20 août 2024

Tony Oxley Quintet Angular Apron Manfred Schoof Larry Stabbins Pat Thomas Sirone/ Catalogue : Jac Berrocal Jean-François Pauvros Gilbert Artmann/ Zlatko Kaucic & Gal Furlan / Udo Schindler Andreas Willers Zwang Eriksson

Tony Oxley Quintet Angular Apron avec Manfred Schoof Larry Stabbins Pat Thomas Sirone 1992 Corbett vs Dempsey
https://corbettvsdempsey.bandcamp.com/album/angular-apron

Durant sa carrière, Tony Oxley a surtout enregistré des albums avec son propre Quintet ou Sextet à la charnière des années 60-70 avec Barry Guy, Derek Bailey, Evan Parker, Kenny Wheeler et Paul Rutherford ainsi qu’en trio avec Howard Riley et Barry Guy et un duo avec Alan Davie ou encore February Papers avec Guy Wachsmann et le guitariste Ian Brighton. Par la suite durant les années 80, les Tony Oxley Quartet, Quintet ou Sextet firent de nombreux concerts avec Barry Guy, Phil Wachsmann,Ian Birghton, Howard Riley, Larry Stabbins, Alan Tomlinson et l’ineffable Hugh Metcalfe (sic !). Malheureusement, rien ne fut jamais publié, si ce n’est the Glider and the Grinder avec Wachsmann, Wolfgang Fuchs et Hugh Metcalfe (Bead Records) et trois plages dans February Papers (Incus 18). Récemment, le label Discus music a sorti un CD où figure la composition Frame (14’53’’) avec Metcalfe, Wachsmann, Riley et Larry Stabbins. Enfin, voici une version de soixante minutes de sa légendaire composition Angular Apron enregistrée en octobre 1992 à Bochum au Ruhr Jazz Festival avec une formation aussi intéressante qu’originale. On retrouve le saxophoniste ténor et soprano Larry Stabbins lequel avait enregistré dix ans plus tôt un double LP free particulièrement mémorable avec Keith Tippett et Louis Moholo pour le label FMP (TERN SAJ 43-44). Larry a développé très tôt une approche sonore au sax ténor et soprano voisine de celle d’Evan Parker. Son fait d’armes le plus pointu est « Fire Without Bricks » enregistré en duo avec le percussionniste Roy Ashbury pour Bead Records en 1976 et réédité par le même label Corbett VS Dempsey. C’est un de mes concerts de free music parmi les plus mémorables : j’étais assis par terre à trois mètres des musiciens dans le Hall du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles et n’en ai pas perdu la moindre note et le moindre son, complètement fasciné. Au piano, le brillant Pat Thomas qui joue aussi des electronics... Celui-ci a fait la découverte de sa vie avec Tony Oxley à Oxford lors d’un concert qui a déterminé son cheminement musical. Par la suite Pat enregistra trois CDs dans le Tony Oxley Quartet deux avec l’électronicien Matt Wand et Derek Bailey lui-même (Incus CD The Tony Oxley Quartetet un CD pour JazzWerkstatt) et un troisième avec Phil Wachsmann en lieu et place de Bailey. (The BIMP Quartet Floating Phantoms). Quoi de plus naturel de retrouver le légendaire contrebassiste Sirone. En effet Oxley et Sirone ont beaucoup travaillé et enregistré avec Cecil Taylor. Sirone était aussi le contrebassiste du Revolutionary Trio avec Leroy Jenkins et Jerome Cooper, mais aussi de Pharoah Sanders et Charles Gayle. Et comme on est en Allemagne, on trouve une autre légende du free-jazz, le trompettiste Manfred Schoof connu pour son association avec Alexander Schlippenbach et son Globe Unity Orchestra dès le début des années 60 et aussi avec Mal Waldron et Steve Lacy. Question qualité d’enregistrement, cela laisse un peu à désirer, MAIS , il s’agit indubitablement d’un témoignage majeur des groupes et des compositions de Tony Oxley qui comble une sérieuse lacune dans sa documentation. Sa démarche éclairée fait à la fois coexister et fusionner les apports de la musique contemporaine et l’intensité virulente du free radical sans concession. Le contraste entre ses avalanches déflagrations de "micros sons" et la puissance agressive du pianiste et des souffleurs est unique et fascinante. Très tôt dans son évolution et avant de devenir la batteur maison du Ronnie’s Scott, Oxley a écouté et intégré dans sa pratique de l’improvisation les implications de la musique de John Cage, Stockhausen en compagnie de Derek Bailey et Gavin Bryars. Son style de drumming est ici assez éloigné du jazz par l’utilisation abrupte d’accessoires percussifs métalliques dont une cloche trapézoïdale soudée artisanalement, des cymbales destinées à la musique contemporaine, crotales, temple blocks, tambours chinois, mais aussi grincements du métal à la pointe des baguettes effectuées en un crucial instant. Ses frappes particulières évitent tout soupçon de coordination rythmique "jazz" et mettent en évidence une fluidité très contrastée qui se répand dans une infinité de détails sonores ou éclate dans de curieux agrégats de timbres qui semble produits par un seul geste. Aussi des roulements caractéristiques avec des sonorités aiguës qui sont suspendus dans le vide oblitérant la notion de pulsation et de rythme conventionnel. En outre, il ajoute l’utilisation d’électroniques. Son jeu est immédiatement reconnaissable et tout – à fait unique. On applaudira ici la performance de Pat Thomas, un pianiste virtuose aussi enragé et intense qu’ait pu l’être un Alex Schlippenbach. Ses entrechats cosmiques au clavier rivalisent avec les frappes stellaires du leader. Pour ceux qui ne l’ont jamais entendu, ce sera l’occasion de découvrir l’extraordinaire mordant de Larry Stabbins qui fait ici éclater l’anche de son sax ténor avec une violence hallucinante, déchiquetant les sonorités et ses triples détachés comme si une machine faisait accélérer le débit du souffle pour hacher menu la notion de phrasé. On est tout proche du délire bruitiste d’Evan Parker avec Alex von S. et Paul Lovens des premiers albums FMP. Sirone contribue intensément en gardant le cap contre vents et marées avec des doigtés concentrés et des coups d’archet qui occupent une place enviable et profondément significative dans le champ auditif. Cerise sur le gâteau, les interventions de Manfred Schoof dans le jeu d’ensemble avec une dimension proche de Ligeti et ou dans des improvisations puissantes et centrifuges. À l’écoute, l’auditeur est emporté par le torrent tumultueux de la musique et une écoute à tête reposée perçoit clairement les étapes successives et l’excellente construction de la composition dont l’exécution « spontanée » endiablée fait oublier qu’il y ait une partition. À saisir en priorité.
Veuillez aussi vous référer à tous les CD's récents d'Oxley que j'ai systématiquement chroniqués car je pense avoir été en manque de ses trop rares LP's "Oxleyiens" des années 70 et 80 avant son intense collaboration avec Cecil Taylor ainsi qu'avec Bill Dixon, Paul Bley des décennies suivantes. R.I.P Tony.

