4 décembre 2025

Paul Rogers & Paul Dunmall / Quentin Stokart & Tom Malmendier / Daniel Thompson Violet / John Butcher & John Edwards

Paul Dunmall & Paul Rogers Phoenix live 97 album digital
https://paulrogers3.bandcamp.com/album/phoenix-live-97

Je rate rarement un occasion de commenter ces deux Paul là, Dunmall et Rogers…. Respectivement saxophoniste et contrebassiste inspirés au croisement du jazz free, de l’improvisation libre et .. du « folk ». Folks c’est l’intitulé d’une facette de leur duo dédié à la musique folk d’inspiration britannique (écossaise, anglaise etc…). Tous deux avaient publié en 1995 un CD « Folks » avec 21 morceaux courts et « chantants » ancrés par la solide assise rythmique du contrebassiste (à quatre ou cinq cordes) et emmenés par le souffle du saxophoniste avec ses nombreux instruments (sax ténor, soprano, baryton et C Melody, clarinettes en Mi bémol et Si bémol et un Tin Whistle). Opus enregistré en 1989 et 1993 dont l’achat m’a échappé. Le compte bandcamp de Paul Rogers contient aussi quatre albums digitaux du duo : Folks History 1, Folks History 2, 3 et 4, soit la réédition du coffret 4CD Folks History paru chez Duns Limited Edition à 80 exemplaires que j’ai eu l’occasion d’acquérir. Je ne pense pas avoir dû écrire à son sujet. Donc je vais me rattraper surtout qu’il s’agit d’improvisateurs de haute volée qui collaborent en tandem depuis plus de quarante ans. Cet album live nouvellement paru a été enregistré lors d’un concert au Phoenix à Leicester en 1997 et contient trois compositions avec chaque fois une section improvisée dans des durées de 13 :09 minutes (Hairy Fox) et 5 :52 minutes (Saffron et Folk Talks) suivies de deux improvisations de 6 :37 et 12 :46 (Imp 1 et Imp 2). Rogers joue de la contrebasse à cinq cordes et Dunmall de la clarinette en Mi bémol, des bagpipes et du sax soprano. La « venue » Phoenix me fait penser au légendaire club Phoenix à Cavendish Square où Mike Osborne, Louis Moholo, Harry Miller, Elton Dean, Keith Tippett, John Stevens, Evan Parker et beaucoup d’autres se sont produit dans les années 70 en plein boom du free-jazz britannique. À l’écoute, leur musique a quelques accointances avec deux ou trois morceaux lyriques du légendaire album ECM « Conference of the Birds » de David Holland , le contrebassiste à qui Paul Rogers peut être comparé question musicianship et projection du jeu en pizzicato. D’ailleurs, il profite de l’aspect ouvert de leur manière jouer du « Folk » pour nous livrer de magnifiques et puissantes improvisations les doigts tirant et poussant les cordes fermement maintenues sur la touche de l’instrument (Saffron). C’est à l’archet qu’il lance la mélodie en canon avec le souffle super calibré au sax soprano de Dunmall dans ce mémorable Hairy Fox de 13 minutes. On peut y découvrir comment improviser sur un matériau thématique par l’enrichissement d’intervalles de notes suggérés par la mélodie dans un merveilleux éventail polytonal et mélodique. Dans Folk Talks, Dunmall embouche le tuyaux de son bagpipes dans une belle performance en souffle continu par-dessus les graves arrachés à la contrebasse par le maniement ensauvagé de son archet charriant des harmoniques telles des échardes splittant de la surface monumentale de sa contrebasse. Imp 1 : Dunmall fait lover le timbre et les notes de sa clarinette en douceur ou avec des aigus perçants avec une belle subtilité alors que la poigne de Rogers assène des pizzicatos d’une puissance réellement mingusienne comme vous ne l’entendrez jamais peut être. Mais il s’agit d’une improvisation libre voyageuse qui se meut spontanément dans différents décors. Si le jeu de Dunmall est ici en de çà de sa puissance énergétique habituelle pour marquer la différence entre souffle folk et souffle jazz libre, l’écoute de Paul Rogers est ici sidérante : la puissance, la force énorme de son jeu, le grain du son de la contrebasse sous les frottements de l’archet, son aisance à faire vibrer des harmoniques dans un spectre sonore unique. Mais très vite , dans Imp2, Paul Dunmall exprime l’essence de son style mélodique au sax soprano (virtuose) qui peut se faire pressant et survolté ou simplement suave et Paul Rogers captive avec son drive rythmique insatiable dave-hollandien en diable. Il s’agit donc d’une belle gâterie mélodique folkeuse de deux géants qui incarnent le free – jazz au sommet ces dernières quatre décennies avec beaucoup de sensibilité, musiciens dont on arrive jamais à en avoir fait le tour.
Cela dit, je recommande tous les Folks History et les solos de contrebasse de Paul Rogers dont Abbaye de l’Épau, proposés sur son compte bandcamp.

