9 septembre 2023

AIR : URS LEIMGRUBER Duos w. Gerry Hemingway , Hans Peter Pfammater, Jacques Demierre & Thomas Lehn/ Udo Schindler Gunnar Geisse Sebastian Gramss/ Walter Prati

AIR URS LEIMGRUBER Duos with Gerry Hemingway, Hans Peter Pfammater, Jacques Demierre, Thomas Lehn Vol.1 Creative Works Records (CHF 59,95 + frais d’envoi).
https://www.creativeworks.ch/home/cd-shop/cw1070ccd/#cc-m-product-14750268532

Note incluse résumant la présentation de ce quadruple album sur le site du label : AIR The Space in Lucerne is the working space of saxophonist Urs Leimgruber and sometimes, on occasion, also a space for concerts and for recording. A space where the acoustics have been professionally calibrated to the finest degree, ensuring that even the smallest sound can be heard, the sound that is barely a sound anymore but is still there.

Fort heureusement, Creative Works Records, un label helvétique créé il y a bien des lustres, publie ce rare AIR Vol.1 du saxophoniste Urs Leimgruber en duo avec , respectivement, le percussionniste Gerry Hemingway, le piano préparé de Hans Peter Pfammater, l’épinette amplifiée de Jacques Demierre et le synthé analogue de Thomas Lehn dans une somme de quatre compacts. Un par partenaire, et rassemblés dans un coffret blanc 001 en carton dépliant aussi classe que le coffret 5 CD de Trevor Watts pour Fundacja Sluchaj dans un tout autre registre.
Le pianiste Jacques Demierre est un des improvisateurs les plus proches d’Urs, les deux artistes ayant travaillé très souvent ensemble et enregistré plusieurs albums avec le contrebassiste Barre Phillips, ainsi que dans un duo récent où Demierre joue de l’épinette amplifiée (It Forgets about the snow même label). Thomas Lehn figurait dans un enregistrement de ce trio augmenté en quartet à Willisau. Gerry Hemingway est aujourd’hui un résident suisse et s’adonne de plus en plus à la libre improvisation. J’ai retracé le nom de Norbert Pfammatter dans un duo avec le saxophoniste Bertrand Denzler,mais j’ignorais jusqu’à présent l’existence de Hans Peter Pfammatter comme pianiste et sa performance au piano préparé avec Urs Leimgruber m’a convaincu.
Urs Leimgruber est un improvisateur spécialiste du saxophone soprano dans les sphères de l’improvisation radicale doué d’une grande virtuosité qui s’efforce de faire du sens avec une superbe précision sans vous abreuver avec une avalanche de notes. Sa musique peut être déchirante, détaillée, ultra-sensible, extrême et parfois mélodique. Il aime à décortiquer les sonorités « alternatives », explorer les harmoniques, les infra-sons, les bruissements ou murmures tout comme se lancer subitement dans des giclées expressionnistes, des spirales désarticulées et l’expression acide du cri primal. Bien qu’il a joué intensément avec Barre Phillips et côtoyé Joëlle Léandre, Urs ne court pas après le pedigree, mais privilégie les collaborations avec des camarades avec qui il entretient des affinités profondes : Roger Turner, Jacques Demierre, Thomas Lehn ou ce pianiste allemand de Dresde méconnu, Oliver Schwerdt.
Chacun de ces duos est une belle perle et le saxophoniste donne ici le meilleur de lui – même avec la plus profonde authenticité. Si vous n’avez pas encore prêté l’oreille à un de ses disques, vous pouvez vous fier à ce coffret « AIR Vol.1 » , surtout si vous êtes déjà un inconditionnel de Steve Lacy (ses albums solos et duos improvisés), d’Evan Parker (Saxophone solos 1975) ou de Lol Coxhill. Urs Leimgruber - et Michel Doneda- c’est vraiment la quintessence du sax soprano « d’avant-garde ». J’ajouterai aussi les noms d’Harri Sjöström, de Gianni Mimmo et Gianni Gebbia.
Pour ceux qui connaissent Gerry Hemingway par l’intermédiaire des enregistrements d’Anthony Braxton, de Marylin Crispell ou avec Ray Anderson et ses propres groupes, leur duo sera une belle surprise. Tout comme Steve Lacy, Urs Leimgruber cultive le registre ultra aigu du sax soprano bien au-delà de sa tessiture normale, et il entrouve certaines clés intermédiaires pour obtenir des « fausses notes », des harmoniques sifflantes et infimes et des timbres bigarrés. Dans le premier morceau, après « avoir détonné » de merveilleuse manière il évoque brièvement Coltrane et le son de son soprano en relevant des fragments d’un de ces chevaux de bataille lorsque Gerry s’emballe pour un rythme endiablé. Plus loin c’est l’ascèse, le silence qui fait partie de sa (leur) musique. Deuxième improvisation, on plonge dans la micro-improvisation, la percussion frottée hasardeusement par les balais et le sax cherchant grognements assourdis et sonorités millimétrées au bord du silence. C’est la sculpture de l’air, l’ébauche d’un geste, des esquisses à peine visibles, des suggestions timbrales pour lesquelles il faut tendre l’oreille. Le troisième nettement plus long fait onze minutes et débute comme un fantôme introverti à la