Assassins Catalogue Jac Berrocal Jean-François Pauvros Gilbert Artmann. Fou Records FR CD 64.
https://fourecords.com/FR-CD64.htm
Trois légendes du free – rock expérimental – noise – punk : le trompettiste chanteur etc… Jacques Berrocal, le guitariste Jean-François Pauvros et le batteur compositeur Gilbert Artmann sont les membres de Catalogue. Mis à part le titre « Assassins », le nom du groupe des musiciens et la mention « enregistré et produit par Jean-Marc Foussat. Il y a trois morceaux de 6 :28, 6 :13 et 8 :36 respectivement sans aucune mention de titres etc… toutes les informations sont contenues dans des griffonnés à l’encre noire dans laquelle on a évidé les lettres des indications (groupe -musiciens – titre et les crédits). Donc trois morceaux « heavy noise » pour trois musiciens et trois références : Catalogue, Assassins et enreg. et produit par J-MF. La règle de trois, mais pas de date ni de lieu. À l’intérieur du diptyque en papier fort de la pochette, les deux faces internes sont aussi noires que la musique. Une apparence quasi-anonyme abrupte. Rythmes isochrones basiques obsédants au marteau piqueur qui finit par se déglinguer. Riffs sourdement électriques rageurs qui peuvent se muer en giclées électro-acoustiques flashy, cris – harangues vocales trafiquées . On imagine des stroboscopes et des lumières noires hypnotiques. Musique violente, noise pulsionnel, effets de guitare hard-core harsh abrasifs. Le guitariste maîtrise sa rage sans bavure en allant droit au but. Le son de la batterie est furieusement organique : dans son jeu, on ne trouve pas une once de banalité issue de manuels de batteur qui suinte ou surnage toutes les trois mesures. C'est de la pure révolte aussi spontanée que mûrement réfléchie. Je dois avouer ne pas avoir souvent assisté et fréquenté des concerts de ce genre de musique, même si je me suis amusé à faire du noise à la guitare à certains moments, car trop souvent les coquilles pleuvent et les peintures de guerre se délaient misérablement. J’ajoute aussi que j’ai assisté à une de leurs premières performances le 11 août 1979 au King-Kong à Anvers lors du Free-Music Festival/ W.I.M. Le saxophoniste du groupe jouait de l’ harmonium et le batteur était Jean-Pierre Arnoux. Le concert a été publié en vinyle peu après et réédité ensuite en CD sous le titre Catalogue Live In Antwerpen par le label Spalax. Dans ce genre de choses, Assassins est pas mal du tout, ultra mordant à l’arraché, uppercut sonore sans fioriture avec quelques dérapages soniques précis qui font sens dans le flux brûlant de la musique. Seraient-ce le guitariste ou le trompettiste qui tripatouillent leurs "effets" électroniques... et avec quelle précision de malades ? Comme le disque est court, c’est ultra-efficace. Je rappelle que Pauvros et Foussat ont collaboré dans le groupe Marteau Rouge dont Fou Records a produit un album avec Evan Parker et un autre avec Keiji Haino. Artmann fut , entre autres, le batteur de Lard Free et le compositeur leader d’Urban Sax, deux groupes de légende. Et Jacques Berrocal a multiplié les collaborations les plus improbables entre autres avec Vince Taylor (Rock n’Roll Station) et figurait déjà dans un premier inclassable album pour le label futuriste Futura - Son à l'aube des seventies,Musik Musiq. Dans cet album, Jac B. semble hurler das un vide sidéral sidérant l'auditeur. À vous de choisir. Sans nul doute indispensable pour les amateurs de noise destroy avec de la classe.

