FWWY+ Duos & Trios Christian Vasseur - Steve Gibbs - Nicolo Vivi 4DARecords 2CD 4DRCD020
https://4darecord.bandcamp.com/album/fwwu-duos-trios
Fred Van Hove solo piano I - II - III (1996) Edition Explico 3 digital
https://editionexplico.bandcamp.com/album/i-ii-iii
Tebugo Evan Parker Paul Rogers Louis Moholo Jazz In Britain CD
https://jazzinbritain1.bandcamp.com/album/tebugo
Live in Foggia Larry Stabbins Keith Tippett Louis Moholo OGUN OGCD 051
https://ogun3.bandcamp.com/album/larry-stabbins-keith-tippett-louis-moholo-moholo-live-in-foggia
Violet Daniel Thompson Empty Birdcage EBR 014
https://emptybirdcagerecords.bandcamp.com/album/violet
Topographie Parisienne : Derek Bailey - Han Bennink - Evan Parker Dunnois, April 2nd, 3rd & 4th April & 4th, 1981 4CD Box FOU Records FR-CD 34 - 35 - 36 - 37 . Reissue of first edition with a different order of the tracks following each date + new booklets. Recorded, mixed and produced by Jean-Marc Foussat. J-M F had issued these + 3 hours of concerts like it was perfomed on the 3rd of April. As he was moving to his new home, he didn't have access to all his notes and files. Thus as the first edition was sold out, he reissued with a new CD - Box taking account of the actual circumstances and the notes from his recording logs.
The link with FOU Records website is here https://www.fourecords.com/FR-CD34%3E37-2.htm But you can reach the label by message and order it by bank payment, all details being here : https://www.fourecords.com/.
The title Topographie Parisienne refers to the first Incus label issue "01" : Topography of the Lungs (1970) of Evan Parker, Han Bennink & Derek Bailey as a trio. They almost never performed in concert as a trio in the seventies, or only in a set into a Derek's Company concert. This legendary album was issued three times by Incus : 1970 & 1971 with the same artcover and one reissue with slightly changed art cover in 1977. The CD version was issued by Evan Parker's Psi in 2006 and Otoroku label issued a vinyle version some years ago.
Here, although there are two lengthy trios on CD 1 & CD 4 along with two Evan's sax solos, they performed mainly duos HB & DB, DB & EP, HB & EP during these three dates. These duets are crammed only into the CD 2 & CD 3 of this CD Box. These concerts were arranged by Evan Parker and were announced as a Company event.
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Spleen Carlos Zingaro Carlos Bechegas Ernesto Rodrigues Creative Sources CS848CD
https://creativesources.bandcamp.com/album/spleen
Polarity 4 Ivo Perelman & Nate Wooley burning ambulance CD
https://ivoperelman-bam.bandcamp.com/album/polarity-4
Scrap Heap Challenge Paul Lytton Joker Nies Richard Scott Georg Wissel scatter archive digital
https://scatterarchive.bandcamp.com/album/scrapheap-challenge
Charlotte Hug In Resonance with Elsewhere voice viola Fundacja Sluchaj FSR 05 / 225
https://sluchaj.bandcamp.com/album/in-resonance-with-elsewhere
The Complete Fingers Remember Mingus Dave Green Bruce Turner Lol Coxhill Alan Jackson Michael Garrick Jazz In Britain JIB-55-S-CD.
https://jazzinbritain1.bandcamp.com/album/the-complete-fingers-remember-mingus
Aspects of Memory Lawrence Casserley & Emil Karlsen Bead Records
https://beadrecords.bandcamp.com/album/aspects-of-memory
John Edwards Lisbon Solo Double Bass digital
https://johnedwards.bandcamp.com/album/lisbon-solo-2
John Butcher & John Edwards This Is Not Speculation Fundacja Sluchaj FSR CD
https://sluchaj.bandcamp.com/album/this-is-not-speculation
Ivor Kallin. Bagpipe Practice Room scatter archives digital
https://scatterarchive.bandcamp.com/album/bagpipe-practice-room
Laurent Paris & Jean Luc Petit Présence Label au bois dormant 001
https://labelauboisdormant.bandcamp.com/album/pr-sence
Armageddon Flowers Ivo Perelman Matt Shipp String Trio w Mat Maneri & William Parker Tao Forms CD
https://matthewshipptaoforms.bandcamp.com/album/armageddon-flower
Albert Ayler Trio avec Sunny Murray et Gary Peacock Prophecy Live First Visit Complete ezz-thetics 109.
https://first-archive-visit.bandcamp.com/album/prophecy-live-first-visit
Xafnikes Synantiseis Floros Floridis Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues Ulf Mengersen Creative Sources CS819CD
https://ernestorodrigues.bandcamp.com/album/xafnikes-synantiseis
Consacré aux musiques improvisées (libre, radicale,totale, free-jazz), aux productions d'enregistrements indépendants, aux idées et idéaux qui s'inscrivent dans la pratique vivante de ces musiques à l'écart des idéologies. Nouveautés et parutions datées pour souligner qu'il s'agit pour beaucoup du travail d'une vie. Orynx est le 1er album de voix solo de J-M Van Schouwburg (1996 - 2005). https://orynx.bandcamp.com
23 décembre 2025
21 décembre 2025
Fred Van Hove / Ernesto et Guilherme Rodrigues / The Tweeters / Evan Parker Paul Rogers & Louis Moholo
Fred Van Hove solo piano I - II - III (1996) Edition Explico digital
https://editionexplico.bandcamp.com/album/i-ii-iii
Rare et merveilleux solo de Fred Van Hove enregistré at Forum Kesselhaus, hannover lors d’un Hohe – Ufer – Konzert nr 181. L’organisateur et le producteur de cet enregistrement solo exceptionnel de Fred Van Hove, n’est personne d’autre que le tromboniste, contrebassiste puis violoncelliste Günter Christmann, un ex-membre du Globe Unity Orchestra et un des free improvisers essentiels en Europe depuis la fin des sixties. Ce I- II – III fut publié sous forme de CDr à 60 copies signées par Fred Van Hove et manufacturées par Christmann lui-même sur son label maison Edition Explico. Heureusement, le batteur Michael Griener qui a grandi littéralement dans l’entourage proche de Günter C, l’ensemble des albums édités par Explico est disponible en digital. Sans doute, à mon avis, I – II – III est un des meilleurs enregistrements solo de Van Hove qui démontre ici qu’il était autant un improvisateur de l’instant qu’un compositeur d’envergure. Comme des esprits bornés parmi la critique (des gens qui n’ont jamais dû improviser sur une scène et devoir convaincre un public) ont pu fâcheusement l’écrire, NON Fred n’était pas un « élève » ou un suiveur de Cecil Taylor, mais un des pianistes les plus originaux du XXème siècle. Dans le petit monde des praticiens expérimentés et pionniers de l’improvisation libre en Europe, il n’était pas rare qu’on considère ouvertement Fred Van Hove comme le pianiste numéro UN. Il y a chez lui une couleur sonore « dissonante » qui n’appartient qu’à lui qui s’échappe des quasi clichés issus du dodécaphonisme de l’univers sériel, etc… Aussi, il a une capacité à développer spontanément des matériaux multiformes sur la durée , d’un seul tenant en jouant simultanément avec plusieurs dynamiques, intensités et substrats harmoniques, ajustant de multiples idées et formes avec brio. Avec l’âge, il a perdu en partie la fantaisie de ses débuts pour gagner en substance. Derrière sa musique, tapit une force de caractère peu commune. Durant des années, Fred , un vrai autodidacte, s’est battu contre vents et marées à imposer l’improvisation musicale sur la place publique d’un point de vue collectif dans un pays trop petit qui l’a obligé à s’exporter à l’étranger. Sans aucune concession esthétique et avec une exigence musicale considérable. Evan Parker n’a jamais publié qu’un seul album de piano solo sur son label Psi : Journey de Fred Van Hove. De même, FMP – SAJ , l’historique label Berlinois (et a/l/l) contient à son catalogue pas moins de cinq albums solos de Van Hove, dont un à l’orgue. Je l’ai entendu en duo avec Albert Mangelsdorf, Paul Rutherford, Steve Lacy, Anthony Braxton, Evan Parker, Philipp Wachsmann, c’était le top niveau ! Et ses groupes essentiels après la période de folle avec Bennink et Brötzmann sont quasiment non documentés (Wachsmann Charig, Christmann, Rutherford, Malfatti etc.. Mais, il s'est aussi produit ave cla chanteuse française Annick Nozati, unepersonnalité qui semblait se situer aux antipodes de la sienne. Et la on mesure son ouverture d'esprit radicale. Donc, cet album est ce qui peut arriver de mieux en matière d’improvisation libre / instant composition au piano. Extraordinaire et musicalement riche et profond.
Ernesto Rodrigues & Guilherme Rodrigues Pico Creative Sources CSCD 877
https://ernestorodrigues.bandcamp.com/album/pico
Le précédent album en duo de ce duo familial, Rodrigues père et fils , alto et violoncelle – Ernesto et Guilherme – Como O Mar faisait référence à la mer, ses mouvements, ses vagues oscillantes, ses courants, ses marées, il semble logique dès lors que leur opus suivant en tandem soit lié à une île. Particulièrement, une île des Açores, Pico celle dont on aperçoit la montagne, ici recouverte de curieux nuages à son sommet (2.351m), depuis l’île la plus importante de l’Archipel, Terceira et ses voisines, Sao Jorge et Faial. La première improvisation du CD a été enregistrée au Petersburg Art Space Berlin et compte trois sections (Live at PAS 23 :39) dont une est jouée sur la fameuse crackle box de Michel Waiszwics par Ernesto. Par rapport au précédent Como O Mar, la musique est vraiment différente ce qui n’a rien d’étonnant pour ces deux musiciens qui ont l’art de se renouveler au fil de leurs nombreux albums en trio ou quartet avec une kyrielle d’improvisateurs. Le deuxième long morceau de 32 :25 , Pico (São Caetano) contient du field recording réalisé en 2021 par Ernesto Rodrigues (enregistrement de terrain). Je n’avais pas chroniqué Como O Mar, malheureusement, mais cela s’explique par la régularité exponentielle des publications des Rodrigues sur Creative Sources, le label qu’ils font vivre depuis 25 ans atteignant aujourd’hui le n° 877 sur leur gigantesque catalogue. Comme je publie à peine autant/plus de chroniques qu’eux de CD’s, il m’est impossible de monopoliser mon blog avec les CS CD… alors que d’autres artistes méritants espèrent une rare chronique.
Le field recording nous fait entendre des bruits crissants de criquets dans la nuit par-dessus lesquels les deux violonistes grattent et scratchent leurs cordes en grinçant créant une ambiance mystérieuse faites de drones mouvantes et de petits chocs dans une vision expérimentale. On y retrouve toute la classe et la distinction du travail des Rodrigues dans les détails de ces drones crissants, ces hauteurs de notes qui descendent inexorablement, ces effets de souffle (littéralement) de l’archet qui frôle les cordes…. Entourés par les sons de l’espace ouvert quelque part sur cette île mystérieuse. De cette ambiance naît un dialogue pointilliste épuré d’actions instrumentales millimétrées qui créent une narration, un dialogue, une échappée dont l’intensité et l’aspect ludique croissant clôt un premier mouvement. Celui-ci répond à la démarche du concert au PAS en octobre 25. La deuxième section incarne un beau chant à ceux voix avec l’ample et lent travail « vocalisé » à l’archet, une élégie suspendue dans le vide soutenu par l’enregistrement de terrain, celui-ci servant comme un continuité pour les improvisations qui se succèdent marquant chaque fois un autre aspect de leur démarche contemporaine. Vous avez là de la musique à écouter sans se lasser, le duo Rodrigues développant de nouvelles idées et sensibilités avec leurs grandes ressources sonores et musicales, sachant faire vivre l’instant dans la durée sans faiblir même quand un curieux animal surgit près des micros d’Ernesto en émettant de curieux gloussements ! Des improvisateurs de premier ordre. Fascinant !
The Tweeters The Berchem Tapes (1) May 1976 Pedantwerp serie / Ultra Eczema LP
https://ultraeczema.bandcamp.com/album/the-berchem-tapes-may-1976
The Tweeters était un groupe de free-jazz anversois avec un goût prononcé pour un humour surréaliste provoc’ mené par feu Edmond Van Lierde, un saxophoniste allumé et peintre – graphiste poète et performer. Son pote Jean Van Den Plas (saxophone, violon et violoncelle) est le frère de sa petite amie Nicole à l’époque où ils assistaient au concert de Coltrane au festival de Jazz de Comblain en 1965. Ils firent ensuite un voyage aux US pour découvrir le free-jazz. Nicole Van Den Plas était une excellente pianiste qui joua et enregistra avec Alfred Harth, Sven Åke Johansson ou Thomas Cremer et partit vivre à Frankfurt. Une jeune drop – out se joignit à eux, Liliane Vertessen, chanteuse et tromboniste, elle aussi présente à ce festival. Edmond recruta Willem Van Lierde son pianiste de frère. Et à cette équipe se joignirent les inévitables Paul Feyaerts et Ronnie Dusoir, respectivement contrebassiste et batteur, lesquels jouèrent et enregistrèrent avec André Goubeeck dans le Full Moon Trio. On croisa certains d’entre eux dans un groupe de Fred Van Hove, avec Kris Wanders dans les premières années du free Anversois, mouvance qui se mua dans une organisation collective d’improvisateurs, le Wergroep Improviserende Musici. Cette organisation qui compta plus d’une vingtaine de membres organisa régulièrement des festivals dès 1972-73 et c’est lors d’une édition mémorable en 1979 au légendaire King-Kong, un centre culturel alternatif que j’assistai à une bien amusante performance des Tweeters au sein d’un programme fabuleux.
