2 novembre 2025

Stefan Keune Dirk Serries Benedict Taylor/ Agogol NaabtalDeath Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues/ Simon Rose & Michel Doneda/King Imagine & Bruno Gussoni

Stefan Keune Dirk Serries Benedict Taylor Closer & Beyond a new wave of jazz digital
https://newwaveofjazz.bandcamp.com/album/closer-and-beyond

Trio acoustique saxophone, guitare & alto (viola) éclaté. Stefan Keune joue ici des sax alto et sopranino, Dirk Serries de la guitare archtop (chevalet) et Benedict Taylor de l’alto. Rappelons que Stefan Keune a joué et enregistré avec le guitariste John Russell depuis les années 90 (Frequency of Use / NurNichtNur) Cette expérience radicale entre corde et anche s’est prolongée récemment dans un trio avec Dirk et Benedict s’est prolongée récemment lors d’un concert à Baarle Nassau enregistré et inclus dans un triple CD intitulé Live At Plus Étage (a new wave of jazz anwoj0060). La partie est remise dans ce nouvel album en trio enregistré en 2022 au Studio Sunnyside à Bruxelles. Je pense sincèrement que Stefan Keune se situe parmi les saxophonistes chercheurs « post Evan Parker » qui explorent toutes les ressources sonores de leur instrument (harmoniques extrêmes, « morsures » , doigtés fourchus, vocalisations, On songe à Michel Doneda, Urs Leimgruber, John Butcher, Jean-Luc Guionnet, Georg Wissel mais aussi les pratiques les plus extrêmes de Steve Lacy ou Anthony Braxton. Les phrasés staccato et les morsures soniques de Stefan Keune se meuvent avec une articulation ultra-véloce, déchiquetante, exaspérée, tordant le cou inexorablement à la notion de mélodie. Cela cadre parfaitement au jeu inquisiteur de Benedict Taylor à l’archet qui nous fait entendre une variété étonnante de frottements tout à tour ultralégers, vocalisés, saturés, fantomatiques, harmoniques torturées, en glissandi voilés ou expressifs ou encore des tournoiements affolés. S’ajoutent à cela les clusters et cascades de notes entrechoquées, bruissements métalliques, frictions des cordes sur la touche de la guitare de Dirk Serries, le responsable de a new wave of jazz. On peut y trouver des instants parsemés de silence aux détails infinis, pointillistes étirés comme si le temps allait s’arrêter. La concentration des musiciens construit une toile aux ramifications étoilées et distendues, ou un flux échancré ou dense, compressé dans un crescendo à la fois statique et hyper mouvant,…
Un excellent trio d’improvisation qui nous change du sempiternel et rituel assemblage saxophone contrebasse batterie…. Et ici le saxophoniste est un phénomène tout à fait particulier incarnant l’art sonore « abstrait » du saxophone et il a du mérite car le saxophone sopranino qu’on entend très souvent ici est un engin compliqué à manipuler. Le violoniste est un as de l’alto dont la manière et le style personnel est immédiatement reconnaissable par la finesse du jeu à l’archet qui semble à peine toucher les cordes tout en les pressant sur la touche pour en altérer la sonorité. Et l’alto demande un réel effort technique et sensible, plus malaisé à jouer à ce régime. Et donc, suivant Dirk Serries depuis plusieurs années, je mesure les progrès sensibles de ses interventions en interagissant à très bon escient tout en propulsant la furie de ses deux collègues. Excellent CD.

mistika jpeg oscillations Agogol NaabtalDeath Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues Creative Sources CS859CD
https://ernestorodrigues.bandcamp.com/album/mistika-jpeg-oscillations

