24 mars 2023

King Übü Orkestrü 2021 Erhard Hirt, Stefan Keune, Marc Charig Axel Dörner Matthias Muche Melvyn Poore Phil Wachsmann Alfred Zimmerlin Hans Schneider Paul Lytton + Phil Minton/ Zsolt Sörés - Ahad/ Jean-Marc Foussat Carlos Zingaro et Urs Leimgruber

Roi King Übü Örchestrü 2021 Erhard Hirt, Stefan Keune, Marc Charig , Axel Dörner, Matthias Muche, Melvyn Poore, Phil Wachsmann, Alfred Zimmerlin, Hans Schneider Paul Lytton + Phil Minton FMR Records FMRCD653-0822
https://handaxe.bandcam.com/album/roi

Après une absence d’une vingtaine d’années et le décès de son co-fondateur, le clarinettiste – saxophoniste Wolfgang Fuchs, voici que le King Übü Örchestrü renait de ses cendres à l’initiative de son autre co-fondateur, le guitariste Erhard Hirt, le quel avait quitté le navire assez tôt dans l’évolution de ce tentet consacré à l’improvisation radicale depuis 1983. Sans doute, suite à la résurgence du quartet autour duquel King Übü avait été assemblé au départ, le légendaire X-Pact, formé de Fuchs, du percussionniste Paul Lytton, du guitariste Erhard Hirt et du contrebassiste Hans Schneider, lesquels font actuellement partie du King Übü 2021, l'idée de faire revivre ce tentet exceptionnel a germé à bon escient.Il suffit d'écouter cette merveille pour s'en convaincre. Le tubiste Melvyn Poore, le violoncelliste Alfred Zimmerlin, les trompettistes Marc Charig et Axel Dörner avaient joué dans l’Örchestrü et le vocaliste Phil Minton avait été l’invité de leur dernier CD pour a/l/l. Nouveaux venus : le tromboniste Matthias Muche et le saxophoniste Stefan Keune, lui-même membre de l’actuel X-Pact. Roi est composé de deux longues improvisations collectives Roi 3 (27 :05) et Roi 4 (35 :06) . Un ancien membre du groupe a fait remarquer que sans Radu Malfatti (parti vers d’autres cieux sonores), Günter Christmann (qui a cessé de se produire en concert) et Wolfgang Fuchs (décédé), il n’y avait pas lieu de ressusciter ce groupe légendaire. Ce qui est certain c’est qu’il y a assez de membres originaux qui ont ramé toute leur vie pour jouer cette musique durant des dizaines d’années et que le contenu et l’approche esthétique d’Übü se perpétue avec un vrai bonheur. Un groupe unique en son genre. Pas de solos et d' «improvisations individuelles », mais une dimension orchestrale où chaque intervenant apporte des éléments, des sons, des couleurs, des bruits, des fragments de « phrases » en alternance en utilisant aussi des espaces individuels de silence, des tutti à l’unisson et des actions – réactions contrastées, pointillistes. Percussionniste du groupe, Paul Lytton offre la garantie de la discrétion question roulements de caisses, style « jeu de batterie », fracas de cymbales sauf à quelques moments choisis. De ses ustensiles percussifs et objets et cordes de guitare tendues et amplifiées , il introduit de petites touches, grattages, micro-frappes et bruissements de ses ustensiles percussifs et ses live electronics. De même, la guitare + laptop d’Erhard Hirt. Les instruments à vent se relaient et s’assemblent, grondent, sussurent, gargouillent ou suggèrent des harmonies secrètes et des clusters alors que les trois cordistes Wachsmann, Zimmerlin et Schneider nourrissent épisodiquement la pâte sonore ou impriment leurs frottements d’intensité variables dans le silence relatif. La musique est soit suspendue, s’étire, se densifie pour s’évanouir quelques secondes plus tard, ou s’exaspère. Chacun à son tour, les improvisateurs peuvent très bien apporter une fragment de phrase, un son, un timbre et cela se répond, se croise et très vite re-font un bref silence ou se retiennent de jouer jusqu’à ce que leur vienne une idée lumineuse. Ou alors le silence est presque total, afin que Phil Minton puisse émettre ses gargouillis et onomatopées improbables, vocalises – glissandi mirifiques. Pour son retour sur scène, King Übü Örchestrü se révèle être resté un très grand Örchestrü, sans aucun doute un ou "le" modèle du genre. En fait la musique ne repose pas sur les exploits instrumentaux individuels, mais sur le jeu collectif et une très grande écoute mutuelle. Lytton, par exemple, est ébouriffant de virtuosité batteriste auprès d’ Evan Parker et Barry Guy, mais vous n’entendrez rien de cela ici, pas le moindre instant. Fantastique album de musique improvisée COLLECTIVE qui vaut vraiment le détour .

