As One Does Paul Dunmall
Julian Siegel Percy Pursglove Mark Sanders FMR
CD0512-1018
Alors que Paul Dunmall a déserté depuis quelques années les scènes européennes qu’il faut occuper avec insistance pour "exister" et cela sans doute par manque d’intérêt, il persiste à enregistrer des sessions en bonne compagnie qui déclinent toutes ses appétences au saxophone ténor, mais aussi soprano ou clarinettes. Il a déjà publié au moins 130 cd's à son nom et sa musique est suivie de près par de très nombreux amateurs. Pour cet atmosphérique As One Does, il s’est adjoint la frappe subtile et fascinante de Mark Sanders, un des plus grands batteurs européens. À la contrebasse et à la trompette Percy Pursglove, un solide musicien. Un autre saxophoniste et clarinettiste basse, Julian Siegel, une solide pointure du jazz britannique, complète l’équipée. Après John Gallagher et Jon Irabagon récemment, Dunmall, qu'on entend ici avec une sonorité lunaire, aime la compagnie d’un autre souffleur avec qui il découvre un sens nouveau de l’empathie. Entièrement improvisées, six improvisations collectives autour des huit ou neuf minutes, avec une pointe jusque treize, commencent paresseusement un peu dans cette allure désenchantée à-la-Lester Young, titubant avec deux notes ressassées comme le ferait un sage, pour faire ensuite grimper la tension avec des détachés subtils et en cascade, s’enchevêtrant à qui mieux-mieux. On croirait entendre un clin d’œil free à Warne Marsh et son double avec des harmoniques pointues en plus. Dunmall met son ténor à toutes les sauces. Inspiré avant tout par Coltrane, mais aussi par Shorter, Coleman (George), Rollins, Griffin, Liebman, Rivers, etc…, il se nourrit de leurs expériences avec une extraordinaire cohérence pour créer sa musique de la manière la plus sincère qu’il puisse exister. Il étire la pâte sonore à l’infini et son délire se communique à son acolyte, Julian Siegel, qu’on entend aussi à la clarinette basse. Siegel que je n’avais jamais étend auparavant, manifeste une véritable entente avec camarade. Qui joue quoi, parfois on ne saurait le dire. La plupart des albums de Dunmall sont passionnants : il allonge l’improvisation du jazz jusque dans ces derniers retranchements en découvrant de nouveaux paysages par les chemins écartés sans se perdre. Mark Sanders se fait discret soulignant et commentant les volutes des deux souffleurs en leur ouvrant tout l’espace et en arrêtant le temps. Son jeu varie d’intensité au fil des secondes et des minutes. Sanders et Dunmall qui ont à leur actif un nombre considérable d’albums en commun sont inséparables. Les doigts du contrebassiste bourdonnent d’aise et rebondissent de contentement au fur et à mesure que l’articulation du souffle et le tournoiement mélodique nous éblouissent. La trompette de Pursglove se fait entendre provoquant de belles surprises dans la musique collective. Les morceaux joués le plus spontanément du monde s’enchaînent comme une suite cohérente où les structures et le chant se confondent avec les affects et nous racontent une épopée oubliée. À noter un remarquable duo Pursglove – Sanders,entre autres moments de choix. Le swing quand il surgit à l’improviste n’est pas interdit non plus. Dunmall peut souffler avec une puissance fracassante peu égalée ou s’adonner à cette manière introspective et fugitive (lunaire) et une tendresse de la sonorité avec la même énergie. Avec Evan Parker, il est sans doute le plus grand saxophone ténor vivant dans le jazz improvisé et au-delà. Si vous voulez vous éclater la cervelle en mode Interstellar Space, écoutez alors le récent The Rain Sessions (FMR) avec Irabagon , Sanders et Jim Bashford, nouvel arrivé dans le cercle Dunmall. Superbe album.
