14 janvier 2019

Gerauschhersteller : Rewilding John Cage 5 CD Box set in 50 copies : There is nothing we really need to do that isn't dangerous.

Gerauschhersteller : Rewilding John Cage !!
There is nothing we really need to do that isn't dangerous. Noise Maker records.5 CD Box set in 50 copies with Tom Cleverley Steve Gibson Adrian Newton & Stuart Riddle. https://gerauschhersteller.bandcamp.com/ 

Ce n'est pas le premier coup d'éclat de Gerauschhersteller, un ensemble basé dans le Dorset (GB) et spécialisé dans la musique expérimentale et indéterminée (définition de John Cage). Il nous avait déjà gratifié d'une version intégrale du Treatise de Cornelius Cardew répartie en cinq CD's's et produite en coffret limité à 50 copies physiques. J'en ai fait une critique positive. Ils remettent cela en "ensauvageant" la musique de John Cage. Stuart Riddle fait valoir le point de vue que le monde académique essaie de domestiquer sa musique en se focalisant sur les oeuvres purement instrumentales qui cadrent avec la programmation de concerts conventionnels.
Et donc, ils proposent une interprétation radicale d'oeuvres parmi les plus "hors des sentiers battus" qui tentent à remettre en question l'action et l'idée musicales par des procédés littéralement anarchistes. Un magnifique coffret blanc austère, mais la grande classe avec photos zen et fragments de textes philosophiques anarchistes ! La recherche zen du compositeur, le I Ching et son amour des champignons sont souvent évoqués, mais on évite soigneusement l'aspect social et politique de sa démarche. Relation musique/bruit, utilisation d'objets, la relation avec la nature. On doute très fort que les grandes institutions vont mettre à leur programme des oeuvres aussi déconcertantes que Cartridge Music, Branches, Four 4 ou Anarchy dont c'est la première mondiale. Ou même Electronic Music for Piano ou Music for Piano 21-36 (1964/1955), deux pièces fondatrices qui ont ouvert tout un univers expérimental d'une radicalité sans précédent. La partition d'Electronic Music suggère une liste d'idées et d'actions écrites à la va-vite dans un hôtel suédois, un peu comme un aide mémoire en laissant le champ libre au musicien. Le son du piano actionné en frottant ou grattant etc.. les cordes ou via le clavier est capté par des microphones et des micro contacts et transformé en temps réel par des moyens électroniques. La partition Music for Piano fut écrite sur un papier brut dont la texture comprenait des défauts et un relief inégal qui détermine le placement des notes. Ce sont des oeuvres fascinantes, les sons électroniques adoptant des formes, des durées, des timbres, des textures et des dynamiques qui semblent se diversifier à l'infini. Aussi le rôle du silence y joue une part importante, le pianiste égrenant ses notes et émettant ses sons dans la table d'harmonie avec une grande parcimonie laissant tout un espace pour que les sons électroniques s'échappent en toute liberté. Ce type d'oeuvres de John Cage exercèrent une influence prépondérante sur Stockhausen (Kontakte) et de tout évidence chez Derek Bailey dans sa période transitoire entre Karyobin (1968) et Duos avec Anthony Braxton (1974) lorsque le guitariste travaillait avec Hugh Davies et Evan Parker au sein de Music Improvisation Company(1968-1972). Il suffit d'écouter la face B de son premier album solo (1970) pour s'en rendre compte. Certains sons électroniques fusent dans l'espace sonore comme des déflagrations hybrides dans une forme d'apesanteur à la fois éthérée et poisseuse. Les musiciens de Gerauschhersteller se partagent entre percussions, électroniques, piano, voix, field recordings,sax, accordéon, harmonium etc... Rien n'indique quel type d'électronique ils utilisent, primitive sans doute.. On reconnait évidemment la granularité et les textures électroniques des années 50/60 avant l'arrivée du synthé. Les sonorités obtenues sont éminemment intéressantes abolissant la barrière entre sons musicaux et bruits en tout genre. Deux compositions fascinantes qui s'étalent sur les 72 minutes du CD1. La caractéristique de l'entièreté de ce coffret est que contrairement aux versions enregistrées à l'époque du vinyle qui étaient limitées à 20/25 minutes, Gerauschhersteller remplissent quasiment les 75 minutes possibles du CD exprimant ainsi la volonté de Cage de faire s'écrouler murs et barrières entre les éléments formels, temporels, sonores, procédés, les êtres vivants et la nature (etc...) pour révolutionner la musique et le fait d'en jouer et décomposer.  On entend ici combien son apport libérateur a été essentiel. 
