1 décembre 2024

Harald Kimmig un violoniste de la scène allemande. De C.T. à Hybrid et String Trio.

Harald Kimmig violin.


Harald Kimmig est un violoniste improvisateur qui fut autrefois actif dans la région de Cologne, affilié à cette communauté d’improvisateurs germaniques de la seconde vague de talents qui ont suivi l’émergence des musiciens free tels Peter Kowald, Peter Brötzmann, Alex von Schlippenbach, Manfred Schoof, Buschi Niebergall, Günter Christmann et puis Hans Reichel, Rudiger Carl dont les efforts se sont fédérés dans la coopérative Free-Music Production, entraînant des personnalités telles que les pianistes Fred Van Hove et Irene Schweizer ou des souffleurs comme Evan Parker, Michel Pilz ou Steve Lacy. Au fil des années les rangs des artistes improvisateurs free s’étoffent au point que la visibilité de nombre d’entre eux devient problématique et les possibilités actuelles s'amenuisent de plus en plus. J'aborderai ce sujet plus loin. Dans ce domaine, et je répète les mots sincères de Roger Turner, il y a déjà un quart de siècle: « Les musiciens allemands sont devenus vraiment excellents, ou aussi créatifs que les British. Ça devient dur pour nous». En 1988, Jost Gebers et FMP organise une colossale résidence pour le pianiste Cecil Taylor, une manière de s’ouvrir à l’univers du free-jazz américain. Jusqu’à lors, le mouvement européen aiguillonné par des personnalités radicales comme Derek Bailey mais aussi des jazzmen de l’école ECM semblaient affirmer leur identité européenne, Bailey déclarant (à ses collègues européens) que la musique improvisée libre « non-idiomatique » n’a rien à voir avec le jazz (en fait, on s’en fout car quand on apprend à jouer de la musique on essaie différents genres musicaux pour trouver sa voie : baroque, folk, contemporain, rock, jazz, etc… alors ?).
Suite à une kyrielle de concerts de Cecil largement suivis à Berlin, une quantité impressionnante de CD’s documentant les différentes phases de la collaboration de Taylor et FMP vit le jour comme jamais auparavant dans cette musique. Première parution, un coffret de dix CD’s contenant les enregistrements du pianiste avec les percussionnistes Han Bennink, Paul Lovens, Tony Oxley, Louis Moholo et Gunther Sommer, mais aussi un duo avec Derek Bailey et un trio avec Evan Parker et Tristan Honsinger, plus deux albums en grand orchestre, Alms an Tiergarten et Legba Crossing. Coffret exceptionnel ! La crème de la crème (Evan and William Parker, Bennink, Kowad Rava, Hampel, Brötzmann, Honsinger, Sclavis, Koch, Bauer etc…) fut rassemblée avec un minimum de répétition au préalable, et cela s’entend, le résultat n’est pas trop convainquant. C’est l’opinion de Cecil, en tout cas. Mais un Workshop Orchestra avait été convié parmi la « jeune génération » dont plusieurs musiciens se sont révélés par la suite : Peter Uuskyla, Paul Plimley, Alexander Frangenheim, Georg Wolf, Biggi Vinkeloe, Ove Volquartz et un violoniste, Harald Kimmig. Ce Workshop Orchestra a travaillé au moins une bonne semaine avant leur concert à Berlin offrant au public une prestation enthousiasmante. Alors que FMP préparait la publication de « In Berlin 1988», Cecil Taylor demanda expressément que l’enregistrement du Workshop Orchestra « avec les jeunes » figurent dans la « boîte » des dix CD’s numérotés à partir de « FMP CD 1, CD2, CD3 etc ». Finalement un arrangement fut trouvé et cet enregistrement fut publié sous le titre « Legba Crossing » avec la référence FMP CD 0 et vendu exclusivement « en bonus », inclus dans les 200 premières copies du coffret. Cet album FMP CD 0 ne se trouve donc pas au catalogue des CD's "single" et n’a jamais été disponible à l’unité comme les autres albums individuels rassemblés dans cette imposante parution, sans doute un des items les plus prisés de la discographie du free-jazz.
