Adam Bohman Music and Words 3 Paradigm Discs
https://adambohman.bandcamp.com/album/music-and-words-3-2
Troisième CD d’Adam Bohman intitulé Music & Words 3 publié par Paradigm Discs, le label de Clive Graham. Clive et Adam Bohman participèrent activement au groupe Morphogenesis. Le catalogue de Paradigm contient un unique triple CD du légendaire Gentle Fire, l’Up Your Sleeve d’Alterations, des albums de Morphogenesis, bien sûr et un mix d’inédits et/ ou rééditions de cassettes ou de vinyles rares d’Adam Bohman, Trevor Wishart, Max Eastley, Daphne Oram, Pauline Oliveiros, Dight Frizzell, Amnon Raviv , etc… même William Burroughs. Cet album Music and Words 3 d’Adam Bohman contient à la fois des pièces/ chansons délirantes des années 80 parues en cassette (« Music ») alternées avec des extraits improbables de ses talkin’tapes enregistrées avec un mini-cassette de poche lors de ses pérégrinations en tournée (« Words »). En fait, Adam enregistre beaucoup à tout moment en décrivant les situations, ce qui vient de lui arriver, les personnes avec qui il se trouve, les lieux où il déambule décrits minutieusement. Il adore aussi lire des menus détaillés des restos cheap en indiquant le prix. L’album débute avec trois morceaux de « musique » (comme ce At Grand Parents/ Hearing Aid ??) et enchaîne sur une série de 6 talkin’tapes enregistrées à Brighton en 2009 alternant d’autres morceaux répertorié « musique ». Parmi ceux-ci se distingue un Unpleasant Discharge Blues n°1 où interviennent des parties de trompette en multi-tracking low-fi et une vague backing track. En fait , Adam jouait de la trompette au début de sa carrière jusqu'à ce qu'il ait éviscéré un violon désaxé. Il y a aussi des chansons improbables telles The Yellow Rose of Zork, Dominic the Dragon Fly, Montague the Toothbrush, une version délirante et potache de Maggie May de Rod Stewart, chansons dont la mise en place est disons aléatoire. On trouve aussi sous cette dénomination « Music » des collages contrastés et bruitistes low-fi utilisant des sons électroniques saturés et édités avec un sens du contraste et de la diversion réussi = Bitumen Sex, Scrum Quartet ou les Interruptions 2. Le tout réalisé avec des cassettes bon marché et les moyens du bord. Une fois la suite des Brighton Pt1 à Pt6 écoulées alternant avec les morceaux/ chansons décrits plus hauts, on trouve à nouveau trois pièces « Music » : Montague the Toothbrush , Maggie May et à nouveau une autre improbable narration outdoors « at Grandparents » . Ces trois morceaux enchaînent avec quatre séquences de description spontanée in situ à Clacton on Sea truffées de détails anodins, parfois croustillants ou nonsensiques de ses observations méticuleuses de l’environnement. Ces quatre séquences de Clacton on Sea éditées au départ d’un de ces auto-reportages potaches et candides, alternent avec des divagations telles que Talkin’ about Manilow , Melancolic Alcoholic, ou une dernière chanson , Foster’s Champions qui clôture cette bien curieuse troisième anthologie « music and words ». À la fois non-sensique, chargée de sens, enfantillage, humour septième degré, patiemment descriptif et indescriptible, sardonique, délirant, sarcastique, faussement candide, prosaïque, infantile, désenchanté, persiffleur, l’art verbal/textuel sans queue ni tête ni antécédent d’Adam Bohman a tout gagné à être produit auditivement par l’avisé Clive Graham, un des plus éminents Bohmanologues en activité. Ne ratez pas un concert de Secluded Brontë ou des Bohman Brothers, cela vous donnera sûrement l’envie de vous pencher sur ses Music and Words.
unbelievably late Franz Hautzinger & Éric Normand tour de bras / inexhaustible editions tdb90054/ie-051
https://inexhaustibleeditions.bandcamp.com/album/unbelievably-late
Depuis Gomberg, le premier album solo de Franz Hautzinger à la quartertone trumpet, le paysage de la trompette est universellement chamboulé ; de même pour le Trumpet d’Axel Dörner et le Kunststoff de Birgit Ulher avec Ute Wassermann. Mais il ne suffit pas de découvrir quelques facettes inouïes de la « méta-trompette » amplifiée, d’enregistrer au plus près de l’instrument, de faire bourdonner la colonne d’air et percuter l’embouchure. Cette recherche doit nourrir un message poétique, une narration musicale, faire du sens pour l’auditeur. La nouveauté de ce postulat sonore et instrumental peut très bien se transformer en gimmick, posture ou auto-caricature. Mais un musicien de la stature de Franz Hautzinger est bien conscient que cette esthétique relativement « minimaliste » d’infrasons basée sur des techniques de souffle aussi contraignantes pourrait aboutir à une voie sans issue et sa démarche pourrait finir par tourner en rond. Comme ses deux collègues (Axel et Birgit), Franz recherche sans relâche les moyens, l’inspiration et l’énergie pour faire avancer expressivité, technique et trouvailles dans ses improvisations en compagnie d’un ou deux collègues qui partagent sa vision musicale. Les six pièces ci-enregistrées en 2020-21 entre 4 et 9 minutes chacune conjuguent bien des atouts. On est médusé par sa capacité à faire évoluer sur la durée ces effets sonores, bruissements de l’embouchure, coups de langue et frémissements des lèvres ces passages chuintants ou sifflants de l’air délicatement pulsé dans le tube, notes tenues acides …. Les interventions discrètes et diversifiées d’Éric Normand, ses effets électroniques ou le toucher subtil des cordes de la basse électrique (instrument ingrat dans ce contexte) contribuent superbement à la mise en valeur de leurs dynamiques conjointes à cet esprit de neutralité – no man’s land sonore d’interaction tangentielle, cette fantômisation mystérieuse des sons instrumentaux. Mention spéciale pour la sensibilité d'Éric Normand. Par de là le bruissement sonore se dégage un sens secret de micro-mélodie et d’intuitions harmoniques indéfinissables basées sur l’écoute et cette expérience de longue haleine. D’avoir persévéré dans cette voie singulière leur a ouvert les portes de signes et syntaxes neufs ou renouvelés par 731des coïncidences ludiques conscientes ou spontanées. Un bien curieux univers sonore destiné à une écoute apaisée et concentrée. Excellent !
Jack Wright – Ben Bennett Augur Palliative Records
https://milmin.bandcamp.com/album/augur
Enregistré et réalisé dix ans après leur album Tangle, Augur est l’augure d’un des plus scintillants enregistrements en duo entre un/des saxophones (alto-soprano) et un percussionniste, le souffleur Jack Wright, plus de quarante années d’improvisation au compteur, et son « cadet », Ben Bennett, le lutin – esprit frappeur percutant ses instruments à même le sol, les talons nus enfoncés sur les peaux de ses deux tambours sur cadre… Ce duo n’a rien à envier au duo SME de Face to Face (Watts - Stevens), il y a … un demi-siècle, année lumière de l’improvisation radicale. Ou encore, Roy Ashbury et Larry Stabbins dans Fire Without Bricks, Roy jouant aussi ses instruments épars sur le sol. Jack Wright est sans doute un des plus anciens « free-improvisers » en activité aux U.S.A. et un des plus engagés esthétiquement et socialement. C’est aussi un virtuose du saxophone qui cache bien son jeu, pointant ses triples détachés quand c’est l’instant, canaillant l’anche à la Lol Coxhill, soutirant harmoniques, morsures, multiphoniques , glissandi, bourdonnements, et vocalisations en interagissant adroitement avec son collègue. L’exigence de qualité supérieure de leurs échanges est évidente et très remarquable. Chacun d’eux suit son chemin à fond dans leur univers sonore personnel et distinctif et coïncide à des instants précis, vif-argent, dans les recoins des accents marqués ou des silences propices. Il faut surtout voir le Ben Bennett frapper avec une précision étonnante et éclatée rebords et peaux alors que l’on devine l’impassible bonhomie de Jack Wright, et sa figure d’écrivain philosophe voyageur. Celui-ci canarde et tarabiscote ses articulations sauvages du son, sursautant dans les aigus ou zigzaguant dans les intervalles écartelés par-dessus les rebonds, chocs, frappes sèches et raclements de son alter-ego tirant d’infinies nuances de frappes sur deux peaux souvent sourdinées avec les pieds, les mains, ou un gros woodblock voyageur. Ben souffle aussi dans des membranes tendues sur deux cylindres ou un tube connecté à une membrane arrosée d’eau dont il tire de curieux effets de volatiles siffleurs ou criards… Bref, c’est de l’improvisation dynamique interactive de haut niveau et un spectacle visuel, le batteur virevoltant des baguettes comme le lutin du Bois aux Roches de notre enfance. L’imbrication mutuelle est très sophistiquée alors que leur musique a un aspect « sauvage » organique. Hautement recommandé !!
PS : Le label estampillé « Palliative » est un euphémisme pour une gesticulation sonore aussi émoustillante.
Samo Kutin Pascal Battus living bridges edition friforma eff-014
https://inexhaustibleeditions.bandcamp.com/album/living-bridges
Un bon génie du son alternatif d’envergure hante les hauteurs de Slovénie. Il a nom Samo Kutin et sa rencontre avec Pascal Battus, notoire guitariste français bruitiste, ici crédité rotating surfaces, objects, cymbals, s’annonce vraiment passionnante pour devenir envoûtante tout au long des sept pièces enregistrées dans des lieux inhabituels avec des résonances particulières « old stable in lesno brdo, ou tkalca cave in rakov skocjan ». Samo manie des vièles à roue, objets et des résonateurs acoustiques. Je me souviens d’un album sauvage avec Martin Küchen (Stutter and Strike/ Sploh) et un autre complétement hanté avec Lee Patterson (The Universal Veil That Hangs Together Like A Skin/inexhaustible editions). Si Sutter & Strike avec Samo étaii aussi vénéneu qu’allumé et orgiastiques, le présent compact i-e étire des drones sonores sourdes, grésillantes, sifflantes, métalliques, industrielles, frottements grinçants etc… avec une belle dynamique et des densités irréelles. Impossible de définir la source sonore, l’instrument ou les objets actionnés. Mais question qualité de timbres alliée à la profondeur de champ auditive, l’ionisation des vibrations et les imbrications de strates sonores en flux mouvant et oscillant, l’auditeur exigeant a décroché la martingale. Les notions de minimalisme, de lamination et autres avant-garderies récurrentes qui souvent/ parfois génèrent la morosité et la vulgate didactique, n’ont cours ici. Même quand le morceau débute avec une cymbale frottée et ses harmoniques tenues, une expressivité, une truculence parfois s’impose. Des scories craquèlent, d’autres frictions d’objets ou de cordes s’élèvent, enflent, s’ajoutent, résonnent, crachouillent, ahanent. Le septième morceau nous envoie dans un autre monde. On est au pays des farfadets, des nutons cosmiques, de la lutherie sauvage, et l’alap des sorcières des Alpes de Kamnik Savinja s’apprête à voir bouillonner un rituel mystérieux.
Edition friforma est une succursale de l'incontournable inexhaustible editions.
Cosmos Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues João Madeira Creative Sources CS 731CD
https://ernestorodrigues.bandcamp.com/album/cosmos
Trio alto (Ernesto Rodrigues), violoncelle (Guilherme Rodrigues) et contrebasse (João Madeira). Il n’y a rien à faire , je suis friand des groupes d’improvisation réunissant exclusivement des instruments à cordes de la famille des violons. Que ce soient les associations au tour des Rodrigues père et fils, surtout avec leur ami Madeira qui les connait si bien, que le String Trio d’Harald Kimmig Alfred Zimmerlin et Daniel Studer ou le Stellari Quartet qui réunit Phil Wachsmann, Charlotte Hug, Marcio Mattos et John Edwards, je suis toujours aux anges tant la qualité de son, l’intime proximité de chacun des cordistes, la conviction qu’il s’agit de la meilleure combinaison instrumentale pour violon, alto, violoncelle et contrebasse. En outre, l’alto, instrument, très exigeant, a cette particularité d’être plus riche au niveau textures et densité des timbres que le violon. Voilà ! On n’a de cesse de d’écouter et réécouter leurs spirales et volutes infinies, pizz puissants et sauvages, harmoniques filtrées, accents nasillards, contrepoints spontanés, et leurs assemblages mouvant d’idées et d’esquisses concertées et déconcertantes, cadences brisées, fuites en avant, tutti vibratiles, échos fébriles, col legno subtils, ralentandos touffus, cafouillages hystériques, col legno subtils, sonorités s’amplifiant par la magie des pressions plus intenses de l’archet, …. Cascades et touffus sous-bois, landes désolées et ample rivière qui s’écoule presqu’en silence. Les figures et leurs évolutions traversent bien des paysages sonores et de multiples colorations. L’auditeur en retire un sentiment d’infini, une plénitude sans nom, celui d’une écoute intense et d’un trilogue forcené où le moindre son compte même s’il est avalé par le temps. L’énergie du free primal conjoint à une science musicale raffinée. Sans doute une de leurs meilleures réalisations parmi beaucoup d’autres.
P.S. : On a entendu les Rodrigues avec Matthias Bauer et Dietrich Petzold (dis-con-sent) ou Klaus Kürvers et Julia Brussel (Fantasy Eight) ou dans l'Iridium String Quartet, pièces de choix du tout-violon-alto-cello-basse sur le label Creative Sources vers lesquels vous feriez bien de vous ruer, ça vous changera des saxophonistes testostéronés et des guitaristes destroy.
Consacré aux musiques improvisées (libre, radicale,totale, free-jazz), aux productions d'enregistrements indépendants, aux idées et idéaux qui s'inscrivent dans la pratique vivante de ces musiques à l'écart des idéologies. Nouveautés et parutions datées pour souligner qu'il s'agit pour beaucoup du travail d'une vie. Orynx est le 1er album de voix solo de J-M Van Schouwburg (1996 - 2005). https://orynx.bandcamp.com
16 avril 2023
15 avril 2023
OMFI # 40 : Solo performances Wedn. 26/04 : MAJA JANTAR - DIDIÉ NIETSZCHE - J-M VAN SCHOUWBURG Chapelle du Grand Hospice 1000 Bruxelles rue du Gd Hospice
OMFI # 40 : Solo performances 26 avril 8PM : MAJA JANTAR - DIDIÉ NIETSZCHE - J-M VAN SCHOUWBURG Chapelle du Grand Hospice 1000 Bruxelles rue du Gd Hospice entrée : 8 euros
MAJA JANTAR VOICE Maja Jantar is an interdisciplinary, multilingual and polysonic artist living in Isokyrö, Finland, whose work spans the fields of performance, music, poetry, ceramics, visual arts and theatre. Interested in creating connections, engaging with the more than human, using various media. Collaborative - be it in performance or theatre, with interest in hybrid forms, poetics, ecology, history, rituals, and arts as a form of ritual. A co-founder of the poetic group Krikri, she has been giving individual and collaborative performances throughout Europe and experimenting with poetic sound works since 1996. Long time collaborators are Angela Rawlings with whom she forms the duo Völva and Vincent Tholomé.
As opera director Maja Jantar has directed various productions, including Monteverdi’s classic Incoronazione di Poppea, Sciarrino’s contemporary Infinito Nero as well as Humperdinck’s Hänsel und Gretel and Bernstein’s West Side Story. She created various theatrical music performances, for small and big stage, among others 4 performances for orchestra aimed at a young audience, with the Symphony Orchestra of Flanders. Her visual poetry has appeared amongst others in the catalogue Zieteratuur (The Netherlands); EOROPOE, an anthology of European poets; The Future of Poetry, GanGan Lit Mag #50; Fractured Ecologies.
Her visual work has been shown in several exhibits: at the Art Book Fair, Arts centre Wiels in Brussels; at Été 78 in Brussels and Les Abattoirs de Bomel in Namur; and recently at Palais de Tokyo in Paris, in LA VOIX LIBERÉE a sound poetry exhibition. Recently she performed at Twisted Shout #2 Text/Sound festival in Stockholm, performing her solo vocal sound work. Collaborated with pianist and curator Guy Vandromme on Silence - an immersive concert based on 3’44 by John Cage and Sleepconcert, for babies, in Wemmel, Belgium, and Malmö, Sweden. Created Ichigo Ichie, a multi-disciplinary sensory installation combining traditional tea ceremony with a ceramics sound installation, march 2023 Galerie19, Gent, Belgium.
DIDIÉ NIETZSCHE electronics
Didié Nietzsche est un artiste numérique (musique, vidéo, arts virtuels), né le 25 novembre 1911 (d'après sa défunte page Facebook) et habitant à Marchin. C'est à l’orée des années 80, que Didié Nietzsche, dégoûté par les méthodes classiques d’apprentissage de la musique, se fait offrir pour la Saint Nicolas une boîte «100 expériences électroniques». Il commence aussitôt à bricoler ses propres instruments et effets, à partir de cellules photoélectriques, de métronomes électroniques, de cordes de guitares tendues sur des caisses métalliques, etc. Les parties rythmiques sont obtenues grâce aux parasites provoqués par une machine à calculer sur une radio FM. Après quelques concerts dans le sud de la Belgique sous le nom de Radio Prague, Didié déménage à Huy où il rencontre Jules Nerbard a.k.a Shri Nerbard Petit Jr., qui devient le deuxième membre permanent du groupe. Une première cassette, sobrement intitulée "Quand j'ai entendu le bruit, je me suis dit : "Ca y est, c'est encore un camion…"", est publiée. https://archive.org/details/radio_prague_k7_camion Radio Prague participe alors activement au mouvement « mail art », au travers de cassette-labels tels qu’Insane Music, Home Produkt, The Sound of Pig, etc.
