10 novembre 2022

Toshinori Kondo & Henry Kaiser with Greg Goodman and John Oswald / Stefania Ladisa Marcello Giannandrea & Marcello Magliocchi/Lori Freedman & Scott Thompson / Don Malfon Florian Stoffner Vasco Trilla /

Renzoku Jump Toshinori Kondo Henry Kaiser Greg Goodman John Oswald
Henry Kaiser remembers Toshinori Kondo (1948 – 2022)

https://henrykaiser.bandcamp.com/album/renzoku-jump-henry-kaiser-remembers-toshinori-kondo-1948-2020

Alléchante constellation d’improvisateurs de choc révélés vers 1978 – 1980 dans le sillage de John Zorn, Eugene Chadbourne et Andrea Centazzo, mais aussi Evan Parker, Derek Bailey, Paul Lovens ou Roger Turner. Et cela en hommage au trompettiste disparu, Toshinori Kondo, celui qui fut le trompettiste le plus flamboyant et le plus spectaculaire de la scène improvisée libre au début des années 80. Il suffit d’écouter de vieux vinyles comme The Last Supper, le génial duo avec Paul Lovens (Po Torch PTR JWD 9) et Moose and Salmon (avec le guitariste Henry Kaiser et le saxophoniste John Oswald en 1980), ou encore « Protocol » (Metalanguage 102 - 1978) dont la face consacrée au duo Kaiser Kondo est partiellement reproduite ici en 2/,3/ et 4/. D’un point de vue improvisation libre, on tique un peu avec le long duo de Kaiser et Kondo qui s’étend au long des 17 minutes Light in the Shade avec force effets sonores électroniques , fort bien faits (hyper – pro), créant un décor sonore raffiné un brin new – age qui se laisse écouter et correspond à une autre facette de ces deux musiciens. Passé ce prélude, on a droit à la genèse de la collaboration entre le trompettiste nippon fou , spécialiste en arts martiaux, et le guitariste insaisissable as de la plongée sous-marine et fan notoire du Grateful Dead. Ces trois perles d’un autre temps, sont à classer au même rayon que le légendaire duo Evan – Derek intitulé the London Concert (Incus 16 , la plaque 4x4 au carré de l’impro libre) pour sa folie ludique et son insolence. Trois miniatures sauvages enfin rééditées à ne pas rater, même si trop brèves (1 :32, 02 :39, 4 :16), excellents comprimés contre la dépression post-free régurgitée et dég….
Suit un Live in San José de 25 :23 où le trompettiste s’essaie à son lyrisme lunatique et ses scories sonores (aïe les lèvres) face aux effets électro-acoustiques du guitariste et claviériste Greg Goodman, le même qui enregistra Abracadabra en duo avec Evan Parker (Metalanguage – The Beak Doctor). Enregistré en 1980, ce Live offre une perspective affolante du trompettiste physiquement le plus audacieux du monde. Exposer ses lèvres à ce point relève presque du masochisme, tant la pression et les risques physiques sont réels. Mais écoutez cela , vous allez être tétanisés, surtout si vous avez tâté un tant soit peu une embouchure. Démentiel ! Pour se souvenir de Toshinori Kondo, c’est tout à fait providentiel et on bénéficie des inventions de ses deux acolytes. Ensuite le trio Kondo, Kaiser avec le saxophoniste John Oswald rééditant les merveilles de Moose and Salmon de l’année précédente (LP de 1978 sur Music Gallery Editions) sous le titre Salmon Plus Moose in Toronto, extrait de concert de 14 :54 enregistré en 1979. Pour finir un duo récent la paire Kaiser-Kondo enregistré en 2020 où on réalise que les deux improvisateurs n’ont pas perdu le cap et leurs moyens sonores, avec autant de finesse et de subtilités que de rage froide radicale. Quel trompettiste incroyable avec ses vocalisations excessivement délirantes face au profil cool du savant fou de la guitare aux inombrables pédales d'effets ! À recommander donc, non seulement pour l’extraordinaire Toshinori Kondo, mais aussi pour le travail électro-acoustique novateur d’Henry Kaiser à la six cordes et les interventions uniques de Goodman et d’Oswald.