À l’époque des contrôles douaniers stricts, les musiciens attendaient parfois des heures dans les postes de douane pour les formalités et le « plombage » des instruments attestant la validité du contrôle. Résultat des courses, la Belgique ayant des frontières communes avec la France, l’Allemagne, les Pays-Bas, le Luxembourg et la Grande Bretagne, plusieurs musiciens de jazz « free » s’établirent quelques temps à Anvers ou Bruxelles afin de n’avoir qu’un seul poste de douane sur leur route vers un concert dans un pays voisin. Parmi ces résidents, on a compté Stu Martin qui logea souvent ses camarades en tournée, Peter Kowald (marié avec la sœur de Kris Wanders), Gunther Hampel, Jeanne Lee, Alfred Harth, J.R. Montrose, et John McLaughlin dans les années 67-68. On aperçut souvent Barry Altschul au Welkom, mythique bar bruxellois ou Barre Philips. À cette époque, le café De Muze à Anvers accueillait régulièrement des jazzmen qu’ils soient swing, post-bop ou free et il y avait d’autres cafétjes ou zoldertjes où pouvoir jouer. De nombreux musiciens free étaient de passage à Anvers et dans les Flandres. Et bien sûr, Han Bennink, Peter Brötzmann, Wim Breuker, SA Johansson, Misha Mengelberg, Marion Brown… D’ailleurs, le mythique trio de Brötzmann Van Hove Bennink fut enfanté à Antwareppe, le groupe de Fred Van Hove alors composé de Fred, Kris Wanders, Peter Kowald et Peter Brötzmann avait un besoin urgent d’un batteur après la disparition de Jan Van‘t Ven. C'est Marion Brown qui leur recommanda Han Bennink Et donc, bon nombre d’auditeurs passionnés du free-jazz d’Anvers, Gand, etc… se sont mis à jouer eux-mêmes cette musique un peu partout dans la région, au pied levé en autodidactes. C’était alors la musique contemporaine rebelle des prolétaires. Cela a alors créé un intérêt populaire dans les milieux artistiques, militants ou étudiants flamands pour la New Thing US et son équivalent improvised music européen : la preuve est que le King-Kong était bondé lors du Free Music, il y avait autant de public assis que debout. Mémorable !
Ce vinyle produit par Dennis Tiefus sur sa série Pedantwerp de son label Ultra Eczema publie une session répétition de Mai 1976 enregistrée à Berchem enregistrée par William Van Lierde, le pianiste du groupe. C’est enregistré de manière, disons, hasardeuse, mais le son est plus lisible lorsque le groupe joue « piano » ou mezzoforte. On entend distinctement quelques prouesses du batteur et la maîtrise du pianiste. On appréciera le lyrisme soulful de Linda , la tromboniste et le drive organique de Ronnie Dusoir. La musique est composite et basée sur des canevas de jazz et de musiques populaires avec une alégresse nonchalante et enjouée. Deux des titres se réfèrent au jazz : Willie’s Bounce (pour William) et Foolish Things (foolish, les Tweeters, bien sûr). Toute la face B est consacrée à leur magnum opus : Soirée Noire. À partir d’un groove chaloupé garni de d’impros modales, on chavire dans l’agressivité free avec les barrissements de la tromboniste et le déferlement percussif, pour ensuite être entraîné dans un drive funk – twist. Cette suite donne aussi à entendre un solo modal bluesy rageur au sax ténor par Edmond dans une autre séquence avec un impact rythmique différent. Malgré l’imperfection technique de l’enregistrement, on mesure la cohérence de la « section rythmique ». Dennis a organisé un concert solo d’un survivant des Tweeters, Jean Van Den Plas, au légendaire café De Kat à deux pas du Muze et du King Kong. L’endroit était « rempli » (vol) et une partie du public était debout. De nombreuses personnes présentes avaient connu cette scène et les musiciens du cru. Jean a joué d’une contrebasse électrique sans « caisse de violon » (à moins qu’il ne s’agit d’un contracello) en nous gratifiant de variations subtiles sur une deux compositions de Coltrane et l’inévitable Song For Che de Charlie Haden.
La surprise du concert – réunion était que Dennis vendait les dernières copies des Berchem Tapes 1 (May 1076) en vinyle pour 30 € incluant un gros livre d’art intitulé « Merci de m’avoir invité » et tiré à 300 exemplaires. La « réalisatrice » de ce très beau livre est Linda Greeve, la veuve d’Edmond Van Lierde, le saxophoniste et une des personnalités centrales des Tweeters. C’est sans doute un des documents les plus probants émanant d’un musicien free et lui-même artiste graphique, peintre et aquarelliste, auto-portraitiste, poète carte-postaliste, auteur de maximes déroutantes où surgissent des phrases en français détourné. En lisant l’hommage de Ronnie Dusoir à son pote Edmond, écrit dans un flamand croustillant et narrant une de leurs aventures en tournée, on imagine ce que veut dire « Série Noire » l’unique morceau de la Face B. Ce livre indique qu’Edmond était un vrai zyverer de génie, un zwanzeur d’antwareppe, un vrai poète de l’instant. Et quel artiste !! Durant des décennies, Edmond envoyait des cartes postales improbables à sa muse des premières années free, la pianiste Nicole Van Den Plas qui vivait à Francfort. Une partie d’'entre elles sont reproduites ici, recto-verso. Les noms de l’expéditeur et de la destinataire variaient de carte postale en carte postale dans un vrai délire. Leur contenu sémantique et littéraire vaut trois litres de bolleke De Koninck. Et ses camarades étaient à la hauteur. Le nom du groupe tire son origine dans le fait que les deux frères Van Lierde étaient jumeaux, tweelingen en néerlandais, soit The Tweeters. Edmond VL, Liliane V, Jean VDP, William VL, Paul F et Ronnie D étaient là pour s’amuser, vivre la musique et y prendre du plaisir, faire passer un message sans prétention, la musique collective exprimant un art de vivre et le sens de l’amitié profonde. Une critique sociale existentielle libertaire/ C’est ce qui transparait dans ce livre qui en dit plus sur l’esprit du free-jazz européen que les études formatées de Prof d’Univ US qui n’ont jamais vécu cette scène in vivo à l’époque et dans les lieux où elle est apparue. Une fois que galeristes, marchands d ‘art ou experts se mêlent d’éditer des livres d’art de musiciens, c’est formaté, catalogué, froid voire glacial. Ici on se marre à tort et à travers. En Belgique, on n'est pas des stoefers, des frasquiljons ou des petzoeijes. Même chez un pince sans rire comme Fred Van Hove, il y a toujours eu un humour sous-jacent. et André goudbek a été longtemps un fidèle de Willem Breuker et son théâtre musical non sensique - drôlatique. Avec Edmond , il y a un côté Dada - Pata caquistique. On se dit que cette musique n’a jamais été aussi fascinante quand elle n’était pas encore documentée, répertoriée et scéniquement fragmentée. Tout semblait encore possible et le public appréciait cette énergie en s’ouvrant à tout un questionnement intérieur mais en y prenant un plaisir intense, voire incrédule, bon enfant vers une autre dimension sociale et humaine "out of this world".
Les Tweeters ont joué à Anvers, Gand, Charleroi, Rotterdam etc.. et une équipe plus ancienne a été programmée au Festival de San Sebastian en 1969 mais n’ont pas publié de disques tout comme la plupart de leurs collègues anvrsois. Mais sans le concours de tous ces activistes passionnés, le free-jazz et l’improvisation aurait sombré dans les deux décennies suivantes. L’élan donné à l’époque par tous ses praticiens et allumés, aujourd’hui inconnus, a fait que cette musique est encore toujours vivante. Une excellente bonne idée que cette publication !
Sorry, si je reviens encore sur des vétérans, mais il y a quelque chose à dire « anti-clichés » au sujet du batteur Louis Moholo. J’aurais préféré écrire un texte présentant un album d’artistes plus jeunes et enregistré récemment.
Tebugo Evan Parker Paul Rogers Louis Moholo Jazz In Britain CD
https://jazzinbritain1.bandcamp.com/album/tebugo
Enregistré en 1992 dansl’ancien Vortex, Stoke Newington Church Street, du temps où Paul Rogers faisait résonner sa puissante contrebasse quatre cordes (il joue depuis une vingtaine d’années de la sept cordes ALL à cordes sympathiques, un tout autre instrument). On entend ici une musique plus ou moins similaire à celle du trio Parker Guy Lytton, free-jazz « free » à la fois énergique, primal mais subtil, complexe et raffiné. Paul Rogers était alors devenu LE bassiste qui compte en G-B avec Mark Sanders, Elton Dean, Paul Rutherford, Keith Tippett, Paul Dunmall, Howard Riley, Tony Levin, Louis Moholo, etc… Son jeu allie la puissance d’un Mingus avec la sophistication issue de l’école La Faro et Dave Holland avec une capacité à jouer free avec une logique confondante en pizzicati en conservant l’atavisme jazz indélébile, sans parler de ses capacités effarantes à l’archet. Aussi , je l’ai vu et entendu maltraiter sa contrebasse comme personne auparavant. Il vit depuis de nombreuses années en France et on l’entend toujours sur plusieurs des meilleurs albums de Paul Dunmall de ces 20 dernières années. Ses albums solos sont incroyables. Que peut on encore dire sur Evan Parker, un des sax ténor free les plus originaux, sa technique époustouflant et son articulation est mise au service d’une musicalité exceptionnelle au niveau de la complexité en spirales et croisements devolutes de souffle truffées d’effets sonores, harmoniques du pianissimo au forte avec un contrôle du son magistral. Le but du jeu dans ce trio est l’équilibre des forces en présence dans une volonté égalitaire en laissant un espace de jeu à chacun sans tirer la couverture à soi. Et de ce point de vue Louis Moholo a tout compris. Celui qui nous a quitté il y a peu (et cet album lui rend hommage) hérite de la sagacité initiale du Sunny Murray de la Spiritual Unity d’Albert Ayler (ESP 1002, album an-zéro du free et point de départ du free total), l’éthique de feu John Stevens. Un jeu polyrythmique avec la dynamique sonore restreinte et une multitude de micro-frappes éparpillées en finesse sur la surface des peaux et cymbales sans couvrir les condisciples, des instants de quasi silence, stase auditive, et quand la tension croît un crescendo approprié d’intensités percussives. Sa virtuosité et sa mise en place est confondante et à la hauteur d’Evan Parker et de ses batteurs fétiches, les deux Paul. Parfois, une pulsation élégante nous rappelle qu’il vient d’Afrique du Sud. On le sait, il existe dans le public des préjugés et des idées toutes faites du genre : « comment cela peut – il se faire qu’un musicien Africain du Sud, militant anti-appartheid abreuvé au khwela puisse - t-il jouer avec un avant-gardiste tel qu’Evan Parker dont certains albums pourraient être considérés comme anti-jazz, eurocentré et « intello » d’avant-garde » ? La réponse est très simple : ces musiciens appartiennent pour la vie à la communauté fraternelle des musiciens de jazz et d’improvisation londonienne – british où règne le sens de l’écoute, la camaraderie et l’échange fructueux des expériences au jour le jour sans élitisme. D'ailleurs, un duo improvisé d'Evan et Louis fait de sons rythmés à brefs coups de bec percussifs et de frappes millimétrées sur les peaux est tout à fait inattendu et insigne de l'ouverture des deux musiciens l'un vers l'autre. L'improvisation libre est nourrie par tout ce qu'on veut y mettre et ne répond pas à un cahier de charges établi et des théories de type "non-idiomatique" ou post-académiques formmes et stériles. Les trois morceaux de ce concert mémorable totalise 28:42, 14:50 et 36:06 et portent des titres - jeux de mots qu’affectionne Evan Parker.
https://editionexplico.bandcamp.com/album/i-ii-iii
Rare et merveilleux solo de Fred Van Hove enregistré at Forum Kesselhaus, hannover lors d’un Hohe – Ufer – Konzert nr 181. L’organisateur et le producteur de cet enregistrement solo exceptionnel de Fred Van Hove, n’est personne d’autre que le tromboniste, contrebassiste puis violoncelliste Günter Christmann, un ex-membre du Globe Unity Orchestra et un des free improvisers essentiels en Europe depuis la fin des sixties. Ce I- II – III fut publié sous forme de CDr à 60 copies signées par Fred Van Hove et manufacturées par Christmann lui-même sur son label maison Edition Explico. Heureusement, le batteur Michael Griener qui a grandi littéralement dans l’entourage proche de Günter C, l’ensemble des albums édités par Explico est disponible en digital. Sans doute, à mon avis, I – II – III est un des meilleurs enregistrements solo de Van Hove qui démontre ici qu’il était autant un improvisateur de l’instant qu’un compositeur d’envergure. Comme des esprits bornés parmi la critique (des gens qui n’ont jamais dû improviser sur une scène et devoir convaincre un public) ont pu fâcheusement l’écrire, NON Fred n’était pas un « élève » ou un suiveur de Cecil Taylor, mais un des pianistes les plus originaux du XXème siècle. Dans le petit monde des praticiens expérimentés et pionniers de l’improvisation libre en Europe, il n’était pas rare qu’on considère ouvertement Fred Van Hove comme le pianiste numéro UN. Il y a chez lui une couleur sonore « dissonante » qui n’appartient qu’à lui qui s’échappe des quasi clichés issus du dodécaphonisme de l’univers sériel, etc… Aussi, il a une capacité à développer spontanément des matériaux multiformes sur la durée , d’un seul tenant en jouant simultanément avec plusieurs dynamiques, intensités et substrats harmoniques, ajustant de multiples idées et formes avec brio. Avec l’âge, il a perdu en partie la fantaisie de ses débuts pour gagner en substance. Derrière sa musique, tapit une force de caractère peu commune. Durant des années, Fred , un vrai autodidacte, s’est battu contre vents et marées à imposer l’improvisation musicale sur la place publique d’un point de vue collectif dans un pays trop petit qui l’a obligé à s’exporter à l’étranger. Sans aucune concession esthétique et avec une exigence musicale considérable. Evan Parker n’a jamais publié qu’un seul album de piano solo sur son label Psi : Journey de Fred Van Hove. De même, FMP – SAJ , l’historique label Berlinois (et a/l/l) contient à son catalogue pas moins de cinq albums solos de Van Hove, dont un à l’orgue. Je l’ai entendu en duo avec Albert Mangelsdorf, Paul Rutherford, Steve Lacy, Anthony Braxton, Evan Parker, Philipp Wachsmann, c’était le top niveau ! Et ses groupes essentiels après la période de folle avec Bennink et Brötzmann sont quasiment non documentés (Wachsmann Charig, Christmann, Rutherford, Malfatti etc.. Mais, il s'est aussi produit ave cla chanteuse française Annick Nozati, unepersonnalité qui semblait se situer aux antipodes de la sienne. Et la on mesure son ouverture d'esprit radicale. Donc, cet album est ce qui peut arriver de mieux en matière d’improvisation libre / instant composition au piano. Extraordinaire et musicalement riche et profond.
