19 novembre 2022

Sergio Armaroli Veli Kujala Harri Sjöström Giancarlo Schiaffini / Danny Kamins Vinny Golia Garrett Wingfield/ Jürg Solothurmann & Josep Maria Balanyà/ Udo Schindler & Michel Wintsch

Sergio Armaroli Veli Kujala Harri Sjöström Giancarlo Schiaffini Windows & Mirrors Milano DialoguesLeo Records CR LR 931.
https://harrisjostrom.bandcamp.com/album/windows-mirrors

Sergio Armaroli est un excellent vibraphoniste italien découvert auprès de musiciens essentiels tels que les percussionnistes Andrea Centazzo, Roger Turner et Fritz Hauser, le saxophoniste finlandais Harri Sjöström et le tromboniste Giancarlo Schiaffini. Voici que s’ajoute à cette liste un compatriote de Sjöström, l’accordéoniste Veli Kujala qui avait participé à l’enregistrement des superbes Soundscapes Festival #3 réunies dans un double CD Fundacja Sluchaj avec un aéropage impressionnant (Sjöström, leur instigateur, Phil Wachsmann, Giancarlo Schiaffini, Sebi Tramontana, Floros Floridis Lawrence Casserley, Emilio Gordoa, Matthias Bauer, Wilbert de Joode, Matthias Bauer, Dag Magnus Narvesen, Kalle Kalima…) que je me suis fait le plaisir de chroniquer ici, il y a quelques mois. Partie remise dans un quartette de chambre aérien et éthéré avec trois des précités. Harri Sjöström a fait l’extraordinaire expérience de jouer régulièrement avec Cecil Taylor et travaille depuis des décennies avec Paul Lovens et Phil Wachsmann. Veli Kujala est un prodige de l’accordéon et Giancarlo Schiaffini est un pionnier de l’improvisation libre au trombone depuis les sixties au même titre que Paul Rutherford. Le travail de ce quartet atypique (sax soprano ou sopranino, trombone, vibraphone et accordéon) se focalise sur une musicalité distinguée, raffinée, chaque musicien se situant dans une position égalitaire dans le champ auditif. Rien de tel pour stimuler l’écoute mutuelle en partageant les rôles, les interventions et les initiatives dans une démarche d’équilibres instables et mouvants lors de dix improvisations intitulées Windows #1 jusque #5 et Mirrors #1 à #5. Ici le verre, matière translucide, accède à la lumière extérieure ou reflète votre image … ou votre action musicale. Une dimension mélodique free s’ébauche dans les articulations obliques et légèrement vocalisées du souffleur au sax soprano ou sopranino contrebalancées par les effets de coulisse, lèvres et sourdines de Giancarlo Schiaffini au trombone. Une dimension harmonique éthérée s’insère adroitement entre les souffles conjoints ou centrifuges, la face percussive et cristalline du vibraphone et celle venteuse et mystérieuse de l’accordéon. Les jeux respectifs de Veli Kujala et Sergio Armaroli se complètent étrangement de manière inattendue. Le son du vibraphone peut presque s’éteindre au bord du silence lorsque le timbre du trombone s’étire dans de longues notes soutenues discrètement dans le grave (Windows #2). La déambulation presque chaotique de Windows #3 s’appuie sur de vifs accents partagés entre l’articulation en soubresauts du sax soprano et les virevoltes subtiles du vibraphone, l’accordéon soufflant des contrepoints sinueux par intermittence. L’intérêt profond de la démarche collective de ce quartet d’exception tient dans une succession très habile d’univers différents d’une pièce à l’autre, chacune ayant ses caractéristiques propres comme s’il s’agissait de compositions aux éléments structurels et semi- formels bien définis. L'auditeur les reconnaît immédiatement lorsqu’il zappe d’un morceau à l’autre ou lorsque notre écoute s’estompe pour se ressaisir durant le morceau suivant. Une application ludique des principes issus du Pierrot Lunaire de Schönberg en roue libre. La sonorité de Sjöström est exquise, charnelle et éthérée et fait écho au timbre caractéristique vocalisé, aux glissandi et froncements du pavillon de Schiaffini, sans nul doute une des paires saxophone – trombone les plus mémorables depuis l’époque lointaine Lacy – Rudd des Schooldays. Leurs interactions conjointes, parallèles ou frontales avec l’accordéon mystérieux de Kujala et le vibraphone d’Armaroli , tout en légèreté, sont simplement providentielles et défient les lois de la pesanteur et de la géométrie dans l’espace. Comme quoi l’improvisation est à la base de la création de formes musicales qu’on croirait composées et partiellement préméditées. Laissons la réponse à cette suggestion en suspens, la musique parle pour elle-même. Tout l'intérêt de leurs superbes intervenstions individuelles réside dans leur agencement dans l'espace et le temps. C’est véritablement du grand art et on songe parfois aux mobiles de Calder.

