Ivo Perelman : L’intégrale des 68 CD’s Leo Records parus de 1997 à 2019 publiés en digital.
https://ivoperelmanleo.bandcamp.com/music
Milles excuses à mes lecteurs et aux producteurs d’arriver si en retard pour commenter cette publication … colossale. Leo Records a été longtemps un label essentiel focalisé sur la New Thing afro-américaine, l’euro-jazz « risqué et l’improvisation libre européenne et « ex-soviétique » depuis la fin des années vinyles vers 1980 jusqu’il y a quelques années. Un catalogue impressionnant d’œuvres d’Anthony Braxton, du Sun Ra Arkestra, de Cecil Taylor, Evan Parker, Joëlle Léandre, Vyacheslav Ganelin Trio, Simon Nabatov, Sainkho Namchylak, Joe et Mat Maneri… et le saxophoniste ténor brésilien Ivo Perelman, souffleur exclusivement « ténor ». Musicien promis à un bel avenir dans le latin jazz à la brésilienne repéré par la grande chanteuse Flora Purim, mais aussi Paul Bley et Don Pullen, Ivo Perelman quite la Californie pour rejoindre la Grosse Pomme (NYC) et sa scène free. Il y démarre très vite avec le bassiste William Parker, le batteur Rashied Ali, le pianiste Matthew Shipp en enregistrant Cama da Terra avec Parker et Shipp, ses deux compagnons des années Leo Records. Premier album « free » insigne chez Leo Records : Sad Life avec Rashied Ali à la batterie et William Parker à la contrebasse enrgistré en 1996. Rashied fut le batteur free du groupe de Coltrane (Meditations, Live at Village Vanguard Again, Live in Japan, Expression, Stellar Regions) jusqu’à sa mort. À cette époque William Parker est le contrebassiste de choix de Cecil Taylor tant avec feu Jimmy Lyons qu’en trio avec Tony Oxley et ses Ensemble durant de nombreuses années. Shipp et Parker sont aussi des incontournables du quartet du saxophoniste David S. Ware. Alors, l’expressionnisme forcené, la sonorité incandescente à la saudade brésilienne d’Ivo Perelman conquiert les meilleurs musiciens du free-jazz New-Yorkais dès 1995-96. Seeds Vision and Counterpoint fait suite à Sad Life la même année, l’Ivo Perelman trio avec le bassiste Dominic Duval, successeur de Parker auprès de Cecil Taylor et le batteur Jay Rosen, ces deux musiciens formant plus tard le TRIO X avec Joe McPhee. Avec Brazilian Watercolour, Ivo revisite et affirme son identité et son amour du Brésil avec Rashied Ali, son futur partenaire le plus proche, le pianiste Matthew Shipp et ses compatriotes Brésiliens, les percussionnistes Guilherme Franco qui joua avec McCoy Tyner dans les années 70 et Cyro Baptista, un proche de John Zorn qui enregistra un des plus fascinants albums en duo de Derek Bailey. Mais étrangement, l’ouverture d’esprit de Leo Feigin ( Mr Leo Records) lui permet d’enregistrer The Alexander Suite avec le C.T. String Quartet en 1998 : Jason Kao Hwang violon, Ron Lawrence alto, Thomas Ulrich, violoncelle et Dominic Duval contrebasse, initiant la partie de son œuvre enregistrée chez Leo avec des cordistes tels que l’altiste Mat Maneri, un de ses plus proches collaborateurs et le guitariste Joe Morris en duo et trio, puis le violoniste Mark Feldman et le violoncelliste Hank Roberts.
Un aspect fondamental de la démarche d’Ivo Perelman est son approche collective et entièrement improvisée dans l’instant avec un ou deux partenaires dans une dimension égalitaire. Cela veut dire que quelque soit l’instrument joué, chacun des improvisateurs à toute la liberté et la latitude de pouvoir improviser entièrement sans interruption ni servilité (vous savez , le syndrome du soliste et la hiérarchie entre le souffleur et le rôle d’accompagnement du bassiste et du pianiste).
Après avoir joué fréquemment avec le pianiste Matthew Shipp, Ivo Perelman et lui ont gravé un album en duo en 2012 : The Art of the Duet. Séduits par l’empathie créative et les perspectives musicales et émotionnelles de leur duo, les deux amis ont poursuivi la voie du duo en enregistrant une merveilleuse série d’albums : Corpo en 2015, Callas (cd double) en 2016, Complementary Colors et puis deux coffrets Oneness 3 CD’s 2017 et Efflorescence 4 CD’s 2018 , tous contenants de courtes improvisations de quelques minutes très diversifiées par leurs formes et leurs évolutions spontanées, sortes de compositions instantanées, alors que leur album 2CD Live in Brussels est construit dans de longues suites musclées granitiques. Croyant avoir épuisé le filon du duo, ils furent surpris de pouvoir encore se renouveler dans le coffret Efflorescence et un autre album duo camouflé dans une des trois séries de sept albums publiés d’un jet : the Art of Perelman – Shipp vol 6 : Saturn. Les autres albums de cette série The Art of Perelman Shipp et de The Art of the Trio et de beaucoup d’autres publications Leo consistent en une déclinaison – constellation de trios ou quartets autour du duo Perelman - Shipp en compagnie des contrebassistes William Parker, Michael Bisio et Joe Morris et des batteurs superlatifs : Whit Dickey, Gerald Cleaver, et les vétérans Andrew Cyrille et Bobby Kapp. Intervient aussi le vibraphoniste Karl Berger en duo ou trio, l’inclusion de Mat Maneri dans une série de 4 albums intitulés Strings vol 1, 2, 3, 4 . Renseigner au public lequel de ces nombreux albums sont les meilleurs est illusoire et vous donnera le tournis car on passe de la musique de chambre presque intimiste et équilibrée à quelques charges épico-énergétiques déchirantes du free brûlant en quartet avec piano - basse - batterie (Serendipity). Aussi parmi les plus belles réussites en quartet, Soul et Heptagon sont incontournables. Et s’insère aussi vers la fin de la période Leo, le trompettiste Nate Wolley, devenu par la suite un fidèle : Philosopher’s Stone trio avec Shipp et Octagon avec Brandon Lopez et Cleaver. Blue, le duo avec le guitariste Joe Morris et Two Men Walking avec l’altiste Mat Maneri situe le lyrisme de Perelman dans l’intimité d’une musique de chambre elliptique d’un haut niveau d’empathie sensible. Ou ses duos musclés avec les batteurs Whit Dickey, Gerry Hemingway ou Jay Rosen. Une constante : le brillant interplay, l’interaction permanente dynamique et lisible (qualité d’enregistrement optimale), le lyrisme. On trouve aussi des duos avec les clarinettistes basse Jason Stein et , surtout Rudi Mahall (2CD Kindred Spirits) qui initient ses futures rencontres ultérieures avec une kyrielle de saxophonistes tels Joe Lovano, Joe McPhee, David Murray et Roscoe Mitchell. Bon, ouf !
Je dois avouer que les discographies de saxophonistes hyper productifs au-delà du raisonnable m’ont toujours rendu dubitatifs. C’est vraiment selon certains voire beaucoup de journalistes, organisateurs, supporters et acheteurs compulsifs une manie qui occulte la créativité des trombonistes, violoncellistes, altistes, violonistes, guitaristes risqués, accordéonistes, créateurs atypiques ou vocalistes. Et fort heureusement, ce qui fascine chez Perelman, c’est son lyrisme authentiquement jazz dans un moule entièrement improvisation libre basée sur l’écoute mutuelle. On ne l’entendra jamais dans d’autres « projets » , « aventures » qui ne correspondent pas à son éthique intransigeante « collective et librement improvisée égalitaire ». Pas question pour lui de jouer avec un « leader » d’interpréter une composition sur partitions et à se conformer à quelconque format ou stratégie, quitte à avoir moins de travail, de concerts et de revenus. Et il y a avant tout la qualité sonore de son jeu racé, brésilien, inspiré par Albert Ayler mais aussi Stan Getz, Hank Mobley, Coltrane, Joe Henderson.. non pas pour les idées musicales proprement dites ou le style de ses aînés, mais seulement pour la sonorité. Aussi ses nombreuses sessions ne sont pas laissées au hasard, sa constante capacité créative au niveau mélodique étant son atout majeur. C’est là-dessus que ce bourreau de travail de l’instrument accorde la plus grande attention, les soins les plus minutieux jusqu’à l’obsession, le dépassement de soi. Bien sûr, il y des génies de l’instrument qui détonnent par leur articulation acrobatique avec triples détachés sur tous les intervalles ou presque comme Evan Parker ou Paul Dunmall (deux de mes grands favoris… mais il y en a d’autres !). Question puissance déchirante aylérienne jusqu’à l’hallucination, Perelman a fait fort par le passé : son double CD For Helen F. avec un double trio deux basses et deux batteries (label Boxholder) dépasse tous les records d’albertophilie. Mais sa démarche au départ ultra - expressionniste s’est étendue dans différents registres au fur et à mesure que sa technique d’émission sonore s’est raffinée, étendue, devenant plus liquide, plus charnelle, plus translucide et vibrante mais aussi instrospective. Et cela c’est fait par étapes dont une des plus insignes se situe lors de la session du double album duo Callas avant laquelle il s’est soigné le larynx et les cordes vocales avec des cours de chant et l’écoute des œuvres de la légendaire chanteuse lyrique. La VOIX ! Car qui d’autre parvient à faire chanter le saxophone ténor au-delà de sa tessiture dans des suraigus chantants, en glissandi qui évoquent la musique latino-brésilienne, la saudade. C’est là que réside tout l’originalité de ce souffleur chaleureux à la voix divine. Il ressent la musique et les sons qu’il produit au niveau de la couleur, du visuel quasiment autant que par la perception purement auditive. C’est du moins comme cela qu’il exprime cet aspect sensible, sensuel de sa personnalité musicale. Il est d’ailleurs un véritable créateur graphique et peintre dont les œuvres décorent les pochettes de ses albums. Choisissez des enregistrements d’années différentes entre 2000 et 2018/19 et vous pourrez déjà mesurer sa marche en avant vers la maturité en notant bien que son taux de réussite en impose depuis le départ. Après la période Leo Records, Ivo Perelman a poursuivi ce travail intense sur le son du sax ténor pour graver d’autres merveilles dont vous trouverez les références en piochant dans mon blog les articles où je révèle les tenants et aboutissements de son évolution.
