Mathieu Bec et Michel Doneda A Peripheral Time FMR
À l’heure où des champions recensés (et saxophonistes patentés) inondent le marché du free-jazz et des musiques improvisées avec pléthore d’enregistrements que les spécialistes les plus chevronnés n’arrivent plus à suivre, il est fort heureux qu’on puisse lire le non de MICHEL DONEDA comme artiste enregistré, même si c’est un album non physique. (Depuis la parution de cet article, leur album a été pressé et mis en vente par le label FMR de Trevor Taylor). Son comparse, Mathieu Bec est un excellent percussionniste, capté ici avec une seule caisse claire en mai 2018 dans la librairie de Bédarieux quelque part en France. Une longue improvisation magistrale de 40 minutes sans faiblir : Hivers. Doneda est sans nul doute un des quelques improvisateurs libres de France de talent au niveau international dont les capacités et la qualité de ses improvisations se situent au niveau des « tout meilleurs » sur le même instrument comme Evan Parker, Urs Leimgruber et feu Lol Coxhill. Face à son jeune collègue, il développe d’abord son jeu dans une dimension plus mélodique que dans la grande majorité de ses enregistrements depuis 2000 environ, question sans doute de faire connaissance. Mathieu Bec est un chercheur hardi et talentueux dans la sphère vibratoire et réactive de la percussion libre avec un appétit pour le son. Une fois échauffés, les deux musiciens marient et emmêlent leurs sons dans de superbes détails, actions, réactions, bruissements, harmoniques, sons métalliques en suspensions, mordillements/battements de langue expressifs sur l’anche, friction lente et légèrement accélérée de la colonne d’air métamorphosée en aiguilles d’harmoniques. Aiguillonné par le jeu subtil et mouvant de MB, Doneda nous livre les innombrables facettes de son jeu secret, de sa capacité à étendre indéfiniment sa palette, ses sons, ses charmes vibratoires qui font de lui un musicien essentiel de la scène improvisée. Il est urgent de documenter plus systématiquement son travail pour qu’il illumine les jeunes et moins jeunes générations d’improvisateurs et auditeurs. La sincérité dans l’acte de jouer et improviser. Doneda = incontournable parmi les incontournables et Bec = à suivre sans attendre !!
PS : Mathieu Bec vient de publier l'extraordinaire duo Saxa Petra avec le saxophoniste Guy-Frank Pellerin chroniqué dans la page précédente.
PS : Mathieu Bec vient de publier l'extraordinaire duo Saxa Petra avec le saxophoniste Guy-Frank Pellerin chroniqué dans la page précédente.
Olaf Rupp acoustic guitar solo Close Ups www.audiosemantics.de
Non seulement Olaf Rupp a un grand talent de virtuose de la guitare, mais sa capacité à concevoir et développer des projets et des aventures différentes et pointues mettant en valeur une approche lucide et engagée est surprenante. Je viens de chroniquer une superbe rencontre en trio avec Paul Rogers et Frank Paul Schubert dans Three Stories About Rain Sunlight and the Hidden Soil (Relative Pitch) où sa guitare électrique et les notes finissent par se démantibuler soniquement. Il est capable de tenir un postulat musicalement risqué en fascinant l’auditeur comme dans ses Weird Weapons faussement répétitifs et tournoyants en compagnie du bassiste Joe Williamson et du batteur Tony Buck (Weird Weapons / Emanem – Weird Weapons 2 / Creative Sources CS197cd). Il a plusieurs albums solos à son actif dont deux chez FMP, c’est tout dire. Cet intéressant Close Upsmet en lumière les nuances de ses doigtés – battements aériens propulsant les notes dans l’espace. On entend une architecture approfondie de l’art de la spirale, en tuilages, escaliers, croisements de voutes, effets de perspectives dans ce qui ressemble à un nouveau folklore imaginaire. Ailleurs, l’instrument devient rythme, répétitions obsessionnelles de notes, pulsations arrêtées subitement, crescendos d’accords abstrus, vagues de frappes d’ongles, acrobaties giratoires d’intervalles. Oscillations sinusoïdales d’accords distendus réglées au micron. Comment recycler les bases techniques de la guitare classique espagnole pour faire naître un nouveau lyrisme, un univers personnel et requérant avec une réelle exigence. Un travail de compositeur et de soliste de haut niveau dont le territoire situerait à égale distance des guitaristes de jazz d’avant-garde (James Emery, Joe Diorio, Joe Morris), de compositeurs / interprètes comme Leo Brouwer et de la défriche radicale post Bailey - Chadbourne - Boni.