The Ojai Sessions Danny Kamins Vinny Golia Garrett Wingfield
https://dannykaminsvinnygoliagarrettwingfield.bandcamp.com/album/the-ojai-sessions
Danny Kamins Alto & Baritone saxophones Vinny Golia Sopranino Soprano & Baritone saxophones Garrett Wingfield Alto Tenor & Baritone saxophones
Trio de saxophones à la gloire du sax baryton ! En effet, les trois souffleurs se partagent la gamme des saxophones de l’aigu au grave : Vinny Golia s’attribue le soprano et le sopranino, Danny Kamins, l’alto, Garrett Wingfield le ténor et l’alto et tous trois font allégeance au saxophone baryton. Une belle volière de souffles, de pépiements, de morsures free, de spirales intenses, d’articulations fragmentées, de soupirs délicats, de battements d’anche, de quintoiements, de longues notes tenues en suspension, de grondements impétueux…. Avec tous ces matériaux diversifiés et techniques inspirées, se construit patiemment une belle variété de formes collectives et instantanées et un réseau de connivences durant sept improvisations. Un très bel ouvrage qui dépasse les qualités intrinsèques des trois solides souffleurs pour atteindre une dimension ludique et auditive mutuelle optimale comme si des rêves inachevés s’interpénètrent les uns aux autres pour créer des narratifs imaginaires fait de sons, de bruissements, de mélodies fugaces, de canons et de staccatos rageurs. Pour notre plus grand plaisir, le trio s’essaye à faire coïncider différentes approches d’effets de souffles simultanément (Part IV), créant ainsi une vision kaléidoscopique de sonorités. Notes tenues, ostinati, growls, stridences, échelles de notes élégiaques ou en staccato, parties disjointes ou conjointes, structures mobiles, spirales, boucles : en sélectionnant un élément parmi ces matériaux formels chacun des saxophonistes tient un rôle défini un court moment pour l’échanger ensuite dans un infini chassé-croisé, jeu de passe-passe tourneboulant où les variations importantes de dynamique jouent un rôle majeur dans l’étendue des registres de timbre, fréquences et sonorités. Y aurait-il un plan préconçu pour ces pièces qui s’emboîtent à merveille ? Leurs flux semblent couler naturellement comme l’eau d’une source, jaillir comme un torrent ou s’écouler où bon lui semble. En utilisant des micro-structures bien définies au départ et dont les agencements et corrélations sont ouvertes, les trois souffleurs créent un univers sonore fantasmagorique et finissent par faire éclater et saturer les colonnes d’air (Part VII). Pour en saisir toute la finesse, Il faut bien se repasser ces sept merveilles plusieurs fois d’affilée et je m’y applique avec beaucoup de plaisir. Une réussite en tous points remarquable et somme toute, vraiment rare.

Pour finir , deux duos piano – saxophone.

Natural Born Inventions Jürg Solothurmann & Josep Maria Balanyà Creative Works CW 1065.
https://www.creativeworks.ch/home/cd-shop/cw1065ccd/

