Trialectics Alexander Frangenheim Nikolaus Neuser Richard Scott sound anatomy
Excellent trio de musique improvisée libre. Trompette : Nikolaus Neuser, contrebasse : Alexander Frangenheim, synthé modulaire : Richard Scott. Le titre, Trialectics, évoque/suggère l’idée d’un trio et de sa dialectique ou un éventuel croisement de dialectes, chacun ayant son langage musical qu’il faut croiser, confronter, transformer, faire correspondre, étendre, … entendre et écouter. Leur rencontre est remarquable par ses points de convergence, de divergence, de frictions, ses silences, l’invention, les contrastes imprévisibles,… Dans cette scène (ou ce marché), il y a trop d'enregistrements de musiques où les protagonistes jouent quasiment sans arrêt, en dévidant des paquets de notes, de sons etc… qu’il est bon de jouir, avec ce magnifique trio, d’émissions sonores spontanées, portées par le silence qui les entourent, par l’écoute, l’attention pointilleuse, la technique pointilliste, des événements sonores brefs et précis, des touches éphémères, une variété de timbres, de mouvements, de signes et une grande dynamique, qu’il s’agit là d’une récompense infinie ... après avoir tenté d’écrire à perte de vue au sujet d’une infinité d’enregistrements dont parfois on a tendance à douter de leur raison d’être. Je ne connaissais pas du tout Nicolas Neuser, le trompettiste, mais il a trouvé là deux partenaires très expérimentés. Alexander Frangenheim a un don inné dans le « core business » de l’improvisation libre stricto sensu de la tendance Christmann, Lovens, Torsten Müller, Phil Minton, Roger Turner etc… en jouant tout ce qu’il fait à bon escient et Richard Scott est un cas rare dans l’univers électronique, idéal dans ce contexte. Son sens du timing, de l’intervention dans l’instant immédiat se révèle idoine pour cette science spontanée du jeu tangentiel et de l’extension des palettes sonores dans le feu de l’action. Un must si vous voulez découvrir ce genre de musique chercheuse et que les rodomontades musclées (et expressionnistes) d’aucuns commencent à vous fatiguer. Reposez-vous en écoutant !
Irreversible motions Jason Mears & Stephen Flinn inexhaustible editions ie-012
Label sérieux et pointu se consacrant à des duos impliquant de jeunes improvisateurs (ou au moins un jeune sur les deux !) qui tentent avec succès de créer une recherche actuelle et radicale dans le domaine de l’improvisation libre. Le saxophoniste Jason Mears et le percussionniste Stephen Flinn, tous deux New Yorkais, prennent le parti-pris « laminal », voisin d’AMM, en le portant à un stade de tension, voire d’ébullition remarquable. Au fil des plages, on retrouve un lent crescendo de sons soutenus : cymbales frottées et amplifiées, harmoniques du souffle continu faisant vibrer l’anche sur un bec « brûlant », strates de sons hantés, métalliques, multiphoniques produites subrepticement, expressionnisme radical du minimalisme poussé dans ses retranchements. Jason Mears joue une ou deux notes et les étire sans frein alors que Stephen Flinn fait crisser les alliages bronze – étain jusqu’au cri primal. Chacun des cinq morceaux contient une nouvelle phase de jeu et des agrégats sonores distinctifs qui offrent un panorama intéressant des possibilités ludiques (quand-même !) de ce duo très concentré. L’intensité de leur musique sublime entièrement leur postulat de départ : dans l’ultime pièce, the works, les harmoniques du saxophone, qu’on jugerait être aléatoire, dégage un lyrisme écorché pour finir dans des boucles respiratoires (continues) qui se chevauchent et s’entre-croisent en enflammant l’air ambiant par dessus les vibrations bruissantes de l’installation percussive. Irreversible Motions a quelque chose d'irrévocable.