Poor Isa : Ruben Machtelinckx & Frederik Leroux + Ingar Zach / Evan Parker Album vinyle Aspen23
https://rubenmachtelinckx1.bandcamp.com/album/poor-isa-evan-parker-ingar-zach
Étonnant projet réunissant les deux guitaristes Ruben Machtelinckx et Frederik Leroux, le souffle d’Evan Parker aux sax ténor et soprano et la percussion d’Ingar Zach. Les indications de la pochette laissent planer un doute à propos de qui joue quoi et quand… mais la production est resplendissante et soignée. Donc, Poor Isa est le duo de Ruben et Frederik aux banjos (!) et woodblocks et leurs jeux sont soigneusement synchronisés dans une sorte de folklore imaginaire – bluegrass cosmique lancinant et « répétitif ». On songe un peu au travail du luthiste Jozef Van Wissem, il y a une vingtaine d’années. Sur une des faces (laquelle ?), Clearing commence avec un super tandem des banjos dans une cadence enlevée en giration elliptique sur laquelle vient surfer les articulations alambiquées, mais lyriques, d’Evan Parker au ténor, en Wayne Shorter décalé avec son style inimitable fait de spirales imbriquant ses intervalles de notes distendues et ses glissandi, issues de sa pratique révolutionnaire des cross fingerings. La rythmique des deux banjos suggèrent une danse de chevaux tournoyants de manière assez subtile. Leur mise en place rythmique est formidable : ça a l’air simple, mais franchement il faut le faire pour y arriver aussi bien. C’est suivi par une pièce intimiste au sax soprano d’une belle douceur et avec de fausses hésitations qui relâche l’atmosphère avant de s’enfuir dans les méandres de sa respiration circulaire, intitulée Ply. Son solo introduit en fin de face, Untitled 7, où les deux banjoïstes balancent leurs gammes eschériennes en rotation permanente, elles - mêmes étrangement rythmées par les frappes et le cliquetis percussif subtil d’Ingar Zach sur le daf (?), et clochettes, mini-cymbales qui tintinabulent etc … impossible de deviner où se situe le premier temps et le dernier, peut-être sont-ce les mêmes.
Il s’agit toujours dans ce projet, de compositions de Machtelinckx et Leroux, celui-ci étant l’unique compositeur de Untitled 7. L’autre face contient deux compositions Two Way et Hewn. La première démarre sur une superbe cavalcade des banjos siamois oscillants et tournoyants comme si les deux musiciens, Ruben et Fred Leroux chevauchaient des poneys à proximité de l’Altaï en Sibérie du Sud. En effet, on songe à la rythmique de ces musiques orientales et aux intervalles des gammes. Evan Parker a un plaisir évident à se mouvoir en rythme sur les pulsations du tandem des banjoïstes avec son souffle caractéristique et ses notes qui sursautent comme si elles étaient jouées à l’envers par-dessus les harmonies et les pulsations.
Dans la deuxième pièce finale et plus longue, Hewn, le souffleur distille quelques notes pour petit à petit s’élancer et tournoyer en solo jusqu’à ce qu’il soit rejoint par les deux banjos sonnant un peu comme une cithare d’Asie Centrale dans une comptine se lovant sur elle-même à l’infini. S’ajoutent les superbes frappes frottées et mouvantes et les sonnailles, crotales …(?) d’Ingar Zach, un des percussionnistes les plus originaux de la scène improvisée, Parker laissant les trois autres nous envoûter. Comme je vous disais, du folklore imaginaire.
Evan Parker est sans nul doute un des saxophonistes les plus impressionnants qui soient et une très forte personnalité très marquée esthétiquement. Ce qu’on sait moins est qu’il est toujours prêt à se mettre au service d’autres artistes dans des univers différents ou parallèles à sa démarche et à s’insérer créativement dans les projets des autres quels qu’ils soient de manière ouverte et enthousiaste, comme celui-ci, où sa démarche est plus accessible. Cet album intimiste et intrigant se révèle ses exquises ritournelles avec une belle fraîcheur, sans prétention mais avec beaucoup de charme. Une gâterie.
Philip Gibbs hear my soul sutras 33-60 blackmound soundlab CD
https://blackmoundsoundlab.bandcamp.com/album/bm-innovation-bmi-001-hear-my-soul-sutras-33-60
Guitariste fétiche du saxophoniste britannique Paul Dunmall (ténor, et soprano, mais aussi baryton, alto, clarinettes, flûtes et bagpipes), Philip Gibbs a travaillé et enregistré quasi-exclusivement avec ce géant du saxophone, un phénomène du post – Coltranisme créatif une extraordinaire quantité d’albums pour les labels Slam, FMR et les Duns Limited Edition de Dunmall lui – même. Et cela en compagnie des batteurs Mark Sanders, des « trois Tony », Levin, Bianco et Marsh , aujourd’hui disparus, ainsi qu’avec Hamid Drake. Côté bassistes, les incontournables Paul Rogers, John Edwards et Marcio Mattos, le pianiste Keith Tippett, des guitaristes fous comme Barry Edwards et John Adams etc…. Paul Dunmall est aussi un des très rares souffleurs « post-Coltrane » qui soit devenu un total original en créant son propre style sur les bases coltraniennes en ingurgitant tout le reste question influences du sax ténor tout en étant un prodige dans l’explosion sonore des bagpipes et un saxophoniste soprano de grande classe.
Je dois ajouter qu’un des rares autres improvisateurs avec qui Phil Gibbs a enregistré et joué ici et là dans la scène anglaise « hors Dunmall » est moi-même, J-M Van Schouwburg, vocaliste improvisateur. Parmi les différentes techniques développées figurent d’une part un jeu amplifié à peine électrique qui conserve une immaculée aura sonore acoustique et d’autre part, un jeu de « tapping » à dix doigts sur les frettes de la guitare préparée et allongée sur ses genoux dans un tourbillon percussif giratoire et ondulé qui fait penser à une musique de sanzas ou mbiras d’Afrique (« le piano à pouces »), une cithare psychédélique ou une harpe hantée. Une de ses préparations de la guitare consiste d’insérer un morceau de corde de guitare entre trois ou quatre cordes, (dés-) accordant étrangement sa six cordes dans un autre univers tonal carrément psychédélique. C’est bien ici l’objet de ce magnifique album solo intitulé Hear my soul - sutras 33-60 et composé de 27 courts morceaux. Il y développe une grande variété de motifs, de pulsations, d’imbrications tournoyantes et de girations aériennes sans solution de de début et de fin qui se chevauchent, se torsadent et filent comme le vent fait tourner les feuilles dans les clairières illuminées. Juste une remarque : les plages n°1 (T21) et n°27 (T19) sont consacrés à deux morceaux électriques saturés qui indiquent que Phil Gibbs est aussi versé dans les pédales d’effets électroniques quand le besoin ou l’humeur se fait sentir.
On retrouve cette technique dans son album en duo Stringing the Bridge Over the Air (avec moi-même) https://orynx.bandcamp.com/album/stringing-the-bridge-over-the-air. Phil , Dominic Lash et moi même avons entregistré Overlapping Layers pour le label Intrication de Thierry Waziniak et du point de vue de Phil Gibbs, l'artiste y développe une perpspective différente pour y construire le dialogue interactif https://orynx.bandcamp.com/album/overlapping-layers. Un autre de ses albums solos publiés par Duns Limited Edition : Thoughts and Feelings offre lui un panorama plus exhaustif de toutes ses recherches sur la guitare acoustique et électrique dans différentes approches https://www.youtube.com/watch?v=DY--_IPMXmM. Un artiste curieux et original dont la qualité du travail est inversément proportionnelle à l'infime quantité de concerts auquel son talent pourrait prétendre.
