3 août 2020

London Jazz Composers Orchestra Kenny Wheeler Barry Guy Paul Rutherford Howard Riley/Simon Nabatov Max Johnson Michael Sarin/Burton Greene Damon Smith Ra Kalam Bob Moses/John Wolf Brennan Arkady Shilkloper Florian Mayer Tom Götze/Stefano Leonardi Marco Colonna Antonio Bertoni Fridolin Blumer Heinz Geisser/ Alvin Schwaar Bänz Oester Noé Franklé

Préambule : il faut que ce soit clair que mes pages visent quasi exclusivement l'improvisation libre... proprement dite. Il y a parfois des incursions dans le jazz "free" parce que ce sont des racines - origines (cfr mes articles sur Albert Ayler , Paul Bley, Ornette Coleman) afin d'éclaircir quelques points évidents. Ou alors des improvisateurs radicaux qui apportent une pierre étonnante à l'édifice du jazz (Monk par Duck Baker par exemple) ou des "free - jazzmen" qui mettent en pratique les principes éthiques auditifs etc... de l'improvisation libre (hiérarchie, solos, écoute, sensibilité collective assumée comme le duo Ivo Perelman et Matthew Shipp). Bien sûr, j'adore le jazz ! Mais je n'ai pas le temps de m'adonner à une écoute et une écriture tous azimuts, sinon je ne ferais plus que cela. Certains labels et musiciens "plus" jazz (ou autre chose) insistent pour m'envoyer des cd's ou des téléchargements et cela est assez embarrassant.  Comme je ne suis pas un mauvais esprit, je vais essayer ici de me débrouiller avec le jazz jusqu'à la prochaine parution de mon blog qui sera elle, gratinée, et cela, surtout parce que ces musiciens se battent pour s'exprimer et survivre. On est (presque) tous un peu logé à la même enseigne question lieux et dates, conditions de travail. Quand des musiciens ont un réel talent, il ne faut pas se priver du plaisir de l'écoute.  

 

That time London Jazz Composers Orchestra (1972 et 1980). Kenny Wheeler Barry Guy Paul Rutherford Howard Riley. NotTwo MW1001-2.