Ernesto Rodrigues & Guilherme Rodrigues Pico Creative Sources CSCD 877
https://ernestorodrigues.bandcamp.com/album/pico
Le précédent album en duo de ce duo familial, Rodrigues père et fils , alto et violoncelle – Ernesto et Guilherme – Como O Mar faisait référence à la mer, ses mouvements, ses vagues oscillantes, ses courants, ses marées, il semble logique dès lors que leur opus suivant en tandem soit lié à une île. Particulièrement, une île des Açores, Pico celle dont on aperçoit la montagne, ici recouverte de curieux nuages à son sommet (2.351m), depuis l’île la plus importante de l’Archipel, Terceira et ses voisines, Sao Jorge et Faial. La première improvisation du CD a été enregistrée au Petersburg Art Space Berlin et compte trois sections (Live at PAS 23 :39) dont une est jouée sur la fameuse crackle box de Michel Waiszwics par Ernesto. Par rapport au précédent Como O Mar, la musique est vraiment différente ce qui n’a rien d’étonnant pour ces deux musiciens qui ont l’art de se renouveler au fil de leurs nombreux albums en trio ou quartet avec une kyrielle d’improvisateurs. Le deuxième long morceau de 32 :25 , Pico (São Caetano) contient du field recording réalisé en 2021 par Ernesto Rodrigues (enregistrement de terrain). Je n’avais pas chroniqué Como O Mar, malheureusement, mais cela s’explique par la régularité exponentielle des publications des Rodrigues sur Creative Sources, le label qu’ils font vivre depuis 25 ans atteignant aujourd’hui le n° 877 sur leur gigantesque catalogue. Comme je publie à peine autant/plus de chroniques qu’eux de CD’s, il m’est impossible de monopoliser mon blog avec les CS CD… alors que d’autres artistes méritants espèrent une rare chronique.
Le field recording nous fait entendre des bruits crissants de criquets dans la nuit par-dessus lesquels les deux violonistes grattent et scratchent leurs cordes en grinçant créant une ambiance mystérieuse faites de drones mouvantes et de petits chocs dans une vision expérimentale. On y retrouve toute la classe et la distinction du travail des Rodrigues dans les détails de ces drones crissants, ces hauteurs de notes qui descendent inexorablement, ces effets de souffle (littéralement) de l’archet qui frôle les cordes…. Entourés par les sons de l’espace ouvert quelque part sur cette île mystérieuse. De cette ambiance naît un dialogue pointilliste épuré d’actions instrumentales millimétrées qui créent une narration, un dialogue, une échappée dont l’intensité et l’aspect ludique croissant clôt un premier mouvement. Celui-ci répond à la démarche du concert au PAS en octobre 25. La deuxième section incarne un beau chant à ceux voix avec l’ample et lent travail « vocalisé » à l’archet, une élégie suspendue dans le vide soutenu par l’enregistrement de terrain, celui-ci servant comme un continuité pour les improvisations qui se succèdent marquant chaque fois un autre aspect de leur démarche contemporaine. Vous avez là de la musique à écouter sans se lasser, le duo Rodrigues développant de nouvelles idées et sensibilités avec leurs grandes ressources sonores et musicales, sachant faire vivre l’instant dans la durée sans faiblir même quand un curieux animal surgit près des micros d’Ernesto en émettant de curieux gloussements ! Des improvisateurs de premier ordre. Fascinant !
The Tweeters The Berchem Tapes (1) May 1976 Pedantwerp serie / Ultra Eczema LP
https://ultraeczema.bandcamp.com/album/the-berchem-tapes-may-1976
The Tweeters était un groupe de free-jazz anversois avec un goût prononcé pour un humour surréaliste provoc’ mené par feu Edmond Van Lierde, un saxophoniste allumé et peintre – graphiste poète et performer. Son pote Jean Van Den Plas (saxophone, violon et violoncelle) est le frère de sa petite amie Nicole à l’époque où ils assistaient au concert de Coltrane au festival de Jazz de Comblain en 1965. Ils firent ensuite un voyage aux US pour découvrir le free-jazz. Nicole Van Den Plas était une excellente pianiste qui joua et enregistra avec Alfred Harth, Sven Åke Johansson ou Thomas Cremer et partit vivre à Frankfurt. Une jeune drop – out se joignit à eux, Liliane Vertessen, chanteuse et tromboniste, elle aussi présente à ce festival. Edmond recruta Willem Van Lierde son pianiste de frère. Et à cette équipe se joignirent les inévitables Paul Feyaerts et Ronnie Dusoir, respectivement contrebassiste et batteur, lesquels jouèrent et enregistrèrent avec André Goubeeck dans le Full Moon Trio. On croisa certains d’entre eux dans un groupe de Fred Van Hove, avec Kris Wanders dans les premières années du free Anversois, mouvance qui se mua dans une organisation collective d’improvisateurs, le Wergroep Improviserende Musici. Cette organisation qui compta plus d’une vingtaine de membres organisa régulièrement des festivals dès 1972-73 et c’est lors d’une édition mémorable en 1979 au légendaire King-Kong, un centre culturel alternatif que j’assistai à une bien amusante performance des Tweeters au sein d’un programme fabuleux.
À l’époque des contrôles douaniers stricts, les musiciens attendaient parfois des heures dans les postes de douane pour les formalités et le « plombage » des instruments attestant la validité du contrôle. Résultat des courses, la Belgique ayant des frontières communes avec la France, l’Allemagne, les Pays-Bas, le Luxembourg et la Grande Bretagne, plusieurs musiciens de jazz « free » s’établirent quelques temps à Anvers ou Bruxelles afin de n’avoir qu’un seul poste de douane sur leur route vers un concert dans un pays voisin. Parmi ces résidents, on a compté Stu Martin qui logea souvent ses camarades en tournée, Peter Kowald (marié avec la sœur de Kris Wanders), Gunther Hampel, Jeanne Lee, Alfred Harth, J.R. Montrose, et John McLaughlin dans les années 67-68. On aperçut souvent Barry Altschul au Welkom, mythique bar bruxellois ou Barre Philips. À cette époque, le café De Muze à Anvers accueillait régulièrement des jazzmen qu’ils soient swing, post-bop ou free et il y avait d’autres cafétjes ou zoldertjes où pouvoir jouer. De nombreux musiciens free étaient de passage à Anvers et dans les Flandres. Et bien sûr, Han Bennink, Peter Brötzmann, Wim Breuker, SA Johansson, Misha Mengelberg, Marion Brown… D’ailleurs, le mythique trio de Brötzmann Van Hove Bennink fut enfanté à Antwareppe, le groupe de Fred Van Hove alors composé de Fred, Kris Wanders, Peter Kowald et Peter Brötzmann avait un besoin urgent d’un batteur après la disparition de Jan Van‘t Ven. C'est Marion Brown qui leur recommanda Han Bennink Et donc, bon nombre d’auditeurs passionnés du free-jazz d’Anvers, Gand, etc… se sont mis à jouer eux-mêmes cette musique un peu partout dans la région, au pied levé en autodidactes. C’était alors la musique contemporaine rebelle des prolétaires. Cela a alors créé un intérêt populaire dans les milieux artistiques, militants ou étudiants flamands pour la New Thing US et son équivalent improvised music européen : la preuve est que le King-Kong était bondé lors du Free Music, il y avait autant de public assis que debout. Mémorable !
Ce vinyle produit par Dennis Tiefus sur sa série Pedantwerp de son label Ultra Eczema publie une session répétition de Mai 1976 enregistrée à Berchem enregistrée par William Van Lierde, le pianiste du groupe. C’est enregistré de manière, disons, hasardeuse, mais le son est plus lisible lorsque le groupe joue « piano » ou mezzoforte. On entend distinctement quelques prouesses du batteur et la maîtrise du pianiste. On appréciera le lyrisme soulful de Linda , la tromboniste et le drive organique de Ronnie Dusoir. La musique est composite et basée sur des canevas de jazz et de musiques populaires avec une alégresse nonchalante et enjouée. Deux des titres se réfèrent au jazz : Willie’s Bounce (pour William) et Foolish Things (foolish, les Tweeters, bien sûr). Toute la face B est consacrée à leur magnum opus : Soirée Noire. À partir d’un groove chaloupé garni de d’impros modales, on chavire dans l’agressivité free avec les barrissements de la tromboniste et le déferlement percussif, pour ensuite être entraîné dans un drive funk – twist. Cette suite donne aussi à entendre un solo modal bluesy rageur au sax ténor par Edmond dans une autre séquence avec un impact rythmique différent. Malgré l’imperfection technique de l’enregistrement, on mesure la cohérence de la « section rythmique ». Dennis a organisé un concert solo d’un survivant des Tweeters, Jean Van Den Plas, au légendaire café De Kat à deux pas du Muze et du King Kong. L’endroit était « rempli » (vol) et une partie du public était debout. De nombreuses personnes présentes avaient connu cette scène et les musiciens du cru. Jean a joué d’une contrebasse électrique sans « caisse de violon » (à moins qu’il ne s’agit d’un contracello) en nous gratifiant de variations subtiles sur une deux compositions de Coltrane et l’inévitable Song For Che de Charlie Haden.
La surprise du concert – réunion était que Dennis vendait les dernières copies des Berchem Tapes 1 (May 1076) en vinyle pour 30 € incluant un gros livre d’art intitulé « Merci de m’avoir invité » et tiré à 300 exemplaires. La « réalisatrice » de ce très beau livre est Linda Greeve, la veuve d’Edmond Van Lierde, le saxophoniste et une des personnalités centrales des Tweeters. C’est sans doute un des documents les plus probants émanant d’un musicien free et lui-même artiste graphique, peintre et aquarelliste, auto-portraitiste, poète carte-postaliste, auteur de maximes déroutantes où surgissent des phrases en français détourné. En lisant l’hommage de Ronnie Dusoir à son pote Edmond, écrit dans un flamand croustillant et narrant une de leurs aventures en tournée, on imagine ce que veut dire « Série Noire » l’unique morceau de la Face B. Ce livre indique qu’Edmond était un vrai zyverer de génie, un zwanzeur d’antwareppe, un vrai poète de l’instant. Et quel artiste !! Durant des décennies, Edmond envoyait des cartes postales improbables à sa muse des premières années free, la pianiste Nicole Van Den Plas qui vivait à Francfort. Une partie d’'entre elles sont reproduites ici, recto-verso. Les noms de l’expéditeur et de la destinataire variaient de carte postale en carte postale dans un vrai délire. Leur contenu sémantique et littéraire vaut trois litres de bolleke De Koninck. Et ses camarades étaient à la hauteur. Le nom du groupe tire son origine dans le fait que les deux frères Van Lierde étaient jumeaux, tweelingen en néerlandais, soit The Tweeters. Edmond VL, Liliane V, Jean VDP, William VL, Paul F et Ronnie D étaient là pour s’amuser, vivre la musique et y prendre du plaisir, faire passer un message sans prétention, la musique collective exprimant un art de vivre et le sens de l’amitié profonde. Une critique sociale existentielle libertaire/ C’est ce qui transparait dans ce livre qui en dit plus sur l’esprit du free-jazz européen que les études formatées de Prof d’Univ US qui n’ont jamais vécu cette scène in vivo à l’époque et dans les lieux où elle est apparue. Une fois que galeristes, marchands d ‘art ou experts se mêlent d’éditer des livres d’art de musiciens, c’est formaté, catalogué, froid voire glacial. Ici on se marre à tort et à travers. En Belgique, on n'est pas des stoefers, des frasquiljons ou des petzoeijes. Même chez un pince sans rire comme Fred Van Hove, il y a toujours eu un humour sous-jacent. et André goudbek a été longtemps un fidèle de Willem Breuker et son théâtre musical non sensique - drôlatique. Avec Edmond , il y a un côté Dada - Pata caquistique. On se dit que cette musique n’a jamais été aussi fascinante quand elle n’était pas encore documentée, répertoriée et scéniquement fragmentée. Tout semblait encore possible et le public appréciait cette énergie en s’ouvrant à tout un questionnement intérieur mais en y prenant un plaisir intense, voire incrédule, bon enfant vers une autre dimension sociale et humaine "out of this world".
Les Tweeters ont joué à Anvers, Gand, Charleroi, Rotterdam etc.. et une équipe plus ancienne a été programmée au Festival de San Sebastian en 1969 mais n’ont pas publié de disques tout comme la plupart de leurs collègues anvrsois. Mais sans le concours de tous ces activistes passionnés, le free-jazz et l’improvisation aurait sombré dans les deux décennies suivantes. L’élan donné à l’époque par tous ses praticiens et allumés, aujourd’hui inconnus, a fait que cette musique est encore toujours vivante. Une excellente bonne idée que cette publication !
Sorry, si je reviens encore sur des vétérans, mais il y a quelque chose à dire « anti-clichés » au sujet du batteur Louis Moholo. J’aurais préféré écrire un texte présentant un album d’artistes plus jeunes et enregistré récemment.