Branches (1976) qui occupe l'entièreté du CD fait partie des compositions de Cage pour lesquelles il laisse les interprètes improviser avec des matériaux "organiques" provenant de plantes (arbres, buissons, semences séchées, morceaux de bois, feuilles etc...). Nos cracks de Gerauschhersteller, en toute logique, enregistrèrent Branches dans un jardin (Knoll Gardens) lors d'un concert en se munissant des cactus, du feuillage, des branches, et aussi  de semences de Delonix Regia encore contenues dans leurs cosses, les fruits de cet arbre décoratif originaire de Madagascar ont une belle dimension (40-60cm de long et 5 cm d'épaisseur) et contiennent une dizaine de graines oblongues. Idéal pour un instrument de percussion de type maracas. La prise de son en extérieur crée une spacialisation intéressante, car les quatre musiciens s'écartent ou se rapprochent des micros conférant ainsi des variations d'intensités, de textures, des effets de zoom sonore. Frottements, coups brefs sur les dures épines des cactus, secousses de feuilles mortes et de graines séchées, grattage méticuleux des picots de cactus et des surfaces des branches, agrémenté d'un chant d'oiseau et le passage d'un avion à proximité. Il est souvent difficile de deviner comment les sons sont produits si ce n'est qu'il s'agit d'une vision peu commune de la percussion par laquelle il souligne son origine et sa fonctionnalité chez nos lointains ancêtres et qu'on trouve encore parmi les peuples premiers (Amazonie, Pygmées etc...). 72 minutes à ce régime est à la fois une performance et l'expression de la radicalité extrême de Cage, dont on nous rappelle régulièrement les quatre minutes trente trois de Silence, alors que sa démarche fait fi du temps, de sa durée ...
Remarque : le recto du CD Box est un dessin de cactus vu par la tranche.
Le CD3 nous donne l'occasion de se replonger dans Cartridge Music (1960), l'emblème parfait de la musique expérimentale radicale. Cage transforme (ironie) la cellule d'un tourne-disque, à laquelle l'aiguille "du pick-up" transmet instantanément les infimes dentelures du sillon du disque et émet le signal électrique qui engendre les fréquences des sons musicaux, en objet sonore. Cette cellule est connectée à des objets qu'on manipule ou est utilisée avec son aiguille. La cellule (en anglais Cartridge) amplifie les contacts et grattements minutieux sur une variété de surfaces, d'objets avec une grande variété de touchers comme s'il s'agissait d'un instrument. On ajoute aussi évidemment des micro-contacts sur des objets trouvés sans craindre l'hétéroclite, reliant ainsi l'acte musical à la vie et au travail quotidien L'amplification est souvent intense, bruissante et elle ravirait sûrement les punks et les maniaques du noise. C'est, d'ailleurs, cette pièce de Cage qui ouvrira les portes du noise, plus sûrement que les Intonarumori futuristes assez théâtraux de Russolo. Après 30 minutes de bruits qui évoquent les moteurs et le travail du métal ou du bois (scie, fraiseuse, foreuse, limes etc), on est fin prêt pour But what about the noise of crumpling paper which he used to do in order to paint the series of “Papiers froissés” or tearing up paper to make “Papiers déchirés?” Arp was stimulated by water (sea, lake, and flowing waters like rivers), forests , deuxième pièce du CD3  enregistrée dans plusieurs lieux dans le Dorset.Il s'agit d'un art sonore où chaque musicien frappe deux instruments résonnants (percussions) à l'unisson et en Forte. Ils agitent des objets ou des éléments organiques, des feuilles de papier ou de carton qu'on chiffonne, triture ou déchire. Aussi, on entend l'écoulement de l'eau dans des récipients à différentes vitesses (!). Les frappes brèves et simultanées de percussions surviennent de manière irrégulière séparées par des pauses et finissent par créer une forme d'interaction à la fois chaotique et ludique. On imagine une exécution à Pleyel au Palais des Beaux Arts de Bruxelles, le lieu du Concours Reine Élisabeth. Vous conviendrez que Pousseur, Boulez, Ligeti et même un plaisantin comme Kagel, font des musiques très conventionnelles par rapport à notre zèbre.