https://www.youtube.com/watch?v=77mswQFvBGE Le groupe fait ensuite l’acquisition d’instruments plus conventionnels, accueille de nouveaux membres, et prend une orientation plus commerciale (Electro Body Music) qui (hélas ?) n’aboutira pas vraiment : un album enregistré mais jamais distribué. Didié s'attache alors à d'autres projets: - Nietzsche, électro-punk neurasthénique (album "Dieu est mort, nous sommes Nietzsche" et nombreux concerts à Bruxelles, Dour, Nandrin, Francofolies de Spa, etc.) https://youtu.be/y9deW7yc6B8 - Participation au concert pour 100 guitares de Rhys Chatham à Mons https://www.youtube.com/watch?v=KIGE3-IJ0Es - Silicon Ballet, side-project utopique du groupe Showstar, dont le premier EP a été composé et enregistré en quinze jours (été 2011) dans une église, par des musiciens qui jusqu'alors ne se connaissaient pas. https://www.youtube.com/watch?v=OETW8KP8J7U - Ecriture de plusieurs morceaux pour Les Vedettes, groupe de majorettes électro-punk accompagnant régulièrement Philippe Katerine. https://www.youtube.com/watch?v=VYaOhN2rKQg - Collaborations et concerts avec le designer sonore franco-belge Christophe Bailleau (sous le nom de 11:60) https://soundcloud.com/11h60 - Nombreuses participations au site "A Tribute to Soulseekers" (http://atributetosoulseekers.blogspot.be/2015/02/carte-blanche-radio-prague-semaine-1.html), sous formes de musiques, de vidéos et élaboration d'un projet d'intelligence artificiellle. https://www.pandorabots.com/pandora/talk?botid=b3405fa14e34d2f2 - Début 2013, Didié participe au mixage de l'album "we could bring you silk in may", une collaboration entre 48 Cameras et Scanner. Des liens se créent, et Didié est finalement intégré au groupe comme membre à part entière jusqu'en 2015. https://48cameras.bandcamp.com/album/we-could-bring-you-silk-in-may - En 2016, Renata Kambarova, flûtiste de formation classique, se joint à Radio Prague. De nouveaux morceaux sont créés.Création d'une vidéo qui sera exposée à l'exposition "Digital Echoes" au Musée des Beaux-Arts de Mons, en marge de l'exposition "Premiers vidéastes Terry Fox-Bill Viola" https://www.youtube.com/watch?v=Ycpck27gBYY et à la cassette compilation « cassette art », à l’occasion de City Sonic, en remixant le premier morceau de la toute première cassette produite par le groupe.https://transonic-records.bandcamp.com/album/casette-art-1 . En mars 2017, participation de Radio Prague à une cassette-compilation publiée par le label Transonic, rassemblant des enregistrements effectués pendant le festival "Solstice" https://transonic-records.bandcamp.com/album/solstice . En Octobre 2019, sortie de "Déchu", un CD publié sur le label anglais Siren Wire: https://sirenwire.com/sw-editions/ - Fin 2016, Didié rejoint le groupe Icare (incluant plusieurs handicapés mentaux), où il se charge des boucles électro et effets divers. Nombreux concerts, puis sortie d'un album autoproduit en 2020: https://soundcloud.com/icare-music - En mars 2017, Didié commence une série de concerts solo dans l'univers virtuel Second Life, sous le nom de A Limb . Ce projet va se développer au fil des ans et prendre une place particulière durant le confinement. https://vimeo.com/532622053 . En 2018, une vidéo réalisée par Glasz Decuir sur une musique de A Limb gagne le coucours de machinimas (vidéos réalisées entièrement dans un monde virtuel) organisé par l'Université de Perth (Australie)
https://uwainsl.blogspot.com/2018/03/the-long-kiss-goodnight-finale-uwa.html - En 2018 il rejoint un collectif d'improvisation, Lab'OMFI, qui va rapidement essaimer en plusieurs projets distincts: - L'Odeur qui Chante, trio de chansons improvisées: https://youtu.be/Z4mnALWbMJI - Lama Phi, autre collectif d'impro, qui a poursuivi ses performances durant toute la durée du confinement: https://youtu.be/zmI0PUKPnzE - Neptunian Maximalism, groupe de jazz métal drone psychédélique. Nombreux concerts (Magasin 4, Botanique, festival RoadBurn et Guess Who aux Pays-Bas, Copenhague, Prague, Berlin,etc) https://www.youtube.com/watch?v=jo7vBoqvrZ0 et plusieurs albums publiés https://i-voidhangerrecords.bandcamp.com/album/solar-drone-ceremony -
ZaAar, quintette d'improvisation groovy. Concerts en Belgique et en Allemagne. Un album disponible: https://i-voidhangerrecords.bandcamp.com/album/magicka-dz-ungl-a. - En 2020, les concerts dans le multiverse (A Limb) et dans les rues de Bruxelles (LamaPhi) se poursuivent. Plusieurs vidéos réalisées sous plusieurs noms. Participation de A Limb à la chaîne Youtube "Nice Music from Other Worlds", dédiée à la musique "ambient" jouée par les artistes de Second Life. Plusieurs nouvelles vidéos sont en préparation, et un festival dans Second Life cet été. https://youtube.com/playlist?list=PL6YftcX19akNhpqL6hDyUglNc34oB7vQ7 - Depuis lors: - Didié effectue plusieurs résidences à Mons avec le projet Paradise Now. Sortie d'un EP en collaboration avec la poétesse/artiste/activiste Biba Sheik https://transonic-records.bandcamp.com/album/paradise-now-a-limb-transonic-lab-residency-ep-1 . Un album CD sera publié très bientôt.. - Publication d'une session d'impro de A Limb sous le label Transonic/No Lockdown Art https://transonic-records.bandcamp.com/track/mindfuck-live-at-cats-circus-second-life-18dec2020 - Sortie d'une vidéo, sous le même label et sur le même thème, en collaboration avec les artistes de Second Life SaveMe Oh et Glasz Decuir https://www.youtube.com/watch?v=TIsJBxf6dgU - Organisation d'un Festival Transonic trimestriel dans Second Life http://transcultures.be/2021/02/18/transonic-second-life-festival-1-cats-circus/ - Participation à la collection Transonic Video Art #1 https://transonic-records.bandcamp.com/track/cosmic-invertebrate-mindfuck-second-life-session - Participation (musique) à la vidéo de Jonathan Juste (Marc Veyrat i-REAL) "Monde 4 “ALICE“ https://www.youtube.com/watch?v=Sisqkz7BKm8 - Préparation d'un nouvel album de Radio Prague.
JEAN-MICHEL VAN SCHOUWBURG VOICE
Jean Michel Van Schouwburg Voice, performance, texts.
Biography updated 2022.
Born 1955. Jean-Michel Van Schouwburg develops vocal improvisation and voice extended techniques : jodels, deep throat singing, falsetto, mouth noises, imaginary languages,glissando pulses, phonemes, etc… He coined the word « phonoetry » (phonésie in french) to describe the kind of poésie sonore in his solo voice performance « ORYNX ». Solo voice performances in London, Lille, Nitra /Slovakia, Liège, Brno, Budapest, Gent, Rotterdam, Hannover, Assenede and Brussels.
Along the years worked extensively with Inaudible Collective since 1984, as a guitar player and switched gradually to vocals from 1996 onwards and focused on interactive and collective free improvisation as a vocalist.
Current groups and recordings with :
Sverdrup Balance with Yoko Miura & Lawrence Casserley since 2015 (UK, Italy, Belgium).
Sureau with bassist Jean Demey & Kris Vanderstraeten percussion since 2007 (Antwerp, Ghent, Leuven, Mechelen Brussels, Essen).
Mouthwind duo with Lawrence Casserley since 2010 (UK, Belgium,Czechia, Italy)
876 with violonist Matthias Boss & percussionnist Marcello Magliocchi plus Jean Demey while touring Italy, Austria & Hungary. I Belong to The Band w Zsolt Sörès, Adam Bohman and Oli Mayne. New trio with Ivo Perelman & Phil Minton (in UK).
Duos with: guitarists John Russell and Phil Gibbs, Adam Bohman on amplified objects, pianist Yoko Miura, violist Benedict Taylor and legendary percussionnist Sabu Toyozumi.
Performed also with Gianni Mimmo, Phil Wachsmann, Mike Goyvaerts Jacques Foschia, Marjolaine Charbin, Pascal Marzan, Audrey Lauro, Phil Minton, Ute Wassermann, Phil Durrant, Harri Sjöström, Günter Christmann, Elke Schipper, Kay Grant, Daniel Thompson, Guilherme Rodrigues and many others.
Toured United Kingdom (a lot), France, Italy, Germany, Austria, Hungary, Slovakia, Czechia, Slovenia, Spain… Music : http://soundcloud.com/jean-michelvanschouwburg Albums: www.orynx.bandcamp.com
JM VS has organized and contributed to hundreds of improvised music concerts, gigs and festivals around Brussels along decades. Writes currently on improvised music in his own Music blog : http://orynx-improvandsounds.blogspot.com
Prochainement / Next Concert SOLOS :
Mercredi 17 Mai : PASCAL MARZAN guitare microtonale - MATTIA MASOLINI contrebasse - GUIOM VAN ESPEN percussion
Mercredi 14 Juin : TOM JACKSON clarinette - KRIS VANDERSTRAETEN percussions - GASPER PIANO guitare .
10 avril 2023
Mein Freund Der Baum Paul Lovens Rudi Mahall Florian Stoffner/ Guylaine Cosseron & Lori Freedman / Guy Thouin & Aaron Leaney/ Roland Devocelle & Luc Bouquet/ Elisabeth Harnik & Zlatko Kaučič
Mein Freund Der Baum Paul Lovens Rudi Mahall Florian Stoffner Spontaneous Live Series D02
https://spontaneousliveseries.bandcamp.com/album/spontaneous-live-series-d02
Le batteur Paul Lovens a arrêté le service il y a environ deux ans et il nous laisse ici un moment inoubliable d’improvisation libre avec deux camarades exceptionnels. Le clarinettiste basse Rudi Mahall, sans doute le plus fascinant des clarinettistes basses vivants quelque soit le style ou le type de musique qu’il aborde. Le guitariste Florian Stoffner prolonge brillamment la démarche complexe d’un Derek Bailey en usant des nombreuses possibilités sonores, bruitistes et alternatives de la guitare électrique dans la libre improvisation. Paul et Florian ont aussi enregistré en duo (Tetratne - ezzthetics) peu après avoir publié Mein Freund Der Baum avec Rudi Mahall pour le label helvétique Wide Hear. Le titre de cet album est devenu le nom de ce trio qui a eu sans doute l’existence la plus courte parmi les associations les plus mémorables du percussionniste d’Aix – la Chapelle. Sa démarche épurée décompose les rythmes et le sens de la pulsation avec une palette sonore pointilliste et un travail minutieux, carrément maniaque sur la moindre frappe, le toucher, la résonnance, le rebond, une relation organique avec le silence, la qualité souvent inouïe des timbres. Tous ses gestes sont maîtrisés dans le moindre détail, évacuant mentalement les réflexes, tics et automatismes gestuels pour se concentrer sur chaque son émis dans l’instant Il accélère ou ralentit la cadence de ses micro-frappes sur la surface des cymbales ou des peaux avec une technique de sourdine personnelle instantanée, signature sonore de son jeu. Il nous fait découvrir une particularité résonnante insoupçonnée pour chacun des instruments objets percussifs qu’il touche et manipule. Son lexique percussif semble aussi simple qu’il est extraordinairement diversifié. Au cours de ses quatre Composed Improvisations (11 :33, 9 :03, 11:10, 2:30), le souffle intense de Rudi Mahall étire les notes et la sonorité expressive de sa clarinette basse comme s’il poursuivait un but lointain, une trame dont il livre, seconde après seconde, les mystères abyssaux de ses enchaînements, pépiements et morsures, hoquets et interjections en sursauts irréguliers, suivant une logique monkienne. Florian Stoffner déniaise la guitare et ses effets électroniques avec une palette sonore pointue qui se marie parfaitement avec celle du percussionniste, le quel lui laisse beaucoup d’espace dans le champ sonore pour qu’on puisse entendre les détails les plus ténus de ses contorsions guitaristiques. Stoffner a un sens inné du dosage dans ses interventions millimétrées qui cadre étonnamment avec la philosophie lovensienne. Durant sa longue carrière, Paul Lovens fut très peu associé avec des guitaristes, si ce n’est John Russell et c’est avec ravissement qu’on le découvre avec Florian Stoffner avant qu’il tire son ultime révérence. Dans ce contexte, l’idée d’avoir associé un souffleur comme Rudi Mahall à leur tandem pointilliste « abstrait » est géniale, car le sens mélodico-sonore de ce dernier met en valeur leurs interactions et les projette dans une perspective inouïe, celle qui échappe trop souvent au commun des mortels de la libre improvisation. Il ne suffit pas de « maîtriser » les techniques instrumentales radicales « alternatives » ou étendues ; cela devient fabuleux quand on leur donne un sens qui échappe à la raison logique, aux convenances, etc.. et l’évidence de la lumière pointe dans la grisaille.
Cet album est à situer au top de la production d’enregistrements incontournables de l’improvisation libre depuis ses débuts tant pour l’apport individuel des trois musiciens au point de vue du jeu collectif que pour la haute qualité instantanée dans le moindre instant vécu.
Guylaine Cosseron Lori Freedman Grace 2021 tour de bras – inexhaustible editions tdb90055/ie-52
https://inexhaustible-editions.com/ie-052/
https://inexhaustibleeditions.bandcamp.com/album/grace-2021
Collaboration franco-canadienne voix – clarinette : la chanteuse Guylaine Cosseron cultive une conception de la voix organique et ludique en utilisant de multiples points de vue ayant trait au chant, à la phonétique, à une poésie sonore instinctive, à l’expressivité non verbale suggérant des états d’âme, l’indicible face au travail sonore de la clarinettiste Lori Freedman qui fait chauffer et érailler les harmoniques, effets de souffle et borborymes de son instrument en Mib ou la clarinette basse. Il y a en jeu une grande spontanéité « anti » académique et une capacité de dialogue autant à l’écoute (intense) l’une de l’autre qu’une volonté d’indépendance et de création individuelle sur des chemins parallèles. Ceux-ci se rejoignent dans des instants peu prévisibles. Sa vocalité chantée et bruissante met en évidence la dimension buccale, gutturale et tous les éléments de l’organe vocal dans une dimension poétique : lèvres, dents, langue, palais, gosier en étirant parfois à l’extrême La démarche physique de la clarinettiste faites de cris modulés, de bruissements s’intègre à celle de sa collègue de manière qu’on entende clairement tout ce qui vient de la voix distinctement par rapport au travail de souffle. La connivence est optimale. Les deux dames n’ont aucun agenda mais une ouverture totale à l’instant qui surgit, se développe et enchaîne sur d’autres instants. Il n’y a aucun moment une attitude « posturière » d’avant-garde, mais avant tout un profond vécu expressif même quand la vocaliste semble torturer les entrailles de son gosier que la clarinettiste fait crier une harmonique martyrisée avec une réelle violence. Guylaine Cosseron est une artiste qui a su choisir une partenaire aussi allumée qu’elle-même et celle-ci, Lori Freedman a le chic de jouer le plus sincèrement du monde la contrepartie sans divaguer avec des effets virtuoses, complètement au service exclusif du drame qui se joue et se déjoue au fil de huit improvisations nommées par des prénoms féminins. Des chanteuses (?) katrina, wilma, jeanne, isabel, iris, opal, alicia et hazel. La musique de leur duo est tellement évidente qu’elle défile sans qu’on puisse en mesurer et en palper la durée. Le don du merveilleux. À écouter et réécouter à plusieurs reprises tant le plaisir rivalise avec l’intensité. Incontournable pour quiconque s'intéresse à la voix humaine dans le contexte de la libre improvisation
Lockdown Featuring Guy Thouin. Aaron Leaney & Guy “Yug” Thouin Astral Spirits LP
https://aaronleaney.bandcamp.com/album/lockdown-featuring-guy-thouin
Inspirée à la fois par le free-jazz afro-américain et les musiques du monde, la musique de Lockdown basée sur le concept du duo canadien saxophone (Aaron Leaney) – percussions (Guy Thouin), fait aussi appel à une considérable panoplie d’instruments et de rythmes dits « exotiques », certains venus de multiples cultures musicales africaines ou indiennes. Outre ses saxophones alto et ténor, Aaron Leaney joue aussi de la mbira africaine et de la flûte Fulani (ou Peul). Quant à Guy Thouin qui a aujourd’hui 83 ans, il est crédité drums, cymbals, kick drums, toms, tablas, cow bells, gongs & percussion et a introduit dans son jeu des rythmes complexes issus d’un apprentissage croisé de pulsations africaines et de talas Indiens du Nord. On entend curieusement une inspiration organique pas éloignée de la pratique polyrythmique (et de frappes) d’un Milford Graves, lequel avait intégré les foisonnements rythmiques africain, indien du nord et des natifs américains. Il y a a très longtemps, ce batteur a travaillé avec Robert Charlebois et fut un fondateur pionnier du groupe légendaire Jazz Libre du Québec. Il a vécu un peu partout en Inde ou ailleurs pour apprendre de première main les rythmes de la Terre, ces pratiques percussive et rythmique qui ont bouleversé la musique occidentale. Pour quiconque s’intéresse de près aux batteurs de la New Thing au sens large en commençant par Elvin Jones, Milford Graves, Han Bennink, Don Moye etc… Dans sa jeunesse, on peut imaginer que Guy « Yug » Thouin a dû être émerveillé par un Elvin Jones et s’est juré d’en rechercher les racines en Inde et ailleurs . Son travail, essentiel à mon avis, mérite qu’on l’écoute très attentivement. Son jeu est irrésistible, même s’il est un peu « didactique » : on y trouve là une pratique et une approche originale d’une grande profondeur qui s’écarte du jeu de batterie venu droit des écoles de musique et de conventions techniques (4/4) trop souvent reproduites mécaniquement. Sa musique s'est forgée à l'écoute des pratiques rythmiques des percussionnistes indiens qu'il a côtoyé de près. Un vécu très profond, une expérience de vie peu commune qui rejoint l'engagement de son cadet. Fort heureusement, Aaron Leaney est un solide saxophoniste qui fait un usage inspiré d’échelles modales et de techniques respiratoires avec une belle énergie. Ce musicien a des racines afro-caribéennes qui transpirent dans son souffle spiralé et puissant et ses capacités mélodiques originales. Son jeu expressif et intense fonctionne remarquablement bien avec ce percussionniste que devraient solliciter de nombreuses pointures du free-jazz américain en tournée au Canada. Il se fait que Yug Thouin est impliqué corps et âme dans la scène locale de Montréal et son HEart Ensemble. Il communique sa passion et transmet ses connaissances à de jeunes et moins jeunes musiciens avec la foi qui soulève les montagnes. C’est donc super qu’un label comme le bien nommé Astral Spirits publie leur album rassemblant neuf remarquables compositions très bien conçues autour des 4 – 5 minutes où les deux artistes créent un univers mélodico-rythmique « free » unique en son genre.
Je cite ici les notes descriptives de leur remarquable projet.
« Lockdown est le premier album en duo d'Aaron Leaney et du légendaire batteur Guy Thouin, pionnier du free-jazz québécois. Le jeu lyrique et multitextural du saxophone ténor et alto de Leaney est omniprésent, tout comme son jeu sur la mbira zimbabwéenne et la flûte flulani d'Afrique de l'Ouest. Le disque comprend à parts égales des compositions planifiées et profondément répétées par Leaney et Thouin, chacune avec sa propre saveur, brassées ensemble pour former une musique organique unique.
Il s'agit du premier enregistrement studio documenté de l'exploration de toute une vie de Thouin, 83 ans, en matière de sons et de rythmes, avec son installation hybride folklorique et bricolée derrière la batterie : double kick et frame drums, tablas, bols chantants tibétains, cloches, gongs japonais et cymbales. La musique se concentre profondément sur l'intersectionnalité de l'héritage indo-caribéen de Leaney, les multiples exodes de Thouin en Inde pour étudier avec le gourou du tabla Karamuthulla et leur approche commune en tant qu'improvisateurs de jazz malgré leur écart d'âge de quatre décennies. » À écouter absolument.
Roland Devocelle & Luc Bouquet Trapèze
https://devocelleroland.bandcamp.com/album/trap-ze
Auto-produit avec un don assez visionnaire. Titre de l’album : trapèze (acrobate équilibriste du son mais aussi des rythmes et mélodies qui sé délitent). Huit improvisations en duo saxophones batterie qui se décline au départ d’un saut au trapèze (12 :17 )en volte-face (9 :38) oblique (4 :55) vers l’élévation (13 :27) ou le lâcher prise (15 :10))dans un envol (3 :00) voltige (6 :12) pour un point de chute (7 :42). Roland Devocelle souffle et Luc Bouquet bat et frappe, tous deux en liberté en assumant leur rôle ludique et le vécu sincère qui les animent. Enregistré en hiver 2022, cette session « free » free-jazz improvisée détient une qualité essentielle, celle du dialogue véritable, de la connivence spontanée d’improvisateurs qui se comprennent, s’écoutent, s’inspirent et se complètent de A à Z en passant par toutes les vocalises, diphtongues, cris et chuchotements de leurs échanges passionnés. Les frappes sur les toms en roulements modulés avec amour font naître des inflexions vocales bleuies au fer rougeoyant , ce growl issu des ghettos ou des bayous. Avec ce langage « lingua franca » du jazz free percussions - saxophone tant sollicité, ils font vibrer l’essentiel et rendre leur vertu profonde à cette grammaire, cette syntaxe qui pourrait ressembler à un cliché éternel devient ce foyer qui se consume sans faiblir tout le sous-bois environnant, celui des mystères du jeu, de l’intensité et des valeurs humaines : mise en commun, partage, sincérité, foi en l’humain, celui des gens qui n’ont plus rien à perdre ou à gagner. Rien que dans les douze minutes de Trapèze (premier morceau), il y a plusieurs choses qui se passent, s’enchaînent, se démultiplient et se répondent. Roland Devocelle démontre très valablement à développer un élément « thématique » - canevas de quelques notes dans plusieurs arrangements spontanés expressifs et cohérents par lesquels notre attention chemine sans effort. Une belle évidence. Dans la volte-face qui suit, le batteur semble mener le jeu en faisant » parler ses fûts dans une belle narration inspirante dont le souffleur en imagine instantanément la parade idéale, les contrepoints anguleux et hautement expressifs en insistant sur un motif de deux ou trois notes qu’il assène avec son propre « jeu de batterie » intérieur. On aura l’impression d’avoir entendu cela quelque part dans nos jeunes années. Mais ces deux-là ont le métier, la gouaille, la conviction de revenir à l’an zéro du free – jazz quand Jimmy Lyons et Sunny Murray entraînaient Cecil dans l’aventure. Sans pour autant hésiter à chercher des sons dans l’absolu (oblique) ou de réitérer l’évidence bruissante en lui faisant traverser de belles occurrences sonores, grognées frottées, grattées pour atteindre le lyrisme béatifié (élévation) qui commence dans une douceur bluesy avec cymbales frémissantes et murmures de peaux assourdies vers une construction rondement menée vers l’éclatement du souffle saturé dans une belle mise en scène tranchante du duo. Là encore, pardon : il y a le métier et l’inspiration. Roland Devocelle est un mélodiste free avisé du sax (ici alto) qui vous fera passer une soirée merveilleuse, surtout en compagnie de son acolyte, l’émérite batteur Luc Bouquet qui crée de belles ambiances sonores avec de magnifiques points de chute. Après les quatre premières compositions – improvisations, on est déjà heureux, mais avec les morceaux suivants, on devient réellement surpris. Le morceau suivant , Lâcher prise, commence exactement comme il le devrait pour créer un vrai mystère , le contraste absolu mystère après le final puissant du morceau précédent. Crissements de cymbales et sifflements expressifs de l’anche tout à fait organiques !! Leur savoir-faire est incontournable ! Free-music de haut niveau qui sublime leur technique individuelle par un surcroit d’âme, de sagacité lucide. Tope-là ! Super !
