13 février 2021

Lol Coxhill Andrea Centazzo Franz Koglmann/ Lol Coxhill & Olaf Rupp/ Paul Dunmall/ Harri Sjöström Matthias Bauer Andrea Centazzo/ Blaise Siwula Nicolas Letman Burtinovic Jon Panikkar

Spelunke Tapes !! Andrea Centazzo Lol Coxhill Franz Koglmann ICTUS
https://ictusrecords.bandcamp.com/album/spelunke-tapes

Parvenu jusqu’à moi depuis les confins de la Californie malgré les tarifs postaux dissuasifs de l’USPS (Le 45th President Trump les a augmentés), une bombe Coxhillo – Centazienne featuring Franz Koglmann … super bien enregistrée et remontant à l’époque dorée où nous étions abasourdis, amusés et fascinés par les miracles quasi-quotidiens de l’improvisation radicale et des disques extraordinaires qui atterrissaient dans les bacs. Spécialement confectionné par Andrea Centazzo à la demande, Ictus Records peut vous envoyer un souvenir sonore glorieux d’un concert exceptionnel avec un LOL COXHILL EXTRAORDINAIREMENT vivant en compagnie du percussionniste Italien, ANDREA CENTAZZO lui-même, et un troisième comparse poétiquement astucieux qui a fait son trou depuis, FRANZ KOGLMANN. La prise de son (1982 Vienne Club Spelunke) vous fera entendre toutes les facéties sonores du percussionniste avec son matériel hyper classieux en concurrence – confrontation – contournement avec le saxophoniste. La résonance de l’espace et la prise de son confèrent un rendu extraordinaire des aigus du souffle de Coxhill, très en verve. Rien que pour ça , le SON de LC du premier morceau, cet album est déjà un must ! Oubliez vos marottes du jour et direction ICTUS ! Une fois passé le premier morceau, voilà que Franz Koglmann évoque les mânes de Chet Baker et de Bill Dixon en solo. Le concert fait se dérouler de magnifiques phases de jeu. Centazzo qui dispose alors d’un attirail extraordinaire de tambours, percussions métalliques (marque UFIP), gongs et accessoires, ne joue pas le rôle d’un « batteur » , mais celui d’un percussionniste qui colore, s’insère adroitement, percute un moment,gratte, frotte, entraîne subitement ses acolytes dans une farandole, mais toujours propose des pauses, des silences, des changements de régime, des variations de dynamique qui mettent en lumière ses deux compères. Il manie la multiplicité élastique des cellules rythmiques, des timbres percussifs avec une variété étonnante de couleurs, de résonances, de bruissements, frottements etc…. alors que les deux autres soufflent comme s’ils jouaient avec tout l’espace et le temps à leur disposition, pouvant ainsi répandre leurs sonorités merveilleuses et chaleureuses sans devoir tenir compte des pulsations induites par l’activité multi-dimensionnelle du percussionniste. Ça nous change du « free-jazz habituel » où on se colle littéralement l’un à l’autre et où on finit par s’ennuyer car le topo devient immuable. Vive la liberté... Il peut arriver que Lol s’écarte du micro, et que la prise de son soit relativement envahie par la percussion quand le jeu d’Andrea s’échauffe, mais c’est tout à fait épisodique. Ce qui fascine, c’est cette capacité à jouer en toute liberté et indépendance comme si les deux autres n’étaient pas là, alors que bien sûr, ils s’écoutent attentivement. On a droit aussi à un super solo de LOL plus LOL que LOL , en solitaire !! À l’époque, il était encore jeune et son jeu avait une puissance extraordinaire en glissando permanent dans son propre système de gammes altérées. Ça gueule, mais avec tellement de subtilité et cette joie de jouer. L’apôtre avait encore toute la vie devant lui et le fait d’évoluer en Italie et en Autriche devait gonfler sa faconde et décupler son énergie. Le troisième morceau nous fait découvrir de gracieux échanges en duo : un Franz Koglmann aérien et audacieusement free et inspiré et un Lol Coxhill à l’écoute et à la recherche de sons inouïs et de clins d’œil malicieux. Il y a chez ces deux hommes une expressivité merveilleuse, une connivence narquoise, un entrain subtil. Ensuite, une intervention de percussion insolente d’invention,presqu’aléatoire et unique en son genre !! Et quand il « fait le batteur » , c’est la fête ! Quel rythmicien inventif serait capable de suggérer ainsi le gamelan javanais avec ses percussions métalliques ? Je m’arrête de vous décrire l’affaire, c’est trop beau à écouter et ça ne ressemble à rien d’autre !! Quatre plages de 15:50, 26:18, 14:56 et 18:34 : après cela, vous devenez fou. De rage, de désespoir, de joie !!

