Spleen Carlos Zingaro Carlos Bechegas Ernesto Rodrigues Creative Sources CS848CD
https://creativesources.bandcamp.com/album/spleen
Vu le nombre exponentiel d’enregistrements du label Creative Sources autour de son responsable, l’altiste Ernesto Rodrigues, je n’ai pu trouver le temps pour commenter la remarquable musique à la fois puissante et fragile de ce trio atypique marqué du sceau du Spleen, une fois le titre d’une œuvre du poète Baudelaire. Atypique par son instrumentation, violon, flûte / piccolo et alto et très remarquable par l’altération précise des timbres, tonalités, intervalles commune aux trois musiciens comme s’ils chantaient d’une même voix, Spleen se déroule dans le temps en deux mouvements intitulés I , II pour faire simple, sans que la durée soit indiquée dans les détails de la pochette ornée d’une aquarelle de Carlos Zingaro,le violoniste. Cette aquarelle symbolise les difractions des lueurs sonores et des micro – altérations des sonorités sur leur hauteur imprimée par la pression des lèvres et du souffle du flûtiste Carlos Bechegas en écho aux nuances subtiles et infinis mélismes microtonaux des violonistes pressant leurs archets délicatement sur les cordes. Les sonorités irisées de Carlos Zingaro et d'Ernesto Rodrigues font corps dans un même flux, un unique faisceau de timbres moirés, un agrégat indissociable qui lui-même intègre et échange bien des nuances avec leur camarade flûtiste. Impossible de deviner lequel des deux, altiste ou violoniste émet ces sonorités chatoyantes et fantomatiques et les ombrages des vibrations des cordes où le flûtiste évolue comme un poisson dans l'eau qui s'écoule comme des aquarelles en mouvement aléatoire. Le comble de l’empathie, un sommet de togetherness par les sons, leurs interférences, leurs miroitements. Les manipulations instrumentales font appel à ces fameuses techniques alternatives, bien sûr, mais basée sur une connaissance fondamentale et organique de leurs instruments jusque dans des profndeurs insondables. Toute l’attention auditive pour leur musique est concentrée sur cette symbiose instrumentale : ses mouvements et ses enchaînements en oblitèrent la durée sensible dans un Spleen sensitif magique.
Comme j'ai souvent chroniqué les faits et gestes de Carlos Zingaro et d'Ernesto Rodrigues plus qu'à son tour, il serait bienvenu que je cadre les antécédents notoires du flûtiste Carlos Bechegas. Cet artiste exceptionnel a commis d'excellents enregistrements en duo dans les années 2000 avec les contrebassistes Peter Kowald (Open Secrets) et Barry Guy (Open Textures), le flûtiste Michel Edelin (Open Frontiers), le guitariste Derek Bailey (Right Off !),le pianiste Alex von Schlippenbach (Open Speech) et mes compatriotes Peter Jacqmyn,contrebasse, et André Goudbeek, sax alto, dans Open Density. Juste pour vous situez le niveau d ce musicien d'exception méconnu.Tous les titres de ses CD's contiennent le mot Open, ouvert. Et Spleen est bien ici un album de musique ouverte qui se singularise par une personnalité collective très forte, rare, voir unique au niveau sonore et, surtout, spontanée.
