Ivo Perelman : L’intégrale des 68 CD’s Leo Records parus de 1997 à 2019 publiés en digital.
https://ivoperelmanleo.bandcamp.com/music
Milles excuses à mes lecteurs et aux producteurs d’arriver si en retard pour commenter cette publication … colossale. Leo Records a été longtemps un label essentiel focalisé sur la New Thing afro-américaine, l’euro-jazz « risqué et l’improvisation libre européenne et « ex-soviétique » depuis la fin des années vinyles vers 1980 jusqu’il y a quelques années. Un catalogue impressionnant d’œuvres d’Anthony Braxton, du Sun Ra Arkestra, de Cecil Taylor, Evan Parker, Joëlle Léandre, Vyacheslav Ganelin Trio, Simon Nabatov, Sainkho Namchylak, Joe et Mat Maneri… et le saxophoniste ténor brésilien Ivo Perelman, souffleur exclusivement « ténor ». Musicien promis à un bel avenir dans le latin jazz à la brésilienne repéré par la grande chanteuse Flora Purim, mais aussi Paul Bley et Don Pullen, Ivo Perelman quite la Californie pour rejoindre la Grosse Pomme (NYC) et sa scène free. Il y démarre très vite avec le bassiste William Parker, le batteur Rashied Ali, le pianiste Matthew Shipp en enregistrant Cama da Terra avec Parker et Shipp, ses deux compagnons des années Leo Records. Premier album « free » insigne chez Leo Records : Sad Life avec Rashied Ali à la batterie et William Parker à la contrebasse enrgistré en 1996. Rashied fut le batteur free du groupe de Coltrane (Meditations, Live at Village Vanguard Again, Live in Japan, Expression, Stellar Regions) jusqu’à sa mort. À cette époque William Parker est le contrebassiste de choix de Cecil Taylor tant avec feu Jimmy Lyons qu’en trio avec Tony Oxley et ses Ensemble durant de nombreuses années. Shipp et Parker sont aussi des incontournables du quartet du saxophoniste David S. Ware. Alors, l’expressionnisme forcené, la sonorité incandescente à la saudade brésilienne d’Ivo Perelman conquiert les meilleurs musiciens du free-jazz New-Yorkais dès 1995-96. Seeds Vision and Counterpoint fait suite à Sad Life la même année, l’Ivo Perelman trio avec le bassiste Dominic Duval, successeur de Parker auprès de Cecil Taylor et le batteur Jay Rosen, ces deux musiciens formant plus tard le TRIO X avec Joe McPhee. Avec Brazilian Watercolour, Ivo revisite et affirme son identité et son amour du Brésil avec Rashied Ali, son futur partenaire le plus proche, le pianiste Matthew Shipp et ses compatriotes Brésiliens, les percussionnistes Guilherme Franco qui joua avec McCoy Tyner dans les années 70 et Cyro Baptista, un proche de John Zorn qui enregistra un des plus fascinants albums en duo de Derek Bailey. Mais étrangement, l’ouverture d’esprit de Leo Feigin ( Mr Leo Records) lui permet d’enregistrer The Alexander Suite avec le C.T. String Quartet en 1998 : Jason Kao Hwang violon, Ron Lawrence alto, Thomas Ulrich, violoncelle et Dominic Duval contrebasse, initiant la partie de son œuvre enregistrée chez Leo avec des cordistes tels que l’altiste Mat Maneri, un de ses plus proches collaborateurs et le guitariste Joe Morris en duo et trio, puis le violoniste Mark Feldman et le violoncelliste Hank Roberts.
Un aspect fondamental de la démarche d’Ivo Perelman est son approche collective et entièrement improvisée dans l’instant avec un ou deux partenaires dans une dimension égalitaire. Cela veut dire que quelque soit l’instrument joué, chacun des improvisateurs à toute la liberté et la latitude de pouvoir improviser entièrement sans interruption ni servilité (vous savez , le syndrome du soliste et la hiérarchie entre le souffleur et le rôle d’accompagnement du bassiste et du pianiste).