Tebugo Evan Parker Paul Rogers Louis Moholo Jazz In Britain CD
https://jazzinbritain1.bandcamp.com/album/tebugo
Enregistré en 1992 dansl’ancien Vortex, Stoke Newington Church Street, du temps où Paul Rogers faisait résonner sa puissante contrebasse quatre cordes (il joue depuis une vingtaine d’années de la sept cordes ALL à cordes sympathiques, un tout autre instrument). On entend ici une musique plus ou moins similaire à celle du trio Parker Guy Lytton, free-jazz « free » à la fois énergique, primal mais subtil, complexe et raffiné. Paul Rogers était alors devenu LE bassiste qui compte en G-B avec Mark Sanders, Elton Dean, Paul Rutherford, Keith Tippett, Paul Dunmall, Howard Riley, Tony Levin, Louis Moholo, etc… Son jeu allie la puissance d’un Mingus avec la sophistication issue de l’école La Faro et Dave Holland avec une capacité à jouer free avec une logique confondante en pizzicati en conservant l’atavisme jazz indélébile, sans parler de ses capacités effarantes à l’archet. Aussi , je l’ai vu et entendu maltraiter sa contrebasse comme personne auparavant. Il vit depuis de nombreuses années en France et on l’entend toujours sur plusieurs des meilleurs albums de Paul Dunmall de ces 20 dernières années. Ses albums solos sont incroyables. Que peut on encore dire sur Evan Parker, un des sax ténor free les plus originaux, sa technique époustouflant et son articulation est mise au service d’une musicalité exceptionnelle au niveau de la complexité en spirales et croisements devolutes de souffle truffées d’effets sonores, harmoniques du pianissimo au forte avec un contrôle du son magistral. Le but du jeu dans ce trio est l’équilibre des forces en présence dans une volonté égalitaire en laissant un espace de jeu à chacun sans tirer la couverture à soi. Et de ce point de vue Louis Moholo a tout compris. Celui qui nous a quitté il y a peu (et cet album lui rend hommage) hérite de la sagacité initiale du Sunny Murray de la Spiritual Unity d’Albert Ayler (ESP 1002, album an-zéro du free et point de départ du free total), l’éthique de feu John Stevens. Un jeu polyrythmique avec la dynamique sonore restreinte et une multitude de micro-frappes éparpillées en finesse sur la surface des peaux et cymbales sans couvrir les condisciples, des instants de quasi silence, stase auditive, et quand la tension croît un crescendo approprié d’intensités percussives. Sa virtuosité et sa mise en place est confondante et à la hauteur d’Evan Parker et de ses batteurs fétiches, les deux Paul. Parfois, une pulsation élégante nous rappelle qu’il vient d’Afrique du Sud. On le sait, il existe dans le public des préjugés et des idées toutes faites du genre : « comment cela peut – il se faire qu’un musicien Africain du Sud, militant anti-appartheid abreuvé au khwela puisse - t-il jouer avec un avant-gardiste tel qu’Evan Parker dont certains albums pourraient être considérés comme anti-jazz, eurocentré et « intello » d’avant-garde » ? La réponse est très simple : ces musiciens appartiennent pour la vie à la communauté fraternelle des musiciens de jazz et d’improvisation londonienne – british où règne le sens de l’écoute, la camaraderie et l’échange fructueux des expériences au jour le jour sans élitisme. D'ailleurs, un duo improvisé d'Evan et Louis fait de sons rythmés à brefs coups de bec percussifs et de frappes millimétrées sur les peaux est tout à fait inattendu et insigne de l'ouverture des deux musiciens l'un vers l'autre. L'improvisation libre est nourrie par tout ce qu'on veut y mettre et ne répond pas à un cahier de charges établi et des théories de type "non-idiomatique" ou post-académiques formmes et stériles. Les trois morceaux de ce concert mémorable totalise 28:42, 14:50 et 36:06 et portent des titres - jeux de mots qu’affectionne Evan Parker.
18 décembre 2025
John Butcher Ivo Perelman/ Larry Stabbins Keith Tippett Louis Moholo/ Pierre Borel / Loz Speyer Julie Walkington Tony Bianco
John Butcher Ivo Perelman Duologues 4 London Silhouettes Ibeji Records digital
https://music.apple.com/fr/album/duologues-4/1857635581
https://open.spotify.com/intl-fr/album/6o4Tk9oBzBkwTUyzsJkMqY
Rencontre plus qu’intéressante entre deux saxophonistes que tout semble opposer au niveau du « style » et de l’esthétique . Le britannique John Butcher utilise de multiples techniques de souffle alternatives confinant aux bruitages dans une dimension contemporaine avec un sens des structures constructiviste. C’est un chercheur pointu de l’improvisation libre radicale étirant le timbre du sax ténor à l’extrême tout en jouant une musique lisible avec un substrat harmonique très complexe et des repères mélodiques irréguliers. S’il a choisi la méthode créative de l’improvisation libre, Ivo Perelman évolue dans un univers issu du jazz libre afro-américain inspiré par Albert Ayler et illuminé par les couleurs sonores de la saudade brésilienne. Cela s’entend dans les inflexions sinueuses des harmoniques aiguës ondoyantes au-delà du registre le plus haut du saxophone ténor. Ses suraigus lyriques et étirements de notes en glissandi artistement expressifs et vocalisés contrastent avec les sons granuleux de Butcher, plus méthodiques et abrupts, ses sifflements contrôlés au millimètre, le Britannique étant un mathématicien de formation, alors que le Brésilien est un peintre et graphiste qui dit voir la musique, les notes et les sons sous formes de couleurs. On se perd dans le dédale de leurs souffles réunis. Le début de Two est une véritable pièce d’anthologie de techniques alternatives au sax soprano. John Butcher semble percuter la colonne d’air complètement amortie (non résonnante) à l’aide des clés et la pression de l’air dans le tube). Là-dessus , on entend poindre des fragments de timbres vocalisés, fantômes sonores sortant du sax ténor de Perelman. Butcher en profite pour faire grincer des suraigus. Avec des techniques différentes l’un de l’autre, les deux souffleurs nous font entendre un dialogue subaquatique de cris de dauphins qui s’appellent et se répondent. Ténor ou soprano, c’est en fait dans un registre aigu similaire que nos deux phénomènes conversent toutes harmoniques dehors. Butcher dévide toute sa palette jusqu’à ce qu’il soit en phase avec la sensibilité écorchée du Brésilien. C’est toujours formidable quand deux artistes aussi différentiables parviennent à créer un dialogue aussi enchanteur en confrontant aussi amicalement leurs deux registres dans des aigus expressifs et toute une jungle de feulements, vibrations tactiles, contorsions du souffle. Tout aussi remarquable que touchant ! Prenons – en de la graine.
Juste un élément en plus : Ivo Perelman entretient un duo permanent avec le pianiste Matthew Shipp, duo pour lequel j'ai rédigé un petit livre analysant leur musique ("Embrace of the Souls") et il se fait que Matthew Shipp et John Butcher ont joué et enregistré un superbe face à face : At Oto / Fataka 2 et deux albums en trio avec Thomas Lehn. C'est cette expérience avec Shipp qui a mené Ivo Perelman à enregistrer un nouveau Duologue avec John Butcher pour continuer cette série de duos avec des souffleurs qu'il a entrepris ces dernières années.
Live in Foggia Larry Stabbins Keith Tippett Louis Moholo OGUN OGCD 051
https://ogun3.bandcamp.com/album/larry-stabbins-keith-tippett-louis-moholo-moholo-live-in-foggia
Il fut une époque où je fus contraint de vendre une grosse pile de vinyles pour faire face à mes factures. Que n’ai-je regretté d’avoir vendu TERN , le double LP de Louis Moholo, Keith Tippett et Larry Stabbins (label SAJ FMP). Le retrouver en seconde main me coûterait trop d’argent tant cet album est recherché. Alors, je n'ai pu résister à acquérir ce chef d'oeuvre de musique instantanée en CD ! Le pianiste Keith Tippett et le batteur Louis Moholo, aujourd’hui disparus ont été fréquemment partenaires de leurs groupes respectifs et ceux d’Elton Dean. On retrouve leur saga dans le catalogue du fabuleux label OGUN, qui aujourd’hui publie ce concert du 23 novembre 1985 à Foggia en Italie. Larry Stabbins appartient à cette fratrie de saxophonistes britanniques unique en Europe. Soprano sax : Evan Parker, Lol Coxhill, Trevor Watts et John Butcher, alto sax : Mike Osborne, Elton Dean et Trevor Watts, sax tenor : Evan Parker, Alan Skidmore, Paul Dunmall et John Butcher, sax baryton : John Surman et George Khan, sax basse : Tony Bevan. Et il y en a d’autres… Larry Stabbins , un natif de Bristol comme Keith Tippett, jouait déjà avec Keith à l’âge de 16 ans. Il fit partie des groupes de John Stevens autour du Spontaneous Music Ensemble et enregistra en duo avec le percussionniste Roy Ashbury au milieu des années septante Fire Without Bricks (Bead Records). En ce qui me concerne, ce duo a joué en ma présence un des concerts d’improvisation libre les plus révélateurs il y a presque 50 ans. J’étais assis par terre à deux mètres cinquante des deux musiciens, Ashbury jouant à même le sol. C’était pour moi une extraordinaire expérience auditive d’entendre le moindre détail du souffle de Stabbins explorer la colonne d’air, les doigtés croisés, les harmoniques et morsures bruissantes. Je n’avais pas encore entendu d’aussi près Evan Parker tout en ayant déjà découvert ses albums et assisté à ses concerts « sonorisés » avec de plus larges publics et d’autres musiciens. Donc, Cette manière de faire éclater les sons allait se retrouver plus tard dans les démarches de John Butcher, Michel Doneda, Urs Leimgruber et Stefan Keune. Au sein de ce « power » trio, Larry joue de manière soulful avec un timbre chaleureux et une dimension lyrique qui convient parfaitement à la démarche rythmique libre du binôme Moholo – Tippett. Le même label SAJ avait aussi publié « No Gossip », leur historique album en duo. Larry Stabbins navigue dans les eaux “post-coltraniennes” mâtinées de « folkolre imaginaire» tout en coïncidant artistement avec les pulsations du jeu de Keith Tippett et les rythmes libres de Louis Moholo. Le concert contient deux longues suites cohérentes et aventureuses de 45:34, The Greatest Service et de 27:11, Shield. Stabbins joue ici des sax ténor et soprano et de la flûte et Tippett et Moholo élèvent la voix quelques instants. Cet enregistrement est de grande qualité et la musique est aussi prenante et aussi énergétique que celle du trio Schlippenbach Parker Lovens à la même époque. Tout en produisant des ostinatos hypnotiques, Keith Tippett joue des cordes du piano comme d’une boîte musicale géante en croisant plusieurs actions simultanées soutenu par la frappe sourde de Moholo. On l’entend élancer des vagues de notes rythmiques tournoyantes avec une qualité de toucher étonnante. Ce maëlstrom, où Louis Moholo est carrément en transe, peut se résorber par enchantement sous le couvert d’une comptine (Stabbins au soprano) et des doigtés singuliers et cristallins du pianiste. Ces accalmies soudaines se métamorphosent en envolées éperdues, les trois musiciens en lévitation. Mais le trio est toujours sur ses gardes, chaque mouvement emporté s’interrompt après deux ou trois minutes dans un court interlude ludique apaisé pour repartir dans une autre direction pour enfin éclater dans un paroxysme vers la minute 40 de The Great Service. Cela débouche sur une rythmique frénétique de Moholo et des attaques dans les aigus du clavier. Cette métamorphose constante des motifs mélodiques et pulsatoires, de l’énergie et des cadences foisonnantes ou de moments élégiaques, cette improvisation collective à la fois brute et fort détaillée contient réellement une dimension d’imprévisibilité et indique un sens remarquable de la construction musicale dans l’instant et la durée. Évidemment, une partie de ce qui se joue est basée sur quelques canevas compositionnels, mais l'ensemble relève de la pure improvisation... Dans le jeu de Louis Moholo des éléments de la musique africaine surgissent et cet aspect des choses est assumé par Keith Tippett qui le projette dans une autre réalité. À recommander hautement.
Katapult Pierre Borel umlaut records
https://umlautrecords.bandcamp.com/album/katapult
Si on entend peu parler de ce saxophoniste français en France, c’est qu’après avoir fait ses études musicales et autres à Berlin, Pierre Borel est resté dans cette ville incontournable sur la carte du jazz contemporain et de l’improvisation en Europe. Il fait partie de cette mouvance de musiciens chercheurs qui travaillent sur de nouveaux concepts et des démarches hors des sentiers battus, comme ceux regroupés autour du label collectif umlaut dont il fait partie. Tout récemment, il a participé à un des derniers album de Sven Åke Johansson, stumps https://trostrecords.bandcamp.com/album/stumps en compagnie d’Axel Dörner; Joel Grip, Simon Sieger. En lisant les titres de Katapult, on pourrait croire à un canular : Kurze Pause Zum Rauchen (04:05) ou Sol Si Ré Tchak Boom (15:14) ou Ré Si Sol Boom Tchak (16:56)… Comprend qui peut. Surtout que notre saxophoniste joue ici simultanément de la batterie en temps réel avec son sax alto, lui-même assis sur la drumstool baguettes ou balais à la main ! Ce n’est pas une blague : je l’ai vu de mes yeux vu et entendu par la même occasion. Si je pense que le contenu de ce disque fonctionne bien musicalement, j’ai trouvé que le taux de réussite et mon ahurissement étaient plus nets lors de ce concert mémorable à la Chapelle du Grand Hospice à Bruxelles. Pierre Borel essaie de prouver qu’on peut jouer de manière intéressante, voire urgente sur le fil du rasoir en soufflant peu de notes. Une ou deux à la fois, en construisant des micro-cellules agencées de deux ou trois sons auquelles il ajoute ou soustrait une note ou altère la hauteur de l’une d’entre elles tout en jouant de la batterie en isorythmie qu’il altère par surprise au niveau de la frappe, de la durée ou de la répétition que ce soit sur la cymbale ou les peaux. Ou bien en juxtaposant deux types de frappes qui n’ont rien à avoir l’une avec l’autre tout en ponctuant le flux percussif de notes isolées au sax qu’il module avec un petit détail. C’est un concept curieux et surprenant surtout pour un souffleur qui cultive une grande maîtrise du saxophone. On pense à Roscoe Mitchell dans ces premiers albums solos (the Solo Saxophone Concerts / Sackville et Noonah/ Nessa). De cet album très particulier, Katapult, et de la suite du concert auquel j’ai assisté, il découle que Pierre Borel est vraiment un artiste et saxophoniste très original qui reconsidère l’acte d’improviser au compte gouttes. Il joue et improvise avec une grand précision en altérant la moindre note, le moindre effet sonore en découpant mentalement l’espace auditif au scalpel. Pierre Borel est assurément un improvisateur à suivre à la trace dont la musique se détache de nombreux courants du post-free-jazz, free-free jazz, du minimalisme lower case ou du pointillisme avec un sens de l’épure magistral qui fait de son « style » une école à lui tout seul. Bardaf, garez-vous et suivez sa trace !
