3 novembre 2021

Martin Küchen Martin Klapper Roger Turner/ Derek Bailey w Chris Burn - Angarhad & Rhodri Davies - Nikos Veliotis/ Derek Bailey Alex Ward Simon H Fell & M Wastell/ Matthias Muche Bone Crusher/ Chris Abrahams & Mark Wastell

The Croaks : One of the Best Bears Martin Küchen Martin Klapper Roger Turner Fundacja Sluchaj FSR08 2020
https://sluchaj.bandcamp.com/album/one-of-the-best-bears

Il y a plus d’une vingtaine d’année Roger Turner & Martin Klapper s’étaient entendu pour enregistrer un curieux album intitulé Recent Croaks publié par Acta, le défunt label de John Butcher. Le terme Croaks est resté même s’il n’est plus si récent que cela. Nous sommes en avril 2018 à Stockholm avec un beau trio de farceurs. Si la percussion libérée et obsédée par la pulsation de Roger Turner incarne irrévocablement l’improvisation libre dans le domaine percussif, le Tchèque Martin Klapper est un de ces artistes sonores « visuels » qui transcendent la manipulation bruitiste d’objets, jouets et instruments électroniques low-fi étalés sur une (grande) ou plusieurs tables(s) au point où sa pratique s’insère complètement dans la démarche d’improvisateurs expérimentés virtuoses. Il utilise aussi des bandes (cassettes ?). Le saxophoniste suédois Martin Küchen fait plus que s’adapter à ses deux compères. Ses sonorités basiques vocalisées et franchement « sauvages » offrent un aspect tout à fait organique évacuant la démarche « saxophonistique » basée sur l’articulation et les doigtés agiles, les spirales etc… pour une approche déchirante, vocale, étirant et tordant les notes en parlant et chantant dans le bec. Le sens de la dynamique du percussionniste et l’étendue de sa palette sonore non conventionnelle faite de grattages, de rebonds, de frappes amorties, de cliquètements s’imbrique complètement dans les bruissements et vibrations étranges de Klapper. C’est sans nul doute un des trios les plus atypiques et joyeusement délirants de la scène improvisée qui s’écarte de toutes les directions esthétiques où s’engagent la grande majorité de leurs collègues. La foire. Une folle volière où se croisent aussi chats furieux, canards en goguette, batraciens lunatiques et des oursons, bien sûr. Surtout à ne pas rater. D’ailleurs, cela dure 38 minutes et cela suffit pour pouvoir continuer à réécouter ces instants de folie véritable.

From Ten, Two and Three + Improvisation Cranc Plays Chris Burn + Derek Bailey – Angarhad Davies – Rhodri Daviesscätter archive digital
https://scatterarchive.bandcamp.com/album/from-ten-two-and-three-improvisation
Derek Bailey with Apologies to George Brecht. Alex Ward – Simon H. Fell – Mark Wastell Confront Records digital.
https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/bailey-with-apologies-to-g-brecht

Nouveau coup d’éclat de Liam Stefani sur sa plate-forme bandcamp scätter archive !!
Deux enregistrements réunissant d’une part Derek Bailey (acoustique !) avec les sœur et frère Davies, Angarhad (violoniste) et Rhodri (harpiste), membres du trio Cranc et d’autre part, le trio Cranc interprétant les re-compositions (« arrangements / transcriptions ») par Chris Burn des improvisations en solo de Derek Bailey n° Ten, Two and Three extraites de son album Solo Guitar vol 2 Incus Cd 11. Le trio Cranc comprend aussi le violoncelliste grec Nikos Veliotis, lequel résida à Londres au début des années 2000. Les Improvisation part 1 & 2 de 21:00 et 15:43 avec Bailey et les Davies ouvre et clôture le présent album et ont été enregistrées le 30 septembre 2002 quand il était encore en possession de ses moyens « digitaux ». Il fut ensuite atteint d’un Carpal Tunnel Syndrome très handicapant, l’obligeant à jouer avec son pouce. Quant aux trois pièces arrangées / transcrites par Chris Burn et les deux improvisations de Cranc, elles furent enregistrées le 20 février 2006. Chris Burn précise dans ses notes qu’il avait demandé l’avis et la bénédiction de Derek Bailey pour ces transcriptions mais que le guitariste n’en a jamais pris connaissance. Comme Nikos et Veliotis jouaient fréquemment du violoncelle et de la harpe avec un plectre, Burn avait pensé que cette idée devrait fonctionner. On entend ici un trio classique jouant fidèlement une partition qui semble assez éloignée de la spontanéité du guitariste et son sens inné du rythme. La pince éthérée et/ou virevoltante sur les cordes de Bailey est transcrite dans une architecture en pizzicati remarquablement cadencés et presque sautillants. Clin d’œil narquois à la Bailey ?

