Evan Parker the Heraclitean Two Steps Etc… SOLO 4CD + livre False Walls
https://www.falsewalls.co.uk/release/the-heraclitean-two-step-etc/
Depuis son premier concert de solo de saxophone soprano en 1975 (saxophone solos publié en 1976 par Incus et réédité plusieurs fois par la suite), Evan Parker n’a eu de cesse de développer cette musique en solo en utilisant différentes techniques de souffle complexes et difficiles telles que la respiration circulaire, les doigtés ‘croisés’ qui brisent la colonne d’air pour produire des multiphoniques, le jeu des harmoniques ou overtones en anglais au-dessus de la tessiture normale du saxophone soprano, de rapides coups de langue appelés « double » ou « triple » détaché et la combinaison de chacune d’elles. Le projet de réaliser un nouvel album pour False Walls l’a mené à reprendre un solo plus ancien de 1994 enregistré à Warwick et y retourner pour compléter le contenu d’un CD intitulé The Heraclitean Two Steps . S’en suit alors trois autres projets d’enregistrements captés dans la foulée dans le studio de Felipe Gomes avec à chaque fois quelques idées, sentiments, intuitions couvrant trois CD : The Path is Made By Walking, the Straight and Narrow et Time Sifts. Le livre qui accompagne ce coffret est particulièrement intéressant et le coffret est particulièrement bon marché : 45 GBP, non -inclus les frais d’envoi etc... Evan Parker est un artiste complexe, un raconteur qui ne peut s’empêcher d’expliquer son évolution avec de nombreux détails sur les époques, les personnes, les musiciens, les groupes, les événements, les musiques qu’il a écoutées et son expérience d’une vie consacrée à improviser sa musique et à la concevoir à la fois comme un compositeur et un aventurier. Et des explications succinctes sur la chimie interne d’un groupe d’improvisateurs. Une longue interview avec Martin Davidson (Emanem) très éclairante sur son évolution en tant qu’artiste et ses collaborations avec John Stevens, Paul Lytton, Alex von Schlippenbach au fil des années. Une autre interview avec Hans Falb, l’organisateur du festival de Nickelsdorf, un enchaînement de faits et de réflexions par John Corbett et un texte de Richard Leigh, un ami Londonien présent depuis les années 60. On y trouve aussi des reproductions de collages d’Evan, ses propres commentaires et toutes les références foisonnantes auxquelles les titres des morceaux font allusion expliquées par le menu : littéraires, scientifiques, philosophiques, historiques, personnelles , familiales ou musicales.
La musique se situe dans la continuité de ces deux albums solos précédents enregistrés pour son label Psi : Lines Burnt in Lines (2001) et Whitstable Solos (2010) et avant cela, Conic Sections (1993). Je devrais peut-être consacrer un long article entier pour éclairer les lecteurs sur les particularités précises des quatorze albums précédents de solos d’Evan Parker, afin de situer ce coffret et expliquer pourquoi il tient une place particulière importante dans son œuvre en général et d’un point de vue émotionnel pour ceux qui suivent de près sa musique. Basée sur la répétition obsessionnelle de fragments mélodiques qui s’entrecroisent de mille et une façons en créant l’illusion d’une polyphonie, d’enchaînements de spirales, boucles et pulsations, par le truchement de la respiration circulaire, sa musique donne au départ une impression de monolithe, d’un style « minimaliste » fascinant et ultra-complexe dans sa réalisation d’un point de vue stylistique. J’ai eu la chance d’acquérir ses premiers albums solos dès qu'ils ont été publiés par le label Incus : Saxophone Solos, Monoceros, Six Of One et The Snake Decides ; puis chez ah Hum : Conic Sections et les 2 CD’s précités de Psi. Il y a aussi chez FMP : Process & Reality, et chez Tzadik : Time Lapse, où intervient le multi-pistes, ainsi que des albums live comme Abracadabra, Vain Cu’Vah et NYC 1978 enregistrés lors de sa première tournée aux USA, ou Zanzou enregistré aus Japon en 1982. J’ai aussi assisté à plusieurs concerts solos dans des lieux et des acoustiques différentes au fil des années et des décennies, ainsi que des concerts en duo avec George Lewis, John Russell ou Fred Van Hove, et dans une série de groupes. Un élément essentiel de son travail en solo est que son jeu, sa sonorité, la fluidité, la densité, le timbre, etc… sont en profonde relation avec l’acoustique du lieu, studio, salle de concert, église, etc…
