7 mai 2022

Marteau Rouge & Haino Keiji / Marco Colonna & Francesco Cigana/ Matthias Bauer Lawrence Casserley Wilbert De Joode Floros Floridis Emilio Gordoa Kalle Kalima Veli Kujala Libero Mureddu Dag Magnus Narvesen Giancarlo Schiaffini Harri Sjöström Sebastiano Tramontana Philipp Wachsmann/ Derek Bailey Tony Coe

Marteau Rouge & Haino Keiji Lundi 13 Juillet 2009 à 21h Jazz à Luz Jean-Marc Foussat – Jean-François Pauvros – Makoto Sato & Haino Keiji FOU Records FR-CD 45.
Digital : https://fou-records.bandcamp.com/album/concert-2009
CD : https://www.fourecords.com/FR-CD45.htm
Enregistrée en concert en l’été 2009, cette prestation de Marteau Rouge, mémorable pour ceux qui étaient présents, méritait amplement d’être publiée par FOU Records, le label de Jean-Marc Foussat. Marteau Rouge est le trio formé par Jean-Marc Foussat (synthé VCS3, voix, jouets), Jean-François Pauvros (guitares électriques, voix) et Makoto Sato (batterie). Cette année-là, Marteau Rouge avait publié un autre CD avec Evan Parker en invité * sur le label In Situ et donc, pourquoi pas se joindre au guitariste psych-noise nippon habillé en noir jusqu’au bout des ongles, Keiji Haino ? Le critique Joël Pagier en avait écrit un compte rendu enthousiaste dans le magazine Improjazz. En écoutant attentivement bien des années plus tard, je peux vous assurer que ses sens en alerte et la puissante impression émotionnelle qu’il avait alors ressentie est extraordinairement confirmée par cet enregistrement d’un seul jet sulfureux de 58’46’’. Pour nous aider à nous frayer dans cette jungle bruitiste et électrocutée incandescente, J-MF a posé des jalons digitaux qui nous permettent de nous introduire directement au début de séquences dont la teneur énergétique et abrasive affirment un sens de l’évolution et du développement sonore perpétuellement renouvelés. L’improvisation noise électrique/ électronique avec, de surcroît, un synthé analogique, deux guitares électriques et une batterie est un genre difficile à manoeuvrer pour la simple raison que les sonorités peuvent s’amalgamer et s’épaissir sans fluidité, se dupliquer sans raison, s’étager sans perspective, le flux demeurer statique comme un bourdon continu de drones, d’éclairs soniques redondants, effets expressionnistes sans dynamique, le silence annihilé, l’écoute lassée. Très heureusement, l’atmosphère montagnarde et l’esprit d’ouverture de Jazz à Luz leur a été propice !! Et comment. Il y a de belles zones tour à tour ludiques, explosives, abrasives, introverties, un brin mélodiques, forces telluriques servant des dessins inconnus, des interpénétrations de timbres en fusion au bord de l’éclatement et qu’on distingue clairement dans ces amas de laves et glaces brûlantes, ces poussières cosmiques incandescentes, devenant des moments de grâce inespérés surgissant par surprise ou s’immisçant par mégarde. Les guitares saturées poussées à l’infini dans ces rhizomes improbables de pédales d’effets et de préamplis éjectent cette vocalité surréelle qui fait songer à celle du concert au Fillmore East le 31 décembre 1969 (Jimi Hendrix – Machine Gun – LP Band of Gypsies), exploit électrique qui a fondé inexorablement cette expression sonore dont ce Concert est une belle démonstration. Et aussi, faut-il le dire, l' enregistrement qualitatif de ces masses sonores et de cette expressivité électrique les rend fluides, palpables, lisibles, nous transmettant cette sensation / perception du vécu dans un espace et un temps donnés. Keiji Haino est crédité à droite du champ auditif de la stéréo et J-F Pauvros, à gauche. Cette dualité agissante est restituée avec un sens de la perspective réaliste. Faisant suite au 33 tours convaincant de Marteau Rouge « un jour se lève » (FOU FR LP 02), brûlot dévastateur s’il en est, ce Marteau Rouge & Keiji Haino atteint un sommet dans le genre déflagration paroxystique avec une multitude de nuances et variations peu prévisibles. Cela devrait trouver un écho certain, autant auprès des amateurs d’improvisation plus sérieuse, voire austère, que des mordus du noise. Au-delà des frontières !!