Lol Coxhill & Olaf Rupp Poschiavo 2003 audiosemantics digital
https://audiosemantics.bandcamp.com/album/poschiavo-2003

Un travail d’orfèvre, de sculpteur de sons, d’explorateur des écarts entre les notes et des combinaisons d’harmonies sauvages, de délires pointillistes … Lol Coxhill, aujourd’hui disparu, incarnait l’originalité par excellence en matière de saxophone soprano. Étirant toutes les notes dans son propre système non-tempéré, organique, il semble souffler en oblique, de travers, en arrière, en précipitant le débit, ralentissant ou accélérant l’émission de chaque note en jouant un poil faux de manière à ce qu’on le reconnaisse entre mille, avec ses fragments de biguine fantôme et ses choix de notes farfelus. Sans parler des curieux accents qui égaient ses piaillements volatiles. Ici, il a affaire à un guitariste acoustique virtuose avec une main droite d’une très grande virtuosité et des idées folles qui se télescopent, s’emboîtent et s’échappent dans l’espace. Olaf Rupp s’est imposé comme le guitariste incontournable modulant ses improvisations en altérant et métamorphosant tous les paramètres de la six cordes, dans une voie plus « naturelle » que celle de Derek Bailey et tout aussi impressionnante. Évidemment, chacun des duettistes mène sa barque comme s’il ne tenait pas compte l’un de l’autre, sauf par de menus détails, arrêts abrupts, tournis de notes arachnéennes qui suscitent des glissandi canailles, des rengorgements de l’anche et du bec du sax. Lol Coxhill prolonge magistralement la quête exploratoire de l’Evan Parker des années septante dans les interstices bruissantes des clés et de la colonne d’air du sax soprano. Olaf Rupp est étourdissant d’inventivité et toujours à l’écoute. Neuf improvisations enregistrées au festival de Poschiavo 2003 lors de deux concerts s’étalent pour notre plus grand plaisir durant une heure et un quart, permettant à l’inconditionnel ou au novice de se pincer à leur écoute tant les deux acolytes renouvellent inlassablement leur mania ludique à la recherche du neuf de manière à aiguiser l’attention des auditeurs. Il n’y a quasiment pas un instant ou ces deux improvisateurs jouent à vide. À écouter absolument : du Lol Coxhill de derrière les fagots en compagnie d’un extraordinaire farfadet de la guitare.

Il y a actuellement, une hécatombe d’albums « physiques » de musiciens qui garnissent déjà une brochette de catalogues et qui se répètent jusqu’à plus soif sans que ces publications apportent un iota d’originalité qui soit comparable à un Coxhill avec un Olaf Rupp ou un Centazzo, que cela en devient risible. Donc, je ne comprends pas qu’un promoteur ne contacte pas Olaf Rupp directement pour faire de cette gemme miraculeuse un vrai CD bien distribué ou un super vinyle, plutôt que cet album digital qui risque de s’égarer dans les méandres de votre ordi qu’il faut brancher sur l’ampli de la hi-fi, un inconvénient si celle-ci est pré-digitale. Quant au CD Spelunke Tapes, décrit plus haut, il s’agit d’un CDR de qualité imprimé à la demande qui aurait mérité d’être produit sur un de ces labels à grand débit ayant pignon sur rue.