AHAD’S FLUX WORLDS 1 Nemo Point Soundmap For Terrestrial Melanoheliophobics Ahad aka Zsolt Sörés Fourth Dimension Records / Hinge Thunder FD2CD136 / HT2CD-005
https://hingethunder.bandcamp.com/album/nemo-point-soundmap-for-terrestrial-melanoheliophobics-ahads-flux-worlds-1
AHAD’S FLUX WORLDS 2 Astro Noetic Chiasm χ, Ahad aka Zsolt Sörés LP Hinge Thunder / Fourth Dimension Records HTLP-005 FDLP 136
https://hingethunder.bandcamp.com/album/astro-noetic-chiasm-ahads-flux-worlds-2
Attention ! Ces deux albums, vinyle et double cd contiennent des enregistrements différents et complémentaires de l’artiste sonore et altiste (viola) hongrois , Zsolt Sörès a/k/a AHAD , lequel anima ô combien de nuits et de soirées rencontres à Budapest et en Hongrie incarnant une musique noise particulièrement travaillée d’un point de vue sonore et musical. Bruitisme radical d’un improvisateur à l’oreille aiguisée et une conscience profonde des interrelations entre textures, fréquences, dynamiques, intensités. Ces deux documents révélateurs de son travail sont le fruit intense et très prémédité de sa résidence Berlinoise de l’année 2022 sous les auspices de la légendaire DAAD. Forte personnalité, AHAD - Sörés se révèle aussi flexible qu’il est intransigeant sur la qualité musicale. Au fil du temps, il est devenu un collaborateur très apprécié et au point qu’il joue, enregistre et tourne avec les deux pôles du légendaire groupe FAUST, Jean-Hervé Peron et « Zappy » Diermayer. Je vous passe l’aspect sémantico-idéologique des titres de Zsolt, pour me concentrer sur son travail musical, libre à vous de trouver ce que bon vous semble dans cet univers musical. L’album vinyle « Astro Noetic Chiasm χ" est enregistré avec le concours de Franz Hautzinger (trompette), Anthea Caddy et Judith Hamann (violoncelles), Mihàly Kádár (live sound, effects) et Zsolt Sörès lui-même, crédité alto à cinq cordes, cymbale par-dessus l’alto, objets vibrants, « Mole-Rat Electromagnetic Field Explorer » (sic), Domino Synth, EBow. La musique composée par Ahad aka Zsolt Sörés, «Astro-Noetic Chiasm χ - For Ensemble (2021-2022)» et commissionée par Ultraschall Berlin – Festival Für Neue Musik 2022. Deux Faces A et B de respectivement 21 :18 pour Astro - Noetic Chiasm χ (A,B) et 21 :00 pour Astro - Noetic Chiasm χ (Γ). On retrouve ces trois titres (A, B et Γ) dans le CD1 de l’album « Ahad’s Flux Worlds 1 Nemo Point Soundmap etc… » dans des versions enregistrées en studio par Zsolt lui-même à concurrence de 12 :10, 10 :04 et 07 :11. Pour l’entièreté de ce double CD et ses sept compositions, il est crédité 5 String Viola, Fretless Bass, Grand Piano, Mellotron, Cymbal on the Top of the Viola, Percussions, Storm Drum, Bowed Copper Belt, Moog Theremini, Domino Syth, Dictaphone, Mole-Rat Electromagnetic Field Explorer, EBow, Roland Re-201 Space Echo, Objects, Vibrating Objects, Contact Microphone. Il se sert d’une partie de ses instruments dans chacune de ses compositions, certaines affublées de titres en grec (Ponéros Logos (Ponerogenesi , 38 :29 la plus longue du CD1) ou énigmatique comme Nemo point Soundmap for Terrestrial Melanoheliophobics (45:16) la plus longue du CD2 Celui-ci contient aussi Something about the Great Filter (30 :26). Ahad Anthem, son hymne, termine le CD1 et est concentré sur 7:31. Question production et réalisation, on est frappé par la précision, la qualité graphique et sonore du produit. On pourrait penser que sa formation scientifique et littéraire (Zsolt a été longtemps éditeur à l’Académie des Sciences de Hongrie) ferait de lui une sorte de Professeur Tournesol du noise science-fictionnesque, impression renforcée par l’apparence très ludique et bricoleuse de sa table d’instruments amplifiés. Mais à l’écoute de ces deux albums et en le connaissant un tant soit peu personnellement, on s’aperçoit assez vite que Zsolt Sörés est un solide performer musical, véritablement lucide, et un compositeur à part entière. Il sait exactement ce qu’il fait musicalement et la haute qualité des différentes prises de son, du mixage et mastering (Puha Szabolcs – un ingé-son hors pair) permet de pénétrer le mieux possible dans son univers musical et sonore. Ce n’est pas pour rien qu’il a obtenu la Résidence d’artiste DAAD 2022 à Berlin. Les deux pochettes détaillent les lieux de chaque enregistrement et certaines circonstances créatives. Rien n’est laissé au hasard. Z.S.peut aussi s’adonner à des improvisations débridées avec I Belong To The Band ou le percussionniste Rudi Fischlehner (cfr albums The Bakers of the Lost Future et Attention Span Reset). Mais ici, il a choisi de créer une