Mehin Quentin Stokart & Tom Malmendier eux saem
https://euxsaem.bandcamp.com/album/mehin

Voici un super brûlot noise concocté par deux des improvisateurs plus actifs de la scène improvisée belge : le guitariste Quentin Stokart et le percussionniste Tom Malmendier. Leur duo a été enregistré au printemps 2025 au Studio Grez, un haut lieu de l’improvisation radicale à Bruxelles. Mehin est une longue improvisation de plus de 35 minutes qui nous fait voyager dans différentes séquences spontanément improvisées qui ont chacune une dynamique et une énergie particulière et qui la distingue de la précédente ou de la suivante. Hyperactifs, les deux improvisateurs font éclater la notion de musique dans une avalanche de bruitages jaillissant en faisceaux d’étincelles, de crissements, de craquements explosifs, de frappes échevelées… cela peut tourbillonner dans un maelström électrocuté, grésillant à tout va et insaisissable à cause de son extrême mobilité ou grincer, scier, cracher, tressauter follement frictionnant le métal des cordes et des micros de la guitare mutante. Le percussionniste n’est pas en reste ajoutant au fur et à mesure de nouvelles manières d’extraire des sons, des agrégats sonores. Il semblerait qu’à un moment l’appareillage des effets de guitare ait capté des voix d’une émission radio (?). Soit leurs jeux s’interpénètrent tellement que leurs sonorités industrielles font corps les unes aux autres ou comme on le perçoit dès la quinzième minute (approximativement ) un échange clairement distinct opère entre la guitare qui percole et la percussion volatile, le batteur frappant à toute vitesse au niveau des aigus métalliques. Jouer noise c’est une chose, mais comme ils le font très bien, imprimer des formes, des idées, projeter des couleurs et des sons aussi divers dans une mutation métamorphique constante qui donne du sens, qui nous entraîne dans leur flux ininterrompu en tenant nos sens éveillés au moindre détail, est une performance impressionnante. On est touché alors par la valeur expressive des détails de leur course folle et des timbres inouïs qui giclent dans l’instant, faisant du bruitisme « brut de décoffrage » (pour reprendre cette expression bateau médiatisée à souhait) un art au-delà du réel, cauchemar ou rêve, fiction ou action, découverte éveillée ou course poursuite compulsive. Dans ce genre dit « noise » , un document vraiment intéressant qui devrait vous pousser à les et vous surprendre sur scène. Le label eux saem fourmille d'explosions élctrocutées de ce type, cela dit pour les amateurs. Bravo Quentin et Tom !

Violet Daniel Thompson Empty Birdcage EBR 014
https://emptybirdcagerecords.bandcamp.com/album/violet