Musicien incontournable dans l’histoire du label NotTwo Records, Barry Guy nous confie ici des documents historiques datant de 1972 et de 1980 avec des compositions écrites pour son London Jazz Composers Orchestra pour leurs deux premières éditions. Après l’enregistrement de Ode For Jazz Orchestra publié en 1972 par Incus, le LJCO a effectué une tournée en Allemagne dont nous trouvons ici deux prises de sons « écoutables » d'extraits de concerts aux Berliner Jazz Tage de Berlin et aux Donaueschingen Musik Tage. Ensuite, cet orchestre s’est réactivé en 1980 avec, entre autres, la présence des deux Peter, Brötzmann et Kowald pour l’enregistrement de Stringer (FMP – SAJ réédité par Intakt en cd)). Ce qui rend ce document vraiment intéressant, c’est la toute première fois qu’on entend enfin des compositions écrites pour l’orchestre par d’autres compositeurs que Barry Guy lui-même. Ode et Stringer, les deux seuls albums produits à l’époque  furent l’œuvre exclusive de Guy, alors que d’autres compositeurs membres du LJCO avaient contribué à enrichir leur répertoire et pas des moindres : Paul Rutherford, Kenny Wheeler, Howard Riley et Tony Oxley. Barry Guy a dû sélectionner des enregistrement suffisamment audibles pour être publiés et des témoignages probants pour qu’on puisse évaluer à sa juste mesure les possibilités et l’envergure des réalisations orchestrales de cet orchestre encore plus intéressant que légendaire. Légendaire parce que le LJCO rassemble une brochette de d’aventuriers incontournables de la musique improvisée européenne et que des grands orchestres free de ce niveau qui « ont duré » se comptent sur les doigts d’une main. Il y a bien sûr quelques instrumentistes de haut vol issus du classique et du jazz « de studio » comme les trombonistes Paul Nieman et Mike Gibbs, le tubiste Dick Hart, le saxophoniste John Warren, mais surtout un contingent qui ferait frémir aujourd’hui n’importe quel organisateur avisé. Pour l’année 1972,  Kenny Wheeler, Harry Beckett, Marc Charig et Dave Holdsworth aux trompettes, Paul Rutherford au trombone, Trevor Watts, Evan Parker, Mike Osborne et Alan Wakeman aux saxophones, Howard Riley au piano, Derek Bailey à la guitare électrique, Barry Guy, Chris Laurence et Jeff Clyne aux contrebasses et Tony Oxley et Paul Lytton aux percussions. Durant cette tournée de 1972, c’est le Professeur de Composition de Barry Guy qui dirige l’orchestre, Buxton Orr. En 1980, outre les deux Peter, on trouve aussi le trompettiste Dave Spence,  le tromboniste Alan Tomlinson, le tubiste Melvyn Poore, les saxophonistes Larry Stabbins et Tony Coe (aussi à la clarinette), le violoniste Phil Wachsmann, John Stevens à la deuxième batterie, Oxley se partageant avec un violon. Exit Holdsworth, Hart, Osborne, Wakeman, Bailey, Lytton. On retrouvera une bonne partie de ces improvisateurs dans la troisième reformation du LJCO qui enregistra Harmos, Theoria, Double Trouble, etc pour Intakt dans les années 80 et 90. Pour les Berliner JazzTage dans la capitale européenne de la free-music, un « Watts Parker Beckett to me Mr Riley ? » très free-jazz et vachement bien coordonné, signé Kenny Wheeler (17 :03). Ça chauffe et les voicings sont fantastiques! Pour Donaueschingen, festival résolument « musique contemporaine » et empire des Stockhausen, Penderecki, Xenakis etc… , un fragment de 17 minutes de Statements III de Barry Guy très dynamique et contrastée constituée de blocs – agrégats sonores plus abrupt. La composition complète durait plus d’une quarante minutes et devait rivaliser avec d’autres grands orchestres « issu du classique ». Quasimode III est une œuvre superbe de Paul Rutherford avec des séquences de note faussement modales et des éléments électroniques. Le tout  bien lisible car enregistré dans le même studio que celui de Stringer (14 :24). Appolysian, signé Howard Riley et enregistré à la Round House mêle  de brèves actions solistes (Wachsmann, Riley, Rutherford) coordonnées à des segments d'actions de section (cuivres , percussions & pianos, anches) puissantes ou dosées, de durées très différentes face à des masses orchestrales d'amplitudes variées  (14:48). Il en résulte des équilibres instables de dynamiques, de densités et de vitesses qui se rapprochent, s'écartent ou éclatent à la recherche indéfinie d'une conclusion qui s'évanouit au dernier moment. Sans doute à mon avis, un des moments les plus réussis de cet orchestre.  Quant à Tony Oxley compositeur, faute d’avoir trouvé un enregistrement écoutable du LJCO, Barry Guy a fait figurer une peinture du batteur sur le côté face de la pochette. That Time nous replonge dans la réalité de la musique improvisée radicale lors de son éclosion il y a quelques décennies. Un document vraiment intéressant. Certains producteurs ont fini par saturer le marché de la réédition, de la surdocumentation (excessive et souvent injustifiée) et des inédits et autres « complete » au point qu’une mère poule n’y retrouvait pas ses petits, aussi vrai qu’on ne fait pas d’omelettes sans casser d’œufs. Mais, dans le cas présent, NotTwo et Barry Guy ont visé juste. On aurait aimé que cette musique ait été publiée par le label Intakt lorsqu'ont été publiés massivement les enregistrements du LJCO sur pas moins de dix albums. 

 

Free Reservoir Simon Nabatov Max Johnson Michael Sarin Leo Records LR CD 800.