Sorry , mais moi, j’appelle cela de la condescendance et de la discrimination. On sait qu’aux yeux de journalistes, photographes, organisateurs, cognoscenti ou autres groupies, triomphent le culte de la personnalité et une adoration des "élites" dont certains ont un mérite extraordinaire d'avoir défendu cet art contre vents et marées. Mais on ne peut même pas imaginer qu’un artiste à peine connu puisse être un créateur de haut vol.
Il se fait que, contacté plus tard par Ove Volquartz en 1990, Cecil Taylor et son management ont acquiescé avec enthousiasme pour renouer avec les membres du Workshop Orchestra, entre autres à la Dokumenta de Kassel et dans deux ou trois festivals (Cfr Cecil Taylor "Göttingen" Cd Fundacja Sluchaj). Entre autres, parce que Cecil n’en n’a rien à foutre de la notoriété, il suffit de consulter sa discographie pour s’en rendre compte, ce qui compte pour lui c’est le résultat musical collectif et aussi le vrai talent individuel d'un artiste. Quelle ne fut pas la surprise d’Harald Kimmig lorsque Jost Gebers lui téléphona pour lui annoncer que Cecil Taylor l’invitait à prendre part une de ses tournées de 1989 ! Il semble qu’il ne faut pas attendre l’avis de critiques pontifiants et ultra-informés pour avoir du talent. En fait, si vous avez réellement un talent spécial et « unique » , même un peu caché, ce sont très souvent les artistes de haut vol, les pionniers les plus acharnés et incontournables qui vont venir vous féliciter et vous encourager, et aussi vous inviter à les joindre. C’est mon expérience personnelle et c’est celle d’Harald Kimmig, même si celui-ci est resté modeste et n’a pas eu la grosse tête par la suite. Donc Harald Kimmig a joué dans plusieurs groupes de Cecil Taylor en différentes circonstances. C.T. a tenu aussi qu’un de ses groupes avec Harald Kimmig soient publiés par FMP : « Looking (Berlin Version) Corona » (FMP CD 31 enreg. 1989 Corona est une composition importante) soit 71 minutes d’une musique ultra-énergétique avec le percussionniste Tony Oxley (qui fut son batteur attitré par la suite) et un trio de cordes : Harald Kimmig violon Muneer Abdel Fataah violoncelle et William Parker, contrebassiste attitré du pianiste. Jouer avec Cecil Taylor, ce n’est pas un cadeau : il faut vraiment assurer au-delà de ses forces. Où croyez vous qu'Harri Sjöström a acquis sa capacité à souffler comme si son sax soprano allait exploser ? Je suis chanteur et mes prestations improvisées tournent en général autour des trente minutes en solo ou avec des pointes de trois quart d’heures en duo. En quartet, cela peut durer une heure, mais souvent ou pas toujours "à mon aise". Je peux foutre ma voix en l’air : multiples concerts successifs, les voyages, la fatigue, le froid, l’humidité, le manque de sommeil, une grippe et les cordes vocales qui encaissent au fil d’une tournée ou d’un festival. Et nous souffrons tous des circonstances, fatigue, blessure éventuelle, maladie, arrivée tardive etc… Avec Cecil, comme le témoigne Harald Kimmig, le concert dure deux fois deux heures ! Et le groupe joue au maximum de son intensité tous les soirs et je vous décris pas sur "les répétitions" : avec Cecil il faut s'accrocher et rester cool. H.K. déclare qu’il sentait qu’il allait « mourir » après quinze minutes de jeu, mais il a tenu le coup seize fois cette durée et tous les concerts suivants.