Awakening expectations Paul Dunmall John O’Gallagher Percy Pursglove Elliott Sansom Chris Mapp Miles Levin FMR
Cosmic Dream Projection Paul Dunmall Sextet FMR

Sextet équilibré, fou et inspiré pour une série d’embardées en mode Ascension version plus cool et plus restreinte mais aussi folle quand cela doit advenir. Un sax ténor : Paul Dunmall, un sax alto, John O’ Gallagher, une trompette : Percy Pursglove, un piano : Elliott Sansom, un bassiste électrique : Chris Mapp et un batteur : Miles Levin, surprenant héritier de son père, le vétéran Tony Levin avec qui Dunmall a officié dans Mujician avec Keith Tipett et Paul Rogers. R.I.P. Tony et Keith. Mais regardons devant nous. Devenu un sénior de la scène improvisée - jazz britannique, Paul Dunmall, géant du sax ténor devant l’éternel se focalise sur les jeunes musiciens talentueux qui gravitent entre Bristol, Cardiff et Birmingham et on lui en sait gré. Des collectifs allumés auxquels il prête son extraordinaire musicalité, son souffle hors du commun et son énergie. Il faut entendre les audaces sonores du trompettiste Percy Pursglove, toutes lèvres hérissées et explosées, mêlées aux aigus mordants, vacillants et cascadants de l’alto de John Gallagher emmenées par le drive du batteur. De brindilles calcinées qui crépitent dans une clairière solitaire, les échanges vifs s’emportent dans des décollages subits d’escarbilles enflammées qui emportent tout sur leur passage surplombant des décors invisibles, désastres enfumés. Très vite les murmures hésitants renaissent incitant une autre envolée. Toujours présents, le dialogue, l’invention de chaque instant, les déboulés de doubles détachés et d’accents et morsures alors que pétarade la basse électrique, les sons des cuivres étirés dans des tonalités incertaines, tournoyant sur eux-mêmes ou déversant leur lyrisme majestueusement. Chacun alterne ses interventions et tous ont cette faculté à faire métamorphoser et intriquer leurs improvisations, déclinées en autant de duos (entre piano et trompette ou sax alto et ténor), d’écarts ou d’apartés, de silences et de fureurs. Bribes de phrases qui s’interloquent et s’emboîtent comme un puzzle magique. Relai vif argent qui passe douze fois de main en quelques secondes… instants d’éternité. Deux improvisations collectives exemplaires de 29 minutes chacune, intitulées Awakening Expectations et Playing the Virtues. Équilibre et embardée, écoute mutuelle intense et spirale exacerbée jusqu’au petit matin. Le Dunmallisme dépasse, trépasse, surpasse, outrepasse le free jazz collectivement improvisé. On retrouve une réunion du même type avec le Paul Dunmall Sextet dans le tout nouvel album Cosmic Dream Projection. Dunmall en est le seul saxophoniste et le compositeur des six morceaux enregistrés. On retrouve Percy Pursglove à la trompette et deux nouveaux musiciens, le guitariste Steven Saunders et le tromboniste Richard Foote. Et PD fait appel au team contrebasse et batterie récurrent dans ses derniers albums : James Owston et Jim Bashford. Les deux albums se rejoignent dans leur furia peu prévisible, même si le premier est quasi entièrement improvisé et le deuxième « composé » avec goût et talent. Pour un improvisateur libre comme Dunmall dont on avait très peu entendu des compositions et des arrangements, c'est assez suprenant. Mais aussi joyeux, enlevé voire majestueux. Comme compositeur de jazz contemporain occasionnel, Dunmall se révèle plus qu'honorable. Fantastique ! Après la réussite de Soultime, un délicieux florilège funky/ soul avec pas moins de 9 morceaux réunissant entre autres Hamid Drake, le pianiste Steve Tromans et le trompettiste Percy Pursglove et bien des dérapages incontrôlés, Dunmall crève le plafond avec de superbes arrangements irisés et projetés dans un Rêve Cosmique : on entend rarement une symbiose aussi réussie des trois cuivres, saxophones, trompette et trombone avec des couleurs chatoyantes et de subtiles harmonies glissantes en constante mutation.