Imaginings Ian Brighton
FMR CD 497-0618
Après quelques décennies d’absence, voici le guitariste Ian Brighton, un
des piliers de la scène improvisation libre britannique, de retour et fermement
impliqué dans des concerts et des enregistrements. Après la sortie de Strings avec Phil Wachsmann, Marcio
Mattos et Trevor Taylor et la réédition du légendaire Marsh Gas, voici encore un nouvel album en forme
d’anthologie. Deux duos : l'un avec Trevor Taylor, le percussionniste
responsable de FMR, et l'autre avec le
violiniste Phil Wachsmann; un trio avec Wachsmann et le violoncelliste Marcio
Mattos ; deux quartets : l'un avec le souffleur Joan Seagroat (sax soprano et
clarinette basse), Steve Beresford au piano et jouets et le flûtiste Neil
Metcalfe et le deuxième avec le saxophoniste François Carrier, Beresford et Trevor Taylor ;
sextet avec Mattos, Taylor, Carrier, Seagroat et Beresford et un tutti à
huit, suivi d’un solo de guitare. Le style à la fois épuré et complexe de Ian
Brighton attire l’écoute par la grande dynamique et les constantes
transformations sonores de son jeu, lesquelles ont un air de famille avec les
caractéristiques de Derek Bailey même si on entend clairement qu’il a une
démarche très différente. En effet, son jeu est très épuré souvent à la limite
du pianissimo et du diaphane. Pour obtenir ses sonorités peu courantes, il se
sert uniquement de ses doigts de la main gauche, d’une pédale de volume sans cesse sollicitées et
des propriétés sonores de la guitare électrique dotée d’un chevalet. Pas de pédales d'effets... Et bien
sûr les harmoniques et des touchers à la limite du bruit. ll y a une dimension
intuitive spontanée de la part de Brighton dans sa recherche de timbres
audacieux, une légèreté et une finesse dans l’utilisation des intervalles. C'est vraiment un improvisateur expérimenté qui jouait déjà avec Wachsmann, Taylor, Frank Perry etc... en 1970. Chaque
musicien invité joue dans l’esprit voulu en se rapprochant de la sensibilité pointilliste
de Brighton tout en maintenant son esthétique personnelle. Wachsmann, Mattos,
Beresford et Seagroat sont bien en phase, Steve grattant subtilement les cordes et
faisant résonner discrètement le piano comme un instrument percussif. Le
vibraphone et le marimba de Taylor et la flûte de Neil Metcalfe y apportent une
dimension plus mélodique, tout comme le phrasé presque jazz de François Carrier
répondant au flûtiste. Les morceaux en quintet et sextet sont tout à fait
remarquables pour leur équilibre (instable) et leur lisibilité, chacun
proposant sons et idées musicales aux formes et aux intensités les plus
variées tout en faisant des silences. L’octet final, atteint encore un meilleur équilibre offrant l’occasion assez
rare d’un ensemble plus large. Il pourrait évoquer le meilleur de la musique de
chambre sérielle en évitant les dogmes propres à cette musique. Certains diront
ce n’est pas nouveau, mais étant donné que contrairement à Wachsmann ou Beresford, des artiste bien
documentés, les autres, Brighton, Mattos, Taylor, Seagroat et
Metcalfe ont peu enregistré ce type de musique durant les années magiques
70-80, alors qu’ils étaient fort actifs dès le tout début des seventies. Les
trois albums auxquels a participé Brighton dans le passé, Balance avec Wachsmann, Radu Malfatti,
Colin Wood et Frank Perry, son Marsh Gas et February Papers de Tony Oxley sont
aussi indispensables que ceux de Bailey, Stevens, Maggie Nicols, Evan Parker, Rutherford, Barry
Guy, Oxley et cie… Donc, il me semble que chercher à écouter un des albums
récents du guitariste éclairera la lanterne des auditeurs curieux et tous ceux
qui ont été passionnés par le travail de Derek Bailey. Admirable.
NAMU 3 kraan gaar ak Steve Gibbs Willem Schulz Joachim Raffel
Hey ! Jazz. https://stevegibbsguitar.bandcamp.com/album/kraan-gaar-ak
Trio original et album gravé en 2012 qui m’est tombé par hasard dans les
mains. Steve Gibbs, remarquable guitariste classique – contemporain (à huit cordes) est
aussi improvisateur « libre » et collabore ici avec le violoncelliste Willem
Schulz et le percussionniste Joachim Raffel. Deux pièces improvisées de 18 et
15 minutes au début et à la fin de l’album encadrent cinq autres improvisations
plus courtes. Deux des musiciens utilisent la voix à différentes reprises comme
moyen expressif auxiliaire : Gibbs et Raffel. Leurs improvisations ne
suivent pas un tracé logique bien défini, mais prennent des contours contrastés,
imprévisibles, anguleux avec une prédilection pour le sonique expressif. La
percussion a un rôle de connivence coloriste agitatrice plutôt que
l’omniprésence de pulsations et de strates et autres vagues vibratoires et
bruissantes héritées du free-jazz. Le travail vocal qui surgit çà et là est proche de la poésie
sonore et démontre que ces musiciens accomplis (Gibbs est un virtuose de haut
vol qui joue d’un modèle à huit cordes pour pouvoir interpréter les pièces pour
Luth de JS Bach) ne se prennent pas au sérieux. Une dimension ludique
heuristique presque farceuse envahit l’ambiance de leurs interactions sonores
guidées par un sens de l’épure, un goût bruitiste au service de structures
créées intuitivement. Le violoncelle est parfois traité par dessus la jambe
(octobre) et le guitariste fait parler, crier, maugréer, les cordes
« préparées » sans trop faire étalage de sa technique. Toutefois la
multiplicité de préhensions et de touchers des huit cordes, et la trame
rythmique de cadences arpégées est le propre d’un vrai maître qui n’hésite
pourtant pas à cisailler des glissandi destroy. Un bottleneck musardeur. Bien
sûr, les trois instruments sont utilisés au-delà des techniques
conventionnelles, tirant parti de leurs possibilités et de leurs
caractéristiques physiques avec une part de sauvagerie assumée, un lyrisme
enfiévré et une irrévérence juvénile. De temps en temps, un brin de classique
consonant montre le bout de son nez avant d’être perverti par des effets de
percussion ou un chant narquois. Finalement, leur joie de jouer avec un brin
d’humour rend leur démarche éminemment sympathique et empathique. Et réellement
improbable.
