11 mai 2022

Simon Rose Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues Meinrad Kneer/ Stefan Östersjö & Katt Hernandez/ Albert Cirera & Witold Oleszak/ Ligia Liberatori Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues Davide Piersanti / Marco Colonna & Enzo Rocco

Birds and Humans Simon Rose Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues Meinrad Kneer Creative Sources CS 726 CD
https://guilhermerodrigues.bandcamp.com/album/birds-humans

Merveilleuse idée d’associer le saxophone baryton de Simon Rose avec le trio de cordes d’Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues et Meinrad Kneer (violon alto, violoncelle et contrebasse) ! Les Rodrigues père et fils n’ont de cesse d’enregistrer de nombreux projets avec des instruments à cordes frottées de la famille du violon avec un grand nombre de musiciens peu connus, mais superlatifs, que leurs productions sur Creative Sources contribuent à mettre en valeur. Très souvent, il s’agit de belles réussites musicales pleines de sensibilité, d’empathie sonore et d’inventions instantanées. Avec Meinrad Kneer, ils ont trouvé un excellent collaborateur, d’ailleurs, il faut mentionner absolumentSequoia, ce fascinant quartet de contrebasses improvisés dont Meinrad fait partie et leur CD Rotations (Evil Rabbit ERR 21). Le son granuleux du sax baryton de Simon Rose s’intègre magnifiquement au sein des sonorités subtiles issues des pratiques contemporaines alternatives des cordes : harmoniques, friselis surréels, clusters, boucles virevoltantes, col legno aléatoires, graves majestueux, pianissimi murmurants. Il a de qui tenir : il faut écouter Bows and Arrows, un trio de saxophones avec Philippe Lemoine et Michel Doneda, pour saisir son degré d’implication dans un collectif. Simon Rose exploite la dynamique du souffle libéré dans des boucles vocalisées dont les accents se chevauchent et celles-ci trouvent un écho dans le mouvement giratoire ou saccadé de l’alto et du violoncelle. Sept remarquables improvisations où l’écoute mutuelle et la complémentarité s’expriment intensément. Le quartet évolue au départ d’un équilibre tempéré dans les interventions et les réactions dès les deux premiers morceaux (numérotés de I à VII et sans titres) vers des zones de turbulence, de tiraillements, où les excès expressifs surgissent subrepticement pour s’évanouir dans un no man’s land de glissandi et de résonances fantômes boisées et des tournoiements d’archets – ostinatos générant une polyphonie statique et débouchant sur une convergence harmonique libératoire de couleurs mystérieuses. La succession de ces tableaux sonores improvisés révèle le dessein formel d’une œuvre cohérente qui s’incarne sous nos yeux avec la plus belle évidence et de manière définitive. Chaque seconde de leur musique fait partie intégrante d’une forme sans qu’il faille en « éditer » le moindre des moments de son exécution. Un travail orchestral collectif fascinant qui transite de la bourrasque jusqu’au bord du silence.

Stefan Östersjö & Katt Hernandez Aeolian Duo at Edsviken Setola di Maiale SDM 4330
https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM4330
https://ltu.diva-portal.org/smash/get/diva2:1615696/FULLTEXT01.jpg

La marque italienne Setola Di Maiale s’est mué en label « S.O.S. » qui accueille des projets originaux de toute provenance, même celles extérieures au milieu transalpin de la scène marginale des musiques expérimentales et improvisées dont SDM est devenu la plateforme la plus importante, quantitativement et aussi qualitativement. Je n’avais jamais entendu parler ou lu quelque chose à propos de cet Aeolian Duo, ni du guitariste Stefan Östersjö ou de la violoniste Katt Hernandez. Leur musique s’est installée au bord de la mer, dans le sillage du vent et les mouvements de la marée, avec en fond sonore, cris d’oiseaux, appels de navires et de canards, murmures de l’air poussé par la brise, l’autoroute proche, etc... Le lieu est Edsviken, situé au nord de Stockholm au milieu de falaises et de rivages rocheux, non loin des villas et appartements… La guitare éolienne de Stefan Östersjö a des cordes qui s’étendent du chevalet aux branches des arbres sur le site. Ces cordes étendues permettent au musicien de révéler les harmoniques jouées par le souffle du vent, et aussi, de contrôler la hauteur des sons et le nombre des cordes jouées. Concurremment, Katt Hernandez joue un violon avec une scordatura grave, la scordatura étant une manière alternative d’accorder le violon dans une gamme qui engendre des intervalles de notes qui eux-mêmes en transforment la résonance physique de l’instrument. Avec une belle coïncidence empathique, les deux artistes créent un remarquable environnement sonore immergé dans une activité de plein-air ouverte sur l’espace, le paysage maritime et son univers sonore dans lequel leurs actions musicales s’inscrivent spontanément, naturellement. La musique est à proprement parler aérienne, surréelle et s’inscrit dans une pratique écologique non certifiée… mais évidente. J’apprécie beaucoup la sensibilité microtonale de la violoniste, rivée mentalement par les vibrations éoliennes de la guitare de son partenaire, et son jeu d’archet subtil, léger, aérien … La musique de cet Aeolian Duo est excellement rendue par la qualité sonore de l’enregistrement de terrain, réalisé avec une belle maîtrise, si on considère le travail technique difficile que cela représente. Leur univers sonore et musical unique s’insinue pour l’auditeur qui parviendra sans effort à se transporter dans cet environnement côtier.