Consacré aux musiques improvisées (libre, radicale,totale, free-jazz), aux productions d'enregistrements indépendants, aux idées et idéaux qui s'inscrivent dans la pratique vivante de ces musiques à l'écart des idéologies. Nouveautés et parutions datées pour souligner qu'il s'agit pour beaucoup du travail d'une vie. Orynx est le 1er album de voix solo de J-M Van Schouwburg (1996 - 2005). https://orynx.bandcamp.com
18 novembre 2025
13 novembre 2025
Carlos Zingaro Carlos Bechegas Ernesto Rodrigues/ Marie Takahashi Baptiste Vayer Thierry Waziniak/ Christian Vasseur Steve Gibbs Nicolò Vivi/ João Madeira & Miguel Mira
Spleen Carlos Zingaro Carlos Bechegas Ernesto Rodrigues Creative Sources CS848CD
https://creativesources.bandcamp.com/album/spleen
Vu le nombre exponentiel d’enregistrements du label Creative Sources autour de son responsable, l’altiste Ernesto Rodrigues, je n’ai pu trouver le temps pour commenter la remarquable musique à la fois puissante et fragile de ce trio atypique marqué du sceau du Spleen, une fois le titre d’une œuvre du poète Baudelaire. Atypique par son instrumentation, violon, flûte / piccolo et alto et très remarquable par l’altération précise des timbres, tonalités, intervalles commune aux trois musiciens comme s’ils chantaient d’une même voix, Spleen se déroule dans le temps en deux mouvements intitulés I , II pour faire simple, sans que la durée soit indiquée dans les détails de la pochette ornée d’une aquarelle de Carlos Zingaro,le violoniste. Cette aquarelle symbolise les difractions des lueurs sonores et des micro – altérations des sonorités sur leur hauteur imprimée par la pression des lèvres et du souffle du flûtiste Carlos Bechegas en écho aux nuances subtiles et infinis mélismes microtonaux des violonistes pressant leurs archets délicatement sur les cordes. Les sonorités irisées de Carlos Zingaro et d'Ernesto Rodrigues font corps dans un même flux, un unique faisceau de timbres moirés, un agrégat indissociable qui lui-même intègre et échange bien des nuances avec leur camarade flûtiste. Impossible de deviner lequel des deux, altiste ou violoniste émet ces sonorités chatoyantes et fantomatiques et les ombrages des vibrations des cordes où le flûtiste évolue comme un poisson dans l'eau qui s'écoule comme des aquarelles en mouvement aléatoire. Le comble de l’empathie, un sommet de togetherness par les sons, leurs interférences, leurs miroitements. Les manipulations instrumentales font appel à ces fameuses techniques alternatives, bien sûr, mais basée sur une connaissance fondamentale et organique de leurs instruments jusque dans des profondeurs insondables. Toute l’attention auditive pour leur musique est concentrée sur cette symbiose instrumentale : ses mouvements et ses enchaînements en oblitèrent la durée sensible dans un Spleen sensitif magique.
Comme j'ai souvent chroniqué les faits et gestes de Carlos Zingaro et d'Ernesto Rodrigues plus qu'à son tour, il serait bienvenu que je cadre les antécédents notoires du flûtiste Carlos Bechegas. Cet artiste exceptionnel a commis d'excellents enregistrements en duo dans les années 2000 avec les contrebassistes Peter Kowald (Open Secrets) et Barry Guy (Open Textures), le flûtiste Michel Edelin (Open Frontiers), le guitariste Derek Bailey (Right Off !),le pianiste Alex von Schlippenbach (Open Speech) et mes compatriotes Peter Jacqmyn,contrebasse, et André Goudbeek, sax alto, dans Open Density. Juste pour vous situez le niveau d ce musicien d'exception méconnu.Tous les titres de ses CD's contiennent le mot Open, ouvert. Et Spleen est bien ici un album de musique ouverte qui se singularise par une personnalité collective très forte, rare, voir unique au niveau sonore et, surtout, spontanée.
Muted Songs A Part : Marie Takahashi Baptiste Vayer Thierry Waziniak intrication label Tri 008
https://waziniakthierry.bandcamp.com/album/muted-songs
Intrication documente fidèlement les différentes pratiques et les univers sonores et musicaux dans lesquels évolue avec bonheur le percussionniste Thierry Waziniak avec de multiples complices. On l’a entendu dans un original hommage à Thelonious Monk recréant ses compositions avec son ami guitariste Pascal Bréchet. Récemment, un duo très fouillé avec le saxophoniste chercheur Michel Doneda – le chemin du jour. Aussi, deux opus où intervient la sublime vocaliste Isabelle Duthoit : Don’t Worry Be Happy et White Eyes, album où figure étonnamment un souffleur de shakuhashi (Daniel Lifermann) et une calligraphe japonaise (Yukako Matsui) … !! Il y a, entre autres, le CD Overlapping Layers de Phil Gibbs, Dom Lash et moi-même… (encore mille mercis). En outre ,Waziniak joue sur de magnifiques albums aux incroyables pochettes « magnétique – caoutchouc » du label en compagnie du violoncelliste Gaël Mevel avec des invités comme Michaël Attias, Mat Maneri , J-L Capozzo ou Gianni Mimmo. Cette production maison d’Intrication a lieu d’être grâce au travail technique et graphique de Baptiste Vayer qui se révèle ici comme guitariste improvisateur inventif de choix et même vocaliste. Le titre Muted Songs peut se référer à sa manière de mettre l’électricité sauvage de sa guitare en sourdine voilant l’énergie abrasive de son jeu cabossé. Avec les percussions habiles et elliptiques et ses "electronics"de Thierry Waziniak, on trouve l’autre pôle « cordiste » de ce trio vraiment « À Part » : l’altiste Marie Takahashi, joueuse de « violon » alto, un instrument qui s’est répandu dans la scène improvisée de ces vingt dernières années : Mat Maneri, Ernesto Rodrigues, Charlotte Hug, Ig Henneman, Szilard Mezei, Benedict Taylor. Faut – il informer ou rappeler les efforts de ces musiciens ALTISTES pour développer leurs capacités et talents, car l’alto (viola en anglais) est un instrument nettement plus difficile à maîtriser que le violon lui-même si on veut en tirer les possibilités sonores vers le haut. Donc tant mieux que soit donné une fenêtre à cette altiste dans un tel album d’improvisation exploratoire.
Ironiquement qualifié de Fine Extinction, le premier titre (10'24'') démarre avec la voix folichonne et cahotante de Baptiste Vayer et les spirales déjantées et les griffures zébrées de Marie Takahshi soutenues sournoisement par Thierry Waziniak par intermittence instantanée. Mais la guitare sauvage et ses effets envahit soudainement le décor faisant monter l'adrénaline de la "violiste" surexcitée. Et la voix s'échappe... Puis, un beat électronique et des vibrations inconnues clôturent le morceau. "Instinct Noita" (8'05)cultive une intéressante approche "minimaliste" "laminaire" faite de drones, sonorités électroniques "industrielles", crachottements, une sorte de musique "AMM" insouciante à laquelle une dimension ludique bruissante et mystérieuse s'insinue progressivement, s'enfle et aboutit à une cohérence narrative évidente incorporant aussi des sonorités plus délicates. L'art de la métamorphose imprévisible etla diversité des quatre improvisations constitue une belle caractéristique de ce trio À Part. "Captain Tarawa" s'ouvre sur les contorsions de l'archet compressant les cordes au point de rendre le jeu de Marie abrasivement destroy, par dessus les soulèvements des tambours martelés par Thierry et auquel répondent les entrailles électrocutées de la guitare à effets de Baptiste. De ce paysage sonore de départ, s'ensuit une foire d'empoigne mouvementée et des interlocutions statiques où se distinguent l'inventivité du guitariste (passage en solo à un bon moment) et la sagacité du percussionniste - électronicien. Sans vouloir conférer à leurs improvisations un format ou une approche particulière travaillée et presque préméditée en amont, le trio À Part opte pour une dérive poétique actionniste où ils semblent s'égarer et se retrouvent ahuris. The "Lines of Convergence", le quatrième morceau final, se déroule dans l'univers lisible de l'improvisation radicale où le silence a une importance prépondérante qui met en valeur distinctement et clairement les sonorités et gestes musicaux de chacun des trois improvisateurs avec en réel sens du dosage quasi minimaliste tout en retenue pointilliste au ralenti ... Et soudainement, une montée de fièvre - hausse du volume qui s'intègre dans le processus un instant avant de chuter en douceur à la fin de l'album. Comme je disais plus haut , chacune de leurs quatre improvisations enregistrées ici occupe un univers en soi souvent clairement distinct des trois autres. Ce séquencement aura peut-être de quoi faire réfléchir, par exemple l'auditeur avide de guitares noise saturée 'bruyante' (ici ... les passages destroy de Baptiste Vayer), qui en jetant une oreille sur la plage 1 ou 3 prend le risque de découvrir ensuite d'autres approches musicales plus introspectives, intimes ou implosées. Un travail réussi.
