John Butcher Ivo Perelman Duologues 4 London Silhouettes Ibeji Records digital
https://music.apple.com/fr/album/duologues-4/1857635581
https://open.spotify.com/intl-fr/album/6o4Tk9oBzBkwTUyzsJkMqY
Rencontre plus qu’intéressante entre deux saxophonistes que tout semble opposer au niveau du « style » et de l’esthétique . Le britannique John Butcher utilise de multiples techniques de souffle alternatives confinant aux bruitages dans une dimension contemporaine avec un sens des structures constructiviste. C’est un chercheur pointu de l’improvisation libre radicale étirant le timbre du sax ténor à l’extrême tout en jouant une musique lisible avec un substrat harmonique très complexe et des repères mélodiques irréguliers. S’il a choisi la méthode créative de l’improvisation libre, Ivo Perelman évolue dans un univers issu du jazz libre afro-américain inspiré par Albert Ayler et illuminé par les couleurs sonores de la saudade brésilienne. Cela s’entend dans les inflexions sinueuses des harmoniques aiguës ondoyantes au-delà du registre le plus haut du saxophone ténor. Ses suraigus lyriques et étirements de notes en glissandi artistement expressifs et vocalisés contrastent avec les sons granuleux de Butcher, plus méthodiques et abrupts, ses sifflements contrôlés au millimètre, le Britannique étant un mathématicien de formation, alors que le Brésilien est un peintre et graphiste qui dit voir la musique, les notes et les sons sous formes de couleurs. On se perd dans le dédale de leurs souffles réunis. Le début de Two est une véritable pièce d’anthologie de techniques alternatives au sax soprano. John Butcher semble percuter la colonne d’air complètement amortie (non résonnante) à l’aide des clés et la pression de l’air dans le tube). Là-dessus , on entend poindre des fragments de timbres vocalisés, fantômes sonores sortant du sax ténor de Perelman. Butcher en profite pour faire grincer des suraigus. Avec des techniques différentes l’un de l’autre, les deux souffleurs nous font entendre un dialogue subaquatique de cris de dauphins qui s’appellent et se répondent. Ténor ou soprano, c’est en fait dans un registre aigu similaire que nos deux phénomènes conversent toutes harmoniques dehors. Butcher dévide toute sa palette jusqu’à ce qu’il soit en phase avec la sensibilité écorchée du Brésilien. C’est toujours formidable quand deux artistes aussi différentiables parviennent à créer un dialogue aussi enchanteur en confrontant aussi amicalement leurs deux registres dans des aigus expressifs et toute une jungle de feulements, vibrations tactiles, contorsions du souffle. Tout aussi remarquable que touchant ! Prenons – en de la graine.
Juste un élément en plus : Ivo Perelman entretient un duo permanent avec le pianiste Matthew Shipp, duo pour lequel j'ai rédigé un petit livre analysant leur musique ("Embrace of the Souls") et il se fait que Matthew Shipp et John Butcher ont joué et enregistré un superbe face à face : At Oto / Fataka 2 et deux albums en trio avec Thomas Lehn. C'est cette expérience avec Shipp qui a mené Ivo Perelman à enregistrer un nouveau Duologue avec John Butcher pour continuer cette série de duos avec des souffleurs qu'il a entrepris ces dernières années.
Live in Foggia Larry Stabbins Keith Tippett Louis Moholo OGUN OGCD 051
https://ogun3.bandcamp.com/album/larry-stabbins-keith-tippett-louis-moholo-moholo-live-in-foggia
Il fut une époque où je fus contraint de vendre une grosse pile de vinyles pour faire face à mes factures. Que n’ai-je regretté d’avoir vendu TERN , le double LP de Louis Moholo, Keith Tippett et Larry Stabbins (label SAJ FMP). Le retrouver en seconde main me coûterait trop d’argent tant cet album est recherché. Alors, je n'ai pu résister à acquérir ce chef d'oeuvre de musique instantanée en CD ! Le pianiste Keith Tippett et le batteur Louis Moholo, aujourd’hui disparus ont été fréquemment partenaires de leurs groupes respectifs et ceux d’Elton Dean. On retrouve leur saga dans le catalogue du fabuleux label OGUN, qui aujourd’hui