Zlatko Kaucic & Gal Furlan Father, Son and Holy Sound Klopotek IZK CD1K52
https://www.klopotec.si/klopotecglasba/cd_kaucicfurlan70/

Le titre, Father, Son & Holy Sound, fait référence à l’album Meditations de Coltrane dans lequel trône, sur la Face A, « the Father, the Son and the Holy Ghost”. Mais détrompez-vous ! Il ne s’agit pas ici de hard-free jazz dans lequel excellaient Coltrane et Pharoah Sanders avec Elvin, Rashied Ali,Jimmy et Mc Coy. Mais plutôt un magnifique échange de percussions en duo, détaillé et subtil avec une utilisation raffinée et créative de nombreux instruments – objets percussifs. Plus qu’un dialogue, nous découvrons ici une mise en commun des ressources collaboratives où le jeu de chacun est entièrement intégré à celui de l’autre, un peu comme s’il n'y avait qu’un seul musicien présent. Impossible de distinguer clairement qui joue quoi dans cet enregistrement à l’excellente qualité technique (Iztok Zupan du label klopotek). Les techniques de frappe traditionnelles croisent celles qui sont « alternatives » en évitant les effets faciles et les cascades de roulement et figures de style entendues partout. L’aspect sonore et les pulsations en roue libre font bon ménage. Un seul long morceau superbement construit durant 40:44 en un long crescendo jusqu’au la profusion de rythmes du final. Les deux acolytes font preuve d’une technique remarquable, mais surtout, la qualité musicale et la réussite tant expressive qu’émotionnelle subliment leur savoir-faire de batteur. Du grand art. Des nuances remarquables la recherche sonore, le foisonnement de pulsations libres et une admirable qualité de toucher et de frappes La musique de percussions jouent de toute évidence un rôle primordial dans l’évolution de la free-music ou improvisation libre parce qu’elle ne se réfère pas à la tonalité ni à l’harmonie avec des instruments accordés. De ce point de vue, le duo légendaire de Paul Lovens et Paul Lytton (enregistré à trois reprises) occupe à mon avis une position centrale, mais aussi par exemple, le Trio de Batteries de Matthias Ponthévia, Didier Lasserre et Edward Perraud (Amor Fati) ou le NoNoNo Percussion Ensemble de Gino Robair, Christiano Calganile et Stefano Giust (Excantatious – Setola di Maiale). Ces deux albums de percussions ont été décrits dans ces lignes . Si les Slovènes Gal Furlan et Zlatko Kaucic ont une pratique plus « conventionnelle » que celle plus radicale des deux Paul,le niveau d’excellence et la cohérence peu ordinaire de leur prestation du 21 février 2023 en font un véritable tour de force. Un des meilleurs albums de free percussions.
PS Klopotek est un excellent label slovène . Jugez du peu : Trevor Watts & Jamie Harris, Sabu Toyozumi & Claudia Cervenca, Elisabeth Harnik, Giorgio Pacorig & Clarissa Durizotto, Pat Thomas, Keith Tippett, Edorado Marraffa & Nicolà Guazzaloca, Marco Colonna et un fantastique duo Daunik Lazro & Joe McPhee)

Cassiber Complex Udo Schindler Andreas Willers Erik Zwang Eriksson Unconditionned Sounds in a Box FMR CD

J'ai reçu plusieurs cd's du souffleur multi-instrumentiste Udo Schindler à quelques reprises. Mais vu les limites temporelles et rédactionnelles de ma capacité à décrire ce que j'entends au fil de mes écoutes et mes impressions, je ne peux inonder mon blog avec la production d'un seul artiste afin de maintenir un semblant de diversité. J'ai donc choisi ce Cassiber Complex pour deux raisons : la personnalité et les trouvailles sonores d'Andreas Willers, un guitariste free avec un solide parcours et la collaboration évolutive d'Udo Schindler et du batteur Erik Zwang Eriksson. Udo est ici crédité cornet, tubax et sa chère clarinette basse qui fait mes délices lorsqu'il est confronté au clarinettiste Ove Volquartz dans des duos mémorables publiés par FMR que je recommande chaudement. Cassiber Complex est une longue improvisation exploratoire de 54 minutes, éthérée, spacieuse, suspendue dans le champ auditif d'une écoute minutieuse. Musique détaillée, guitare électrique en glissandi quasi permanent rehaussé par un jeu soigné à la pédale de volume, le silence étant ici un facteur créatif primordial dans les 14 premières minutes. Zwang Eriksson dépose adroitement des sons et frappes épars. Le souffle méthodique de Schindler trace une narration qui évolue vers une interaction action - réaction plus directe où la batterie free est rehaussée par des sons électroniques de Willers. Udo Schindler se veut clarinettiste, saxophoniste, corniste, tubiste etc... Si les exigences de chaque instrument sont difficiles à assumer lorsque quelqu'un joue tant des instruments à anche différents que des cuivres à embouchures aussi divers que la trompette, le trombone, le tuba, etc..., il faut reconnaître que dans l'instant et sur la durée, Udo Schindler assure et est devenu un solide improvisateur. En outre ce Cassiber Complex est truffé de trouvailles sonores qui peuvent déraper follement vers une agressivité non feinte et une bonne dose de mystère autour d'un silence musical. Aussi, les harmoniques outrées et grasseillements du souffleur font merveille et sens. Les interventions du guitariste ajoutent de la clarté pour rediriger le trio vers une autre perspective et un autre feeling. Un bon point aussi pour les graves volutes du tubax soulignées délicatement par les frappes éclaircies d'EZE et le savoir faire du guitariste, un improvisateur peu commun dont les ressources renouvellent constamment l'entreprise qui ne craint pas la foire d'empoigne saturée et explosive située vers les minutes 30-32. La succession des séquences et l'aspect évolutif de l'improvisation collective sur une si longue durée en toute liberté est vraiment méritoire avec une bienvenue déflagration finale follement noise. Un concert munichois du 28 juillet 2023 qui valait sûrement le déplacement.