Et c’est tout l’intérêt de ce coffret : on y découvre plusieurs facettes de sa démarche qui sont tributaires de la résonance et du volume de l’espace, de ses fréquences, du feedback du lieu de l’enregistrement et de la technique d’enregistrement lui-même. Cela va au-delà de la forme de sa musique. La sonorité peut devenir perçante, liquide, transparente, flûtée, ondoyante et raffinée ou bien, dense, épaisse, intense et mordante. S’ajoute les nuances de crescendo vers le piano ou le forte et quelques fins de morceaux où ses boucles se démêlent pour se transformer progressivement en une mélodie surréelle. C’est aussi l’album le plus touchant, le plus proche de l’auditeur : dans le CD 2 (the Path is Made By Walking chaque morceau est « essayé » et même scindé du suivant par un silence de respiration dans toute la durée d’une seule longue prise d’enregistrement, comme s’il tentait de s’approcher de chacun d’entre nous en toute simplicité. Une somme à la fois fascinante, lyrique, humaine et sincère. Aussi, on entend des harmoniques très hautes jouées avec une grande précision et une finesse miraculeuse. Ses premiers albums solo comme Monoceros ou Saxophone solos étaient abrupts et terriblement impressionnants, on les écoutait complètement médusés. Une fois parvenu à un stade très avancé de maîtrise technique et d’invention, il a tenu à créer une véritable architecture de formes évolutives avec par exemple, l’enregistrement live de Six of One, une suite de six compositions instantanées enregistrée lors d'un même concert. Aujourd’hui, ses efforts sont multiformes et s’expriment avec une grande latitude de variations, de trouvailles, de sensibilités… Est-ce de la musique improvisée libre (je vous passe le terme non-idiomatique) ? Pas vraiment, même si on entend clairement que contrairement à Six of One, il laisse venir à lui les événements, ce qui peut survenir quand on souffle plus fort ou moins fort, quand on superpose telle puissance de souffle, avec une ou deux harmoniques, certains doigtés « fourchus », tels intervalles joués dans l’instant, subtils glissandi, distribution de coups de langue,... Qu’on s’égare dans sa quête pour trouver une réponse à une question jusqu’alors inconnue. Et cela sans vouloir chercher à créer une forme générale plus identifiable. Composition, Improvisation, Connu, Inconnu, ? … on se jette à l’eau, on poursuit une quête qui semble sans fin. Evan revient sensiblement à l’état d’esprit qui l’animait dans ses jeunes années quand il déclarait qu’il ne cherchait pas « à construire un monument, mais seulement un abri » (« shelter »), soit un espace d’espoir et de résistance où tout est possible.
Ou alors comme dans les pièces de the Straight and Narrow (CD3) où il donne l’impression de vouloir se surpasser en fixant un point précis, une démarche obstinée et systématique, la respiration suspendue dans une giration affolante, une lévitation sensorielle. Ces pièces sont dédiées à Steve Winwood qui lui ouvrit les portes des Studios du label Island en février 1968 (Karyobin), Luc Ferrari, Steve Lacy, Kary Mullis, Paul Rutherford et à son grand-père Anthony Corteel. Il semble qu’il y a un plan dans l’élaborations de cette série. Comme la technique d’enregistrement du studio Arco Baleno de Filipe Gomes à Ramsgate, s’est affinée depuis l’époque des Bob Woolford ou Adam Skeaping, on perçoit autrement les détails infinis de son jeu ou simplement l’énergie physique intense qui s’envole. C’est aussi pour cela que le jeu vaut la chandelle. Si le solo de saxophone soprano semble être devenu comme un rituel chez Evan Parker, cette musique est réalisée par un improvisateur incontournable, personnalité généreuse et musicien hors du commun qui communique mieux que jamais sa sensibilité. Et on entend encore des idées neuves.
Two Philipp Wachsmann Trevor Taylor FMR CD656-1222
Publié en 2022, mais reçu seulement il y a peu. En cause, les mesures post Brexit et les « processing» de BPost dont un colis égaré. Il y en a une kyrielle et j’essaie de rattraper mon retard FMR avec Two du tandem Trevor Taylor (percussion, electronics) et Philipp Wachsmann (violon, electronics). Responsable des fort nombreuses parutions FMR, Trevor Taylor est un des percussionnistes historiques de la scène improvisée britannique depuis les années 1970. À l’époque, il jouait fréquemment avec le guitariste Ian Brighton, le violoncelliste – contrebassiste Marcio Mattos et le violoniste Philipp Wachsmann. Leur groupe enregistra son premier CD sous le titre Eleven Years From Yesterday pour Bead Records et Future Music Records (FMR) dont c’était le premier album paru. C’est aussi un des tout premiers compacts de musique improvisée libre publié en 1988 juste avant le passage au CD de labels comme FMP, Leo Records, Incus, InTakt etc… Depuis lors les deux musiciens ont collaboré à plusieurs reprises et Phil Wachsmann a enregistré depuis lors de très remarquables albums en duo : avec les contrebassistes Teppo Hauta-Aho et David Leahy, les percussionnistes Paul Lytton, Martin Blume et Roger Turner, et le signal processing instrument de Lawrence Casserley ou l’électronique de Matt Hutchinson pour son label Bead ou pour FMR.
