30 novembre 2021

Audrey Lauro & Gotis Damianidis/ Seppe Gebruers Hugo Antunes Paul Lovens/ Georg Wissel – Tim O’Dwyer/ Danny Kamins/ Ilya Belorukov & Lauri Hyvärinen

Audrey Lauro & Gotis Damianidis Dark Ballads LP SW016. MN007 Mr Nakyasi.
https://mrnakayasi.bandcamp.com/album/dark-ballads

Publiées l’année dernière, ces Dark Ballads, proches d’une atmosphère pesante et insidieuse de films ou romans noirs, sont au nombre de trois étalées entre des véritables diamants d’improvisation, Obsidienne, Almandin et Béryl Rouge dans la laque noire d’un vinyle sulfureux. Audrey Lauro et son saxophone alto échappe aux catégories simplistes du free, de l’improvisation dans ces multiples pratiques, s’agrégeant corps et âme à un ou une partenaire et un territoire commun sonique, électrique, expressionniste et subtil. Dès les premières secondes, les notes de la souffleuse se contorsionnent, chargées d’un cri torturé qui dénature les écarts de tons et demi-tons dans une réalité brûlante. Gotis Damianidis excelle à saturer ses six cordes d’une électricité sauvage, indomptée créant des phrasés mystérieux et novateurs. Ou alors, il intervient dans une manière paysagère et ouverte quand sa collègue oblique sa trajectoire en zig-zag dans des intervalles – harmonies curieuses et très ciblées. Chacun des morceaux contient sa quintessence de noirceur, de rage et exprime autant la lucidité du désespoir et la folie hagarde d’un lendemain redouté. Un ressenti primal, une boule de colère, une lueur d’espoir. Urgence. Cette démarche originale n’est pas une thèse de composition contemporaine qui se travestit en improvisation radicale, mais un déroulement narratif poétique fait de sentiments, d’impressions subites, d’un vécu intense que la musique épouse étroitement. Les deux artistes font appel à une sélection avisée de potentialités guitareuses amplifiées et des aléas volontaires d’un souffle rebelle qui se répondent de manière spontanée coordonnée et naturelle. Musique d’aujourd’hui : crises , dérives, cataclysmes… À écouter, méditer et recommander. Super label Belge Mr Nakayasi !!

The Room : Time and Space Seppe Gebruers Hugo Antunes Paul Lovens el Negocito records troika 3 Po Torch Records https://elnegocitorecords.com/releases/eNR084+.html
https://elnegocito.bandcamp.com/album/the-room-time-space

Cette Room dans le Temps et l’Espace (Time and Space) a été enregistrée en février 2016 à Malines. J’ai fait l’acquisition d’une copie CD que tout récemment, c’est donc pour cette raison que mon compte rendu ne paraît que trois ans après sa parution. Les courtes notes de Paul Lovens sur la pochette reflètent le sentiment ou la sensation qu’une pièce, un lieu (The Room) a sa propre personnalité qui vous aide à faire silence et écouter intensément. Je crois que cet enregistrement avec le pianiste Seppe Gebruers et le contrebassiste Hugo Antunes, l’instant et le lieu revêtent une grande et profonde signification qu’il a (sans doute) tenu à faire inscrire le titre de son vieux label Po Torch sur la pochette pour bien signaler cela à ses auditeurs fidèles. Il y a longtemps que Po Torch vinyle a cessé ses activités, mais on retrouve ici toute l’acuité créative liée à la pratique de Paul Lovens. On est loin ici de la free – music énergétique du trio avec Schlippenbach et Parker. Seppe Gebruers joue de deux grands pianos accordés un quart de ton l’un par rapport à l’autre et simultanément quand il le faut. Cinq plages rassemblent les différentes « unedited free improvisations », vraisemblablement dans le désordre de la prise de son initiale, car on passe de Room 1 à Room 6/7 puis 3, 5b et 2 , sans doute pour des raisons de dynamique et d’enchaînement logique qui vont de soi pour des improvisateurs expérimentés. Hugo Antunes est crédité contrebasse préparée et non préparée. Son jeu un peu assourdi est oblique, percussif et épuré et se situe au centre créant un point d’ancrage ouvert et attentif entre les frappes millimétrées du batteur sur les peaux amorties (chiffons, gongs, petites cymbales), les bords des tambours et la frange des cymbales. L’archet fait subrepticement grincer les cordes amorties et les doigts bienveillants de Seppe pincent les cordes dans la table d’harmonie comme une harpe irréelle. Il joue quelques notes avec des intervalles secrets, lesquels se révèlent comme les clés de la réussite. Une voix parle dans le tambour, chaque frappe jouant une note – hauteur distincte, indéfinie et sans résonnance. Une musique aussi raffinée que sauvage étalée dans l’espace, l’écoute, sans aucune hâte, lentement pour nous laisser le temps d’entendre chaque son, chaque rebond, chaque résonnance. Le morceau le plus animé et anguleux (en 4 : Room 5b) est encore dans cette retenue, cet élan brisé avec ces frappes isochrones imperturbables sur woodblocks et gongs qui dans leur déraison suscitent des réactions subtilement ludiques avec une précision maniaque. Seppe et Hugo manifestent une maturité remarquable qui rentre complètement en phase avec les exigences esthétiques de ce batteur légendaire. Un trio tout en finesse d’ improvisateurs qui assument leur démarche collective jusqu’au bout des ongles. Pour une écoute individuelle profonde dans le calme de la nuit.
El Negocito est un label gantois (belge) fédérant une multiplicité d’initiatives focalisées sur le jazz contemporain ou free avec une ouverture d’esprit propice à une expression aussi « sérieusement » pointue et lucide jusqu’à l’ascétisme comme celle-ci.