*Pour ceux qui l’ignorent, Evan Parker est redevable à Jean-Marc Foussat (en qualité de preneur de sons) pour de nombreux enregistrements cruciaux de sa carrière dès le début des années 80 et suivantes (Incus 37 - Pisa 80, Po Torch 10+11 - Detto Fra Di Noi, Leo Records 255 Live aux Instants Chavirés, LR 305 - 2X3 = 5, Potlatch 200 - Dark Rags, Fou Records CD 06 28 rue Dunois Juillet 82, Psi 02.06 at Instants Chavirés et la géniale boîte Topographie Parisienne - FOU CD 34-35-36-37) et il n’est pas le seul !! JMF est devenu au fil des décennies un mémorialiste instantané incontournable – indispensable dans la discographie – fil ténu du vivant de dizaines d’artistes essentiels… (Steve Lacy et Mal Waldron, Derek Bailey,Joëlle Léandre, Paul Lovens etc…). Outre son excellente qualité technique, le travail de documentation de Jean-Marc est une acte militant et non mercantile qu’il offre généreusement et sans relâche.

Shells Marco Colonna & Francesco Cigana New Ethic Society
https://newethicsociety.bandcamp.com/album/shells

Marco Colonna : Clarinettes basse , Mi-b piccolo et Si-b, Francesco Cigana : Batterie, Percussions, Objets. Un excellent album d’une musique improvisée à la fois énergétique, subtile et pleine de détails sonores expressifs : sinuosités microtonales et aériennes des clarinettes du souffleur et trouvailles soniques alliant frappes, grattages et résonances astucieuses du percussionniste. L’inspiration du souffleur et la magnifique fluidité de son jeu vont chercher autant dans la pratique de la musique contemporaine, l’inspiration microtonale et une tendance folklore imaginaire (Psalm). Le percussionniste sollicite une variété de frappes non conventionnelles et d’effets sonores multiples et variés avec autant de sensibilité expressive que de volonté à explorer de nouvelles facettes de leur duo. La finesse sonore du jeu, ses timbres et les affects du jeu de Marco Colonna dans l’évolution réactive de leurs échanges révèle toute l’intelligence musicale et émotionnelle de cet improvisateur, musicien incontournable dans la scène improvisée italienne. Sept compositions – improvisations pour une heure de musique enregistrée dont chacune recèle une identité et un univers sonore propres, clairement distincts des autres. Il en émane des ambiances furibondes ou intimistes, enjouées ou mystérieuses. Form (14’01’’), par exemple, incarne l’art de l’ellipse et de la boucle dans le chef du souffleur avec un choix de notes, d’inflexions et d’extrapolations d’intervalles pour faire un morceau d’anthologie par le contraste de la percussion faussement erratique de Cigana sur ses ustensiles désordonnés. Le lyrisme contenu de Marco Colonna fait corps avec le souffle inspiré et l’obsessionnelle sinuosité de son chalumeau et se maintient sur le fil du rasoir par-dessus les frappes folichonnes et roulements bruissants de son acolyte qui en profite pour asséner un furieux solo plein de dérapages et d’astuces polyrythmiques. Dans Frolica, Colonna souffle des rifs décalés et des bribes mélodiques faussées dans deux clarinettes Mi-b picollo et Si-b à la fois, le batteur commentant – transcrivant l’inspiration de son collègue. Il y a une dimension délicieusement poétique, gestuelle entre ces deux artistes aux affinités profondes. Une écoute mutuelle magnifique, un duo soudé, cohérent et vraiment inventif. Deux musiciens à suivre.