Avec un titre pareil, mistika jpeg oscillations, les noms des deux artistes à coucher dehors - Agogol et NaabtalDeath - et la photo de pochette, le connaisseur sera un peu interloqué d’y voir le père et le fils Ernesto et Guilherme Rodrigues incarner le (saint-) esprit de la musique improvisée libre de ceux qui sont « sc…. toujours prêts » à se commettre avec quiconque joue à improviser librement sans aucune arrière-pensée esthétique ou carriériste. Ernesto et Guilherme sont deux cordistes très remarquables, « viola » et « cello » parmi les meilleurs qui se trouvent dans la scène actuelle. Ils ont récemment enregistré avec des incontournables comme Fred Lonberg Holm, Floros Floridis, Frank Gratkowski, Alex von Schlippenbach, Willi Kellers, Ute Wassermann et un nombre exponentiel de musiciens de grand talent. Il leur arrive de croiser dans une tournée des artistes issus d’un autre filière, d’un tout autre background. Agogol et Naabtal Death sont deux artistes sonores – musiciens de la scène locale d’Hannover, celle du génial Günter Christmann et de sa muse l’extrordinaire chanteuse Elke Schipper, mais aussi de l'Atelier Grammofon. Mais ce que ces deux zèbres pratiquent vient d’une autre planète que celle de l’improvisation libre historique issue du jazz libre et dela musique contemporaine. Agogol est crédité modified electric guitar, electronics, voice et son copain Naabtal Death, amplified tortured zither, electronics, tools. On pourrait penser que ce serait une session free-noise. Mais non ! Ce quartet improbable joue avec une belle sensibilité une musique improvisée radicale soignée avec un super sens de la dynamique et l’intégration réussie de pratiques différentes dans un flux sonore détaillé de 42'48'' vraiment réussi en dehors des radars et des tendances. La musique de l’instant. Vous trouverez là une série de séquences reliées les unes aux autres dans un large panorama d’approches, de sifflements oscillatoires (l’alto / viola d’Ernesto), d’irisations électroacoustiques, des vibrations étranges, de discrets bruitages, des glitch, de chocs sur la touche du violoncelle, des ambiances – drones soutenues. Cela dure d’abord quasi trois quart d’heure : 1. playing the paintings upside down – 42 :48 plus un final 2. paintings want to rotate – 07 :47. C’est un beau message d’ouverture d’esprit. Il y a une dimension cosmique et chacun se sent libre de s’exprimer pleinement en restant lui-même dans une harmonie auditive et réactive. On est tous là sur terre pour s’écouter, se comprendre et essayer de collaborer, et cette communion des sens, des actes et de l’écoute en témoigne. Je les ai rencontrés fin juillet dernier à Atelier Gramophon à Hannover et l’un deux, AGogol, un joyeux drille sérieux comme un pape, s’est joint dans notre programme pour égayer la soirée. Mémorable ! Merci à Naabtal Death pour m’avoir tendu ce très intéressant album inclassable.