Mirror Unit : Sonic Rivers Georg Wissel – Tim O’Dwyer FMRCD615
https://georgwissel.bandcamp.com/album/sonic-rivers

Ces deux souffleurs de saxophones partagent beaucoup de choses au niveau de la recherche instrumentale et sonore en utilisant de multiples techniques « alternatives » soufflant à l’envers, usant de coups de langues, harmoniques, bruissements, morsures, faux doigtés, sons ténus, effets aériens, aspirations, grincements, articulations hachées menu, motifs sauvages et que sais-je. Sans parler des objets qui vibrent dans le bocal comme ces gobelets plastiques. Mais là, n’est pas le principal. Au centre de leurs préoccupations, comment mettre cela en commun, créer un dialogue original, une imbrication, une constante coordination aussi spontanée qu’étudiée. Mirror Unit joue en complète communion avec son partenaire et la moindre émission sonore, le moindre geste , une disponibilité à toute épreuve. Et donc, Mirror Unit, le duo de Georg Wissel et Tim O’Dwyer s’affirme comme une entité unique, enrichissant le matériau brut et spontané, toutes ces « scories » dans une réflexion partagée, et non mimée, comme s’ils se reflétaient dans un miroir commun. Un miroir imaginaire qui se trouve quelque part entre leurs bouches, leurs embouchures, leurs doigts, les clés et le pavillon de leur instrument, saxophones alto et préparations. Ces préparations contribuent à altérer et déformer le son du souffle dans leurs instruments, leur pratique ludique et leur savoir-faire étendent, dilatent leur sons emboîtés sans que nous nous lassions un instant. On n’en finit pas de découvrir leur univers, chacune des six improvisations apporte de l’eau au moulin créatif, à une réelle diversité de sons tout en maintenant la démarche de manière intelligemment jusqu’au-boutiste avec un réel sens des formes.
Rivières soniques, roman-fleuve, nappes phréatiques débordantes, fuites incongrues, torrents d’une saison, fonte des neiges, lagunes, cascades, geysers, fossés de pluies, musiques de tuyaux, d’air et de vents humides. Un enregistrement d’improvisation contemporaine exceptionnel au niveau des meilleurs outsiders comme Urs Leimgruber, Michel Doneda, John Butcher… dans une rare combinaison duale

Danny Kamins Disruptor Noise Pelican Records
https://dannykamins.bandcamp.com/album/disruptor