Duo d’improvisation entre le saxophoniste suisse Jürg Solothurmann et le pianiste catalan Josep-Maria Balanyà. Neuf morceaux bien calibrés étalent avantageusement les capacités musicales des deux improvisateurs principalement en duo, deux d’entre eux étant dévolu à un solo de chacun. Si leur musique appartient à la lingua franca de la free music, on trouve ici de quoi largement étancher notre soif d’écoute et de plaisir à plusieurs niveaux. La musicalité et l’inspiration est au rendez-vous. Josep-Maria Balanyà est un excellent pianiste qui a digéré toute cette musique vingtiémiste et la pratique contemporaine et jazzique du grand piano dans plusieurs acceptions et « écoles » et de cette expérience, il crée sa musique avec une vraie cohérence et une richesse inspirée. Bref, en suivant ces doigts défiler sur les touches blanches et noires ou parfois plonger dans la table d’harmonie, l’auditeur n’a pas le temps de s’ennuyer. Son jeu foisonnant plein d’idées fournit une nourriture sonore et spirituelle à son camarade, souffleur inspiré et subtil et mélodiste inné qui apprécie autant un timbre soyeux que les vrilles énergiques du free-jazz. Une fois qu’on a identifié le territoire des deux musiciens et leurs belles capacités de dialogue instantané, s’impose le contenu profond de leur musique et une mise en commun d’idées, de formes, d’approches, de timbres, de sons (et même de sons vocaux !) qu’ils associent de manière stimulante, intelligemment contrastée dans des échanges ludiques et des « questions – réponses » en forme de cadavres exquis. Ou aussi les vagues de notes du pianiste et les spirales du saxophoniste dans Face to Face qui aboutissent à un joyeux thème final. Suit immédiatement ce From Above minimaliste où le silence est au départ l’élément déterminant avec quelques aigus murmurés par le souffleur et des notes perlées et savamment différenciées par J-M B ouvrant ainsi une autre approche sonore enrichissant le panorama de leurs échanges. Chaque morceau apporte un éclairage nouveau, une atmosphère différente, une part de mystère dévoilé avec patience et minutie. Comme s’ils avaient gardé et entretenu les espoirs utopistes d’une « nouvelle musique » qui avait enflammé leur jeunesse. On entend ici toute la vitalité de la free-music d’antan à l’état neuf par deux artistes qui essayent de donner le meilleur d’eux-mêmes en multipliant les meilleures facettes de leurs recherches musicales et en les associant adroitement avec celles de son camarade, vice et versa.

Udo Schindler & Michel Wintsch le démon de l’analogie FMRCD630-0422
https://arch-musik.de/project/udo-schindler-michel-wintsch-le-demon-de-lanalogie/

Duo improvisé entre l’excellent pianiste suisse Michel Wintsch et le souffleur allemand Udo Schindler aux clarinettes et saxophones enregistré le 30 septembre 2016 au 67ème Salon für Klang+Kunst à Krailing/ Munich. C’est sans doute le onzième album d’Udo Schindler pour le label FMR et sûrement un des plus convaincants et inspirés. Sa dédicace aux mots de Stéphane Mallarmé sont à la base des 8 titres de cette série d’improvisations lucides et concentrées. Il y a trois flagrantes fautes d’orthographe dans ces textes en français. Mais à l’intention des deux artistes et des lecteurs, voici la première phrase du poème de Mallarmé : « le Démon de l’Analogie » (1/ 6 :13) Des paroles (2/ 9:16) inconnues (3/ 2:22 ) chantèrent-elles (4/ 5 :07), sur vos lèvres (5/ 2:15) lambeaux maudits (6/ 6 :30) d’une phrase (7/ 8:27) absurde ? (8/ 1 :53). On retrouve dans ce duo la simplicité allusive et symboliste du poète. Michel Wintsch n’est pas un nouveau venu et a un solide parcours avec Gerry Hemingway et le contrebassiste Banz Oester (trio WHO) et avec Christian Weber et Christian Wolfath (trio WWW) trios avec lesquels il a gravé pour Leo Records, Hatology et Monotype de superbes albums de jazz d’avant-garde inspiré par la pratique du classique contemporain. Un pianiste de haut vol. Dans cet album très achevé s’établit un beau contraste entre son jeu pianistique virtuose un peu cérébral et le goût pour les sonorités free mordantes et l’action ludique. Cette dualité assumée dans le vécu individuel de l’improvisation et des échanges émotionnels confèrent à la rencontre tout son sel, sa dimension humaine. Udo Schindler se débat avec sa colonne d’air, les clés et l’embouchure pour exprimer l’essentiel d’un ressenti dans sa profondeur en recherchant des vibrations particulières du jeu du saxophone : growls, chuintages, saturations, expressionisme. La courte pièce finale "absurde" nous le fait entendre à la clarinette basse, instrument que j’avais beaucoup apprécié dans son superbe duo (de clarinettes basses) avec Ove Volquartz : Tales About Exploding Trees and Other Absurdities / FMRCD598-0920. Depuis quelques années Udo Schindler multiplie les enregistrements avec un grand nombre d’improvisateurs de manière exponantielle. Tout comme le CD précité en compagnie de Volquartz, voici un opus qu’ il ne faut pas hésiter à écouter.

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