Lost Idols Harri Sjöström Matthias Bauer Andrea Centazzo Ictus 183
https://ictusrecords.bandcamp.com/album/lost-idols

Trio sax soprano, contrebasse et percussion basé sur l’écoute mutuelle, le partage égalitaire de l’improvisation dans des formes éclatées où chacun contribue selon sa démarche propre en faisant coïncider énergies, explorations des sons, vibrations, silences. La batterie de Centazzo vibre et résonne sauvagement sous la danse des balais alors qu’Harri Sjöström conjure les esprits en mordant et criant dans l’extrême registre de son sax soprano et Matthias Bauer fait frémir les belles notes charnues de sa contrebasse. Une belle miniature de départ en acoustique . Chaque morceau met en scène un paysage sonore où interviennent les Kat Mallet, le sampling et l’électronique raffinée d’Andrea Centazzo et où se mêlent quelques percussions métalliques (gongs, cloches). Le souffle brûlant et extrême d’Harri Sjöström étire des sonorités vocalisées, nasillardes et Bauer livre une belle partie d’archet en glissandi. Ce trio est remarquablement soudé tout en jouant de manière très indépendante l’un de l’autre. Les percussions métalliques et les souffles électroniques évoquant masses nuageuses ou brouillards indécis qui balaient l’horizon où bourdonne la contrebasse et s’étalent les mini-frappes cristallines et démultipliées sur les flancs des cymbales étagées comme un sapin de noël cosmique. On imagine une légère poudreuse faire irruption dans un paysage de montagne irréel. La sonorité du saxophone en apesanteur s’amenuise quand murmurent les notes clairsemées du Kat Mallet ou va chercher des harmoniques tordues au plus aigu avec un lyrisme cosmique, interrompu par des rafales lègères et désarticulées sur les peaux assourdies. Réaction en chaîne, articulation hâchée menu d’un bec de saxophone qui évoque le canard effrayé. Effets soignés par une précise position des micros, évocation fugace d’un gamelan en panade, gongs et bulbes résonnant dans l’espace sonore, morsure singulière du saxophone, sens de la pulsation, formes épurées, variétés des accents du percussionniste jamais pris en défaut, basse à l'archet suggérant une mélodie centre asiatique. Musique - paysage en apesanteur, tapis volant de rêves imaginaires. Une belle réussite pour une trentaine de minutes bien calibrées.

Sedition Blaise Siwula Nicolas Letman-Burtinovic Jon Panikkar Setola di Maiale

Enregistré à New York, Sedition est l’album d’un trio U.S. clarinette alto & soprano et sax ténor (Blaise Siwula), contrebasse (Nicolas Letman-Burtinovic) et batterie (Jon Panikkar) focalisé sur le thème « engagé » qui évoque involontairement l’actualité toute récente aux USA. Sous titré Form of Sedition For Compositions and improvisations (au nombre de neuf) Engagement, Libel, Thoughts, Conspiracy, Truth, Intention, Blasphemy, Dissension, Insurrection. Neuf morceaux subtills, légers dont plusieurs sont joués à la clarinette soprano dans un style allusif, velouté et sinueux (Engagement, Libel). Au saxophone ténor, une sonorité lunaire, des effets de timbre et des volutes éthérées (Thoughts). Le contrebassiste a enregistré dans un excellent album du clarinettiste chicagoan Guillermo Gregorio publié par le label japonais Chap-Chap. La batterie aérienne et en rythme libre laisse le champ au contrebassiste pour faire gronder les cordes avec un archet ou souligne la pulsation en douceur. Chaque morceau contient une idée ou un motif lié à la signification des titres et au fil de ceux-ci l’intensité et l’émotion de la musique évolue de manière à renouveler le propos. Conspiracy : un rythme plus enlevé et les renfrognements articulés de la clarinette alto avec growls, harmoniques, doigtés croisés. Truth : une polyrythmie d’inspiration latine avec de belles frappes croisées sur tambours et cymbales survolé par un sax ténor qui ressasse une comptine caraïbe en zig – zag, avec coups de langue en escalier et volutes bien cambrées sur les pulsations. Toujours cette légèreté et cette empathie au sein du trio qui le rend éminemment sympathique. La clarinette alto paresse dans une espèce de valse timide drivée par une walking basse de promeneur distrait et trace des boucles qui se referme sur elle-même (Intention). Finalement, on finit par se laisser séduire par ce free-jazz frais et léger qui sait se faire pressant dans quelques morceaux pour se relâcher dans une approche plus intime dans d’autre. Une espèce de free cool onirique et chaleureux.

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