Seraphic Lights Daniel Carter William Parker Matthew Shipp Aum Fidelity Aum 106
Flûte, clarinette, trompette, saxophones ténor, alto et soprano : Daniel Carter est un bien curieux poly-instrumentiste réellement inspiré en compagnie du tandem contrebasse – piano insigne du (free) jazz libre de la Côte Est. Son gros comme çà (Mingus, Wilbur Ware) à la contrebasse : William Parker. Pianiste profondément original, spontané et savamment organisé : Matthew Shipp. Pour répondre au lyrisme modeste et secret de souffleurs aussi atypiques que Carter, le pianiste s’est inventé un univers qui découle du piano jazz (très moderne) dont il a extrapolé les paradigmes du langage (lingua franca) en recréant gammes, accords et constructions dans un tout cohérent où le lyrisme et une forme de consonance sont intégrées à une approche moderniste alternant polytonalité profondément assumée et expressivité atonale. Un sens de la scansion, de la propulsion, des variations de cadences, une densité harmonique. Matthew Shipp est le prolongateur à l’égal de pianistes visionnaires et atypiques (par rapport à la lingua franca du jazz) : Mal Waldron, Randy Weston, Jaki Byard, Borah Bergman, ou encore Lennie Tristano, Sal Mosca (qu'il affectionne particulièrement. … Sa capacité à faire varier son jeu en jonglant avec ses idées et les formes tout en les prolongeant font de lui un compositeur de l’instant par excellence. Le trio a choisi d’improviser simultanément de manière interactive sans que jamais un ou deux des musiciens « n’accompagnent l’autre. Le parti-pris d’improvisation totale est assumé jusqu’au bout, motifs mélodiques et rythmes sont le produit du jeu instantané. Le souffleur ne se pose pas en soliste, mais se place un tiers de côté faisant fluctuer son lyrisme entre apesanteur et feeling cool en laissant un espace pour les constructions étincelantes du claviériste. On entend William Parker pousser de tout son poids avec un son de contrebasse énorme comme si un géant mythique africain avait créé un multi – arc avec des branches de baobab. Avec son archet surpuissant, il tranche dans la vibration des cordages avec la puissance d’un trois-mâts poussé par les alizés de la Mer des Sargasses. Quand le bassiste suggère un accord et une cadence, elle est de suite reprise et enrichie dans une magnifique variation dans laquelle s’inscrit le souffle ému et retenu de Daniel Carter. Le pianiste a t-il à peine éclairci son jeu que les doigts du bassiste font danser et trembler de grosses notes qui chaloupent l’équipée. Un blues puissant mené par les deux compères dans des diversions surprenantes (quels voicings !) laissent échapper des râles à la clarinette serpentine et des slaps énormes des cordes sur la touche. Mais un jeu retenu s’enchaîne et divague vers d’autres incartades à l’infini. La réputation du couple Shipp-Parker n’est vraiment pas surfaite : cela « joue » comme rarement et la personnalité apaisée de Daniel Carter leur donne du champ pour récolter trouvailles sur trouvailles. Ce concert venait tout à fait à point pour illustrer les bienfaits et qualités du free-jazz afro-américain à la Tufts University, Medford, Massachusetts. Au programme : Art, Race and Politics in America. En matière de liberté musicale et de libertés tout court, mais aussi d’écoute, d’entente et respect mutuel, d’imagination et de créativité, ces trois musiciens improvisateurs sont parfaitement indiqués. Parfait exemple de ce qu’il fallait démontrer.