Après avoir joué fréquemment avec le pianiste Matthew Shipp, Ivo Perelman et lui ont gravé un album en duo en 2012 : The Art of the Duet. Séduits par l’empathie créative et les perspectives musicales et émotionnelles de leur duo, les deux amis ont poursuivi la voie du duo en enregistrant une merveilleuse série d’albums : Corpo en 2015, Callas (cd double) en 2016, Complementary Colors et puis deux coffrets Oneness 3 CD’s 2017 et Efflorescence 4 CD’s 2018 , tous contenants de courtes improvisations de quelques minutes très diversifiées par leurs formes et leurs évolutions spontanées, sortes de compositions instantanées, alors que leur album 2CD Live in Brussels est construit dans de longues suites musclées granitiques. Croyant avoir épuisé le filon du duo, ils furent surpris de pouvoir encore se renouveler dans le coffret Efflorescence et un autre album duo camouflé dans une des trois séries de sept albums publiés d’un jet : the Art of Perelman – Shipp vol 6 : Saturn. Les autres albums de cette série The Art of Perelman Shipp et de The Art of the Trio et de beaucoup d’autres publications Leo consistent en une déclinaison – constellation de trios ou quartets autour du duo Perelman - Shipp en compagnie des contrebassistes William Parker, Michael Bisio et Joe Morris et des batteurs superlatifs : Whit Dickey, Gerald Cleaver, et les vétérans Andrew Cyrille et Bobby Kapp. Intervient aussi le vibraphoniste Karl Berger en duo ou trio, l’inclusion de Mat Maneri dans une série de 4 albums intitulés Strings vol 1, 2, 3, 4 . Renseigner au public lequel de ces nombreux albums sont les meilleurs est illusoire et vous donnera le tournis car on passe de la musique de chambre presque intimiste et équilibrée à quelques charges épico-énergétiques déchirantes du free brûlant en quartet avec piano - basse - batterie (Serendipity). Aussi parmi les plus belles réussites en quartet, Soul et Heptagon sont incontournables. Et s’insère aussi vers la fin de la période Leo, le trompettiste Nate Wolley, devenu par la suite un fidèle : Philosopher’s Stone trio avec Shipp et Octagon avec Brandon Lopez et Cleaver. Blue, le duo avec le guitariste Joe Morris et Two Men Walking avec l’altiste Mat Maneri situe le lyrisme de Perelman dans l’intimité d’une musique de chambre elliptique d’un haut niveau d’empathie sensible. Ou ses duos musclés avec les batteurs Whit Dickey, Gerry Hemingway ou Jay Rosen. Une constante : le brillant interplay, l’interaction permanente dynamique et lisible (qualité d’enregistrement optimale), le lyrisme. On trouve aussi des duos avec les clarinettistes basse Jason Stein et , surtout Rudi Mahall (2CD Kindred Spirits) qui initient ses futures rencontres ultérieures avec une kyrielle de saxophonistes tels Joe Lovano, Joe McPhee, David Murray et Roscoe Mitchell. Bon, ouf !