Paru en 2017, Free Reservoir, le titre de l’album, exprime une idée intéressante : l’usage libre et inventif d’un réservoir de connaissances et pratiques musicales basées et informées par plusieurs strates du jazz moderne. Le pianiste Simon Nabatov trône dans l’énorme catalogue de Leo Records lequel s’est malheureusement séparé de plusieurs de ses locomotives au fil des ans : Braxton, Marylin Crispell, Sun Ra, Evan Parker, Joëlle Léandre et plus récemment, Ivo Perelman. Fort heureusement, le label reste ouvert aux nombreux projets originaux du pianiste d’origine ukrainienne, comme Readings : Gileya Revisited et Readings : Red Cavalry avec respectivement les vocalistes Jaap Blonk et Phil Minton (chroniqués dans ces lignes il y a plusieurs mois) ou Time Labyrith, une remarquable expérience de composition alternative contemporaine. Ces œuvres témoignent de l’esprit d’ouverture et de la créativité de son protagoniste et on retrouve cette propension à explorer les formes dans ce remarquable trio piano – contrebasse – batterie, format instrumental conventionnel dont les trois musiciens développent les possibilités alternant des signatures rythmiques complexes (Maracatu Askew) et la liberté jongler avec les pulsations sans tenir compte des barres de mesure (Free Reservoir). Dans cet environnement créatif, la contrebasse charnue de Max Johnson trouve l’espace nécessaire pour s’épanouir au contact des pianismes puissants, logiques et inventifs de Nabatov et du foisonnement étudié et élastique du batteur Michael Sarin dont j’avais apprécié les performances aux côtés du trompettiste Dave Douglas avec le mémorable Five de ce dernier. Non seulement, le pianiste dévoile un panorama organique, intense et subtil de son talent au clavier, mais ses deux collègues font bien plus que l’accompagner. Ils dessinent les contours d’un univers du trio avec des dynamiques et des intensités variées en laissant le libre cours à leur imagination et leur inventivité avec par exemple une belle pointe de lyrisme contemporain. Comme dans ce Short Story Long de 17 minutes où ils font évoluer l’art de la ballade en cascades rafraîchissantes, tendues et chercheuses et no man’s land créatif (cfr les drones magiques vers les 16’en étrange final). Du jazz chercheur, « contemporain », et somme toute risqué en approfondissant idées et structures sur la distance sans faiblir et avec la cohésion d’un véritable collectif. Simon Nabatov est un pianiste virtuose, dont la technique conserve toutes les qualités du timing du jazz alliées à une science musicale classique - contemporaine et une remarquable capacité adaptative dans l’improvisation. Ses deux collègues contribuent pleinement à affirmer cette excellence avec brio et sincérité. Un bon point de plus.

 

Burton Greene Damon Smith Ra Kalam Bob Moses Life’s Intense Mystery Monofonus Press - Astral Spirits MF193/ AS090.

https://balancepointacoustics.bandcamp.com/album/lifes-intense-mystery-mf193-as090

Je pense qu’il faille prêter une oreille attentive à ce pianiste de « jazz-free » de la première heure qu’est Burton Greene, résident amstellodamois assez isolé dans la scène européenne. Compagnon d’Alan Silva, de Byard Lancaster, Marion Brown, etc…, Greene a publié des albums pour CBS (Sony), Futura, Hat-Hut, Horo, Kharma, ESP. Bien qu’on lui ait collé assez tôt une étiquette de free-jazzman indécrottable, son quartet « néerlandais » a gravé des réussites d’anthologie pour le label Cat Records dans le domaine du jazz contemporain swinguant et « complexe ». À la batterie, Clarence Becton (le batteur du premier album ECM de Mal Waldron), à la contrebasse, Raoul Van der Weide (une des grandes pointures aux Pays Bas) et le saxophoniste Fred Leeflang, musicien très compétent. À l’heure où on réédite tout (parfois le meilleur) ou n’importe quoi, on pourrait suggérer que Corbett vs Dempsey, Trost, No Business, etc… s’intéressent à ce Burton Greene Quartet et leur One World Music.  Unique en son genre ne fût-ce que pour ses constructions rythmiques à faire rougir d’envie ceux qui ne jurent que par l’école Blue Note des Grachan Moncur, Andrew Hill, Joe Henderson, Pete La Roca... Il faut aussi souligner les deux magnifiques albums publiés par Julien Palomo pour improvising beings :  Compendium et Space is Still the Place. Alors dans cet Intense Mystère de la Vie en compagnie du légendaire batteur Bob Moses (compagnon de Steve Swallow, Gary Burton, Dave Liebman, Hal Galper, Larry Corriell…) et du très actif et entreprenant contrebassiste Damon Smith, on découvre une musique libre, organique parfois proche de la transe (Life’s Intense Mystery Part I & Part II) et un travail subtil et précis sur la métrique évoquant l’art visuel en trompe l’œil de M.C. Escher (Anything That Ain’t Yes, Get Rid of It). Cette orientation formelle est confrontée aux jeux libertaires du batteur et du bassiste qu’on entend dialoguer comme dans une jungle dans Perc-Waves. Les entrelacs des peaux / cymbales, des cordes et du clavier agglutinent des réseaux serrés de flux, de vagues sonores vibratoires ou pointillistes qui mettent en relief les structures camouflées et secouées du trio « Burtonien ». Comme à chaque fois, avec Burton Greene, il ne faut pas s’attacher aux apparences pour le ranger dans une quelconque « esthétique » ou « démarche » mais saisir comment se matérialise sa créativité et son talent original. Avec le foisonnement percussif sensible de Ra Kalam Bob Moses et la magnifique contrebasse boisée et aventureuse de Damon Smith, son (leur) pari est gagnant !