Two commence avec une intervention de Trevor Taylor au vibraphone « sans hélice » qui suscite une alternance de motifs mélodiques incertains et de tressautements pointillistes qui se succèdent avec une rare élégance et un sens de la surprise dans le chef du violoniste. Son improvisation semble détachée et survole tangentiellement les roulements des mailloches sur les lamelles qui évoluent entre remous et courts silences (First Landscape 9 :09). Musique d’une grande pureté qui synthétise plusieurs courants musicaux classiques weberniens ou cagiens. Chaque improvisation cultive une approche différente (Butterfly 10:58) : percussions métalliques et sons électroniques suspendus dans l’espace et curieux effets de boucles au violon, l’instrument de Wachsmann étant relié à son installation électronique. Musique éthérée, fantôme évanescent au bord du silence. Les effets de boucles s’entremêlent un moment avec une précision et un timing étonnants, avec effets de crescendo decrescendo des frappes et roulements de Taylor. Les musiciens dialoguent depuis leurs univers sonores respectifs de manière tangentielle et minutieuse. Au fur et à mesure que l’écoute avance, le duo fait évoluer créativement les échanges de manière à ce que chacune des huit improvisations abordent des formes et des sonorités différentes tant au point de vue acoustique qu’électronique. L’impression donnée est qu’on s’éloigne de la free music kinétique représentée par les duos avec Hauta Aho, Turner, Blume etc… pour se rapprocher de la musique dite expérimentale électronique ou du contemporain « alternatif ». Certaines pièces très « individualisées » sont de magnifiques miniatures comme les 3:19 de Floating Breathing ou de curieux paysages sonores oniriques comme Dusk Air (6 :58) qui frisent le minimalisme : sons électroniques étranges provenant du violon et percussions métalliques et vibraphone joués parcimonieusement pour progressivement fusionner dans une étrange conversation hybride et s’évanouir dans un silence. Ce silence est ensuite travaillé jusqu’à sa limite ultime dans Origami (10 :10) accélérant paradoxalement la perception du temps et de sa durée ressentie jusque passé les 5 minutes. Une complainte fragile (le délicieux violon) s’élève alors dans le ciel par-dessus les vibrations des lamelles pour aboutir à un ostinato minimaliste introduisant une déambulation des mailloches. Il s’agit presque d’une mise en scène spontanée d’une composition illusoire. Game for Two est sans doute le morceau le plus animé mais le découpage du timing et l’archet folichon dans les aigus est vraiment étudié dans les détails. On goûtera le simple raffinement du jeu wachsmannien capable d’exprimer de magnifiques idées et formes créatives en moins de temps qu’il faut pour le dire et peu de notes, cristallisant ainsi un superbe sens de la forme. La sensibilité et le savoir-faire remarquable de Trevor Taylor est un sérieux atout dans la réussite de cet album : les deux artistes sont complètement en phase partageant ce goût merveilleux de l’épure. La virtuosité instrumentale n’est pas de mise ici : il s’agit de faire sens avec des structures ouvertes, poétiques où chaque son dégage une signification particulière, trace une marque dans le silence et l’espace et fait dilater le temps.