Christian Vasseur Steve Gibbs Nicolò Vivi FWWU+ 4DaRecords 4DACD020 https://4darecord.bandcamp.com/album/fwwu-duos-trios
Duo (Vasseur et Gibbs CD1) et Trio (le duo précité plus Nicolò Wivi CD2) de guitaristes musicalement très pointus et situés entre l’improvisation libre et la musique contemporaine expérimentale. Un des intérêts majeurs de ces artistes réside dans leurs guitares acoustiques « nylon » à onze cordes (Vasseur) et à huit cordes (Gibbs et Vivi) et l’amplification par piézo. Je cite les crédits de chaqun des 4 CD’s
CD1 : Left : Christian Vasseur 11 string alto guitar Philip Woodfield tuned in quarter tone. Twin 3-way piezos under bridge by Tao Guitars Brussels.Right : Steve Gibbs 8 string classical guitars Alastair McNeill and Jack Sanders. 4-way piezos under fretboard by Tao Guitars Brussels
CD2 : Left : Nicolò Vivi 8 string classical guitar Alastair McNeill. 4-way piezos under fretboard by Tao Guitars Brussels. Centre : Christian Vasseur 8 string classical guitar Stein Schuddinck. 4-way piezos under fretboard by Tao Guitars Brussels. Right : Steve Gibbs 8 string classical guitar Alastair McNeill. 4-way piezos under fretboard by Tao Guitars Brussels Stereo Field track 4 Left Nicolò Vivi / Right Christian Vasseur. Ouf !
Ce n’est pas la première fois que j’ai été confronté à une telle rencontre de guitaristes avec Christian Vasseur et Steve Gibbs. En effet, j’avais programmé un festival entier de guitaristes à Bruxelles : il y en avait six dont Pascal Marzan, Jean Demey, Dirk Serries et Magali Rischette. Un événement dont la richesse musicale et sonore a dépassé toutes les attentes. C’est une des plus belles réussites de ma « longue » carrière d’organisateur.
Alors, je vous le dit franchement, oubliez d’abord les références (Bailey, Chadbourne, Frith, Reichel, Sharp, Russell), cette musique se situe dans un autre univers. D’abord ces guitaristes ont une très grande expérience et des conceptions complètement allumées, dingues qui sortent de l’ordinaire. La vibration simultanée des cordes nylons conjointes des deux guitares à travers l’amplification ne ressemble à rien d’autre. Il s’agit d’un univers sonore étonnant, enfiévré, mystérieux, arachnéen avec des imbrications harmoniques aventureuses, la guitare accordée au quart de ton à la résonnance métallique y étant pour quelque chose. Un OVNI guitaristique d’obédience classique au départ métamorphosée dans un expérimentalisme radical jusqu’au bout des ongles, des doigts et des frettes. Si vous êtes à la recherche d’en enregistrement de musique d’avant-garde recherchée de guitares, voilà qui fera votre affaire. C’est sauvage, minutieux, résonnant, bruitiste, gratouilleur au niveau des fils de cuivres des cordes graves, çà résonne un peu comme un piano préparé, les harmoniques sont pures, des pulsations africaines surgissent çà et là. Une dimension percussive, des accordages surréalistes se pointent sans crier gare avec des effets percussifs en ostinato foldingue, des nuances de toucher inespérées et des tournoiements irréels. Et presque chaque pièce s’ouvre sur des sonorités différentes qui nous font voyager dans une autre partie du cosmos (les glissandi frénétiques du n°4). Ce qui est absolument fantastique, c’est le degré d’empathie et d’unité cohérente entre Vasseur et Gibbs comme si les deux jouaient du même instrument dans des constructions emboîtées avec une dextérité folle et une logique délirante (n° 5) . Et l’utilisation intelligente et appropriée de techniques « alternatives » . Sept pièces qui se surpassent l’une de l’autre durant tout le CD 1, lequel nous aurait suffi tellement c’est réussi. Mais, avec la concours de Nicolò Vivi, la surface des choses est pleinement reconsidérée et le challenge est encore plus imposant. Devoir raconter en détail tout ce qui s’y passe est un véritable pensum, la joie et la curiosité suscitée par cet étrange phénomène à cordes est indicible. Vivat !!
João Madeira & Miguel Mira 21 07 12 02 05 24 4darecords 4DRCD019 https://joaomadeira.bandcamp.com/album/21-07-12-02-05-24
Un contrebassiste, João Madeira et un violoncelliste, Miguel Mira en solo chacun plus de 16 minutes et en duo durant 38 minutes et des avec un « encore » de plus de quatre minutes. Et cela publié par l’excellent label de João, 4Darecords qui recèle de bien belles surprises et des choses vraiment pointues. Comme ce drone évolutif maîtrisé à l’archet d’une belle traite sans flancher une seconde, des gestes délicats dans les infimes changements de position du doigt sur la touche et la vibration du crin de l’archet. Mais cela dépasse l’effet de style pour une recherche formelle d’une structure construite et pensée avec soin avec de presque imperceptibles crescendo / decrescendo et une dynamique sonore qui enfle le son avec une vraie justesse. Puis l’archet danse initiant des battements qui suggèrent une de ces danses traditionnelles enfouies dans la mémoire collective. On entend le talon toucher le sol jusqu’à ce que le frottement grogne, gonfle ou s’éloigne pour enfin doubler/ tripler la cadence ou flûter une harmonique, le doigt rebondissant sur la touche jusqu’à ces pizzicati distingués et aériens avec la lenteur idoine. Ça à l’air aussi simple que c’est superbement maîtrisé. Une belle pièce. Tout l’art du violoncelliste est d’enchaîner après le final de João en évoquant l’esprit de ce qui précède en percutant les cordes de manière intimiste et insistante à la fois, aléatoire sur la surface des cordes col legno ou plus expressive en suivant le cours de sa narration… une histoire de violoncelle objet frappé, griffé, frotté, bruité en ajoutant subrepticement des notes surprises ou des enjambées irrégulières. Bref une interrogation sonore du violon basse (l’instrument de João est une contrebasse). Césure et archet saturé sur la corde vibrante par contraste , puis murmure du frottement obstiné dans l’ombre de la touche joué en lent crescendo jusqu’au mezzo-forte affirmatif. Tout comme son collègue une recherche sonore hiératique et introspective sur le champ expressif de l’instrument avec cette maîtrise incontestable qui vous fait aimer leur musique.
Rien d’étonnant que ces deux là déploient leurs effets dans un duo décalé aux formes mouvantes, lyriques mais irrégulières au niveau du temps comme l’introduction de João Madeira en pizzicati élastiques et gommeux. L’archet strie les cordes du violoncelle saturent l’espace par-dessus l’ostinato courbé du contrebassiste. Ces deux – là font partie d’une grande fratrie de cordistes lusitaniens révélées dans le sillage du violoniste Carlos Zingaro, de l’altiste Ernesto Rodrigues, du violoncelliste Guilherme Rodrigues, des bassistes Hernani Faustino et Alvaro Rosso et d’autres qui se croisent dans de nombreux ensembles de cordes frottées qui pullulent sous l’étiquette Creative Sources. Il y a donc un esprit de famille, une volonté de dialogue, de contrastes et de cohérences. On oublie ici qui du violoncelliste et de la contrebassiste cherche, implémente, dérive, se fait oublier, percute, grince ou s’élance. Une quête de formes, de sons, de frappes, de grésillements, d’harmoniques,de grondements forcenés titube, ahane, force le destin, fait crisser les ventres résonnants du corps des deux gros violons. Franchement réussi, sans redondance et droit au but.
https://creativesources.bandcamp.com/album/spleen
Vu le nombre exponentiel d’enregistrements du label Creative Sources autour de son responsable, l’altiste Ernesto Rodrigues, je n’ai pu trouver le temps pour commenter la remarquable musique à la fois puissante et fragile de ce trio atypique marqué du sceau du Spleen, une fois le titre d’une œuvre du poète Baudelaire. Atypique par son instrumentation, violon, flûte / piccolo et alto et très remarquable par l’altération précise des timbres, tonalités, intervalles commune aux trois musiciens comme s’ils chantaient d’une même voix, Spleen se déroule dans le temps en deux mouvements intitulés I , II pour faire simple, sans que la durée soit indiquée dans les détails de la pochette ornée d’une aquarelle de Carlos Zingaro,le violoniste. Cette aquarelle symbolise les difractions des lueurs sonores et des micro – altérations des sonorités sur leur hauteur imprimée par la pression des lèvres et du souffle du flûtiste Carlos Bechegas en écho aux nuances subtiles et infinis mélismes microtonaux des violonistes pressant leurs archets délicatement sur les cordes. Les sonorités irisées de Carlos Zingaro et d'Ernesto Rodrigues font corps dans un même flux, un unique faisceau de timbres moirés, un agrégat indissociable qui lui-même intègre et échange bien des nuances avec leur camarade flûtiste. Impossible de deviner lequel des deux, altiste ou violoniste émet ces sonorités chatoyantes et fantomatiques et les ombrages des vibrations des cordes où le flûtiste évolue comme un poisson dans l'eau qui s'écoule comme des aquarelles en mouvement aléatoire. Le comble de l’empathie, un sommet de togetherness par les sons, leurs interférences, leurs miroitements. Les manipulations instrumentales font appel à ces fameuses techniques alternatives, bien sûr, mais basée sur une connaissance fondamentale et organique de leurs instruments jusque dans des profondeurs insondables. Toute l’attention auditive pour leur musique est concentrée sur cette symbiose instrumentale : ses mouvements et ses enchaînements en oblitèrent la durée sensible dans un Spleen sensitif magique.
