18 novembre 2025

Ivo Perelman full 68 Leo Records albums 1997 - 2018 digital reissue /Ruben Machtelinckx & Frederik Leroux + Ingar Zach & Evan Parker/ Philip Gibbs

Ivo Perelman : L’intégrale des 68 CD’s Leo Records parus de 1997 à 2019 publiés en digital.
https://ivoperelmanleo.bandcamp.com/music

Milles excuses à mes lecteurs et aux producteurs d’arriver si en retard pour commenter cette publication … colossale. Leo Records a été longtemps un label essentiel focalisé sur la New Thing afro-américaine, l’euro-jazz « risqué et l’improvisation libre européenne et « ex-soviétique » depuis la fin des années vinyles vers 1980 jusqu’il y a quelques années. Un catalogue impressionnant d’œuvres d’Anthony Braxton, du Sun Ra Arkestra, de Cecil Taylor, Evan Parker, Joëlle Léandre, Vyacheslav Ganelin Trio, Simon Nabatov, Sainkho Namchylak, Joe et Mat Maneri… et le saxophoniste ténor brésilien Ivo Perelman, souffleur exclusivement « ténor ». Musicien promis à un bel avenir dans le latin jazz à la brésilienne repéré par la grande chanteuse Flora Purim, mais aussi Paul Bley et Don Pullen, Ivo Perelman quite la Californie pour rejoindre la Grosse Pomme (NYC) et sa scène free. Il y démarre très vite avec le bassiste William Parker, le batteur Rashied Ali, le pianiste Matthew Shipp en enregistrant Cama da Terra avec Parker et Shipp, ses deux compagnons des années Leo Records. Premier album « free » insigne chez Leo Records : Sad Life avec Rashied Ali à la batterie et William Parker à la contrebasse enrgistré en 1996. Rashied fut le batteur free du groupe de Coltrane (Meditations, Live at Village Vanguard Again, Live in Japan, Expression, Stellar Regions) jusqu’à sa mort. À cette époque William Parker est le contrebassiste de choix de Cecil Taylor tant avec feu Jimmy Lyons qu’en trio avec Tony Oxley et ses Ensemble durant de nombreuses années. Shipp et Parker sont aussi des incontournables du quartet du saxophoniste David S. Ware. Alors, l’expressionnisme forcené, la sonorité incandescente à la saudade brésilienne d’Ivo Perelman conquiert les meilleurs musiciens du free-jazz New-Yorkais dès 1995-96. Seeds Vision and Counterpoint fait suite à Sad Life la même année, l’Ivo Perelman trio avec le bassiste Dominic Duval, successeur de Parker auprès de Cecil Taylor et le batteur Jay Rosen, ces deux musiciens formant plus tard le TRIO X avec Joe McPhee. Avec Brazilian Watercolour, Ivo revisite et affirme son identité et son amour du Brésil avec Rashied Ali, son futur partenaire le plus proche, le pianiste Matthew Shipp et ses compatriotes Brésiliens, les percussionnistes Guilherme Franco qui joua avec McCoy Tyner dans les années 70 et Cyro Baptista, un proche de John Zorn qui enregistra un des plus fascinants albums en duo de Derek Bailey. Mais étrangement, l’ouverture d’esprit de Leo Feigin ( Mr Leo Records) lui permet d’enregistrer The Alexander Suite avec le C.T. String Quartet en 1998 : Jason Kao Hwang violon, Ron Lawrence alto, Thomas Ulrich, violoncelle et Dominic Duval contrebasse, initiant la partie de son œuvre enregistrée chez Leo avec des cordistes tels que l’altiste Mat Maneri, un de ses plus proches collaborateurs et le guitariste Joe Morris en duo et trio, puis le violoniste Mark Feldman et le violoncelliste Hank Roberts.