Je dois avouer que les discographies de saxophonistes hyper productifs au-delà du raisonnable m’ont toujours rendu dubitatifs. C’est vraiment selon certains voire beaucoup de journalistes, organisateurs, supporters et acheteurs compulsifs une manie qui occulte la créativité des trombonistes, violoncellistes, altistes, violonistes, guitaristes risqués, accordéonistes, créateurs atypiques ou vocalistes. Et fort heureusement, ce qui fascine chez Perelman, c’est son lyrisme authentiquement jazz dans un moule entièrement improvisation libre basée sur l’écoute mutuelle. On ne l’entendra jamais dans d’autres « projets » , « aventures » qui ne correspondent pas à son éthique intransigeante « collective et librement improvisée égalitaire ». Pas question pour lui de jouer avec un « leader » d’interpréter une composition sur partitions et à se conformer à quelconque format ou stratégie, quitte à avoir moins de travail, de concerts et de revenus. Et il y a avant tout la qualité sonore de son jeu racé, brésilien, inspiré par Albert Ayler mais aussi Stan Getz, Hank Mobley, Coltrane, Joe Henderson.. non pas pour les idées musicales proprement dites ou le style de ses aînés, mais seulement pour la sonorité. Aussi ses nombreuses sessions ne sont pas laissées au hasard, sa constante capacité créative au niveau mélodique étant son atout majeur. C’est là-dessus que ce bourreau de travail de l’instrument accorde la plus grande attention, les soins les plus minutieux jusqu’à l’obsession, le dépassement de soi. Bien sûr, il y des génies de l’instrument qui détonnent par leur articulation acrobatique avec triples détachés sur tous les intervalles ou presque comme Evan Parker ou Paul Dunmall (deux de mes grands favoris… mais il y en a d’autres !). Question puissance déchirante aylérienne jusqu’à l’hallucination, Perelman a fait fort par le passé : son double CD For Helen F. avec un double trio deux basses et deux batteries (label Boxholder) dépasse tous les records d’albertophilie. Mais sa démarche au départ ultra - expressionniste s’est étendue dans différents registres au fur et à mesure que sa technique d’émission sonore s’est raffinée, étendue, devenant plus liquide, plus charnelle, plus translucide et vibrante mais aussi instrospective. Et cela c’est fait par étapes dont une des plus insignes se situe lors de la session du double album duo Callas avant laquelle il s’est soigné le larynx et les cordes vocales avec des cours de chant et l’écoute des œuvres de la légendaire chanteuse lyrique. La VOIX ! Car qui d’autre parvient à faire chanter le saxophone ténor au-delà de sa tessiture dans des suraigus chantants, en glissandi qui évoquent la musique latino-brésilienne, la saudade. C’est là que réside tout l’originalité de ce souffleur chaleureux à la voix divine. Il ressent la musique et les sons qu’il produit au niveau de la couleur, du visuel quasiment autant que par la perception purement auditive. C’est du moins comme cela qu’il exprime cet aspect sensible, sensuel de sa personnalité musicale. Il est d’ailleurs un véritable créateur graphique et peintre dont les œuvres décorent les pochettes de ses albums. Choisissez des enregistrements d’années différentes entre 2000 et 2018/19 et vous pourrez déjà mesurer sa marche en avant vers la maturité en notant bien que son taux de réussite en impose depuis le départ. Après la période Leo Records, Ivo Perelman a poursuivi ce travail intense sur le son du sax ténor pour graver d’autres merveilles dont vous trouverez les références en piochant dans mon blog les articles où je révèle les tenants et aboutissements de son évolution.