Guitariste exclusivement acoustique apparu dans la scène londonienne au début les années 2010 avec ses compagnons Tom Jackson, clarinette et Benedict Taylor (violon) alto avec qui Daniel Thompson a depuis beaucoup joué et enregistré. Il a suivi des cours de guitare chez le défunt John Russell avec le même type de six cordes archtop (chevalet) et lui a dédié un court solo de 12 :20 intitulé John en hommage à cet ami irremplaçable disparu en décembre 2021. Comme John, Daniel a organisé des concerts mensuels durant plusieurs années. Au fil du temps et de nombreux concerts, il a superbement évolué avec les trois potes susmentionnés, mais aussi le flûtiste Neil Metcalfe, le batteur Steve Noble, la chanteuse Kay Grant, les saxophonistes Colin Webster et Adrian Northover, le percussionniste Marcello Magliocchi et le contrebassiste John Edwards (Runcible Quintet que je chroniquerai incessamment sous peu). Et donc après ce cheminement obstiné et la bonification graduelle de son jeu, il était temps pour Daniel d’enregistrer un album solo.
Si vous écoutez l’énergique improvisation three de 4:31, vous allez reconnaître indubitablement l’approche en clusters tournoyants de Derek Bailey et ce côté abrupt qu'il partage avec John Russell. De même, improvisation four de 13:26 avec ces larges va-et-vient d'intervalles singuliers et de cascades fracturées de notes. Mais c’est vraiment malaisé de faire des comparaisons avec DB et JR. Si le bagage instrumental et l’expérience d’improvisateur de Daniel Thompson est déjà considérable et qu’il est indubitable que Derek Bailey est un génie de la guitare, ce dernier a en plus un solide avantage : son instrument acoustique a une projection sonore dans l’espace miraculeuse. Ces musiciens jouent sur des guitares anciennes munies d'un chevalet avec un cordier métallique attaché à la base de l'instrument : elles datent d’il y a des dizaines d’années, voire un siècle. Celle que John affectionnait, achetée à un musicien de jazz de l’époque swing, s’était amortie avec l’âge au fil des décennies. Derek Bailey dont j’avais organisé un concert solo en Février 1987 à Bruxelles, m’a confié par la suite qu’il a cherché longtemps une archtop dont les harmoniques puissent résonner dans un théâtre jusque dans la salle par-dessus la tête des spectateurs sans la moindre amplification, y compris ses fameuses harmoniques. Il m’a dit avoir eu énormément de chance avec cette guitare archtop. Était-ce son Epiphone Blackstone ou la suivante ? Les harmoniques sont les sons qu’on obtient en touchant une corde d’un doigt de la main gauche sans l’enfoncer sur la touche tout en tirant la corde à hauteur des ouïes avec un plectre à la main droite en levant le doigt gauche simultanément et un son aigu qui semble irréel s'échappe.. On obtient ainsi des intervalles logiques par rapport aux notes « à vide » ou touchées en fonction des positions qui obéissent à des ratios que je n’ai pas le temps ni l’espace d’expliquer ici. Disons que le toucher au milieu de la corde « à la douzième frette » (sic Derek Bailey) produit une hauteur identique que celle obtenue en enfonçant la corde sur la frette. Plus on touche la corde vers le haut du manche ou le bas du manche en s'éloignant de cette fatidique douzième frette située à un octave de la corde à vide, plus les hauteurs sont aiguës. Derek était un des rares guitaristes capables de jongler avec ce matériau avec une extrême justesse, une grande projection sonore et un sens de la forme en les combinant avec des notes "normales" ou tirées sous le chevalet. Il avait basé son système en intégrant cet effet (plus bien d'autres) à la perfection. Cette technique avec les harmoniques est remarquablement utilisée par Daniel Thompson qui parvient à les jouer avec une belle justesse. Certains lecteurs amateurs de free pur et dur doivent peut-être interloqués qu’on mentionne la justesse de la guitare pour des musiciens comme Bailey et Thompson. Mais Derek Bailey accordait sa guitare comme un maniaque et ses harmoniques étaient d’une justesse sidérante même jouées à toute vitesse. Il n’y a pas de frettages des cordes dans cette technique et le doigt touche alors la corde à un endroit très précis, Bailey regardant bien souvent son manche. Derek a ajouté que s’il appréciait fortement son ami John Russell, il aurait aimé que John ait trouvé une guitare archtop plus « puissante » pour son ancien élève. John a appris les rudiments de la guitare conventionnelle, comme les passsages d'accords de jazz, auprès de Derek. Il faut noter aussi que le jeu "free" de Derek Bailey est basé sur les positions de doigtés d'accords de septième, huitième, ... augmentés ou diminués, etc... dont il modifie les doigtés avec une précision savante pour s'approcher de l'univers d'un Anton Webern,... appelez ça dodécaphonique, sériel, atonal ... et qu'il enrichit par toutes sortes de trouvailles astucieuses, excentriques, exotiques ou humoristiques...