Elisabeth Harnik & Zlatko Kaučič One Foot in the Air NotTwo MW1029-2
Concert autrichien de juin 2022 de la pianiste Elisabeth Harnik et du batteur Zlatko Kaučič paru avant qu’il ne se trouve accessible via internet ou un compte bandcamp. Basé sur le dialogue concentré, dynamique et tournoyant, One Foot in the Air laisse suggérer que nous avons affaire à une danse un pied en l’air. La pianiste imprime la cadence d’une chorégraphie spontanée avec un jeu rythmique basé sur la répétition en évolution constante (one foot in the air I), le batteur hyper actif maintenant la pression sans marquer le rythme tournoyant (6 minutes et silence). One foot in the air II : Harnik sollicite le clavier par petites touches alors que Kaucic intervient à peine de ci de là. De ces hésitations naît au fil de longues minutes un croisement d’ostinatos en crescendo qui s’intensifie et se clustérise au fur et à mesure, secondé par les frappes directes du batteur légèrement en retrait. Une fois, l’arc d’énergie atterrissant, l’initiative revient à Kaucic : tous deux , attentifs investiguent « les entrailles » de leurs instruments, grattent, frottent, crissent, cordes du piano bloquée , une boîte à musique égrène un fragment ténu de ritournelle. One foot in the air II s’allonge et l’ostinato tournoyant du piano trouve une solution mélodique spiralée par-dessus l’activité souterraine et bruissante du batteur. On approche les 15 minutes et demie avant que le duo s’enfonce dans le silence. Une bonne partie du public a compris qu’il ne faut pas applaudir : one foot in the air III commence au bord du silence , la pianiste avec les deux mains auscultant lentement la caisse de résonnance et les fils de cuivre spiralés autour des câbles graves. Sons ténus imitant la nature, courts sifflets d’oiseaux rares, zeste de flexitone, grincements lointains appliqués délicatement et vers la sixième minute, percussions de l’armature métallique, un pivert frappeur a pris possession du nid, grondements dans les cordages. De la syntaxe bruitiste naît la libre poésie des sons, marteau métallique sur la corde la plus aiguë et vers la 10ème minute les riffs cinglants et tournoyants au clavier dialoguent avec le marteau ivre sur les coups sourds de la grosse caisse et les fouaillements des cymbales. Accélération et crescendo rendement mené jusqu’à une fin abrupte. N.B. emprunts formels et évidents à Cecil Taylor. Cette remarquable suite instrumentale raconte une belle histoire et on n’entend pas passer le temps, tant les dialoguistes ont un vrai talent pour tenir les auditeurs en haleine. Zlatko Kaucic se révèle au mieux dans One foot in the air V. Mention spéciale pour la pianiste Elisabeth Harnik au talent considérable. Excellent !
https://spontaneousliveseries.bandcamp.com/album/spontaneous-live-series-d02
Le batteur Paul Lovens a arrêté le service il y a environ deux ans et il nous laisse ici un moment inoubliable d’improvisation libre avec deux camarades exceptionnels. Le clarinettiste basse Rudi Mahall, sans doute le plus fascinant des clarinettistes basses vivants quelque soit le style ou le type de musique qu’il aborde. Le guitariste Florian Stoffner prolonge brillamment la démarche complexe d’un Derek Bailey en usant des nombreuses possibilités sonores, bruitistes et alternatives de la guitare électrique dans la libre improvisation. Paul et Florian ont aussi enregistré en duo (Tetratne - ezzthetics) peu après avoir publié Mein Freund Der Baum avec Rudi Mahall pour le label helvétique Wide Hear. Le titre de cet album est devenu le nom de ce trio qui a eu sans doute l’existence la plus courte parmi les associations les plus mémorables du percussionniste d’Aix – la Chapelle. Sa démarche épurée décompose les rythmes et le sens de la pulsation avec une palette sonore pointilliste et un travail minutieux, carrément maniaque sur la moindre frappe, le toucher, la résonnance, le rebond, une relation organique avec le silence, la qualité souvent inouïe des timbres. Tous ses gestes sont maîtrisés dans le moindre détail, évacuant mentalement les réflexes, tics et automatismes gestuels pour se concentrer sur chaque son émis dans l’instant Il accélère ou ralentit la cadence de ses micro-frappes sur la surface des cymbales ou des peaux avec une technique de sourdine personnelle instantanée, signature sonore de son jeu. Il nous fait découvrir une particularité résonnante insoupçonnée pour chacun des instruments objets percussifs qu’il touche et manipule. Son lexique percussif semble aussi simple qu’il est extraordinairement diversifié. Au cours de ses quatre Composed Improvisations (11 :33, 9 :03, 11:10, 2:30), le souffle intense de Rudi Mahall étire les notes et la sonorité expressive de sa clarinette basse comme s’il poursuivait un but lointain, une trame dont il livre, seconde après seconde, les mystères abyssaux de ses enchaînements, pépiements et morsures, hoquets et interjections en sursauts irréguliers, suivant une logique monkienne. Florian Stoffner déniaise la guitare et ses effets électroniques avec une palette sonore pointue qui se marie parfaitement avec celle du percussionniste, le quel lui laisse beaucoup d’espace dans le champ sonore pour qu’on puisse entendre les détails les plus ténus de ses contorsions guitaristiques. Stoffner a un sens inné du dosage dans ses interventions millimétrées qui cadre étonnamment avec la philosophie lovensienne. Durant sa longue carrière, Paul Lovens fut très peu associé avec des guitaristes, si ce n’est John Russell et c’est avec ravissement qu’on le découvre avec Florian Stoffner avant qu’il tire son ultime révérence. Dans ce contexte, l’idée d’avoir associé un souffleur comme Rudi Mahall à leur tandem pointilliste « abstrait » est géniale, car le sens mélodico-sonore de ce dernier met en valeur leurs interactions et les projette dans une perspective inouïe, celle qui échappe trop souvent au commun des mortels de la libre improvisation. Il ne suffit pas de « maîtriser » les techniques instrumentales radicales « alternatives » ou étendues ; cela devient fabuleux quand on leur donne un sens qui échappe à la raison logique, aux convenances, etc.. et l’évidence de la lumière pointe dans la grisaille.
Cet album est à situer au top de la production d’enregistrements incontournables de l’improvisation libre depuis ses débuts tant pour l’apport individuel des trois musiciens au point de vue du jeu collectif que pour la haute qualité instantanée dans le moindre instant vécu.
Guylaine Cosseron Lori Freedman Grace 2021 tour de bras – inexhaustible editions tdb90055/ie-52
https://inexhaustible-editions.com/ie-052/
https://inexhaustibleeditions.bandcamp.com/album/grace-2021
Collaboration franco-canadienne voix – clarinette : la chanteuse Guylaine Cosseron cultive une conception de la voix organique et ludique en utilisant de multiples points de vue ayant trait au chant, à la phonétique, à une poésie sonore instinctive, à l’expressivité non verbale suggérant des états d’âme, l’indicible face au travail sonore de la clarinettiste Lori Freedman qui fait chauffer et érailler les harmoniques, effets de souffle et borborymes de son instrument en Mib ou la clarinette basse. Il y a en jeu une grande spontanéité « anti » académique et une capacité de dialogue autant à l’écoute (intense) l’une de l’autre qu’une volonté d’indépendance et de création individuelle sur des chemins parallèles. Ceux-ci se rejoignent dans des instants peu prévisibles. Sa vocalité chantée et bruissante met en évidence la dimension buccale, gutturale et tous les éléments de l’organe vocal dans une dimension poétique : lèvres, dents, langue, palais, gosier en étirant parfois à l’extrême La démarche physique de la clarinettiste faites de cris modulés, de bruissements s’intègre à celle de sa collègue de manière qu’on entende clairement tout ce qui vient de la voix distinctement par rapport au travail de souffle. La connivence est optimale. Les deux dames n’ont aucun agenda mais une ouverture totale à l’instant qui surgit, se développe et enchaîne sur d’autres instants. Il n’y a aucun moment une attitude « posturière » d’avant-garde, mais avant tout un profond vécu expressif même quand la vocaliste semble torturer les entrailles de son gosier que la clarinettiste fait crier une harmonique martyrisée avec une réelle violence. Guylaine Cosseron est une artiste qui a su choisir une partenaire aussi allumée qu’elle-même et celle-ci, Lori Freedman a le chic de jouer le plus sincèrement du monde la contrepartie sans divaguer avec des effets virtuoses, complètement au service exclusif du drame qui se joue et se déjoue au fil de huit improvisations nommées par des prénoms féminins. Des chanteuses (?) katrina, wilma, jeanne, isabel, iris, opal, alicia et hazel. La musique de leur duo est tellement évidente qu’elle défile sans qu’on puisse en mesurer et en palper la durée. Le don du merveilleux. À écouter et réécouter à plusieurs reprises tant le plaisir rivalise avec l’intensité. Incontournable pour quiconque s'intéresse à la voix humaine dans le contexte de la libre improvisation
Lockdown Featuring Guy Thouin. Aaron Leaney & Guy “Yug” Thouin Astral Spirits LP
https://aaronleaney.bandcamp.com/album/lockdown-featuring-guy-thouin
Inspirée à la fois par le free-jazz afro-américain et les musiques du monde, la musique de Lockdown basée sur le concept du duo canadien saxophone (Aaron Leaney) – percussions (Guy Thouin), fait aussi appel à une considérable panoplie d’instruments et de rythmes dits « exotiques », certains venus de multiples cultures musicales africaines ou indiennes. Outre ses saxophones alto et ténor, Aaron Leaney joue aussi de la mbira africaine et de la flûte Fulani (ou Peul). Quant à Guy Thouin qui a aujourd’hui 83 ans, il est crédité drums, cymbals, kick drums, toms, tablas, cow bells, gongs & percussion et a introduit dans son jeu des rythmes complexes issus d’un apprentissage croisé de pulsations africaines et de talas Indiens du Nord. On entend curieusement une inspiration organique pas éloignée de la pratique polyrythmique (et de frappes) d’un Milford Graves, lequel avait intégré les foisonnements rythmiques africain, indien du nord et des natifs américains. Il y a a très longtemps, ce batteur a travaillé avec Robert Charlebois et fut un fondateur pionnier du groupe légendaire Jazz Libre du Québec. Il a vécu un peu partout en Inde ou ailleurs pour apprendre de première main les rythmes de la Terre, ces pratiques percussive et rythmique qui ont bouleversé la musique occidentale. Pour quiconque s’intéresse de près aux batteurs de la New Thing au sens large en commençant par Elvin Jones, Milford Graves, Han Bennink, Don Moye etc… Dans sa jeunesse, on peut imaginer que Guy « Yug » Thouin a dû être émerveillé par un Elvin Jones et s’est juré d’en rechercher les racines en Inde et ailleurs . Son travail, essentiel à mon avis, mérite qu’on l’écoute très attentivement. Son jeu est irrésistible, même s’il est un peu « didactique » : on y trouve là une pratique et une approche originale d’une grande profondeur qui s’écarte du jeu de batterie venu droit des écoles de musique et de conventions techniques (4/4) trop souvent reproduites mécaniquement. Sa musique s'est forgée à l'écoute des pratiques rythmiques des percussionnistes indiens qu'il a côtoyé de près. Un vécu très profond, une expérience de vie peu commune qui rejoint l'engagement de son cadet. Fort heureusement, Aaron Leaney est un solide saxophoniste qui fait un usage inspiré d’échelles modales et de techniques respiratoires avec une belle énergie. Ce musicien a des racines afro-caribéennes qui transpirent dans son souffle spiralé et puissant et ses capacités mélodiques originales. Son jeu expressif et intense fonctionne remarquablement bien avec ce percussionniste que devraient solliciter de nombreuses pointures du free-jazz américain en tournée au Canada. Il se fait que Yug Thouin est impliqué corps et âme dans la scène locale de Montréal et son HEart Ensemble. Il communique sa passion et transmet ses connaissances à de jeunes et moins jeunes musiciens avec la foi qui soulève les montagnes. C’est donc super qu’un label comme le bien nommé Astral Spirits publie leur album rassemblant neuf remarquables compositions très bien conçues autour des 4 – 5 minutes où les deux artistes créent un univers mélodico-rythmique « free » unique en son genre.
Je cite ici les notes descriptives de leur remarquable projet.
« Lockdown est le premier album en duo d'Aaron Leaney et du légendaire batteur Guy Thouin, pionnier du free-jazz québécois. Le jeu lyrique et multitextural du saxophone ténor et alto de Leaney est omniprésent, tout comme son jeu sur la mbira zimbabwéenne et la flûte flulani d'Afrique de l'Ouest. Le disque comprend à parts égales des compositions planifiées et profondément répétées par Leaney et Thouin, chacune avec sa propre saveur, brassées ensemble pour former une musique organique unique.
Il s'agit du premier enregistrement studio documenté de l'exploration de toute une vie de Thouin, 83 ans, en matière de sons et de rythmes, avec son installation hybride folklorique et bricolée derrière la batterie : double kick et frame drums, tablas, bols chantants tibétains, cloches, gongs japonais et cymbales. La musique se concentre profondément sur l'intersectionnalité de l'héritage indo-caribéen de Leaney, les multiples exodes de Thouin en Inde pour étudier avec le gourou du tabla Karamuthulla et leur approche commune en tant qu'improvisateurs de jazz malgré leur écart d'âge de quatre décennies. » À écouter absolument.
Roland Devocelle & Luc Bouquet Trapèze
https://devocelleroland.bandcamp.com/album/trap-ze
Auto-produit avec un don assez visionnaire. Titre de l’album : trapèze (acrobate équilibriste du son mais aussi des rythmes et mélodies qui sé délitent). Huit improvisations en duo saxophones batterie qui se décline au départ d’un saut au trapèze (12 :17 )en volte-face (9 :38) oblique (4 :55) vers l’élévation (13 :27) ou le lâcher prise (15 :10))dans un envol (3 :00) voltige (6 :12) pour un point de chute (7 :42). Roland Devocelle souffle et Luc Bouquet bat et frappe, tous deux en liberté en assumant leur rôle ludique et le vécu sincère qui les animent. Enregistré en hiver 2022, cette session « free » free-jazz improvisée détient une qualité essentielle, celle du dialogue véritable, de la connivence spontanée d’improvisateurs qui se comprennent, s’écoutent, s’inspirent et se complètent de A à Z en passant par toutes les vocalises, diphtongues, cris et chuchotements de leurs échanges passionnés. Les frappes sur les toms en roulements modulés avec amour font naître des inflexions vocales bleuies au fer rougeoyant , ce growl issu des ghettos ou des bayous. Avec ce langage « lingua franca » du jazz free percussions - saxophone tant sollicité, ils font vibrer l’essentiel et rendre leur vertu profonde à cette grammaire, cette syntaxe qui pourrait ressembler à un cliché éternel devient ce foyer qui se consume sans faiblir tout le sous-bois environnant, celui des mystères du jeu, de l’intensité et des valeurs humaines : mise en commun, partage, sincérité, foi en l’humain, celui des gens qui n’ont plus rien à perdre ou à gagner. Rien que dans les douze minutes de Trapèze (premier morceau), il y a plusieurs choses qui se passent, s’enchaînent, se démultiplient et se répondent. Roland Devocelle démontre très valablement à développer un élément « thématique » - canevas de quelques notes dans plusieurs arrangements spontanés expressifs et cohérents par lesquels notre attention chemine sans effort. Une belle évidence. Dans la volte-face qui suit, le batteur semble mener le jeu en faisant » parler ses fûts dans une belle narration inspirante dont le souffleur en imagine instantanément la parade idéale, les contrepoints anguleux et hautement expressifs en insistant sur un motif de deux ou trois notes qu’il assène avec son propre « jeu de batterie » intérieur. On aura l’impression d’avoir entendu cela quelque part dans nos jeunes années. Mais ces deux-là ont le métier, la gouaille, la conviction de revenir à l’an zéro du free – jazz quand Jimmy Lyons et Sunny Murray entraînaient Cecil dans l’aventure. Sans pour autant hésiter à chercher des sons dans l’absolu (oblique) ou de réitérer l’évidence bruissante en lui faisant traverser de belles occurrences sonores, grognées frottées, grattées pour atteindre le lyrisme béatifié (élévation) qui commence dans une douceur bluesy avec cymbales frémissantes et murmures de peaux assourdies vers une construction rondement menée vers l’éclatement du souffle saturé dans une belle mise en scène tranchante du duo. Là encore, pardon : il y a le métier et l’inspiration. Roland Devocelle est un mélodiste free avisé du sax (ici alto) qui vous fera passer une soirée merveilleuse, surtout en compagnie de son acolyte, l’émérite batteur Luc Bouquet qui crée de belles ambiances sonores avec de magnifiques points de chute. Après les quatre premières compositions – improvisations, on est déjà heureux, mais avec les morceaux suivants, on devient réellement surpris. Le morceau suivant , Lâcher prise, commence exactement comme il le devrait pour créer un vrai mystère , le contraste absolu mystère après le final puissant du morceau précédent. Crissements de cymbales et sifflements expressifs de l’anche tout à fait organiques !! Leur savoir-faire est incontournable ! Free-music de haut niveau qui sublime leur technique individuelle par un surcroit d’âme, de sagacité lucide. Tope-là ! Super !
Elisabeth Harnik & Zlatko Kaučič One Foot in the Air NotTwo MW1029-2
Concert autrichien de juin 2022 de la pianiste Elisabeth Harnik et du batteur Zlatko Kaučič paru avant qu’il ne se trouve accessible via internet ou un compte bandcamp. Basé sur le dialogue concentré, dynamique et tournoyant, One Foot in the Air laisse suggérer que nous avons affaire à une danse un pied en l’air. La pianiste imprime la cadence d’une chorégraphie spontanée avec un jeu rythmique basé sur la répétition en évolution constante (one foot in the air I), le batteur hyper actif maintenant la pression sans marquer le rythme tournoyant (6 minutes et silence). One foot in the air II : Harnik sollicite le clavier par petites touches alors que Kaucic intervient à peine de ci de là. De ces hésitations naît au fil de longues minutes un croisement d’ostinatos en crescendo qui s’intensifie et se clustérise au fur et à mesure, secondé par les frappes directes du batteur légèrement en retrait. Une fois, l’arc d’énergie atterrissant, l’initiative revient à Kaucic : tous deux , attentifs investiguent « les entrailles » de leurs instruments, grattent, frottent, crissent, cordes du piano bloquée , une boîte à musique égrène un fragment ténu de ritournelle. One foot in the air II s’allonge et l’ostinato tournoyant du piano trouve une solution mélodique spiralée par-dessus l’activité souterraine et bruissante du batteur. On approche les 15 minutes et demie avant que le duo s’enfonce dans le silence. Une bonne partie du public a compris qu’il ne faut pas applaudir : one foot in the air III commence au bord du silence , la pianiste avec les deux mains auscultant lentement la caisse de résonnance et les fils de cuivre spiralés autour des câbles graves. Sons ténus imitant la nature, courts sifflets d’oiseaux rares, zeste de flexitone, grincements lointains appliqués délicatement et vers la sixième minute, percussions de l’armature métallique, un pivert frappeur a pris possession du nid, grondements dans les cordages. De la syntaxe bruitiste naît la libre poésie des sons, marteau métallique sur la corde la plus aiguë et vers la 10ème minute les riffs cinglants et tournoyants au clavier dialoguent avec le marteau ivre sur les coups sourds de la grosse caisse et les fouaillements des cymbales. Accélération et crescendo rendement mené jusqu’à une fin abrupte. N.B. emprunts formels et évidents à Cecil Taylor. Cette remarquable suite instrumentale raconte une belle histoire et on n’entend pas passer le temps, tant les dialoguistes ont un vrai talent pour tenir les auditeurs en haleine. Zlatko Kaucic se révèle au mieux dans One foot in the air V. Mention spéciale pour la pianiste Elisabeth Harnik au talent considérable. Excellent !