Birgit Ulher – Christoph Schiller tulpe schicht brille inexhaustible editions ie-011
Cela fait quelques lustres que je ne manque pas d’écrire au sujet des albums de la trompettiste Birgit Ulher, une praticienne de l’improvisation radicale parmi les plus intéressantes parmi celles et ceux qui ont remis à plat l’improvisation libre il y a plus d’une quinzaine d’années. À force de chercher des mots et des phrases pour sa musique, j’ai le sentiment d’être à court d’idées et d’avoir le sentiment d’avoir entendu cela. Mais si je n’avais pas pris le parti d’écrire régulièrement à son propos (B.U.), ma connexion avec inexhaustible editions aurait mis ce tulpe schicht brille sur ma route après leur précédente parution d’un autre de ses albums scoriacon (Birgit Ulher & Felipe Araya ie-006). Et cela me donne l’opportunité de redécouvrir cet explorateur de l’épinette, Christoph Schiller, dont j’avais apprécié un duo intéressant avec le violoniste Harald Kimmig (sur Creative Sources). Il faut d’abord situer ce qu’est une épinette, un curieux instrument à clavier des XVI et XVII ème siècles, proche du clavecin ou du virginal. À l’époque ces trois termes étaient souvent utilisées indifféremment, la spinette italienne ou épinette française désignait en France et en Italie cet instrument à cordes pinçées par des sautereaux (en cuir), lesquels sont actionnés par un clavier. En fait, il s’agit de la mécanisation du luth, instrument de base de la musique au Moyen-Âge, les sautereaux remplaçant l’unique plectre pour chaque corde. Les cordes sont tendues à l’oblique du clavier créant ainsi la forme oblongue de l’épinette dont le registre s’étend approximativement sur quatre octaves. Le clavecin dit vertical a, lui, une forme de trapèze à deux angles droits côté clavier, si vous me suivez bien. La pochette n’indique pas s’il s’agit d’une épinette française ou une italienne. Tout çà pour dire que l’épinette est un instrument curieux, plein de possibilités insoupçonnées, dont l’apparence « skieve lavabo » a sûrement dû inspirer Schiller. Il se fait que mon activité d’organisateur de concerts dans le passé m’a fait participer au projet Temperaments de Jon Rose et de Veryan Weston (cfr le cd Emanem 4207 "Temperaments") où le pianiste jouait des clavecins et pianofortes (et aussi de l'orgue) accordés avec des diapasons « obsolètes » et à la mistenflute en vue d’écarter et torturer les intervalles précis de la musique tempérée. NB : Mistenflute, c’est du Belge – Bruxellois. Comme les Français lardent leur langue de néologismes barbares anglo-saxons, je ne peux pas m’empêcher de titiller leur ignorance de « ma » culture où les mots prennent directement leur signification dès qu’on les entend même si on en ignorait l’existence. C’est bien un peu comme cela que fonctionne l’improvisation libre : on ne comprend pas souvent comment le collègue parvient à s’exprimer comme il le fait au moment même, moment partagé en temps réel par l’un et par l’autre, mais différemment pour chacun des deux. Mais cela nous rend quand même capable de réagir au quart de tour (de manivelle). Et donc c’est comme cela que ce duo crée sa musique, mais, ici, avec un sens de la sélection des choix dans la manipulation de l’instrument et de l’émission des sons et des timbres particulièrement aigu. Aussi, ils prennent soin d’alterner leurs interventions respectives, parfois millimétrées, le temps d’un soupir ou d’une demi-portée. Une qualité percussive et détaillée au niveau du son. Et leur approche radicale bruitiste excelle à produire des sonorités surprenantes, joyeusement variées et qui subliment la grisaille apparente qui semble s’imposer si on l’écoute d’une oreille. Au casque (headphones), c’est idéal. Je dois dire que, si j’ai toujours dit que Birgit Ulher est une artiste particulièrement originale sur son instrument et que sa démarche vaut bien celles des Axel Dörner et Franz Hautzinger, deux autres révolutionnaires de la trompette et des concepts en jeu dans la musique improvisée, je dirais que Christoph Schiller est un musicien singulier et très méritant. D’abord, il faut souligner qu’un claviériste qui voyage avec son épinette, instrument rare et coûteux, mais plus léger et transportable qu’un piano, avec ou sans queue, pour se produire en concert, doit être particulièrement