16 août 2024

Anthony Braxton Solo/ Gabby Fluke Mogul & Ivo Perelman/ Roberto Di Blasio Antonio Pio Caramella & Giulio Izzo/ Ignaz Schick Anaïs Tuerlinckx & Joachim Zoepf

Anthony Braxton Solo Bern 1984 First Visit ezz-thetics 103.
https://first-archive-visit.bandcamp.com/album/anthony-braxton-solo-bern-1984-first-visit
Ezz-thetics est une bouture du légendaire Hat-Hut – Hat Art (hatology etc…) qui avait publié une série d’enregistrements d’Anthony Braxton dans les années 80 et 90. Voici qu’Ezzthetics propose une fantastique perfomance inédite du saxophoniste alto en solo (« absolu ») enregistrée à Berne en 1984. Braxton est le premier saxophoniste à avoir initié des concerts de saxophone (alto) en solo dès 1968 avec son propre répertoire de compositions et accessoirement quelques Standards. Sa démarche en solitaire a entraîné d’autres saxophonistes d’envergure à se produire en solo : Steve Lacy, Roscoe Mitchell, Evan Parker, Joe Mc Phee, Larry Stabbins etc… Dans cet extraordinaire concert Bernois, Anthony Braxton « interprète » quatre standards : Alone Together, Giant Steps, Naima (tous deux de Coltrane) et I Remember you parmi les seize compositions concises et relativement courtes entre les 3 et les 4 minutes et quelques choses. Pour la facilité, la pochette indique les compositions par leurs numéros et lettres (99B, 77H, 170C, 99Q, 118F, 26B, 77G, 106R, 106J, 118Q, 77D, et 118A) sans documenter les schémas – dessins qui leur font office de titres visuel.
J’avoue ne pas être un exégète de la musique de Braxton, même si j’ai écouté intensément ses quartets, solos, duos et autres ensembles qu’il a dirigé dans les années 60, 70 et 80, puis 90. En 1984, il faisait déjà figure d’artiste incontournable depuis au moins 10 ans avec son style complexe et multiforme complètement unique. Il travaille autant le matériau harmonique et « spatial », que les timbres et sonorités dont il a exploré un maximum de ressources au sax alto avec antre autres ces techniques alternatives "bruissonnantes". On y trouve aussi un lyrisme très particulier, une sonorité d’une très grande qualité et une technique en triple détaché d’une complexité et d’une virtuosité ahurissantes. Une musique d’une richesse inouïe et d’une inspiration qui puise autant dans les univers de Webern ou Stockhausen que dans les musiques du monde et l’histoire du jazz. Chacune de ses compositions investigue et décortique un matériau particulier en spirales affolantes staccatos en variation infinie, escaliers eschériens multidimensionnels, bruitages suraigus en ostinatos, ballade sentimentale en suspension, lyrisme moderniste « classique », tournoiements mélodiques infinis, growls gargantuesques accentués en contraste avec des pépiements d’oiseau effarouché, radicalité hérissée de la free-music explosive… Il met à égalité les matériaux mélodique, rythmique, harmonique dans une perspective tridimensionnelle, architecturale et aussi poétique. Notez qu’au saxophone sopranino, instrument difficile, son jeu atteint des hauteurs tout autant similaires. Bref, j’arrête la description en ajoutant, que si vous désirez commencer à vous documenter sur Braxton , First Visit est le must to listen intégral à défaut de trouver un autre album solo disponible. Et il y a la quintessence de Giant Steps à la Braxton qui vaut son pesant d'or. Veuillez noter que le label Leo a publié trois concerts en solo à Pise, Milan et Cologne des années 78, 79 et 81 et Intakt un enregistrement plus récent, en CD, bien sûr. Mais si vous ne les trouvez pas ne faites pas l'impasse sur ce Bern 1984, vous le regretterez toute votre vie. À tomber par terre et s’envoler dans la troisième dimension.

Ivo Perelman - Gabby Fluke - Mogul Joy Duologues vol 2 ibeji Records
https://open.spotify.com/intl-fr/album/ 5vGeeLHfQoDPC2sZ4LfUxX

