17 août 2020

Neil Metcalfe John Edwards Marcello Magliocchi Daniel Thompson Adrian Northover / Benedict Taylor/ Ivo Perelman & Arcado String Trio/Adam Bohman Sue Lynch Ulf Mengersen & Adrian Northover

The Runcible Quintet Three Neil Metcalfe John Edwards Marcello Magliocchi Daniel Thompson Adrian Northover FMRCD565-0120 https://www.subradar.no/album/runcible-quintet/three-0

Collectif égalitaire, les musiciens improvisateurs du Runcible Quintet assument tous les rôles sauf ceux dévolus conventionnellement à leurs instruments respectifs. Guitare, Daniel Thompson ; flûte baroque, Neil Metcalfe ; saxophone alto et sopranos, Adrian Northover; contrebasse, John Edwards : percussions, Marcello Magliocchi. Chaque musicien explore les sons possibles sur son instrument (Magliocchi, Northover), mais aussi des aspects mélodiques subtilement microtonaux (Metcalfe, Northover), techniques de souffle alternatives (Northover), clusters dissonants (Thompson), percussivité aggressive (Edwards), harmoniques (Edwards, Northover), lyrisme (Metcalfe, Northover, Edwards), micro-percussion semi aléatoire (Magliocchi), vibrations de métaux frottés (Magliocchi), motifs cycliques (Thompson). Atomisation des formes musicales, mais aussi consonances et volutes imbriquées de motifs mélodiques partagés (Metcalfe - Northover) ou ferraillage de la six cordes acoustique. Ces pôles de recherches de timbres et d’effets, de lignes et de courbes, d’exaspération ludique, évoluent et interagissent au travers d’un processus sensible d’écoute, d’empathie sonore, de réactions instantanées faites de contrastes, de contraintes et d’affinités. Équilibres : deux cordes , deux vents et les deux mains du percussionniste. Chaque musicien entretient son univers personnel sans pour autant jouer un rôle ou dans un style ou registre prédéfini, mais s’ouvre à de potentielles métamorphoses, égarements de l’action, parfois au bord du silence. En essayant, en cherchant, on trouve, on abandonne, on se réunit. Durant la longue suite de « one » de 30 : 43, on se plaît à les suivre à la trace dans une évolution sans début ni fin, tuilages, brisures, enchaînements ou interpénétrations de séquences, de lignes et de flux. Two (5:33) : notes tenues des vents et bruissements tintements et sifflements des percussions métalliques en suspension. On ne saurait en évaluer la durée (une ou cinq minutes ?) ni même qui joue quoi. Three (4:26) : une synthèse habile des points forts du groupe et envols soudains du quintet, contrepoints et interactivité de trouvailles instantanées. Final en consensus avec un coup d’archet sensuel. The Runcible Quintet n’est pas intéressé à produire des chefs d’œuvres, ou à concevoir de manifestes idéologiques en -ismes, ou encore concentré sur une unique « direction musicale » - style distinctif. Mais plutôt dans une pratique musicale essentiellement ludique, sensible où chaque musicien donne et trouve ce qui le touche et ce que les autres lui inspirent. Un mouvement instantané, le temps qui fuit, un échange partagé plutôt que des formes musicales tangibles, formatées, compartimentées. Quelque chose de secret et d’indéfinissable apparaît et s’échappe dans des rhizomes défiant le sens commun. L’improvisation. Si ces musiciens excellent à brouiller les cartes, il faut souligner que ces instrumentistes ont une solide expérience de toute une vie à jouer des musiques plus répertoriées, formelles : classique, jazz, cross-over, chanson, post-rock…Derrière cette folie douce et cet éclatement des formes, on entend, ressent, devine un travail intense, une discipline instrumentale, un travail de recherche, une réflexion sur la musique et la vie.  

 

Benedict Taylor Swarm https://benedicttaylor.bandcamp.com/album/swarm

 

Pas moins de cents couches d’alto et de violon et une de guitare, écrites ou improvisées par Benedict Taylor, un spécialiste du « violon » alto et un des piliers incontournables de la scène improvisée britannique. Que dire à l’écoute de cet OVNI comprovisationnel, collage hors normes de séquences empilées, imbriquées, tuilées, en un étonnant dégradé tonal où un écart savamment calculé entre chaque note jouée et étendu à une bonne partie de ces ondulations sonores de violons crée une fascinante illusion de mouvement croisé descensionnel / ascensionnel. Minimalisme, drones, micro-tonalité, les définitions s’égarent… Au fil des quatre parties de cette œuvre monolithique, on la voit se différencier dans des embranchements différents comme dans le delta d’un fleuve. Chacun de ses bras se réalise dans un parcours sinueux ou linéaire, des mouvement contraires se dessinent, des variations de densités , des colorations s’étalent et l’écoulement ralentit, les aigus fusent et des contrepoints organiques s’interposent. Benedict a entièrement conçu, composé, joué, improvisé des séquences, monté, collé, mixé. Des extrêmes cohabitent, un tutti se ramifie s'étale et implose. Un travail de bénédictin des temps modernes, serait-on tenté de dire, alors que le monstre triadique pointe sa tête sulfureuse. Une œuvre étincelante, hantée et unique.

