3 mars 2023

Sergio Armaroli Veli Kujala Giancarlo Schiaffini Harri Sjöström/ Audrey Lauro/ Gonçalo Mortagua Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues Günter Sommer/ Hernani Faustino & João Madeira

More Windows & Small Mirrors Milano Dialogues part two Sergio Armaroli Veli Kujala Giancarlo Schiaffini Harri Sjöström Leo Records LRCD 933
https://harrisjostrom.bandcamp.com/album/more-windows-small-mirrors-milano-dialogies-part-two
https://www.sergioarmaroli.com/windows-mirrors-milano-dialogues/

Cet album intrigant fait suite au Windows & Mirrors / Milano Dialogues (LRCD 931) enregistré lui aussi les 3 et 4 avril 2022 avec les mêmes, soit le vibraphoniste italien Sergio Armaroli, l’accordéoniste « au quart de ton » finlandais Veli Kujala, le tromboniste italien Giancarlo Schiaffini et le saxophoniste soprano (et sopranino) finlandais Harri Sjöström. Armaroli est l’initiateur de ce quartet atypique et aérien et j’ajouterai qu’arrivé récemment sur la scène internationale, cet excellent vibraphoniste a déjà publié une belle collaboration à trois avec Schiaffini et Sjöström (Duos & Trios), des duos magnifiques avec les percussionnistes Fritz Hauser et Roger Turner pour Leo Records , ainsi qu’avec Elliott Sharp. Veli Kujala est un artiste unique en son genre à mi-chemin entre l’harmonie et l’étirement éthéré de solutions mélodiques spiralées et microtonales entre les points fixes des gammes occidentales. Giancarlo Schiaffini s’est affirmé, il y a un demi-siècle en pionnier des musiques improvisées free (génération Enrico Rava, Marcelo Melis, et puis Centazzo, Iannacone, Mazzon etc…), généreux utilisateur de sourdines et avant-gardiste voisin de Paul Rutherford et Günther Christmann. Harri Sjöström a beaucoup travaillé avec Paul Lovens, Phil Wachsmann et Teppo Hauta- Aho et fut longtemps un membre à part entière des groupes New-Yorkais et Européen de Cecil Taylor. Ces Windows et Mirrors découlent aussi de ses Soundscapes à géométrie variable internationales (cfr Balderin Sali Variations Leo LRCD 870/871 et Soundscapes Festival #3 Fundacja Sluchaj FSR 07/2022) réunissant une quinzaine d’improvisateurs de haut vol parmi lesquels ces quatre musiciens ont appris à mieux se connaître. Cette musique improvisée en suspension dans l’espace et le temps est basée sur un dialogue minutieux comme le titre l’indique. More Windows #6 commence par un bel équilibre avec l’accordéon lancinant et ses spirales ondoyantes ou tortueuses auquel finit par répondre le vibraphone cristallin établissant un échange en demi-teinte. S’enchaîne l’intervention du trombone et ses sourdines expressives avec le vibraphone, le souffleur découpant l’air ambiant au cuivre moelleux, déchirant et acide, un brin narquois. Un peu plus loin c’est le sax soprano qui surgit, Harri modulant ses notes ciselées, morsures et hoquets rengorgés évoquant à la fois le meilleur de Lol Coxhill et de Steve Lacy dans un style personnel vraiment original. Dans le face à face sautillant des deux souffleurs, Veli actionne un ostinato irrégulier contribuant au momentum.15 minutes et c’est le plus long morceau. On apprécie l’instrumentation originale et toutes ces déclinaisons sonores au fil des 10 morceaux souvent assez courts (3 – 4 minutes). Les More Windows #6, #7, #8 et #9 de l’album contiennent ainsi des emboîtements spontanés et bien construits alternant dialogues en duos et trios, parfois tutti où l’art de la conversation logique ou lunatique se développe, s’améliore, se dilate dans une dimension intime, chambriste et lyrique avec quelques éclats qui font sens. Contemporain, free, improvisé libre , avant jazz, sont finalement des étiquettes qui rendent mal la qualité vivante et tout le charme indicible de cette musique. Les Small Mirrors #1, #2, #3, #4, #5 et #6 en duo, intercalés par paires entre chaque Windows tels les tableaux d’une exposition haute en couleurs, sont l’occasion de se jouer du mimétisme souvent inévitable pour apporter encore plus de nuances et d’expressivité à leur démarche. Vu le découpage des morceaux de l’album et de leurs conceptions épurées et interactives, l’auditeur se régale de toutes leurs figures de style, modules rotatifs, vignettes chatoyantes et haikus expressifs. Et il n’y pas de longueur dans toutes leurs interventions. Voilà une musique qu’on peut parcourir sans se lasser pendant des heures surtout que chacun d’eux est un improvisateur attachant, amoureux et poète.