31 mars 2023
Dave Burrell Bobby Kapp Ivo Perelman/ Enzo Rocco/ Nicolà Guazzaloca & Gianni Mimmo / Miman Egyl T. Kalmann Hans P. Kjorstadt Andreas Hoem Røysum
Trichotomy Dave Burrell Bobby Kapp Ivo Perelman Mahakala Music
https://ivoperelman.bandcamp.com/album/trichotomy
Deux vétérans de l’an zéro du free-jazz New-Yorkais et leur vécu et le saxophoniste Brésilien de la deuxième génération suivante, Ivo Perelman. Dave Burrell était un des pianistes clé de la révolution du free-jazz (New Thing) dès le début des années soixante, on le découvre en compagnie de Pharoah Sanders dans l’album Tauhid (avec Henry Grimes, Sonny Sharrock 1967), avec Linda & Sonny Sharrock dans Black Woman (avec Milford Graves,Ted Daniel et Sirone, 1969) et il a joué dans les groupes d’Archie Shepp de la première moitié des années septante et par la suite avec David Murray. Outre ses deux albums BYG ( Echo et La Bohême), Dave Burrell a enregistré et publié l’album « High » en 1968 pour Douglas où il livre une version légendaire de West Side Story sur la face A du disque et des East Side Colors sur la face B accompagné d’un « A.M. Rag » , Margie Pargie où officie Sunny Murray. Dans tout le reste de la session West Side et East Side plus les inédits publiés plus tard, c’est l’obscur batteur Bobby Kapp qui tient la batterie avec Sirone à la contrebasse. Ce Bobby Kapp joue aussi dans l’album ESP « In Search of Mystery” de Gato Barbieri, l'album de Gato le plus “free” enregistré en 1967 avec Sirone / Norris Jones et le violoncelliste Calo Scott. Disparu au Mexique, ce batteur vétéran refait surface il y a quelques années en trio avec Ivo Perelman et Matthew Shipp dans les albums The Art of Perelman-Shipp vol. 2 « Tarvos», ainsi que Heptagon (Leo Rds) et Ineffable Joy (ESP) avec William Parker à la contrebasse. Et Bobby Kapp se révèle être un batteur (free) parmi les meilleurs, avec une exquise qualité de toucher des frappes avec de superbes nuances et un super sens du tempo, des solutions polyrythmiques voisines du Tony Williams « free ». Revenons aux premiers enregistrements de Dave Burrell avec Bobby Kapp et le long morceau avec Sunny Murray. Ils avaient été réédités par Arista Freedom et Michael Cuscuna en double LP incluant deux versions de chacune des compositions qui font partie du Medley « Theme Stream ». On le trouve en CD publié par Black Lion (Alan Bates) sous le titre High Won – High Two . Cette musique de 1968 mérite d’être réécoutée à la lumière de cette nouvelle Trichotomy. Dave Burrell est un cas d’école dans le free-jazz. Quand il joue « free » comme dans ce superbe Trichotomy son jeu baigne toujours dans une vision de la musique populaire afro-américaine similaire à celle qu’il l’a vécue et conçue en 1968 avec son ami Bobby Kapp et qu’il avait alors confiée à la bande magnétique. Important : sa musique n’est pas vraiment une héritière des Bud Powell, Red Garland, etc… mais trouve ses racines chez les pianistes de boogie, de minstrels, de rythm n’blues etc… On l’entend jouer « vraiment » free dans East Side Colors en compagnie de Sunny Murray où il déborde les barres de mesure avec un jeu post-monkien fait de clusters joyeux, de voicing désarticulés, des mouvements amples reposant sur une scansion tournoyantes de graves majestueux et de vagues de notes navigant à vue autour de centre tonaux ou charriant des paquets de dissonances martelées, atonalité épidermique. Rappelons aussi que Dave Burrell est un des neuf pianistes qui a enregistré Brass and Ivory Tales en duo avec Ivo Perelman (coffret 9CD Fundacja Sluchaj)
Depuis cette époque qu’il fallait que j’évoque, le jeu free de Burrell s’est raffiné, articulé et prompt au dialogue empathique. C’est donc un vrai bonheur de l’entendre avec ce batteur sensible qu'est Bobby Kapp et distingué et le saxophone ténor fumant d’Ivo Perelman. Les harmoniques du ténor s’élèvent et spiralent dans un lyrisme unique et se marient merveilleusement au jeu basique, terrien et inspiré de Burrell. Ils se trouvent l'un l'autre dans l’articulation sautillante et ludique d’ostinatos en roue libre où le souffleur peut laisser libre cours à ses cris suraigus et expressifs et à son invention mélodique. La caisse claire et les cymbales de Bobby Kapp en rugissent de plaisir, l’esprit du batteur vif-argent suit et anticipe les pulsations organiques de ses deux compères. Burrell est un connaisseur savant des harmonies ancré dans l’esprit et la pratique de la musique populaire afro-américaine et son bagage classique. Durant les longues trente minutes de One, il s’affirme comme un pianiste free jonglant avec la matière rythmique des décalages main gauche – main droite rejoignant parfois l’Irene Schweizer du trio historique avec Louis Moholo et Rudiger Carl. Toute son attention est concentrée sur l’équilibre instable et tournoyant du trio se refusant à « soloïser » car il joue la carte collective, celle de la construction triangulaire mouvante à base d’accords concentriques empilés, tuilés, enchaînés en écho, réitérés à l’envi : à la fois construction pyramidale infinie, ressac de pavés sous les vagues ascendantes d’une marée haute infinie par dessus des abysses invisibles, énorme serpent entourant les fûts vibrants de son vieux camarade. Ivo Perelman n’a plus qu’à se laisser emporter par ce flux puissant tout en nourrissant l’imagination de ses compagnons par ses volutes déchirantes et ses inflexions étirant les notes aiguës jouées au-dessus de la tessiture du sax ténor. Du cri Aylérien des Ghosts et Spirits, il s’est inventé une langue « brésilienne » lyrique et tragique, souple et mordante, imprégée de saudade. Lorsque le souffleur fait une pause, la batterie crépite au plus près d’une pulsation obsessionnelle et les doigts du pianiste sursautent à l’instar de ces pianistes free européens qui perçoivent une brèche dans le flux`inexorable. Mais enchaînant avec son comping cosmique d’accords granitiques, Dave Burrell imprime encore irrévocablement sa marque en tournoyant dans les sphères des harmonies, avant que le souffle vaporeux d’Ivo l’aide, lui et Bobby Kapp, à atterrir. Il faut noter que le style enveloppant de Dave Burrell basé sur la pression puissante des touches basses du piano offre un champ d’action ouvert dans l’espace sonore du trio à ces deux camarades : la batterie aux cymbales cristallines et à la caisse claire crépitante et les spirales microtonales et morsures du bec du saxophoniste, un des plus lyriques sax ténor qui soit. Il y a donc une lisibilité quasi-transparente dans leur masse sonore qui éclaire le jeu de chacun. Fort heureusement, c’est un tout autre décor qui nous attend dans les quinze minutes de Two, une improvisation libre où chacun s’observe méticuleusement et propose graduellement un trilogue, le batteur aux cymbales et puis seulement aux balais , le saxophoniste articulant en double et triple détaché petit à petit parsemés de cris – pleurs dans cet ultra aigu qu’il fait chanter comme personne, alors, qu’impassible, le pianiste balise lentement les contours d’une ballade imaginaire avec des notes graves qui croulent sous leur poids. Chaque séquence successive est négociée spontanément et forme une suite à la fois plus aérée et plus dense de sens. La spirale s’emballe, se tord et nous renvoie à nos fantômes. Un album exemplaire qui révèle de brillants artistes dans un superbe travail collectif.
Scraps , very old and almost new solo guitar pieces Enzo Rocco digital album
https://enzorocco.bandcamp.com/album/scraps-very-old-and-almost-new-solo-guitar-pieces
Une superbe anthologie de compositions improvisations d’Enzo Rocco à la guitare électrique sans fioritures électroniques, ni effet. Purement « musical » , son travail est focalisé sur l’extension des possibilités harmoniques et mélodico rythmiques basée sur une notion du swing qui ignore les barres de mesure tout en en tenant compte. La plupart des morceaux sont assez courts, parfois très, un seul, une longue ballade distendue, atteint les dix minutes (Remix Suite n°2). Ces témoignages précieux ont été recueillis à différentes périodes de ces vingt dernières années et plus. Pour information, Enzo Rocco a souvent travaillé avec le saxophoniste Carlo Actis Dato, une personnalité atypique dont la musique a fait le tour du monde, et a enregistré « the London Duos " avec Lol Coxhill, Veryan Weston, John Edwards et Steve Noble en 1999, à l’époque où ces deux derniers n'étaient aussi demandés qu’ils le sont aujourd’hui. Ce témoignage réalisé grâce à l’accueil de son ami John Russell (R.I.P.) donne toute la mesure de l’énergie et du charisme de ce super guitariste méridional , pas loin d’un Joe Morris. Par la suite, il grava the Gradisca Concert avec Lol Coxhill, mémorable ! (Label Amirani). Notre trio Sureau a partagé le cd « the Leuven Concert » avec le duo d’Enzo et du saxophoniste soprano Gianni Mimmo. Il s’est trouvé un critique (Français « non-idiomatique ») pour louanger notre trio et déconsidérer le travail d’Enzo, sans doute parce que plus « conventionnel » ou « idiomatique». Il se fait que John Russell, archétype de l’improvisateur «non-idiomatique»a toujours eu la plus haute estime pour Enzo Rocco : cet album se termine d’ailleurs par Dear John dans le style Russellien – Derek « acoustique » frappadingue. En fait, selon John Russell, le style de Derek Bailey (et le sien) est basé sur les positions des doigts de la main gauche des accords augmentés – diminués, septième,neuvième, majeur- mineur (etc…) de la guitare jazz swing / be-bop revue par les conceptions harmoniques avancées des Bill Evans et consorts et mis à la sauce « atonale » schönberg-webernienne chère à Derek (et John Stevens !). Dans la musique d’Enzo Rocco, lequel a un background jazz similaire, la recherche se fait au niveau de motifs mélodico-rythmiques qu’il déforme, déconstruit et reconstruit méthodiquement en chamboulant adroitement quelques paramètres qui en bouleversent la perspective.
Avant d’ouvrir grand sa gueule pour dire ou écrire des conneries sur le dos de collègues, il faut être assez adulte pour comprendre les intentions esthétiques d’un artiste. Si je dois moi-même disséquer les attitudes et élucubrations de certains, on va rire. Un peu de respect quand-même ! Bref, les seize secondes de Introibo suggèrent habilement l’influence d’Ornette Coleman et de la femme solitaire. Le note à note de Peaches Brew false start en montagne russe et détours harmoniques est admirable de concision, mais une autre version « réussie » est proposée plus loin. Strings Study n°1 cultive l’art du glissando enchaîné avec une logique remarquable. Les fanas de l’harmolodisme ornettien pourraient bien se pencher sur ses miniatures, de véritables leçons de choses guitaristiques « free » lumineuses. Thumbs : jeu ahanant à coups de pouce en cascade et toujours cette logique implacable qui a l’art de dérailler, surprendre et ânonner à la fois. Myxolidian Study est assez décoiffant, un véritable morceau d’anthologie. Ce qui est remarquable c’est l’extrême concision qui tire un maximum de ces motifs mélodico – rythmiques en moins de temps qu’il ne faut pour le dire (ou l'écrire). Cette conception du temps court est l’ennemie du bavardage. Tout est concentré le temps d'une face de 45 tours. Voudriez-vous convaincre un jeune guitariste qui se cherche dans les arcanes de la créativité « free » cet album Scraps (traduit : restes , rebuts) est le premier choix. Hanging Harmonics est une étude sur les harmoniques, technique hyper utilisée par Derek Bailey de manière absolument extraordinaire et toujours inégalée. Ok ici ! Peaches Brew est l’archétype de la scansion d’un hymne free hérissé sur ses ergots avec des accents placés sur des temps intermédiaires et une science accomplie du zig zag qui tournoie de plaisir. Hi – Lo est joué avec une sourdine manuelle absolument délicieuse, ligne de basses et ligne d’aigus simultanées. Le genre de truc qu’un super guitariste de studio est appelé à faire illico presto, mais chez Enzo, il y a une expression artistique indéniable. Je vais m’arrêter là dans les descriptions. Voilà un guitariste créatif parmi les meilleurs d’Europe. Vous pensez bien que si Lol Coxhill adorait jouer avec lui , c’est qu’Enzo Rocco est un guitariste inventif lumineux et un créateur sincère et fûté.
Nicola Guazzaloca & Gianni Mimmo Herbstreise Amirani amrn 071
https://www.amiranirecords.com/editions/herbstreise
Tout comme de nombreux jazzmen pianistes ou saxophonistes de Jazz ont puisé dans le thesaurus et les conceptions monkiennes pour créer leurs musiques, au premier chef Steve Lacy (mais aussi Rollins, Coltrane), Gianni Mimmo s’est largement inspiré de Steve Lacy, lui – même, dans le cadre de l’improvisation instantanée au saxophone soprano. Quoi de plus légitime ! Son travail au saxophone est plus que remarquable, virtuose aussi et subtil. Avec son ami, le pianiste Nicolà Guazzaloca, Gianni Mimmo crée ici un ensemble structuré de dix-sept improvisations / compositions très courtes subdivisées en trois chapitres : une introduction de trois miniatures : A Silver Lining (2:23) : vif et sinueux, Unsailed Ship , (1:35) en suspension, et However Negligible (1:17) sautillant. Une deuxième partie intitulée RAINS où il est question parmi sept pièces de Those Rainy Days (2:14), Late Rain (2:03), The Rain of the Last Few Days (2:56). Dans l’une d’elles, le pianiste évoque adroitement l’effet produit par la chute de gouttes de pluie tombant sur un sol résonnant. Les sept derniers morceaux sont rassemblés sous le titre de FOUR LIEDER. C’est un excellent album, le genre d’albums qui va plus loin qu’une tentative, qu’une documentation, qu’une carte de visite. Mais celui d’un témoignage essentiel à conserver soigneusement dans sa collection. Ce n’est pas la première fois que Gianni Mimmo et Nicolas Guazzaloca travaillent et enregistrent ensemble : The Shoreditch Concert (2009 amirani AMRN 023) et the Shoreditch Trio Live in Brussels (2010 amirani AMRN 29) avec la violoncelliste Hannah Marshall. Nicola Guazzaloca est aussi le graphiste en chef du label Amirani et y a publié une série impressionnante d’albums en solo (Tecniche Archaiche, Techniche Archaiche Live at Angelica) ou en duos (Lucca & Bologna Concerts avec l’altiste Szilard Mezei et Noble Art avec le pianiste Thollem Mc Donas). Après avoir travaillé intensément avec le pianiste Gianni Lenoci jusqu'à sa disparition il y a quelques années, Gianni Mimmo trouve en Guazzaloca l’alter-ego idéal et quel pianiste !
Équipé au point de vue technique, création de formes et inspiration instantanée, ce pianiste force le respect et l’enthousiasme sur la longue distance de l’improvisation comme on peut le découvrir dans ses albums solos formidablement construits et détaillés. Avec Mimmo, le pianiste reconsidère son jeu, le concentre au maximum et l’adapte savamment pour coïncider aux intentions et aux affects du souffleur et aux contingences des formes courtes où la quintessence doit être exprimée en deux minutes, pour ensuite passer à une autre approche à chaque morceau suivant, l’ensemble de l’album ayant été enregistré le 22 février 2022. Au fil des pièces enregistrées en une seule session, on entend se soulever un crescendo intérieur qui transcende l’énergie, l’expressivité et la connivence intime des deux artistes. Si on dit que Gianni Mimmo « est un élève » (copiste ?) de Steve Lacy, il faut alors constater que ce saxophoniste italien a acquis toutes les clés du dialogue interactif avec un tout grand pianiste, grand maître de la libre improvisation instantanée, et à deux ils créent ici un modèle de dialogue sax – piano où chacun des instrumentistes est un créateur dans un processus de liberté et d’égalité partagée jointes à une inspiration confondante. L'inspiration Lacy-enne est ici entièrement re-contextualisée. Je vous défie de trouver beaucoup d’équivalents dans la discographie du « free-jazz » ou de la « free-music » dans la catégorie duo libre sax - piano (citons Ivo Perelman - Matt Shipp ou Trevor Watts - Veryan Weston ou Lol Coxhill- Verya Weston). C’est déjà en soi un exploit. Nicolà Guazzaloca s’affirme depuis de nombreuses années comme un des quelques pianistes marquants dans la lignée Taylor – Van Hove – Schlippenbach – Veryan Weston en Europe. Astablieft !
Miman 100 Bitar Egyl T. Kalmann Hans P. Kjorstadt Andreas Hoem Røysum LP motvind records. MOT15LP
https://miman.bandcamp.com/album/1000-bitar
Trio de musique improvisée norvégien “bucolique” , si on se laisse influencer par la peinture du recto de pochette, montrant une cabane au bord d’un lac entouré de la verdure d’arbres et d’oiseaux dont un semble prêt à quitter sa branche pour happer une proie dans un cours d’eau. Les photos du verso montrent les MIMAN plongés dans la nature. Miman est censé être un trio clarinettes – violon – contrebasse , mais si Andreas est enregistré seulement aux clarinettes basse et Mib, le contrebassiste Egyl joue ici aussi du synthé modulaire et de la batterie et Hans , le violoniste, tâte de l’harmonium indien à deux reprises. Un morceau les rassemblent avec six bouteilles de bière (Six Moving Beers For Frederyk Rasten).