Albert Cirera & Witold Oleszak Terra Plana Spontaneous Music Tribune Series Multikulti Project MPSMT 009
https://multikultiproject.bandcamp.com/album/terra-plana

Enregistré en 2017 et publié l’année suivante, cet album a attiré mon attention grâce à la présence conjointe du saxophoniste ténor et soprano Albert Cirera et du pianiste Witold Oleszak dans un travail ardu de recherches sonores avec les ressources mécaniques, physiques et timbrales de leurs instruments. Witold Oleszak s’est distingué avec le percussionniste Roger Turner . Je m’en réfère à leurs deux CD’s Fragments of Parts et Over The Title (label Free Form Association) ainsi que dans un document plus récent intitulé Spontaneous Live Series 003 Live at the Spontaneous Music Festival 2018. Un autre superbe album en duo avec la très remarquable saxophoniste Paulina Owczarek, Mono No Aware (Free Form Association cfr récente chronique) confirme son goût pour le parasitage du piano, du bruitisme dans les cordes à l’aide d’objets utilisés comme sourdines avec grattages, frottements et occurrences résonnantes dans un dialogue avec une ou un collègue inspiré à contorsionner et subvertir le souffle du saxophone. Comme dans cet opus d’apparence erratique qui se révèle de plus en plus convaincant au fil de 9 morceaux (Terra de Cristall, Terra de llops, Terra freda, La futura antiga terra, etc… ) et d’écoutes répétées. Musique au ralenti faites de scories, d’étranges vibrations de la colonne d’air, de méta-souffle d’harmoniques, sifflements contrôlés, murmures du bocal, grasseyements vocalisés dans le pavillon, effets d’air propulsé en douceur sur l’anche, réalisés avec la retenue de celui qui s’écoute intensément en adéquation avec les frictions et grondements de la caisse de résonance du piano. Alberto Cirera, saxophoniste Argentin découvert avec Agusti Fernandez, Carlos Zingaro, Ulrich Mitzlaff, Alvaro Rosso, Nicholas Field etc…, développe un art consommé d’une expressivité transcendantale du saxophone étendu au-delà des limites de ses mécanismes et de la configuration de la colonne d’air, des orifices et des tampons. Cette prédilection s’intègre réciproquement avec l’activité fébrile de Witold Oleszak dans la carcasse du piano, sur les cordages avec des sonorités bruissantes ou surréelles et des doigtés faussement nonchalants sur le clavier, lesquels peuvent aussi bien se révéler anguleux ou elliptiques. La richesse de leur travail sonore enfle, se dilate sur l’inconnu alors que notre écoute se métamorphose graduellement, faisant corps et âme avec les deux musiciens qui en profitent alors pour s’emballer (Terra d’Ogrues). Une session d’improvisation libre sincère et véritable à écouter, méditer et à tenir dans un endroit secret pour y replonger avec délice !

Radical Flowers Ligia Liberatori Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues Davide Piersanti Creative Sources CS 718 CD
https://guilhermerodrigues.bandcamp.com/album/radical-flowers

Une constante des productions Creative Sources d’Ernesto Rodrigues, patron du label et superbe (violoniste) altiste consiste en une rencontre avec des improvisateurs – trices engagés-ées parmi les moins « visibles » / « notoires » dans le but de créer et partager un univers sonore bien défini dans une grande liberté collective et beaucoup d’empathie. Très souvent, son fils Guilherme Rodrigues, un fabuleux violoncelliste, l’assiste avec une complémentarité proverbiale, souvent avec d’autres musiciens à cordes frottées, mais aussi un pianiste, un saxophoniste ou un électronicien. On ne compte plus leurs très nombreux albums et celui-ci fait partie de ceux dont l’auditeur a envie de remettre dans le lecteur, tant l’ensemble et chacun de ses membres posent des questions et trouve des réponses subtiles ou inattendues. Une forme de multi-dialogue pluridimensionnel où de nombreux sons, effets de timbre et actions instrumentales engendrent des constructions musicales vivantes et spontanées dont on peut carrément visualiser les contours, les éclairs et les ombres. La vocaliste Ligia Liberatori surgit aux tournants imprévus par petites touches ; les lubies glissantes du tromboniste Davide Piersanti se font l’écho des glissandi et des oscillations des séries harmoniques des deux cordistes Rodrigues merveilleusement complémentaires. Leur talent incontournable pour les formes, les variations mouvantes de celles-ci et la dimension orchestrale (de chambre) de leurs improvisations créent une spirale magique qui propulse leurs deux partenaires en coloristes distingués et en inspirent les menues incartades expressives dans des tourbillons accidentés . Pouvoir s’agréger de la sorte avec cette belle expressivité n’est rien moins que providentiel, ajoutant encore une floche supplémentaire à la saga des Rodrigues et consorts telle qu’elle se développe inlassablement au sein du surprenant catalogue de Creative Sources.