Simon Rose & Michel Doneda METAL NOTEBOOK scätter archives
https://scatterarchive.bandcamp.com/
Pas encore publié en ligne , il sera le 7 novembre 25.
Un duo d’anches tranchant, bruissant, extrême, deux colonnes d’air sous pression des lèvres et du souffle, une métamorphose des sons de deux saxophones. Le soprano de Michel Doneda et le baryton de Simon Rose résonnent dans l’espace fusant des harmoniques acérées ou secrètes, bourdonnant, lacérant les fréquences, leurs morsures aériennes délivrant une intense énergie physique même dans leurs coups de langues furtifs sur le bord de l’anche, fétu de bambou arrimé au bec que leurs gosiers irritent ou fait gémir. C'est autant une ascèse viscérale, qu’une une philosophie de la recherche d’un botaniste curieux des sons, qu’un trop plein d’émotions, une science de l’indicible et de sifflements revêches , la rage et l’espérance. Leurs deux personnalités sont complémentaires au-delà qu’il est possible et les croisements de leurs musiques individuelles forment un tout, un univers, un vécu collectif. Ils ne nous épargnent rien dans leurs débauches d’effets de souffle et pourtant, ils communiquent l’essentiel en une seule prise dans un instant qui dure sans qu’on en mesure le temps, effacé, extrapolé, sublimé et évanoui. 28 minutes aussi bon marché (vous payerez ce que vous pourrez pour les acquérir) que c’est absolument unique. On découvre ici la nature de leurs instruments … à l’état de nature. Une musique sauvage basée sur une écoute mutuelle intense et un travail ultra-précis. La mécanique des clés et tampons rejoint le pensée, la réflexion intime, cet état second qui distingue le rêve de l’action et les réunit dans un même temps.
Simon Rose a travaillé avec acharnement depuis ses deux trois premiers CD’s de junior de la scène londonienne (avec feu Simon H Fell, Mark Sanders, S Noble) il y a plus de trente ans… et c’est tout à fait merveilleux de l’entendre au saxophone baryton, devenu son instrument de prédilection avec ce défricheur chercheur ultime du saxophone soprano qu’est Michel Doneda dont on se demande comment il parvient à contrôler l’émission de telles sonorités quasi inaccessibles par delà les limites techniques, physiques de l’instrument. Franchement, s’il y a un excès de saxophonismes dans l’univers des musiques improvisées, ces deux-là nous offrent l’indispensable, l’élémentaire. Une éclipse. Une leçon de vie.
Publié par Liam Stefani sur son mythique label digital et que vous pouvez acquérir en payent ce que vous désirez.

King Imagine & Bruno Gussoni Electric Path of the Samuraï
https://kingimagine2.bandcamp.com/track/electric-path-of-the-samurai

Par-dessus un dense et rebondissant réseau de sonorités électroniques étonnamment diversifiées, tournoyantes, vibratiles, croassantes, s’échappe le souffle ou les souffles paisible(s) d’un adepte du shakuhashi, la flûte japonaise « sans bec » taillée dans un tuyau de bambou à l’extrémité duquel une entaille aiguisée artistement permet de faire vibrer des notes dans cette colonne d’air tout à fait aléatoire. Vu la rusticité simplissime de cet instrument, le musicien, Bruno Gussoni, a bien du mérite, cet instrument requiert beaucoup de concentration et d’astuce pour tracer un son mélodieux d’une note à l’autre sans jamais en altérer la qualité de timbre. King Imagine est un artiste de musique électronique ukrainien basé à Kiev qui entend siffler et exploser missiles et drones Russes quasi journellement. Cette musique a été réalisée à la fois en Ukraine (King Imagine) et à Gênes où vit le flûtiste Bruno Gussoni, lequel a travaillé avec Marcello Magliocchi et Adrian Northover ces dernières années. Je dois dire que son travail musical électronique construit en multi-pistes agrégées les unes aux autres est vraiment réussi. En outre, aimant à jouer avec des improvisateurs qui veulent à la fois montrer leur solidarité face à cette horrible guerre et apprécient le challenge. En effet, si je comprends bien, King Imagine semble aussi insérer les interventions de Gussoni, dans le montage des pièces, tout en lui laissant aussi de l’espace : on entend plusieurs fois clairement et simultanément deux ou trois parties de flûtes en re-recording qui finissent par s’épandre largement dans un orchestration organique dans une longue pièce de 21 :40, At The Sea, initiée au départ par une sorte de ressac de vagues maritimes et les accents du blues insufflées dans l’anche du bambou. Même si le niveau d’ enregistrement de la flûte n’est pas optimal, on est positivement impressionné par le savoir faire délicat des spirales sonores du shakuhachi dans les mains de Bruno Gussoni et par l’interaction en parallèle des deux improvisateurs. Les morceaux suivants, nettement plus courts offrent chacun un autre ambiance. Ce type échange musical à distance entre deux musiciens a été développé durant la pandémie du Covid 19 et c’est heureux que cette approche se perpétue entre des artistes situés loin les uns des autres dans un esprit sincèrement internationaliste.