C’est joyeux, décontracté, un air « free-folk » et une volonté de non - conformité à un quelconque diktat stylistico- esthético- idéologique avec l’avantage de la jeunesse curieuse et enthousiaste. Les avoir rencontré sur une scène « ouverte » de la série Jazzzaj à Budapest fut une belle surprise. Rien que du plaisir. Un trio jouant une musique flexible, un peu déroutante qui prend le parti de se chercher une identité fugace. Le royaume de l’éphémère. Et pourtant le clarinettiste Andreas Røysum , un géant, triture la colonne d’air et glousse comme une basse-cour de gallinacées picorant leur destin, mordant les harmoniques. La contrebasse solidement charpentée d’Egyl Kalmann qui fonctionne à merveille avec le violon et la clarinette laisse cède la place à une batterie rustique un brin pagailleuse. Son synthé modulaire enhardit la musique vers un horizon différent alors que Hans Kjorstad le violoniste, jouant de l’harmonium indien la cadre en relançant le souffleur qui entonne un air modal. Et il accompagne à la guitare le violoniste et le clarinettiste dans une gigue enjouée. Tout cela s’emboîte dans dix morceaux aussi différents les uns que les autres et qu’on situerait entre free-folk et libre improvisation sans faire la moindre concession à « la joliesse ». Avec mes deux potes de Budapest, Zsolt Sörès (alto) et Oliver Mayne (vibraphone), nous nous sommes commis dans un concert conjoint en jouant les uns avec les autres dans plusieurs combinaisons instrumentales de courte durée. Il fut alors évident que ces trois « jeunes » musiciens (jeunes par rapport à nous, le trio VVV) sont des improvisateurs libres expérimentés et sagaces.
https://ivoperelman.bandcamp.com/album/trichotomy
Deux vétérans de l’an zéro du free-jazz New-Yorkais et leur vécu et le saxophoniste Brésilien de la deuxième génération suivante, Ivo Perelman. Dave Burrell était un des pianistes clé de la révolution du free-jazz (New Thing) dès le début des années soixante, on le découvre en compagnie de Pharoah Sanders dans l’album Tauhid (avec Henry Grimes, Sonny Sharrock 1967), avec Linda & Sonny Sharrock dans Black Woman (avec Milford Graves,Ted Daniel et Sirone, 1969) et il a joué dans les groupes d’Archie Shepp de la première moitié des années septante et par la suite avec David Murray. Outre ses deux albums BYG ( Echo et La Bohême), Dave Burrell a enregistré et publié l’album « High » en 1968 pour Douglas où il livre une version légendaire de West Side Story sur la face A du disque et des East Side Colors sur la face B accompagné d’un « A.M. Rag » , Margie Pargie où officie Sunny Murray. Dans tout le reste de la session West Side et East Side plus les inédits publiés plus tard, c’est l’obscur batteur Bobby Kapp qui tient la batterie avec Sirone à la contrebasse. Ce Bobby Kapp joue aussi dans l’album ESP « In Search of Mystery” de Gato Barbieri, l'album de Gato le plus “free” enregistré en 1967 avec Sirone / Norris Jones et le violoncelliste Calo Scott. Disparu au Mexique, ce batteur vétéran refait surface il y a quelques années en trio avec Ivo Perelman et Matthew Shipp dans les albums The Art of Perelman-Shipp vol. 2 « Tarvos», ainsi que Heptagon (Leo Rds) et Ineffable Joy (ESP) avec William Parker à la contrebasse. Et Bobby Kapp se révèle être un batteur (free) parmi les meilleurs, avec une exquise qualité de toucher des frappes avec de superbes nuances et un super sens du tempo, des solutions polyrythmiques voisines du Tony Williams « free ». Revenons aux premiers enregistrements de Dave Burrell avec Bobby Kapp et le long morceau avec Sunny Murray. Ils avaient été réédités par Arista Freedom et Michael Cuscuna en double LP incluant deux versions de chacune des compositions qui font partie du Medley « Theme Stream ». On le trouve en CD publié par Black Lion (Alan Bates) sous le titre High Won – High Two . Cette musique de 1968 mérite d’être réécoutée à la lumière de cette nouvelle Trichotomy. Dave Burrell est un cas d’école dans le free-jazz. Quand il joue « free » comme dans ce superbe Trichotomy son jeu baigne toujours dans une vision de la musique populaire afro-américaine similaire à celle qu’il l’a vécue et conçue en 1968 avec son ami Bobby Kapp et qu’il avait alors confiée à la bande magnétique. Important : sa musique n’est pas vraiment une héritière des Bud Powell, Red Garland, etc… mais trouve ses racines chez les pianistes de boogie, de minstrels, de rythm n’blues etc… On l’entend jouer « vraiment » free dans East Side Colors en compagnie de Sunny Murray où il déborde les barres de mesure avec un jeu post-monkien fait de clusters joyeux, de voicing désarticulés, des mouvements amples reposant sur une scansion tournoyantes de graves majestueux et de vagues de notes navigant à vue autour de centre tonaux ou charriant des paquets de dissonances martelées, atonalité épidermique. Rappelons aussi que Dave Burrell est un des neuf pianistes qui a enregistré Brass and Ivory Tales en duo avec Ivo Perelman (coffret 9CD Fundacja Sluchaj)
Depuis cette époque qu’il fallait que j’évoque, le jeu free de Burrell s’est raffiné, articulé et prompt au dialogue empathique. C’est donc un vrai bonheur de l’entendre avec ce batteur sensible qu'est Bobby Kapp et distingué et le saxophone ténor fumant d’Ivo Perelman. Les harmoniques du ténor s’élèvent et spiralent dans un lyrisme unique et se marient merveilleusement au jeu basique, terrien et inspiré de Burrell. Ils se trouvent l'un l'autre dans l’articulation sautillante et ludique d’ostinatos en roue libre où le souffleur peut laisser libre cours à ses cris suraigus et expressifs et à son invention mélodique. La caisse claire et les cymbales de Bobby Kapp en rugissent de plaisir, l’esprit du batteur vif-argent suit et anticipe les pulsations organiques de ses deux compères. Burrell est un connaisseur savant des harmonies ancré dans l’esprit et la pratique de la musique populaire afro-américaine et son bagage classique. Durant les longues trente minutes de One, il s’affirme comme un pianiste free jonglant avec la matière rythmique des décalages main gauche – main droite rejoignant parfois l’Irene Schweizer du trio historique avec Louis Moholo et Rudiger Carl. Toute son attention est concentrée sur l’équilibre instable et tournoyant du trio se refusant à « soloïser » car il joue la carte collective, celle de la construction triangulaire mouvante à base d’accords concentriques empilés, tuilés, enchaînés en écho, réitérés à l’envi : à la fois construction pyramidale infinie, ressac de pavés sous les vagues ascendantes d’une marée haute infinie par dessus des abysses invisibles, énorme serpent entourant les fûts vibrants de son vieux camarade. Ivo Perelman n’a plus qu’à se laisser emporter par ce flux puissant tout en nourrissant l’imagination de ses compagnons par ses volutes déchirantes et ses inflexions étirant les notes aiguës jouées au-dessus de la tessiture du sax ténor. Du cri Aylérien des Ghosts et Spirits, il s’est inventé une langue « brésilienne » lyrique et tragique, souple et mordante, imprégée de saudade. Lorsque le souffleur fait une pause, la batterie crépite au plus près d’une pulsation obsessionnelle et les doigts du pianiste sursautent à l’instar de ces pianistes free européens qui perçoivent une brèche dans le flux`inexorable. Mais enchaînant avec son comping cosmique d’accords granitiques, Dave Burrell imprime encore irrévocablement sa marque en tournoyant dans les sphères des harmonies, avant que le souffle vaporeux d’Ivo l’aide, lui et Bobby Kapp, à atterrir. Il faut noter que le style enveloppant de Dave Burrell basé sur la pression puissante des touches basses du piano offre un champ d’action ouvert dans l’espace sonore du trio à ces deux camarades : la batterie aux cymbales cristallines et à la caisse claire crépitante et les spirales microtonales et morsures du bec du saxophoniste, un des plus lyriques sax ténor qui soit. Il y a donc une lisibilité quasi-transparente dans leur masse sonore qui éclaire le jeu de chacun. Fort heureusement, c’est un tout autre décor qui nous attend dans les quinze minutes de Two, une improvisation libre où chacun s’observe méticuleusement et propose graduellement un trilogue, le batteur aux cymbales et puis seulement aux balais , le saxophoniste articulant en double et triple détaché petit à petit parsemés de cris – pleurs dans cet ultra aigu qu’il fait chanter comme personne, alors, qu’impassible, le pianiste balise lentement les contours d’une ballade imaginaire avec des notes graves qui croulent sous leur poids. Chaque séquence successive est négociée spontanément et forme une suite à la fois plus aérée et plus dense de sens. La spirale s’emballe, se tord et nous renvoie à nos fantômes. Un album exemplaire qui révèle de brillants artistes dans un superbe travail collectif.
Scraps , very old and almost new solo guitar pieces Enzo Rocco digital album
https://enzorocco.bandcamp.com/album/scraps-very-old-and-almost-new-solo-guitar-pieces
Une superbe anthologie de compositions improvisations d’Enzo Rocco à la guitare électrique sans fioritures électroniques, ni effet. Purement « musical » , son travail est focalisé sur l’extension des possibilités harmoniques et mélodico rythmiques basée sur une notion du swing qui ignore les barres de mesure tout en en tenant compte. La plupart des morceaux sont assez courts, parfois très, un seul, une longue ballade distendue, atteint les dix minutes (Remix Suite n°2). Ces témoignages précieux ont été recueillis à différentes périodes de ces vingt dernières années et plus. Pour information, Enzo Rocco a souvent travaillé avec le saxophoniste Carlo Actis Dato, une personnalité atypique dont la musique a fait le tour du monde, et a enregistré « the London Duos " avec Lol Coxhill, Veryan Weston, John Edwards et Steve Noble en 1999, à l’époque où ces deux derniers n'étaient aussi demandés qu’ils le sont aujourd’hui. Ce témoignage réalisé grâce à l’accueil de son ami John Russell (R.I.P.) donne toute la mesure de l’énergie et du charisme de ce super guitariste méridional , pas loin d’un Joe Morris. Par la suite, il grava the Gradisca Concert avec Lol Coxhill, mémorable ! (Label Amirani). Notre trio Sureau a partagé le cd « the Leuven Concert » avec le duo d’Enzo et du saxophoniste soprano Gianni Mimmo. Il s’est trouvé un critique (Français « non-idiomatique ») pour louanger notre trio et déconsidérer le travail d’Enzo, sans doute parce que plus « conventionnel » ou « idiomatique». Il se fait que John Russell, archétype de l’improvisateur «non-idiomatique»a toujours eu la plus haute estime pour Enzo Rocco : cet album se termine d’ailleurs par Dear John dans le style Russellien – Derek « acoustique » frappadingue. En fait, selon John Russell, le style de Derek Bailey (et le sien) est basé sur les positions des doigts de la main gauche des accords augmentés – diminués, septième,neuvième, majeur- mineur (etc…) de la guitare jazz swing / be-bop revue par les conceptions harmoniques avancées des Bill Evans et consorts et mis à la sauce « atonale » schönberg-webernienne chère à Derek (et John Stevens !). Dans la musique d’Enzo Rocco, lequel a un background jazz similaire, la recherche se fait au niveau de motifs mélodico-rythmiques qu’il déforme, déconstruit et reconstruit méthodiquement en chamboulant adroitement quelques paramètres qui en bouleversent la perspective.
Avant d’ouvrir grand sa gueule pour dire ou écrire des conneries sur le dos de collègues, il faut être assez adulte pour comprendre les intentions esthétiques d’un artiste. Si je dois moi-même disséquer les attitudes et élucubrations de certains, on va rire. Un peu de respect quand-même ! Bref, les seize secondes de Introibo suggèrent habilement l’influence d’Ornette Coleman et de la femme solitaire. Le note à note de Peaches Brew false start en montagne russe et détours harmoniques est admirable de concision, mais une autre version « réussie » est proposée plus loin. Strings Study n°1 cultive l’art du glissando enchaîné avec une logique remarquable. Les fanas de l’harmolodisme ornettien pourraient bien se pencher sur ses miniatures, de véritables leçons de choses guitaristiques « free » lumineuses. Thumbs : jeu ahanant à coups de pouce en cascade et toujours cette logique implacable qui a l’art de dérailler, surprendre et ânonner à la fois. Myxolidian Study est assez décoiffant, un véritable morceau d’anthologie. Ce qui est remarquable c’est l’extrême concision qui tire un maximum de ces motifs mélodico – rythmiques en moins de temps qu’il ne faut pour le dire (ou l'écrire). Cette conception du temps court est l’ennemie du bavardage. Tout est concentré le temps d'une face de 45 tours. Voudriez-vous convaincre un jeune guitariste qui se cherche dans les arcanes de la créativité « free » cet album Scraps (traduit : restes , rebuts) est le premier choix. Hanging Harmonics est une étude sur les harmoniques, technique hyper utilisée par Derek Bailey de manière absolument extraordinaire et toujours inégalée. Ok ici ! Peaches Brew est l’archétype de la scansion d’un hymne free hérissé sur ses ergots avec des accents placés sur des temps intermédiaires et une science accomplie du zig zag qui tournoie de plaisir. Hi – Lo est joué avec une sourdine manuelle absolument délicieuse, ligne de basses et ligne d’aigus simultanées. Le genre de truc qu’un super guitariste de studio est appelé à faire illico presto, mais chez Enzo, il y a une expression artistique indéniable. Je vais m’arrêter là dans les descriptions. Voilà un guitariste créatif parmi les meilleurs d’Europe. Vous pensez bien que si Lol Coxhill adorait jouer avec lui , c’est qu’Enzo Rocco est un guitariste inventif lumineux et un créateur sincère et fûté.
Nicola Guazzaloca & Gianni Mimmo Herbstreise Amirani amrn 071
https://www.amiranirecords.com/editions/herbstreise
Tout comme de nombreux jazzmen pianistes ou saxophonistes de Jazz ont puisé dans le thesaurus et les conceptions monkiennes pour créer leurs musiques, au premier chef Steve Lacy (mais aussi Rollins, Coltrane), Gianni Mimmo s’est largement inspiré de Steve Lacy, lui – même, dans le cadre de l’improvisation instantanée au saxophone soprano. Quoi de plus légitime ! Son travail au saxophone est plus que remarquable, virtuose aussi et subtil. Avec son ami, le pianiste Nicolà Guazzaloca, Gianni Mimmo crée ici un ensemble structuré de dix-sept improvisations / compositions très courtes subdivisées en trois chapitres : une introduction de trois miniatures : A Silver Lining (2:23) : vif et sinueux, Unsailed Ship , (1:35) en suspension, et However Negligible (1:17) sautillant. Une deuxième partie intitulée RAINS où il est question parmi sept pièces de Those Rainy Days (2:14), Late Rain (2:03), The Rain of the Last Few Days (2:56). Dans l’une d’elles, le pianiste évoque adroitement l’effet produit par la chute de gouttes de pluie tombant sur un sol résonnant. Les sept derniers morceaux sont rassemblés sous le titre de FOUR LIEDER. C’est un excellent album, le genre d’albums qui va plus loin qu’une tentative, qu’une documentation, qu’une carte de visite. Mais celui d’un témoignage essentiel à conserver soigneusement dans sa collection. Ce n’est pas la première fois que Gianni Mimmo et Nicolas Guazzaloca travaillent et enregistrent ensemble : The Shoreditch Concert (2009 amirani AMRN 023) et the Shoreditch Trio Live in Brussels (2010 amirani AMRN 29) avec la violoncelliste Hannah Marshall. Nicola Guazzaloca est aussi le graphiste en chef du label Amirani et y a publié une série impressionnante d’albums en solo (Tecniche Archaiche, Techniche Archaiche Live at Angelica) ou en duos (Lucca & Bologna Concerts avec l’altiste Szilard Mezei et Noble Art avec le pianiste Thollem Mc Donas). Après avoir travaillé intensément avec le pianiste Gianni Lenoci jusqu'à sa disparition il y a quelques années, Gianni Mimmo trouve en Guazzaloca l’alter-ego idéal et quel pianiste !
Équipé au point de vue technique, création de formes et inspiration instantanée, ce pianiste force le respect et l’enthousiasme sur la longue distance de l’improvisation comme on peut le découvrir dans ses albums solos formidablement construits et détaillés. Avec Mimmo, le pianiste reconsidère son jeu, le concentre au maximum et l’adapte savamment pour coïncider aux intentions et aux affects du souffleur et aux contingences des formes courtes où la quintessence doit être exprimée en deux minutes, pour ensuite passer à une autre approche à chaque morceau suivant, l’ensemble de l’album ayant été enregistré le 22 février 2022. Au fil des pièces enregistrées en une seule session, on entend se soulever un crescendo intérieur qui transcende l’énergie, l’expressivité et la connivence intime des deux artistes. Si on dit que Gianni Mimmo « est un élève » (copiste ?) de Steve Lacy, il faut alors constater que ce saxophoniste italien a acquis toutes les clés du dialogue interactif avec un tout grand pianiste, grand maître de la libre improvisation instantanée, et à deux ils créent ici un modèle de dialogue sax – piano où chacun des instrumentistes est un créateur dans un processus de liberté et d’égalité partagée jointes à une inspiration confondante. L'inspiration Lacy-enne est ici entièrement re-contextualisée. Je vous défie de trouver beaucoup d’équivalents dans la discographie du « free-jazz » ou de la « free-music » dans la catégorie duo libre sax - piano (citons Ivo Perelman - Matt Shipp ou Trevor Watts - Veryan Weston ou Lol Coxhill- Verya Weston). C’est déjà en soi un exploit. Nicolà Guazzaloca s’affirme depuis de nombreuses années comme un des quelques pianistes marquants dans la lignée Taylor – Van Hove – Schlippenbach – Veryan Weston en Europe. Astablieft !
Miman 100 Bitar Egyl T. Kalmann Hans P. Kjorstadt Andreas Hoem Røysum LP motvind records. MOT15LP
https://miman.bandcamp.com/album/1000-bitar
Trio de musique improvisée norvégien “bucolique” , si on se laisse influencer par la peinture du recto de pochette, montrant une cabane au bord d’un lac entouré de la verdure d’arbres et d’oiseaux dont un semble prêt à quitter sa branche pour happer une proie dans un cours d’eau. Les photos du verso montrent les MIMAN plongés dans la nature. Miman est censé être un trio clarinettes – violon – contrebasse , mais si Andreas est enregistré seulement aux clarinettes basse et Mib, le contrebassiste Egyl joue ici aussi du synthé modulaire et de la batterie et Hans , le violoniste, tâte de l’harmonium indien à deux reprises. Un morceau les rassemblent avec six bouteilles de bière (Six Moving Beers For Frederyk Rasten).
C’est joyeux, décontracté, un air « free-folk » et une volonté de non - conformité à un quelconque diktat stylistico- esthético- idéologique avec l’avantage de la jeunesse curieuse et enthousiaste. Les avoir rencontré sur une scène « ouverte » de la série Jazzzaj à Budapest fut une belle surprise. Rien que du plaisir. Un trio jouant une musique flexible, un peu déroutante qui prend le parti de se chercher une identité fugace. Le royaume de l’éphémère. Et pourtant le clarinettiste Andreas Røysum , un géant, triture la colonne d’air et glousse comme une basse-cour de gallinacées picorant leur destin, mordant les harmoniques. La contrebasse solidement charpentée d’Egyl Kalmann qui fonctionne à merveille avec le violon et la clarinette laisse cède la place à une batterie rustique un brin pagailleuse. Son synthé modulaire enhardit la musique vers un horizon différent alors que Hans Kjorstad le violoniste, jouant de l’harmonium indien la cadre en relançant le souffleur qui entonne un air modal. Et il accompagne à la guitare le violoniste et le clarinettiste dans une gigue enjouée. Tout cela s’emboîte dans dix morceaux aussi différents les uns que les autres et qu’on situerait entre free-folk et libre improvisation sans faire la moindre concession à « la joliesse ». Avec mes deux potes de Budapest, Zsolt Sörès (alto) et Oliver Mayne (vibraphone), nous nous sommes commis dans un concert conjoint en jouant les uns avec les autres dans plusieurs combinaisons instrumentales de courte durée. Il fut alors évident que ces trois « jeunes » musiciens (jeunes par rapport à nous, le trio VVV) sont des improvisateurs libres expérimentés et sagaces.