Loz Speyer Julie Walkington Tony Bianco Live in the SouthWest digital recorded 2000
https://spherical-records.bandcamp.com/album/live-in-the-southwest
Loz Speyer est un trompettiste improvisateur et jazzman « à risques » qui circule dans la scène britannique à l’abri des radars mais avec une foi intense dans la création collective. Lors d’une tournée dans la région du « SouthWest » en avril 2000 avec le trio Threeway, lui et ses deux acolytes a récolté de superbes enregistrements. À ses côtés, la contrebassiste Julie Walkington – un patronyme idéal pour un / une contrebassiste de jazz qui a un vrai sens du rythme – et le batteur disparu, Anthony (ou Tony) Bianco, lui-même un fidéle de Paul Dunmall. Ce batteur avait la spécialité de multiplier les frappes de manière hallucinante avec d’extraordinaires croisements de roulements quasi inhumains et injouables. Une sorte de Rashied Ali survitaminé à vous donner le tournis. Ici, Tony fait résonner les fûts avec ce timbre chaleureux et articule son jeu dans le sens d’un swing chaloupé et aéré (si l’on compare avec les brûlots dunmalliens). J’adore ces improvisateurs – jazzmen British car souvent leur jeu et leur esprit n’est pas formaté pour convaincre festivals et organisateurs « responsables », en fait on n’entend là avant tout une démarche sincère et la vertu de l’improvisation pour elle – même. On goûte la logique lumineuse de l’improvisation du trompettiste encadrée et propulsée uniquement par la contrebassiste et le batteur sans l’interférence – médiation harmonique d’un clavier ou d’une guitare.Sept morceaux signés Loz Speyer ou Anthony Bianco plus 26-2 par Coltrane et l’inévitable But Not For Me de Gershwin, morceau qui complétait les 33T My Favourite Things de Coltrane et Bag’s Groove de Miles. J’aime profondément la sonorité lyrique et cool de Loz Speyer et ses improvisations sinueuses articulées avec une magnifique sensibilité. Les deux autres jouent avec l’empathie et le feeling idéal. Quand Bianco décide de jouer foisonnant, on en a pour son poids de swing garanti (Arabian Tweed). On n’est pas dans la nostalgie mais plutôt dans le monde secret de l’émotion musicale du jazz sans rétroviseur et salade « communicante ». Magnifique !
https://music.apple.com/fr/album/duologues-4/1857635581
https://open.spotify.com/intl-fr/album/6o4Tk9oBzBkwTUyzsJkMqY
Rencontre plus qu’intéressante entre deux saxophonistes que tout semble opposer au niveau du « style » et de l’esthétique . Le britannique John Butcher utilise de multiples techniques de souffle alternatives confinant aux bruitages dans une dimension contemporaine avec un sens des structures constructiviste. C’est un chercheur pointu de l’improvisation libre radicale étirant le timbre du sax ténor à l’extrême tout en jouant une musique lisible avec un substrat harmonique très complexe et des repères mélodiques irréguliers. S’il a choisi la méthode créative de l’improvisation libre, Ivo Perelman évolue dans un univers issu du jazz libre afro-américain inspiré par Albert Ayler et illuminé par les couleurs sonores de la saudade brésilienne. Cela s’entend dans les inflexions sinueuses des harmoniques aiguës ondoyantes au-delà du registre le plus haut du saxophone ténor. Ses suraigus lyriques et étirements de notes en glissandi artistement expressifs et vocalisés contrastent avec les sons granuleux de Butcher, plus méthodiques et abrupts, ses sifflements contrôlés au millimètre, le Britannique étant un mathématicien de formation, alors que le Brésilien est un peintre et graphiste qui dit voir la musique, les notes et les sons sous formes de couleurs. On se perd dans le dédale de leurs souffles réunis. Le début de Two est une véritable pièce d’anthologie de techniques alternatives au sax soprano. John Butcher semble percuter la colonne d’air complètement amortie (non résonnante) à l’aide des clés et la pression de l’air dans le tube). Là-dessus , on entend poindre des fragments de timbres vocalisés, fantômes sonores sortant du sax ténor de Perelman. Butcher en profite pour faire grincer des suraigus. Avec des techniques différentes l’un de l’autre, les deux souffleurs nous font entendre un dialogue subaquatique de cris de dauphins qui s’appellent et se répondent. Ténor ou soprano, c’est en fait dans un registre aigu similaire que nos deux phénomènes conversent toutes harmoniques dehors. Butcher dévide toute sa palette jusqu’à ce qu’il soit en phase avec la sensibilité écorchée du Brésilien. C’est toujours formidable quand deux artistes aussi différentiables parviennent à créer un dialogue aussi enchanteur en confrontant aussi amicalement leurs deux registres dans des aigus expressifs et toute une jungle de feulements, vibrations tactiles, contorsions du souffle. Tout aussi remarquable que touchant ! Prenons – en de la graine.
Juste un élément en plus : Ivo Perelman entretient un duo permanent avec le pianiste Matthew Shipp, duo pour lequel j'ai rédigé un petit livre analysant leur musique ("Embrace of the Souls") et il se fait que Matthew Shipp et John Butcher ont joué et enregistré un superbe face à face : At Oto / Fataka 2 et deux albums en trio avec Thomas Lehn. C'est cette expérience avec Shipp qui a mené Ivo Perelman à enregistrer un nouveau Duologue avec John Butcher pour continuer cette série de duos avec des souffleurs qu'il a entrepris ces dernières années.
Live in Foggia Larry Stabbins Keith Tippett Louis Moholo OGUN OGCD 051
https://ogun3.bandcamp.com/album/larry-stabbins-keith-tippett-louis-moholo-moholo-live-in-foggia
Il fut une époque où je fus contraint de vendre une grosse pile de vinyles pour faire face à mes factures. Que n’ai-je regretté d’avoir vendu TERN , le double LP de Louis Moholo, Keith Tippett et Larry Stabbins (label SAJ FMP). Le retrouver en seconde main me coûterait trop d’argent tant cet album est recherché. Alors, je n'ai pu résister à acquérir ce chef d'oeuvre de musique instantanée en CD ! Le pianiste Keith Tippett et le batteur Louis Moholo, aujourd’hui disparus ont été fréquemment partenaires de leurs groupes respectifs et ceux d’Elton Dean. On retrouve leur saga dans le catalogue du fabuleux label OGUN, qui aujourd’hui publie ce concert du 23 novembre 1985 à Foggia en Italie. Larry Stabbins appartient à cette fratrie de saxophonistes britanniques unique en Europe. Soprano sax : Evan Parker, Lol Coxhill, Trevor Watts et John Butcher, alto sax : Mike Osborne, Elton Dean et Trevor Watts, sax tenor : Evan Parker, Alan Skidmore, Paul Dunmall et John Butcher, sax baryton : John Surman et George Khan, sax basse : Tony Bevan. Et il y en a d’autres… Larry Stabbins , un natif de Bristol comme Keith Tippett, jouait déjà avec Keith à l’âge de 16 ans. Il fit partie des groupes de John Stevens autour du Spontaneous Music Ensemble et enregistra en duo avec le percussionniste Roy Ashbury au milieu des années septante Fire Without Bricks (Bead Records). En ce qui me concerne, ce duo a joué en ma présence un des concerts d’improvisation libre les plus révélateurs il y a presque 50 ans. J’étais assis par terre à deux mètres cinquante des deux musiciens, Ashbury jouant à même le sol. C’était pour moi une extraordinaire expérience auditive d’entendre le moindre détail du souffle de Stabbins explorer la colonne d’air, les doigtés croisés, les harmoniques et morsures bruissantes. Je n’avais pas encore entendu d’aussi près Evan Parker tout en ayant déjà découvert ses albums et assisté à ses concerts « sonorisés » avec de plus larges publics et d’autres musiciens. Donc, Cette manière de faire éclater les sons allait se retrouver plus tard dans les démarches de John Butcher, Michel Doneda, Urs Leimgruber et Stefan Keune. Au sein de ce « power » trio, Larry joue de manière soulful avec un timbre chaleureux et une dimension lyrique qui convient parfaitement à la démarche rythmique libre du binôme Moholo – Tippett. Le même label SAJ avait aussi publié « No Gossip », leur historique album en duo. Larry Stabbins navigue dans les eaux “post-coltraniennes” mâtinées de « folkolre imaginaire» tout en coïncidant artistement avec les pulsations du jeu de Keith Tippett et les rythmes libres de Louis Moholo. Le concert contient deux longues suites cohérentes et aventureuses de 45:34, The Greatest Service et de 27:11, Shield. Stabbins joue ici des sax ténor et soprano et de la flûte et Tippett et Moholo élèvent la voix quelques instants. Cet enregistrement est de grande qualité et la musique est aussi prenante et aussi énergétique que celle du trio Schlippenbach Parker Lovens à la même époque. Tout en produisant des ostinatos hypnotiques, Keith Tippett joue des cordes du piano comme d’une boîte musicale géante en croisant plusieurs actions simultanées soutenu par la frappe sourde de Moholo. On l’entend élancer des vagues de notes rythmiques tournoyantes avec une qualité de toucher étonnante. Ce maëlstrom, où Louis Moholo est carrément en transe, peut se résorber par enchantement sous le couvert d’une comptine (Stabbins au soprano) et des doigtés singuliers et cristallins du pianiste. Ces accalmies soudaines se métamorphosent en envolées éperdues, les trois musiciens en lévitation. Mais le trio est toujours sur ses gardes, chaque mouvement emporté s’interrompt après deux ou trois minutes dans un court interlude ludique apaisé pour repartir dans une autre direction pour enfin éclater dans un paroxysme vers la minute 40 de The Great Service. Cela débouche sur une rythmique frénétique de Moholo et des attaques dans les aigus du clavier. Cette métamorphose constante des motifs mélodiques et pulsatoires, de l’énergie et des cadences foisonnantes ou de moments élégiaques, cette improvisation collective à la fois brute et fort détaillée contient réellement une dimension d’imprévisibilité et indique un sens remarquable de la construction musicale dans l’instant et la durée. Évidemment, une partie de ce qui se joue est basée sur quelques canevas compositionnels, mais l'ensemble relève de la pure improvisation... Dans le jeu de Louis Moholo des éléments de la musique africaine surgissent et cet aspect des choses est assumé par Keith Tippett qui le projette dans une autre réalité. À recommander hautement.
Katapult Pierre Borel umlaut records
https://umlautrecords.bandcamp.com/album/katapult
Si on entend peu parler de ce saxophoniste français en France, c’est qu’après avoir fait ses études musicales et autres à Berlin, Pierre Borel est resté dans cette ville incontournable sur la carte du jazz contemporain et de l’improvisation en Europe. Il fait partie de cette mouvance de musiciens chercheurs qui travaillent sur de nouveaux concepts et des démarches hors des sentiers battus, comme ceux regroupés autour du label collectif umlaut dont il fait partie. Tout récemment, il a participé à un des derniers album de Sven Åke Johansson, stumps https://trostrecords.bandcamp.com/album/stumps en compagnie d’Axel Dörner; Joel Grip, Simon Sieger. En lisant les titres de Katapult, on pourrait croire à un canular : Kurze Pause Zum Rauchen (04:05) ou Sol Si Ré Tchak Boom (15:14) ou Ré Si Sol Boom Tchak (16:56)… Comprend qui peut. Surtout que notre saxophoniste joue ici simultanément de la batterie en temps réel avec son sax alto, lui-même assis sur la drumstool baguettes ou balais à la main ! Ce n’est pas une blague : je l’ai vu de mes yeux vu et entendu par la même occasion. Si je pense que le contenu de ce disque fonctionne bien musicalement, j’ai trouvé que le taux de réussite et mon ahurissement étaient plus nets lors de ce concert mémorable à la Chapelle du Grand Hospice à Bruxelles. Pierre Borel essaie de prouver qu’on peut jouer de manière intéressante, voire urgente sur le fil du rasoir en soufflant peu de notes. Une ou deux à la fois, en construisant des micro-cellules agencées de deux ou trois sons auquelles il ajoute ou soustrait une note ou altère la hauteur de l’une d’entre elles tout en jouant de la batterie en isorythmie qu’il altère par surprise au niveau de la frappe, de la durée ou de la répétition que ce soit sur la cymbale ou les peaux. Ou bien en juxtaposant deux types de frappes qui n’ont rien à avoir l’une avec l’autre tout en ponctuant le flux percussif de notes isolées au sax qu’il module avec un petit détail. C’est un concept curieux et surprenant surtout pour un souffleur qui cultive une grande maîtrise du saxophone. On pense à Roscoe Mitchell dans ces premiers albums solos (the Solo Saxophone Concerts / Sackville et Noonah/ Nessa). De cet album très particulier, Katapult, et de la suite du concert auquel j’ai assisté, il découle que Pierre Borel est vraiment un artiste et saxophoniste très original qui reconsidère l’acte d’improviser au compte gouttes. Il joue et improvise avec une grand précision en altérant la moindre note, le moindre effet sonore en découpant mentalement l’espace auditif au scalpel. Pierre Borel est assurément un improvisateur à suivre à la trace dont la musique se détache de nombreux courants du post-free-jazz, free-free jazz, du minimalisme lower case ou du pointillisme avec un sens de l’épure magistral qui fait de son « style » une école à lui tout seul. Bardaf, garez-vous et suivez sa trace !
Loz Speyer Julie Walkington Tony Bianco Live in the SouthWest digital recorded 2000
https://spherical-records.bandcamp.com/album/live-in-the-southwest
Loz Speyer est un trompettiste improvisateur et jazzman « à risques » qui circule dans la scène britannique à l’abri des radars mais avec une foi intense dans la création collective. Lors d’une tournée dans la région du « SouthWest » en avril 2000 avec le trio Threeway, lui et ses deux acolytes a récolté de superbes enregistrements. À ses côtés, la contrebassiste Julie Walkington – un patronyme idéal pour un / une contrebassiste de jazz qui a un vrai sens du rythme – et le batteur disparu, Anthony (ou Tony) Bianco, lui-même un fidéle de Paul Dunmall. Ce batteur avait la spécialité de multiplier les frappes de manière hallucinante avec d’extraordinaires croisements de roulements quasi inhumains et injouables. Une sorte de Rashied Ali survitaminé à vous donner le tournis. Ici, Tony fait résonner les fûts avec ce timbre chaleureux et articule son jeu dans le sens d’un swing chaloupé et aéré (si l’on compare avec les brûlots dunmalliens). J’adore ces improvisateurs – jazzmen British car souvent leur jeu et leur esprit n’est pas formaté pour convaincre festivals et organisateurs « responsables », en fait on n’entend là avant tout une démarche sincère et la vertu de l’improvisation pour elle – même. On goûte la logique lumineuse de l’improvisation du trompettiste encadrée et propulsée uniquement par la contrebassiste et le batteur sans l’interférence – médiation harmonique d’un clavier ou d’une guitare.Sept morceaux signés Loz Speyer ou Anthony Bianco plus 26-2 par Coltrane et l’inévitable But Not For Me de Gershwin, morceau qui complétait les 33T My Favourite Things de Coltrane et Bag’s Groove de Miles. J’aime profondément la sonorité lyrique et cool de Loz Speyer et ses improvisations sinueuses articulées avec une magnifique sensibilité. Les deux autres jouent avec l’empathie et le feeling idéal. Quand Bianco décide de jouer foisonnant, on en a pour son poids de swing garanti (Arabian Tweed). On n’est pas dans la nostalgie mais plutôt dans le monde secret de l’émotion musicale du jazz sans rétroviseur et salade « communicante ». Magnifique !