œuvre aussi immédiatement instantanée que structurée au niveau des couches, des événements sonores, de la dynamique au niveau textural, des intensités, du développement mono/pluridimensionnel, du choix des fréquences, de la durée etc… Du noise de haut niveau réalisé avec une intense exigence esthétique. La qualité des timbres et des agrégats de sons électroniques renforcent son message comme un couteau ultra-aiguisé permet de s’avancer dans la jungle. Something about the Great Filter fait référence à Metal Music de György Galántai (1983).Avec Ahad Anthem, une des pièces les plus courtes Zsolt utilise sa voix brute et des effets respiratoires dans des incantations successives d’un rite d’une civilisation chamanique disparue ou à venir dans un futur lointain avec une touche de re-recording. Il vaut mieux ne pas essayer de mémoriser ou de savoir avec quels instruments la musique a été construite, même si les notes de pochette l’indiquent avec précision. Point de départ ou terme final de son périple et de ses extravagances, cet Anthem est une des clés des deux albums comme le sont les versions live des Astro Noetic Chiasm χ contenues à dessein dans le vinyle et qui introduisent le double CD comme un vade – mecum qui aidera l’auditeur (même féru de Noise) à s’acclimater aux trois longues compositions qui constituent le cœur de cette œuvre : Πονερóς λόγος (Πονερογένεση)* - 38 :29 , Something about the Great Filter - 30 :26 et Nemo Point Soundmap … - 45 :16. Il est utile de comparer les versions solitaires des Astro-Noetic… du CD et celles « orchestrales » du vinyle pour saisir la liberté que le compositeur se donne et ses intentions fondamentales. Ce qui frappe à l’écoute des 38 :29 de Πονερóς λόγος (Πονερογένεση)*, c’est l’obstination évolutive d’une action répétée sur l’instrument, circonvenue de résonances électriques générées par ce processus. Un battement obsessionnel qui varie minutieusement au fil des secondes et des minutes. Il ne faut même pas essayer de comprendre l’action de l’instrumentiste à défaut de le voir, mais se laisser simplement emporter par le flux de l’action sonore. On aboutit alors à un stade intermédiaire vers la 13ème minute où un flux – faisceau de résonances sourdes, d’oscillations dans les graves et de frictions s’agrègent pour laisser place à un frottement lancinant bruitiste. Le silence joue un rôle important, car le moindre son,le moindre grésillement et la dynamique qui y préside se découpe avec précision dans celui-ci, bordé d’infra-sons, de micro-crissements. Au centre de l’action , l’archet de Zsolt pressure l’alto amplifié et trafiqué, lui-même bordé de vibrations sonores ou de sifflements mutiques qui finissent par envahir l’espace. On est déjà à la minute 20’ et la masse sonore s’agglutine, des graves bourdonnent, dérapent, s’enrayent : la trance bruitiste sous contrôle gémit, grogne, se déchire, siffle… mugit, … battements électrogènes obsédant, échos métalliques sur fond de drones vocalisés, murmures de la bête … Simultanément ascèse et effroi, expressionnisme et rage intellectuelle, chaman électro-acoustique, logique implacable… Franchement, à mon avis, notre magyar atypique n’a rien à envier à Keith Rowe et à d’autres gaillards de cette trempe. Généreux, il a bourré jusqu’à la gueule son double CD de trois pièces de première grandeur, longues à souhait, qui nécessitent un investissement en temps, énergie et disposition d’esprit à l'auditeur pour en appréhender les détails et toute la dramaturgie. En effet, au CD2, Something about the Great Filter, commence tout à fait autrement et nous fait entendre une autre type de jeux, de sonorités, d’actions lesquelles suivent une logique spécifique à cette longue composition laquelle peut être perçue comme une dérive surréaliste ou comme la poursuite maniaque d’une idée fixe. Les glissandi agressifs et métalliques obtenus avec le Dàn bầu, un monochorde vietnamien, muent étonnamment tout au long de l’exécution de cette pièce, en compagnie du Mole-Rat Electromagnetic Field Explorer, des Objets et Objets vibrants et le Roland RE-201 Space - Echo. Tous ces effets sonores volatiles s’agglutinent et virevoltent autour des vibrations sadiques encaissées par le Dàn bầu, avec une lisibilité surprenante pour ce type de musique où de nombreux praticiens ne sont pas à dix bavures près. Z.S. aurait pu consacrer trois albums différents pour chacune de ces trois très longues compositions… Mais, il y a urgence !!
Zsolt Sörès est un artiste essentiel de notre temps qui mérite d’être suivi et découvert pour la singularité de son travail acharné et de sa vision sonore.