24 mars 2023
King Übü Orkestrü 2021 Erhard Hirt, Stefan Keune, Marc Charig Axel Dörner Matthias Muche Melvyn Poore Phil Wachsmann Alfred Zimmerlin Hans Schneider Paul Lytton + Phil Minton/ Zsolt Sörés - Ahad/ Jean-Marc Foussat Carlos Zingaro et Urs Leimgruber
Roi King Übü Örchestrü 2021 Erhard Hirt, Stefan Keune, Marc Charig , Axel Dörner, Matthias Muche, Melvyn Poore, Phil Wachsmann, Alfred Zimmerlin, Hans Schneider Paul Lytton + Phil Minton FMR Records FMRCD653-0822
https://handaxe.bandcam.com/album/roi
Après une absence d’une vingtaine d’années et le décès de son co-fondateur, le clarinettiste – saxophoniste Wolfgang Fuchs, voici que le King Übü Örchestrü renait de ses cendres à l’initiative de son autre co-fondateur, le guitariste Erhard Hirt, le quel avait quitté le navire assez tôt dans l’évolution de ce tentet consacré à l’improvisation radicale depuis 1983. Sans doute, suite à la résurgence du quartet autour duquel King Übü avait été assemblé au départ, le légendaire X-Pact, formé de Fuchs, du percussionniste Paul Lytton, du guitariste Erhard Hirt et du contrebassiste Hans Schneider, lesquels font actuellement partie du King Übü 2021, l'idée de faire revivre ce tentet exceptionnel a germé à bon escient.Il suffit d'écouter cette merveille pour s'en convaincre. Le tubiste Melvyn Poore, le violoncelliste Alfred Zimmerlin, les trompettistes Marc Charig et Axel Dörner avaient joué dans l’Örchestrü et le vocaliste Phil Minton avait été l’invité de leur dernier CD pour a/l/l. Nouveaux venus : le tromboniste Matthias Muche et le saxophoniste Stefan Keune, lui-même membre de l’actuel X-Pact. Roi est composé de deux longues improvisations collectives Roi 3 (27 :05) et Roi 4 (35 :06) . Un ancien membre du groupe a fait remarquer que sans Radu Malfatti (parti vers d’autres cieux sonores), Günter Christmann (qui a cessé de se produire en concert) et Wolfgang Fuchs (décédé), il n’y avait pas lieu de ressusciter ce groupe légendaire. Ce qui est certain c’est qu’il y a assez de membres originaux qui ont ramé toute leur vie pour jouer cette musique durant des dizaines d’années et que le contenu et l’approche esthétique d’Übü se perpétue avec un vrai bonheur. Un groupe unique en son genre. Pas de solos et d' «improvisations individuelles », mais une dimension orchestrale où chaque intervenant apporte des éléments, des sons, des couleurs, des bruits, des fragments de « phrases » en alternance en utilisant aussi des espaces individuels de silence, des tutti à l’unisson et des actions – réactions contrastées, pointillistes. Percussionniste du groupe, Paul Lytton offre la garantie de la discrétion question roulements de caisses, style « jeu de batterie », fracas de cymbales sauf à quelques moments choisis. De ses ustensiles percussifs et objets et cordes de guitare tendues et amplifiées , il introduit de petites touches, grattages, micro-frappes et bruissements de ses ustensiles percussifs et ses live electronics. De même, la guitare + laptop d’Erhard Hirt. Les instruments à vent se relaient et s’assemblent, grondent, sussurent, gargouillent ou suggèrent des harmonies secrètes et des clusters alors que les trois cordistes Wachsmann, Zimmerlin et Schneider nourrissent épisodiquement la pâte sonore ou impriment leurs frottements d’intensité variables dans le silence relatif. La musique est soit suspendue, s’étire, se densifie pour s’évanouir quelques secondes plus tard, ou s’exaspère. Chacun à son tour, les improvisateurs peuvent très bien apporter une fragment de phrase, un son, un timbre et cela se répond, se croise et très vite re-font un bref silence ou se retiennent de jouer jusqu’à ce que leur vienne une idée lumineuse. Ou alors le silence est presque total, afin que Phil Minton puisse émettre ses gargouillis et onomatopées improbables, vocalises – glissandi mirifiques. Pour son retour sur scène, King Übü Örchestrü se révèle être resté un très grand Örchestrü, sans aucun doute un ou "le" modèle du genre. En fait la musique ne repose pas sur les exploits instrumentaux individuels, mais sur le jeu collectif et une très grande écoute mutuelle. Lytton, par exemple, est ébouriffant de virtuosité batteriste auprès d’ Evan Parker et Barry Guy, mais vous n’entendrez rien de cela ici, pas le moindre instant. Fantastique album de musique improvisée COLLECTIVE qui vaut vraiment le détour .
AHAD’S FLUX WORLDS 1 Nemo Point Soundmap For Terrestrial Melanoheliophobics Ahad aka Zsolt Sörés Fourth Dimension Records / Hinge Thunder FD2CD136 / HT2CD-005
https://hingethunder.bandcamp.com/album/nemo-point-soundmap-for-terrestrial-melanoheliophobics-ahads-flux-worlds-1

AHAD’S FLUX WORLDS 2 Astro Noetic Chiasm χ, Ahad aka Zsolt Sörés LP Hinge Thunder / Fourth Dimension Records HTLP-005 FDLP 136
https://hingethunder.bandcamp.com/album/astro-noetic-chiasm-ahads-flux-worlds-2
Attention ! Ces deux albums, vinyle et double cd contiennent des enregistrements différents et complémentaires de l’artiste sonore et altiste (viola) hongrois , Zsolt Sörès a/k/a AHAD , lequel anima ô combien de nuits et de soirées rencontres à Budapest et en Hongrie incarnant une musique noise particulièrement travaillée d’un point de vue sonore et musical. Bruitisme radical d’un improvisateur à l’oreille aiguisée et une conscience profonde des interrelations entre textures, fréquences, dynamiques, intensités. Ces deux documents révélateurs de son travail sont le fruit intense et très prémédité de sa résidence Berlinoise de l’année 2022 sous les auspices de la légendaire DAAD. Forte personnalité, AHAD - Sörés se révèle aussi flexible qu’il est intransigeant sur la qualité musicale. Au fil du temps, il est devenu un collaborateur très apprécié et au point qu’il joue, enregistre et tourne avec les deux pôles du légendaire groupe FAUST, Jean-Hervé Peron et « Zappy » Diermayer. Je vous passe l’aspect sémantico-idéologique des titres de Zsolt, pour me concentrer sur son travail musical, libre à vous de trouver ce que bon vous semble dans cet univers musical. L’album vinyle « Astro Noetic Chiasm χ" est enregistré avec le concours de Franz Hautzinger (trompette), Anthea Caddy et Judith Hamann (violoncelles), Mihàly Kádár (live sound, effects) et Zsolt Sörès lui-même, crédité alto à cinq cordes, cymbale par-dessus l’alto, objets vibrants, « Mole-Rat Electromagnetic Field Explorer » (sic), Domino Synth, EBow. La musique composée par Ahad aka Zsolt Sörés, «Astro-Noetic Chiasm χ - For Ensemble (2021-2022)» et commissionée par Ultraschall Berlin – Festival Für Neue Musik 2022. Deux Faces A et B de respectivement 21 :18 pour Astro - Noetic Chiasm χ (A,B) et 21 :00 pour Astro - Noetic Chiasm χ (Γ). On retrouve ces trois titres (A, B et Γ) dans le CD1 de l’album « Ahad’s Flux Worlds 1 Nemo Point Soundmap etc… » dans des versions enregistrées en studio par Zsolt lui-même à concurrence de 12 :10, 10 :04 et 07 :11. Pour l’entièreté de ce double CD et ses sept compositions, il est crédité 5 String Viola, Fretless Bass, Grand Piano, Mellotron, Cymbal on the Top of the Viola, Percussions, Storm Drum, Bowed Copper Belt, Moog Theremini, Domino Syth, Dictaphone, Mole-Rat Electromagnetic Field Explorer, EBow, Roland Re-201 Space Echo, Objects, Vibrating Objects, Contact Microphone. Il se sert d’une partie de ses instruments dans chacune de ses compositions, certaines affublées de titres en grec (Ponéros Logos (Ponerogenesi , 38 :29 la plus longue du CD1) ou énigmatique comme Nemo point Soundmap for Terrestrial Melanoheliophobics (45:16) la plus longue du CD2 Celui-ci contient aussi Something about the Great Filter (30 :26). Ahad Anthem, son hymne, termine le CD1 et est concentré sur 7:31. Question production et réalisation, on est frappé par la précision, la qualité graphique et sonore du produit. On pourrait penser que sa formation scientifique et littéraire (Zsolt a été longtemps éditeur à l’Académie des Sciences de Hongrie) ferait de lui une sorte de Professeur Tournesol du noise science-fictionnesque, impression renforcée par l’apparence très ludique et bricoleuse de sa table d’instruments amplifiés. Mais à l’écoute de ces deux albums et en le connaissant un tant soit peu personnellement, on s’aperçoit assez vite que Zsolt Sörés est un solide performer musical, véritablement lucide, et un compositeur à part entière. Il sait exactement ce qu’il fait musicalement et la haute qualité des différentes prises de son, du mixage et mastering (Puha Szabolcs – un ingé-son hors pair) permet de pénétrer le mieux possible dans son univers musical et sonore. Ce n’est pas pour rien qu’il a obtenu la Résidence d’artiste DAAD 2022 à Berlin. Les deux pochettes détaillent les lieux de chaque enregistrement et certaines circonstances créatives. Rien n’est laissé au hasard. Z.S.peut aussi s’adonner à des improvisations débridées avec I Belong To The Band ou le percussionniste Rudi Fischlehner (cfr albums The Bakers of the Lost Future et Attention Span Reset). Mais ici, il a choisi de créer une œuvre aussi immédiatement instantanée que structurée au niveau des couches, des événements sonores, de la dynamique au niveau textural, des intensités, du développement mono/pluridimensionnel, du choix des fréquences, de la durée etc… Du noise de haut niveau réalisé avec une intense exigence esthétique. La qualité des timbres et des agrégats de sons électroniques renforcent son message comme un couteau ultra-aiguisé permet de s’avancer dans la jungle. Something about the Great Filter fait référence à Metal Music de György Galántai (1983).Avec Ahad Anthem, une des pièces les plus courtes Zsolt utilise sa voix brute et des effets respiratoires dans des incantations successives d’un rite d’une civilisation chamanique disparue ou à venir dans un futur lointain avec une touche de re-recording. Il vaut mieux ne pas essayer de mémoriser ou de savoir avec quels instruments la musique a été construite, même si les notes de pochette l’indiquent avec précision. Point de départ ou terme final de son périple et de ses extravagances, cet Anthem est une des clés des deux albums comme le sont les versions live des Astro Noetic Chiasm χ contenues à dessein dans le vinyle et qui introduisent le double CD comme un vade – mecum qui aidera l’auditeur (même féru de Noise) à s’acclimater aux trois longues compositions qui constituent le cœur de cette œuvre : Πονερóς λόγος (Πονερογένεση)* - 38 :29 , Something about the Great Filter - 30 :26 et Nemo Point Soundmap … - 45 :16. Il est utile de comparer les versions solitaires des Astro-Noetic… du CD et celles « orchestrales » du vinyle pour saisir la liberté que le compositeur se donne et ses intentions fondamentales. Ce qui frappe à l’écoute des 38 :29 de Πονερóς λόγος (Πονερογένεση)*, c’est l’obstination évolutive d’une action répétée sur l’instrument, circonvenue de résonances électriques générées par ce processus. Un battement obsessionnel qui varie minutieusement au fil des secondes et des minutes. Il ne faut même pas essayer de comprendre l’action de l’instrumentiste à défaut de le voir, mais se laisser simplement emporter par le flux de l’action sonore. On aboutit alors à un stade intermédiaire vers la 13ème minute où un flux – faisceau de résonances sourdes, d’oscillations dans les graves et de frictions s’agrègent pour laisser place à un frottement lancinant bruitiste. Le silence joue un rôle important, car le moindre son,le moindre grésillement et la dynamique qui y préside se découpe avec précision dans celui-ci, bordé d’infra-sons, de micro-crissements. Au centre de l’action , l’archet de Zsolt pressure l’alto amplifié et trafiqué, lui-même bordé de vibrations sonores ou de sifflements mutiques qui finissent par envahir l’espace. On est déjà à la minute 20’ et la masse sonore s’agglutine, des graves bourdonnent, dérapent, s’enrayent : la trance bruitiste sous contrôle gémit, grogne, se déchire, siffle… mugit, … battements électrogènes obsédant, échos métalliques sur fond de drones vocalisés, murmures de la bête … Simultanément ascèse et effroi, expressionnisme et rage intellectuelle, chaman électro-acoustique, logique implacable… Franchement, à mon avis, notre magyar atypique n’a rien à envier à Keith Rowe et à d’autres gaillards de cette trempe. Généreux, il a bourré jusqu’à la gueule son double CD de trois pièces de première grandeur, longues à souhait, qui nécessitent un investissement en temps, énergie et disposition d’esprit à l'auditeur pour en appréhender les détails et toute la dramaturgie. En effet, au CD2, Something about the Great Filter, commence tout à fait autrement et nous fait entendre une autre type de jeux, de sonorités, d’actions lesquelles suivent une logique spécifique à cette longue composition laquelle peut être perçue comme une dérive surréaliste ou comme la poursuite maniaque d’une idée fixe. Les glissandi agressifs et métalliques obtenus avec le Dàn bầu, un monochorde vietnamien, muent étonnamment tout au long de l’exécution de cette pièce, en compagnie du Mole-Rat Electromagnetic Field Explorer, des Objets et Objets vibrants et le Roland RE-201 Space - Echo. Tous ces effets sonores volatiles s’agglutinent et virevoltent autour des vibrations sadiques encaissées par le Dàn bầu, avec une lisibilité surprenante pour ce type de musique où de nombreux praticiens ne sont pas à dix bavures près. Z.S. aurait pu consacrer trois albums différents pour chacune de ces trois très longues compositions… Mais, il y a urgence !!
Zsolt Sörès est un artiste essentiel de notre temps qui mérite d’être suivi et découvert pour la singularité de son travail acharné et de sa vision sonore.
Jean Marc Foussat Ombres Onctueuses FOU Records FR-LP 10
https://www.fourecords.com/FR-LP10.htm
https://fourecords.bandcamp.com/album/ombres-onctueuses
L’Aile d’Icare Jean-Marc Foussat Urs Leimgruber & Carlos Zingaro FOU Records FR – CD 44
https://www.fourecords.com/FR-CD44.htm
Pochette avec végétation méditerranéenne écran d’un ciel nuageux ou lumière solaire suggérée dans la pénombre de deux persiennes antiques dans une chambre quelque part. Dès le départ, on percute méchamment le cadre du piano alors que des boucles sifflantes vont et viennent, fuyantes ou menaçantes, saturées, agrégats suraigus, crachotements fumigènes, aigus exaspérés, éclairs électriques… . Vrombissements, rumeurs, sifflements, grondements de moteur aérien, boucles survoltées, cadences de machines en fin de course, sirènes … et piano qui intervient sans crier gare alors que s’effacent les stries électroniques dans un demi -silence…. ou qui déboule comme un intrus bien à son aise en Face B. Martèlements désinvoltes au clavier du meilleur effet. Depuis ses enregistrements qui emplissaient l’espace auditif, Jean-Marc Foussatcultive aujourd’hui une approche plus épurée, mystérieuse, secrète, qui peut aboutir à une saturation noise – agrégats de couches oscillantes ou frissonnantes, à d’exquis filets de sons, contrepoints volatiles ou glissandi ténébreux, le tout en enchaînement de cadavres exquis ou martèlements sadiques (aïïe le piano !). Et cette guimbarde qui clôt la face B d’Ombres Onctueuses, titre énigmatique de 33 tours – bouteille à la mer. Quand cette approche est conjuguée à la sagacité d’improvisateurs de haut vol (subtils et hyper expérimentés), c’est l’envol d’Icare sur son Aile mythique. Le saxophoniste Urs Leimgruber et le violoniste Carlos Zingaro ne jouent pas ici leur rôle « Leimgruber » ou « Zingaro » mais s’insèrent poétiquement dans l’état de nature de cette électronique analogique d’un autre temps. On n’entend pas le temps passer, on voit la musique défiler et deviner les interventions heureuses. L’art du fétu charrié par l’humeur du moment, le ronronnement hélicoïdal perturbé, le silence mis en valeur par le murmure de moteurs imaginaires, sifflements de l’au-delà, sifflet de l’ anche pressurée du sax soprano. L’archet strie la vibration de la corde aiguë du violon en s’agrégeant aux atterrissages de réacteurs vibrants et lointains. Un monde de sons ténus qui s’interpénètrent et se détachent dans le même mouvement. Voilà sûrement qui aurait fait la joie du label Potlatch à la sauce Oger années 2000, un cran au-dessus. Une musique exquise qui défie la logique des courants et la froidure des courants d’air. Et quand la lumière s’allume , des éclairs fusent et disparaissent. Générations spontanées successives de sons et timbres d’une mise en commun alternée de chacun des instruments qui se confondent, se dupliquent, se distinguent, se prolongent souvent en se rapprochant du silence. Interactivité organique. Le lyrisme extrême de Zingaro, la poésie de Leimgruber, le don du dosage raffiné de Foussat, la dynamique du trio, les heureux contrepoints heureux vers la minute 25 . Tout interpelle : la magie de moments uniques … et les silences signifiants nés de cette superbe improvisation collective qui se renouvelle avec une belle constance de bout en bout. Un des tous plus beaux albums de Jean- Marc Foussat au sommet de son art avec deux improvisateurs instrumentistes incontournables et complètement concernés à donner le meilleur d’eux-mêmes sans imposer un quelconque agenda. Un vrai partage sonore de l’instant et sa durée optimale. Pochette avec peinture de Carlos Zingaro, photo de Philippe Alen (l’écrivain – critique), comètes choisies dans le Livre des Miracles (16ème s), poème de Fernando Pessoa, enregistrement, mixage et mastering de Jean-Marc Foussat au four et au moulin. Cette fois-ci, il a gagné aussi le beurre, l’argent du beurre et les faveurs de l’auditeur.
https://handaxe.bandcam.com/album/roi
Après une absence d’une vingtaine d’années et le décès de son co-fondateur, le clarinettiste – saxophoniste Wolfgang Fuchs, voici que le King Übü Örchestrü renait de ses cendres à l’initiative de son autre co-fondateur, le guitariste Erhard Hirt, le quel avait quitté le navire assez tôt dans l’évolution de ce tentet consacré à l’improvisation radicale depuis 1983. Sans doute, suite à la résurgence du quartet autour duquel King Übü avait été assemblé au départ, le légendaire X-Pact, formé de Fuchs, du percussionniste Paul Lytton, du guitariste Erhard Hirt et du contrebassiste Hans Schneider, lesquels font actuellement partie du King Übü 2021, l'idée de faire revivre ce tentet exceptionnel a germé à bon escient.Il suffit d'écouter cette merveille pour s'en convaincre. Le tubiste Melvyn Poore, le violoncelliste Alfred Zimmerlin, les trompettistes Marc Charig et Axel Dörner avaient joué dans l’Örchestrü et le vocaliste Phil Minton avait été l’invité de leur dernier CD pour a/l/l. Nouveaux venus : le tromboniste Matthias Muche et le saxophoniste Stefan Keune, lui-même membre de l’actuel X-Pact. Roi est composé de deux longues improvisations collectives Roi 3 (27 :05) et Roi 4 (35 :06) . Un ancien membre du groupe a fait remarquer que sans Radu Malfatti (parti vers d’autres cieux sonores), Günter Christmann (qui a cessé de se produire en concert) et Wolfgang Fuchs (décédé), il n’y avait pas lieu de ressusciter ce groupe légendaire. Ce qui est certain c’est qu’il y a assez de membres originaux qui ont ramé toute leur vie pour jouer cette musique durant des dizaines d’années et que le contenu et l’approche esthétique d’Übü se perpétue avec un vrai bonheur. Un groupe unique en son genre. Pas de solos et d' «improvisations individuelles », mais une dimension orchestrale où chaque intervenant apporte des éléments, des sons, des couleurs, des bruits, des fragments de « phrases » en alternance en utilisant aussi des espaces individuels de silence, des tutti à l’unisson et des actions – réactions contrastées, pointillistes. Percussionniste du groupe, Paul Lytton offre la garantie de la discrétion question roulements de caisses, style « jeu de batterie », fracas de cymbales sauf à quelques moments choisis. De ses ustensiles percussifs et objets et cordes de guitare tendues et amplifiées , il introduit de petites touches, grattages, micro-frappes et bruissements de ses ustensiles percussifs et ses live electronics. De même, la guitare + laptop d’Erhard Hirt. Les instruments à vent se relaient et s’assemblent, grondent, sussurent, gargouillent ou suggèrent des harmonies secrètes et des clusters alors que les trois cordistes Wachsmann, Zimmerlin et Schneider nourrissent épisodiquement la pâte sonore ou impriment leurs frottements d’intensité variables dans le silence relatif. La musique est soit suspendue, s’étire, se densifie pour s’évanouir quelques secondes plus tard, ou s’exaspère. Chacun à son tour, les improvisateurs peuvent très bien apporter une fragment de phrase, un son, un timbre et cela se répond, se croise et très vite re-font un bref silence ou se retiennent de jouer jusqu’à ce que leur vienne une idée lumineuse. Ou alors le silence est presque total, afin que Phil Minton puisse émettre ses gargouillis et onomatopées improbables, vocalises – glissandi mirifiques. Pour son retour sur scène, King Übü Örchestrü se révèle être resté un très grand Örchestrü, sans aucun doute un ou "le" modèle du genre. En fait la musique ne repose pas sur les exploits instrumentaux individuels, mais sur le jeu collectif et une très grande écoute mutuelle. Lytton, par exemple, est ébouriffant de virtuosité batteriste auprès d’ Evan Parker et Barry Guy, mais vous n’entendrez rien de cela ici, pas le moindre instant. Fantastique album de musique improvisée COLLECTIVE qui vaut vraiment le détour .