Muted Songs A Part : Marie Takahashi Baptiste Vayer Thierry Waziniak intrication label Tri 008
https://waziniakthierry.bandcamp.com/album/muted-songs
Intrication documente fidèlement les différentes pratiques et les univers sonores et musicaux dans lesquels évolue avec bonheur le percussionniste Thierry Waziniak avec de multiples complices. On l’a entendu dans un original hommage à Thelonious Monk recréant ses compositions avec son ami guitariste Pascal Bréchet. Récemment, un duo très fouillé avec le saxophoniste chercheur Michel Doneda – le chemin du jour. Aussi, deux opus où intervient la sublime vocaliste Isabelle Duthoit : Don’t Worry Be Happy et White Eyes, album où figure étonnamment un souffleur de shakuhashi (Daniel Lifermann) et une calligraphe japonaise (Yukako Matsui) … !! Il y a, entre autres, le CD Overlapping Layers de Phil Gibbs, Dom Lash et moi-même… (encore mille mercis). En outre ,Waziniak joue sur de magnifiques albums aux incroyables pochettes « magnétique – caoutchouc » du label en compagnie du violoncelliste Gaël Mevel avec des invités comme Michaël Attias, Mat Maneri , J-L Capozzo ou Gianni Mimmo. Cette production maison d’Intrication a lieu d’être grâce au travail technique et graphique de Baptiste Vayer qui se révèle ici comme guitariste improvisateur inventif de choix et même vocaliste. Le titre Muted Songs peut se référer à sa manière de mettre l’électricité sauvage de sa guitare en sourdine voilant l’énergie abrasive de son jeu cabossé. Avec les percussions habiles et elliptiques et ses "electronics"de Thierry Waziniak, on trouve l’autre pôle « cordiste » de ce trio vraiment « À Part » : l’altiste Marie Takahashi, joueuse de « violon » alto, un instrument qui s’est répandu dans la scène improvisée de ces vingt dernières années : Mat Maneri, Ernesto Rodrigues, Charlotte Hug, Ig Henneman, Szilard Mezei, Benedict Taylor. Faut – il informer ou rappeler les efforts de ces musiciens ALTISTES pour développer leurs capacités et talents, car l’alto (viola en anglais) est un instrument nettement plus difficile à maîtriser que le violon lui-même si on veut en tirer les possibilités sonores vers le haut. Donc tant mieux que soit donné une fenêtre à cette altiste dans un tel album d’improvisation exploratoire.
Ironiquement qualifié de Fine Extinction, le premier titre (10'24'') démarre avec la voix folichonne et cahotante de Baptiste Vayer et les spirales déjantées et les griffures zébrées de Marie Takahshi soutenues sournoisement par Thierry Waziniak par intermittence instantanée. Mais la guitare sauvage et ses effets envahit soudainement le décor faisant monter l'adrénaline de la "violiste" surexistée. Puis, un beat électronique et des vibrations inconnues clôturent le morceau. "Instinct Noita" (8'05)cultive une intéressante approche "minimaliste" "laminaire" faite de drones, sonorités électroniques "industrielles", crachottements, une sorte de musique "AMM" insouciante à laquelle une dimension ludique bruissante et mystérieuse s'insinue progressivement, s'enfle et aboutit à une cohérence narrative évidente incorporant aussi des sonorités plus délicates. L'art de la métamorphose imprévisible etla diversité des quatre improvisations constitue une belle caractéristique de ce trio À Part. "Captain Tarawa" s'ouvre sur les contorsions de l'archet compressant les cordes au point de rendre le jeu de Marie abrasivement destroy, par dessus les soulèvements des tambours martelés par Thierry et auquel répondent les entrailles électrocutées de la guitare à effets de Baptiste. De ce paysage sonore de départ, s'ensuit une foire d'empoigne mouvementée et des interlocutions statiques où se distinguent l'inventivité du guitariste (passage en solo à un bon moment) et la sagacité du percussionniste -électronicien. Sans vouloir conférer à leurs improvisations un format ou une approche particulière travaillée et presque préméditée en amont, mais plutôt une dérive poétique actionniste où ils semblent s'égarer et se retrouvent ahuris. The "Lines of Covergence", le quatrième morceau final, se déroule dans l'univers lisible de l'improvisation radicale où le silence a une importance prépondérante qui met en valeur distinctement et clairement les sonorités et gestes musicaux de chacun des trois improvisateurs avec en réel sens du dosage quasi minimaliste tout en retenue pointilliste au ralenti ... Et soudainement, une montée de fièvre - hausse du volume qui s'intègre dans le processus un instant avant de chuter en douceur à la fin de l'album. Comme je disais plus haut , chacune de leurs quatre improvisations enregistrées ici occupe un univers en soi souvent clairement distinct des trois autres. Ce séquencement aura peut-être de quoi faire réfléchir, par exemple l'auditeur avide de guitares noise saturée 'bruyante' (ici ... les passages destroy de Baptiste Vayer), qui en jetant une oreille sur la plage 1 ou 3 prend le risque de découvrir ensuite d'autres approches musicales plus introspectives, intimes ou implosées. Un travail réussi.
