Trizmaris Carlos Zingaro João Madeira Sofia Borges 4DA Records 4DRCD 013.
https://joaomadeira.bandcamp.com/album/trizmaris
Trois générations d’improvisateurs portugais pour une belle musique expressive, subtile et énergique. La percussionniste Sofia Borges se définit aussi comme compositrice dans l’univers des musiques contemporaines et utilise des objets usuels, outils de travail, boîtes musicales et jouets. Elle a justement publié un panorama intéressant de ses réalisations dans le double CD Trips and Findings publié par le même 4DA Records, label au catalogue en expansion piloté par le contrebassiste João Madeira. Celui-ci se révèle comme un artiste qui compte, collaborant activement avec Ernesto Rodrigues, Guilherme Rodrigues, Bruno Parrinha, Hernani Faustino etc… soit la galaxie Creative Sources et, bien sûr le violoniste Carlos Zingaro, le doyen de cette vivace scène portugaise, que nous retrouvons dans ce Trizmaris où les deux cordistes, violon et basse, donnent le meilleur d’eux-mêmes avec le travail subtil, la délicatesse même et le sens de la dynamique sonore de la percussionniste laissant le champ libre à la spontanéité de leurs improvisations. Le jeu de Carlos Zingaro a un caractère microtonal spécifique qui l’identifie immédiatement ou autrement dit il imprime de minimes altérations, accentuant les intervalles entre les notes de la gamme qui sont sa marque de fabrique personnelle. On peut visualiser les mouvements de son archet créant des spirales et des circonvolutions qui évoquent le vol d’oiseaux dans un ciel lumineux. Son collègue contrebassiste offre une contrepartie dynamique et créative puissante, élégante et souvent audacieuse dans l'équilibre des forces, outrepassant allègrement le rôle de "support" assigné à la contrebasse dans les musiques plus conventionnelles. Il y a une dimension orchestrale dans son travail qui revêt plusieurs changements successifs de registres et d'approches et crée des formes mouvantes en phase avec ses deux comparses. Un sens très sûr de l'initiative. Au fil de quatre longues improvisations (I II III et IV) de 13’48’’, 7’38’’, 17’45’’ et 9’31’’, le trio explore des paysages sonores variés, chacune d’elles constituant une véritable composition instantanée avec sa logique propre et une sensibilité distincte. Car, sensibilité et raffinement sonore sont ici le maître-mot, combinés avec l’énergie primale de la free-music atavique. Leur interactivité et leur écoute fonctionnent avec différents modus vivendi, João Madeira travaillant sa contrebasse à l’archet sur le même plan que celui de Carlos Zingaro. Le savoir-faire expressif de Sofia Borges à la percussion émerge le mieux dans le III où Zingaro nous fait un envol sottovoce irrésistible et où le trio étend ses trames dans des ramifications extensibles et fantasmatiques. Une mention spéciale à João Madeira : au fil des enregistrements, il est devenu un improvisateur créateur incontournable dans son pays et son label 4DA records au catalogue grandissant tient une place à part parmi les autres étiquettes portugaises dédiées aux musiques que nous aimons.
Dunois 9 Mai 1982 True & WholeTones in Rythms Daunik Lazro Tristan Honsinger Jean-Jacques Avenel. FOU Records FR - CD 66
https://www.fourecords.com/FR-CD66.htm
Voici une étape supplémentaire et tout aussi essentielle que les albums d’archives précédents du saxophoniste Daunik Lazro et cie enregistrés et publiés par Jean-Marc Foussat et Fou Records : DUO de Lazro et JJ Avenel, ecstatic jazz : Lazro, Avenel et Siegfried Kessler, Enfances : Lazro, George Lewis et Joëlle Léandre. Sans parler du tandem Annick Nozati et Daunik avec Sept Fables sur l’Invisible au catalogue de Mazeto Square. Comme le titre l’indique, il y a un aspect rythmique ou « pulsationnel » dans la musique jouée par ce trio du feu de l’enfer. Tristan Honsinger scie littéralement son violoncelle à tout va avec des accents rageurs et en filigrane des structures cycliques sauvagement enchâssées et tourneboulées. Cela convient à merveille au contrebassiste Jean-Jacques Avenel, lequel devint un remarquable joueur de kora africaine dont on entend déjà l’écho ici . S’ajoutent à cela la voix et les exhortations divagantes de Tristan Honsinger et l’emploi sauvage et borborygmique du tubausax, soit un sax alto muni d’un tuyau supplémentaire entre le tube et la partie supérieure où se trouve l’embouchure : la magie fonctionne. Daunik Lazro nous livre des improvisations charnues et mordantes en cascades irrégulières de riffs détraqués nourries par une écoute intensive d’Ornette, Dolphy, Braxton et aussi, Roscoe Mitchell comme on peut l’entendre précisément à certains moments. Deux « improv. » incluant des compositions : Pat (Lazro) et Ever Never (Honsinger) sur 