Pago Libre Mountain Songlines John Wolf Brennan Arkady  Shilkloper Florian Mayer Tom Götze Leo Records CDLR 886

Pour le trentième anniversaire du quartet sans batterie Pago LibreLeo Feigin et John Wolf Brennan ont mis les petits plats dans les grands chez Leo Records. Trois beaux digipacks colorés regroupant deux parutions anciennes rééditées, Cinémagique 2.0 et platz Dada en sextet et un nouvel opus montagnard, Mountain SonglinesPago Libre se compose d’un joueur de cor et de cor des Alpes, le russe Arkady Shilkloper et du pianiste John Wolf Brennan, les deux fondateurs du groupe qui ont été rejoints par les allemands Florian Mayer, violon et Tom Götze, contrebasse  en remplacement de Tscho Teissing et Daniele Patumi. D’origine Irlandaise, le pianiste John Wolf Brennan s’est établi en Suisse pour son amour des montagnes et des vallées helvétiques et la nature sauvage qu’elles renferment/ protègent.  Inspiré par les paysages montagneux, il imagine que le relief échancré et accidenté qui surplombe les vallées forment les courbes sur lesquelles se posent les notes des mélodies ancestrales. De cette intuition et des recherches de l’ethnomusicologue Alfred Leonz Gassmann, Pago Libre s’est inspiré pour concevoir une remarquable série de comprovisations qui reflètent leurs impressions visuelles et émotionnelles des Alpes et de leurs mille paysages. Certaines pièces sont signées Brennan ou un autre membre de Pago Libre, d’autres par le collectif. On a droit bien sûr à deux interventions vocales de la chanteuse Sonia Morgenegg dont une en yodel et à des passages de Shilkloper au cor des Alpes. Douze compositions évoquent la majesté des Alpes, leur paysage accidenté, la musique populaire Suisse, les danses de villages. En conclusion, quatre extraits d’autres pièces en Bonus Track qui ajoutent encore à la multiplicité et la diversité inventive des motifs composés qui servent de bases aux compositions et arrangements tout au long de ce parcours alpestre d’une grande cohérence. Pago Libre a un style et un son de groupe immédiatement reconnaissable : les voix complémentaires du  violon et le cor au-dessus de la contrebasse et du piano qui équilibrent leurs élans créent une dynamique très originale. Les parties individuelles sont remarquablement imbriquées créant des échafaudages mobiles où chaque instrumentiste marque à la fois le rythme et la mélodie avec une précision remarquable et un goût pour des dissonances fructueuses. Le contrebassiste soutient l’édifice avec une sûreté swinguante relayé par le pianiste. Le violoniste a un timbre magnifique et ses inflexions solistes font plus qu’évoquer les violonistes tziganes. Quant au souffleur, son sens mélodique est d’une remarquable pureté évoquant à merveille l’atmosphère des vallées et sommets. L’adjectif « folk » ne recouvre qu’un aspect de leur travail qui est nourri de réflexions profondes et de recherches studieuses  combinées avec une belle imagination créative et un travail d’écriture et de conception substantiel qui frise la prodigalité.

 

Aura Stefano Leonardi Marco Colonna Antonio Bertoni Fridolin Blumer Heinz Geisser Leo Records CD LR 890