Christian Vasseur Steve Gibbs Nicolò Vivi FWWU+ 4DaRecords 4DACD020
https://4darecord.bandcamp.com/album/fwwu-duos-trios
Duo (Vasseur et Gibbs CD1) et Trio (le duo précité plus Nicolò Wivi CD2) de guitaristes musicalement très pointues et situés entre l’improvisation libre et la musique contemporaine expérimentale. Un des intérêts majeurs de ces artistes réside dans leurs guitares acoustiques « nylon » à onze cordes (Vasseur) et à huit cordes (Gibbs et Vivi) et l’amplification par piézo. Je cite les crédits de chaqun des 4 CD’s
CD1 : Left : Christian Vasseur 11 string alto guitar Philip Woodfield tuned in quarter tone. Twin 3-way piezos under bridge by Tao Guitars Brussels.Right : Steve Gibbs 8 string classical guitars Alastair McNeill and Jack Sanders. 4-way piezos under fretboard by Tao Guitars Brussels
CD2 : Left : Nicolò Vivi 8 string classical guitar Alastair McNeill. 4-way piezos under fretboard by Tao Guitars Brussels. Centre : Christian Vasseur 8 string classical guitar Stein Schuddinck. 4-way piezos under fretboard by Tao Guitars Brussels. Right : Steve Gibbs 8 string classical guitar Alastair McNeill. 4-way piezos under fretboard by Tao Guitars Brussels
Stereo Field track 4 Left Nicolò Vivi / Right Christian Vasseur. Ouf !
Ce n’est pas la première fois que j’ai été confronté à une telle rencontre de guitaristes avec Christian Vasseur et Steve Gibbs. En effet, j’avais programmé un festival entier de guitaristes à Bruxelles : il y en avait six dont Pascal Marzan, Jean Demey, Dirk Serries et Magali Rischette. Un événement dont la richesse musicale et sonore a dépassé toutes les attentes. C’est une des plus belles réussites de ma « longue » carrière d’organisateur.
Alors, je vous le dit franchement, oubliez d’abord les références (Bailey, Chadbourne, Frith, Reichel, Sharp, Russell), cette musique se situe dans un autre univers. D’abord ces guitaristes ont une très grande expérience et des conceptions complètement allumées, dingues qui sortent de l’ordinaire La vibration simultanée des cordes nylons conjointes des deux guitares à travers l’amplification ne ressemble à rien d’autre. Il s’agit d’un univers sonore étonnant, enfiévré, mystérieux, arachnéen avec des imbrications harmoniques aventureuses, la guitare accordée au quart de ton à la résonnance métallique y étant pour quelques chose. Un OVNI guitaristique d’obédience classique au départ métamorphosée dans un expérimentalisme radical jusqu’au bout des ongles, des doigts et des frettes. Si vous êtes à la recherche d’en enregistrement de musique d’avant-garde recherchée de guitares. C’est sauvage, minutieux, résonnant, bruitiste, gratouilleur au niveau des fils de cuivres des cordes graves, çà résonne un peu comme un piano préparé, les harmoniques sont pures, des pulsations africaines surgissent çà et là. Une dimension percussive, des accordages surréalistes se pointent sans crier gare avec des effets percussifs en ostinato foldingue, des nuances de toucher inespérées et des tournoiements irréels. Et presque chaque pièce s’ouvre sur des sonorités différentes qui nous font voyager dans une autre parti du cosmos (les glissandi frénétiques du n°4). Ce qui est absolument fantastique, c’est le degré d’empathie et d’unité cohérente entre Vasseur et Gibbs comme si les deux jouaient du même instrument dans des constructions emboîtées avec une dextérité folle et une logique délirante (n° 5) . Et l’utilisation intelligente et appropriée de techniques « alternatives » . Sept pièces qui se surpassent l’une de l’autre durant tout le CD 1, lequel nous aurait suffi tellement c’est réussi. Mais, avec la concours de Nicolò Vivi, la surface des choses est pleinement reconsidérée et le challenge est encore plus imposant. Devoir raconter en détail tout ce qui s’y passe est un véritable pensum, la joie et la curiosité suscitée par cet étrange phénomène à cordes est indicible. Vivat !!