AHAD’S FLUX WORLDS 1 Nemo Point Soundmap For Terrestrial Melanoheliophobics Ahad aka Zsolt Sörés Fourth Dimension Records / Hinge Thunder FD2CD136 / HT2CD-005
https://hingethunder.bandcamp.com/album/nemo-point-soundmap-for-terrestrial-melanoheliophobics-ahads-flux-worlds-1

https://hingethunder.bandcamp.com/album/astro-noetic-chiasm-ahads-flux-worlds-2
Attention ! Ces deux albums, vinyle et double cd contiennent des enregistrements différents et complémentaires de l’artiste sonore et altiste (viola) hongrois , Zsolt Sörès a/k/a AHAD , lequel anima ô combien de nuits et de soirées rencontres à Budapest et en Hongrie incarnant une musique noise particulièrement travaillée d’un point de vue sonore et musical. Bruitisme radical d’un improvisateur à l’oreille aiguisée et une conscience profonde des interrelations entre textures, fréquences, dynamiques, intensités. Ces deux documents révélateurs de son travail sont le fruit intense et très prémédité de sa résidence Berlinoise de l’année 2022 sous les auspices de la légendaire DAAD. Forte personnalité, AHAD - Sörés se révèle aussi flexible qu’il est intransigeant sur la qualité musicale. Au fil du temps, il est devenu un collaborateur très apprécié et au point qu’il joue, enregistre et tourne avec les deux pôles du légendaire groupe FAUST, Jean-Hervé Peron et « Zappy » Diermayer. Je vous passe l’aspect sémantico-idéologique des titres de Zsolt, pour me concentrer sur son travail musical, libre à vous de trouver ce que bon vous semble dans cet univers musical. L’album vinyle « Astro Noetic Chiasm χ" est enregistré avec le concours de Franz Hautzinger (trompette), Anthea Caddy et Judith Hamann (violoncelles), Mihàly Kádár (live sound, effects) et Zsolt Sörès lui-même, crédité alto à cinq cordes, cymbale par-dessus l’alto, objets vibrants, « Mole-Rat Electromagnetic Field Explorer » (sic), Domino Synth, EBow. La musique composée par Ahad aka Zsolt Sörés, «Astro-Noetic Chiasm χ - For Ensemble (2021-2022)» et commissionée par Ultraschall Berlin – Festival Für Neue Musik 2022. Deux Faces A et B de respectivement 21 :18 pour Astro - Noetic Chiasm χ (A,B) et 21 :00 pour Astro - Noetic Chiasm χ (Γ). On retrouve ces trois titres (A, B et Γ) dans le CD1 de l’album « Ahad’s Flux Worlds 1 Nemo Point Soundmap etc… » dans des versions enregistrées en studio par Zsolt lui-même à concurrence de 12 :10, 10 :04 et 07 :11. Pour l’entièreté de ce double CD et ses sept compositions, il est crédité 5 String Viola, Fretless Bass, Grand Piano, Mellotron, Cymbal on the Top of the Viola, Percussions, Storm Drum, Bowed Copper Belt, Moog Theremini, Domino Syth, Dictaphone, Mole-Rat Electromagnetic Field Explorer, EBow, Roland Re-201 Space Echo, Objects, Vibrating Objects, Contact Microphone. Il se sert d’une partie de ses instruments dans chacune de ses compositions, certaines affublées de titres en grec (Ponéros Logos (Ponerogenesi , 38 :29 la plus longue du CD1) ou énigmatique comme Nemo point Soundmap for Terrestrial Melanoheliophobics (45:16) la plus longue du CD2 Celui-ci contient aussi Something about the Great Filter (30 :26). Ahad Anthem, son hymne, termine le CD1 et est concentré sur 7:31. Question production et réalisation, on est frappé par la précision, la qualité graphique et sonore du produit. On pourrait penser que sa formation scientifique et littéraire (Zsolt a été longtemps éditeur à l’Académie des Sciences de Hongrie) ferait de lui une sorte de Professeur Tournesol du noise science-fictionnesque, impression renforcée par l’apparence très ludique et bricoleuse de sa table d’instruments amplifiés. Mais à l’écoute de ces deux albums et en le connaissant un tant soit peu personnellement, on s’aperçoit assez vite que Zsolt Sörés est un solide performer musical, véritablement lucide, et un compositeur à part entière. Il sait exactement ce qu’il fait musicalement et la haute qualité des différentes prises de son, du mixage et mastering (Puha Szabolcs – un ingé-son hors pair) permet de pénétrer le mieux possible dans son univers musical et sonore. Ce n’est pas pour rien qu’il a obtenu la Résidence d’artiste DAAD 2022 à Berlin. Les deux pochettes détaillent les lieux de chaque enregistrement et certaines circonstances créatives. Rien n’est laissé au hasard. Z.S.peut aussi s’adonner à des improvisations débridées avec I Belong To The Band ou le percussionniste Rudi Fischlehner (cfr albums The Bakers of the Lost Future et Attention Span Reset). Mais ici, il a choisi de créer une œuvre aussi immédiatement instantanée que structurée au niveau des couches, des événements sonores, de la dynamique au niveau textural, des intensités, du développement mono/pluridimensionnel, du choix des fréquences, de la durée etc… Du noise de haut niveau réalisé avec une intense exigence esthétique. La qualité des timbres et des agrégats de sons électroniques renforcent son message comme un couteau ultra-aiguisé permet de s’avancer dans la jungle. Something about the Great Filter fait référence à Metal Music de György Galántai (1983).Avec Ahad Anthem, une des pièces les plus courtes Zsolt utilise sa voix brute et des effets respiratoires dans des incantations successives d’un rite d’une civilisation chamanique disparue ou à venir dans un futur lointain avec une touche de re-recording. Il vaut mieux ne pas essayer de mémoriser ou de savoir avec quels instruments la musique a été construite, même si les notes de pochette l’indiquent avec précision. Point de départ ou terme final de son périple et de ses extravagances, cet Anthem est une des clés des deux albums comme le sont les versions live des Astro Noetic Chiasm χ contenues à dessein dans le vinyle et qui introduisent le double CD comme un vade – mecum qui aidera l’auditeur (même féru de Noise) à s’acclimater aux trois longues compositions qui constituent le cœur de cette œuvre : Πονερóς λόγος (Πονερογένεση)* - 38 :29 , Something about the Great Filter - 30 :26 et Nemo Point Soundmap … - 45 :16. Il est utile de comparer les versions solitaires des Astro-Noetic… du CD et celles « orchestrales » du vinyle pour saisir la liberté que le compositeur se donne et ses intentions fondamentales. Ce qui frappe à l’écoute des 38 :29 de Πονερóς λόγος (Πονερογένεση)*, c’est l’obstination évolutive d’une action répétée sur l’instrument, circonvenue de résonances électriques générées par ce processus. Un battement obsessionnel qui varie minutieusement au fil des secondes et des minutes. Il ne faut même pas essayer de comprendre l’action de l’instrumentiste à défaut de le voir, mais se laisser simplement emporter par le flux de l’action sonore. On aboutit alors à un stade intermédiaire vers la 13ème minute où un flux – faisceau de résonances sourdes, d’oscillations dans les graves et de frictions s’agrègent pour laisser place à un frottement lancinant bruitiste. Le silence joue un rôle important, car le moindre son,le moindre grésillement et la dynamique qui y préside se découpe avec précision dans celui-ci, bordé d’infra-sons, de micro-crissements. Au centre de l’action , l’archet de Zsolt pressure l’alto amplifié et trafiqué, lui-même bordé de vibrations sonores ou de sifflements mutiques qui finissent par envahir l’espace. On est déjà à la minute 20’ et la masse sonore s’agglutine, des graves bourdonnent, dérapent, s’enrayent : la trance bruitiste sous contrôle gémit, grogne, se déchire, siffle… mugit, … battements électrogènes obsédant, échos métalliques sur fond de drones vocalisés, murmures de la bête … Simultanément ascèse et effroi, expressionnisme et rage intellectuelle, chaman électro-acoustique, logique implacable… Franchement, à mon avis, notre magyar atypique n’a rien à envier à Keith Rowe et à d’autres gaillards de cette trempe. Généreux, il a bourré jusqu’à la gueule son double CD de trois pièces de première grandeur, longues à souhait, qui nécessitent un investissement en temps, énergie et disposition d’esprit à l'auditeur pour en appréhender les détails et toute la dramaturgie. En effet, au CD2, Something about the Great Filter, commence tout à fait autrement et nous fait entendre une autre type de jeux, de sonorités, d’actions lesquelles suivent une logique spécifique à cette longue composition laquelle peut être perçue comme une dérive surréaliste ou comme la poursuite maniaque d’une idée fixe. Les glissandi agressifs et métalliques obtenus avec le Dàn bầu, un monochorde vietnamien, muent étonnamment tout au long de l’exécution de cette pièce, en compagnie du Mole-Rat Electromagnetic Field Explorer, des Objets et Objets vibrants et le Roland RE-201 Space - Echo. Tous ces effets sonores volatiles s’agglutinent et virevoltent autour des vibrations sadiques encaissées par le Dàn bầu, avec une lisibilité surprenante pour ce type de musique où de nombreux praticiens ne sont pas à dix bavures près. Z.S. aurait pu consacrer trois albums différents pour chacune de ces trois très longues compositions… Mais, il y a urgence !!
Zsolt Sörès est un artiste essentiel de notre temps qui mérite d’être suivi et découvert pour la singularité de son travail acharné et de sa vision sonore.
Jean Marc Foussat Ombres Onctueuses FOU Records FR-LP 10
https://www.fourecords.com/FR-LP10.htm
https://fourecords.bandcamp.com/album/ombres-onctueuses
L’Aile d’Icare Jean-Marc Foussat Urs Leimgruber & Carlos Zingaro FOU Records FR – CD 44
https://www.fourecords.com/FR-CD44.htm
Pochette avec végétation méditerranéenne écran d’un ciel nuageux ou lumière solaire suggérée dans la pénombre de deux persiennes antiques dans une chambre quelque part. Dès le départ, on percute méchamment le cadre du piano alors que des boucles sifflantes vont et viennent, fuyantes ou menaçantes, saturées, agrégats suraigus, crachotements fumigènes, aigus exaspérés, éclairs électriques… . Vrombissements, rumeurs, sifflements, grondements de moteur aérien, boucles survoltées, cadences de machines en fin de course, sirènes … et piano qui intervient sans crier gare alors que s’effacent les stries électroniques dans un demi -silence…. ou qui déboule comme un intrus bien à son aise en Face B. Martèlements désinvoltes au clavier du meilleur effet. Depuis ses enregistrements qui emplissaient l’espace auditif, Jean-Marc Foussatcultive aujourd’hui une approche plus épurée, mystérieuse, secrète, qui peut aboutir à une saturation noise – agrégats de couches oscillantes ou frissonnantes, à d’exquis filets de sons, contrepoints volatiles ou glissandi ténébreux, le tout en enchaînement de cadavres exquis ou martèlements sadiques (aïïe le piano !). Et cette guimbarde qui clôt la face B d’Ombres Onctueuses, titre énigmatique de 33 tours – bouteille à la mer. Quand cette approche est conjuguée à la sagacité d’improvisateurs de haut vol (subtils et hyper expérimentés), c’est l’envol d’Icare sur son Aile mythique. Le saxophoniste Urs Leimgruber et le violoniste Carlos Zingaro ne jouent pas ici leur rôle « Leimgruber » ou « Zingaro » mais s’insèrent poétiquement dans l’état de nature de cette électronique analogique d’un autre temps. On n’entend pas le temps passer, on voit la musique défiler et deviner les interventions heureuses. L’art du fétu charrié par l’humeur du moment, le ronronnement hélicoïdal perturbé, le silence mis en valeur par le murmure de moteurs imaginaires, sifflements de l’au-delà, sifflet de l’ anche pressurée du sax soprano. L’archet strie la vibration de la corde aiguë du violon en s’agrégeant aux atterrissages de réacteurs vibrants et lointains. Un monde de sons ténus qui s’interpénètrent et se détachent dans le même mouvement. Voilà sûrement qui aurait fait la joie du label Potlatch à la sauce Oger années 2000, un cran au-dessus. Une musique exquise qui défie la logique des courants et la froidure des courants d’air. Et quand la lumière s’allume , des éclairs fusent et disparaissent. Générations spontanées successives de sons et timbres d’une mise en commun alternée de chacun des instruments qui se confondent, se dupliquent, se distinguent, se prolongent souvent en se rapprochant du silence. Interactivité organique. Le lyrisme extrême de Zingaro, la poésie de Leimgruber, le don du dosage raffiné de Foussat, la dynamique du trio, les heureux contrepoints heureux vers la minute 25 . Tout interpelle : la magie de moments uniques … et les silences signifiants nés de cette superbe improvisation collective qui se renouvelle avec une belle constance de bout en bout. Un des tous plus beaux albums de Jean- Marc Foussat au sommet de son art avec deux improvisateurs instrumentistes incontournables et complètement concernés à donner le meilleur d’eux-mêmes sans imposer un quelconque agenda. Un vrai partage sonore de l’instant et sa durée optimale. Pochette avec peinture de Carlos Zingaro, photo de Philippe Alen (l’écrivain – critique), comètes choisies dans le Livre des Miracles (16ème s), poème de Fernando Pessoa, enregistrement, mixage et mastering de Jean-Marc Foussat au four et au moulin. Cette fois-ci, il a gagné aussi le beurre, l’argent du beurre et les faveurs de l’auditeur.
22 mars 2023
Daunik Lazro Carlos Zingaro Joëlle Léandre Paul Lovens/ Ivo Perelman & Elliott Sharp/ Mark Sanders & Emil Karlsen /Christoph Gallio Silvan Jeger Gerry Hemingway
Madly You Daunik Lazro Carlos Zingaro Joëlle Léandre Paul Lovens FOU Records FR – CD 46.
https://www.fourecords.com/FR-CD46.htm
Réédition bienvenue d’un album brûlot publié il y a fort longtemps par Potlatch (P CD 102) et enregistré par Jean-Marc Foussat en mars 2001 au cours du Festival Banlieues Bleues, lequel Jean-Marc a pris l’initiative de l’insérer dans le catalogue chamarré de son label FOU Records. Vu la longueur des deux morceaux, Madly You fait 40:47 et Lyou Mad, 19:33, on peut penser que ce « super-groupe » est sans doute l’initiative personnelle de Daunik Lazro plutôt qu’une suggestion de Joëlle Léandre. En effet la contrebassiste parisienne préfère des formes plus courtes agrémentées éventuellement de duos alors que le saxophoniste, ici à l’alto et au baryton, ne craint pas les embardées jusqu’au boutiste et la persévérance risquée de maintenir le cap au fil de dizaines de minutes non-stop. Et comme Paul Lovens a toujours été prêt à tout, même à frapper dru alors qu’on le connait ultra – pointilliste dans nombre de circonstances circonstances. C'est donc l'option choisie par le batteur : abrupt et mystérieux, mais en finesse ! Par chance, a été convié ce super violoniste, Carlos Alves Zingaro, un des incontournables européens de la musique chambriste raffinée qui a lui-même autant d’affinités pour Léandre que pour Lazro, rencontré déjà dans les années 70. On sait que journalistes et amateurs avertis gambergent toujours face à ce genre de groupes composés de fortes personnalités « incontournables » . Question : la somme des talents conjugués ici apportent-ils un bonus, une féérie, des émotions etc… ?
Dès le départ les deux cordistes font grincer l’âme de leurs instruments et frottent à qui mieux mieux alors que Daunik Lazro et ses harmoniques aiguës entonnent déjà le cri de guerre. Frappant à peine au départ, Paul Lovens répond par une flagrante explosion qui retombe aussi vite, laissant le quartet suspendre son vol dans un rythme de croisière apaisé tout en donnant l’impression que la cocotte - minute exploserait bien. Chacun apporte sa pierre à l’édifice, en créant un espace sonore de jeu qui permet à tous de se faire entendre y compris les moindres détails comme ce dialogue tangentiel sax alto / percussion dans lequel Léandre s’invite en étirant ses sonorités à l’archet. De chaque configuration – séquence successive naissent des occurrences soniques et des actions diversifiées, et vers la dixième minute, les deux cordistes s’agrègent en duo. Dialogue imbriqué dans lequel le batteur s’insère insidieusement et graduellement. Ces passages de relais et le silence de l’un puis de l’autre crée des phases de jeux distinctes qui mènent un Lovens solitaire à faire tituber des résonances et de très curieuses frappes détaillées et isolées sur les cymbales s’apparentant à l’écriture automatique d’un poète unique de la percussion. C’est sur ces étranges digressions que Daunik Lazro fait mugir et gronder son sax baryton graveleux à souhait avec la dose de petits silences nécessaires pour maintenir cette infinie poésie. Il faut ensuite admirer l’intervention fantomatique du violoniste portugais et les discrètes trouvailles de Lovens, trublion à (presque) jamais inégalé dans cette scène improvisée depuis 50 ans. Joëlle Léandre s’impose ensuite à bon escient permettant à Carlos Zingaro de s’ensauvager. Ce qui est magnifique dans cette continuelle gesticulation organique « sauvage » lorsqu’on l’écoute attentivement, est ce dosage savant dans les interventions individuelles qui prennent chacune à leur tour la prééminence de manière lisible, éphémère, équilibrée et justifiée par l’équilibre des forces en présence et cette mise en commun qui met chacun des quatre improvisateurs sous les feux des projecteurs ou au centre du débat avec une magnifique alternance. J’ai beau écouter avec concentration, je n’arrive pas à trouver de quelconque longueur dans cette improvisation collective qui passe de l’expressionnisme brut à un filet de jeu restreint comme durant cette séquence vers les minutes 28-29 (scie musicale + violon). Celle-ci s’étire dangereusement jusqu’à la minute 33, elle, carrément psychodramatique, et tout un nuancier improbable d’actions aussi concertées que déroutantes. Il y a peut – être moyen de jouer de manière plus ceci ou plus cela, mais il est indéniable que la qualité musicale « improvisée » et la complete communion est particulièrement réussie. Et ils se paient le luxe d'aller encore plus loin dans les 19:33 de Lyou Mad (exploit) avec des éclairs fulgurants et des trouvailles renouvelées (les deux splendides cordistes!). Je retrouve là le Paul Lovens du génial duo avec Paul Lytton et croyez-moi Joëlle Léandre en prend de la graine, Daunik Lazro signant ici un sommet instantané de sa carrière. Jean–Marc Foussat : bien vu mon gars ! Sensationnel !! Vive la Foussattitude !!
Ivo Perelman Elliott Sharp Artificial Intelligence Mahakala Music
https://ivoperelman.bandcamp.com/album/artificial-intelligence
Improvisateur libre, le saxophoniste brésilien Ivo Perelman est une figure marquante de l’art afro-américain du jazz « free » basé sur l’interaction directe, l’écoute mutuelle et l’invention instantanée sans composition, thème, « solo » et accompagnement. Comme il joue très souvent avec le pianiste Matt Shipp, les bassistes William Parker et Michael Bisio, les batteurs Gerald Cleaver et Whit Dickey son sens instantané du risque s’inscrit en consensus avec un développement mélodique expressif issu des grands ténor du jazz. Toutefois, il nous a surpris avec ses duos enregistrés avec le trompettiste Nate Wooley et le clarinettiste basse Rudi Mahall, des albums complètement improvisés avec des cordistes New Yorkais comme Hank Roberts, Mat Maneri, Mark Feldman et Jason Kao Hwang , ou d’autres cordistes British comme Phil Wachsmann, Benedict Taylor, Marcio Mattos et le guitariste microtonal Pascal Marzan avec qui il a même enregistré un duo vraiment remarquable et complètement inattendu (Dust of Light – Setola di Maiale). Avec cette collaboration avec le guitariste Elliott Sharp, Ivo Perelman transgresse allègrement les codes des free-jazzmen, tout comme l’avaient fait avant lui Anthony Braxton avec Derek Bailey (en 1974) ou Frank Lowe avec Eugene Chadbourne un peu plus tard. D’ailleurs, on découvrit la musique hybride et audacieuse d’Elliott Sharp dans le sillage de Chadbourne et John Zorn au début des années 80. Il est l’auteur d’un chef d’œuvre relativements récent de la guitare d’avant-garde : The Velocity of Hue (Emanem 4098). Dans ce duo avec Perelman, on schématisera très fort en disant que le jeu d’Elliott Sharp découle des avancées de Derek Bailey ou mieux sa manière de jouer s’apparente au guitariste de Sheffield. Surtout si on le compare à d’autres guitaristes de jazz, même parmi les plus audacieux. Peut – être Sharp est-il un cousin de son exact contemporain, Henry Kaiser. Entendons- nous bien : dans cette rencontre « de la carpe et du lapin » , les deux acolytes démontrent valablement que leurs différences et intentions musicales personnelles sont avant tout un challenge pour créer une musique duelle, contrastée mais bourrée d’empathie ludique et de compréhension mutuelle malgré la logique « avant-gardiste » qui énonce candidement qu’il faille jouer avec des collègues avec qui on est d’accord sur presque tout , à qui « on ressemble » et avec qui on partage une esthétique commune « radicale ». Il y a fort longtemps que Derek Bailey a enregistré ce disque improbable avec le clarinettiste de jazz (et contemporain) Tony Coe (Time/ Incus) et est parvenu ainsi à démontrer de manière ultra-convaincante qu’avec de l’imagination, un improvisateur « qui ose » parvient à faire coïncider deux univers musicaux que tout semblent opposer. Bourrée d’effets jusqu’à la gueule ou étrangement réaccordée, la huit cordes mutante et hérissée d’Elliott Sharp sabre dans la chair élastique du souffle du saxophoniste en le poussant à tirer parti des extrêmes de son saxophone. On y entend aussi une mandoline désaxée.