Entendue récemment avec Fred Frith en Europe, la violoniste New Yorkaise Gabby Fluke-Mogul effectue ici un superbe pas de deux en compagnie du saxophoniste ténor Brésilien Ivo Perelman. Leur tout frais album est paru en digital sur le label digital Ibeji pour lequel Perelman publie ses « Duologues » . Après une extraordinaire parution en duo avec le batteur Tom Rainey (Turning Point), son micro label propose d’excellentes improvisations en duo avec cette violoniste au potentiel indubitable. Gabby a travaillé dans la sphère expérimentale improvisée avec Nava Dunkelman, Joanna Mattrey, Ava Mendoza, Charles Burnham, Fred Frith, Luke Stewart, Zeena Parkins, Tcheser Holmes, Lester St. Louis, William Parker, and Pauline Oliveros (http://www.flukemogul.com/about.html). Sans doute pour elle le duo avec ce saxophoniste si particulier qu’est Ivo Perelman constitue une première et on perçoit bien qu’elle est entièrement à l’écoute de son partenaire lequel est un partisan acharné de l’improvisation collective libre et égalitaire. En plus, iIvo s'est souvent entouré de violonistes, d’altistes ou de violoncellistes remarquables (Mat Maneri, Mark Feldman, Jason Hwang, Phil Wachsmann, Hank Roberts). Dès le premier abord, les deux improvisateurs partagent un goût atavique, organique pour étendre les notes, étirer leurs intervalles avec une remarquable expressivité. Le souffleur monte dans les aigus en les faisant chanter dans le droit fil d’un aylerisme « adulte » et c’est avec grand plaisir que Gabby Fluke-Mogul reprend à son compte ces inflexions sinueuses qui simultanément interfèrent ou se dissocient des notes tenues et des spirales perelmaniennes. Aussi, le morceau 4 début dans le grave du sax ténor induisant de fantastiques timbres graves à l’archet d’une magnifique plasticité. Mais, tous deux ne se contentent pas de formules formatées et de signaux explicites : ils se lancent dans des narrations truffées d’événements sonores et de réactions spontanées qui embrassent différents modes de jeux, spirales, staccatos, suraigus, sifflements modulés et chantants... Au fil de la session, la violoniste, qui semblait sur ses gardes au départ, prend de plus en plus d’assurance pour optimaliser sa créativité instantanée, puisant de plus en plus les meilleures idées parmi les nombreux trucs dans son bagage instrumental classico- alternatif. Bien qu’il soit un musicien très éduqué dans la théorie musicale et les sphères harmoniques, la démarche artistique d’Ivo Perelman est poétique et visuelle avant tout : en écoutant et jouant sa musique, il y voit des couleurs et des formes vivantes, une plastique en mouvement perpétuel semblable à celles qu’un chercheur perçoit par le truchement d’un microscope ultrapuissant dans la matière d’organismes vivants. Une expression jazz intuitive basée sur l’expérience de plusieurs générations de saxophonistes ténor de Ben Webster à Albert Ayler, dont il étend merveilleusement la dimension lyrique en s'inspirant des musiques populaires de son Brésil natal dans une démarche "microtonale". Il joue "faux" en connnaissance de cause pour une authentique expressivité. Une improvisatrice aussi talentueuse et ouverte que Gabby Fluke-Mogul cultive l’ approche télépathique idéale pour s’insérer dans cet univers si particulier par la grâce de sa sensibilité. Splendide duo !

Ratti – O Theta Roberto Di Biaso Antonio Pio Caramella Giulio Izzo Barly Records
https://barlyrecords.it/prodotto/theta/

Roberto Di Blasio a/k/a Aniello Perduto joue des sax alto et soprano et de la batterie sur un morceau, Antonio Pio Caramella de la guitare électrique et Giulio Izzo de la contrebasse et tous trois forment le groupe RATTI ( les rats) et leur album s’intitule O (omicron en Grec ancien),Theta (la lettre grecque pour « th » , le « t » se disant tau). Pas besoin de batterie, les trois musiciens ont une solide sens du rythme. Sauf quand Roberto se met à la batterie, transformant le trio en groupe guitare- basse batterie sans saxophone. Leur musique affiliée au free-jazz combine des thèmes écrits dans l’esprit de cette mouvance avec une « inspiration » rock progressive avec des rythmes complexes en ostinato et parfois une approche très électrique « jazz-rock » de la guitare. Le trio a beaucoup travaillé pour obtenir un style et une identité très personnelle. Comme j’avais déjà chroniqué l’albums solo d’Aniello Perduto, ils m’ont envoyé leur CD et je n’ai pas hésité à le chroniquer vu tous leurs efforts et la réflexion profonde qu’ils ont investi amoureusement dans leur musique, laquelle illustre excellement de nombreuses facettes dans les huit compositions (entre les 3 et 7 minutes, mais plutôt 3), y compris nuances musiciennes et audaces sonores. Fischerle est d’ailleurs une belle pièce de jazz contemporain et Memories endosse tout l’art de la comptine avec celui du contrepoint. Si, généralement, j’écoute rarement ce genre de musiques qui découlent du jazz contemporain, je n’hésiterais pas à assister à un de leurs concerts si j’en avais l’occasion. Surtout que le cheminement du disque morceau par morceau tire progressivement vers l'excellence et une véritable consistance musicale. Une belle réussite d'un vrai collectif pour un beau festival.

Ignaz Schick Anaïs Tuerlinckx Joachim Zoepf Ensemble A Confront Records Core 44.
https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/ensemble-a