Poor Isa : Ruben Machtelinckx & Frederik Leroux + Ingar Zach / Evan Parker Album vinyle Aspen23
https://rubenmachtelinckx1.bandcamp.com/album/poor-isa-evan-parker-ingar-zach
Étonnant projet réunissant les deux guitaristes Ruben Machtelinckx et Frederik Leroux, le souffle d’Evan Parker aux sax ténor et soprano et la percussion d’Ingar Zach. Les indications de la pochette laissent planer un doute à propos de qui joue quoi et quand… mais la production est resplendissante et soignée. Donc, Poor Isa est le duo de Ruben et Frederik aux banjos (!) et woodblocks et leurs jeux sont soigneusement synchronisés dans une sorte de folklore imaginaire – bluegrass cosmique lancinant et « répétitif ». On songe un peu au travail du luthiste Jozef Van Wissem, il y a une vingtaine d’années. Sur une des faces (laquelle ?), Clearing commence avec un super tandem des banjos dans une cadence enlevée en giration elliptique sur laquelle vient surfer les articulations alambiquées, mais lyriques, d’Evan Parker au ténor, en Wayne Shorter décalé avec son style inimitable fait de spirales imbriquant ses intervalles de notes distendues et ses glissandi, issues de sa pratique révolutionnaire des cross fingerings. La rythmique des deux banjos suggèrent une danse de chevaux tournoyants de manière assez subtile. Leur mise en place rythmique est formidable : ça a l’air simple, mais franchement il faut le faire pour y arriver aussi bien. C’est suivi par une pièce intimiste au sax soprano d’une belle douceur et avec de fausses hésitations qui relâche l’atmosphère avant de s’enfuir dans les méandres de sa respiration circulaire, intitulée Ply. Son solo introduit en fin de face, Untitled 7, où les deux banjoïstes balancent leurs gammes eschériennes en rotation permanente, elles - mêmes étrangement rythmées par les frappes et le cliquetis percussif subtil d’Ingar Zach sur le daf (?), et clochettes, mini-cymbales qui tintinabulent etc … impossible de deviner où se situe le premier temps et le dernier, peut-être sont-ce les mêmes.
Il s’agit toujours dans ce projet, de compositions de Machtelinckx et Leroux, celui-ci étant l’unique compositeur de Untitled 7. L’autre face contient deux compositions Two Way et Hewn. La première démarre sur une superbe cavalcade des banjos siamois oscillants et tournoyants comme si les deux musiciens, Ruben et Fred Leroux chevauchaient des poneys à proximité de l’Altaï en Sibérie du Sud. En effet, on songe à la rythmique de ces musiques orientales et aux intervalles des gammes. Evan Parker a un plaisir évident à se mouvoir en rythme sur les pulsations du tandem des banjoïstes avec son souffle caractéristique et ses notes qui sursautent comme si elles étaient jouées à l’envers par-dessus les harmonies et les pulsations.
Dans la deuxième pièce finale et plus longue, Hewn, le souffleur distille quelques notes pour petit à petit s’élancer et tournoyer en solo jusqu’à ce qu’il soit rejoint par les deux banjos sonnant un peu comme une cithare d’Asie Centrale dans une comptine se lovant sur elle-même à l’infini. S’ajoutent les superbes frappes frottées et mouvantes et les sonnailles, crotales …(?) d’Ingar Zach, un des percussionnistes les plus originaux de la scène improvisée, Parker laissant les trois autres nous envoûter. Comme je vous disais, du folklore imaginaire.
Evan Parker est sans nul doute un des saxophonistes les plus impressionnants qui soient et une très forte personnalité très marquée esthétiquement. Ce qu’on sait moins est qu’il est toujours prêt à se mettre au service d’autres artistes dans des univers différents ou parallèles à sa démarche et à s’insérer créativement dans les projets des autres quels qu’ils soient de manière ouverte et enthousiaste, comme celui-ci, où sa démarche est plus accessible. Cet album intimiste et intrigant se révèle ses exquises ritournelles avec une belle fraîcheur, sans prétention mais avec beaucoup de charme. Une gâterie.
Philip Gibbs hear my soul sutras 33-60 blackmound soundlab CD
https://blackmoundsoundlab.bandcamp.com/album/bm-innovation-bmi-001-hear-my-soul-sutras-33-60
Guitariste fétiche du saxophoniste britannique Paul Dunmall (ténor, et soprano, mais aussi baryton, alto, clarinettes, flûtes et bagpipes), Philip Gibbs a travaillé et enregistré quasi-exclusivement avec ce géant du saxophone, un phénomène du post – Coltranisme créatif une extraordinaire quantité d’albums pour les labels Slam, FMR et les Duns Limited Edition de Dunmall lui – même. Et cela en compagnie des batteurs Mark Sanders, des « trois Tony », Levin, Bianco et Marsh , aujourd’hui disparus, ainsi qu’avec Hamid Drake. Côté bassistes, les incontournables Paul Rogers, John Edwards et Marcio Mattos, le pianiste Keith Tippett, des guitaristes fous comme Barry Edwards et John Adams etc…. Paul Dunmall est aussi un des très rares souffleurs « post-Coltrane » qui soit devenu un total original en créant son propre style sur les bases coltraniennes en ingurgitant tout le reste question influences du sax ténor tout en étant un prodige dans l’explosion sonore des bagpipes et un saxophoniste soprano de grande classe.