Mais bon, Harald décida assez vite de suivre sa voie personnelle au milieu d’une des scènes les plus vivaces et originales en matière d’improvisation radicale : celle du tromboniste Paul Hubweber, de la trompettiste Birgit Ulher, des guitaristes Erhard Hirt, Hans Tammen, Hainer Wormann, Frank Ruhl, des clarinettistes ou saxophonistes Wolfgang Fuchs, Stefan Keune, Joachim Zoepf, Georg Wissel, Theo Jörgensmann, Ove Volquartz, Martin Speicher, Dirk Marwedel, et ensuite Rudi Mahall... , des flûtistes Nils Gerold et Angelika Sheridan … des contrebassistes Hans Schneider, Torsten Müller, Georg Wolf, Ulrich Philipp, Alexander Frangenheim et Rainer Hammerschmidt, des violonistes Gunda Gottschalk et Christoph Irmer ... et Harald Kimmig (!), des pianistes Bernhard Arndt, Georg Gräwe, Martin Theurer, Ursel Schlicht, Uwe Oberg, des électroniciens Joker Nies, Konrad Doppert, Thomas Lehn, Ulli Böttcher, des tubistes Melvyn Poore, Pinguin Moshner, Carl Ludwig Hübsch, des batteurs Achim Kramer, Willi Kellers, Wolfgang Schliemann, Michael Vorfeld, Jörg Fischer, Michael Griener etc… les chanteuses Ute Wassermann et Marianne Schuppe etc… . Ces musiciens, et de nombreux autres, basés à Cologne, Wiesbaden, Bremen, Hamburg, Hannover, Berlin, Stuttgart ou Fribourg en Brisgau (H.K.) ont contribué à étendre, développer et innover dans l’univers sonore interactif de l’improvisation libre au grand bonheur de certains de leurs prédécesseurs éminents : Paul Lovens, Paul Lytton, Günter Christmann, Peter Kowald, Sven Åke Johansson avec qui certains d’entre eux ont joué ou tourné.
Leur univers se situe dans le prolongement direct de celui des improvisateurs Londoniens : citons Derek Bailey, John Stevens, Trevor Watts, Evan Parker, Paul Rutherford, Eddie et Keith d’AMM, Keith Tippett, Tony Oxley, Paul Lytton, Barry Guy, Jamie Muir, Hugh Davies, Phil Wachsmann, Roger Smith et les chanteuses Maggie Nicols et Julie Tippetts etc… bien avant que ne se révèlent deux as incontournables de cette génération, Phil Minton et Roger Turner.
Nombre des artistes précités ont une discographie conséquente ou relativement bien fournie. Mais Harald Kimmig ne s’est jamais trop préoccupé de publier des enregistrements, et ce, durant des décennies. Aux yeux du public informé, il doit apparaître comme un obscur outsider, un qui joue sans doute "aux entrées" en se cantonnant à jouer dans sa ville ou dans sa région avec de temps à autre un saut à Hambourg ou Berlin. Sa discographie intentionnelle, celle dont il est lui-même le responsable se limite à trois albums, c’est-à-dire les albums dont il a initié la réalisation lui-même. Aussi, mis à part son travail avec Cecil Taylor, il ne figure pas dans les discographies d'artistes incontournables de la scène improvisée et cela depuis des décennies. Plus récemment, il a enregistré en trio avec le bassiste Daniel Studer et le violoncelliste Alfred Zimmerlin qu'on entend rarement avec "le gratin". Je reviendrai plus loin sur cette collaboration permanente. Mais il a de sérieuses connexions dans le monde de la danse, une discipline qui a une influence profonde sur sa démarche, tout comme les arts graphiques (cfr pochette de one body one bow one string). Il a pu ainsi faire évoluer son talent dans d'autres sphères. J'en profite de rappeler le décès récent du contrebassiste Hans Schneider, musicien improvisateur essentiel dont je vous entretiendrai tout prochainement.

Harald Kimmig violin solo « Im Freien » hybrid cd 15. 1997
Harald Kimmig – Christoph Schiller Regen Creative Sources 2007
Harald Kimmig One body, one bow, one string inexhaustible editions ie-014 2014
https://inexhaustibleeditions.bandcamp.com/album/one-body-one-bow-one-string

Convié à jouer à Lisbonne en 2017 par Ernesto et Guilherme Rodrigues, respectivement alto et violoncelle, Harald Kimmig n’a pas eu à discuter : deux enregistrements figurent au label Creative Sources des Rodrigues en compagnie de ces derniers, de Miguel Mira, Alvaro Rosso et Vasco Trilla (Blattwerk et Zweige). Je ne les ai pas écoutés pour la simple et bonne raison qu’Ernesto Rodrigues, un musicien exceptionnel est le champion incontesté de la documentation : son label Creative Sources atteint un nombre record de productions : + 860 numéros au catalogue depuis l’an 2000 et il figure dans un grand nombre de CD’s. Impossible de tout appréhender. Comme Harald habite plus près de Bâle, Berne ou Zurich que des autres grands villes allemandes, il ne faut pas s’étonner de le voir évoluer en Suisse. Depuis environ 2012 , il fait partie d’un String Trio que je considère comme le groupe « à cordes frottées de la famille des violons » ultime , culte , extraordinaire ex-aequo avec l’exceptionnel Stellari Quartet de Phil Wachsmann, Charlotte Hug, Marcio Mattos et John Edwards (deux CD’s Emanem). Mais si les Stellari se retrouvent sur une scène de temps à autres, lors d’un festival ou de quelques concerts, les trois musiciens du String Trio, Kimmig, le violoncelliste vétéran Alfred Zimmerlin et le contrebassiste Daniel Studer se retrouvent une fois par mois pour jouer, réfléchir, discuter et envisager d’autres modes de jeux, des collaborations, Zurich se trouvant à 60km de Fribourg en Brisgau. Un « vrai » groupe d’improvisation.