Plant 2000 Umland 19 / El Negocito Record
Après 1000, soit Jan Klare saxophone Bart Maris trompette Wilbert De Joode contrebasse et Michael Vatcher percussions),
voici 2000. Le quartet 1000 est devenu 2000, un sextet avec la violoncelliste Elisabeth Coudoux et
le tromboniste Steve Swell. 2000 fonctionne à l’empathie, l’écoute et
l’imagination. Une musique qui emboîte des structures subtilement consonantes
et minimalistes en sonorités
recherchées, suspendue et dont le souffle s’enfle dans des crescendos de
notes tenues, drones jazz vibrantes. Les deux cordistes ont trouvé une belle
complicité en phase avec l’esprit de corps des souffleurs. Des fanfares de deux
notes en carillon naissent des tuilages invisibles. Tout cela, et encore
beaucoup d’autres choses, font de 2000 un groupe de jazz réellement
d’avant-garde à nulle autre pareil. Vatcher semble jouer à peine ou alors mène
la danse comme dans chills où chaque intervention individuelle se télescope
avec celles des autres alors que grogne la contrebasse. Cette pièce est d’une
légère subtilité rythmique sursautant dans les harmonies. Pas de
« solos », mais un arrangement simultané de l’improvisation qui
évolue au fil du disque. Chaque morceau de musique apporte son plaisir
propre : les musiciens ont beaucoup travaillé cette musique à six qui
allie une grande simplicité à la plus profonde subtilité. Quand le swing
s’invite on a droit à des surprises. Un excellent travail qui a le mérite de
démontrer aux amateurs de jazz moderne qu’une autre musique est possible qui
échappe aux lieux communs. J’apprécie beaucoup leur véritable originalité qui
repose sur un son collectif qui entraîne le rêve.
Animus Anima Fabien
Robbe Jérôme Gloaguen + Julien Palomo Mazeto square
Utopie 1 est une composition sur un thème de François Tusquès, le maître à
penser musique du pianiste Fabien Robbe qu’on entend ici au bugle de belle
manière. Le batteur Jérôme Gloaguen anime les cellules rythmiques et les
pulsations avec un sens du swing qui s’affine au fil de la session, alors que
Julien Palomo étale les sonorités intersidérales de ses ARP 2600
(synthétiseur), ARP sequencer et synthé EMS d’un autre âge, celui de Tangerine
Dream et cie ,ou de l’album ECM du tromboniste Julian Priester, Love Love ,où lui-même et Pat Gleeson
faisaient voyager les auditeurs dans l’espace par dessus les océans et la
jungle avec les mêmes instruments que Palomo s’est approprié. Une démarche en
dehors des sentiers battus. Le bugle de Robbe trace un long arc lyrique. Les
synthés de Palomo se font bruissants, organiques, et laissent la place à une
magnifique construction rythmique du batteur avant de s’échapper en mode
sirène. Il semble que le bugle de RF.R. s’enrobe d’un effet électronique alors
que celle de J.P. tournoie lentement et laisse échapper une nappe ou deux d’une
ou deux notes glissantes , sifflantes.
L’à propos du batteur fait que ces éléments s’intègrent naturellement,
même si 30 minutes c’est un peu long. Le synthé frise les maniérismes du jazz
rock planant avec le dosage requis pour ensuite s’enfoncer dans les abysses. Du jazz futuriste. Dans Utopie II sur un thème de Tanguy Le Doré, le duo Gloaguen – Robbe perpétue
cette aura mystérieuse dans un mode plus intime. Robbe a confectionné des programmations sonores électroniques qui s'immiscent de temps à autre. Le clavier mimant le bandonéon et
percussions délicates ouvrent une improvisation ouvragée dans laquelle s’insère
des sons programmés par le pianiste qui donne aussi de la voix évoquant une
antienne volontairement malhabile. Il entonne à nouveau le bugle, vocalisant à
souhait ou la colonne d’air éclatée. Le batteur entraîne le mouvement, projetant
les lignes mélodiques du bugliste et ses incartades toutes lèvres dehors dans l’espace
qui s’assombrit, saturé de sons électroniques et d’effets, bourdonnements de
moteurs au loin. Le paysage sonore évolue d’une séquence à l’autre en proposant
des ambiances … etc… Pour résumer, un projet musical inclassable qui se situe
bien à l’écart de la musique électro – post techno vulgaire en toute
simplicité.
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Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......