Je tire mon chapeau aux duettistes car ils font tout ce qui est possible pour entretenir le dialogue et repousser plus loin encore les actions instrumentales, les trouvailles, les ambiances, les excès, avec autant d’obstination que de fantaisie. Le guitariste se fait outrageusement bruitiste ou ultra « picotant » dès le n° One (29 :12) et Ivo Perelman s’engage dans les déchirements de sa superbe sonorité en fragments, lambeaux et contorsions de colonne d’air, étirant les harmoniques aiguës, ces notes fantômes (Ghosts) qui surgissent miraculeusement au-delà de la tessiture normale du sax ténor. Une fois le constat bruitiste achevé, des échappées multidirectionnelles , griffures instantanées et extrapolations ludiques, font métamorphoser les échanges enfiévrés dans toutes les mutations sonores où leur imagination et l’empire du jeu – écriture automatique les entraînent, presque malgré eux. Je vais résumer en disant tout net, que Artificial Intelligence est un album vachement plaisant, emballant et, somme toute, rare. Le titre évoquant à la fois une subtile intelligence sous l’aspect parfois « brut de décoffrage » (pour reprendre une formule toute-faite de communicant) et de magnifiques feux d’Artifices soniques.
Mark Sanders Emil Karlsen Muted language Bead 45
https://www.beadrecords.com/new-release-muted-language-by-mark-sanders-and-emil-karlsen/
Enfin un album de percussions en duo avec deux improvisateurs batteurs parmi les meilleurs des Îles Britanniques : Mark Sanders, un vieux routier de la scène (Evan Parker, John Butcher, Paul Dunmall, Veryan Weston, John Edwards, etc) et Emil Karlsen, un Norvégien nouveau venu basé à Sheffield. Emil s’est engagé à poursuivre les activités du label Bead records du légendaire violoniste Philipp Wachsmann et cela promet (avec Phil Durrant, Ed Jones). Tout récemment le magnifique trio Spaces Unfolding de Wachsmann et Karlsen en compagnie du flûtiste Neil Metcalfe y a publié un super CD : The Way We Speak , chroniqué ici il y a quelques semaines
Ce très remarquable dialogue exploratoire des possibilités sonores et expressives de la percussion nous ouvre un champ auditif unique, lequel fut inauguré par le génial Ionisation d’Edgar Varèse, il y a fort longtemps. Le duo permet une conjonction d’occurrences sonores et démultiplie les pulsations dans une myriades d’accents, de vibrations et de couleurs accentuant petit à petit des décalages oscillants. Qui fait quoi, peu importe. Question rythmique, cette confrontation se déroule à un haut niveau de précision et d’empathie synchronisée. À deux, ils semblent abattre le travail foisonnant de trois ou quatre percussionnistes. Les pulsations se dédoublent, s’enchevêtrent et les timbres se diversifient illustrant tout un nuancier de touchers, frictions, rebondissements, grattages, frottements, scintillements, ionisations, réverbérations, chocs, picotements, … bois, métal, peau, plastique… Une magnifique communion ludique. Les deux duettistes commencent leur parcours avec des échanges logiques, des frappes cadrées, ordonnancées, lumineuses. Au fil des six improvisations, une sorte de clair-obscur s’installe, une poésie dans les échanges, des risques, extrapolations, ping-pong tangentiels, infimes fractions de la pulsation renouvelée à l’infini, rotations d’idées lumineuses et de brouillages, écriture automatique. Voilà bien une jungle de signes et de gestes où l’auditeur peut laisser échapper sa curiosité et son imagination.
Day & Taxi Live in Baden – Christoph Gallio Silvan Jeger Gerry Hemingway Clean Feed CF615CD
https://christophgallio.bandcamp.com/album/day-taxi-live-in-baden
Day and Taxi est devenu un trio incontournable depuis des … décennies. Initié il y a fort longtemps par le saxophoniste Christoph Gallio (soprano, alto et c-melody saxophones), le compositeur leader est aujourd’hui brillamment secondé par le batteur Gerry Hemingway, lui-même basé en Suisse et par le contrebassiste Silvan Jeger. L’inspiration des neuf compositions de ce live attachant et le feeling ou ressenti de leurs interprétations est aussi changeant que le climat alpin où l’orage cataclysmique d’une sombre soirée et sa masse épaisse de nuages noirs striés et illuminés par les éclairs est balayé par le Föhn pour laisser place à un ciel radieux et ensoleillé. Des fins de printemps enneigés sont monnaie courante. Sa version du free-jazz passe de l’empoignade avec force morsures véhémentes du bec et des volées de baguettes sur tous les recoins des fûts à un souffle pastoral apaisé. Sautillement caractéristique d’une comptine endiablée ou thème précieux alternant avec de courts solos de batterie (Faces). Morceaux très courts ou nettement plus longs. On entend que Gallio a bien déchiffré des pièces de Steve Lacy, mais ne craint pas les embardées. Suave ou acide, emporté ou rêveur. Et de l’humour ! La contrebasse marque le tempo de manière ouverte ou menaçante et répétitive dans Too Much Nothing. Le souffleur s’y fait sage, jouant sommairement la ligne mélodique et ses curieux intervalles avant de dériver avec des growls désarticulés sous la férule du batteur qui souligne le beat intermédiaire. Et quel distingué batteur, ce Gerry Hemingway qui joue au mieux avec quiconque fait appel à ses services avec des solutions rythmiques superbes et des roulements enchaînés et polyrythmiques époustouflants et une sonorité admirable. (Marina and the lucky pop transformation) ! Bref, la variété du matériau et cette absence totale de prétention tout à fait ludique et enjouée, nous rend ce Christoph Gallio éminemment sympathique, tout à sa joie de jouer avec un style singulièrement différent d’un instrument à l’autre.
https://www.fourecords.com/FR-CD46.htm
Réédition bienvenue d’un album brûlot publié il y a fort longtemps par Potlatch (P CD 102) et enregistré par Jean-Marc Foussat en mars 2001 au cours du Festival Banlieues Bleues, lequel Jean-Marc a pris l’initiative de l’insérer dans le catalogue chamarré de son label FOU Records. Vu la longueur des deux morceaux, Madly You fait 40:47 et Lyou Mad, 19:33, on peut penser que ce « super-groupe » est sans doute l’initiative personnelle de Daunik Lazro plutôt qu’une suggestion de Joëlle Léandre. En effet la contrebassiste parisienne préfère des formes plus courtes agrémentées éventuellement de duos alors que le saxophoniste, ici à l’alto et au baryton, ne craint pas les embardées jusqu’au boutiste et la persévérance risquée de maintenir le cap au fil de dizaines de minutes non-stop. Et comme Paul Lovens a toujours été prêt à tout, même à frapper dru alors qu’on le connait ultra – pointilliste dans nombre de circonstances circonstances. C'est donc l'option choisie par le batteur : abrupt et mystérieux, mais en finesse ! Par chance, a été convié ce super violoniste, Carlos Alves Zingaro, un des incontournables européens de la musique chambriste raffinée qui a lui-même autant d’affinités pour Léandre que pour Lazro, rencontré déjà dans les années 70. On sait que journalistes et amateurs avertis gambergent toujours face à ce genre de groupes composés de fortes personnalités « incontournables » . Question : la somme des talents conjugués ici apportent-ils un bonus, une féérie, des émotions etc… ?
Dès le départ les deux cordistes font grincer l’âme de leurs instruments et frottent à qui mieux mieux alors que Daunik Lazro et ses harmoniques aiguës entonnent déjà le cri de guerre. Frappant à peine au départ, Paul Lovens répond par une flagrante explosion qui retombe aussi vite, laissant le quartet suspendre son vol dans un rythme de croisière apaisé tout en donnant l’impression que la cocotte - minute exploserait bien. Chacun apporte sa pierre à l’édifice, en créant un espace sonore de jeu qui permet à tous de se faire entendre y compris les moindres détails comme ce dialogue tangentiel sax alto / percussion dans lequel Léandre s’invite en étirant ses sonorités à l’archet. De chaque configuration – séquence successive naissent des occurrences soniques et des actions diversifiées, et vers la dixième minute, les deux cordistes s’agrègent en duo. Dialogue imbriqué dans lequel le batteur s’insère insidieusement et graduellement. Ces passages de relais et le silence de l’un puis de l’autre crée des phases de jeux distinctes qui mènent un Lovens solitaire à faire tituber des résonances et de très curieuses frappes détaillées et isolées sur les cymbales s’apparentant à l’écriture automatique d’un poète unique de la percussion. C’est sur ces étranges digressions que Daunik Lazro fait mugir et gronder son sax baryton graveleux à souhait avec la dose de petits silences nécessaires pour maintenir cette infinie poésie. Il faut ensuite admirer l’intervention fantomatique du violoniste portugais et les discrètes trouvailles de Lovens, trublion à (presque) jamais inégalé dans cette scène improvisée depuis 50 ans. Joëlle Léandre s’impose ensuite à bon escient permettant à Carlos Zingaro de s’ensauvager. Ce qui est magnifique dans cette continuelle gesticulation organique « sauvage » lorsqu’on l’écoute attentivement, est ce dosage savant dans les interventions individuelles qui prennent chacune à leur tour la prééminence de manière lisible, éphémère, équilibrée et justifiée par l’équilibre des forces en présence et cette mise en commun qui met chacun des quatre improvisateurs sous les feux des projecteurs ou au centre du débat avec une magnifique alternance. J’ai beau écouter avec concentration, je n’arrive pas à trouver de quelconque longueur dans cette improvisation collective qui passe de l’expressionnisme brut à un filet de jeu restreint comme durant cette séquence vers les minutes 28-29 (scie musicale + violon). Celle-ci s’étire dangereusement jusqu’à la minute 33, elle, carrément psychodramatique, et tout un nuancier improbable d’actions aussi concertées que déroutantes. Il y a peut – être moyen de jouer de manière plus ceci ou plus cela, mais il est indéniable que la qualité musicale « improvisée » et la complete communion est particulièrement réussie. Et ils se paient le luxe d'aller encore plus loin dans les 19:33 de Lyou Mad (exploit) avec des éclairs fulgurants et des trouvailles renouvelées (les deux splendides cordistes!). Je retrouve là le Paul Lovens du génial duo avec Paul Lytton et croyez-moi Joëlle Léandre en prend de la graine, Daunik Lazro signant ici un sommet instantané de sa carrière. Jean–Marc Foussat : bien vu mon gars ! Sensationnel !! Vive la Foussattitude !!
Ivo Perelman Elliott Sharp Artificial Intelligence Mahakala Music
https://ivoperelman.bandcamp.com/album/artificial-intelligence
Improvisateur libre, le saxophoniste brésilien Ivo Perelman est une figure marquante de l’art afro-américain du jazz « free » basé sur l’interaction directe, l’écoute mutuelle et l’invention instantanée sans composition, thème, « solo » et accompagnement. Comme il joue très souvent avec le pianiste Matt Shipp, les bassistes William Parker et Michael Bisio, les batteurs Gerald Cleaver et Whit Dickey son sens instantané du risque s’inscrit en consensus avec un développement mélodique expressif issu des grands ténor du jazz. Toutefois, il nous a surpris avec ses duos enregistrés avec le trompettiste Nate Wooley et le clarinettiste basse Rudi Mahall, des albums complètement improvisés avec des cordistes New Yorkais comme Hank Roberts, Mat Maneri, Mark Feldman et Jason Kao Hwang , ou d’autres cordistes British comme Phil Wachsmann, Benedict Taylor, Marcio Mattos et le guitariste microtonal Pascal Marzan avec qui il a même enregistré un duo vraiment remarquable et complètement inattendu (Dust of Light – Setola di Maiale). Avec cette collaboration avec le guitariste Elliott Sharp, Ivo Perelman transgresse allègrement les codes des free-jazzmen, tout comme l’avaient fait avant lui Anthony Braxton avec Derek Bailey (en 1974) ou Frank Lowe avec Eugene Chadbourne un peu plus tard. D’ailleurs, on découvrit la musique hybride et audacieuse d’Elliott Sharp dans le sillage de Chadbourne et John Zorn au début des années 80. Il est l’auteur d’un chef d’œuvre relativements récent de la guitare d’avant-garde : The Velocity of Hue (Emanem 4098). Dans ce duo avec Perelman, on schématisera très fort en disant que le jeu d’Elliott Sharp découle des avancées de Derek Bailey ou mieux sa manière de jouer s’apparente au guitariste de Sheffield. Surtout si on le compare à d’autres guitaristes de jazz, même parmi les plus audacieux. Peut – être Sharp est-il un cousin de son exact contemporain, Henry Kaiser. Entendons- nous bien : dans cette rencontre « de la carpe et du lapin » , les deux acolytes démontrent valablement que leurs différences et intentions musicales personnelles sont avant tout un challenge pour créer une musique duelle, contrastée mais bourrée d’empathie ludique et de compréhension mutuelle malgré la logique « avant-gardiste » qui énonce candidement qu’il faille jouer avec des collègues avec qui on est d’accord sur presque tout , à qui « on ressemble » et avec qui on partage une esthétique commune « radicale ». Il y a fort longtemps que Derek Bailey a enregistré ce disque improbable avec le clarinettiste de jazz (et contemporain) Tony Coe (Time/ Incus) et est parvenu ainsi à démontrer de manière ultra-convaincante qu’avec de l’imagination, un improvisateur « qui ose » parvient à faire coïncider deux univers musicaux que tout semblent opposer. Bourrée d’effets jusqu’à la gueule ou étrangement réaccordée, la huit cordes mutante et hérissée d’Elliott Sharp sabre dans la chair élastique du souffle du saxophoniste en le poussant à tirer parti des extrêmes de son saxophone. On y entend aussi une mandoline désaxée.
Je tire mon chapeau aux duettistes car ils font tout ce qui est possible pour entretenir le dialogue et repousser plus loin encore les actions instrumentales, les trouvailles, les ambiances, les excès, avec autant d’obstination que de fantaisie. Le guitariste se fait outrageusement bruitiste ou ultra « picotant » dès le n° One (29 :12) et Ivo Perelman s’engage dans les déchirements de sa superbe sonorité en fragments, lambeaux et contorsions de colonne d’air, étirant les harmoniques aiguës, ces notes fantômes (Ghosts) qui surgissent miraculeusement au-delà de la tessiture normale du sax ténor. Une fois le constat bruitiste achevé, des échappées multidirectionnelles , griffures instantanées et extrapolations ludiques, font métamorphoser les échanges enfiévrés dans toutes les mutations sonores où leur imagination et l’empire du jeu – écriture automatique les entraînent, presque malgré eux. Je vais résumer en disant tout net, que Artificial Intelligence est un album vachement plaisant, emballant et, somme toute, rare. Le titre évoquant à la fois une subtile intelligence sous l’aspect parfois « brut de décoffrage » (pour reprendre une formule toute-faite de communicant) et de magnifiques feux d’Artifices soniques.
Mark Sanders Emil Karlsen Muted language Bead 45
https://www.beadrecords.com/new-release-muted-language-by-mark-sanders-and-emil-karlsen/
Enfin un album de percussions en duo avec deux improvisateurs batteurs parmi les meilleurs des Îles Britanniques : Mark Sanders, un vieux routier de la scène (Evan Parker, John Butcher, Paul Dunmall, Veryan Weston, John Edwards, etc) et Emil Karlsen, un Norvégien nouveau venu basé à Sheffield. Emil s’est engagé à poursuivre les activités du label Bead records du légendaire violoniste Philipp Wachsmann et cela promet (avec Phil Durrant, Ed Jones). Tout récemment le magnifique trio Spaces Unfolding de Wachsmann et Karlsen en compagnie du flûtiste Neil Metcalfe y a publié un super CD : The Way We Speak , chroniqué ici il y a quelques semaines
Ce très remarquable dialogue exploratoire des possibilités sonores et expressives de la percussion nous ouvre un champ auditif unique, lequel fut inauguré par le génial Ionisation d’Edgar Varèse, il y a fort longtemps. Le duo permet une conjonction d’occurrences sonores et démultiplie les pulsations dans une myriades d’accents, de vibrations et de couleurs accentuant petit à petit des décalages oscillants. Qui fait quoi, peu importe. Question rythmique, cette confrontation se déroule à un haut niveau de précision et d’empathie synchronisée. À deux, ils semblent abattre le travail foisonnant de trois ou quatre percussionnistes. Les pulsations se dédoublent, s’enchevêtrent et les timbres se diversifient illustrant tout un nuancier de touchers, frictions, rebondissements, grattages, frottements, scintillements, ionisations, réverbérations, chocs, picotements, … bois, métal, peau, plastique… Une magnifique communion ludique. Les deux duettistes commencent leur parcours avec des échanges logiques, des frappes cadrées, ordonnancées, lumineuses. Au fil des six improvisations, une sorte de clair-obscur s’installe, une poésie dans les échanges, des risques, extrapolations, ping-pong tangentiels, infimes fractions de la pulsation renouvelée à l’infini, rotations d’idées lumineuses et de brouillages, écriture automatique. Voilà bien une jungle de signes et de gestes où l’auditeur peut laisser échapper sa curiosité et son imagination.
Day & Taxi Live in Baden – Christoph Gallio Silvan Jeger Gerry Hemingway Clean Feed CF615CD
https://christophgallio.bandcamp.com/album/day-taxi-live-in-baden
Day and Taxi est devenu un trio incontournable depuis des … décennies. Initié il y a fort longtemps par le saxophoniste Christoph Gallio (soprano, alto et c-melody saxophones), le compositeur leader est aujourd’hui brillamment secondé par le batteur Gerry Hemingway, lui-même basé en Suisse et par le contrebassiste Silvan Jeger. L’inspiration des neuf compositions de ce live attachant et le feeling ou ressenti de leurs interprétations est aussi changeant que le climat alpin où l’orage cataclysmique d’une sombre soirée et sa masse épaisse de nuages noirs striés et illuminés par les éclairs est balayé par le Föhn pour laisser place à un ciel radieux et ensoleillé. Des fins de printemps enneigés sont monnaie courante. Sa version du free-jazz passe de l’empoignade avec force morsures véhémentes du bec et des volées de baguettes sur tous les recoins des fûts à un souffle pastoral apaisé. Sautillement caractéristique d’une comptine endiablée ou thème précieux alternant avec de courts solos de batterie (Faces). Morceaux très courts ou nettement plus longs. On entend que Gallio a bien déchiffré des pièces de Steve Lacy, mais ne craint pas les embardées. Suave ou acide, emporté ou rêveur. Et de l’humour ! La contrebasse marque le tempo de manière ouverte ou menaçante et répétitive dans Too Much Nothing. Le souffleur s’y fait sage, jouant sommairement la ligne mélodique et ses curieux intervalles avant de dériver avec des growls désarticulés sous la férule du batteur qui souligne le beat intermédiaire. Et quel distingué batteur, ce Gerry Hemingway qui joue au mieux avec quiconque fait appel à ses services avec des solutions rythmiques superbes et des roulements enchaînés et polyrythmiques époustouflants et une sonorité admirable. (Marina and the lucky pop transformation) ! Bref, la variété du matériau et cette absence totale de prétention tout à fait ludique et enjouée, nous rend ce Christoph Gallio éminemment sympathique, tout à sa joie de jouer avec un style singulièrement différent d’un instrument à l’autre.
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