Cette initiative de Chris Burn a quelques accointances avec une œuvre de Derek Bailey publiée dans un autre album digital,interprétée et enregistrée par Simon H Fell – Alex Ward – Mark Wastell le 2 mars 2018 au Café OTO, elle aussi jouée dans une perspective plus sonore (16:59). Cette composition de Bailey datant de la fin des années 60 avaient été « écrite » pour être jouée dans le groupe éphémère « Instelimp » qui se transforma par la suite en Music Improvisation Company (1968-1972) et qui rassemblait Derek, Evan Parker, Gavin Bryars, John Tilbury et Jamie Muir. George Brecht était un membre de Fluxus qui vivait à Londres à l’époque et certaines de ses « compositions » avaient été interprétées par Bailey et cie. L’activité musicale de ces musiciens naviguait entre la musique expérimentale écrite (et électronique) et la recherche improvisée radicale et ces deux aspects se reflétaient dans leurs concerts des années 68-70 avant que M.I.C. devienne le groupe le plus radical (bruitiste ?) de la scène improvisée libre. L’interprétation du trio Fell – Ward – Wastell illustre avec brio les possibilités de la démarche de Bailey à l’époque, concrétisée en courtes séquences dont chaque conclusion s’ouvre vers l’inconnu de l’exploration sonore. On comprend que D.B. ait rapidement abandonné définitivement la composition expérimentale pour se lancer irrévocablement dans l’improvisation libre « totale ». S’étant plongé dans les archives de Derek Bailey pour illustrer sa thèse de doctorat, Simon H.Fell a déniché cette partition inédite qui comportait des instructions audacieusement délirantes. Un jeu de cartes (tickets ?) avec des instructions se référant au nettoyage d’un ménage, aspirateur, lavage de vitres, vaisselle etc.. abruptement interrompue par celle d’improviser (Switch Hoover, Then Improvise !). J’ajoute encore que Bertrand Gauguet a publié un texte éclairant dans Revue et Corrigée sur base de la thèse de Simon H Fell (1959 – 2020) décrivant et expliquant les connexions entre improvisation et composition dans le parcours des Derek Bailey, Evan Parker, Hugh Davies, Barry Guy et Paul Rutherford, des pionniers incontournables de l’improvisation libre, et ce sur la base d’archives, de textes et partitions. Bien que tout cela soit très intéressant, à mon avis les improvisations du trio Bailey – A & R Davies sont essentiellement magnétiques . Il s’agit d’une musique essentiellement acoustique mettant en valeur le jeu très fin du guitariste en symbiose avec les sonorités de la harpe et une utilisation radicale du violon. Ça respire du début à la fin !

Matthias Muche Bone Crusher col legno CL3 1CD 15011
https://www.col-legno.com/en/shop/15011-matthias-muche-bonecrusher

Matthias Muche , Matthias Müller, Daniel Riegler, Anke Lucks, Moritz Anthes, Adrian Prost, Maximilian Wehner, Matthias Schuller, Till Künkler, Moritz Wesp, trombones Rie Watanabe, Etienne Nillesen, drums.