Depuis de nombreuses années, Confront Records publie des albums d'improvisation radicale dans la mouvance "réductionniste" , lower case, la frange électro-acoustique de cette musique autour de musiciens comme Mark Wastell, Rhodri Davies, Matt Davies, Burkhard Beins, Phil Durrant ou Simon H Fell. Le micro label de Mark Wastell, a mué progressivement vers une démarche multicourants publiant aussi des albums du guitariste Duck Baker, de Paul Dunmall ou de Maggie Nicols. Cet Ensemble A navigue précisément dans cet univers sonore radical fait de textures, de bruissemnts surprenants, signaux électroacoustiques, traitements électroniques, vibrations soniques volatiles qui s'enchevêtrent et s'associent comme on l'entend rarement. Deux "compositions : Electronic Kaléidoscope(30:01) signé Joachim Zoepf et TurntableTurn (22:36) signé Ignaz Schick. Ignaz est un saxophoniste et platiniste (turntablist) de choix et un des acteurs majeurs de la scène Berlinoise "réductionniste" des années 2000 (Andrea Neumann, Burkhard Beins, Michael Renkel, Axel Dörner et cie). Il joue ici du "turntable" et du sampler. Surtout il évite tous les poncifs et effets banals qu'on obtient avec cet engin-objet. Anaïs Tuerlinckx est une excellente pianiste découverte récemment dans un autre album Confront : Au Crépuscule avec Jonas Gerigk et, justement, Burkhard Beins particulièrement remarqué et décrit dans ces lignes. Le troisième larron, le clarinettiste basse et sax soprano Joachim Zoepf mérite qu'on parle de lui et qu'il soit invité sur la scène internationale depuis longtemps. Depuis des nombreuses années, Joachim est un des collaborateurs les plus proches du génial Gunter Christmann et un activiste proche des Georg Wissel, Wolfgang Schliemann, Hans Schneider, etc... C'est sans doute un des plus précis et distingués clarinettistes basses dans la mouvance "comtemporaine" chercheuse de l'improvisation radicale. Sa composition Electroacoustic Kaleidoscope est une pure merveille d'invention sonore et une réalisation essentiellement collective avec un sens de l'imbrication - intrication organique. Si on entend quelques fois le toucher "désincarné" d'Anaïs au clavier ou on devine les délicats pépiements à la clarinette basse qui s'immisce dans les fins bruitages de la platine. Cette demi-heure kaléidoscopique a en fait et paradoxalement une extrême cohérence. Si on me demandait c'est quoi le "soft" noise, l'improvisation radicale contemporaine, je ferais écouter cette pièce. La suivante Turntable Turn contient une dynamique ludique interactive et un surcroît d'intensité tout en maintenant l'émission constante de sonorités inouïes avec un sens du contraste. On y reconnaît mieux le souffle grasseyant de la clarinette basse qui alterne avec les dérapages sonores affolés en giclées et oscillations frénétiques soudaines de Schick. Les incursions de Tuerlinckx dans les cordes et mécanismes du piano, leurs résonances surréelles et les grattages obstinés du filetage cuivré ajoutent encore plus de mystère. Mais dans cette aventure, les paysages sonores et les ambiances se succèdent dans une diversité fascinante et imprévisible. Rien n'est jamais acquis. C'est à mon avis un des albums majeurs à avoir été publié par Confront. Direction Berlin !!

12 août 2024

Spécial Guitares : Otomo Yoshihide with Roger Turner et Masahiko Satoh/ NO Moore James O’Sullivan Ross Lambert with Eddie Prévost/ Olaf Rupp & Udo Schindler/ Eric Mimosa & Christian Vasseur

Quatre albums avec des guitaristes en toute liberté !!

The Sea Trio Live in Munich and Bonn Masahiko Satoh – Otomo Yoshihide – Roger Turner Confront Records Core 43
https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/live-in-munich-and-bonn