Comme j'ai souvent chroniqué les faits et gestes de Carlos Zingaro et d'Ernesto Rodrigues plus qu'à son tour, il serait bienvenu que je cadre les antécédents notoires du flûtiste Carlos Bechegas. Cet artiste exceptionnel a commis d'excellents enregistrements en duo dans les années 2000 avec les contrebassistes Peter Kowald (Open Secrets) et Barry Guy (Open Textures), le flûtiste Michel Edelin (Open Frontiers), le guitariste Derek Bailey (Right Off !),le pianiste Alex von Schlippenbach (Open Speech) et mes compatriotes Peter Jacqmyn,contrebasse, et André Goudbeek, sax alto, dans Open Density. Juste pour vous situez le niveau d ce musicien d'exception méconnu.Tous les titres de ses CD's contiennent le mot Open, ouvert. Et Spleen est bien ici un album de musique ouverte qui se singularise par une personnalité collective très forte, rare, voir unique au niveau sonore et, surtout, spontanée.
Muted Songs A Part : Marie Takahashi Baptiste Vayer Thierry Waziniak intrication label Tri 008
https://waziniakthierry.bandcamp.com/album/muted-songs
Intrication documente fidèlement les différentes pratiques et les univers sonores et musicaux dans lesquels évolue avec bonheur le percussionniste Thierry Waziniak avec de multiples complices. On l’a entendu dans un original hommage à Thelonious Monk recréant ses compositions avec son ami guitariste Pascal Bréchet. Récemment, un duo très fouillé avec le saxophoniste chercheur Michel Doneda – le chemin du jour. Aussi, deux opus où intervient la sublime vocaliste Isabelle Duthoit : Don’t Worry Be Happy et White Eyes, album où figure étonnamment un souffleur de shakuhashi (Daniel Lifermann) et une calligraphe japonaise (Yukako Matsui) … !! Il y a, entre autres, le CD Overlapping Layers de Phil Gibbs, Dom Lash et moi-même… (encore mille mercis). En outre ,Waziniak joue sur de magnifiques albums aux incroyables pochettes « magnétique – caoutchouc » du label en compagnie du violoncelliste Gaël Mevel avec des invités comme Michaël Attias, Mat Maneri , J-L Capozzo ou Gianni Mimmo. Cette production maison d’Intrication a lieu d’être grâce au travail technique et graphique de Baptiste Vayer qui se révèle ici comme guitariste improvisateur inventif de choix et même vocaliste. Le titre Muted Songs peut se référer à sa manière de mettre l’électricité sauvage de sa guitare en sourdine voilant l’énergie abrasive de son jeu cabossé. Avec les percussions habiles et elliptiques et ses "electronics"de Thierry Waziniak, on trouve l’autre pôle « cordiste » de ce trio vraiment « À Part » : l’altiste Marie Takahashi, joueuse de « violon » alto, un instrument qui s’est répandu dans la scène improvisée de ces vingt dernières années : Mat Maneri, Ernesto Rodrigues, Charlotte Hug, Ig Henneman, Szilard Mezei, Benedict Taylor. Faut – il informer ou rappeler les efforts de ces musiciens ALTISTES pour développer leurs capacités et talents, car l’alto (viola en anglais) est un instrument nettement plus difficile à maîtriser que le violon lui-même si on veut en tirer les possibilités sonores vers le haut. Donc tant mieux que soit donné une fenêtre à cette altiste dans un tel album d’improvisation exploratoire.
Ironiquement qualifié de Fine Extinction, le premier titre (10'24'') démarre avec la voix folichonne et cahotante de Baptiste Vayer et les spirales déjantées et les griffures zébrées de Marie Takahshi soutenues sournoisement par Thierry Waziniak par intermittence instantanée. Mais la guitare sauvage et ses effets envahit soudainement le décor faisant monter l'adrénaline de la "violiste" surexcitée. Et la voix s'échappe... Puis, un beat électronique et des vibrations inconnues clôturent le morceau. "Instinct Noita" (8'05)cultive une intéressante approche "minimaliste" "laminaire" faite de drones, sonorités électroniques "industrielles", crachottements, une sorte de musique "AMM" insouciante à laquelle une dimension ludique bruissante et mystérieuse s'insinue progressivement, s'enfle et aboutit à une cohérence narrative évidente incorporant aussi des sonorités plus délicates. L'art de la métamorphose imprévisible etla diversité des quatre improvisations constitue une belle caractéristique de ce trio À Part. "Captain Tarawa" s'ouvre sur les contorsions de l'archet compressant les cordes au point de rendre le jeu de Marie abrasivement destroy, par dessus les soulèvements des tambours martelés par Thierry et auquel répondent les entrailles électrocutées de la guitare à effets de Baptiste. De ce paysage sonore de départ, s'ensuit une foire d'empoigne mouvementée et des interlocutions statiques où se distinguent l'inventivité du guitariste (passage en solo à un bon moment) et la sagacité du percussionniste - électronicien. Sans vouloir conférer à leurs improvisations un format ou une approche particulière travaillée et presque préméditée en amont, le trio À Part opte pour une dérive poétique actionniste où ils semblent s'égarer et se retrouvent ahuris. The "Lines of Convergence", le quatrième morceau final, se déroule dans l'univers lisible de l'improvisation radicale où le silence a une importance prépondérante qui met en valeur distinctement et clairement les sonorités et gestes musicaux de chacun des trois improvisateurs avec en réel sens du dosage quasi minimaliste tout en retenue pointilliste au ralenti ... Et soudainement, une montée de fièvre - hausse du volume qui s'intègre dans le processus un instant avant de chuter en douceur à la fin de l'album. Comme je disais plus haut , chacune de leurs quatre improvisations enregistrées ici occupe un univers en soi souvent clairement distinct des trois autres. Ce séquencement aura peut-être de quoi faire réfléchir, par exemple l'auditeur avide de guitares noise saturée 'bruyante' (ici ... les passages destroy de Baptiste Vayer), qui en jetant une oreille sur la plage 1 ou 3 prend le risque de découvrir ensuite d'autres approches musicales plus introspectives, intimes ou implosées. Un travail réussi.
Christian Vasseur Steve Gibbs Nicolò Vivi FWWU+ 4DaRecords 4DACD020 https://4darecord.bandcamp.com/album/fwwu-duos-trios
Duo (Vasseur et Gibbs CD1) et Trio (le duo précité plus Nicolò Wivi CD2) de guitaristes musicalement très pointus et situés entre l’improvisation libre et la musique contemporaine expérimentale. Un des intérêts majeurs de ces artistes réside dans leurs guitares acoustiques « nylon » à onze cordes (Vasseur) et à huit cordes (Gibbs et Vivi) et l’amplification par piézo. Je cite les crédits de chaqun des 4 CD’s
CD1 : Left : Christian Vasseur 11 string alto guitar Philip Woodfield tuned in quarter tone. Twin 3-way piezos under bridge by Tao Guitars Brussels.Right : Steve Gibbs 8 string classical guitars Alastair McNeill and Jack Sanders. 4-way piezos under fretboard by Tao Guitars Brussels
CD2 : Left : Nicolò Vivi 8 string classical guitar Alastair McNeill. 4-way piezos under fretboard by Tao Guitars Brussels. Centre : Christian Vasseur 8 string classical guitar Stein Schuddinck. 4-way piezos under fretboard by Tao Guitars Brussels. Right : Steve Gibbs 8 string classical guitar Alastair McNeill. 4-way piezos under fretboard by Tao Guitars Brussels Stereo Field track 4 Left Nicolò Vivi / Right Christian Vasseur. Ouf !
Ce n’est pas la première fois que j’ai été confronté à une telle rencontre de guitaristes avec Christian Vasseur et Steve Gibbs. En effet, j’avais programmé un festival entier de guitaristes à Bruxelles : il y en avait six dont Pascal Marzan, Jean Demey, Dirk Serries et Magali Rischette. Un événement dont la richesse musicale et sonore a dépassé toutes les attentes. C’est une des plus belles réussites de ma « longue » carrière d’organisateur.