 

Ivo Perelman & Arcado String Trio Deep Resonance Fundacja Sluchaj

https://sluchaj.bandcamp.com/album/deep-resonance

 

Arcado String Trio fut il y a vingt-cinq ans un des quelques ensembles à cordes les plus en vue dans l’univers du jazz créatif entre « free » et pratique « post-classique ». Trois musiciens superlatifs : le violoniste Mark Feldman, le violoncelliste Hank Roberts et le contrebassiste Mark Dresser. Personnalités musicales passionnantes, ils ont travaillé séparément avec la crème de la crème : Anthony Braxton, Marylin Crispell, Dave Douglas, John Zorn, Marty Erhlich, Uri Caine, Ned Rothenberg, etc… Tout récemment, Mark Feldman  et Hank Roberts ont participé chacun à l’un des enregistrements de Strings 1 et 2 du saxophoniste Ivo Perelman, un projet qui mettait en évidence les instruments à cordes frottées dans l’univers du souffleur brésilien, lequel est coutumier du fait. En effet, on l’a entendu très souvent ces dernières années avec l’altiste Mat Maneri dans de nombreux enregistrements détaillés dans ces lignes. Ivo a aussi enregistré par le passé avec des quartettes à cordes « improvisé-jazz » (The Alexander Suite with the C.T. String Quartet &– The Passion According to G.H. with the Sirius Quartet). J’ajoute encore que Mark Dresser a aussi enregistré trois albums avec Perelman (Suite For Helen F., En Adir et Sound Hierarchy). Avec ces expériences antérieures et les nombreuses qualités  de ces musiciens, ma curiosité est piquée au vif. Cette association suscite dès le départ un fort intérêt et l’écoute émerveillée de Deep Resonance répond à toutes les attentes ! Il y a réellement une Deep Resonance dans leurs quatre improvisations collectives et cette résonnance profonde se révèle à plusieurs niveaux, sonores, intimes, formels, interactifs. Une réelle plénitude et une communauté partagée dans l’instant et à travers la personnalité de chacun affleure à chaque instant. Le souffleur a pris le parti de jouer « à l’intérieur » du trio à cordes comme s’il était un violon ténor. Son style tend à distendre les intervalles en ajoutant ou diminuant chaque ton et demi-ton recréant ainsi sa propre échelle (micro)tonale. Sa voix instrumentale hausse les notes aiguës du sax ténor dans un élan lyrique au-delà du registre prévu avec des glissandi très personnels.  On le reconnaît immédiatement dès les premières notes, comme Trane, Lacy, Ornette,… . Feldman, Roberts et Dresser adaptent souvent leurs doigtés de manière à coïncider avec ces agréments. Dès les premières minutes, une empathie, une symbiose se crée. La musique est devenue tout autant Arcado que Perelman. Tout au long des quatre longues improvisations (17 :46 – 8 :51 – 9 :26 – 8 :42), chacun invente et trouve des modes de jeu qui lui permettent de s’exprimer avec originalité et de mettre en valeur l’ensemble, dans des mouvements concertés, parallèles, contradictoires, en pizzicato ou à l’archet. Mark Feldman dialogue alternativement avec Ivo Perelman ou Hank Roberts lorsque le saxophoniste fait une pause. Le contrebassiste tisse des liens invisibles équilibrant le tangage du navire comme un timonier qui connaît par cœur toutes les passes. La teneur des échanges évoluent dans de lentes métamorphoses, chacun proposant des motifs ou des couleurs qui entraînent le groupe à changer la qualité sonore particulière de leurs jeux respectifs. Les trouvailles mélodiques circulent naturellement d’un instrument à l’autre et ils s’échangent les rôles comme dans une démocratie participative et active. On trouve aussi une dimension africaine dans les pizzicati du violoncelliste. Qu’un improvisateur sache faire feu de tout bois en enchaînant des phrases superbes au départ de ce qui semble être un accident sonore est déjà une chose merveilleuse. Avec Arcado + Perelman, cette propension est démultipliée et amplifiée car, on le notera volontiers, jouant d’instruments de la même famille des cordes frottées des violons, une émulation toute spéciale, un fort sentiment de partage et de communication musicale s’établit nettement plus aisément et intensément que s’il s’agissait d’autres instruments. On est donc aux anges. Et Ivo Perelman, fort heureusement, s’y intègre à merveille, même lorsqu’il va étirer et mâchonner les harmoniques les plus hautes. La communication interne du groupe fonctionne sur une multitude d’éléments propres à la grande libre improvisation : le moindre timbre, un accent précis, une couleur rare, des bruissements fugaces, une friction de la corde contre la touche, des bourdonnements, un voicing imprévu. On entend d’infimes détails se répercuter sous les doigts (ou les lèvres) avec une finesse innée, indescriptible. Les nuances, les nuances…  Et donc l’écoute est nourrie, stimulée, enrichie constamment dans une plénitude quasi paradisiaque. Une communauté spirituelle, sensitive, une éthique de la musique jouée à, plusieurs. Comme par hasard, sous les doigts du violoniste, un imprévisible parfum de samba (Ivo est Brésilien) s’instille pour être insensiblement haché menu par les inventions sonores et les glissandi de l’un et de l’autre (part 3). Musique colorée, intime, légèrement épicée, sensible, vécue avec autant de sagesse que d’intensité, expression d’une langueur et d’une patience infinie et d’une vivacité électrique selon les nombreux instants dont on aurait peine à tenir le compte. Ne comptez plus, écoutez cette merveille.