Un bien curieux assemblage de talents. Le pianiste Masahiko Satoh est sans doute le premier improvisateur free japonais venu jouer et enregistrer en Europe dès 1971. On lui doit l’album Spontaneous en quartet pour le label Enja avec Albert Mangelsdorff , Peter Warren et le batteur Allen Blairman, lequel a joué dans les derniers concerts d’Ayler à la Fondation Maeght en 1970, ainsi que Trinity en trio avec Warren et Pierre Favre. Son jeu est fortement influencé par la musique contemporaine sérieuse de Bartok et Messiaen à Cage ou Stockhausen. Il est encore aujourd’hui un des deux ou trois pianistes free les plus demandés au Japon : on l’a entendu en duo avec Joëlle Léandre et Sabu Toyozumi ou se commettre au sein d'un étrange trio avec Midori Takada et Kang Tae Hwan . Otomo Yoshihide fut l’élève de Mazayuki Takayanagi, le guitariste pionnier du noise, et est devenu un acteur incontournable tant comme guitariste, platiniste, concepteur de projets en cassant les codes avec Ground Zero, Filament et son New Jazz Ensemble. Il lui arrive fréquemment de travailler avec le percussionniste Roger Turner, lequel s’est créé une légende avec Lol Coxhill et Mike Cooper, Phil Minton, John Russell, Michel Doneda, Phil Wachsmann, Thomas Lehn & Tim Hodgkinson, Pat Thomas etc… La confrontation Satoh et Yoshihide semble contradictoire vu que leur manière de jouer et de concevoir l’improvisation semble aux antipodes. Autant Satoh se concentre sur le clavier du piano avec un magnifique toucher et des improvisations logiques basée sur une pra C’est heureusement par le truchement des facéties sonores et rythmico-percussives libérées de Roger Turner que la communication entre ces deux pôles est largement bonifiée. C’est le genre de situations risquées auxquelles s’intéressait particulièrement Derek Bailey avec sa Company qui réunissait des improvisateurs qui n’avaient pas ou n’auraient jamais joué ensemble. Il se fait que Roger Turner évite particulièrement les associations d’improvisateurs « qui sont trop faciles ou évidentes ». Au fil des cinq longues improvisations de 28, 33, 24, 31 et 6 minutes et quelques, l’empathie s’affirme et se concrétise épousant différents modes de jeux et d’interactions collectifs. Il y a inévitablement des phases d’observation et de recherches qui mènent à des passages tout à fait remarquables. Dans un premier temps lors du concert de Munich du 27 avril 2023, guitariste et pianiste assument leurs différences sous l’arbitrage et les commentaires ludiques du percussionniste, lequel avec un volume modéré prend soin de ne pas surjouer ses collègues, accélérant les pulsations un moment pour tout à coup se singulariser avec quelques frappes étonnamment coordonnées et trouvailles sonores qui attirent l’attention. C’est alors qu’Otomo insère des sonorités bruitistes un instant tout en laissant le pianiste s’ébattre dans ses pianismes modernistes sophistiqués. Mais au fil des minutes, l’affaire se complique, s’intensifie, les cadences du piano et son cheminement inspirant des débordements soniques à la guitare électrique alors que Turner joue son grand jeu de saltimbanque de la batterie. Les phases de jeu se succèdent sans se ressembler replongeant soudain dans ce classicisme contemporain face aux effets électroniques ondulant et striant les fréquences saturées. Roger se laissant aller allègrement dans le free drumming éclaté et parfois tapageur tout en gravant de superbes et inventifs interludes percussifs entre différentes phases de jeu. Mention spéciale pour le jeu brillant et savamment détaillé et inventif du pianiste au niveau qualité de toucher, suite dans les idées et son extraordinaire sens rythmique. J’ai toujours pensé que Satoh est un des pianistes parmi les plus exceptionnels de la scène improvisée à l’instar de Fred Van Hove Le deuxième morceau acquiert encore plus d’intensité jusqu’à une forme de transe implacable. Fort heureusement, il semble que les trois improvisateurs aient tenu compte du déroulement de ce premier concert pour proposer une autre vision et une stratégie différente, à la fois plus introspective et plus sensiblement interactive où la force intérieure de chacun et leurs intuitions et expériences aboutissent à une véritable réussite d’un point de vue créatif « improvisé » et une communion d’intentions, de perceptions et d’échanges. Et cela malgré la longueur infinie de chacun des deux morceaux – plats de consistance (24:26 et 31:37) et l’ajout du final de 6 :31. On est proche ici de l’inventivité paradoxalement dramatique et sereine du groupe AMM (Rowe Tilbury Prévost) dont l’instrumentation est identique , le Messiaenno-Bartokisme de Satoh et l’hyperactivité de pivert survolté de Turner crée une belle différence. Tout l’art ici tient à cette faculté inouïe de jouer ensemble avec une véritable cohérence alors que chacun reste fidèle à son langage personnel. On découvre aussi que si Roger Turner est un formidable épigone du free-drumming le plus éclaté, il manifeste un don inné de rythmicien et une rare imagination. Cela détonne sur le jeu sonique noise et sophistiqué d’Otomo Yoshihide lequel est un véritable caméléon de la six cordes : on apeine à croire qu'il s'agit du même guitariste tout au long de ces improvisations somme toute passionnantes. On trouvera peut – être que ces enregistrements souffrent d’une certaine longueur, mais il faut s’y résoudre : les méandres infinis de leurs improvisations collectives aboutissent à des instants, des séquences d’une très grande finesse. Le sel de la terre de l’improvisation musicale.

Eddie Prévost NO Moore James O’Sullivan Ross Lambert Chord Shrike Records.
https://shrikerecords.bandcamp.com/album/chord

Eddie Prévost, le percussionniste légendaire du groupe AMM, a joué très longtemps avec le guitariste Keith Rowe, le pionnier de la guitare sur table préparée avec des objets, accessoires et effets électroniques, radio etc… C’est un peu dans cette direction « métamusicale» « minimaliste » radicale que se situe la musique enregistrée ici par Eddie et pas moins de trois guitaristes électriques audacieux qui tous jouent comme un seul homme dans sept compositions – improvisations particulièrement requérantes. Croyez-moi, trois guitaristes avec les frottements de cymbales et de gongs de Prévost, cela aurait pu être barbant et « encombré », mais rien de tel n’est le cas ici. C’est avec surprise que je découvre ces inexorables sculptures sonores collectives qui flottent dans l’espace. Chaque guitariste contribue méthodiquement et subtilement à un flux sonore où le moindre détail apparaît sur le meilleur jour. Qui de Nathan Moore, James O’Sullivan ou du fidèle Ross Lambert, lequel collabore depuis longtemps avec Eddie Prévost, parviendrons-nous à distinguer l'un de l'autre ? Même si je les ai tous les trois vus et entendus sur scène, cet album est littéralement imprévisible à cet égard et aussi, indescritible. De la "méta-musique" ultra- détaillée, raffinée ou parfois saturée. Du son qui se veut sourd, cristallin, scintillant, bourdonnant, minutieux et finit par frôler le chaos un instant ou frictionner – gratter les cordages avec une atavique obstination sans jamais s'étendre dans des longueurs embarrassantes. Concis et kaléidoscopique, le terme n'est pas galvaudé, je vous prie de me croire. Un instant, toujours, car le quartet évite la moindre réitération, l’inutile resucée, la redite. Ça vibre à l’infini et jamais de la même façon. S’insère brillamment dans ces échanges intergalactiques, les interventions dosées d’Eddie à l’archet sur sa cymbale « fixe » appliquée avec pression sur la caisse claire, unique tambour de son austère attirail, ou des frappes ouatées sur son grand tam-tam (ou « gong »). On l’entend aussi frapper sur des cordes tendues sur un tambour qui évoquent une guitare trafiquée. Et ceka avec un peu de frénésie, laquelle fait imploser joyeusement le collectif… Le paysage sonore défile avec délectation, acuité et une créativité collective optimale. De toute ma carrière d’auditeur maniaque de l’improvisation libre, je n’ai jamais entendu un tel orchestre à trois guitares… en compagnie d’un tel visionnaire, intitulé CHORD.