Avec l’entregent des Suisses, le String Trio enregistre Erzahlend, un double CD pour le label Unit (2012), mais je n’ai pu l’écouter. Quelques années plus tard Raw du Trio Kimmig Studer Zimmerlin and John Butcher voit le jour chez Leo Records et cela a été une véritable révélation juste avant que je puisse écouter le CD Solo One violin one bow one string. Cet album RAW en quartet est d’une richesse extraordinaire mettant autant en évidence tout le savoir-faire du saxophoniste (ultra-documenté), les inventions et l’étendue peu commune des possibilités des trois cordistes qui, comme le dit si bien le violoniste Jon Rose, jouent comme les cinq doigts de la main dans un gant de velours. Les métamorphoses soniques du trio sont mirobolantes on passe dans tous les états du gazeux au liquide, du granuleux au boisé, des stries auditives au solide arachnéen. Un éternel labyrinthe musical et un des tout meilleurs albums de Butcher et d'improvisation "cordiste".
Pour décrire sa musique, il faut absolument avoir vu jouer Harald Kimmig : son jeu et sa démarche sont proches de la danse et basées sur le mouvement du corps et le geste. Gestes répétés sans relâche de la main tenant l’archet, battant les cordes dans de fascinants crescendos dont l'angle est à peine perceptible,frottant, griffant, percutant col legno ou avec les doigts à même le corps du violon, bruitages claquant dans l'espace, actions simultanées formant une polyphonie – polyrythmie sauvage, organique. Il fait craquer, siffler, gémir ou chanter son instrument d’un seul tenant. C’est ce qu’on peut entendre dans cet album Solo One body, one bow one string durant deux longues improvisations de 35 et 26 minutes (part I, part II). Mais même cela ne vous prépare à une performance solo dans une acoustique propice, spéciale ou même caverneuse. Avec mes deux camarades d’O.M.F.I, le saxophoniste (sopranino) Jean-Jacques Duerinckx et le contrebassiste Mattia Masolini (absent ce soir-là), nous l’avons invité à se produire le 20 octobre 2024 à Bruxelles dans la Chapelle du Grand Hospice, un énorme bâtiment historique devenu « un squat officiel " de la Ville de Bruxelles. Les gérants nous prêtent ce lieu magique à l’acoustique problématique. Nettement plus haute que large, cette salle carrée carrelée et plafonnée est surmontée par une haute coupole de la dimension d'un super étage supplémentaire avec des colonnes. Le résonnance ultra-réverbérante est telle qu’un quintet sax, trompette, piano basse, batterie, ou avec guitare électrique improvisant librement court à sa perte. Même le jeu « normal » au piano solitaire en devient problématique, les cuivres , aïïïe ..! Nous présentons des concerts dans ce lieu singulier afin que les improvisateurs se plient à ses propriétés acoustiques difficiles. Facile pour un vocaliste, je suis gâté, mais pour les autres !! Pour ce faire, nous invitons trois musiciens en solo suivi d’une rencontre à trois et souvent des musiciens qui ne jouent pas ensemble. Ou bien alors, un solo, un duo , suivi d’un trio. Cela a été le cas avec Harald Kimmig et deux copains de Bruxelles, le percussionniste Andres Navarro et le tromboniste Christophe Morisset. Harald ne s’est pas fait prier, il a ouvert le concert en solo et ce fut sans doute la plus brillante démonstration musicale et instrumentale pour inscrire son improvisation (une demi-heure) dans cet environnement hasardeux à laquelle j’ai assisté depuis plus de deux années et, même, depuis très longtemps. On atteint là le niveau du Derek Bailey « acoustique » d’Aïda (Incus 40) ou de Drop Me Off at 96th (scätter), du Barre Phillips de Journal Violone a/k/a Basse Barre, des Open Secrets de Peter Kowald, du Paul Rutherford de Gentle Harm (Emanem)et Old Moers Almanach, ou des solos forcenés de Paul Rogers (Listen /Emanem et Being /Amor Fatti), des pirouettes incessantes de Fred Van Hove et des saxophonistes parmi les plus exemplaires (Parker de Saxophone Solos, Coxhill, Butcher, Leimgruber ou Doneda) ou la détermination de Birgit Ulher avec ses improbables sourdines.