4 décembre 2025
Paul Rogers & Paul Dunmall / Quentin Stokart & Tom Malmendier / Daniel Thompson Violet / John Butcher & John Edwards
Paul Dunmall & Paul Rogers Phoenix live 97 album digital
https://paulrogers3.bandcamp.com/album/phoenix-live-97
Je rate rarement un occasion de commenter ces deux Paul là, Dunmall et Rogers…. Respectivement saxophoniste et contrebassiste inspirés au croisement du jazz free, de l’improvisation libre et .. du « folk ». Folks c’est l’intitulé d’une facette de leur duo dédié à la musique folk d’inspiration britannique (écossaise, anglaise etc…). Tous deux avaient publié en 1995 un CD « Folks » avec 21 morceaux courts et « chantants » ancrés par la solide assise rythmique du contrebassiste (à quatre ou cinq cordes) et emmenés par le souffle du saxophoniste avec ses nombreux instruments (sax ténor, soprano, baryton et C Melody, clarinettes en Mi bémol et Si bémol et un Tin Whistle). Opus enregistré en 1989 et 1993 dont l’achat m’a échappé. Le compte bandcamp de Paul Rogers contient aussi quatre albums digitaux du duo : Folks History 1, Folks History 2, 3 et 4, soit la réédition du coffret 4CD Folks History paru chez Duns Limited Edition à 80 exemplaires que j’ai eu l’occasion d’acquérir. Je ne pense pas avoir dû écrire à son sujet. Donc je vais me rattraper surtout qu’il s’agit d’improvisateurs de haute volée qui collaborent en tandem depuis plus de quarante ans. Cet album live nouvellement paru a été enregistré lors d’un concert au Phoenix à Leicester en 1997 et contient trois compositions avec chaque fois une section improvisée dans des durées de 13 :09 minutes (Hairy Fox) et 5 :52 minutes (Saffron et Folk Talks) suivies de deux improvisations de 6 :37 et 12 :46 (Imp 1 et Imp 2). Rogers joue de la contrebasse à cinq cordes et Dunmall de la clarinette en Mi bémol, des bagpipes et du sax soprano. La « venue » Phoenix me fait penser au légendaire club Phoenix à Cavendish Square où Mike Osborne, Louis Moholo, Harry Miller, Elton Dean, Keith Tippett, John Stevens, Evan Parker et beaucoup d’autres se sont produit dans les années 70 en plein boom du free-jazz britannique. À l’écoute, leur musique a quelques accointances avec deux ou trois morceaux lyriques du légendaire album ECM « Conference of the Birds » de David Holland , le contrebassiste à qui Paul Rogers peut être comparé question musicianship et projection du jeu en pizzicato. D’ailleurs, il profite de l’aspect ouvert de leur manière jouer du « Folk » pour nous livrer de magnifiques et puissantes improvisations les doigts tirant et poussant les cordes fermement maintenues sur la touche de l’instrument (Saffron). C’est à l’archet qu’il lance la mélodie en canon avec le souffle super calibré au sax soprano de Dunmall dans ce mémorable Hairy Fox de 13 minutes. On peut y découvrir comment improviser sur un matériau thématique par l’enrichissement d’intervalles de notes suggérés par la mélodie dans un merveilleux éventail polytonal et mélodique. Dans Folk Talks, Dunmall embouche le tuyaux de son bagpipes dans une belle performance en souffle continu par-dessus les graves arrachés à la contrebasse par le maniement ensauvagé de son archet charriant des harmoniques telles des échardes splittant de la surface monumentale de sa contrebasse. Imp 1 : Dunmall fait lover le timbre et les notes de sa clarinette en douceur ou avec des aigus perçants avec une belle subtilité alors que la poigne de Rogers assène des pizzicatos d’une puissance réellement mingusienne comme vous ne l’entendrez jamais peut être. Mais il s’agit d’une improvisation libre voyageuse qui se meut spontanément dans différents décors. Si le jeu de Dunmall est ici en de çà de sa puissance énergétique habituelle pour marquer la différence entre souffle folk et souffle jazz libre, l’écoute de Paul Rogers est ici sidérante : la puissance, la force énorme de son jeu, le grain du son de la contrebasse sous les frottements de l’archet, son aisance à faire vibrer des harmoniques dans un spectre sonore unique. Mais très vite , dans Imp2, Paul Dunmall exprime l’essence de son style mélodique au sax soprano (virtuose) qui peut se faire pressant et survolté ou simplement suave et Paul Rogers captive avec son drive rythmique insatiable dave-hollandien en diable. Il s’agit donc d’une belle gâterie mélodique folkeuse de deux géants qui incarnent le free – jazz au sommet ces dernières quatre décennies avec beaucoup de sensibilité, musiciens dont on arrive jamais à en avoir fait le tour.
Cela dit, je recommande tous les Folks History et les solos de contrebasse de Paul Rogers dont Abbaye de l’Épau, proposés sur son compte bandcamp.
Mehin Quentin Stokart & Tom Malmendier eux saem
https://euxsaem.bandcamp.com/album/mehin
Voici un super brûlot noise concocté par deux des improvisateurs plus actifs de la scène improvisée belge : le guitariste Quentin Stokart et le percussionniste Tom Malmendier. Leur duo a été enregistré au printemps 2025 au Studio Grez, un haut lieu de l’improvisation radicale à Bruxelles. Mehin est une longue improvisation de plus de 35 minutes qui nous fait voyager dans différentes séquences spontanément improvisées qui ont chacune une dynamique et une énergie particulière et qui la distingue de la précédente ou de la suivante. Hyperactifs, les deux improvisateurs font éclater la notion de musique dans une avalanche de bruitages jaillissant en faisceaux d’étincelles, de crissements, de craquements explosifs, de frappes échevelées… cela peut tourbillonner dans un maelström électrocuté, grésillant à tout va et insaisissable à cause de son extrême mobilité ou grincer, scier, cracher, tressauter follement frictionnant le métal des cordes et des micros de la guitare mutante. Le percussionniste n’est pas en reste ajoutant au fur et à mesure de nouvelles manières d’extraire des sons, des agrégats sonores. Il semblerait qu’à un moment l’appareillage des effets de guitare ait capté des voix d’une émission radio (?). Soit leurs jeux s’interpénètrent tellement que leurs sonorités industrielles font corps les unes aux autres ou comme on le perçoit dès la quinzième minute (approximativement ) un échange clairement distinct opère entre la guitare qui percole et la percussion volatile, le batteur frappant à toute vitesse au niveau des aigus métalliques. Jouer noise c’est une chose, mais comme ils le font très bien, imprimer des formes, des idées, projeter des couleurs et des sons aussi divers dans une mutation métamorphique constante qui donne du sens, qui nous entraîne dans leur flux ininterrompu en tenant nos sens éveillés au moindre détail, est une performance impressionnante. On est touché alors par la valeur expressive des détails de leur course folle et des timbres inouïs qui giclent dans l’instant, faisant du bruitisme « brut de décoffrage » (pour reprendre cette expression bateau médiatisée à souhait) un art au-delà du réel, cauchemar ou rêve, fiction ou action, découverte éveillée ou course poursuite compulsive. Dans ce genre dit « noise » , un document vraiment intéressant qui devrait vous pousser à les et vous surprendre sur scène. Le label eux saem fourmille d'explosions élctrocutées de ce type, cela dit pour les amateurs. Bravo Quentin et Tom !
Violet Daniel Thompson Empty Birdcage EBR 014
https://emptybirdcagerecords.bandcamp.com/album/violet
Guitariste exclusivement acoustique apparu dans la scène londonienne au début les années 2010 avec ses compagnons Tom Jackson, clarinette et Benedict Taylor (violon) alto avec qui Daniel Thompson a depuis beaucoup joué et enregistré. Il a suivi des cours de guitare chez le défunt John Russell avec le même type de six cordes archtop (chevalet) et lui a dédié un court solo de 12 :20 intitulé John en hommage à cet ami irremplaçable disparu en décembre 2021. Comme John, Daniel a organisé des concerts mensuels durant plusieurs années. Au fil du temps et de nombreux concerts, il a superbement évolué avec les trois potes susmentionnés, mais aussi le flûtiste Neil Metcalfe, le batteur Steve Noble, la chanteuse Kay Grant, les saxophonistes Colin Webster et Adrian Northover, le percussionniste Marcello Magliocchi et le contrebassiste John Edwards (Runcible Quintet que je chroniquerai incessamment sous peu). Et donc après ce cheminement obstiné et la bonification graduelle de son jeu, il était temps pour Daniel d’enregistrer un album solo.
Si vous écoutez l’énergique improvisation three de 4:31, vous allez reconnaître indubitablement l’approche en clusters tournoyants de Derek Bailey et ce côté abrupt qu'il partage avec John Russell. De même, improvisation four de 13:26 avec ces larges va-et-vient d'intervalles singuliers et de cascades fracturées de notes. Mais c’est vraiment malaisé de faire des comparaisons avec DB et JR. Si le bagage instrumental et l’expérience d’improvisateur de Daniel Thompson est déjà considérable et qu’il est indubitable que Derek Bailey est un génie de la guitare, ce dernier a en plus un solide avantage : son instrument acoustique a une projection sonore dans l’espace miraculeuse. Ces musiciens jouent sur des guitares anciennes munies d'un chevalet avec un cordier métallique attaché à la base de l'instrument : elles datent d’il y a des dizaines d’années, voire un siècle. Celle que John affectionnait, achetée à un musicien de jazz de l’époque swing, s’était amortie avec l’âge au fil des décennies. Derek Bailey dont j’avais organisé un concert solo en Février 1987 à Bruxelles, m’a confié par la suite qu’il a cherché longtemps une archtop dont les harmoniques puissent résonner dans un théâtre jusque dans la salle par-dessus la tête des spectateurs sans la moindre amplification, y compris ses fameuses harmoniques. Il m’a dit avoir eu énormément de chance avec cette guitare archtop. Était-ce son Epiphone Blackstone ou la suivante ? Les harmoniques sont les sons qu’on obtient en touchant une corde d’un doigt de la main gauche sans l’enfoncer sur la touche tout en tirant la corde à hauteur des ouïes avec un plectre à la main droite en levant le doigt gauche simultanément et un son aigu qui semble irréel s'échappe.. On obtient ainsi des intervalles logiques par rapport aux notes « à vide » ou touchées en fonction des positions qui obéissent à des ratios que je n’ai pas le temps ni l’espace d’expliquer ici. Disons que le toucher au milieu de la corde « à la douzième frette » (sic Derek Bailey) produit une hauteur identique que celle obtenue en enfonçant la corde sur la frette. Plus on touche la corde vers le haut du manche ou le bas du manche en s'éloignant de cette fatidique douzième frette située à un octave de la corde à vide, plus les hauteurs sont aiguës. Derek était un des rares guitaristes capables de jongler avec ce matériau avec une extrême justesse, une grande projection sonore et un sens de la forme en les combinant avec des notes "normales" ou tirées sous le chevalet. Il avait basé son système en intégrant cet effet (plus bien d'autres) à la perfection. Cette technique avec les harmoniques est remarquablement utilisée par Daniel Thompson qui parvient à les jouer avec une belle justesse. Certains lecteurs amateurs de free pur et dur doivent peut-être interloqués qu’on mentionne la justesse de la guitare pour des musiciens comme Bailey et Thompson. Mais Derek Bailey accordait sa guitare comme un maniaque et ses harmoniques étaient d’une justesse sidérante même jouées à toute vitesse. Il n’y a pas de frettages des cordes dans cette technique et le doigt touche alors la corde à un endroit très précis, Bailey regardant bien souvent son manche. Derek a ajouté que s’il appréciait fortement son ami John Russell, il aurait aimé que John ait trouvé une guitare archtop plus « puissante » pour son ancien élève. John a appris les rudiments de la guitare conventionnelle, comme les passsages d'accords de jazz, auprès de Derek. Il faut noter aussi que le jeu "free" de Derek Bailey est basé sur les positions de doigtés d'accords de septième, huitième, ... augmentés ou diminués, etc... dont il modifie les doigtés avec une précision savante pour s'approcher de l'univers d'un Anton Webern,... appelez ça dodécaphonique, sériel, atonal ... et qu'il enrichit par toutes sortes de trouvailles astucieuses, excentriques, exotiques ou humoristiques...