Un groupe de trombones et deux percussionnistes jouant les compositions de Matthias Muche. Effets de masse, de crescendo, d’unisson, d’antiphonie, de glissando, de répétition, d’harmoniques, de vocalisations, tournoiements, stratifications, tuilages volatiles ou rythmiques, télescopages, canons, fanfare, sustain, bourdons, ostinatos, hocuets déconstruits, bruissements « respiratoires » dans les tubes, graves profonds, grincements de la colonne d’air, éclats dans l’embouchure etc… le tout souligné par les interventions ponctuelles et classieuses des deux percussionnistes.
Cinq compositions dans les dix – treize minutes soigneusement conçues et superbement exécutées. Glocken, Gleiter, Luffft !, Beller, Fanfare. On y trouve plusieurs niveaux d’architectures, de perspectives et une pensée musicale mettant en relief les possibilités des trombones dans une dimension contemporaine et, même, un brin festive. Certaines pièces sont construites de manière astucieuse enchaînant des motifs et techniques presque divergentes avec une certaine élégance. Un excellent travail aussi agréable à écouter que propre à nous interroger sans tirage de ficelles évident. La subtilité étant le maître mot. Souhaitons à Matthias Muche, dont j’ai déjà loué le travail au sein du duo Superimpose et leur triple album avec John Butcher, Sofia Jernberg et Nate Wooley en invités sur inexhaustible edition, qu’il puisse présenter ce projet Bone Crusher dans des festivals de nouvelle musique : succès garanti !

Chris Abrahams / Mark Wastell A Thousand Sacred Steps Confront Core01EP
https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/a-thousand-sacred-steps

Pianiste du trio The Necks avec le batteur Tony Buck et le bassiste Lloyd Swanton, Chris Abrahams est aussi musicien de studio et improvisateur d’avant-garde pointue en compagnie de la harpiste Clare Cooper ou le flûtiste Jim Denley, par exemple. J’insiste aussi sur l’extraordinaire Artery avec le violoniste Jon Rose et le contrebassiste Clayton Thomas. Voici Chris Abrahams improvisant sur un Bluthner Grand Piano plus que centenaire soutenu/ commenté par le tam-tam et les cymbales de Mark Wastell le temps d’un Extended Play digital, célébrant le format légendaire du 45 tours étendu de notre jeunesse. Je me souviens avoir écouté les Shadows, Django et de très rares albums de musiques traditionnelles africaine, grecque ou indonésienne dans ce format. 4 plages de 08.24 (A), 02.36 (Thousand), 01.54 (Sacred) et Steps (06.50). Pas besoin de jouer à pile ou face avec side A ou B, les morceaux créant une suite limpide de formes cristallines, ondoyantes, vagues venant mourir sur une plage imaginaire. Une photo de David Sylvian sur la pochette. Musique à la fois abstraite et impressionniste. Intelligemment, Mark Wastell intègre fort heureusement à son projet de label (incontournable Confront) des collaborations audacieuses et imprévisibles avec des musiciens de premier plan aussi divers qu’Arild Andersen et Clive Bell, Derek Bailey, Julie Tipetts, David Sylvian et Mike Cooper, tout en produisant ses propres groupes : IST, Sealed Knot ou The Seen ET d’autres artistes comme Tony Oxley et Alan Davie , Duck Baker, Steve Beresford Valentina Ma et Pierpaolo Martino, Benoît Delbecq et Mandhira de Saram, Taku Sugimoto, Chris Burn et Philip Thomas, Rhodri Davies. Très souvent, chacun de ces albums nous apporte la fine fleur de ce qui se fait de plus intéressant et convaincant dans plusieurs « sub-genres » des musiques improvisées. Ce mini-album n’échappe pas à la règle et permet à ceux qui le méconnaissent de découvrir pour la modique somme de 5 € le style énigmatique et fascinant des Mille Pas Sacrés du pianiste Chris Abrahams conforté pat le bruissement aérien des cymbales de Mark Wastell.

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