Nine Improvisations for sax sopranino and electric guitar Marco Colonna & Enzo Rocco Setola Di Maiale SDM 4300/New Ethic Society-digital album ...
https://marcocolonna.bandcamp.com/album/nine-improvisations-for-sopranino-and-guitar-2
https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM4300

Dans la free music internationale, la guitare (électrique) a été mise à toutes les sauces à coup d’ampli, d’effets, de pédales (en cascade), d’objets etc… en empruntant à de multiples sources – inspirations (Hendrix, blues, jazz, classique, Cage, musiques du monde, bruitisme) en défiant les lois de la lutherie, à la suite des Sharrock, Bailey, Rowe, Reichel, Russell, Kaiser, Boni etc… J’ai toujours été impressionné par le prodigieux Roger Smith, un phénomème de la « spanish guitar » à deux fois cinq doigts et aux doigtés et positions de la main affolants et impossibles. Parmi ceux qui zigzaguent avec bonheur dans les cases, frettes et gammes au départ d’une connaissance approfondie du jazz (Jim Hall, Joe Pass, René Thomas) pour gambader dans les chemins de traverse sans se départir du jeu « note » à « note », en toute lisibilité, et des structures d’accords décodées avec une bonne virtuosité figure un artisan transalpin bien sympathique : Enzo Rocco ! Enzo s’est illustré aux côtés de forces de la nature comme le sax baryton international Carlo Actis Dato ou le plus poète d’entre tous les saxophonistes de premier plan, l’improbable Lol Coxhill, (sans parler de sa collaboration avec le tromboniste tubiste Giancarlo Schiaffini, pionnier en chef de la coulisse improvisée au même titre que Rutherford et Christmann). Fort heureusement, deux merveilleux albums en immortalisent la faconde réciproque : Paëlla & Norimaki avec Actis Dato publié par Splasch et Fine Tuning : The Gradisca Concert avec Coxhill sur le label Amirani du saxophoniste soprano Gianni Mimmo. On m’a deux ou trois fois chauffé les oreilles au sujet du duo de Gianni Mimmo et Enzo Rocco couplé avec un enregistrement de notre trio Sureau dans le CD The Leuven Concert (Setola Di Maiale), me faisant comprendre que c’était pas assez « non-idiomatique », radical que sais-je encore !! En ce qui me concerne, j’apprécie le musicianship et le talent musical d’un improvisateur sincère et doué quelque soient ses intentions et son esthétique à la condition que je ne m’ennuie pas et qu’en plus je prenne du plaisir à écouter. Or leur duo avait alors développé une empathie musicale rare, un dialogue étourdissant dans les registres harmoniques et le flux ludique. Le guitariste Enzo Rocco a une capacité plus que remarquable dans l’improvisation « mélodique » free en sollicitant un registre musical étendu de la six-cordes et un sens du dialogue interactif avisé. Son plectre tire la moindre note avec la dynamique la plus appropriée et face à son agile main gauche ce plectre tourbillonne par-dessus les frettes aiguës ou à proximité du chevalet dans une véritable chorégraphie manuelle. Un goût latin pour la mélodie inspirée des musiques populaires italiennes s’y affirme pour être ensuite méthodiquement subverti et décalé pour des séquences audacieuses selon les morceaux. Sa connaissance approfondie des structures harmoniques et son aisance instrumentale ne sont que le tremplin d’un jeu subtil et libre parfois tiré au cordeau ou joyeusement elliptique à la rencontre du souffle inspiré et accentué de ses collègues saxophonistes cités plus haut. Marco Colonna, lui-même clarinettiste de haut vol et ici saxophoniste sopranino audacieux, et Enzo créent neuf magnifiques dialogues, zig-zags, zébrures cambrées et cascades de notes hors gravitation. Ludique, lumineuse et enjouée leur musique se tend autour de thèmes canevas inventés dans l’instant ou avec des intentions télépathiques. Marco Colonna s’affirme depuis plusieurs années comme un des souffleurs à suivre en Italie : avant tout clarinettiste émérite, il s’essaie ici avec bonheur et justesse à faire vriller et tressauter un sax sopranino, ce qui n’est pas donné, même pour un saxophoniste expérimenté. C’est bien le moment de découvrir son talent multiforme. Un vrai régal disponible à la fois en CD chez Setola Di Maiale, le label du fantastique Stefano Giust, l'excellent batteur et en digital via la plateforme de New Ethic Society.

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