Audrey Lauro Solo Sous un ciel d’écailles el Negocito eNR114
https://elnegocito.bandcamp.com/album/sous-un-ciel-d-cailles
http://www.audreylauro.com/

Album solo de saxophone alto par une musicienne inspirée, Audrey Lauro, créditée ici tape recorders et composition, outre son sax alto fétiche. Pochette cartonnée noire en série limitée avec deux œuvres du père de l’artiste, André Lauro. L’une reproduite au recto de la pochette, encre noire et pastel et l’autre, insérée et pliée dans celle-ci en sérigraphie sur papier 42 cm / 29,50 cm. Expression sombre, brute, expressionisme abstrait noir où surgissent des formes de la douleur, canevas organique… La musique est enregistrée dans la résonance réverbérante de la Chapelle du Grand Hospice dans le quartier du Béguinage au centre de Bruxelles, haut lieu temporaire de l’avant-garde. Audrey Lauro prend soin de soigner son émission et le débit de son souffle en action , avec l’aide de sons préenregistrés, afin de tirer adroitement parti de l’acoustique du lieu. Sept pièces entre les 2 et 4 minutes et quelques se succèdent avec autant d’assurance que de discrétion. En effet, elle ne cherche pas à souffler tout sur son passage à pleins poumons en mordant l’anche, mais plutôt à nous attirer en douceur dans son processus auditif et parmi les filets de sons qui s’élèvent sous la coupole. Ce qui semble aléatoire est ciselé par une pensée acérée et imprimée/ exprimée par une volonté conquise dans l’intensité d’une intransigeance vivace. Concentrée, elle manie judicieusement la respiration circulaire en alternant accents, notes , battements, croches. Modulant sifflements, suraigus, graves graveleux, résonances, son univers sonore happe l’écoute. Sa manière est quelque peu voisine de l’approche magnétisante de l’inoubliable Gianni Gebbia et on rêve d’entendre ces deux-là en duo de saxophone. S’affirmant déjà il y a plus de quinze ans dans les faubourgs de Marseille et de Bruxelles, Audrey Lauro a déjà sillonné les scènes d’Europe et de New-York, imprimé sa marque à Londres, Stockholm, Vienne, Berlin, avec Gotis Diamandis, Mia Zabelka, etc… Sous un ciel d’écailles, les fruits ne tombent pas au hasard.

Not Bad Gonçalo Mortagua Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues Günter Sommer Creative Sources CS761CD
https://creativesources.bandcamp.com/album/not-bad
https://ernestorodrigues.bandcamp.com/album/not-bad

Tandem père et fils insigne de l’avant- garde improvisée radicale de ces vingt dernières années, le violiste (alto) Ernesto Rodrigues et le violoncelliste Guilherme Rodrigues ont le culot de s’associer avec un grand nombre d’improvisateurs, certains au registre et à la démarche particulièrement éloignées de leurs préoccupations sonores. Malgré son adhésion à l’expression minimaliste exploratoire « lower case » conceptuelle ou new silence en existence depuis les alentours de l’an 2000, Ernesto n’a jamais jeté l’enfant avec l’eau du bain. D’ailleurs, il suffit d’écouter son fils Guilherme dans ses deux récents opus solitaires « Cascata » et « Acoustic Reverb » pour réaliser l’étendue de leurs préoccupations musicales. Ici, il n’y a pas moins que le légendaire batteur Saxon Günter Sommer, un incontournable de la free music européenne au parcours particulièrement fructueux. Associé à ses camarades de la première heure Ulrich Gumpert, Ernst Ludwig Petrowsky et les frères Bauer, on l’a entendu en Solo (Hörmuzik) avec Peter Brötzmann, Fred Van Hove, Barre Phillips, Leo Smith et Peter Kowald, Gianni Gebbia, Didier Levallet et Sylvain Kassap, Cecil Taylor, Irene Schweizer etc… Avec le saxophoniste Gonçalo Mortagua, il assure fermement le pôle « free-jazz de ce curieux assemblage, les deux Rodrigues et leurs frottements d’archets atonaux, pour la face impro radicale. Gonçalo Mortagua joue du sax ténor et de la flûte de bambou (6 Grenze Zu), et n’essaie pas de se référer à des grandes voix du saxophone free-jazz (Ornette, Ayler, Trane, Lacy etc..), mais crée son langage à partir de sa propre expérience et de son imaginaire . Not Bad, car cette session challenge délibérément audacieuse qui aurait pu se révéler incertaine est loin d’être mauvaise. Pour ces deux cordistes, le choix de Günter Sommer est très avisé, car ce batteur âgé de 80 ans s’est adapté merveilleusement à la dynamique et au volume sonore de l’altiste et du violoncelliste et leur remarquable aptitude à jouer de concert en imbriquant leur jeux respectifs comme s’ils n’étaient qu’une seule personne. Dès l’ouverture (1. Abertura), Sommer a trouvé le registre adéquat, martelant légèrement sa grosse caisse en ostinato en osmose avec le mouvement des deux archets sur leurs cordes frottées et leurs crissements, harmoniques, sons étouffés, oscillations enguirlandées et moirures d’une finesse inouïe. Son drumming reste discret, ouvrant le champ sonore à l’expression de ses collègues parfois hyperactifs, mais souvent au bord du silence, lui-même avec une belle variété de frappes. Le lyrisme de Mortagua peut alors s’élancer avec sa fraîcheur et son imagination. Il n’en fait pas trop, conservant son timbre caractéristique réellement adéquat à ceux du cello et de l’alto. Au fil de la séance, la musique évolue vers plus d’échanges interactifs, deux duos (7.Duo 8. Unduo) cello - ténor et une pièce particulièrement enlevée où le batteur nous livre un solo remarquable à son début (10. Untitled). Les cas de figures et les ambiances différentes se multiplient et font de cette rencontre atypique une excellente expérience d’écoute et de découverte. Cette association momentanée change complètement la perspective sonore et créative de ces quatre musiciens dans leur univers « habituel » et c’est quand même formidable de les entendre dialoguer et collaborer sur la base de l’écoute immédiate avec des artistes très différents d’eux-mêmes. La musicalité réelle n’a pas de limites sauf dans les présupposés des étiqueteurs primesautiers. Magnifique album.