Je dois ajouter qu’un des rares autres improvisateurs avec qui Phil Gibbs a enregistré et joué ici et là dans la scène anglaise « hors Dunmall » est moi-même, J-M Van Schouwburg, vocaliste improvisateur. Parmi les différentes techniques développées figurent d’une part un jeu amplifié à peine électrique qui conserve une immaculée aura sonore acoustique et d’autre part, un jeu de « tapping » à dix doigts sur les frettes de la guitare préparée et allongée sur ses genoux dans un tourbillon percussif giratoire et ondulé qui fait penser à une musique de sanzas ou mbiras d’Afrique (« le piano à pouces »), une cithare psychédélique ou une harpe hantée. Une de ses préparations de la guitare consiste d’insérer un morceau de corde de guitare entre trois ou quatre cordes, (dés-) accordant étrangement sa six cordes dans un autre univers tonal carrément psychédélique. C’est bien ici l’objet de ce magnifique album solo intitulé Hear my soul - sutras 33-60 et composé de 27 courts morceaux. Il y développe une grande variété de motifs, de pulsations, d’imbrications tournoyantes et de girations aériennes sans solution de de début et de fin qui se chevauchent, se torsadent et filent comme le vent fait tourner les feuilles dans les clairières illuminées. Juste une remarque : les plages n°1 (T21) et n°27 (T19) sont consacrés à deux morceaux électriques saturés qui indiquent que Phil Gibbs est aussi versé dans les pédales d’effets électroniques quand le besoin ou l’humeur se fait sentir.
On retrouve cette technique dans son album en duo Stringing the Bridge Over the Air (avec moi-même) https://orynx.bandcamp.com/album/stringing-the-bridge-over-the-air. Phil , Dominic Lash et moi même avons entregistré Overlapping Layers pour le label Intrication de Thierry Waziniak et du point de vue de Phil Gibbs, l'artiste y développe une perpspective différente pour y construire le dialogue interactif https://orynx.bandcamp.com/album/overlapping-layers. Un autre de ses albums solos publiés par Duns Limited Edition : Thoughts and Feelings offre lui un panorama plus exhaustif de toutes ses recherches sur la guitare acoustique et électrique dans différentes approches https://www.youtube.com/watch?v=DY--_IPMXmM. Un artiste curieux et original dont la qualité du travail est inversément proportionnelle à l'infime quantité de concerts auquel son talent pourrait prétendre.