Le concert commence par des coups brefs sur l’instrument, chocs, bruits, griffes, grincements, puis ondulations, harmoniques, sifflements en crescendo minutieux où se croisent de subtils changements d’humeur et de résonnances impalpables. Kimmig aspire la salle, subjugue son auditoire avec une sublime évidence sans gaspiller la moindre miette, le moindre instant. Il fait venir le silence à lui, phagocyte l’écoute. Et tout à trac dans le climax de son mouvement perpétuel, il lance les oscillations de son archet sur les cordes dans des spirales virtuoses dont les sons se chevauchent, vibrent comme une voix magique, avec la "voix" naturelle du violon, "comme on lui a appris". Sa qualité de timbre est radieuse, irridescente, magnétique, sublimée. Le son de la voix d'un ange... qui passe. Dès lors, la puissance de son jeu due à une rare capacité de projection sonore fait littéralement monter le centre de la vibration du violon à deux mètres au-dessus de sa tête dans l’espace amplifié par la Chapelle elle-même et son dôme dont le sommet se situe à plus de six mètres de hauteur. Affolant, magique. Jean-Jacques, lui même un virtuose exigeant, décollait de son siège, bouleversé. Pour réaliser ce que je viens de décrire, il faut un sens musical du lieu en en évaluant et mesurant ses fréquences précises grâce au fruit de l’expérience et à une intuition savante et pragmatique. C’est sur ce type de phénomène acoustique que travaille Evan Parker quand il preste en solo dans une église ou une salle particulière jusqu’au point où on entend vibrer fortement les osselets de l’oreille interne (dont le fameux Incus qui fut aussi le logo de son label vinylique du même nom). Ast’a blieft !
NB : cette capacité à évaluer la fréquence sonore d'une pièce est une capacité connue des musiciens curieux qui ont cherché sur leur instrument tout ce qui est possible et l'impossible à la fois. Un ami, le contrebassiste Jean Demey, a un métier énorme dans plusieurs domaines musicaux, c'est aussi un maître des percussions à main orientales (Derbuka, Daf) dans leur tradition originale. Il est aussi un clarinettiste basse 'd'occasion'. Un jour il rentre dans une galerie d'art où il devait prester un concert avec une sculptrice. Il déballe sa clarinette basse et fait immédiatement vibrer l'entièreté du local, le son devenant énorme, envahissant toute la pièce qui se transforme en une véritable caisse de résonance. Il avait soufflé cette note du premier coup juste après avoir dit un mot ou deux en entrant. Je raconte cela parce que la musique c'est ça aussi ! Il faut écouter et comprendre où on se trouve en un instant.