Udo Schindler & Olaf Rupp HerzAtmungen Creative Sources CS 833CD
https://creativesources.bandcamp.com/album/herzatmungen

Olaf Rupp est un guitariste volatile dont il faut écouter plusieurs albums pour commencer à cerner l’étendue et la pertinence de son travail avec la six cordes acoustique ou électrique à laquelle il joint une remarquable palette d’effets électroniques. Mais aussi les cinq doigts de la main gauche et surtout les cinq doigts de la main droite. Que ce soit en solo, avec Tristan Honsinger, Lol Coxhill, Shoji Hano, Tony Buck, Joe Williamson, Rudi Mahall, Ulrike Brand, Rudi Fischlehner, Paul Rogers et Frank Paul Schubert, Olaf Rupp est un étonnant musicien. Quoi de plus naturel pour lui de découvrir un nouvel horizon avec cet obstiné pluri-instrumentiste chercheur qu’est Udo Schindler, lequel a enregistré avec une kyrielle d’improvisateurs de tous bords dont Jaap Blonk, Peter Jacquemyn, Damon Smith, Irene Kepl, Erhard Hirt, Wilbert De Joode, Xu Feng Xia, Nikolaus Neuser, Andreas Willers, Meinrad Kneer, Eric Zwang Eriksson… . Dans ces HerzAtmungen enregistrés à Munich en juin de l’année dernière , on l’entend au cornet, à la clarinette basse, au sax alto et au tuba avec un amour pour le son, les glissandi curieux, la pâte sonore, le mystère. Tous deux construisent patiemment et spontanément des événements sonores auxquels notre écoute imaginative et notre imaginaire se joignent aux leurs pour voyager, rêver, ressentir, se libérer de nos idées toutes faites. Les effets de durée et de résonnance de la guitare amplifiée , de ses harmoniques se mêlent au scintillement de la colonne d’air pressée à l’embouchure par les sifflements et sussurements d’Udo. Les gargouillis de la clarinette basse, ses grasseyements trouvent un écho dans les oscillations et tremblements électriques. La photo de pochette nous montre Olaf à l’archet sur les cordes de sa fender et Udo engagé dans un growl vibrant dans le pavillon de sa clarinette basse. Leur mise en commun de tous ces éléments sonores voisins, miroités ou contrastés crée un univers sonore unique, onirique, suspendu dans l’espace du silence, à la fois mouvant et statique. Tous deux sont immergés dans la marge de leurs instruments, au-delà des limites d’un jeu « normal » Leur approche a toute la sensibilité du meilleur jazz sans que les formes ne relèvent d’aucune musique formelle ou programmée. Sauf peut-être le phrasé du sax alto en 4/ où Olaf Rupp alterne deux approches, une en cascade qui coïncident avec l’articulation du sax et une autre qui détonne à ravir. J’avais déjà bien apprécié le travail d'Udo Schindler avec le guitariste Gunnar Geisse et le clarinettiste Ove Volquartz ainsi que son duo avec un autre guitariste, Andreas Willers. Cela se confirme ici avec un autre guitariste, Olaf Rupp qui le transporte aux confins de l’imaginaire. Un magnifique dialogue inattendu entre deux improvisateurs chevronnés…

Eric Mimosa et Christian Vasseur Les Sans Ombre Creative Sources CD831CD
https://creativesources.bandcamp.com/album/les-sans-ombre

Deux « archtop » guitares maniées artistement et audacieusement par deux improvisateurs expérimentés, soit deux guitares acoustiques sur lesquelles les six cordes sont tendues sur un chevalet. Il n’y a pas de « s » au pluriel des « Sans Ombre » car, quand il y a zéro ombre c’est comme s’il y en avait une, la langue française ayant déjà commencé son chemin avant que nos ancêtres aient adopté le zéro comme valeur numérale avant le chiffre « un ». Aussi, aucun des deux guitaristes ne fait de l’ombre à l’autre, car ils jouent à égalité sans qu’on puisse distinguer lequel joue ceci et l’autre cela. Eric Mimosa et Christian Vasseur improvisent ensemble neuf morceaux aux titres nonsensiques, à la fois béats et intriguant, comme Serpent Pois-Chiche, Tonitruant Mangemots, Sanglant Papy Roulette, Papillon Biscotte ou Roule Sans-Tête, en forme de contrepoints anarchiques, d’écarts géométriques sauvages, d’obsessions hyperactives, d’ostinatos ribouldingues, de zigzags forcenés, avec force harmoniques, intuitions automatiques, imbrications alambiquées, bruitages détaillés à l’extrême ou rêves suspendus résonnant par-dessus le vide du silence. Mantra ludique du délire guitaristique. Tous deux utilisent des techniques alternatives non conventionnelles pour obtenir une expressivité inédite dans une dimension exploratoire. J’aime particulièrement le Sanglant Papy Roulette, construction collective où leurs doigtés et imaginaires fusionnent merveilleusement , nous donnant ainsi les clés pour que notre écoute plonge plus aisément dans les autres pièces ici proposées, certaines guidées par de véritables narratifs « visuels ». Roule Sans Tête est une autre paire de manches. Christian Vasseur est un activiste incontournable de Mons en Baroeul dans la grande banlieue de Lille. Il nous a déjà livré plusieurs témoignages sonores gratifiants et décortiqués dans ces lignes. Fantastique d’avoir rencontré un super alter-ego comme Éric Mimosa, car la somme de leurs talents est superlative ! Quelle équipe ....