publie ce concert du 23 novembre 1985 à Foggia en Italie. Larry Stabbins appartient à cette fratrie de saxophonistes britanniques unique en Europe. Soprano sax : Evan Parker, Lol Coxhill, Trevor Watts et John Butcher, alto sax : Mike Osborne, Elton Dean et Trevor Watts, sax tenor : Evan Parker, Alan Skidmore, Paul Dunmall et John Butcher, sax baryton : John Surman et George Khan, sax basse : Tony Bevan. Et il y en a d’autres… Larry Stabbins , un natif de Bristol comme Keith Tippett, jouait déjà avec Keith à l’âge de 16 ans. Il fit partie des groupes de John Stevens autour du Spontaneous Music Ensemble et enregistra en duo avec le percussionniste Roy Ashbury au milieu des années septante Fire Without Bricks (Bead Records). En ce qui me concerne, ce duo a joué en ma présence un des concerts d’improvisation libre les plus révélateurs il y a presque 50 ans. J’étais assis par terre à deux mètres cinquante des deux musiciens, Ashbury jouant à même le sol. C’était pour moi une extraordinaire expérience auditive d’entendre le moindre détail du souffle de Stabbins explorer la colonne d’air, les doigtés croisés, les harmoniques et morsures bruissantes. Je n’avais pas encore entendu d’aussi près Evan Parker tout en ayant déjà découvert ses albums et assisté à ses concerts « sonorisés » avec de plus larges publics et d’autres musiciens. Donc, Cette manière de faire éclater les sons allait se retrouver plus tard dans les démarches de John Butcher, Michel Doneda, Urs Leimgruber et Stefan Keune. Au sein de ce « power » trio, Larry joue de manière soulful avec un timbre chaleureux et une dimension lyrique qui convient parfaitement à la démarche rythmique libre du binôme Moholo – Tippett. Le même label SAJ avait aussi publié « No Gossip », leur historique album en duo. Larry Stabbins navigue dans les eaux “post-coltraniennes” mâtinées de « folkolre imaginaire» tout en coïncidant artistement avec les pulsations du jeu de Keith Tippett et les rythmes libres de Louis Moholo. Le concert contient deux longues suites cohérentes et aventureuses de 45:34, The Greatest Service et de 27:11, Shield. Stabbins joue ici des sax ténor et soprano et de la flûte et Tippett et Moholo élèvent la voix quelques instants. Cet enregistrement est de grande qualité et la musique est aussi prenante et aussi énergétique que celle du trio Schlippenbach Parker Lovens à la même époque. Tout en produisant des ostinatos hypnotiques, Keith Tippett joue des cordes du piano comme d’une boîte musicale géante en croisant plusieurs actions simultanées soutenu par la frappe sourde de Moholo. On l’entend élancer des vagues de notes rythmiques tournoyantes avec une qualité de toucher étonnante. Ce maëlstrom, où Louis Moholo est carrément en transe, peut se résorber par enchantement sous le couvert d’une comptine (Stabbins au soprano) et des doigtés singuliers et cristallins du pianiste. Ces accalmies soudaines se métamorphosent en envolées éperdues, les trois musiciens en lévitation. Mais le trio est toujours sur ses gardes, chaque mouvement emporté s’interrompt après deux ou trois minutes dans un court interlude ludique apaisé pour repartir dans une autre direction pour enfin éclater dans un paroxysme vers la minute 40 de The Great Service. Cela débouche sur une rythmique frénétique de Moholo et des attaques dans les aigus du clavier. Cette métamorphose constante des motifs mélodiques et pulsatoires, de l’énergie et des cadences foisonnantes ou de moments élégiaques, cette improvisation collective à la fois brute et fort détaillée contient réellement une dimension d’imprévisibilité et indique un sens remarquable de la construction musicale dans l’instant et la durée. Évidemment, une partie de ce qui se joue est basée sur quelques canevas compositionnels, mais l'ensemble relève de la pure improvisation... Dans le jeu de Louis Moholo des éléments de la musique africaine surgissent et cet aspect des choses est assumé par Keith Tippett qui le projette dans une autre réalité.
À recommander hautement.