https://soundcloud.com/kimmig-studer-zimmerlin/sets/im-hellen-string-trio
D’autres albums du String Trio paraissent sur hat(now)Art (Hat Art – hatology), un label suisse (héhé) qui devient Ezz-thetics peu après la sortie de leur IM HELLEN. Un monument de la musique contemporaine : Kimmig-Studer-Zimmerlin IM HELLEN String Trio (hat (now) Art 201. 2017). Un professeur de composition réputé fait écouter ce disque à ses élèves du Conservatoire parmi plusieurs autres compositions de compositeurs réputés en leur demandant de découvrir lequel parmi eux contient une improvisation. Résultat des courses : jamais personne ne devine qu’il s’agit du String Trio – Im Hellen. Il y a neuf courts morceaux dont le plus long s’étend sur 10:58. Rien que ce passage infernal où Harald martèle ses cordes frénétiquement avec le revers de son archet (col legno) est d’une inventivité sonore mirobolante : il applique la force suffisante au milli-poil pour atteindre la résonance du bois de l’archet et de la touche pour une expressivité et un rendu acoustique ultra-lisible et précis. C’est aussi compliqué que de jouer du Bach (Partitas pour violon seul). Bouf ! Mais ce n’est pas tout. Ezz-thetics (1010) propose dans son catalogue l’album Kimmig-Studer- Zimmerlin and George Lewis, le tromboniste afro-américain, instrumentiste virtuose au-delà du possible et compositeur contemporain dont un anarchiste notoire peu prompt aux compliments et qui déteste les hiérarchies, le saxophoniste français Michel Doneda, le décrit comme étant un des plus grands musiciens contemporains, un enthousiaste bien éloigné des considérations oiseuses de ce bas monde qui agitent trop souvent la profession. Vraiment à écouter.

Tout récemment, le STRING TRIO est devenu électrique et électronique et c’est une tout autre aventure : Black Forest Diary (Wide Ear WER 1014).https://wideearrecords.bandcamp.com/album/black-forest-diary

Pour en revenir à son premier album, IM FREIEN, il est composé de morceaux courts qui constituent l’amorce sonore de sa carrière. On y trouve déjà tous les éléments constitutifs de sa démarche actuelle où tous ces sonorités, techniques et gestes se fondent dans un flux d’un seul tenant qui fait l’effet d’une véritable composition instantanée conçue en temps réel dans les circonstances spécifiques d’un lieu. Avec ses échappées de glissandi chatoyants, frénétiques et expressifs (8 Drinnen – GLUT 5:54) et ce sens polyphonique d’un autre type, IM FREIEN est alors une rare carte de visite publiée sur un micro-label qui servit de havre temporaire à une série d’artistes de premier plan : Hybrid Music Productions. Qui n’a jamais entendu parler de ce label en France, aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne, Italie, aux USA ou en Belgique ? J’en ai trouvé quelques-uns au hasard de mes pérégrinations et rencontres. Citons Ebro Delta, un des premiers CD « internationaux » du pianiste Agusti Fernandez en duo avec le violoniste Christoph Irmer de Wuppertal (Hybrid CD 18 1999). Une démonstration exemplaire de l’obsolescence de l’adage extrême du syndrome Tchaïkovsky qui veut que le piano et le violon ça ne va pas ensemble pour les raisons que l’on sait. Mais dites, qui est vraiment à même d’accorder vraiment un piano pour satisfaire les exigences d’un violoniste ou d’un violoncelliste ? Une étonnante réussite. Christoph fait partie d’un des meilleurs groupes d’improvisation, Canaries on The Pole. Stefan Keune est le dernier des oisillons anchistes à être tombé du nid pour succéder au terrorisant Wolgang Fuchs au sein de XPACT II. Sommé de désigner lors d’une interview, un saxophoniste qu’il adore et qui se situe « dans son lignage musical », Evan Parker a eu le cri du cœur pour l’alors inconnu Stefan Keune, duettiste du guitariste acoustique par excellence, John Russell (cfr Frequency of Use publié par Nur Nicht Nur le label corne d’abondance des improvisateurs germaniques). Et bien, son premier album enregistré, Loft, (Köln) – Stefan Keune Trio avec contrebassiste Hans Schneider (RIP) et Paul Lytton est le n°3 de Hybrid Music Productions en 1992. Lors de ses tournées sur le continent, le contrebassiste John Edwards, un musici en très demandé, n’a de cesse de faire escale à Aachen. Y réside un tromboniste unique