recherche du sifflement perdu, le percussionniste se faisant ultra minimaliste en faisant à peine vibrer ses cymbales alors que l’anche distille un filet de souffle hyper aigu. Oscillations des fines harmoniques du sax et des glissandi sur les cymbales frottées à l’archet. On se situe plus dans la poésie sonore ou dans une cérémonie initiatrice dans une tribu imaginaire. Les volutes naissantes apparues au mitant des discrètes harmoniques se muent alors dans des antiennes de notes mordantes répétées et de roulements décalés et accélérés de la batterie. Le souffleur fait se contorsionner sa sonorité et l’articulation sauvage – morsures du bec, quintoiements saturés – spirales en escalier entre les intervalles. Cette musique libre et spontanée s’efforce de créer un narratif, nous entraîner dans une démarche, une course à travers les bois ou une dans sur la grève endormie. Le quatrième laisse l’initiative à la batterie chercheuse, le saxophoniste jouant des clapets. Bref, à mes oreilles ce CD1 avec Hemingway respire l’improvisation instantanée avec le plaisir ludique et la recherche pointue et insouciante.
Une autre et bien différente perspective initie les échanges entre le souffleur et le pianiste Hans Peter Pfammatter dans le CD2. La lente alternance de notes touchées au clavier sur des cordes préparées d’objets et résonnantes inspire des sonorités tenues extrêmes et fines, calcinées, harmoniques pointues ou cris cornés (1- 6 :58). L’expressivité du souffle brûlant est aussi zen que déchirante (2-9:12) survolant les battements de gamelan imaginaire avec des cordes du piano préparé et des doigtés insistants sur les notes « normales ». Le pianiste crée des canevas dynamiques et flottants dans les 6 improvisations de leur duo, le saxophoniste explorant sauvagement les timbres extirpant des sons hallucinés qui échappent à l’idée de style, de démarche « logique », de gammes complexes ou d’harmonies savantes issues de la musique sérielle ou polymodale et nous plongent dans le vécu émotionnel de l’expérience sonore et ludique subjective. Un amour de la pâte sonore (3 – 9 :10) et la folie de tous les étirements physiquement possibles par la grâce d’une technique fort peu commune. Avec un tel abattage aussi profond - sincère que dévastateur, on évitera toute comparaison (Evan Parker, Steve Lacy, John Butcher, Lol Coxhill). Comme Michel Doneda, à qui Urs fait penser, ce saxophoniste est unique en son genre. Il transperce la réalité et la perception des songes, cornant, sifflant, tournoyant et zig-zaguant comme un enfant émerveillé qui joue. Avec ce CD 2, Urs Leimgruber atteint une sphère supérieure avec un collègue inspiré et inspirant qui rend ici hommage à l’idée du piano préparé. Au fur et à mesure qu’on s’avance dans la série d’improvisations, les choses deviennent plus recherchées, osées, minutieuses, curieuses, aussi étrangement prosaïques que lumineusement poétiques (4- 8 :02) ou simplement sinueuses et à la pointe du registre extrême de l’instrument (5 – 12 :26) comme si on s’égarait dans le superflu ou l’essentiel, la valeur des actions s’évanouissant sous la poussée du réel. Lorsqu’on aborde les CD 3, avec l’épinette amplifiée « dérisoire » de Jacques Demierre (accordée vaguement sur une note identique avec quelques commas de différence), et CD4, avec le synthé analogue de Thomas Lehn, on rentre dans l’univers des duos relationnels au long cours du saxophoniste. Ces deux musiciens vont ici encore plus loin, à mon avis dans l’outrance et la sophistication par rapport à ce que j’avais écouté d’eux-mêmes en compagnie de Leimgruber. Le CD4 nous fait entendre un surprenant Thomas Lehn comme je ne l’avais pas entendu avant complètement imbriqué dans les sortilèges du souffleur. Avec Jacques Demierre en duo (CD3) on assiste à l’évolution de leur récent et mémorable double CD «It Forget about the Snow ». Les duos enregistrés dans ces quatre albums n’ont aucune prétention comme manifeste, démonstration virtuose ou gamberge « free », mais seulement des intentions inédites qui défie nos sens et nos habitudes et une sincérité totale.
Je vais m’arrêter là juste pour dire que si il y a une pléthore de saxophonistes improvisateurs de haute qualité à différents niveaux d’accomplissement dans « l’acte d’improviser », on peut très bien se caler ce quadruple CD « AIR » du début à la fin pour découvrir jusqu’où un saxophoniste expérimenté et ses acolytes sont capables d’aller : au fin fond des choses – Out of This World (dixit Coltrane). Chez Leimgruber, il y a ce plus de l’expérimentation couplée avec une sûreté et une conviction dans l'expression. La complexité alliée à la simplicité épurée. Un rapport avec le silence versus l'art de la saturation lorsque cela fait sens. L'ampleur de son jeu n'a rien de systématique : l'inspiration dans l'instant prime avant tout. Vraiment unique et essentiel.