Un aspect fondamental de la démarche d’Ivo Perelman est son approche collective et entièrement improvisée dans l’instant avec un ou deux partenaires dans une dimension égalitaire. Cela veut dire que quelque soit l’instrument joué, chacun des improvisateurs à toute la liberté et la latitude de pouvoir improviser entièrement sans interruption ni servilité (vous savez , le syndrome du soliste et la hiérarchie entre le souffleur et le rôle d’accompagnement du bassiste et du pianiste). Après avoir joué fréquemment avec le pianiste Matthew Shipp, Ivo Perelman et lui ont gravé un album en duo en 2012 : The Art of the Duet. Séduits par l’empathie créative et les perspectives musicales et émotionnelles de leur duo, les deux amis ont poursuivi la voie du duo en enregistrant une merveilleuse série d’albums : Corpo en 2015, Callas (cd double) en 2016, Complementary Colors et puis deux coffrets Oneness 3 CD’s 2017 et Efflorescence 4 CD’s 2018 , tous contenants de courtes improvisations de quelques minutes très diversifiées par leurs formes et leurs évolutions spontanées, sortes de compositions instantanées, alors que leur album 2CD Live in Brussels est construit dans de longues suites musclées granitiques. Croyant avoir épuisé le filon du duo, ils furent surpris de pouvoir encore se renouveler dans le coffret Efflorescence et un autre album duo camouflé dans une des trois séries de sept albums publiés d’un jet : the Art of Perelman – Shipp vol 6 : Saturn. Les autres albums de cette série The Art of Perelman Shipp et de The Art of the Trio et de beaucoup d’autres publications Leo consistent en une déclinaison – constellation de trios ou quartets autour du duo Perelman - Shipp en compagnie des contrebassistes William Parker, Michael Bisio et Joe Morris et des batteurs superlatifs : Whit Dickey, Gerald Cleaver, et les vétérans Andrew Cyrille et Bobby Kapp. Intervient aussi le vibraphoniste Karl Berger en duo ou trio, l’inclusion de Mat Maneri dans une série de 4 albums intitulés Strings vol 1, 2, 3, 4 . Renseigner au public lequel de ces nombreux albums sont les meilleurs est illusoire et vous donnera le tournis car on passe de la musique de chambre presque intimiste et équilibrée à quelques charges épico-énergétiques déchirantes du free brûlant en quartet avec piano - basse - batterie (Serendipity). Aussi parmi les plus belles réussites en quartet, Soul et Heptagon sont incontournables. Et s’insère aussi vers la fin de la période Leo, le trompettiste Nate Wolley, devenu par la suite un fidèle : Philosopher’s Stone trio avec Shipp et Octagon avec Brandon Lopez et Cleaver. Blue, le duo avec le guitariste Joe Morris et Two Men Walking avec l’altiste Mat Maneri situe le lyrisme de Perelman dans l’intimité d’une musique de chambre elliptique d’un haut niveau d’empathie sensible. Ou ses duos musclés avec les batteurs Whit Dickey, Gerry Hemingway ou Jay Rosen. Une constante : le brillant interplay, l’interaction permanente dynamique et lisible (qualité d’enregistrement optimale), le lyrisme. On trouve aussi des duos avec les clarinettistes basse Jason Stein et , surtout Rudi Mahall (2CD Kindred Spirits) qui initient ses futures rencontres ultérieures avec une kyrielle de saxophonistes tels Joe Lovano, Joe McPhee, David Murray et Roscoe Mitchell. Bon, ouf !