en son genre, celui qui fait exploser son trombone en jouant en douceur avec une vivacité étonnante et un sens de la dynamique exceptionnel au bord du silence. Edwards et lui avaient un trio avec Paul Lovens, PaPaJo et continuent l'aventure en duo le plus souvent possible. On trouve son premier enregistrement marquant dans le CHW Trio sur le même Hybrid au n° 7 (1992) avec le batteur Hannes Clauss, le guitariste Hainer Wörmann et lui-même Paul Hubweber au trombone sous le titre Serendipity. J’ai quasi tous ses albums et il n’y en n'a pas deux qui se ressemblent. Airmail de la trompettiste Birgit Ulher et du percussionniste Wolfgang Ritthof inaugure l’évolution fascinante d’une grande artiste du son et de l’embouchure qui n’a rien à envier aux Peter Evans, Axel Dörner, Franz Hautzinger ou Nate Wooley en matière d’innovation révolutionnaire trompettistique (Hybrid n°13 1996). Son art a fait le tour du monde avec de nombreux artistes tout aussi passionnants dont Gino Robair, Heddy Boubaker ou Ute Wassermann. Le son dit minimaliste introspectif et « tubulaire » animé par un sens aigu des pulsations et du timing. Et alors Die Klangraümer (Hybrid 10) par Mangelware est sans doute le premier album de Thomas Lehn l’as du synthé analogique en compagnie du souffleur Andreas Wagner et du bassiste Guido Haffner. Dans Erdtöne - Notation Des Lots (Kreta) , on trouve le saxophoniste Martin Speicher, le percussionniste Michael Vorfeld, le contrebassiste Georg Wolf et le guitariste Hans Tammen qui vit aujourd’hui à New York : Hybrid n° 17, lui-même une suite du CD Hybrid n°1, Giessen Improvisers Pool. Hans Tammen duettise avec la pianiste Ursel Schlicht dans Duo Statements (Hybrid 11 ). Un autre pianiste, Uwe Oberg en solitaire dans Olo Olo Piano Music (Hybrid n° 6). Le saxophoniste Dirk Marwedel et ses Improvisationen Über Die Trichter-Skala (Hybrid 14)est aussi un as du sax sopranino. L’electro-acoustic improvisation ou EAI, elle, trouve une de ses racines dans Nefastismaschine du groupe Maxwell Dämon de Ulrich Böttcher, Uwe Buhrdorf et Ulrich Philipp, crédités Elektronik et respectivement Perkussion, Klarinette und Kontrabass. C’est complètement détonnant et mystérieux. Et une fois le tour d’Hybrid presqu’achevé, je vous passe le parcours de Nur Nicht Nur, un des deux ou trois labels les plus passionnants des années 90-2000 éclipsant question renouvellement et recherche d’autres qui se sont contentés de nous livrer des registres qu’on avait déjà entendus durant l’ère Incus, FMP, Po Torch, etc.. (encore que le duo Lovens - Lytton pouvait se révéler très surprenant).



Tout cela pour dire que la plus grande richesse des musiques improvisées radicales ne se situent pas qu’au niveau des musiciens à la notoriété internationale, mais tout autant grâce à cette multitude d’acteurs passionnés, fascinés par la découverte de nouveaux territoires sonores, ceux qui prennent des risques et se remettent en question, certains étant capables d’électriser les « masses populaires » de manière irrévocable. C’est le cas de notre ami Harald Kimmig un vrai phénomène et de nombreux de ces condisciples cités ici. Il faut déplorer qu’un nombre de journalistes, promoteurs, organisateurs « responsables » restent à la surface des choses, négligent le talent réel pour le sensationnel, le scoop, les valeurs sûres, celles qu'on entend dansles festivals importants. Avec une solide dose de conformisme. Il faut voir certains individus "cognoscenti" se précipiter à la suite d’artistes (archi)connus pour se rendre au restaurant, faire des photos, glaner des informations, quémander des signatures sur un CD ou un LP, et conforter leur statut d’auditeur de première classe, mais méprisent, parfois cordialement, ceux dont le talent reste dans l’ombre, ou en s’ouvrant à eux comme s’ils allaient leur faire une faveur. Certains d'entre eux ne reçoivent plus aucune considération de ceux qui sont sensés faire connaître cette musique.
Il s’agit d’une musique collective et cette musique est faite d’affinités, de communauté d'intentions esthétiques, mais aussi d’amitié, de respect, de compréhension et d’entraide. Opportunistes, carriéristes, égocentriques,obsédés des références et du C.V., mythomanes, dégagez ! Faites de la place à l'authenticité.