 

Grappling with the Orange Porpoise The Chemical Expansion League : Adam Bohman Sue Lynch Adrian Northover Ulf Mengersen Creative Sources cs 646 cd


Lutter avec le marsouin orange, c’est le titre du nouveau et premier cd de The Chemical Expansion League dont fait partie Adam Bohman, légendaire improvisateur aux objets amplifiés et poète (surréaliste selon Steve Beresford) à qui ses collègues laissent très souvent toute liberté pour inventer noms de groupes, titres d’albums et de morceaux. Il est en bonne compagnie ici avec les deux amis avec qui il organise le Horse Improv Club au I’Klectic Arts Club, situé Old Paradise Yard, Carlisle Lane SE1 au beau milieu d’un jardin alternatif occupé par des ateliers et des lieux de travail. Pour chaque concert et pour la pochette de Grappling, Adam crée un collage coloré (affiche), tandis que les saxophonistes Sue Lynch et Adrian Northover mettent au point dates, programme et invités, ainsi que la réservation d’I’Klectic, devenu au fil des ans un lieu incontournable. Dans ce Grappling with Orange Porpoise, le trio du Horse Improv Club s’est adjoint le contrebassiste allemand Ulf Mengersen, qui lui a fait exécuter le mixage par Dietrich Petzold à Berlin. D’un morceau à l’autre, règne une grande lisibilité : on distingue clairement les musiciens. Les frottements de la contrebasse à l’archet, les interventions lunaires du sax soprano d’Adrian Northover, le souffle pensif et mesuré du ténor de Sue Lynch et les grattements, sifflements, frictions en tous genres d’Adam Bohman sur la surface des objets collés ou ligaturés sur sa table se croisent paisiblement, flottent dans l’espace, les musiciens alternant leurs phases de jeu et de silence de manière à ce qu’il y aient deux ou trois des quatre membres de la Chemical Expansion League occupés à jouer en même temps. Ce qui est un peu normal : quand on fait de la chimie expansive, il faut doser les ingrédients et les ajouter un par un avec précaution et minutie, sans quoi on risque l’explosion. Ceux qui confondent improvisation libre avec bordel généralisé où tout le monde joue  à tout moment en même temps devraient un peu s’informer ou écouter le compact de la Chemical Expansion League. Les dix improvisations ici enregistrées portent des titres à coucher dehors (NB à Londres, vu les distances, cela risque de vous arriver si vous allez écouter Adam tard au sud de la ville). Inspiration Bohmanesque. Je vous en cite quelques-uns pour votre édification : Seagull Semaphore Slump, Adolescent Steamroller Stomp, Financial Celery Expletive Binge, Broken Thermos Flask Fiasco. On se demande si les titres ont quelque chose à voir avec leur musique. Moi-même, je ne me pose plus la question.  En effet, pour un des albums d’un groupe avec Adam auquel  j’ai participé (I Belong To The Band), Bakers of the Lost Future, c’est moi-même qui avait inventé les titres de l’album et des morceaux : Elephant Pastry Dream, Gastric Samba Honkers, Intergalactic Gulash Vs Sneezawee Gaspacho, pastichant mon collègue. Et bien sûr les musiques respectives des deux groupes n’ont rien à voir. La musique du marsouin orange lutteur fait plutôt penser au flegmatique cormoran qui attend immobile son heure pour saisir sa proie. Ce qui compte pour les trois instrumentistes « conventionnels », c’est de jouer avec la dynamique idoine pour qu’on entende clairement le moindre son de l’objétiste. Torture de la carte de crédit, crissement de pinces à linge amplifiés, ressorts caressés avec un ampoule électrique, archet sur un coupe à bière belge d’abbaye, crissements de cordes de guitare attachées à une boîte plastique, etc... Ulf Mergesen a préparé sa contrebasse, Adrian Northover, sax soprano et alto, joue aussi du wasp synthesizer et du melodica, Sue Lynch, au sax ténor, double à la flûte ou à la clarinette. Adam Bohman, un adepte du bruitisme pur, est crédité prepared strings, en sus des objets amplifiés, soit des cordes (de guitare, violon, élastique, mais aussi tranche-tomates ou ressorts) qu’il gratte délicatement, paisiblement, une ou deux à la fois. Les trois autres ont toute la sensibilité voulue pour évoluer en cherchant les sons avec une dynamique, un feeling et des étirements de notes qui font que notre oreille se penche sur les grattouillages, crépitements et frottements de leur poète de collègue. Les notes des souffleurs semblent s’échapper hors de l’espace comme dans Adolescent Steamroller Stromp. Le mixage de Dietrich Petzold est exemplaire. De beaux instants de poésie, la chimie du quartet fonctionne.

 

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