9 novembre 2021

Gianni Mimmo Pierpaolo Martino Francesco Cusa/ Annette Krebs/ Gerard Lebik & Burkhard Beins / Daniel Thompson & Colin Webster

The Lenox Brothers Township Nocturne Gianni Mimmo Pierpaolo Martino Francesco Cusa Amirani records AMRN 067
https://www.giannimimmo.com/en/node/625
https://www.amiranirecords.com/editions/townshipnocturne

Trio sax soprano, contrebasse et batterie. Au fil de tournées incessantes et de nombreux enregistrements sur son label Amirani, le saxophoniste italien Gianni Mimmo s’est révélé auprès de nombreux musiciens passionnants. Avec les pianistes Gianni Lenoci (R.I.P.), Sakoto Fuji,Nicola Guazzaloca, Silvia Corda et Yoko Miura, les souffleurs Harri Sjöström, Ove Volquartz et Vinny Golia, le signal processing de Lawrence Casserley, le tromboniste Angelo Contini, les violoncellistes Hannah Marshall et Daniel Levin, la violoniste Alison Blunt, les guitaristes disparus John Russell et Garrison Fewell, Gianni Mimmo s’est créé un magnifique parcours durant lequel son jeu de saxophone soprano hérité de Steve Lacy (il ne s’en cache pas) s’est bonifié, approfondi, affirmant un appétit curieux pour des formes nouvelles. Depuis son trio avec percussion (Francesco Cusa) et violoncelle en lieu de contrebasse (Andrea Serrapiglio), l’excellent A Watched Pot (AMRN 006 – 2007), Gianni Mimmo n’avait plus joué ou enregistré avec une « section rythmique » basse – batterie, préférant élargir son horizon et sa pratique avec d’autres configurations instrumentales. Il faudrait aussi mentionner ses projets Tidal ou Sestetto Internazionale. Le trio des Lenox Brothers avec les excellents bassiste Pierpaolo Martino et batteur Francesco Cusa plonge dans le courant rythmique du jazz et les effluves de la Blue Note. Cet enregistrement eut lieu le lendemain du décès de Gianni Lenoci dans le studio Wave Ahead à Monopoli en hommage à celui-ci. Gianni Lenoci avait une prédilection pour les séries TV comme Columbo et les romans noirs de Siménon et c’est cette atmosphère et ses références qui nourrissent ce Township Nocturne. Pierpaolo Martino vient de se distinguer phonographiquement avec Steve Beresford et Valentina Ma (Frequency Disasters / Confront Records – si vous n’avez aucun album avec Beresford, c’est le maître achat !) et avec Vladimir Miller Adrian Northover dans the Dinner Party (FMR). Solide client. Son jeu racé est l’ossature souple et mouvante de ce brillant trio, animé aux fûts par ce batteur original qu’est Francesco Cusa. Cusa est un percussionniste complet et un compositeur qui développe depuis une vingtaine une série incessante de projets jazz décoiffants sur son label improvvisatore involontario avec une imagination débordante. J’avoue n’avoir jamais eu l’énergie et le bagout pour vous en rendre compte. Un phénomène ! D’ailleurs, certains de ses enregistrements les plus saisissants n’apparaissent même plus dans le site de son label et dans discogs…
Au point de vue musical, ces Lenox Bothers nous livrent une parfaite réussite ressuscitant la magie des trios avec basse et batterie de Steve Lacy avec une belle ouverture et une manière assez rêveuse. Gianni Mimmo est peut-être / peut figurer comme un poids léger face au grand Steve. Mais ce magnifique Township Nocturne témoigne d’une maturité, d’une qualité sonore et d’une entente véritable qui distinguent indubitablement leur musique du tout venant jazz (free) contemporain.
Le travail exemplaire du saxophoniste a consisté à décortiquer la grammaire complexe et le lyrisme secret de Lacy en en recréant le lexique, les allusions, les suggestions, les couleurs pour raconter son histoire personnelle, intime et créer son propre univers fait d’intervalles distendus et de timbres amoureusement précis, délectables. C’est une démarche difficile et même ingrate, croyez-moi. Avec le concours amoureux et talentueux de ses deux comparses, Mimmo nous livre ce qu’il a sur le cœur et dans les étoiles : le sens du merveilleux. Le talent conjugué de Pierpaolo Martino et de Francesco Cusa, contrebasse charnelle et inventive et jeu de batterie chaloupé et ouvert à de nombreuses influences font de cette session un véritable modèle du genre. La routine du trio sax-basse-batterie est sublimée par une heureuse inventivité et une grande inspiration collective. Superbe !!

Annette Krebs Konstruktion 1 & 2 Sah solo pieces by Annette Krebs (2014-18) Graphit /GR01
https://annettekrebs.bandcamp.com/album/konstruktion-1-2-sah

