7 février 2021

John Butcher Veryan Weston Øyvind Storesund Dag Erik Knedal Andersen/ Dirk Serries Tonus Ensemble/ Udo Schindler & Ove Volquartz/ Paul Dunmall Liam Noble John Edwards & Mark Sanders

Mapless Quiet John Butcher Veryan Weston Øyvind Storesund Dag Erik Knedal Andersen / plastiskmusikk*I MOT6CD
https://butcherwestonstoresundknedalandersen.bandcamp.com/album/mapless-quiet

Enregistré le 30 septembre 2018 au nyMusikk Bergen 40th anniversary, ce quartet rassemble quatre improvisateurs sous la bannière butchérienne avec comme mot d’ordre Mapless, soit absence totale de plan, de routage. Le fil conducteur est préalablement inexistant, mais à tracer et à découvrir mutuellement au départ de sonorités flottantes. John Butcher cultive sans concession les extrêmes de ses sax soprano et ténor de manière très particulière en décortiquant, étendant et sussurant les timbres, bruissements et scories jusqu’à l’infini et au bord de ce silence qu’il oblitère si magistralement. Veryan Weston a changé son fusil d’épaule par rapport à son « style » en compagnie de Lol Coxhill ou de Trevor Watts en plongeant littéralement dans les secrets d’ intervalles inusités et de touchers discrets. Le contrebassiste Øyvind Storesund est connu pour sa participation au trio « free-jazz » de Frode Gjerstad avec le puissant batteur Paal Nilssen-Love. En cette compagnie British, c’est sa facette intimiste, coupable de frottements délicats à l’archet, mettant au jour l’irisation soyeuse et acide de la vibration des grosses cordes à proximité d’un chevalet fragile et empathique. Vers la dixième minute, la gestuelle gracile du batteur Dag Erik Knedal Andersen sollicite les sons détaillés et colorés des cymbales, des grattements et frottés sensibles de peaux ou des frappes irrégulières décalées en haikus, échanges partagés avec les agiles doigtés cristallins et accentués du pianiste, créant une remarquable cadenza. Veryan Weston s’y révèle à mon avis aussi merveilleux que Fred Van Hove. On s’émerveille de la capacité du souffleur à décliner tout un éventail de micro-sons murmurés, étirés, colonne d’air implosée dans de multiples fragments pressés entre la lame et la lamelle du microscope, hachés par la pression millimétrée des lèvres sur l’anche et le bec comme si son organe buccal s’était métamorphosé en scalpel. Et ces fragments irréguliers de mélodie sculptés dans la sonorité acide de son sax ténor aboutissent à une séquence de souffle circulaire au croisement d’une expressivité presqu’exubérante et d’un travail musical méthodique et discipliné… L’environnement sonore et la concentration intense et relâchée du collectif renforce la singularité du travail de John Butcher, zigzaguant dans les sonorités acides de son soprano. Le son d’ensemble du groupe est axé sur la cohérence, l’imbrication et l’investissement total unitaire sans la moindre diversion avec de nombreux changements de perspectives, dynamiques, intensités, etc… qui créent de réelles surprises. Si comme l’indique le titre Mapless (sans carte ou sans plan préétabli), force est de constater que ces quatre improvisateurs expérimentés établissent leur parcours improvisé avec une logique et une suite dans les idées imparables. Mais aussi, et il faut le souligner, on se plait à découvrir qu’ils peuvent aussi évoluer en aparté, comme le démontre une phase en trio basse percussion piano et cette séquence où Butcher dégage de brefs fragments de growls en staccato torsadé alors que le pianiste enchaîne une longue trame de clairs obcurs et que le tournoiement de l’archet de Storesund fait gronder les soubassements de l’édifice. Leurs contributions respectives semblent souvent s’écarter l’une de l’autre mais alimentent un tout évident et cohérent. Un enregistrement trèsremarquable pour un rencontre réussie !!.

Ensemble Tonus – Intermediate Obscurities III. Spontaneous Live Series 005 Spontaneous Music Tribune. Pawel Doskocz Andrew Lisle Ostap Manko Witold Oleszak Dirk Serries Anna Szmatola Benedict Taylor Colin Webster
https://dirkserries.bandcamp.com/album/intermediate-obscurities-iii-live-at-spontaneous-music-festival-2019

Un super groupe pour une super musique centrée sur les partitions graphiques du guitariste Dirk Serries. Violon, alto et violoncelle : Ostap Manko Benedict Taylor et Anna Szmatola. Guitares acoustiques Pawel Doskocz et Dirk Serries. Saxophone et percussions : Colin Webster et Andrew Lisle. Intermediate Obscurities III est une suite jouée d’une traite durant 40:27 et enregistrée le 5 octobre 2019 lors du Spontaneous Music Festival au club Dragon à Poznan. La partition graphique dont j’ignore le contenu et les intentions, est focalisée sur les interventions minutées de chaque instrumentiste en utilisant des techniques alternatives non conventionnelles : frottements, glissandi, silences, bruits, forte isolé, note tenue en pianissimo, répétitions, percussions, sifflements, grincements, résonance, toucher sensible, etc… lignes, points, courbes, arcs, foisonnement étiolé. C’est exécuté – improvisé avec une belle coordination, des alternances, des contrastes, des interférences, … et un focus intense sur la dynamique sonore et l’écoute mutuelle, sans dogmatisme. Le saxophone de Colin Webster est complètement intégré aux interactions subtiles des cordes. On se demande même s’il y a un saxophone et une batterie. La musique respire et on distingue plusieurs mouvements séparés par des silences qui semblent de plus en plus faire partie de la musique au fil de son écoulement. C’est sans nul doute une excellente réalisation et, à mon avis l’album le plus marquant de la Spontaneous Live Series.
Encore toutes mes félicitations à Dirk Serries pour avoir proposé et conçu cette œuvre, Intermediate Obscurities III, qu’il devrait pouvoir réaliser en Belgique.