Pour clôturer le CD3, Four 6 (1990-92) dédiée à Pauline Oliveros. Drones d'harmonium d'accordéon et de clavier électronique dont les strates s'interpénètrent de manière séduisante, et aussi des longues notes tenues à la trompette. Cela permet de souffler à mi-parcours parce que nous ne sommes pas encore au bout de nos peines !
Le CD 4 présente une version bricolée, mais réussie, de Ryoanji (1983-85) basée sur les glissandi et inspirée par les jardins de rocher et sables "peignés" de ce temple japonais. Sur les pochettes de chaque cd figurent les clichés noir/blanc de ce jardin zen réalisés par Stuart Riddle, le porte-parole du groupe.Il s'agit d'une partition graphique décrivant des glissandi microtonaux. Une partition pour hautbois et contrebasse, contrefaite au moyen d'un synthé. L'hautbois est remplacé par l'expressif sax soprano. Intéressant (20:15) !
L'autre pièce du CD4 est une première mondiale de Anarchy
(1998), une composition de spoken word atypique. Les textes à lire sont un collage d'extraits d'écrits anarchistes lus simultanément par un, deux ou trois lecteurs créant une forme de stream of conscientiousness que j'ai du mal à capter, l'anglais n'étant pas ma langue maternelle même si je lis et le parle régulièrement. Au verso de chaque pochette, des extraits de textes de Cage tirés de son Diary (How To Change The World ...) qui sont assez en relation avec les idées des différents écrivains cités. L'interprétation d'Anarchy cultive très bien le but du compositeur, le flux de la parole, les mots qui s'entrechoquent et fusent, l'articulation de chacun, les syllabes qui se chevauchent, les chuintements typiques de l'anglais parlé, les modes de lecture semblent résonner comme une multiplicité de rythmes indéfinie, de cadences différentiées, contradictoires, une ponctuation du délire. Cela dit, notre ami Adam Bohman et ses collages de textes surréalistes surclassent aisément cette anarchie cagienne.
Après ces heures intenses de fureurs continues, l'auditeur en état de choc sera récompensé. Enfin, le silence ! Même si vous êtes complètement saturés au bord de la crise de nerfs, vous avez 72 minutes de silence ininterrompu et pas n'importe quel silence ! La technologie permet de graver sur un CD le silence DIGITAL. Sans l'ambiance de l'espace qu'on ressent auditivement lorsqu'il est capté par un micro dans un studio ou une pièce. Le CD 5 contient Four 4 (1991), cette pièce consacrée a ce silence intégral. Le groupe a décidé de le ponctuer par des frappes de percussions résonnantes, des cymbales en l'occurrence (au début), avec de longs intervalles de durée. Ainsi, ce silence vous permet en fait de découvrir l'ambiance sonore du silence de la pièce dans laquelle émerge les vibrations sonores intermittentes de la percussion. Comme je suis parvenu à rédiger ce compte rendu en une soirée (à l'aide de leurs feuillets envoyés gracieusement), il m'a fallu me plonger dans un total silence pour l'achever à temps, goûtant ainsi l'idée de départ du compositeur, le souffle invisible des murs, du frigo, d'une horloge lointaine et les sifflements de mes oreilles compressées par mon casque Sennheiser à bourrelets en skaï pendant des heures d'écoute. C'est pourquoi j'ai écourté ce soir l'écoute de Four 4. Il y a une fin à tout. J'espère qu'il vous restera assez de temps pour que vous commandiez ce coffret Gerauschhersteller, à nul autre pareil, avant qu'il ne soit plus disponible (50 copies). Il est 22h20 . J'écouterai encore demain... 

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