Revenons à nos moutons. Le jeu de Daniel est exemplaire et est devenu un achèvement esthétique en soi. Son talent certain réside dans le fait qu'il diversifie une approche similaire avec sa propre sensibilité et de l'imagination face au défi technique posé par son instrument et ses six cordes frettées, un plectre et cinq doigts. Il doit faire coïncider plusieurs paramètres du jeu de la guitare avec une belle simultanéité en coordonnant clusters, notes isolées, harmoniques, notes assourdies, accords dissonants, larges intervalles, inspiration dodécaphonique, rallentando ou accélérations de la cadence de jeu en maintenant l’imbrications des motifs mélodico-rythmiques en imprimant des cadences et pulsations mouvantes en réinventant son discours au fil de ses improvisations. Les cascades de notes doivent se mouvoir avec un sens musical, une relative lisibilité S’il y a des similitudes avec le style personnel de John Russell en solo, celui de Daniel est moins pointilliste, parfois plus lyrique, ou plus cascadant et pas aussi bruitiste que pouvait l’être celui de John, plus cru et plus incisif. John était fortement inspiré par le jeu millimétré de John Stevens avec sa mini-batterie au sein du Spontaneous Music Ensemble qu’il a écouté live au Little Theatre Club et des conceptions de son ami Günter Christmann. Écoutons les albums du trio Butcher - Durrant - Russell comme Conceits ou Concert Moves et nous nous rendrons compte de la dynamique de son jeu, économe et aéré, situé au centre arrière et qui propulse le sax de John Butcher et le violon de Phil Durrant créant une troisième dimension. Cet apprentissage intense s’est infiltré dans son DNA au point de transformer complètement son approche de la guitare acoustique vers le milieu des années 70 avant qu’il ne réalise que Derek Bailey s’était mis à jouer de la guitare Archtop (Public & Domestic Pieces 1975, enregistrées dans sa cuisine). Le développement de Daniel Thompson a commencé après le décès de Derek Bailey et une de ses premières sources d’information a été la pratique de John Russell tout en étant un fan de jazz depuis son enfance dans son milieu familial. Aujourd’hui, il utilise des plectres en résine tels que les façonnait Derek Bailey. Si dans les milieux francophones ou continentaux, les afficionados tentent à parler de « copiage », les musiciens British conçoivent cela comme un héritage à faire vivre, à remodeler, à transformer en se servant des acquits de leurs aînés pour exprimer leur personnalité propre et en donner une perspective différente et une nouvelle sensibilité. Et c’est bien à ce niveau – là qu’on peut apprécier Daniel Thompson : la sensibilité et l'expression de sa personnalité discrète joyeuse et affable. J’ai croisé Derek Bailey à plusieurs reprises et bavardé avec lui et on reconnaît sa forte personnalité, son caractère qui transparaît dans sa musique, ce côté goguenard du one man show du cabaret anglais. De même, John Russell à qui j’ai rendu visite et passé des journées en sa compagnie, son jeu reflétait sa foi inébranlable dans la force collective des improvisateurs, du fait de se mettre au service du groupe, de l’écoute mutuelle en s’effaçant presque tout en imprimant sa marque de manière indélébile. Avec Daniel Thompson, toute son attitude envers autrui, l’idéal de la jeunesse, la simplicité et son affabilité se lit dans cette Violette autant que son exigence authentique et sa volonté déterminée face aux challenges qu’il impose à son jeu de guitare ainsi de sa grande sincérité allant jusqu’à déborder des limites physiques manuelles pour essayer de les outrepasser à la vue de tous. Comme l'a un jour expliqué Evan Parker, son esthétique n'a rien à voir avec un monument ou une oeuvre d'art exposée qu'on admire, mais plutôt un shelter, un abri, un atelier... Ou comme le disait si bien John Russell, ce n'est pas un bel objet genre horloge décorative ou bibelot en porcelaine qui trône sur la cheminée, mais un acte qui bouge, une idée qui point 'in a blink of an eye", une vision. C’est l’expérience acquise dans l’instant infini qui crée le cheminement vers le futur de l'artiste dans l'accomplissement réussi de son travail incessant. Et dans cette optique, il faut saluer la ténacité, l'inspiration et le savoir-faire de Daniel Thompson. Il y a tellement investi son énergie, de temps de travail et d'espoir que cette musique lui appartient tout autant, car cette musique se partage entre celui qui joue et celui qui écoute, celui-là étant aussi celui-ci.
Pour conclure, on dira que John Russell avait complètement raison d’avoir accueilli et fait confiance à ce gamin avec sa guitare qui avait alors beaucoup de choses à apprendre. Cette ouverture généreuse est une particularité de la scène londonienne initiée il y a fort longtemps par John Stevens qui avait offert à John son premier gig quand celui-ci avait à peine 18 ans. Aujourd’hui, Daniel Thompson est devenu un incontournable comme le témoigne les enregistrements parus sur son label Empty Birdcage.
John Butcher & John Edwards This Is Not Speculation Fundacja Sluchaj FSR CD
https://sluchaj.bandcamp.com/album/this-is-not-speculation
Il y a presque 25 ans, ces deux-là ont réussi le premier concert que j'ai organisé au bar L'Archiduc, un lieu emblématique et légendaire de Bruxelles et club de jazz-mais-pas-que et leur performance a contribué à enthousiasmer le public et le patron du lieu et à continuer d'y présenter des concerts de musique improvisée. On peut en découvrir un set dans l'album Optic (Emanem 4089). Parmi les chercheurs aventureux de vibrations d'anche et de colonne d'air en y incorporant des techniques de souffle et de doigtés alternatives, John Butcher occupe une place à part : tout en pouvant se révéler extrême et jusqu'au boutiste dans le bruitisme, il structure ses trouvailles par des formes "organisées" et un contenu mélodique délinéant des harmonies complexes avec un lyrisme réservé qui le rende familier ou des cordons sonores évolutifs et millimétrés d'une précision extrême, infiniment épurés, que certains compositeurs contemporains rêveraient d'écrire. Aussi, si on entend des bribes d'éléments de jazz (c'est du sax ténor quand même !), son approche est éloignée du jazz ou même du free-jazz historique pra l'aspect soigneusement méthodique de ses improvisations.Son acolyte est le contrebassiste John Edwards, un des improvisateurs les plus demandés et aussi un des plus audacieux dans le maniement de l'archet pour obtenir une qualité et une quantité infinie de sons, d'impulsions, d'actions imaginatives, au cœur même de la nature profonde de son gros violon. Si John B., un véritable scientifique de profession au départ, est pétri de logique et d'un bon sens pragmatique, John E. se révèle comme un poète et farfadet de la touche de la contrebasse avec tous ses écarts, ses frappes sur les cordes et l'extrême variété des jeux des deux mains, de la puissance de son jeu et de la projection sonore parfois sidérante de ses pizzicatos, qu'ils soient sauvages ou savamment organisés. Ce sentiment de spontanéité juvénile face au sérieux du saxophoniste un des rares souffleurs capables de jouer dans quasiment le même style au sax ténor et au sax soprano crée à la fois le contraste et l'empathie entre les deux duettistes, un spectacle à lui tout seul. Autant Butcher concentre sa carrière et ses concerts sur sa musique "contemporaine sérieuse" avec bon nombre d'improvisateurs aux idées similaires, autant Edwards partage la scène avec les Evan Parker, Paul Dunmall, Joe McPhee, Peter Brötzmann, Charles Gayle, Roscoe Mitchell, Alan Wilkinson dans un domaine "free-jazz" afro-américain qui déchire que dans l'improvisation radicale auquel il se dédie ardemment.
Dans ce remarquable enregistrement de concert du 8 octobre 2023 à Munich, on touche autant au familier, à l'unique et à une phase dans l'évolution de la relation musicale des deux John. On admire les incartades qui bousculent la contrebasse et la violente patiemment avec une telle variété de touchers, de frappes, de frottements, d'exorcismes.. alternance maniaque des doigts et mains sur la touche, frottement boisés qui s'irisent dans un grain tactile sensible - on a rarement entendu cela à ce point - et les succions, suraigus contrôlés, sifflements d'harmoniques pointues étirées, feulements, grognements, multiphoniques, frictions nerveuses ou notes éthérées du souffleur , vous aurez toute la panoplie, le kaléidoscope sonore et coloré démantelé, étiré, hachuré, recomposé dans la surprise de l'instant ou le cheminement méthodique de la construction formelle inéluctable. Voilà un concentré merveilleux des possibilités de l'improvisation libre à la rencontre d'un véritable grand art de la composition "instantanée". Une merveille ! Il faut saluer le travail éditorial et la sagacité de Maciej Karlowski de Fundacja Sluchaj. Son catalogue alterne la crème du free jazz créatif et l'improvisation libre pointue de qualité sans jouer la redondance éditoriale en programmant des artistes et des "formules" qu'on retrouve partout ailleurs sur d'autres labels. Il faut avouer qu'il y là de nombreux albums (que j'ai chroniqués) qui sont exemplaires par leur singularité et la créativité que leur écoute dégage comme ce This is not Speculation
https://paulrogers3.bandcamp.com/album/phoenix-live-97
Je rate rarement un occasion de commenter ces deux Paul là, Dunmall et Rogers…. Respectivement saxophoniste et contrebassiste inspirés au croisement du jazz free, de l’improvisation libre et .. du « folk ». Folks c’est l’intitulé d’une facette de leur duo dédié à la musique folk d’inspiration britannique (écossaise, anglaise etc…). Tous deux avaient publié en 1995 un CD « Folks » avec 21 morceaux courts et « chantants » ancrés par la solide assise rythmique du contrebassiste (à quatre ou cinq cordes) et emmenés par le souffle du saxophoniste avec ses nombreux instruments (sax ténor, soprano, baryton et C Melody, clarinettes en Mi bémol et Si bémol et un Tin Whistle). Opus enregistré en 1989 et 1993 dont l’achat m’a échappé. Le compte bandcamp de Paul Rogers contient aussi quatre albums digitaux du duo : Folks History 1, Folks History 2, 3 et 4, soit la réédition du coffret 4CD Folks History paru chez Duns Limited Edition à 80 exemplaires que j’ai eu l’occasion d’acquérir. Je ne pense pas avoir dû écrire à son sujet. Donc je vais me rattraper surtout qu’il s’agit d’improvisateurs de haute volée qui collaborent en tandem depuis plus de quarante ans. Cet album live nouvellement paru a été enregistré lors d’un concert au Phoenix à Leicester en 1997 et contient trois compositions avec chaque fois une section improvisée dans des durées de 13 :09 minutes (Hairy Fox) et 5 :52 minutes (Saffron et Folk Talks) suivies de deux improvisations de 6 :37 et 12 :46 (Imp 1 et Imp 2). Rogers joue de la contrebasse à cinq cordes et Dunmall de la clarinette en Mi bémol, des bagpipes et du sax soprano. La « venue » Phoenix me fait penser au légendaire club Phoenix à Cavendish Square où Mike Osborne, Louis Moholo, Harry Miller, Elton Dean, Keith Tippett, John Stevens, Evan Parker et beaucoup d’autres se sont produit dans les années 70 en plein boom du free-jazz britannique. À l’écoute, leur musique a quelques accointances avec deux ou trois morceaux lyriques du légendaire album ECM « Conference of the Birds » de David Holland , le contrebassiste à qui Paul Rogers peut être comparé question musicianship et projection du jeu en pizzicato. D’ailleurs, il profite de l’aspect ouvert de leur manière jouer du « Folk » pour nous livrer de magnifiques et puissantes improvisations les doigts tirant et poussant les cordes fermement maintenues sur la touche de l’instrument (Saffron). C’est à l’archet qu’il lance la mélodie en canon avec le souffle super calibré au sax soprano de Dunmall dans ce mémorable Hairy Fox de 13 minutes. On peut y découvrir comment improviser sur un matériau thématique par l’enrichissement d’intervalles de notes suggérés par la mélodie dans un merveilleux éventail polytonal et mélodique. Dans Folk Talks, Dunmall embouche le tuyaux de son bagpipes dans une belle performance en souffle continu par-dessus les graves arrachés à la contrebasse par le maniement ensauvagé de son archet charriant des harmoniques telles des échardes splittant de la surface monumentale de sa contrebasse. Imp 1 : Dunmall fait lover le timbre et les notes de sa clarinette en douceur ou avec des aigus perçants avec une belle subtilité alors que la poigne de Rogers assène des pizzicatos d’une puissance réellement mingusienne comme vous ne l’entendrez jamais peut être. Mais il s’agit d’une improvisation libre voyageuse qui se meut spontanément dans différents décors. Si le jeu de Dunmall est ici en de çà de sa puissance énergétique habituelle pour marquer la différence entre souffle folk et souffle jazz libre, l’écoute de Paul Rogers est ici sidérante : la puissance, la force énorme de son jeu, le grain du son de la contrebasse sous les frottements de l’archet, son aisance à faire vibrer des harmoniques dans un spectre sonore unique. Mais très vite , dans Imp2, Paul Dunmall exprime l’essence de son style mélodique au sax soprano (virtuose) qui peut se faire pressant et survolté ou simplement suave et Paul Rogers captive avec son drive rythmique insatiable dave-hollandien en diable. Il s’agit donc d’une belle gâterie mélodique folkeuse de deux géants qui incarnent le free – jazz au sommet ces dernières quatre décennies avec beaucoup de sensibilité, musiciens dont on arrive jamais à en avoir fait le tour.
Cela dit, je recommande tous les Folks History et les solos de contrebasse de Paul Rogers dont Abbaye de l’Épau, proposés sur son compte bandcamp.
Mehin Quentin Stokart & Tom Malmendier eux saem
https://euxsaem.bandcamp.com/album/mehin
Voici un super brûlot noise concocté par deux des improvisateurs plus actifs de la scène improvisée belge : le guitariste Quentin Stokart et le percussionniste Tom Malmendier. Leur duo a été enregistré au printemps 2025 au Studio Grez, un haut lieu de l’improvisation radicale à Bruxelles. Mehin est une longue improvisation de plus de 35 minutes qui nous fait voyager dans différentes séquences spontanément improvisées qui ont chacune une dynamique et une énergie particulière et qui la distingue de la précédente ou de la suivante. Hyperactifs, les deux improvisateurs font éclater la notion de musique dans une avalanche de bruitages jaillissant en faisceaux d’étincelles, de crissements, de craquements explosifs, de frappes échevelées… cela peut tourbillonner dans un maelström électrocuté, grésillant à tout va et insaisissable à cause de son extrême mobilité ou grincer, scier, cracher, tressauter follement frictionnant le métal des cordes et des micros de la guitare mutante. Le percussionniste n’est pas en reste ajoutant au fur et à mesure de nouvelles manières d’extraire des sons, des agrégats sonores. Il semblerait qu’à un moment l’appareillage des effets de guitare ait capté des voix d’une émission radio (?). Soit leurs jeux s’interpénètrent tellement que leurs sonorités industrielles font corps les unes aux autres ou comme on le perçoit dès la quinzième minute (approximativement ) un échange clairement distinct opère entre la guitare qui percole et la percussion volatile, le batteur frappant à toute vitesse au niveau des aigus métalliques. Jouer noise c’est une chose, mais comme ils le font très bien, imprimer des formes, des idées, projeter des couleurs et des sons aussi divers dans une mutation métamorphique constante qui donne du sens, qui nous entraîne dans leur flux ininterrompu en tenant nos sens éveillés au moindre détail, est une performance impressionnante. On est touché alors par la valeur expressive des détails de leur course folle et des timbres inouïs qui giclent dans l’instant, faisant du bruitisme « brut de décoffrage » (pour reprendre cette expression bateau médiatisée à souhait) un art au-delà du réel, cauchemar ou rêve, fiction ou action, découverte éveillée ou course poursuite compulsive. Dans ce genre dit « noise » , un document vraiment intéressant qui devrait vous pousser à les et vous surprendre sur scène. Le label eux saem fourmille d'explosions élctrocutées de ce type, cela dit pour les amateurs. Bravo Quentin et Tom !