14’16’’ et l’autre sur 39’30’’ avec Cordered (Lazro) et Canoë (Avenel). Ce trio avait joué au festival de Willisau avec Toshinori Kondo à la même époque ; il en reste un témoignage dans le double LP Sweet Zee publié par Hat Hut. C’est vraiment un excellent témoignage avec de magnifiques emprunts inspirés des musiques caraïbes et africaines et des échanges de pizzicati rebondissant et tournoyant entre le violoncelliste et le contrebassiste. Si des labels comme FMP, Moers Music ou Black Saint avaient publiés ne fût-ce que deux ou trois des enregistrements mentionnés plus haut, cela aurait changé pas mal de choses, non seulement pour Daunik Lazro, mais aussi pour la scène française du free en augmentant la synergie internationale. Le Dunois était un haut-lieu brûlant des musiques improvisées et à l’écoute de ces True & Whole Tones in Rythms et aussi du coffret FOU Records « Topologie Parisienne » avec Han Bennink/ Derek Bailey/ Evan Parker, on en est tout à fait convaincu. Et si je vous dis que, en plus, FOU Records a publié un quartet réunissant Fred Van Hove Annick Nozati Paul Lovens et Daunik Lazro, vous allez fulminer et vous faire un solide brelan d'as aux rois avec les cinq cédés de Daunik Lazro et sa bande d'allumés chez FOU Records. Servez-vous tant qu'il est encore temps, car cela a mis le temps de voir le jour (quarante ans et plus) et que depuis Daunik joue du sax ténor et Tristan et Jean-Jacques nous ont tous les deux quitté. De temps en temps, il vaut mieux être un peu FOU.
The knowledge that our time is limited can inspire us Ernesto Rodrigues Carlos Santos Miguel Mira Creative Sources CS847CD
https://ernestorodrigues.bandcamp.com/album/the-knowledge-that-our-time-is-limited-can-inspire-us
Le label Creative Sources est un point de rencontre de l’improvisation contemporaine radicale qui explore sans relâche toutes les occurrences sonores sous la houlette collective d’Ernesto Rodrigues et ses comparses Carlos Santos, Guilherme Rodrigues, Miguel Mira, Nuno Torres, Bruno Parrinha, José Oliveira, João Madeira, Hernani Faustino, Flak, et de nombreux autres tous localisés au Portugal. Dans l’exceptionnelle production du label, exceptionnelle tant en quantité d’enregistrements (850 et plus), qu’en qualité musicale, qui documente leurs musiques, il convient de distinguer deux types de projets. D’une part, les enregistrements consacrés au travail collectif des Lisboètes proprement dit, lequel a une forte identité dans leur recherche sonore, et d’autre part leurs tentatives de plus en plus souvent réussies avec des artistes extérieurs à leur cercle, même si ces musiciens ont une esthétique bien différente (récemment Frank Gratkowski, Floros Floridis, Alex von Schlippenbach et antérieurement Birgit Ulher, Alex Frangenheim, Jean-Luc Guyonnet, Sharif et Christine Sehnaoui, etc…. « The knowledge that our time is limited can inspire » est le parfait exemple de la vivacité et de la continuité créative de la galaxie Rodrigues et compagnie. Miguel Mira est un super violoncelliste avec un jeu sensible et raffiné dans les moindres détails en complète empathie avec les trames et ondulations oscillatoires d’Ernesto Rodrigues, lequel entretient une relation particulière avec son fils Guilherme, violoncelliste établi à Berlin depuis un certain nombre d’années. L’alto est un instrument plus compliqué que son petit frère le violon, mais Ernesto en tire les sonorités les plus irisées, soyeuses, sifflantes, en frôlant les cordes de son archet magique au plus proche du silence. Son sens de la dynamique est absolument extraordinaire et la réalité de sa pratique musicale va bien au-delà du vocable « réductionniste », « textural » ou « minimaliste lower-case», enzovoort (etc…en flamand !). Miguel Mira rivalise d’inventivité et de sensibilité, conférant avec son collègue un miroitement lyrique irrésistible. Il faut tout le talent et l’esprit d’à propos de Carlos Santos au synthé modulaire – une machine hérissée de câbles vivement colorés, de boutons et molettes - pour s’intégrer au plus près des textures chatoyantes et étirées des deux cordistes durant une longue improvisation de 37:58 enregistrée le 2 octobre 2024 à Cossoul, Lisbonne et déjà publiée, car urgence. La précision extrême et la présence active, mais presque différée, de Santos apporte une dimension éthérée, cosmique à cette musique qui se liquéfie ou se gazifie en apesanteur dans une autre réalité gravitationnelle. Et croyez-moi, je suis muni d’une pile imposante de leurs CD’s, à la bande à Ernesto et compagnie, que j’écoute sans jamais m’ennuyer que du contraire. Ces artistes sont parvenus à bonifier leurs capacités à créer dans l'instant au point que leur contribution intéressante au départ est devenue essentielle.