Je dois avouer que les discographies de saxophonistes hyper productifs au-delà du raisonnable m’ont toujours rendu dubitatifs. C’est vraiment selon certains voire beaucoup de journalistes, organisateurs, supporters et acheteurs compulsifs une manie qui occulte la créativité des trombonistes, violoncellistes, altistes, violonistes, guitaristes risqués, accordéonistes, créateurs atypiques ou vocalistes. Et fort heureusement, ce qui fascine chez Perelman, c’est son lyrisme authentiquement jazz dans un moule entièrement improvisation libre basée sur l’écoute mutuelle. On ne l’entendra jamais dans d’autres « projets » , « aventures » qui ne correspondent pas à son éthique intransigeante « collective et librement improvisée égalitaire ». Pas question pour lui de jouer avec un « leader » d’interpréter une composition sur partitions et à se conformer à quelconque format ou stratégie, quitte à avoir moins de travail, de concerts et de revenus. Et il y a avant tout la qualité sonore de son jeu racé, brésilien, inspiré par Albert Ayler mais aussi Stan Getz, Hank Mobley, Coltrane, Joe Henderson.. non pas pour les idées musicales proprement dites ou le style de ses aînés, mais seulement pour la sonorité. Aussi ses nombreuses sessions ne sont pas laissées au hasard, sa constante capacité créative au niveau mélodique étant son atout majeur. C’est là-dessus que ce bourreau de travail de l’instrument accorde la plus grande attention, les soins les plus minutieux jusqu’à l’obsession, le dépassement de soi. Bien sûr, il y des génies de l’instrument qui détonnent par leur articulation acrobatique avec triples détachés sur tous les intervalles ou presque comme Evan Parker ou Paul Dunmall (deux de mes grands favoris… mais il y en a d’autres !). Question puissance déchirante aylérienne jusqu’à l’hallucination, Perelman a fait fort par le passé : son double CD For Helen F. avec un double trio deux basses et deux batteries (label Boxholder) dépasse tous les records d’albertophilie. Mais sa démarche au départ ultra - expressionniste s’est étendue dans différents registres au fur et à mesure que sa technique d’émission sonore s’est raffinée, étendue, devenant plus liquide, plus charnelle, plus translucide et vibrante mais aussi instrospective. Et cela c’est fait par étapes dont une des plus insignes se situe lors de la session du double album duo Callas avant laquelle il s’est soigné le larynx et les cordes vocales avec des cours de chant et l’écoute des œuvres de la légendaire chanteuse lyrique. La VOIX ! Car qui d’autre parvient à faire chanter le saxophone ténor au-delà de sa tessiture dans des suraigus chantants, en glissandi qui évoquent la musique latino-brésilienne, la saudade. C’est là que réside tout l’originalité de ce souffleur chaleureux à la voix divine. Il ressent la musique et les sons qu’il produit au niveau de la couleur, du visuel quasiment autant que par la perception purement auditive. C’est du moins comme cela qu’il exprime cet aspect sensible, sensuel de sa personnalité musicale. Il est d’ailleurs un véritable créateur graphique et peintre dont les œuvres décorent les pochettes de ses albums. Choisissez des enregistrements d’années différentes entre 2000 et 2018/19 et vous pourrez déjà mesurer sa marche en avant vers la maturité en notant bien que son taux de réussite en impose depuis le départ. Après la période Leo Records, Ivo Perelman a poursuivi ce travail intense sur le son du sax ténor pour graver d’autres merveilles dont vous trouverez les références en piochant dans mon blog les articles où je révèle les tenants et aboutissements de son évolution.

Poor Isa : Ruben Machtelinckx & Frederik Leroux + Ingar Zach / Evan Parker Album vinyle Aspen23
https://rubenmachtelinckx1.bandcamp.com/album/poor-isa-evan-parker-ingar-zach

Étonnant projet réunissant les deux guitaristes Ruben Machtelinckx et Frederik Leroux, le souffle d’Evan Parker aux sax ténor et soprano et la percussion d’Ingar Zach. Les indications de la pochette laissent planer un doute à propos de qui joue quoi et quand… mais la production est resplendissante et soignée. Donc, Poor Isa est le duo de Ruben et Frederik aux banjos (!) et woodblocks et leurs jeux sont soigneusement synchronisés dans une sorte de folklore imaginaire – bluegrass cosmique lancinant et « répétitif ». On songe un peu au travail du luthiste Jozef Van Wissem, il y a une vingtaine d’années. Sur une des faces (laquelle ?), Clearing commence avec un super tandem des banjos dans une cadence enlevée en giration elliptique sur laquelle vient surfer les articulations alambiquées, mais lyriques, d’Evan Parker au ténor, en Wayne Shorter décalé avec son style inimitable fait de spirales imbriquant ses intervalles de notes distendues et ses glissandi, issues de sa pratique révolutionnaire des cross fingerings. La rythmique des deux banjos suggèrent une danse de chevaux tournoyants de manière assez subtile. Leur mise en place rythmique est formidable : ça a l’air simple, mais franchement il faut le faire pour y arriver aussi bien. C’est suivi par une pièce intimiste au sax soprano d’une belle douceur et avec de fausses hésitations qui relâche l’atmosphère avant de s’enfuir dans les méandres de sa respiration circulaire, intitulée Ply. Son solo introduit en fin de face, Untitled 7, où les deux banjoïstes balancent leurs gammes eschériennes en rotation permanente, elles - mêmes étrangement rythmées par les frappes et le cliquetis percussif subtil d’Ingar Zach sur le daf (?), et clochettes, mini-cymbales qui tintinabulent etc … impossible de deviner où se situe le premier temps et le dernier, peut-être sont-ce les mêmes. Il s’agit toujours dans ce projet, de compositions de Machtelinckx et Leroux, celui-ci étant l’unique compositeur de Untitled 7. L’autre face contient deux compositions Two Way et Hewn. La première démarre sur une superbe cavalcade des banjos siamois oscillants et tournoyants comme si les deux musiciens, Ruben et Fred Leroux chevauchaient des poneys à proximité de l’Altaï en Sibérie du Sud. En effet, on songe à la rythmique de ces musiques orientales et aux intervalles des gammes. Evan Parker a un plaisir évident à se mouvoir en rythme sur les pulsations du tandem des banjoïstes avec son souffle caractéristique et ses notes qui sursautent comme si elles étaient jouées à l’envers par-dessus les harmonies et les pulsations. Dans la deuxième pièce finale et plus longue, Hewn, le souffleur distille quelques notes pour petit à petit s’élancer et tournoyer en solo jusqu’à ce qu’il soit rejoint par les deux banjos sonnant un peu comme une cithare d’Asie Centrale dans une comptine se lovant sur elle-même à l’infini. S’ajoutent les superbes frappes frottées et mouvantes et les sonnailles, crotales …(?) d’Ingar Zach, un des percussionnistes les plus originaux de la scène improvisée, Parker laissant les trois autres nous envoûter. Comme je vous disais, du folklore imaginaire.