Dachau Polyphonies MUC Chamber Art Trio Udo Schindler Gunnar Geisse Sebastian Gramss FMR CD673-0423
https://www.discogs.com/release/27213543-MUC_Chamber-ArtTrio-Schindler-Geisse-Gramss-Dachau-Polyphonics-LowToneStudies_acoustronic
Trio sax alto et sopranino + clarinette basse (Udo Schindler), guitare laptop (Gunnar Geisse) et contrebasse (Sebastian Gramss). Udo Schindler est un souffleur multi-instrumentiste abonné aux publications enregistrées avec des improvisateurs de tout bord (dont Sebi Tramontana, Damon Smith, Wilbert De Joode, Jaap Blonk, Ove Volquarz. Avec Ove Volquarz, il forme un excellent duo de clarinettes basses (Answers and Maybe a Question et Tales about Exploding Trees and other Absurdities) et il nous a laissé un superbe témoignage avec l’ajout providentiel du guitariste Gunnar Geisse (artoxin – Unit Records). Je suis donc bien heureux de retrouver ce curieux guitariste en compagnie de ce super contrebassiste parmi les meilleurs de la scène allemande, improvisée ou jazz pointu. Deux longues improvisations intitulées Dachau Polyphonic part1 (36 :07) et part2 (23 :12). Le contrebassiste et le souffleur créent les contrepoints mouvants et hasardeux de cette « Polyphonie » où s’insèrent les sons électroniques trafiqués- manipulés- exacerbés et surprenants de ce guitariste inventif au-delà de l’ordinaire. Ils naissent de nulle part, se laissent triturer plus que de raison, s’évaporent, flottent, percutent sourdement, sifflent, oscillent, rebondissent en creux dans le flux de ses comparses. Le temps s’écoule sans qu’on puisse le saisir. La qualité de timbre à l’archet Au fil des minutes et après quelques temps, le paysage sonore ne fait plus qu’un avec les interventions de chacun dans un infini insaisissable. Flux d’orgue cosmique et croassement mesuré de la clarinette basse. Des moments mystérieux qui finissent par rebondir, le guitariste se métamorphosant en claviériste microtonal avec les volutes du souffleur au sax sopranino et des sons de cloches. Étrange, mais frais.

Walter Prati Lullabies & Other Stories Amirani records AMRN#73 Disponible en CD et en LP
https://www.amiranirecords.com/editions/lullabiesandotherstories0
https://www.amiranirecords.com/editions/lullabiesandotherstories

Walter Prati est connu pour son travail de musicien électronique et sound processing dans l’Evan Parker Electro-Acoustic Ensemble des années 1990 à 2010 (de Towards the Margins jusqu’à Hasselt) a aussi enregistré, toujours comme artiste électronique deux albums en duo avec Evan Parker : Hall of Mirrors en 1990, réédité en double CD avec l’album Pulse (2016) du même duo sur le label Auditorium. Son travail de transformation du son fut à la base de la création de cet ensemble qui inclus aussi Joel Ryan, Lawrence Casserley, Richard Barrett, Paul Obermayer et son ami Bill Vecchi. On l’a aussi entendu en duo avec Giancarlo Schiaffini et en trio avec Thurston Moore et Evan Parker. Mais j’ignorais que Walter Prati est un excellent violoncelliste. Dans cet enregistrement de 2020, il nous fait entendre cinq Lullabies et huit Stories au violoncelle dans un genre qu’on pourrait qualifier de « post-classique » ou contemporain. Au violoncelle, il ajoute de temps en temps des electronics « (Cycling ’74 Max and Grm Tools). Minutieux, distingué et un peu austère ou parfois grandiose, son travail, excellemment enregistré dans son MMT Creative Lab à Milan, mérite le plus grand intérêt pour toutes les techniques utilisées et leur insertion judicieuse dans le contexte de compositions miniatures qui les mettent en valeur. Pizzicato, glissandi, évocations mélodiques, suggestions harmoniques, lyrisme détaché et ferveur retenue. Tout comme les enregistrements en solo des violoncellistes Guilherme Rodrigues et Emmanuel Cremer, ces Lullabies and Other Stories situent plusieurs facettes de l’approche de l’instrument en exergue dans l’écoulement de la performance, ici réalisée de Mars à Juin 2022 avec une superbe cohérence. Exemplaire et à réécouter avec un vrai plaisir.

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