Violet Daniel Thompson Empty Birdcage EBR 014
https://emptybirdcagerecords.bandcamp.com/album/violet
Guitariste exclusivement acoustique apparu dans la scène londonienne au début les années 2010 avec ses compagnons Tom Jackson, clarinette et Benedict Taylor (violon) alto avec qui Daniel Thompson a depuis beaucoup joué et enregistré. Il a suivi des cours de guitare chez le défunt John Russell avec le même type de six cordes archtop (chevalet) et lui a dédié un court solo de 12 :20 intitulé John en hommage à cet ami irremplaçable disparu en décembre 2021. Comme John, Daniel a organisé des concerts mensuels durant plusieurs années. Au fil du temps et de nombreux concerts, il a superbement évolué avec les trois potes susmentionnés, mais aussi le flûtiste Neil Metcalfe, le batteur Steve Noble, la chanteuse Kay Grant, les saxophonistes Colin Webster et Adrian Northover, le percussionniste Marcello Magliocchi et le contrebassiste John Edwards (Runcible Quintet que je chroniquerai incessamment sous peu). Et donc après ce cheminement obstiné et la bonification graduelle de son jeu, il était temps pour Daniel d’enregistrer un album solo.
Si vous écoutez l’énergique improvisation three de 4:31, vous allez reconnaître indubitablement l’approche en clusters tournoyants de Derek Bailey et ce côté abrupt qu'il partage avec John Russell. De même, improvisation four de 13:26 avec ces larges va-et-vient d'intervalles singuliers et de cascades fracturées de notes. Mais c’est vraiment malaisé de faire des comparaisons avec DB et JR. Si le bagage instrumental et l’expérience d’improvisateur de Daniel Thompson est déjà considérable et qu’il est indubitable que Derek Bailey est un génie de la guitare, ce dernier a en plus un solide avantage : son instrument acoustique a une projection sonore dans l’espace miraculeuse. Ces musiciens jouent sur des guitares anciennes munies d'un chevalet avec un cordier métallique attaché à la base de l'instrument : elles datent d’il y a des dizaines d’années, voire un siècle. Celle que John affectionnait, achetée à un musicien de jazz de l’époque swing, s’était amortie avec l’âge au fil des décennies. Derek Bailey dont j’avais organisé un concert solo en Février 1987 à Bruxelles, m’a confié par la suite qu’il a cherché longtemps une archtop dont les harmoniques puissent résonner dans un théâtre jusque dans la salle par-dessus la tête des spectateurs sans la moindre amplification, y compris ses fameuses harmoniques. Il m’a dit avoir eu énormément de chance avec cette guitare archtop. Était-ce son Epiphone Blackstone ou la suivante ? Les harmoniques sont les sons qu’on obtient en touchant une corde d’un doigt de la main gauche sans l’enfoncer sur la touche tout en tirant la corde à hauteur des ouïes avec un plectre à la main droite en levant le doigt gauche simultanément et un son aigu qui semble irréel s'échappe.. On obtient ainsi des intervalles logiques par rapport aux notes « à vide » ou touchées en fonction des positions qui obéissent à des ratios que je n’ai pas le temps ni l’espace d’expliquer ici. Disons que le toucher au milieu de la corde « à la douzième frette » (sic Derek Bailey) produit une hauteur identique que celle obtenue en enfonçant la corde sur la frette. Plus on touche la corde vers le haut du manche ou le bas du manche en s'éloignant de cette fatidique douzième frette située à un octave de la corde à vide, plus les hauteurs sont aiguës. Derek était un des rares guitaristes capables de jongler avec ce matériau avec une extrême justesse, une grande projection sonore et un sens de la forme en les combinant avec des notes "normales" ou tirées sous le chevalet. Il avait basé son système en intégrant cet effet (plus bien d'autres) à la perfection. Cette technique avec les harmoniques est remarquablement utilisée par Daniel Thompson qui parvient à les jouer avec une belle justesse. Certains lecteurs amateurs de free pur et dur doivent peut-être interloqués qu’on mentionne la justesse de la guitare pour des musiciens comme Bailey et Thompson. Mais Derek Bailey accordait sa guitare comme un maniaque et ses harmoniques étaient d’une justesse sidérante même jouées à toute vitesse. Il n’y a pas de frettages des cordes dans cette technique et le doigt touche alors la corde à un endroit très précis, Bailey regardant bien souvent son manche. Derek a ajouté que s’il appréciait fortement son ami John Russell, il aurait aimé que John ait trouvé une guitare archtop plus « puissante » pour son ancien élève. John a appris les rudiments de la guitare conventionnelle, comme les passsages d'accords de jazz, auprès de Derek. Il faut noter aussi que le jeu "free" de Derek Bailey est basé sur les positions de doigtés d'accords de septième, huitième, ... augmentés ou diminués, etc... dont il modifie les doigtés avec une précision savante pour s'approcher de l'univers d'un Anton Webern,... appelez ça dodécaphonique, sériel, atonal ... et qu'il enrichit par toutes sortes de trouvailles astucieuses, excentriques, exotiques ou humoristiques...
Revenons à nos moutons. Le jeu de Daniel est exemplaire et est devenu un achèvement esthétique en soi. Son talent certain réside dans le fait qu'il diversifie une approche similaire avec sa propre sensibilité et de l'imagination face au défi technique posé par son instrument et ses six cordes frettées, un plectre et cinq doigts. Il doit faire coïncider plusieurs paramètres du jeu de la guitare avec une belle simultanéité en coordonnant clusters, notes isolées, harmoniques, notes assourdies, accords dissonants, larges intervalles, inspiration dodécaphonique, rallentando ou accélérations de la cadence de jeu en maintenant l’imbrications des motifs mélodico-rythmiques en imprimant des cadences et pulsations mouvantes en réinventant son discours au fil de ses improvisations. Les cascades de notes doivent se mouvoir avec un sens musical, une relative lisibilité S’il y a des similitudes avec le style personnel de John Russell en solo, celui de Daniel est moins pointilliste, parfois plus lyrique, ou plus cascadant et pas aussi bruitiste que pouvait l’être celui de John, plus cru et plus incisif. John était fortement inspiré par le jeu millimétré de John Stevens avec sa mini-batterie au sein du Spontaneous Music Ensemble qu’il a écouté live au Little Theatre Club et des conceptions de son ami Günter Christmann. Écoutons les albums du trio Butcher - Durrant - Russell comme Conceits ou Concert Moves et nous nous rendrons compte de la dynamique de son jeu, économe et aéré, situé au centre arrière et qui propulse le sax de John Butcher et le violon de Phil Durrant créant une troisième dimension. Cet apprentissage intense s’est infiltré dans son DNA au point de transformer complètement son approche de la guitare acoustique vers le milieu des années 70 avant qu’il ne réalise que Derek Bailey s’était mis à jouer de la guitare Archtop (Public & Domestic Pieces 1975, enregistrées dans sa cuisine). Le développement de Daniel Thompson a commencé après le décès de Derek Bailey et une de ses premières sources d’information a été la pratique de John Russell tout en étant un fan de jazz depuis son enfance dans son milieu familial. Aujourd’hui, il utilise des plectres en résine tels que les façonnait Derek Bailey. Si dans les milieux francophones ou continentaux, les afficionados tentent à parler de « copiage », les musiciens British conçoivent cela comme un héritage à faire vivre, à remodeler, à transformer en se servant des acquits de leurs aînés pour exprimer leur personnalité propre et en donner une perspective différente et une nouvelle sensibilité. Et c’est bien à ce niveau – là qu’on peut apprécier Daniel Thompson : la sensibilité et l'expression de sa personnalité discrète joyeuse et affable. J’ai croisé Derek Bailey à plusieurs reprises et bavardé avec lui et on reconnaît sa forte personnalité, son caractère qui transparaît dans sa musique, ce côté goguenard du one man show du cabaret anglais. De même, John Russell à qui j’ai rendu visite et passé des journées en sa compagnie, son jeu reflétait sa foi inébranlable dans la force collective des improvisateurs, du fait de se mettre au service du groupe, de l’écoute mutuelle en s’effaçant presque tout en imprimant sa marque de manière indélébile. Avec Daniel Thompson, toute son attitude envers autrui, l’idéal de la jeunesse, la simplicité et son affabilité se lit dans cette Violette autant que son exigence authentique et sa volonté déterminée face aux challenges qu’il impose à son jeu de guitare ainsi de sa grande sincérité allant jusqu’à déborder des limites physiques manuelles pour essayer de les outrepasser à la vue de tous. Comme l'a un jour expliqué Evan Parker, son esthétique n'a rien à voir avec un monument ou une oeuvre d'art exposée qu'on admire, mais plutôt un shelter, un abri, un atelier... Ou comme le disait si bien John Russell, ce n'est pas un bel objet genre horloge décorative ou bibelot en porcelaine qui trône sur la cheminée, mais un acte qui bouge, une idée qui point 'in a blink of an eye", une vision. C’est l’expérience acquise dans l’instant infini qui crée le cheminement vers le futur de l'artiste dans l'accomplissement réussi de son travail incessant. Et dans cette optique, il faut saluer la ténacité, l'inspiration et le savoir-faire de Daniel Thompson. Il y a tellement investi son énergie, de temps de travail et d'espoir que cette musique lui appartient tout autant, car cette musique se partage entre celui qui joue et celui qui écoute, celui-là étant aussi celui-ci.
Pour conclure, on dira que John Russell avait complètement raison d’avoir accueilli et fait confiance à ce gamin avec sa guitare qui avait alors beaucoup de choses à apprendre. Cette ouverture généreuse est une particularité de la scène londonienne initiée il y a fort longtemps par John Stevens qui avait offert à John son premier gig quand celui-ci avait à peine 18 ans. Aujourd’hui, Daniel Thompson est devenu un incontournable comme le témoigne les enregistrements parus sur son label Empty Birdcage.
John Butcher & John Edwards This Is Not Speculation Fundacja Sluchaj FSR CD
https://sluchaj.bandcamp.com/album/this-is-not-speculation
Il y a presque 25 ans, ces deux-là ont réussi le premier concert que j'ai organisé au bar L'Archiduc, un lieu emblématique et légendaire de Bruxelles et club de jazz-mais-pas-que et leur performance a contribué à enthousiasmer le public et le patron du lieu et à continuer d'y présenter des concerts de musique improvisée. On peut en découvrir un set dans l'album Optic (Emanem 4089). Parmi les chercheurs aventureux de vibrations d'anche et de colonne d'air en y incorporant des techniques de souffle et de doigtés alternatives, John Butcher occupe une place à part : tout en pouvant se révéler extrême et jusqu'au boutiste dans le bruitisme, il structure ses trouvailles par des formes "organisées" et un contenu mélodique délinéant des harmonies complexes avec un lyrisme réservé qui le rende familier ou des cordons sonores évolutifs et millimétrés d'une précision extrême, infiniment épurés, que certains compositeurs contemporains rêveraient d'écrire. Aussi, si on entend des bribes d'éléments de jazz (c'est du sax ténor quand même !), son approche est éloignée du jazz ou même du free-jazz historique pra l'aspect soigneusement méthodique de ses improvisations.Son acolyte est le contrebassiste John Edwards, un des improvisateurs les plus demandés et aussi un des plus audacieux dans le maniement de l'archet pour obtenir une qualité et une quantité infinie de sons, d'impulsions, d'actions imaginatives, au cœur même de la nature profonde de son gros violon. Si John B., un véritable scientifique de profession au départ, est pétri de logique et d'un bon sens pragmatique, John E. se révèle comme un poète et farfadet de la touche de la contrebasse avec tous ses écarts, ses frappes sur les cordes et l'extrême variété des jeux des deux mains, de la puissance de son jeu et de la projection sonore parfois sidérante de ses pizzicatos, qu'ils soient sauvages ou savamment organisés. Ce sentiment de spontanéité juvénile face au sérieux du saxophoniste un des rares souffleurs capables de jouer dans quasiment le même style au sax ténor et au sax soprano crée à la fois le contraste et l'empathie entre les deux duettistes, un spectacle à lui tout seul. Autant Butcher concentre sa carrière et ses concerts sur sa musique "contemporaine sérieuse" avec bon nombre d'improvisateurs aux idées similaires, autant Edwards partage la scène avec les Evan Parker, Paul Dunmall, Joe McPhee, Peter Brötzmann, Charles Gayle, Roscoe Mitchell, Alan Wilkinson dans un domaine "free-jazz" afro-américain qui déchire que dans l'improvisation radicale auquel il se dédie ardemment.
Dans ce remarquable enregistrement de concert du 8 octobre 2023 à Munich, on touche autant au familier, à l'unique et à une phase dans l'évolution de la relation musicale des deux John. On admire les incartades qui bousculent la contrebasse et la violente patiemment avec une telle variété de touchers, de frappes, de frottements, d'exorcismes.. alternance maniaque des doigts et mains sur la touche, frottement boisés qui s'irisent dans un grain tactile sensible - on a rarement entendu cela à ce point - et les succions, suraigus contrôlés, sifflements d'harmoniques pointues étirées, feulements, grognements, multiphoniques, frictions nerveuses ou notes éthérées du souffleur , vous aurez toute la panoplie, le kaléidoscope sonore et coloré démantelé, étiré, hachuré, recomposé dans la surprise de l'instant ou le cheminement méthodique de la construction formelle inéluctable. Voilà un concentré merveilleux des possibilités de l'improvisation libre à la rencontre d'un véritable grand art de la composition "instantanée". Une merveille ! Il faut saluer le travail éditorial et la sagacité de Maciej Karlowski de Fundacja Sluchaj. Son catalogue alterne la crème du free jazz créatif et l'improvisation libre pointue de qualité sans jouer la redondance éditoriale en programmant des artistes et des "formules" qu'on retrouve partout ailleurs sur d'autres labels. Il faut avouer qu'il y là de nombreux albums (que j'ai chroniqués) qui sont exemplaires par leur singularité et la créativité que leur écoute dégage comme ce This is not Speculation
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