Annette Krebs est apparue dans la scène improvisée Berlinoise il y a une vingtaine d’années au sein de la nouvelle mouvance « réductionniste » - minimaliste proche de musiciens/ ciennes tels que Burkhard Beins, Andrea Neumann, Taku Sugimoto, Alessandro Bosetti, Rhodri Davies, etc... Guitariste au départ, elle évolue vers l’électronique et, comme on peut l’entendre ici, se met à jouer avec des plaques métalliques suspendues et percutées dont elle transforme la sonorité via des sine waves. Dans les deux Construction #1 et #2 elle utilise aussi deux voix échantillonnées, des microphones, un ordinateur avec l’application Max/MSP/ Jitter, des tablettes, une corde de guitare, du bois frotté à l’archet , Midi Controllers…. Ces deux enregistrements sont séparés dans le déroulement du CD par Sah : Three live-perfomed audio portraits, décrit ainsi : Solo for Three sampled interviews, carbon pencil on paper, foil, parchment paper, plastic animals, microphones, computer (Max/MSP/jitter), tablet (TouchOSC) et Midi controllers. Comme elle l’explique, ses trois solos on été développés au fil de plusieurs années lors de répétitions et concerts. Ils contiennent des éléments de composition et d’improvisation. Des assemblages sonores spécifiques incluant interface et programmation furent customisés pour chaque composition.
Il s’agit vraiment d’un travail très précis, minutieusement préparé et très intéressant à écouter. On y trouve cet esprit d’invention propre à la free – music improvisée radicale tendance musique expérimentales. Ses plaques métalliques suspendues peuvent être assimilées à des instruments de percussion et son dispositif métamorphose leurs sonorités de façon intrigante, fantomatique et surréelle avec des ponctuations électroniques ou silencieuses. Ce silence subreptice qui est ressenti comme une part intégrante du développement musical. En remontant dans le passé, son travail évoque le concept des pièces en solo de Tony Oxley dans l’album Tony Oxley Incus 8. Sah est un œuvre hybride où s’immisce le langage parlé sous forme d’interviews échantillonnées. Une démarche intéressante avec des aspects fascinants ou même mystérieux qu’on a plaisir à réécouter. Une excellente artiste à la croisée de plusieurs courants contemporains pointus avec une vision originale sans concession qui échappe à l’idéologie normative des processus « majoritaires » de création musicale.

An alphabet of fluctuation Gerard Lebik – Burkhard Beins inexhaustible editions ie-042
https://inexhaustibleeditions.bandcamp.com/album/an-alphabet-of-fluctuation

C’est le deuxième album de Gerard Lebik pour inexhaustible editions après Psephite (ie-020) avec le violoncelliste Noid, album pour lequel je n’ai pas trouvé l’énergie suffisante de rédiger un compte-rendu. Lebik y était crédité « sound objects ». Pour cet alphabet of fluctuation, on le retrouve maniant « pd, ppooll, zopan generator » face à la cymbale ride amplifiée de Burkhard Beins, instrument auquel Beins ajoute une sine wave et un synthé pour les morceaux III et IV, respectivement 20 :29 et 14 :56, sur la plus grande durée de l’album. Dans I (12 :29) et II (8:50) durant lesquels Beins est crédité uniquement de sa cymbale amplifiée, les deux artistes produisent un seul son soutenu qui évolue imperceptiblement et se reflète dans un soupçon de vibration électronique qui effectue simultanément un crescendo et un glissando intangible vers une harmonique imaginaire. La qualité du son enregistré est plus qu’excellente et l’aspect « étude de timbres » de leur travail est sublimé. Ce type de musique minimaliste, baptisée « réductionniste » il y a une vingtaine d’années peut se révéler être une posture. Mais avec des artistes comme Burkhard Beins et Gerard Lebik, cela devient une révélation de l’indicible de la vie irréelle et sensitive des sons générés pour le plaisir de les entendre évoluer et planer dans l’espace auditif. Une expression signifiante des propriétés sonores intrinsèques de fréquences et de textures sélectionnées de manière très étudiée et hyper scrupuleuse et l’expérience de toute une vie. Incarnation d’une effective sculpture sonore plutôt qu’un « morceau » de musique ou une improvisation dans l’instant.
À lui seul, I est un véritable manifeste qui va se métamorphoser dans les trois autres morceaux procurant un sentiment de merveilleux et les caractéristiques d’une logique imparable. Variation d’un feeling dans l’infini, inouïes ondulations, réverbérations mourant dans un étonnant silence, parfois intersidéral. Au risque d’être barbants, nos deux acolytes nous posent des questions esthétiques et y répondent avec une conviction désarmante, fascinante. Se révèle ici, un des éléments constitutifs de la musique observé de mains de maître à la loupe. Comme toujours chez inexhaustible, production très soignée.

Hakons ea Daniel Thompson & Colin Webster Empty Birdcage Records EBR 006
https://emptybirdcagerecords.bandcamp.com/album/hakons-ea

Le guitariste Daniel Thompson étend sa palette collaborative et le catalogue de son nouveau label Empty Birdcage Records inauguré l’année dernière avec le fabuleux ‘other où le guitariste était confronté avec l’altiste Benedict Taylor, un de ses plus proches collaborateurs. Hakons ea nous le fait entendre avec l’astucieux saxophoniste Colin Webster, musicien très actif (Kodian Trio avec Andrew Lisle et Dirk Serries, John Edwards, Otto Wilberg). Trois longues pièces de 23, 13 et 32 minutes serpentines, interactives dans lesquelles chacun développe ses idées créatives dans des formes anguleuses et pointillistes en perpétuels mouvements et transformations en les faisant coïncider avec les intentions et le menu détail du jeu de son partenaire. À force d’avoir joué et enregistré avec un grand nombre de collègues et non des moindres (Thompson avec Tom Jackson, Neil Metcalfe, Adrian Northover, Steve Noble), ces deux musiciens ont acquis un sixième sens, celui de l’empathie maximale et de l’invention immédiate, de la poursuite obstinée et des trouvailles incessantes en restant fidèle à une identité musicale bien affirmée. Colin Webster aime les effets de souffle et les intervalles zig-zaguant ou slalomant dans des harmonies complexes et des motifs mélodiques imbriqués à l’infini, alors que Daniel Thompson est à la recherche abrupte de l’accord imparfait. Hakons ea est donc un album riche en événements sonores et intrications impromptues qui traversent tensions et relâchements. Il contient de superbes constructions dans la durée, développements étirés dans les menus détails au départ d’un jet de dés, sortilège de l’absurde marié au bon sens élémentaire. Voici deux valeureux improvisateurs dont on a grand plaisir à suivre le fil instantané de leurs aventures .

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