Alors, je vous le dit franchement, oubliez d’abord les références (Bailey, Chadbourne, Frith, Reichel, Sharp, Russell), cette musique se situe dans un autre univers. D’abord ces guitaristes ont une très grande expérience et des conceptions complètement allumées, dingues qui sortent de l’ordinaire. La vibration simultanée des cordes nylons conjointes des deux guitares à travers l’amplification ne ressemble à rien d’autre. Il s’agit d’un univers sonore étonnant, enfiévré, mystérieux, arachnéen avec des imbrications harmoniques aventureuses, la guitare accordée au quart de ton à la résonnance métallique y étant pour quelque chose. Un OVNI guitaristique d’obédience classique au départ métamorphosée dans un expérimentalisme radical jusqu’au bout des ongles, des doigts et des frettes. Si vous êtes à la recherche d’en enregistrement de musique d’avant-garde recherchée de guitares, voilà qui fera votre affaire. C’est sauvage, minutieux, résonnant, bruitiste, gratouilleur au niveau des fils de cuivres des cordes graves, çà résonne un peu comme un piano préparé, les harmoniques sont pures, des pulsations africaines surgissent çà et là. Une dimension percussive, des accordages surréalistes se pointent sans crier gare avec des effets percussifs en ostinato foldingue, des nuances de toucher inespérées et des tournoiements irréels. Et presque chaque pièce s’ouvre sur des sonorités différentes qui nous font voyager dans une autre partie du cosmos (les glissandi frénétiques du n°4). Ce qui est absolument fantastique, c’est le degré d’empathie et d’unité cohérente entre Vasseur et Gibbs comme si les deux jouaient du même instrument dans des constructions emboîtées avec une dextérité folle et une logique délirante (n° 5) . Et l’utilisation intelligente et appropriée de techniques « alternatives » . Sept pièces qui se surpassent l’une de l’autre durant tout le CD 1, lequel nous aurait suffi tellement c’est réussi. Mais, avec la concours de Nicolò Vivi, la surface des choses est pleinement reconsidérée et le challenge est encore plus imposant. Devoir raconter en détail tout ce qui s’y passe est un véritable pensum, la joie et la curiosité suscitée par cet étrange phénomène à cordes est indicible. Vivat !!
João Madeira & Miguel Mira 21 07 12 02 05 24 4darecords 4DRCD019 https://joaomadeira.bandcamp.com/album/21-07-12-02-05-24
Un contrebassiste, João Madeira et un violoncelliste, Miguel Mira en solo chacun plus de 16 minutes et en duo durant 38 minutes et des avec un « encore » de plus de quatre minutes. Et cela publié par l’excellent label de João, 4Darecords qui recèle de bien belles surprises et des choses vraiment pointues. Comme ce drone évolutif maîtrisé à l’archet d’une belle traite sans flancher une seconde, des gestes délicats dans les infimes changements de position du doigt sur la touche et la vibration du crin de l’archet. Mais cela dépasse l’effet de style pour une recherche formelle d’une structure construite et pensée avec soin avec de presque imperceptibles crescendo / decrescendo et une dynamique sonore qui enfle le son avec une vraie justesse. Puis l’archet danse initiant des battements qui suggèrent une de ces danses traditionnelles enfouies dans la mémoire collective. On entend le talon toucher le sol jusqu’à ce que le frottement grogne, gonfle ou s’éloigne pour enfin doubler/ tripler la cadence ou flûter une harmonique, le doigt rebondissant sur la touche jusqu’à ces pizzicati distingués et aériens avec la lenteur idoine. Ça à l’air aussi simple que c’est superbement maîtrisé. Une belle pièce. Tout l’art du violoncelliste est d’enchaîner après le final de João en évoquant l’esprit de ce qui précède en percutant les cordes de manière intimiste et insistante à la fois, aléatoire sur la surface des cordes col legno ou plus expressive en suivant le cours de sa narration… une histoire de violoncelle objet frappé, griffé, frotté, bruité en ajoutant subrepticement des notes surprises ou des enjambées irrégulières. Bref une interrogation sonore du violon basse (l’instrument de João est une contrebasse). Césure et archet saturé sur la corde vibrante par contraste , puis murmure du frottement obstiné dans l’ombre de la touche joué en lent crescendo jusqu’au mezzo-forte affirmatif. Tout comme son collègue une recherche sonore hiératique et introspective sur le champ expressif de l’instrument avec cette maîtrise incontestable qui vous fait aimer leur musique.
Rien d’étonnant que ces deux là déploient leurs effets dans un duo décalé aux formes mouvantes, lyriques mais irrégulières au niveau du temps comme l’introduction de João Madeira en pizzicati élastiques et gommeux. L’archet strie les cordes du violoncelle saturent l’espace par-dessus l’ostinato courbé du contrebassiste. Ces deux – là font partie d’une grande fratrie de cordistes lusitaniens révélées dans le sillage du violoniste Carlos Zingaro, de l’altiste Ernesto Rodrigues, du violoncelliste Guilherme Rodrigues, des bassistes Hernani Faustino et Alvaro Rosso et d’autres qui se croisent dans de nombreux ensembles de cordes frottées qui pullulent sous l’étiquette Creative Sources. Il y a donc un esprit de famille, une volonté de dialogue, de contrastes et de cohérences. On oublie ici qui du violoncelliste et de la contrebassiste cherche, implémente, dérive, se fait oublier, percute, grince ou s’élance. Une quête de formes, de sons, de frappes, de grésillements, d’harmoniques,de grondements forcenés titube, ahane, force le destin, fait crisser les ventres résonnants du corps des deux gros violons. Franchement réussi, sans redondance et droit au but.
2 novembre 2025
Stefan Keune Dirk Serries Benedict Taylor/ Agogol NaabtalDeath Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues/ Simon Rose & Michel Doneda/King Imagine & Bruno Gussoni
Stefan Keune Dirk Serries Benedict Taylor Closer & Beyond a new wave of jazz digital
https://newwaveofjazz.bandcamp.com/album/closer-and-beyond
Trio acoustique saxophone, guitare & alto (viola) éclaté. Stefan Keune joue ici des sax alto et sopranino, Dirk Serries de la guitare archtop (chevalet) et Benedict Taylor de l’alto. Rappelons que Stefan Keune a joué et enregistré avec le guitariste John Russell depuis les années 90 (Frequency of Use / NurNichtNur) Cette expérience radicale entre cordes et anches s’est prolongée récemment dans un trio avec Dirk et Benedictlors d’un concert à Baarle Nassau enregistré et inclus dans un triple CD intitulé Live At Plus Étage (a new wave of jazz anwoj0060). La partie est remise dans ce nouvel album en trio enregistré en 2022 au Studio Sunnyside à Bruxelles. Je pense sincèrement que Stefan Keune se situe parmi les saxophonistes chercheurs « post Evan Parker » qui explorent toutes les ressources sonores de leur instrument (harmoniques extrêmes, « morsures » , doigtés fourchus, vocalisations,bruitisme ...). On songe à Michel Doneda, Urs Leimgruber, John Butcher, Jean-Luc Guionnet, Georg Wissel mais aussi les pratiques les plus extrêmes de Steve Lacy ou Anthony Braxton. Les phrasés staccato et les morsures soniques de Stefan Keune se meuvent avec une articulation ultra-véloce, déchiquetante, exaspérée, tordant le cou inexorablement à la notion de mélodie. Cela cadre parfaitement au jeu inquisiteur de Benedict Taylor à l’archet qui nous fait entendre une variété étonnante de frottements tout à tour ultralégers, vocalisés, saturés, fantomatiques, harmoniques torturées, en glissandi voilés ou expressifs ou encore des tournoiements affolés. S’ajoutent à cela les clusters et cascades de notes entrechoquées, bruissements métalliques, frictions des cordes sur la touche de la guitare de Dirk Serries, le responsable de a new wave of jazz. On peut y trouver des instants parsemés de silence aux détails infinis, pointillistes étirés comme si le temps allait s’arrêter. La concentration des musiciens construit une toile aux ramifications étoilées et distendues, ou un flux échancré ou dense, compressé dans un crescendo à la fois statique et hyper mouvant,…
Un excellent trio d’improvisation qui nous change du sempiternel et rituel assemblage saxophone contrebasse batterie…. Et ici le saxophoniste est un phénomène tout à fait particulier incarnant l’art sonore « abstrait » du saxophone et il a du mérite car le saxophone sopranino qu’on entend très souvent ici est un engin compliqué à manipuler. Le violoniste est un as de l’alto dont la manière et le style personnel est immédiatement reconnaissable par la finesse du jeu à l’archet qui semble à peine toucher les cordes tout en les pressant sur la touche pour en altérer la sonorité. Et l’alto demande un réel effort technique et sensible, plus malaisé à jouer à ce régime. Et donc, suivant Dirk Serries depuis plusieurs années, je mesure les progrès sensibles de ses interventions en interagissant à très bon escient tout en propulsant la furie de ses deux collègues. Excellent CD.