Tales about Exploding Trees and Other Absurdities Udo Schlinder & Ove Volquartz FMRCD0598 0920


Superbe série de fables et contes pour clarinettes basses et contrebasses, plus une petite clarinette jouée par Udo Schindler. Les instruments de souffle graves murmurent, des mélodies inconnues tournoient, grasseyent, mordent les aigus tranchants, font des jeux d’ombres. Cinq moments de connivence, d’écarts et de lumière. Les titres : Story Telling, car Ove Volquartz et Udo Schindler excellent à raconter des histoires, Klobstokian Lullaby où nait une comptine incertaine et peut-être familière, Distorted Meditation ou comment faire grincer et résonner les sons graves, puis étirer les harmoniques, About Exploding Trees, la colonne d’air à l’étroit dans le gros et long tube en bois noir éclate et s’échappe dans des rires impromptus, Pyrodase , élixir de jouvence qui nous fait franchir les limites de l’espace-temps. Leur lyrisme est aussi évident que leur habileté à chercher et à créer des formes renouvelées, boisées, aériennes, … une saveur, une puissance fragile se dégage La performance mérite vraiment le détour, car on entend un véritable clarinettiste contrebasse et les entrelacs des quatre clarinettes, basse et/ ou contrebasse nous font entrevoir que l’une est le prolongement singulier de l’autre comme dans un rêve éveillé. Grave, lyrique, savant et très inspiré. Un album unique en son genre auquel on retourne avec plaisir.
Aussi , je ne sais pas m'empêcher de vous renvoyer aux deux albums précédents des deux intéressés : Answers and maybe a Question en duo (FMR) et l'étonnant Artoxin où Schindler et Volquartz s'allie au guitariste (électronique) Gunnar Geisse dans des paysages sonores fractalisés (Unit RecordsUTR 4806).

The Feeling Principle Paul Dunmall Liam Noble John Edwards Mark Sanders FMR

Déjà le troisième album de ce quartet réunissant en fait le Deep Whole Trio (Dunmall sax ténor et soprano, John Edwards contrebasse , Mark Sanders batterie) avec le pianiste Liam Noble, entendu avec Ingrid Laubrock et Tom Rainey, si vous appréciez les références. Si vous suivez de ci – de là la production pléthorique de Paul Dunmall et hésitez quand même, je vous garantis la puissance créative de cette bombe et l’énorme plaisir qu’on peut en tirer. Une partie des enregistrements de Dunmall rassemble des documents probants de rencontres – essais , entre autres avec flûtes ou clarinettes qui s’ajoutent à ses habituels sax ténor et soprano et des formations parfois improbables suscitées pour parcourir d’autres paysages musicaux. Intéressants, bien sûr, mais vu le débit exponentiel de rondelles digitales, beaucoup aimeraient connaître de quoi la bête retourne dans ses haut-faits les plus fascinants. Et bien, voici l’article idéal. Pour alimenter la furia de Mark Sanders et John Edwards, la paire contrebasse – batterie la plus sollicitée de la free music européenne, Dunmall a trouvé en Liam Noble l’acolyte idéal pour une ascension des sommets.
Si à l’écoute, on jugerait qu’il s’agit d’une série de compositions choisies, il n’en est rien ! Le quartet est lancé sans aucun agrément préalable : Dunmall s’invente instantanément un motif de quelque notes, qu’il développe inlassablement, signal d’une voie à suivre dont les trois autres découvrent les éléments et le cheminement au moment même. Le batteur crée la tension sans se sentir obliger de marteler ses fûts et de déchaîner des roulements sans fin. Un jeu oblique, précis, vif et modéré. Dunmall construit son improvisation en hachant les phrases et en montant en puissance sur la longueur jonglant avec des phrasés éclair basés sur des triples détachés d'harmoniques déchirantes. Liam Noble jongle avec doigtés subtils qui roulent dans tous les recoins de la masse sonore et décuplent la propulsion combinée de cet énergique combo. Des phases de jeu alternent des affects renouvelés où le souffleur, le contrebassiste et le saxophoniste entretiennent d'intenses dialogues - incantations instantanés pour ensuite ouvrir le champ à un solo de contrebasse renversant où la main droite énorme de John Edwards, dont l’apparence de freluquet ne laisse pas deviner une telle puissance, fait dilater et gonfler les cordes de la contrebasse qui vrombissent, les clés et le chevalet semblant à un doigt d’éclater. Je pourrais ainsi décrire les développements intenses de cette équipe de rêve en empilant les paragraphes… Le quartet construit ici un chef d’œuvre de l’instant, de l’émotion qui remonte tout droit à l’énergie coltranienne de la fin du « Quartet » (cfr Sunship – First Meditations). Ahurissant !!

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......