Katapult Pierre Borel umlaut records
https://umlautrecords.bandcamp.com/album/katapult
Si on entend peu parler de ce saxophoniste français en France, c’est qu’après avoir fait ses études musicales et autres à Berlin, Pierre Borel est resté dans cette ville incontournable sur la carte du jazz contemporain et de l’improvisation en Europe. Il fait partie de cette mouvance de musiciens chercheurs qui travaillent sur de nouveaux concepts et des démarches hors des sentiers battus, comme ceux regroupés autour du label collectif umlaut dont il fait partie. Tout récemment, il a participé à un des derniers album de Sven Åke Johansson, stumps https://trostrecords.bandcamp.com/album/stumps en compagnie d’Axel Dörner; Joel Grip, Simon Sieger. En lisant les titres de Katapult, on pourrait croire à un canular : Kurze Pause Zum Rauchen (04:05) ou Sol Si Ré Tchak Boom (15:14) ou Ré Si Sol Boom Tchak (16:56)… Comprend qui peut. Surtout que notre saxophoniste joue ici simultanément de la batterie en temps réel avec son sax alto, lui-même assis sur la drumstool baguettes ou balais à la main ! Ce n’est pas une blague : je l’ai vu de mes yeux vu et entendu par la même occasion. Si je pense que le contenu de ce disque fonctionne bien musicalement, j’ai trouvé que le taux de réussite et mon ahurissement étaient plus nets lors de ce concert mémorable à la Chapelle du Grand Hospice à Bruxelles. Pierre Borel essaie de prouver qu’on peut jouer de manière intéressante, voire urgente sur le fil du rasoir en soufflant peu de notes. Une ou deux à la fois, en construisant des micro-cellules agencées de deux ou trois sons auquelles il ajoute ou soustrait une note ou altère la hauteur de l’une d’entre elles tout en jouant de la batterie en isorythmie qu’il altère par surprise au niveau de la frappe, de la durée ou de la répétition que ce soit sur la cymbale ou les peaux. Ou bien en juxtaposant deux types de frappes qui n’ont rien à avoir l’une avec l’autre tout en ponctuant le flux percussif de notes isolées au sax qu’il module avec un petit détail. C’est un concept curieux et surprenant surtout pour un souffleur qui cultive une grande maîtrise du saxophone. On pense à Roscoe Mitchell dans ces premiers albums solos (the Solo Saxophone Concerts / Sackville et Noonah/ Nessa). De cet album très particulier, Katapult, et de la suite du concert auquel j’ai assisté, il découle que Pierre Borel est vraiment un artiste et saxophoniste très original qui reconsidère l’acte d’improviser au compte gouttes. Il joue et improvise avec une grand précision en altérant la moindre note, le moindre effet sonore en découpant mentalement l’espace auditif au scalpel. Pierre Borel est assurément un improvisateur à suivre à la trace dont la musique se détache de nombreux courants du post-free-jazz, free-free jazz, du minimalisme lower case ou du pointillisme avec un sens de l’épure magistral qui fait de son « style » une école à lui tout seul. Bardaf, garez-vous et suivez sa trace !
Loz Speyer Julie Walkington Tony Bianco Live in the SouthWest digital recorded 2000
https://spherical-records.bandcamp.com/album/live-in-the-southwest
Loz Speyer est un trompettiste improvisateur et jazzman « à risques » qui circule dans la scène britannique à l’abri des radars mais avec une foi intense dans la création collective. Lors d’une tournée dans la région du « SouthWest » en avril 2000 avec le trio Threeway, lui et ses deux acolytes a récolté de superbes enregistrements. À ses côtés, la contrebassiste Julie Walkington – un patronyme idéal pour un / une contrebassiste de jazz qui a un vrai sens du rythme – et le batteur disparu, Anthony (ou Tony) Bianco, lui-même un fidéle de Paul Dunmall. Ce batteur avait la spécialité de multiplier les frappes de manière hallucinante avec d’extraordinaires croisements de roulements quasi inhumains et injouables. Une sorte de Rashied Ali survitaminé à vous donner le tournis. Ici, Tony fait résonner les fûts avec ce timbre chaleureux et articule son jeu dans le sens d’un swing chaloupé et aéré (si l’on compare avec les brûlots dunmalliens). J’adore ces improvisateurs – jazzmen British car souvent leur jeu et leur esprit n’est pas formaté pour convaincre festivals et organisateurs « responsables », en fait on n’entend là avant tout une démarche sincère et la vertu de l’improvisation pour elle – même. On goûte la logique lumineuse de l’improvisation du trompettiste encadrée et propulsée uniquement par la contrebassiste et le batteur sans l’interférence – médiation harmonique d’un clavier ou d’une guitare.Sept morceaux signés Loz Speyer ou Anthony Bianco plus 26-2 par Coltrane et l’inévitable But Not For Me de Gershwin, morceau qui complétait les 33T My Favourite Things de Coltrane et Bag’s Groove de Miles. J’aime profondément la sonorité lyrique et cool de Loz Speyer et ses improvisations sinueuses articulées avec une magnifique sensibilité. Les deux autres jouent avec l’empathie et le feeling idéal. Quand Bianco décide de jouer foisonnant, on en a pour son poids de swing garanti (Arabian Tweed). On n’est pas dans la nostalgie mais plutôt dans le monde secret de l’émotion musicale du jazz sans rétroviseur et salade « communicante ». Magnifique !
Consacré aux musiques improvisées (libre, radicale,totale, free-jazz), aux productions d'enregistrements indépendants, aux idées et idéaux qui s'inscrivent dans la pratique vivante de ces musiques à l'écart des idéologies. Nouveautés et parutions datées pour souligner qu'il s'agit pour beaucoup du travail d'une vie. Orynx est le 1er album de voix solo de J-M Van Schouwburg (1996 - 2005). https://orynx.bandcamp.com
18 décembre 2025
John Butcher Ivo Perelman/ Larry Stabbins Keith Tippett Louis Moholo/ Pierre Borel / Loz Speyer Julie Walkington Tony Bianco
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Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......