dB João Madeira & Hernani Faustino FMR CD5910920
https://joaomadeira.bandcamp.com/album/db-duet

Le rythme indécis des mises à jour du label FMR sur son site web fait que ce bel ouvrage, dB, a échappé à ma sagacité depuis 2020. Depuis, le contrebassiste João Madeira a fait couler l’eau sous les ponts, ou bridges de sa contrebasse et celle de son ami Faustino Hernani, contrebassiste incontournable de la scène lusitanienne, celle qui ouvre les écoutilles … ou … portugaises. Comme l’a affirmé le grand Johannes Rosenberg dans ses nombreux traités et missives, les instruments à cordes frottées de la famille du violon (alto, violoncelle et contrebasse) ne s’entendent jamais mieux qu’ensemble à l’exclusion des autres (saxophones, percussions, pianos etc…). Et ces deux Portugais ont de qui tenir avec la proximité des Zingaro, Mira, Rodrigues père et fils… Et donc voici de quoi nous esbaudir, même si les doigts s’agitent souvent dans une belle variété de pizzicatos expressifs.
Duos de contrebasses. On se souvient de Barre Phillips et David Holland, Music from Two Basses (ECM 1011), les rencontres de Peter Kowald avec Barre Phillips (Random Generators), Maarten Altena (Two Making a Triangle), Barry Guy (Paintings) pour FMP, Arcus de Phillips et Guy dans la chapelle Ste Philomène, Joëlle Léandre et William Parker à Dunois ou le Mirrors Broken But No Dust de Damon Smith avec le même Kowald et aussi Beb Guérin et François Méchali à l’aube de l’aventure Nato... Tensid de Georg Wolf et Ulrich Phillip pour Nur Nicht Nur. Et ce quartet en hommage à Peter Kowald avec Barre, Joëlle, Tetsu et William paru chez Victo. Sorry pour le déballage sus-mentionné du catalogue quasi-complet. Mais la contrebasse, instrument grave un peu balourd est une des pierres d’angle indispensables de la free-music radicale : il permet tous les dérapages, transgressions, sourdreries, les cordes qui claquent sur la touche fragile, glissandi extrêmes dans l’aigu, les col legno bruitistes ou subtils, les multiphoniques pressées outageusement sur la touche, les grondements puissants, les mouvements amples et boisés, les éclats inconsidérés et d’infinies nuances. Alors, oublions pianos, saxophones, guitares, batteries coordonnées ou sauvages et laissons-nous gagner par cette ascèse gestuelle, cette union physique et mentale que nous offrent Faustino et João avec leurs deux contrebasses qui se démultiplient et se complètent. Unique et inespérè. Accrochez vous et allez-y à fond ! C'est l'aventure dans la poussière des chemins perdus loin des habitudes.

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