allumé, compte tenu des moyens formidables dont dispose un improvisateur « libre » pour présenter sa musique. Imaginez la tête d’un checkeur de bagages Ryanair avec un engin pareil. Schiller doit aller jouer en déplaçant l’épinette en voiture et se taper des centaines de km d’autoroutes (péages, vignettes et autres joyeusetés), alors que ses collègues prennent l’avion ou le train. Car vous n’imaginez quand même pas qu’un fada de musique de la Renaissance, propriétaire d’un éventuelle épinette, va laisser un pareil à Schiller « préparer » son instrument et jouer avec des objets dans les cordes. Car notre ami suisse (C.S.), il ne la ménage pas son épinette. La caisse, le ou les chevalets (française ou italienne ?), les cordes, tout semble vibrer dangereusement. Il y a là comme ustensiles, archet, cuiller, fourchette, gobelet, coupelle métallique, e-bow, et de l’électronique divergente. Et donc, nos duettistes font imploser la raison d’être de leurs instruments respectifs en explosant tous les paradigmes de jeu et de musicalité. Une caractéristique de Birgit Ulher est son sens précis du timing, qui lui vient sans doute de son travail antérieur avec des improvisateurs du calibre de Roger Turner et Uli Philipp ou de Martin Blume et Damon Smith avec lesquels elle a enregistré des albums fantastiques : Umlaut et Sperrgut. Je le rappelle encore, aux collègues et amateurs, car la musique d’Umlaut est aussi fumante que celle de Weavers, par exemple, avec Lovens, Christmann ou Altena en 1979 (vinyle Po Torch) et que Sperrgut révèle des qualités insoupçonnées. Et comme la dame a choisi d’évoluer dans un autre univers que cette interactivité kinesthésique, jugée has been par d’aucuns, autre univers que je qualifierais de soft-noise ou lower case, ses capacités remarquables d’intervention face au temps qui s’échappe de nano-seconde en nano-seconde insufflent une dynamique bienvenue dans le développement assez linéaire (ou laminal, cfr AMM) de cette approche improvisée dont certains documents peuvent révéler qu’il s’agit parfois malheureusement d’une posture. Réduire le champ des possibilités instrumentales et musicales demande un sacré talent pour rendre ce postulat expressif, vivant et requérant pour l’attention et le plaisir de l’auditeur. Ces artistes considèrent l’art des bruits en se servant de leur instrument soit, comme un tube dont on recherche et actionne les propriétés sonores à travers les vibrations les plus insoupçonnées de la colonne d’air (Ulher) ou comme une caisse de résonance à cordes tendues objétisée, préparée et actionnée par de curieux objets, une sculpture – installation qui se fait entendre au lieu d’être vue (Schiller). En écoutant avec attention, je réalise la puissance créative de ces artistes du bruitage et du murmure : on n’a pas l’occasion d’avoir le sentiment qu’ils se répètent beaucoup, même un peu. Leur matériau sonore est parfois recyclé, mais très souvent altéré, évolutif, transformé, recontextualisé, de nouvelles choses apparaissent, d’autres disparaissent et ressurgissent sous un autre aspect. Birgit se contente de souffler de l’air dans le tube, de percuter légèrement l’embouchure, de faire crier une faible harmonique, de tapoter une de ses étranges sourdines (plaque de cuivre à poncer) sur le pavillon, etc…. De nombreux paramètres de l’émission sont chamboulés à pas feutrés mais, paradoxalement, incisifs. Dans ce contexte, les extrapolations bruitistes parcimonieuses et parfois éthérées de Christoph Schiller prennent tout leur sens, même si, après avoir écouté de nombreux enregistrements de Birgit Ulher, la surprise initiale laisse la place à une réflexion profonde sur l’acte et l’action d’improviser avec un matériau musical, sonore, instrumental. Tout ça pour dire que ce duo de Birgit Ulher (avec Christoph Schiller) est un de ses meilleurs albums : tulpe schicht brille ...
Note : ne pouvant parvenir à écrire un nouveau pensum, je n'ai pu résister à la faire un peu potache, n'ayant pas à supporter un éditeur, ou un rédac'chef sérieux et responsable.......
Note : ne pouvant parvenir à écrire un nouveau pensum, je n'ai pu résister à la faire un peu potache, n'ayant pas à supporter un éditeur, ou un rédac'chef sérieux et responsable.......
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