João Madeira & Miguel Mira 21 07 12 02 05 24 4darecords 4DRCD019
https://joaomadeira.bandcamp.com/album/21-07-12-02-05-24
Un contrebassiste, João Madeira et un violoncelliste, Miguel Mira en solo chacun plus de 16 minutes et en duo durant 38 minutes et des avec un « encore » de plus de quatre minutes. Et cela publié par l’excellent label de João, 4Darecords qui recèle de bien belles surprises et des choses vraiment pointues. Comme ce drone évolutif maîtrisé à l’archet d’une belle traite sans flancher une seconde, des gestes délicats dans les infimes changements de position du doigt sur la touche et la vibration du crin de l’archet. Mais cela dépasse l’effet de style pour une recherche formelle d’une structure construite et pensée avec soin avec de presque imperceptibles crescendo / decrescendo et une dynamique sonore qui enfle le son avec une vraie justesse. Puis l’archet danse initiant des battements qui suggèrent une de ces danses traditionnelles enfouies dans la mémoire collective. On entend le talon toucher le sol jusqu’à ce que le frottement grogne, gonfle ou s’éloigne pour enfin doubler/ tripler la cadence ou flûter une harmonique, le doigt rebondissant sur la touche jusqu’à ces pizzicati distingués et aériens avec la lenteur idoine. Ça à l’air aussi simple que c’est superbement maîtrisé. Une belle pièce. Tout l’art du violoncelliste est d’enchaîner après le final de João en évoquant l’esprit de ce qui précède en percutant les cordes de manière intimiste et insistante à la fois, aléatoire sur la surface des cordes col legno ou plus expressive en suivant le cours de sa narration… une histoire de violoncelle objet frappé, griffé, frotté, bruité en ajoutant subrepticement des notes surprises ou des enjambées irrégulières. Bref une interrogation sonore du violon basse (l’instrument de João est une contrebasse). Césure et archet saturé sur la corde vibrante par contraste , puis murmure du frottement obstiné dans l’ombre de la touche joué en lent crescendo jusqu’au mezzo-forte affirmatif. Tout comme son collègue une recherche sonore hiératique et introspective sur le champ expressif de l’instrument avec cette maîtrise incontestable qui vous fait aimer leur musique.
Rien d’étonnant que ces deux là déploient leurs effets dans un duo décalé aux formes mouvantes, lyriques mais irrégulières au niveau du temps comme l’introduction de João Madeira en pizzicati élastiques et gommeux. L’archet strie les cordes du violoncelle saturent l’espace par-dessus l’ostinato courbé du contrebassiste. Ces deux – là font partie d’une grande fratrie de cordistes lusitaniens révélées dans le sillage du violoniste Carlos Zingaro, de l’altiste Ernesto Rodrigues, du violoncelliste Guilherme Rodrigues, des bassistes Hernani Faustino et Alvaro Rosso et d’autres qui se croisent dans de nombreux ensembles de cordes frottées qui pullulent sous l’étiquette Creative Sources. Il y a donc un esprit de famille, une volonté de dialogue, de contrastes et de cohérences. On oublie ici qui du violoncelliste et de la contrebassiste cherche, implémente, dérive, se fait oublier, percute, grince ou s’élance. Une quête de formes, de sons, de frappes, de grésillements, d’harmoniques,de grondements forcenés titube, ahane, force le destin, fait crisser les ventres résonnants du corps des deux gros violons. Franchement réussi, sans redondance et droit au but.
Consacré aux musiques improvisées (libre, radicale,totale, free-jazz), aux productions d'enregistrements indépendants, aux idées et idéaux qui s'inscrivent dans la pratique vivante de ces musiques à l'écart des idéologies. Nouveautés et parutions datées pour souligner qu'il s'agit pour beaucoup du travail d'une vie. Orynx est le 1er album de voix solo de J-M Van Schouwburg (1996 - 2005). https://orynx.bandcamp.com
13 novembre 2025
Carlos Zingaro Carlos Bechegas Ernesto Rodrigues/ Marie Takahashi Baptiste Vayer Thierry Waziniak/ Christian Vasseur Steve Gibbs Nicolò Vivi/ João Madeira & Miguel Mira
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