Soundscapes # 3 Munich Festival 2021 Schwere Reiter Matthias Bauer Lawrence Casserley Wilbert De Joode Floros Floridis Emilio Gordoa Kalle Kalima Veli Kujala Libero Mureddu Dag Magnus Narvesen Giancarlo Schiaffini Harri Sjöström Sebastiano Tramontana Philipp Wachsmann Fundacja Sluchaj 2CD
https://sluchaj.bandcamp.com/album/soundscapes-3-festival-munich-2021-schwerereiter
Double CD étonnant documentant une rencontre baptisée adroitement Soundscapes et réunissant quatorze improvisateurs de neuf pays différents jouant d’instruments aussi divers que la contrebasse (Matthias Bauer et Wilbert De Joode), les percussions (Steve Heather, Dag Magnus Narvesen et Emilio Gordoa, celui-ci uniquement vibraphoniste), l’accordéon au quart de ton (Veli Kujala), le piano (Libero Mureddu), le saxophone soprano (Harri Sjöström), les clarinettes (Floros Floridis), la guitare électrique (Kalle Kalima), le trombone (Sebastiano Tramontana et Giancarlo Schiaffini), le violon + électronique (Philipp Wachsmann) et le live signal processing avec ordinateurs (Lawrence Casserley). On sait que la musique improvisée libre et ses praticiens se veut imprévisible en (re)créant des sonorités et des formes nouvelles, voire inouïes en essayant de repousser normes, conventions et certitudes et nombre d’entre eux en font assez souvent une démonstration concluante et parfois irrévocable, comme on peut l’entendre avec surprise ou intérêt tout au long de ces quatorze improvisations collectives, constellations sonores sélectionnées avec soin tout au long des deux soirées du Soundscapes Festival des 1 et 2 octobre 2021 à Munich. Cette démarche créative qui consiste à rassembler des personnalités musicales aux parcours et centre d’intérêts très variés et de différentes générations, certains n’ayant jamais travaillé ensemble, a été explorée intensivement par Derek Bailey au sein de son groupe à géométrie et personnel variables, Company. De nombreuses éditions et tournées Britanniques de Company donnaient l’occasion aux musiciens de poursuivre leurs échanges interactifs durant plusieurs jours consécutifs, souvent durant une semaine complète. Certaines sessions évoluaient dans une éclatement esthétique quasi généralisé alors que d’autres se concentraient avec une évidente fascination télépathique dans une expression focalisée sur un dénominateur commun sonore tellement précis et unique en son genre que cela paraissait surréel (cfr le génial album double Epiphany, Epiphanies du Company 1983). Dans cet ordre d’idées, je dois dire que ces Soundscapes # 3 réunis pour deux soirées par Harri Sjöström me font l’effet d’une belle réussite – mise en abîme combinant les convictions individuelles de chacun, lesquelles peuvent se révéler, divergentes et des aléas inhérents à ces rencontres improbables, mais surmontés ici par une intransigeante volonté de dialogue, d’inventivité et de recherches sonores. On y trouve deux Tutti atmosphériques ouvrant et fermant l‘ordre des morceaux du double CD : les Soundscapes proprement dites, Opening Night Tutti Orchestra (CD 1, 1/ 15 :36) et Silence To Sound Tutti Orchestra (CD2, 7/ 10 :44). Une coexistence d’intentions, de fragments, d’interférences et de synergies du plus bel effet, instable mais cohérent. Et bien sûr une croustillante brochette de quatre duos, deux trios, cinq quartets, deux quintets enlevés avec une belle diversité dans les assemblages instrumentaux, les couleurs et les inspirations magnifiées d’une écoute mutuelle hors norme quelques soient les instruments individuels et l’orientation de chacun des groupes. Les titres tous intitulés « The Player is #1 » , #2 etc… jusque #12 Le point fort de la grande majorité de ces improvisations se concentre dans l’aspect émotionnel allant de pair avec la création de dialogues subtils, en mettant de côté une virtuosité excessive ou un trop plein d’informations sonores et de bouillonnements superflus. Dosage, précision et fantaisie sont les maîtres – mots. Parmi les duos, tous remarquables, on notera tout spécialement celui du tromboniste Sebastiano Tramontana et du violoniste Phil Wachsmann, un véritable bijou sensuel et d’une grande finesse où la démarche conceptuelle radicale de l’un s’unit aux vocalisations joyeuses et les glissandi bourdonnants et expressifs de l’instrument à coulisse. Autre moment de grâce en duo : Harri Sjöström au sax sopranino avec l’accordéon au quart de ton de Veli Kujala. Les vents et vibrations de l’air soufflé s’incurvent, s’étirent comme par magie. On songe à un songe de Lol Coxhill… Un curieux assemblage des percussionnistes (Gordoa, Heather, Narvesen) avec le signal processing de Lawrence Casserley se mue en ovni sonore fait de bruissements, vibrations, cliquetis, résonnances, sons de l’au-delà, murmures, légères stridences, souffles électriques, métamorphoses soniques dont il est impossible de deviner la source instrumentale. Cet agrégat de sonorités et de techniques percussives s’intensifie ou se réduit, permettant à Casserley d’insérer ses trouvailles sonores nourries des sons de ses trois collègues. Les quatre intervenants s’intègrent spontanément dans un univers sonore vraiment intéressant… Autre quartet attentif et curieux dans une magnifique interaction multidimensionnelle : Gordoa – De Joode – Schiaffini – Wachsmann …. Et ce délicieux dialogue de Giancarlo Schiaffini au trombone et Floros Floridis à la clarinette. Et l’intensité dans la recherche sonore se renforce dans le CD2 … Pour résumer, un magnifique portfolio d’échanges subtils – kaléidoscope tendu vers l’infini des possibilités sonores mouvantes et colorées créé en toute spontanéité.
Last word : This Soundscapes #3 double album is one great summary to where the free improvised music with an open mindset and creative mapping could go : an incredible kaleidoscopic journey through movements, interactions, colours , human mutual listening .... of dedicated collective improvisers concerned firstly about the overall significance of sharing the music with no individual agenda but pure commitment to sounds and musical meanings ....!!