Disappearing Worlds John Edwards Liam Noble Mark Sanders Paul Dunmall FMRCD693-0524
Sixième album de ce quartet gagnant dans la veine free-jazz entièrement improvisé … avec un remarquable sens de la forme sur les grandes longueurs : Disappearing Worlds et Gone font respectivement 34:03 et 43:10 tous deux enregistrés le 6 mars 2024. Précédaient, chez FMR, Go Straight Round the Square et Chords of Connection (2016), Feeling the Principle (2019) et One Moment (2022) et pour Rogue Art, Here Today Gone Tommorrow, tous albums aussi substantiels et énergiques que ce dernier Disappearing Worlds. La paire contrebasse - batterie John Edwards et Mark Sanders est à raison une des plus demandées par un nombre croisssant de musiciens. Dans ce contexte et avec une souffleur aussi intense et puissamment chaleureux, le pianiste Liam Noble est une recrue providentielle. Non content d’être des « drivers » aussi dynamiques qu’interactifs, Edwards et Sanders sont impliqués sans arrière-pensée dans l’improvisation radicale avec un goût prononcé pour l’exploration sonore. Par exemple, le duo de Sanders et d’Axel Dörner avec sa trompette implosée est complètement décoiffant (Stonecipher/ Fataka). Et aux dires de musiciens chercheurs les plus pointus, Edwards a créé l’unanimité autour de lui. Et c’est ça qui fascine dans ce quartet : ce bon solide free-jazz énergétique de la formation instrumentale "canon" : sax ténor (+ soprano) piano, contrebasse et batterie s’accommode joyeusement des incartades individuelles et collectives des trois larrons de la « section rythmique » pour décomposer et fragmenter l’ordonnancement et les us et coutumes avec la bénédiction « coltranienne » (mais pas que) du souffleur, sans doute un des plus aimables gentlemen de la musique improvisée. Parfois, Paul Dunmall oublie de mettre en avant sa redoutable virtuosité (triples détachés infernaux en cascade etc) pour asséner des sons tordus, des morsures brûlantes et des barrissements sauvages. Ou il sinue des ellipses cool qui sortent de nulle part et ensuite mâchonne des phrases hachurées tressautantes empilant les coups de langue en cascade pour qu’en sorte un fragment mélodique ressassé – étiré alors que les trois autres divaguent et font osciller leurs efforts au gré du vent avec obstination. Et son lyrisme est mis en valeur par le jeu improvisé et accidenté de ses trois camarades, la paire Mark - John a trouvé ici un véritable moteur de groupe à la hauteur de ces trois aventuriers : Liam Noble, un authentique pianiste de jazz contemporain qui s'insère à merveille dans leur entourage rôdé depuis un bon quart de siècle sur la brèche des déséquilibres mystérieux et merveilleux. Du très grand art ! c'est une musique qu'on croit connaître, mais qui se révèle à nous comme si nous ne l'avions jamais entendue - écoutée.
Je le dis : c’est un SCANDALE ! Qu’aucun organisateur- tourneur- responsable – festival–chef ou groupie invétérée ne sollicite un artiste de super très haut-vol de la trempe de Paul Dunmall, leur préférant d’honorables musiciens « professionnels » certes, mais nettement moins talentueux et surtout fatigants à la longue, est le comble de l'aberration. Cette lingua franca sans envergure, ces faiseurs... l'absence d'originalité, le mimétisme caricatural du "free"... qui déferle... C’est le monde à l’envers. J’en ai marre ! À bas la connerie, vive le talent ! Je vous confierai que j’ai par devers moi des piles de Dunmall par douzaines et que, foi d’écouteur attentif de Coltrane Ornette Dolphy Braxton Rivers Lacy depuis 50 ans etc… , je ne parviens pas à m’en lasser. Et je déteste me faire c… avec des faiseurs qui se répètent à longueur de concerts et d'enregistrements. Il y a bien sûr des albums de Duns qui sont « expérimentaux », mais la quintessence de ses nombreux albums qui vont droit dans le mille est colossale. Ses concerts sont un labyrinthe tourné vers l’infini : il y a tellement de variations et d'auto-réincarnations dans son jeu et ses multiples collaborations avec ses nombreux camarades que cela devient impossible de le décrire. Ce quartet de rêve nous fera oublier l'existence fantomatique de Mujician qui avait trop peu tourné (R.I.P. Keith Tippett & Tony Levin). De nombreux artistes réputés n'arrivent pas à sa cheville. Voilà : Hugh ! J’ai dit !!!
PAUL DUNMALL FOREVER !!
Consacré aux musiques improvisées (libre, radicale,totale, free-jazz), aux productions d'enregistrements indépendants, aux idées et idéaux qui s'inscrivent dans la pratique vivante de ces musiques à l'écart des idéologies. Nouveautés et parutions datées pour souligner qu'il s'agit pour beaucoup du travail d'une vie. Orynx est le 1er album de voix solo de J-M Van Schouwburg (1996 - 2005). https://orynx.bandcamp.com
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27 janvier 2025
Evan Parker the Heraclitean Two Steps SOLO/ Philipp Wachsmann Trevor Taylor/ John Edwards Liam Noble Mark Sanders Paul Dunmall
Free Improvising Singer and improvised music writer.
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Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......