Pour les fans de guitare à écouter absolument.
Frank Gratkowski & Simon Nabatov Mirthful Myths Leo Records CD LR 785
Rencontre attendue entre deux musiciens qui ont souvent collaboré par le passé et se concentrent aujourd’hui dans un duo travaillé, secret et pointilleux au service de la musique : le saxophoniste clarinettiste Frank Gratkowski et le pianiste Simon Nabatov. Un dialogue haut de gamme dans des lueurs sombres, des cascades en zig-zag, des contrepoints décalés. On songe plus à la musique contemporaine qu’au jazz libre, mais une musique contemporaine vitaminée, vue du point de vue d’improvisateurs d’envergure et de maîtres de leurs instruments. Il arrive que, dans la trajectoire, l’échange dérape dans une séquence plus expressionniste ou dans une réserve intimiste . Entraîné par la fougue et le dynamisme du souffleur, le pianiste donne toute la mesure de sa capacité à jongler avec tous les paradigmes du clavier et de la rythmique. Car le jazz c’est l’art du rythme en musique. C’est bien ce que nous démontre ces deux experts : les possibilités d’articulations et de combinaisons infinies de pulsations dont il repousse la vraisemblance vers le demi-silence et le clair obscur comme au milieu des 22 minutes de Three Tamed Furies. Même s’ils ont l’air d’être préprogrammés, ils se révèlent imprévisibles. On l’entend dans Eirene All Around, sorte de soliloque d’un oisillon qui essaye de sortir de sa cage en faisant tinter les barreaux – cordes stoppées du piano. Six morceaux conjuguent de nombreux paramètres entre 12 et 7 minutes avec un final de trois minutes intitulé As The Beginning. La quadrature du cercle en quelque sorte du duo. Soulignons la grande qualité du toucher de Nabatov et le don d’ubiquité aux deux anches sax et clarinette de Gratkowski et le fait qu’ils assument le risque de l’improvisation sans se répéter une minute. Moi je souscris. Ces deux vieux routiers et virtuoses du circuit ont un grand bagage musical superbement mis en valeur et ils en font quelque chose qui vaut sincèrement le déplacement. À écouter de près, vous ne serez pas déçus.
Exodos by Luca Sisera Gerry Hemingway Leo Records LR 832
Avec le grand batteur Gerry Hemingway aux commandes et des musiciens compétents voici une session post Ornette réjouissante. Deux souffleurs fins et racés qui jouent le jeu de l’improvisation en simultané, le saxophoniste Fabio Martini et le trompettiste Guy Bettini, sur la pulsation multiple du tandem Luca Sisera, contrebasse et du bon vieux Gerry H de notre adolescence Braxton. Un bon jazz libre et pulsatoire (qui swingue !) fin, racé, lyrique avec une excellente écoute partagée. Les Heuristics ont grand plaisir à jouer ensemble et à illuminer notre soirée au coin de la hi-fi. Hemingway assure un tempo élastique sans faille tout en délivrant des figures passionnatnes à contre-temps dont il a le secret. Batteur à la fois traditionnel et avant-gardiste, GH inspire ses collègues. Le son boisé de la contrebasse pulse dans un temps idéal et le trompettiste se (et nous) délecte avec son souffle faussement paresseux plein de glissements de notes, de ralentandos subtils et de colorations légèrement vocalisées. Remarquable de lyrisme à la sourdine. Le saxophoniste, tour à tour studieux et sonore, complète l’équipée en intervenant à la clarinette en sotto-voce. Les Heuristics déclinent leurs improvisations dans une série de 8 schémas compositionnels – pièces de jeu intitulés par des titres en grec, la langue de la première philosophie, : Prologos, Parados, Epeisodia 1, Stasimon A, Epeisodia 2, etc… Au fur et à mesure de l’écoute, on réalise qu’il s’agit d’une belle suite construite pour faire durer le plaisir de l’écoute et de pouvoir donner toute leur mesure aux musiciens. C’est pourquoi j’exprime mon estime à ces artistes de l’ombre (on connaît Hemingway, mais ses trois compagnons sont des illustres inconnus). En effet, ils ont mis tout leur cœur à faire vivre cette musique avec autant de professionnalisme, que d’intégrité, de feeling et d’inspiration. Un morceau défile à toute allure : le trompettiste évoque le meilleur Don Cherry et le batteur propulse au niveau des Higgins et Blackwell. Le morceau suivant joue sur le contraste entre les figures complexes du contrebassiste et le parti-pris sonique presque bruitiste de Bettini, le tout commenté par le jeu percussif très fin et détaillé d’Hemingway. Vraiment réussi !