Jean Marc Foussat Ombres Onctueuses FOU Records FR-LP 10
https://www.fourecords.com/FR-LP10.htm
https://fourecords.bandcamp.com/album/ombres-onctueuses
L’Aile d’Icare Jean-Marc Foussat Urs Leimgruber & Carlos Zingaro FOU Records FR – CD 44
https://www.fourecords.com/FR-CD44.htm

Pochette avec végétation méditerranéenne écran d’un ciel nuageux ou lumière solaire suggérée dans la pénombre de deux persiennes antiques dans une chambre quelque part. Dès le départ, on percute méchamment le cadre du piano alors que des boucles sifflantes vont et viennent, fuyantes ou menaçantes, saturées, agrégats suraigus, crachotements fumigènes, aigus exaspérés, éclairs électriques… . Vrombissements, rumeurs, sifflements, grondements de moteur aérien, boucles survoltées, cadences de machines en fin de course, sirènes … et piano qui intervient sans crier gare alors que s’effacent les stries électroniques dans un demi -silence…. ou qui déboule comme un intrus bien à son aise en Face B. Martèlements désinvoltes au clavier du meilleur effet. Depuis ses enregistrements qui emplissaient l’espace auditif, Jean-Marc Foussatcultive aujourd’hui une approche plus épurée, mystérieuse, secrète, qui peut aboutir à une saturation noise – agrégats de couches oscillantes ou frissonnantes, à d’exquis filets de sons, contrepoints volatiles ou glissandi ténébreux, le tout en enchaînement de cadavres exquis ou martèlements sadiques (aïïe le piano !). Et cette guimbarde qui clôt la face B d’Ombres Onctueuses, titre énigmatique de 33 tours – bouteille à la mer. Quand cette approche est conjuguée à la sagacité d’improvisateurs de haut vol (subtils et hyper expérimentés), c’est l’envol d’Icare sur son Aile mythique. Le saxophoniste Urs Leimgruber et le violoniste Carlos Zingaro ne jouent pas ici leur rôle « Leimgruber » ou « Zingaro » mais s’insèrent poétiquement dans l’état de nature de cette électronique analogique d’un autre temps. On n’entend pas le temps passer, on voit la musique défiler et deviner les interventions heureuses. L’art du fétu charrié par l’humeur du moment, le ronronnement hélicoïdal perturbé, le silence mis en valeur par le murmure de moteurs imaginaires, sifflements de l’au-delà, sifflet de l’ anche pressurée du sax soprano. L’archet strie la vibration de la corde aiguë du violon en s’agrégeant aux atterrissages de réacteurs vibrants et lointains. Un monde de sons ténus qui s’interpénètrent et se détachent dans le même mouvement. Voilà sûrement qui aurait fait la joie du label Potlatch à la sauce Oger années 2000, un cran au-dessus. Une musique exquise qui défie la logique des courants et la froidure des courants d’air. Et quand la lumière s’allume , des éclairs fusent et disparaissent. Générations spontanées successives de sons et timbres d’une mise en commun alternée de chacun des instruments qui se confondent, se dupliquent, se distinguent, se prolongent souvent en se rapprochant du silence. Interactivité organique. Le lyrisme extrême de Zingaro, la poésie de Leimgruber, le don du dosage raffiné de Foussat, la dynamique du trio, les heureux contrepoints heureux vers la minute 25 . Tout interpelle : la magie de moments uniques … et les silences signifiants nés de cette superbe improvisation collective qui se renouvelle avec une belle constance de bout en bout. Un des tous plus beaux albums de Jean- Marc Foussat au sommet de son art avec deux improvisateurs instrumentistes incontournables et complètement concernés à donner le meilleur d’eux-mêmes sans imposer un quelconque agenda. Un vrai partage sonore de l’instant et sa durée optimale. Pochette avec peinture de Carlos Zingaro, photo de Philippe Alen (l’écrivain – critique), comètes choisies dans le Livre des Miracles (16ème s), poème de Fernando Pessoa, enregistrement, mixage et mastering de Jean-Marc Foussat au four et au moulin. Cette fois-ci, il a gagné aussi le beurre, l’argent du beurre et les faveurs de l’auditeur.

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