Leocantor Trio Martin Walter Matthias Boss Marcello Magliocchi FMR CD689-524
https://marcellomagliocchi1.bandcamp.com/album/leocantor-trio-walter-boss-magliocchi
Enregistré dans l'église néo-gothique de St Jacques d'Escholzmatt à Lucerne en août 2023 par un improbable trio sortant de l'ordinaire. A t-on idée de joindre un orgue à tuyaux (pipe organ en anglais) à un binôme de zazous improvisateurs free tels que le violoniste Matthias Boss et le percussionniste Marcello Magliocchi ! L'organiste Martin Walter (Leocantor - Kapelmeister) s'est laissé prendre au jeu avec une grande bonne volonté et tout autant d'esprit d'ouverture à l'invention sonore de ses deux acolytes. Une petite explication tout à fait accessoire : Marcello Magliocchi, lui-même un super batteur professionnel a développé une inspiration particulière avec les "piatti", soit les cymbales et gongs ; surtout celles qui sont amoureusement réalisées par le facteur U.F.I.P. de Pistoia avec qui il a conçu des prototypes hors du commun. Or, il se fait que les responsables de cette entreprise centenaire, la famille Tronci est établie depuis au moins deux siècles dans cette ville dédiée au travail du cuivre et du zinc depuis la plus haute antiquité pré-romaine. Initialement, les ancêtres Tronci étaient des facteurs d'orgue réputés et ils se sont ensuite orientés vers la percussion métallique pour répondre à la demande croissante de cymbales pour les fanfares, harmonies et "bandas" italiennes. On entend d'ailleurs Marcello faire siffler une cymbale manufacturée à cet effet au moyen d'un archet. Ces sonorités confluent avec les ullulements de l'orgue dans les aigus et les notes étirées du violoniste Matthias Boss. Des drones subtiles et ondulantes dans le registre piano de l'orgue joué patiemment par Martin Walter évoluent vers un infini de suggestions harmoniques suspendues dans le silence alors que résonne le menu crépitement des micro-frappes sur les peaux avec des baguettes ultra-fines et que tintent des clochettes. De cette ambiance mystérieuse émerge la voix fantômatique du violon de Matthias Boss inspirée par je ne sais quel songe secret et l'aura sonore de son collègue organiste. Quatre titres se succèdent dans une suite cohérente et audacieuse mise en perpective par une prise de son judicieuse, d'une part, l'auditeur de ce compact aura l'impression d'être assis à une bonne distance des musiciens dans une rangée de chaises d'église, d'autre part, Matthias et Marcello jouant parcimonieusement en évitant d'occuper l'essentiel de l'espace sonore au profit des nuances des jeux de l'orgue. Une musique céleste à laquelle se joint le violoniste qui joue comme s'il faisait partie intégrante de la machinerie des tirants et tuyaux. Une collaboration musicale étonnante qui sort complètement des sentiers battus. Holi Shadows 13:08, LeoTor Holi Hope 6:50, Bunter Sonntag 13:36, LeoCanTor Holi Sacred Thoughts 15:05. C'est à la fois fascinant, mystérieux et entièrement différent - off the wall par rapport aux courants habituels qui agitent la sphère improvisée contemporaine. Merveilleux d'entendre des improvisateurs de la trempe des Boss et Magliocchi s'intégrer aussi finement à l'univers magique de Martin Walter, un musicien entièrement dédié à l'univers sonore et émotionnel de son instrument, l'orgue à tuyaux.
Consacré aux musiques improvisées (libre, radicale,totale, free-jazz), aux productions d'enregistrements indépendants, aux idées et idéaux qui s'inscrivent dans la pratique vivante de ces musiques à l'écart des idéologies. Nouveautés et parutions datées pour souligner qu'il s'agit pour beaucoup du travail d'une vie. Orynx est le 1er album de voix solo de J-M Van Schouwburg. https://orynx.bandcamp.com
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5 janvier 2025
Carlos Zingaro João Madeira Sofia Borges/ Daunik Lazro Tristan Honsinger Jean-Jacques Avenel/ Ernesto Rodrigues Carlos Santos Miguel Mira/ Martin Walter Matthias Boss Marcello Magliocchi
Free Improvising Singer and improvised music writer.
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Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......