Time Derek Bailey Tony Coe Incus – Honest Jon’s 2LP HJRLP 208
https://honestjonsrecords.bandcamp.com/album/time
Dans le flux incessant de rééditions d’albums de free-jazz et de musiques improvisées tous azimuts, une initiative de haute qualité éditoriale reprend (et étend) une bonne partie du catalogue Incus, le label historique de Derek Bailey et Evan Parker. Vinyles, pochettes, gravures, mixages soignés et améliorés : Honest Jon’s n’a rien laissé au hasard ! L’extraordinaire duo du guitariste Derek Bailey et du clarinettiste Tony Coe, Time, enregistré les 23 et 24 avril 1979, défaisait l’idée même de musique non idiomatique, tant leurs improvisations faisaient songer à la musique japonaise ( koto – shamisen – flûtes). Cette impression était alors renforcée par les titres des morceaux (Kuru, Sugu, Itsu, Koko, Ima, … Chiku, Taku, Toki…). Une deuxième session enregistrée les 4 avril et 14 mai 1979 par la BBC est proposée dans le deuxième LP et celle-ci nous offre ce à quoi nous nous serions attendu en connaissance de cause. Musique optimale. Improvisation « de chambre » acoustique. Improvisateur jusqu’au bout des ongles, Derek Bailey a toujours tenté de partager sa pratique de l’improvisation avec des personnalités musicales très différentes en parvenant mystérieusement à tirer parti de ses extraordinaires capacités imaginatives et techniques et en les suscitant dans le chef de ses partenaires. Un fort goût d’alcool nous vient à la bouche de manière allusive : les titres, Burgundy, Bourbon, Du Maine, Chartres, Lafitte, South Rampart, Basin. Allez comprendre ! Un double album exceptionnel parmi les nombreux trésors baileyiens. Signalons les rééditions d’Aïda avec un vinyle bonus, du légendaire Music Improvisation Company, du plus étonnant album de Company, Epiphany, Epiphanies en 3 doubles LP dont un contenant des inédits, des duos Bennink Bailey « Performances at Verity’s Place », Honsinger Bailey « Duo », Cyro Batista – Bailey (avec un LP Bonus) etc… LP's ou CD's Incus remastérisés à Abbey Road studio. Prix raisonnable et des surprises de taille !!

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