Consacré aux musiques improvisées (libre, radicale,totale, free-jazz), aux productions d'enregistrements indépendants, aux idées et idéaux qui s'inscrivent dans la pratique vivante de ces musiques à l'écart des idéologies. Nouveautés et parutions datées pour souligner qu'il s'agit pour beaucoup du travail d'une vie. Orynx est le 1er album de voix solo de J-M Van Schouwburg (1996 - 2005). https://orynx.bandcamp.com
18 novembre 2025
13 novembre 2025
Carlos Zingaro Carlos Bechegas Ernesto Rodrigues/ Marie Takahashi Baptiste Vayer Thierry Waziniak/ Christian Vasseur Steve Gibbs Nicolò Vivi/ João Madeira & Miguel Mira
Spleen Carlos Zingaro Carlos Bechegas Ernesto Rodrigues Creative Sources CS848CD
https://creativesources.bandcamp.com/album/spleen
Vu le nombre exponentiel d’enregistrements du label Creative Sources autour de son responsable, l’altiste Ernesto Rodrigues, je n’ai pu trouver le temps pour commenter la remarquable musique à la fois puissante et fragile de ce trio atypique marqué du sceau du Spleen, une fois le titre d’une œuvre du poète Baudelaire. Atypique par son instrumentation, violon, flûte / piccolo et alto et très remarquable par l’altération précise des timbres, tonalités, intervalles commune aux trois musiciens comme s’ils chantaient d’une même voix, Spleen se déroule dans le temps en deux mouvements intitulés I , II pour faire simple, sans que la durée soit indiquée dans les détails de la pochette ornée d’une aquarelle de Carlos Zingaro,le violoniste. Cette aquarelle symbolise les difractions des lueurs sonores et des micro – altérations des sonorités sur leur hauteur imprimée par la pression des lèvres et du souffle du flûtiste Carlos Bechegas en écho aux nuances subtiles et infinis mélismes microtonaux des violonistes pressant leurs archets délicatement sur les cordes. Les sonorités irisées de Carlos Zingaro et d'Ernesto Rodrigues font corps dans un même flux, un unique faisceau de timbres moirés, un agrégat indissociable qui lui-même intègre et échange bien des nuances avec leur camarade flûtiste. Impossible de deviner lequel des deux, altiste ou violoniste émet ces sonorités chatoyantes et fantomatiques et les ombrages des vibrations des cordes où le flûtiste évolue comme un poisson dans l'eau qui s'écoule comme des aquarelles en mouvement aléatoire. Le comble de l’empathie, un sommet de togetherness par les sons, leurs interférences, leurs miroitements. Les manipulations instrumentales font appel à ces fameuses techniques alternatives, bien sûr, mais basée sur une connaissance fondamentale et organique de leurs instruments jusque dans des profondeurs insondables. Toute l’attention auditive pour leur musique est concentrée sur cette symbiose instrumentale : ses mouvements et ses enchaînements en oblitèrent la durée sensible dans un Spleen sensitif magique.
Comme j'ai souvent chroniqué les faits et gestes de Carlos Zingaro et d'Ernesto Rodrigues plus qu'à son tour, il serait bienvenu que je cadre les antécédents notoires du flûtiste Carlos Bechegas. Cet artiste exceptionnel a commis d'excellents enregistrements en duo dans les années 2000 avec les contrebassistes Peter Kowald (Open Secrets) et Barry Guy (Open Textures), le flûtiste Michel Edelin (Open Frontiers), le guitariste Derek Bailey (Right Off !),le pianiste Alex von Schlippenbach (Open Speech) et mes compatriotes Peter Jacqmyn,contrebasse, et André Goudbeek, sax alto, dans Open Density. Juste pour vous situez le niveau d ce musicien d'exception méconnu.Tous les titres de ses CD's contiennent le mot Open, ouvert. Et Spleen est bien ici un album de musique ouverte qui se singularise par une personnalité collective très forte, rare, voir unique au niveau sonore et, surtout, spontanée.
