelle – contrebasse – percussions pour Cinq Contes Sournois, si j’en crois le traducteur automatique, minutés entre les 6 et 10 minutes. Les cordistes s’accrochent à leurs archets, pressurant puissamment les cordes sur la touche, faisant vibrer les cordes en tirant à tout va ou scintiller les harmoniques… frictionner les instruments … les pizzicati sont musclés ou éclatés à coups de griffes sauvages… ah le violoncelle ! Des dialogues impromptus se dessinent, la percussionniste secondant ses deux collègues ou les débordant de roulements emportés. Musique de chambre hard- free qui, une fois lancée, au travers de quelques séquences, devient énergique, frénétique, toutes amarres rompues, leurs brûlots fuyant vers le large. Félicitations.
Consacré aux musiques improvisées (libre, radicale,totale, free-jazz), aux productions d'enregistrements indépendants, aux idées et idéaux qui s'inscrivent dans la pratique vivante de ces musiques à l'écart des idéologies. Nouveautés et parutions datées pour souligner qu'il s'agit pour beaucoup du travail d'une vie. Orynx est le 1er album de voix solo de J-M Van Schouwburg (1996 - 2005). https://orynx.bandcamp.com
10 février 2025
Ivo Perelman & Tyshawn Sorey/ Marcello Magliocchi Bruno Gussoni Adrian Northover / Dirk Serries & Christian Vasseur/ Helena Espvall Sofia Borges Joāo Madeira
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