Revenons à nos moutons. Le jeu de Daniel est exemplaire et est devenu un achèvement esthétique en soi. Son talent certain réside dans le fait qu'il diversifie une approche similaire avec sa propre sensibilité et de l'imagination face au défi technique posé par son instrument et ses six cordes frettées, un plectre et cinq doigts. Il doit faire coïncider plusieurs paramètres du jeu de la guitare avec une belle simultanéité en coordonnant clusters, notes isolées, harmoniques, notes assourdies, accords dissonants, larges intervalles, inspiration dodécaphonique, rallentando ou accélérations de la cadence de jeu en maintenant l’imbrications des motifs mélodico-rythmiques en imprimant des cadences et pulsations mouvantes en réinventant son discours au fil de ses improvisations. Les cascades de notes doivent se mouvoir avec un sens musical, une relative lisibilité S’il y a des similitudes avec le style personnel de John Russell en solo, celui de Daniel est moins pointilliste, parfois plus lyrique, ou plus cascadant et pas aussi bruitiste que pouvait l’être celui de John, plus cru et plus incisif. John était fortement inspiré par le jeu millimétré de John Stevens avec sa mini-batterie au sein du Spontaneous Music Ensemble qu’il a écouté live au Little Theatre Club et des conceptions de son ami Günter Christmann. Écoutons les albums du trio Butcher - Durrant - Russell comme Conceits ou Concert Moves et nous nous rendrons compte de la dynamique de son jeu, économe et aéré, situé au centre arrière et qui propulse le sax de John Butcher et le violon de Phil Durrant créant une troisième dimension. Cet apprentissage intense s’est infiltré dans son DNA au point de transformer complètement son approche de la guitare acoustique vers le milieu des années 70 avant qu’il ne réalise que Derek Bailey s’était mis à jouer de la guitare Archtop (Public & Domestic Pieces 1975, enregistrées dans sa cuisine). Le développement de Daniel Thompson a commencé après le décès de Derek Bailey et une de ses premières sources d’information a été la pratique de John Russell tout en étant un fan de jazz depuis son enfance dans son milieu familial. Aujourd’hui, il utilise des plectres en résine tels que les façonnait Derek Bailey. Si dans les milieux francophones ou continentaux, les afficionados tentent à parler de « copiage », les musiciens British conçoivent cela comme un héritage à faire vivre, à remodeler, à transformer en se servant des acquits de leurs aînés pour exprimer leur personnalité propre et en donner une perspective différente et une nouvelle sensibilité. Et c’est bien à ce niveau – là qu’on peut apprécier Daniel Thompson : la sensibilité et l'expression de sa personnalité discrète joyeuse et affable. J’ai croisé Derek Bailey à plusieurs reprises et bavardé avec lui et on reconnaît sa forte personnalité, son caractère qui transparaît dans sa musique, ce côté goguenard du one man show du cabaret anglais. De même, John Russell à qui j’ai rendu visite et passé des journées en sa compagnie, son jeu reflétait sa foi inébranlable dans la force collective des improvisateurs, du fait de se mettre au service du groupe, de l’écoute mutuelle en s’effaçant presque tout en imprimant sa marque de manière indélébile. Avec Daniel Thompson, toute son attitude envers autrui, l’idéal de la jeunesse, la simplicité et son affabilité se lit dans cette Violette autant que son exigence authentique et sa volonté déterminée face aux challenges qu’il impose à son jeu de guitare ainsi de sa grande sincérité allant jusqu’à déborder des limites physiques manuelles pour essayer de les outrepasser à la vue de tous. Comme l'a un jour expliqué Evan Parker, son esthétique n'a rien à voir avec un monument ou une oeuvre d'art exposée qu'on admire, mais plutôt un shelter, un abri, un atelier... Ou comme le disait si bien John Russell, ce n'est pas un bel objet genre horloge décorative ou bibelot en porcelaine qui trône sur la cheminée, mais un acte qui bouge, une idée qui point 'in a blink of an eye", une vision. C’est l’expérience acquise dans l’instant infini qui crée le cheminement vers le futur de l'artiste dans l'accomplissement réussi de son travail incessant. Et dans cette optique, il faut saluer la ténacité, l'inspiration et le savoir-faire de Daniel Thompson. Il y a tellement investi son énergie, de temps de travail et d'espoir que cette musique lui appartient tout autant, car cette musique se partage entre celui qui joue et celui qui écoute, celui-là étant aussi celui-ci.
Pour conclure, on dira que John Russell avait complètement raison d’avoir accueilli et fait confiance à ce gamin avec sa guitare qui avait alors beaucoup de choses à apprendre. Cette ouverture généreuse est une particularité de la scène londonienne initiée il y a fort longtemps par John Stevens qui avait offert à John son premier gig quand celui-ci avait à peine 18 ans. Aujourd’hui, Daniel Thompson est devenu un incontournable comme le témoigne les enregistrements parus sur son label Empty Birdcage.