Album solo de sax baryton d’un collègue plus que méritant de Daunik Lazro et Simon Rose, lesquels explorent systématiquement ce saxophone grave au son graveleux, propice aux diffractions de la colonne d’air, aux bourdonnements mystérieux, telluriques, harmoniques indécises. Boucles suspendues dans le temps, traversées de déchirures frémissantes, multiphoniques rétives et obstinées, aigus mordants, énergie. Danny Kamins est établi à Houston, Texas et y anime activement la scène locale d’improvisation / free jazz. Il s’est produit avec Damon Smith, Alvin Fiedler, Tatsuya Nakatani, Bob Moses, Jeb Bishop, Sandy Ewen et ses propres groupes D.K. Blow Out, Carl, Etched in the Eye. D.K. Blowout est une affaire free- hardcore électrique furieuse et à l’écoute de ce groupe carrément noise mais intelligemment contrasté, on imagine mal que son trio a interprété Treatise de Cardew et, ici, le feeling pastoral amoureusement acoustique et chercheur de sa performance solo, composée d’un brève intro et de cinq pièces consistantes consacrées au souffle circulaire. Patiemment, Danny Kamins empile les effets de souffle et les harmoniques dans une vibrante tournerie de puissantes sonorités graves où s’agitent les morsures aiguës et vocalisées qui détraque l’aspect répétitif de son jeu en souffle continu. Avec des doigtés factices laissant ouvert un ou deux clapets au-dessus de la note jouée, en dosant son souffle et la pression sur l’anche et y ajoutant des coups de langue assassins, le saxophoniste fait parler et chanter ces notes fantômes auxquelles l’inoubliable Albert Ayler a donné une des expressions les plus convaincantes et authentiques. Un jeu- rêve acoustique et respiratoire qui semble faire éclater la composition de l’air N2-O2 (78-21%) y activant les gaz rares rebelles (1%) qui semblent animer la disruption de l’émission sonore. Une dimension sous-jacente du blues. Magnifique, authentique et bienvenu !

Ilya Belorukov & Lauri Hyvärinen Inverted Canvas Hemisphäre HNK 023
http://belorukov.blogspot.com/2011/06/hyvarinen.html

Enregistré en 2019 à Varsovie et reçu il y a plusieurs mois parmi un monceau de files. Pas de chance, inexplicablement la connexion Bluetooth entre mon portable et mon ampli ne fonctionne plus : l’existence de mon ampli est oubliée par le système de mon portable. Via le haut-parleur du portable, le son est un peu dur.
Ilya Belorukov est un saxophoniste et artiste électronique russe expérimenté ici crédité synthétiseur modulaire et Lauri Hyvärinen s’affirme comme un guitariste improvisateur de talent. C’est avec un excellent duo guitares de Lauri et Daniel Thompson publié en digital qu’Inexhaustible Editions a initié son super catalogue d’avant-garde improvisée. Par coïncidence Wolkokrot,le premier album d'Inexhaustible Editions (ie-01) documente le duo d'Ilya Belorukov et Miguel A. Garcia, le russe étant crédité electronics, field recordings, samples. Ilya a aussi créé son propre label Intonema et est un des principaux animateurs de la scène expérimentale russe. Les deux musiciens tentent de créer un dialogue – questionnement entre l’acoustique providentielle du jeu d’Hyvärinen et les arcanes soniques du synthé modulaire de Belorukov, instrument « vintage » avec lequel une poignée d’allumés travaillent de manière systématique et très subtile. Il faut mentionner évidemment Thomas Lehn, Richard Scott et Willy Van Buggenhout qui pousse le bouchon très loin. Et fort heureusement, on entend des choses intéressantes, des combinaisons sonores astucieuses, riches voire étonnantes sous les doigts experts d’Ilya Belorukov. Le savoir – faire guitaristique de Lauri Hyvärinen n’est pas en reste. Il lui arrive de créer des phrases et des sons intrigants en jonglant avec les harmoniques. Deux longues improvisations de dix-huit et vingt minutes , Inverted Canvas et Painting in the Dark s’écoulent agréablement entre des pointes surprenantes, des moments suspendus, des trouvailles sonores et des drones minimalistes en dehors d’aucun plan ou trajectoire. Leur démarche s’apparente à une dérive autant sonore que poétique avec un parti-pris d’interaction tangentielle, expérimentale. On appelle cela des chercheurs dans l’inconnu qui documente leurs lubies, plutôt que de présenter des choses évidentes qui fonctionneront sans souci. Peut-être leur enregistrement idéal en duo aurait gagné à être plus concis ou focalisé.
Néanmoins , ce sont deux artistes très valables qui devraient continuer leur collaboration Helsinki n’étant pas si éloigné de St Petersbourg. Des artistes à suivre.

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