mistika jpeg oscillations Agogol NaabtalDeath Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues Creative Sources CS859CD
https://ernestorodrigues.bandcamp.com/album/mistika-jpeg-oscillations
Avec un titre pareil, mistika jpeg oscillations, les noms des deux artistes à coucher dehors - Agogol et Naabtal Death - et la photo de pochette, le connaisseur sera un peu interloqué d’y voir le père et le fils Ernesto et Guilherme Rodrigues incarner le (saint-) esprit de la musique improvisée libre de ceux qui sont « sc…. toujours prêts » à se commettre avec quiconque joue à improviser librement sans aucune arrière-pensée esthétique ou carriériste. Ernesto et Guilherme sont deux cordistes très remarquables, « viola » et « cello » parmi les meilleurs qui se trouvent dans la scène actuelle. Ils ont récemment enregistré avec des incontournables comme Fred Lonberg Holm, Floros Floridis, Frank Gratkowski, Alex von Schlippenbach, Willi Kellers, Ute Wassermann et un nombre exponentiel de musiciens de grand talent. Il leur arrive de croiser dans une tournée des artistes issus d’un autre filière, d’un tout autre background. Agogol et Naabtal Death sont deux artistes sonores – musiciens de la scène locale d’Hannover, celle du génial Günter Christmann et de sa muse l’extrordinaire chanteuse Elke Schipper, mais aussi de l'Atelier Grammofon. Mais ce que ces deux zèbres pratiquent vient d’une autre planète que celle de l’improvisation libre historique issue du jazz libre et dela musique contemporaine. Agogol est crédité modified electric guitar, electronics, voice et son copain Naabtal Death, amplified tortured zither, electronics, tools. On pourrait penser que ce serait une session free-noise. Mais non ! Ce quartet improbable joue avec une belle sensibilité une musique improvisée radicale soignée avec un super sens de la dynamique et l’intégration réussie de pratiques différentes dans un flux sonore détaillé de 42'48'' vraiment réussi en dehors des radars et des tendances. La musique de l’instant. Vous trouverez là une série de séquences reliées les unes aux autres dans un large panorama d’approches, de sifflements oscillatoires (l’alto / viola d’Ernesto), d’irisations électroacoustiques, des vibrations étranges, de discrets bruitages, des glitch, de chocs sur la touche du violoncelle, des ambiances – drones soutenues. Cela dure d’abord quasi trois quart d’heure : 1. playing the paintings upside down – 42 :48 plus un final 2. paintings want to rotate – 07 :47. C’est un beau message d’ouverture d’esprit. Il y a une dimension cosmique et chacun se sent libre de s’exprimer pleinement en restant lui-même dans une harmonie auditive et réactive. On est tous là sur terre pour s’écouter, se comprendre et essayer de collaborer, et cette communion des sens, des actes et de l’écoute en témoigne. Je les ai rencontrés fin juillet dernier à Atelier Gramophon à Hannover et l’un deux, AGogol, un joyeux drille sérieux comme un pape, s’est joint dans notre programme pour égayer la soirée. Mémorable ! Merci à Naabtal Death pour m’avoir tendu ce très intéressant album inclassable.
Simon Rose & Michel Doneda METAL NOTEBOOK scätter archives
https://scatterarchive.bandcamp.com/album/metal-notebook
Un duo d’anches tranchant, bruissant, extrême, deux colonnes d’air sous pression des lèvres et du souffle, une métamorphose des sons de deux saxophones. Le soprano de Michel Doneda et le baryton de Simon Rose résonnent dans l’espace fusant des harmoniques acérées ou secrètes, bourdonnant, lacérant les fréquences, leurs morsures aériennes délivrant une intense énergie physique même dans leurs coups de langues furtifs sur le bord de l’anche, fétu de bambou arrimé au bec que leurs gosiers irritent ou fait gémir. C'est autant une ascèse viscérale, qu’une une philosophie de la recherche d’un botaniste curieux des sons, qu’un trop plein d’émotions, une science de l’indicible et de sifflements revêches , la rage et l’espérance. Leurs deux personnalités sont complémentaires au-delà qu’il est possible et les croisements de leurs musiques individuelles forment un tout, un univers, un vécu collectif. Ils ne nous épargnent rien dans leurs débauches d’effets de souffle et pourtant, ils communiquent l’essentiel en une seule prise dans un instant qui dure sans qu’on en mesure le temps, effacé, extrapolé, sublimé et évanoui. 28 minutes aussi bon marché (vous payerez ce que vous pourrez pour les acquérir) que c’est absolument unique. On découvre ici la nature de leurs instruments … à l’état de nature. Une musique sauvage basée sur une écoute mutuelle intense et un travail ultra-précis. La mécanique des clés et tampons rejoint le pensée, la réflexion intime, cet état second qui distingue le rêve de l’action et les réunit dans un même temps.
Simon Rose a travaillé avec acharnement depuis ses deux trois premiers CD’s de junior de la scène londonienne (avec feu Simon H Fell, Mark Sanders, S. Noble) il y a plus de trente ans… et c’est tout à fait merveilleux de l’entendre au saxophone baryton, devenu son instrument de prédilection avec ce défricheur chercheur ultime du saxophone soprano qu’est Michel Doneda ... dont on se demande comment il parvient à contrôler l’émission de telles sonorités quasi inaccessibles par delà les limites techniques et physiques de l’instrument. Franchement, s’il y a un excès de saxophonismes dans l’univers des musiques improvisées, ces deux-là nous offrent l’indispensable, l’élémentaire. Une éclipse. Une leçon de vie.
Publié par Liam Stefani sur son mythique label digital scatter archive et que vous pouvez acquérir en payant ce que vous désirez, même quelques pennies in the heaven.
King Imagine & Bruno Gussoni Electric Path of the Samuraï
https://kingimagine2.bandcamp.com/track/electric-path-of-the-samurai
Par-dessus un dense et rebondissant réseau de sonorités électroniques étonnamment diversifiées, tournoyantes, vibratiles, croassantes, s’échappe le souffle ou les souffles paisible(s) d’un adepte du shakuhashi, la flûte japonaise « sans bec » taillée dans un tuyau de bambou à l’extrémité duquel une entaille aiguisée artistement permet de faire vibrer des notes dans cette colonne d’air tout à fait aléatoire. Vu la rusticité simplissime de cet instrument, le musicien, Bruno Gussoni, a bien du mérite, cet instrument requiert beaucoup de concentration et d’astuce pour tracer un son mélodieux d’une note à l’autre sans jamais en altérer la qualité de timbre. King Imagine est un artiste de musique électronique ukrainien basé à Kiev qui entend siffler et exploser missiles et drones Russes quasi-journellement. Cette musique a été réalisée à la fois en Ukraine (King Imagine) et à Gênes où vit le flûtiste Bruno Gussoni, lequel a travaillé avec Marcello Magliocchi et Adrian Northover ces dernières années.
Je dois dire que son travail musical électronique construit en multi-pistes agrégées les unes aux autres est vraiment réussi. En outre, aimant à jouer avec des improvisateurs qui veulent à la fois montrer leur solidarité face à cette horrible guerre et apprécient le challenge. En effet, si je comprends bien, King Imagine semble aussi insérer les interventions de Gussoni, dans le montage des pièces, tout en lui laissant aussi de l’espace : on entend plusieurs fois clairement et simultanément deux ou trois parties de flûtes en re-recording qui finissent par s’épandre largement dans un orchestration organique dans une longue pièce de 21:40, At The Sea, initiée au départ par une sorte de ressac de vagues maritimes et les accents du blues insufflées dans l’anche du bambou. Même si le niveau d’ enregistrement de la flûte n’est pas optimal, on est positivement impressionné par le savoir faire délicat des spirales sonores du shakuhachi dans les mains de Bruno Gussoni et par l’interaction en parallèle des deux improvisateurs. Les morceaux suivants, nettement plus courts offrent chacun un autre ambiance. Ce type échange musical à distance entre deux musiciens a été développé durant la pandémie du Covid 19 et c’est heureux que cette approche se perpétue entre des artistes situés loin les uns des autres dans un esprit sincèrement internationaliste.
https://newwaveofjazz.bandcamp.com/album/closer-and-beyond
Trio acoustique saxophone, guitare & alto (viola) éclaté. Stefan Keune joue ici des sax alto et sopranino, Dirk Serries de la guitare archtop (chevalet) et Benedict Taylor de l’alto. Rappelons que Stefan Keune a joué et enregistré avec le guitariste John Russell depuis les années 90 (Frequency of Use / NurNichtNur) Cette expérience radicale entre cordes et anches s’est prolongée récemment dans un trio avec Dirk et Benedictlors d’un concert à Baarle Nassau enregistré et inclus dans un triple CD intitulé Live At Plus Étage (a new wave of jazz anwoj0060). La partie est remise dans ce nouvel album en trio enregistré en 2022 au Studio Sunnyside à Bruxelles. Je pense sincèrement que Stefan Keune se situe parmi les saxophonistes chercheurs « post Evan Parker » qui explorent toutes les ressources sonores de leur instrument (harmoniques extrêmes, « morsures » , doigtés fourchus, vocalisations,bruitisme ...). On songe à Michel Doneda, Urs Leimgruber, John Butcher, Jean-Luc Guionnet, Georg Wissel mais aussi les pratiques les plus extrêmes de Steve Lacy ou Anthony Braxton. Les phrasés staccato et les morsures soniques de Stefan Keune se meuvent avec une articulation ultra-véloce, déchiquetante, exaspérée, tordant le cou inexorablement à la notion de mélodie. Cela cadre parfaitement au jeu inquisiteur de Benedict Taylor à l’archet qui nous fait entendre une variété étonnante de frottements tout à tour ultralégers, vocalisés, saturés, fantomatiques, harmoniques torturées, en glissandi voilés ou expressifs ou encore des tournoiements affolés. S’ajoutent à cela les clusters et cascades de notes entrechoquées, bruissements métalliques, frictions des cordes sur la touche de la guitare de Dirk Serries, le responsable de a new wave of jazz. On peut y trouver des instants parsemés de silence aux détails infinis, pointillistes étirés comme si le temps allait s’arrêter. La concentration des musiciens construit une toile aux ramifications étoilées et distendues, ou un flux échancré ou dense, compressé dans un crescendo à la fois statique et hyper mouvant,…
Un excellent trio d’improvisation qui nous change du sempiternel et rituel assemblage saxophone contrebasse batterie…. Et ici le saxophoniste est un phénomène tout à fait particulier incarnant l’art sonore « abstrait » du saxophone et il a du mérite car le saxophone sopranino qu’on entend très souvent ici est un engin compliqué à manipuler. Le violoniste est un as de l’alto dont la manière et le style personnel est immédiatement reconnaissable par la finesse du jeu à l’archet qui semble à peine toucher les cordes tout en les pressant sur la touche pour en altérer la sonorité. Et l’alto demande un réel effort technique et sensible, plus malaisé à jouer à ce régime. Et donc, suivant Dirk Serries depuis plusieurs années, je mesure les progrès sensibles de ses interventions en interagissant à très bon escient tout en propulsant la furie de ses deux collègues. Excellent CD.