Une percussion, deux cordes, deux vents, flûtes et anches. Quintet Italo-Suisse. Stefano Leonardi : flûte, piccolo, sulittu, dilli kaval, bass xun, mancosedda des launeddas, soit quelques instruments traditionnels issus de cultures musicales vivaces (Sardaigne, Carpathes,…). Marco Colonna, un as Romain des clarinettes, aussi à l’aise au sax soprano. Antonio Bertoni, au violoncelle et au guembri, lequel renforce l’inspiration « musique traditionnelle ». Fridolin Blumer, contrebasse sauvage. Heinz Geisser, batterie free à la fois subtile et puissante, habitué du catalogue Leo Records au sein du Collective Quartet avec Jeff Hoyer, Mark Hennen et William Parker. Sans doute, ce remarquable quintet a été rassemblé à l’initiative du flûtiste Stefano Leonardi et témoigne de son évolution vers plus d’inspiration, d’expression émotionnelle et, en fin de compte d’originalité, depuis son premier opus Leo en hommage au souffleur disparu, le légendaire Thomas Chapin, héraut de la Knitting Factory, aujourd’hui égarée (sabordée) dans le bizness. Marco Colonna est sans nul doute le souffleur créatif en vue de la scène transalpine, surtout aux clarinettes, basse ou mi-bémol et ici au (difficile) sax sopranino. Pour faire la paire et répartir leurs efforts dans la géographie de ce quintet atypique, à Colonna les tracés mélodiques francs et improvisés pleins de sève et à Leonardi, des murmures fantomatiques inspirés, filets de voix d’outre-tombe, invocation des esprits de la nature, laquelle est incarnée par la multiplicité des timbres percussifs, boisés, des cordes frottées ou percutées qui évoquent des atmosphères de sous-bois, de futaies d’où se détachent gazouillis  et bruissements, pépiements, mais aussi contrepoints curieux et rythmiques animées. Les deux souffleurs se distinguent clairement l’un de l’autre créant l’illusion d’un volatile bicéphale se déplaçant avec trois paires de pattes, évoqués par la polyrythmie  foisonnante ou habilement clairsemée par le batteur et ses deux auxiliaires cordistes. Un de ceux-ci fait d’ailleurs un solo sensible à demi-enfoui dans le maquis sonore. Un album curieux, mais vivace, mélangé, aux climats variés et changeants, à l’imaginaire poétique, œuvre d’un collectif soudé, créateur d’univers sonores fourmillant et mimiquant parfois la pagaille avec une autodiscipline astucieuse, libertaire et soigneusement à l’écoute. J'ajoute encore que les peintures colorées pastel reproduites sur la pochette se marient parfaitement avec l'esprit vif de la musique.


Travellin’Light Alvin Schwaar Bänz Oester Noé Franklé Leo Records CD LR 875.

Le travail de documentation du label Leo Records est depuis quelques années de plus en plus ancré dans une filière helvétique. Daniel Studer, Vinz Vonlanthen, John Wolf Brennan, Urs Leimgruber, Gabrielle Friedli, Dieter Ulrich et aujourd’hui le trio piano – contrebasse - batterie d’Alvin Schwaar, Bänz Oester et Noé Franklé. Introduit et commenté par le percussionniste Gerry Hemingway, aujourd’hui résident suisse, ce trio propose une musique aérée, voire éthérée au service de standards éternels ou moins connus, un peu dans l’esprit de Paul Bley. Someone To Watch Over Me des Gershwin, I Have a Dream d’Herbie Hancock, Heaven de Duke Ellington, All the Things You Are, My Ideal, Very Early de Bill Evans, Big Nick de John Coltrane et Prelude To A Kiss de Duke, à nouveau. Selon Gerry Hemingway, alors que de nombreux musiciens se sont lancés et ont trouvé leur chemin dans l’improvisation (libre) per se, certains reconsidèrent comment traiter le matériau musical issu « du passé », les standards, de manière créative en y instillant de nouvelles valeurs acquises. Je paraphrase évidemment son texte de présentation. Ce point de vue s’entend clairement dans le jeu de la contrebasse et de la batterie dans leur version de Heaven ou dans l’intro ludique et déconstruite d’All The Things You Are dont d’ailleurs Charlie Mingus avait déjà enregistré une version décoiffante en 1961 avec Eric Dolphy sous le titre curieux de All the Things You Could Be If Sigmund Freund’s Wife was Your Mother. De là à dire que leur version Paul Bleyesque - époque Altschul 1966, serait un objet de curiosité psychanalytique, il n’y a qu’un pas. L’intérêt de leur musique est qu’il pousse vers quelques extrêmes la substance interne de ces standards de manière intéressante sans se référer à un style particulier. On croise quelques solos de basse entiers et passionnés et la frappe du batteur est tout à fait équilibrée, racée, aérée et pleine de légèreté. Avec les grondements graves de toms et les glissandi à l’archet, c’est au cœur de la table d’harmonie que le pianiste va chercher les notes de My Ideal en la faisant résonner avec les cordes bloquées et des aigus flottants. Aussi la mélodie apparaît dans un jeu perlé, telle une rosée matinale. Bref, la trame des standards est le vecteur d’esquisses déformantes, transformatrices de refrains familiers vers des formes qui s’avancent subtilement vers un inconnu qui en dévoile des canevas cachés au creux de nos habitudes.


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Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......