Evan Parker est sans nul doute un des saxophonistes les plus impressionnants qui soient et une très forte personnalité très marquée esthétiquement. Ce qu’on sait moins est qu’il est toujours prêt à se mettre au service d’autres artistes dans des univers différents ou parallèles à sa démarche et à s’insérer créativement dans les projets des autres quels qu’ils soient de manière ouverte et enthousiaste, comme celui-ci, où sa démarche est plus accessible. Cet album intimiste et intrigant se révèle ses exquises ritournelles avec une belle fraîcheur, sans prétention mais avec beaucoup de charme. Une gâterie.

Philip Gibbs hear my soul sutras 33-60 blackmound soundlab CD
https://blackmoundsoundlab.bandcamp.com/album/bm-innovation-bmi-001-hear-my-soul-sutras-33-60

Guitariste fétiche du saxophoniste britannique Paul Dunmall (ténor, et soprano, mais aussi baryton, alto, clarinettes, flûtes et bagpipes), Philip Gibbs a travaillé et enregistré quasi-exclusivement avec ce géant du saxophone, un phénomène du post – Coltranisme créatif une extraordinaire quantité d’albums pour les labels Slam, FMR et les Duns Limited Edition de Dunmall lui – même. Et cela en compagnie des batteurs Mark Sanders, des « trois Tony », Levin, Bianco et Marsh , aujourd’hui disparus, ainsi qu’avec Hamid Drake. Côté bassistes, les incontournables Paul Rogers, John Edwards et Marcio Mattos, le pianiste Keith Tippett, des guitaristes fous comme Barry Edwards et John Adams etc…. Paul Dunmall est aussi un des très rares souffleurs « post-Coltrane » qui soit devenu un total original en créant son propre style sur les bases coltraniennes en ingurgitant tout le reste question influences du sax ténor tout en étant un prodige dans l’explosion sonore des bagpipes et un saxophoniste soprano de grande classe.
Je dois ajouter qu’un des rares autres improvisateurs avec qui Phil Gibbs a enregistré et joué ici et là dans la scène anglaise « hors Dunmall » est moi-même, J-M Van Schouwburg, vocaliste improvisateur. Parmi les différentes techniques développées figurent d’une part un jeu amplifié à peine électrique qui conserve une immaculée aura sonore acoustique et d’autre part, un jeu de « tapping » à dix doigts sur les frettes de la guitare préparée et allongée sur ses genoux dans un tourbillon percussif giratoire et ondulé qui fait penser à une musique de sanzas ou mbiras d’Afrique (« le piano à pouces »), une cithare psychédélique ou une harpe hantée. Une de ses préparations de la guitare consiste d’insérer un morceau de corde de guitare entre trois ou quatre cordes, (dés-) accordant étrangement sa six cordes dans un autre univers tonal carrément psychédélique. C’est bien ici l’objet de ce magnifique album solo intitulé Hear my soul - sutras 33-60 et composé de 27 courts morceaux. Il y développe une grande variété de motifs, de pulsations, d’imbrications tournoyantes et de girations aériennes sans solution de de début et de fin qui se chevauchent, se torsadent et filent comme le vent fait tourner les feuilles dans les clairières illuminées. Juste une remarque : les plages n°1 (T21) et n°27 (T19) sont consacrés à deux morceaux électriques saturés qui indiquent que Phil Gibbs est aussi versé dans les pédales d’effets électroniques quand le besoin ou l’humeur se fait sentir.
On retrouve cette technique dans son album en duo Stringing the Bridge Over the Air (avec moi-même). Un autre de ses albums solos publiés par Duns Limited Edition : Thoughts and Feelings offre lui un panorama plus exhaustif de toutes ses recherches sur la guitare. Un artiste

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