SE Stefania Ladisa Marcello Giannandrea & Marcello Magliocchi Plus Timbre
https://plustimbre.bandcamp.com/album/se
Un trio atypique multi-générationnel ! Stefania Ladisa au violon, Marcello Giannandrea au basson et le vétéran Marcello Magliocchiaux percussions. Tous les trois de la région de Bari dans les Pouilles. D’abord, il faut dire que les graves sinueux du basson et ses aigus glissants intrigants questionnent tout de suite. La violoniste strie le décor avec son archet grinçant, folichon , affolant ou subreptice alors que le batteur secoue l’ordonnancement en chahutant relativement discrètement les peaux et accessoires et diversifiant obsessionnellement frappes, chocs, touchers, rebonds, roulements dans la veine « post Bennink » qui fait songer aux Lovens, Lytton et Turner des temps heureux de l’impro libre radicale et qui se distingue du courant free des batteurs assez conventionnels qui se libèrent du tempo sans remettre en question l’approche sonore et le matériau physique en le grattant, le frottant, faisant résonner le métal sur les peaux ou frottant celui-ci avec un archet. Plus free que free, Marcello est un orfèvre en la matière. Dans le jeu de Marcello il y a une dimension faussement aléatoire « chaotique » bruitiste et un sens de l’espace, celle-ci donne une perspective orchestrale inédite aux inventions soniques délirantes de l’autre Marcello (Giannandrea) : vagissements, bourdonnements, bougonnements, aigus gauchis autour desquels la violoniste crée un contrepoint sauvage et presque sadique, torturant les textures de son violon « bien élevé » rendu à l’état de nature, la stridence d’un ébéniste. Et comme ils parviennent habilement à varier les plaisirs, les approches et les agrégats de sons dans l’instant et le flux ludique durant quatre longues ou moins longues improvisations, on n’a pas le temps de s’ennuyer avec ces deux flibustiers du conservatoire et ce percussionniste qui joue au chat et à la souris avec ses caisses et cymbales, éclaircies, assourdies, raclées, piquetées etc… Vraiment réjouissant et même fantastique.

Lori Freedman & Scott Thompson Amber Clean Feed CF606 CD
http://lorifreedman.com/fr/album/6444/amber/amber
http://lorifreedman.com http://www.scottthomson.ca/trombone/

Duo clarinettes (Bb & bass – Lori Freedman) et trombone (Scott Thompson) enregistré le 3 juin 2021 à Montréal et engagé dans l’improvisation collective. Reconnue dans la scène internationale, Lori Freedman excelle dans l’interprétation d’œuvres contemporaines (Brian Ferneyhough ou Richard Barrett) et a sillonné les festivals et les salles de concerts avec Queen Mab, un trio avec la violonist Ig Henneman et la pianiste Marylin Lerner. Le tromboniste Scott Thompson doit à son mentor Roswell Rudd un amour inconsidéré pour le trombone révérant l’inventivité et la liberté intérieure de feu Paul Rutherford. Il a enregistré un superbe trio en compagnie de Roger Turner et du guitariste Arthur Bull, Monicker (Ambiances Magnétiques. Les deux musiciens partagent leur excellent duo en confrontant leurs deux expériences individuelles et leur imagination. Je dois dire que leur empathie et la sensibilité interactive tient compte de leurs différences et leurs appétits respectifs pour établir un dialogue intéressant entre toutes leurs idées de jeu, le flux spontané et contrasté de leurs trouvailles. Entre eux , se développent au fil de sept improvisations aux titres alambiqués (Sesquiterpenoids, Glessite, Cadinene, Zanzibaric etc...), une recherche de l’improbable, de l’invention subtile. Lori Freedman tire de sa clarinette Bb, des sons pointus, sussurés du bout des lèvres, dents serrées avec une précaution d’où est quasi bannie l’expressionnisme, sauf quand son articulation s’enflamme (un peu) comme dans Zanzibaric. Elle se concentre sur des harmoniques suraigües, des sifflements contrôlés, des multiphoniques éteintes ou des vocalisations d’une manière modeste sans jamais en faire trop tant elle est concentrée sur le sens profond des choses, cachant sa virtuosité naturelle. À la clarinette basse, elle sculpte méthodiquement growls et harmoniques, révélant le côté obscur de la mécanique de l’instrument et de sa colonne d’air. Avec un partenaire comme Scott Thompson on a droit à la panoplie des sons curieux du trombone, instrument auquel sourdines, vocalisations et effets de souffle explosent littéralement la logique pour en faire une machine à sons d’où n’est pas exclue une forme intelligente de lyrisme détaché et sinueux entre les intervalles « corrects » des gammes empilées et recroisées à l’envi. Complexe, joyeux et désenchanté à la fois, il s’évertue à maintenir un port de voix aussi longtemps que possible jusqu’à ce qu’il se laisse aller dans une gestuelle dégingandée ou une désarticulation fébrile de notes éclatées (Highgate Copalite). On songe à notre cher tromboniste Paul Rutherford, disparu il y a quelques années, ou à mon ami Paul Hubweber. On peut donc suivre leurs échanges avec intérêts, une passion certaine, même si il y a quelque chose de cérébral dans leur démarche. De toute manière, si vous n’avez jamais beaucoup écouté de l’impro libre « classe », vous allez être servi.