John Butcher & John Edwards This Is Not Speculation Fundacja Sluchaj FSR CD
https://sluchaj.bandcamp.com/album/this-is-not-speculation

Il y a presque 25 ans, ces deux-là ont réussi le premier concert que j'ai organisé au bar L'Archiduc, un lieu emblématique et légendaire de Bruxelles et club de jazz-mais-pas-que et leur performance a contribué à enthousiasmer le public et le patron du lieu et à continuer d'y présenter des concerts de musique improvisée. On peut en découvrir un set dans l'album Optic (Emanem 4089). Parmi les chercheurs aventureux de vibrations d'anche et de colonne d'air en y incorporant des techniques de souffle et de doigtés alternatives, John Butcher occupe une place à part : tout en pouvant se révéler extrême et jusqu'au boutiste dans le bruitisme, il structure ses trouvailles par des formes "organisées" et un contenu mélodique délinéant des harmonies complexes avec un lyrisme réservé qui le rende familier ou des cordons sonores évolutifs et millimétrés d'une précision extrême, infiniment épurés, que certains compositeurs contemporains rêveraient d'écrire. Aussi, si on entend des bribes d'éléments de jazz (c'est du sax ténor quand même !), son approche est éloignée du jazz ou même du free-jazz historique pra l'aspect soigneusement méthodique de ses improvisations.Son acolyte est le contrebassiste John Edwards, un des improvisateurs les plus demandés et aussi un des plus audacieux dans le maniement de l'archet pour obtenir une qualité et une quantité infinie de sons, d'impulsions, d'actions imaginatives, au cœur même de la nature profonde de son gros violon. Si John B., un véritable scientifique de profession au départ, est pétri de logique et d'un bon sens pragmatique, John E. se révèle comme un poète et farfadet de la touche de la contrebasse avec tous ses écarts, ses frappes sur les cordes et l'extrême variété des jeux des deux mains, de la puissance de son jeu et de la projection sonore parfois sidérante de ses pizzicatos, qu'ils soient sauvages ou savamment organisés. Ce sentiment de spontanéité juvénile face au sérieux du saxophoniste un des rares souffleurs capables de jouer dans quasiment le même style au sax ténor et au sax soprano crée à la fois le contraste et l'empathie entre les deux duettistes, un spectacle à lui tout seul. Autant Butcher concentre sa carrière et ses concerts sur sa musique "contemporaine sérieuse" avec bon nombre d'improvisateurs aux idées similaires, autant Edwards partage la scène avec les Evan Parker, Paul Dunmall, Joe McPhee, Peter Brötzmann, Charles Gayle, Roscoe Mitchell, Alan Wilkinson dans un domaine "free-jazz" afro-américain qui déchire que dans l'improvisation radicale auquel il se dédie ardemment.
Dans ce remarquable enregistrement de concert du 8 octobre 2023 à Munich, on touche autant au familier, à l'unique et à une phase dans l'évolution de la relation musicale des deux John. On admire les incartades qui bousculent la contrebasse et la violente patiemment avec une telle variété de touchers, de frappes, de frottements, d'exorcismes.. alternance maniaque des doigts et mains sur la touche, frottement boisés qui s'irisent dans un grain tactile sensible - on a rarement entendu cela à ce point - et les succions, suraigus contrôlés, sifflements d'harmoniques pointues étirées, feulements, grognements, multiphoniques, frictions nerveuses ou notes éthérées du souffleur , vous aurez toute la panoplie, le kaléidoscope sonore et coloré démantelé, étiré, hachuré, recomposé dans la surprise de l'instant ou le cheminement méthodique de la construction formelle inéluctable. Voilà un concentré merveilleux des possibilités de l'improvisation libre à la rencontre d'un véritable grand art de la composition "instantanée". Une merveille ! Il faut saluer le travail éditorial et la sagacité de Maciej Karlowski de Fundacja Sluchaj. Son catalogue alterne la crème du free jazz créatif et l'improvisation libre pointue de qualité sans jouer la redondance éditoriale en programmant des artistes et des "formules" qu'on retrouve partout ailleurs sur d'autres labels. Il faut avouer qu'il y là de nombreux albums (que j'ai chroniqués) qui sont exemplaires par leur singularité et la créativité que leur écoute dégage comme ce This is not Speculation

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