mistika jpeg oscillations Agogol NaabtalDeath Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues Creative Sources CS859CD
https://ernestorodrigues.bandcamp.com/album/mistika-jpeg-oscillations
Avec un titre pareil, mistika jpeg oscillations, les noms des deux artistes à coucher dehors - Agogol et Naabtal Death - et la photo de pochette, le connaisseur sera un peu interloqué d’y voir le père et le fils Ernesto et Guilherme Rodrigues incarner le (saint-) esprit de la musique improvisée libre de ceux qui sont « sc…. toujours prêts » à se commettre avec quiconque joue à improviser librement sans aucune arrière-pensée esthétique ou carriériste. Ernesto et Guilherme sont deux cordistes très remarquables, « viola » et « cello » parmi les meilleurs qui se trouvent dans la scène actuelle. Ils ont récemment enregistré avec des incontournables comme Fred Lonberg Holm, Floros Floridis, Frank Gratkowski, Alex von Schlippenbach, Willi Kellers, Ute Wassermann et un nombre exponentiel de musiciens de grand talent. Il leur arrive de croiser dans une tournée des artistes issus d’un autre filière, d’un tout autre background. Agogol et Naabtal Death sont deux artistes sonores – musiciens de la scène locale d’Hannover, celle du génial Günter Christmann et de sa muse l’extrordinaire chanteuse Elke Schipper, mais aussi de l'Atelier Grammofon. Mais ce que ces deux zèbres pratiquent vient d’une autre planète que celle de l’improvisation libre historique issue du jazz libre et dela musique contemporaine. Agogol est crédité modified electric guitar, electronics, voice et son copain Naabtal Death, amplified tortured zither, electronics, tools. On pourrait penser que ce serait une session free-noise. Mais non ! Ce quartet improbable joue avec une belle sensibilité une musique improvisée radicale soignée avec un super sens de la dynamique et l’intégration réussie de pratiques différentes dans un flux sonore détaillé de 42'48'' vraiment réussi en dehors des radars et des tendances. La musique de l’instant. Vous trouverez là une série de séquences reliées les unes aux autres dans un large panorama d’approches, de sifflements oscillatoires (l’alto / viola d’Ernesto), d’irisations électroacoustiques, des vibrations étranges, de discrets bruitages, des glitch, de chocs sur la touche du violoncelle, des ambiances – drones soutenues. Cela dure d’abord quasi trois quart d’heure : 1. playing the paintings upside down – 42 :48 plus un final 2. paintings want to rotate – 07 :47. C’est un beau message d’ouverture d’esprit. Il y a une dimension cosmique et chacun se sent libre de s’exprimer pleinement en restant lui-même dans une harmonie auditive et réactive. On est tous là sur terre pour s’écouter, se comprendre et essayer de collaborer, et cette communion des sens, des actes et de l’écoute en témoigne. Je les ai rencontrés fin juillet dernier à Atelier Gramophon à Hannover et l’un deux, AGogol, un joyeux drille sérieux comme un pape, s’est joint dans notre programme pour égayer la soirée. Mémorable ! Merci à Naabtal Death pour m’avoir tendu ce très intéressant album inclassable.
Simon Rose & Michel Doneda METAL NOTEBOOK scätter archives
https://scatterarchive.bandcamp.com/album/metal-notebook
Un duo d’anches tranchant, bruissant, extrême, deux colonnes d’air sous pression des lèvres et du souffle, une métamorphose des sons de deux saxophones. Le soprano de Michel Doneda et le baryton de Simon Rose résonnent dans l’espace fusant des harmoniques acérées ou secrètes, bourdonnant, lacérant les fréquences, leurs morsures aériennes délivrant une intense énergie physique même dans leurs coups de langues furtifs sur le bord de l’anche, fétu de bambou arrimé au bec que leurs gosiers irritent ou fait gémir. C'est autant une ascèse viscérale, qu’une une philosophie de la recherche d’un botaniste curieux des sons, qu’un trop plein d’émotions, une science de l’indicible et de sifflements revêches , la rage et l’espérance. Leurs deux personnalités sont complémentaires au-delà qu’il est possible et les croisements de leurs musiques individuelles forment un tout, un univers, un vécu collectif. Ils ne nous épargnent rien dans leurs débauches d’effets de souffle et pourtant, ils communiquent l’essentiel en une seule prise dans un instant qui dure sans qu’on en mesure le temps, effacé, extrapolé, sublimé et évanoui. 28 minutes aussi bon marché (vous payerez ce que vous pourrez pour les acquérir) que c’est absolument unique. On découvre ici la nature de leurs instruments … à l’état de nature. Une musique sauvage basée sur une écoute mutuelle intense et un travail ultra-précis. La mécanique des clés et tampons rejoint le pensée, la réflexion intime, cet état second qui distingue le rêve de l’action et les réunit dans un même temps.
Simon Rose a travaillé avec acharnement depuis ses deux trois premiers CD’s de junior de la scène londonienne (avec feu Simon H Fell, Mark Sanders, S. Noble) il y a plus de trente ans… et c’est tout à fait merveilleux de l’entendre au saxophone baryton, devenu son instrument de prédilection avec ce défricheur chercheur ultime du saxophone soprano qu’est Michel Doneda ... dont on se demande comment il parvient à contrôler l’émission de telles sonorités quasi inaccessibles par delà les limites techniques et physiques de l’instrument. Franchement, s’il y a un excès de saxophonismes dans l’univers des musiques improvisées, ces deux-là nous offrent l’indispensable, l’élémentaire. Une éclipse. Une leçon de vie.
Publié par Liam Stefani sur son mythique label digital scatter archive et que vous pouvez acquérir en payant ce que vous désirez, même quelques pennies in the heaven.
King Imagine & Bruno Gussoni Electric Path of the Samuraï
https://kingimagine2.bandcamp.com/track/electric-path-of-the-samurai
Par-dessus un dense et rebondissant réseau de sonorités électroniques étonnamment diversifiées, tournoyantes, vibratiles, croassantes, s’échappe le souffle ou les souffles paisible(s) d’un adepte du shakuhashi, la flûte japonaise « sans bec » taillée dans un tuyau de bambou à l’extrémité duquel une entaille aiguisée artistement permet de faire vibrer des notes dans cette colonne d’air tout à fait aléatoire. Vu la rusticité simplissime de cet instrument, le musicien, Bruno Gussoni, a bien du mérite, cet instrument requiert beaucoup de concentration et d’astuce pour tracer un son mélodieux d’une note à l’autre sans jamais en altérer la qualité de timbre. King Imagine est un artiste de musique électronique ukrainien basé à Kiev qui entend siffler et exploser missiles et drones Russes quasi-journellement. Cette musique a été réalisée à la fois en Ukraine (King Imagine) et à Gênes où vit le flûtiste Bruno Gussoni, lequel a travaillé avec Marcello Magliocchi et Adrian Northover ces dernières années.
Je dois dire que son travail musical électronique construit en multi-pistes agrégées les unes aux autres est vraiment réussi. En outre, aimant à jouer avec des improvisateurs qui veulent à la fois montrer leur solidarité face à cette horrible guerre et apprécient le challenge. En effet, si je comprends bien, King Imagine semble aussi insérer les interventions de Gussoni, dans le montage des pièces, tout en lui laissant aussi de l’espace : on entend plusieurs fois clairement et simultanément deux ou trois parties de flûtes en re-recording qui finissent par s’épandre largement dans un orchestration organique dans une longue pièce de 21:40, At The Sea, initiée au départ par une sorte de ressac de vagues maritimes et les accents du blues insufflées dans l’anche du bambou. Même si le niveau d’ enregistrement de la flûte n’est pas optimal, on est positivement impressionné par le savoir faire délicat des spirales sonores du shakuhachi dans les mains de Bruno Gussoni et par l’interaction en parallèle des deux improvisateurs. Les morceaux suivants, nettement plus courts offrent chacun un autre ambiance. Ce type échange musical à distance entre deux musiciens a été développé durant la pandémie du Covid 19 et c’est heureux que cette approche se perpétue entre des artistes situés loin les uns des autres dans un esprit sincèrement internationaliste.
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