A Tiny Bell and His Restless Friends Don Malfon Florian Stoffner Vasco Trilla Spontaneous Music Tribune Series
https://multikultiproject.bandcamp.com/album/a-tiny-bell-and-its-restless-friends

Dès les premiers sons de la guitare électrique de Florian Stoffner, on songe immédiatement au Derek Bailey « arrivé à maturité » au début des années 70 et « première manière », celui qui explorait systématiquement toutes les possibilités sonores résonnantes sur la mécanique de l’instrument (harmoniques, effets de pédale de volume, un doigt sur les cordes derrière le chevalet, étouffements, glissandi curieux, stridences, etc…) en veillant à éviter l’effet constant de « drone » (dixit Derek) et à constamment transformer son discours. Don Malfon sollicite les articulations forcenées et des vocalisations mordantes ou glissantes de l’anche et de la colonne d’air de son saxophone. Quant à Vasco Trilla, le « free-drumming » cher aux Turner et Lovens est pour lui une seconde nature avec un sens du bruissement et de la dynamique atavique. Celle qui crée un espace immense à ses collègues tout en s’insérant dans leurs vibrations sonores, certaines inouïes, avec ses ustensiles vibrant et crépitant sur les peaux et dont il est complètement obsédé. Peut-être que ces trois musiciens ne sont pas des génies et qu’ils marchent dans les traces de leurs aînés d’il y a un demi-siècle. Mais on ne va pas s’en plaindre, car la communication et l’invention partagée est ici au zénith, exploitant des trouvailles pour faire bruisser, bourdonner et intriguer toutes les ressources sonores quasi -infinies de leurs instruments respectifs donnant l’impression qu’on n’entend pas cela tous les jours. Ce qui importe ici, c’est une intrication symbiotique du disparate, du sensible, des inventions sonores qui s’interpénètrent au point que nos sens les perçoivent comme une machine merveilleuse, une mise en commun utopique. Congruences apparemment aléatoires, mais en fait nées d’une volonté et d’une écoute mutuelle inébranlables. Ils tentent d’allonger la sauce en renouvelant les ingrédients au fil des neuf improvisations enregistrées en studio à Barcelone et ils y parviennent assez bien, tâche ardue lorsqu’il s’agit d’une première rencontre. Cela les mène à se métamorphoser complètement en nous perdant dans les limbes d’un rêve à demi-éveillé. Qui joue quoi ?? L’improvisation libre ne finit pas de nous réveiller dans un autre monde, à une autre vie et les moyens interactifs que Don Malfon, Florian Stoffner et Vasco Trilla actionnent presqu’inconsciemment, imaginativement ne peuvent être appris, appréhendés qu’après un apprentissage intime, personnel, hors de tout champ scolaire ou académique. Des improvisateurs authentiques.

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