Out Of Silence François Carrier Michel Lambert FMRCD0455
Enregistré en concert au Ryan’s Bar, Stoke Newington, le 4 juin 2015, soit dans un des quartiers du Nord-Est de Londres où s’est réfugiée une bonne partie des improvisateurs londoniens autour de l’axe routier de l’A10 en provenance de Cambridge. C’est au bord de cette artère, Stoke Newington High Street, Kingsland Road.. que circulent les bus Nord - Sud qui rejoignent le centre ville et où on trouve plusieurs lieux incontournables : Vortex Bar/ Mopomoso et Café Oto à Dalston, Hundred Years Gallery à Hoxton et le Flim/Flam au Ryan’s Bar à Stoke Newington. Et il y a presque 10 ans, le Klinker Club au Sussex Pub. Le Ryan’s Bar est le rendez-vous mensuel organisé par le saxophoniste Alan Wilkinson (alto, baryton) et sa particularité de pub de quartier le destine à accueillir des acts énergiques plus proches du « free » free-jazz que, par exemple, la Hundred Years Gallery plus au sud. Et donc quoi de plus naturel que d’y entendre l’inséparable paire canadienne François Carrier et Michel Lambert, respectivement saxophone alto et percussions. On ne les entend jamais l’un sans l’autre et toujours dans cette approche du free jazz complètement libre (sans compositions, thèmes, métriques) qui s’est répandue au fil des décennies comme étant la voie prépondérante parmi les improvisateurs, servant de point de jonction – ralliement entre ce qu’il convient de distinguer free-jazz d’obédience afro-américaine et musique improvisée libre non idiomatique (selon feu Derek Bailey). Carrier et Lambert cultivent des collaborations fertiles avec le pianiste Russe Alexey Lapin (The Russian Concerts vol 1 & 2 FMR) et ont enregistré avec Bobo Stenson, Paul Bley, Jean-Jacques Avenel, John Edwards et Steve Beresford. Michel Lambert développe un jeu percussif libre commentant et relançant le souffle chaleureux de son partenaire. François Carrier n’a peut être pas un style fort caractérisé, mais il navigue avec adresse et enthousiasme dans la lingua franca du saxophone alto free avec une sonorité chaleureuse, une aisance inspirée et un charisme réel. Out Of Silence est une belle suite de séquences jouée mentalement d’un seul tenant durant la quelle le travail / la variation du matériau mélodique et les volutes du saxophoniste tracent un chemin secret comme si les deux musiciens découvraient une thématique, le feeling d’une œuvre. L’auditeur pourrait avoir le sentiment de circuler dans une galerie – exposition d’une série de tableaux non figuratifs dont la matière, les textures, les couleurs sont reliées entre elles par une puissante idée dominante, où chacun d’entre eux développe toujours plus avant la démarche du peintre pour créer un tout homogène. Dans la musique de Carrier et Lambert qui semble aller de soit dans le fil de leurs prédécesseurs (Dolphy, Simmons, Lyons, Watts, Lake, Murray, Cyrille, Moye, etc…), il y a une profonde réflexion en jeu, une émotion intime et profonde, sans excès expressionniste, ce qui la rend touchante et humaine. Les spectateurs auditeurs ont sûrement vécu un moment mémorable.
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Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......