Muted Songs A Part : Marie Takahashi Baptiste Vayer Thierry Waziniak intrication label Tri 008
https://waziniakthierry.bandcamp.com/album/muted-songs
Intrication documente fidèlement les différentes pratiques et les univers sonores et musicaux dans lesquels évolue avec bonheur le percussionniste Thierry Waziniak avec de multiples complices. On l’a entendu dans un original hommage à Thelonious Monk recréant ses compositions avec son ami guitariste Pascal Bréchet. Récemment, un duo très fouillé avec le saxophoniste chercheur Michel Doneda – le chemin du jour. Aussi, deux opus où intervient la sublime vocaliste Isabelle Duthoit : Don’t Worry Be Happy et White Eyes, album où figure étonnamment un souffleur de shakuhashi (Daniel Lifermann) et une calligraphe japonaise (Yukako Matsui) … !! Il y a, entre autres, le CD Overlapping Layers de Phil Gibbs, Dom Lash et moi-même… (encore mille mercis). En outre ,Waziniak joue sur de magnifiques albums aux incroyables pochettes « magnétique – caoutchouc » du label en compagnie du violoncelliste Gaël Mevel avec des invités comme Michaël Attias, Mat Maneri , J-L Capozzo ou Gianni Mimmo. Cette production maison d’Intrication a lieu d’être grâce au travail technique et graphique de Baptiste Vayer qui se révèle ici comme guitariste improvisateur inventif de choix et même vocaliste. Le titre Muted Songs peut se référer à sa manière de mettre l’électricité sauvage de sa guitare en sourdine voilant l’énergie abrasive de son jeu cabossé. Avec les percussions habiles et elliptiques et ses "electronics"de Thierry Waziniak, on trouve l’autre pôle « cordiste » de ce trio vraiment « À Part » : l’altiste Marie Takahashi, joueuse de « violon » alto, un instrument qui s’est répandu dans la scène improvisée de ces vingt dernières années : Mat Maneri, Ernesto Rodrigues, Charlotte Hug, Ig Henneman, Szilard Mezei, Benedict Taylor. Faut – il informer ou rappeler les efforts de ces musiciens ALTISTES pour développer leurs capacités et talents, car l’alto (viola en anglais) est un instrument nettement plus difficile à maîtriser que le violon lui-même si on veut en tirer les possibilités sonores vers le haut. Donc tant mieux que soit donné une fenêtre à cette altiste dans un tel album d’improvisation exploratoire.
Ironiquement qualifié de Fine Extinction, le premier titre (10'24'') démarre avec la voix folichonne et cahotante de Baptiste Vayer et les spirales déjantées et les griffures zébrées de Marie Takahshi soutenues sournoisement par Thierry Waziniak par intermittence instantanée. Mais la guitare sauvage et ses effets envahit soudainement le décor faisant monter l'adrénaline de la "violiste" surexcitée. Et la voix s'échappe... Puis, un beat électronique et des vibrations inconnues clôturent le morceau. "Instinct Noita" (8'05)cultive une intéressante approche "minimaliste" "laminaire" faite de drones, sonorités électroniques "industrielles", crachottements, une sorte de musique "AMM" insouciante à laquelle une dimension ludique bruissante et mystérieuse s'insinue progressivement, s'enfle et aboutit à une cohérence narrative évidente incorporant aussi des sonorités plus délicates. L'art de la métamorphose imprévisible etla diversité des quatre improvisations constitue une belle caractéristique de ce trio À Part. "Captain Tarawa" s'ouvre sur les contorsions de l'archet compressant les cordes au point de rendre le jeu de Marie abrasivement destroy, par dessus les soulèvements des tambours martelés par Thierry et auquel répondent les entrailles électrocutées de la guitare à effets de Baptiste. De ce paysage sonore de départ, s'ensuit une foire d'empoigne mouvementée et des interlocutions statiques où se distinguent l'inventivité du guitariste (passage en solo à un bon moment) et la sagacité du percussionniste - électronicien. Sans vouloir conférer à leurs improvisations un format ou une approche particulière travaillée et presque préméditée en amont, le trio À Part opte pour une dérive poétique actionniste où ils semblent s'égarer et se retrouvent ahuris. The "Lines of Convergence", le quatrième morceau final, se déroule dans l'univers lisible de l'improvisation radicale où le silence a une importance prépondérante qui met en valeur distinctement et clairement les sonorités et gestes musicaux de chacun des trois improvisateurs avec en réel sens du dosage quasi minimaliste tout en retenue pointilliste au ralenti ... Et soudainement, une montée de fièvre - hausse du volume qui s'intègre dans le processus un instant avant de chuter en douceur à la fin de l'album. Comme je disais plus haut , chacune de leurs quatre improvisations enregistrées ici occupe un univers en soi souvent clairement distinct des trois autres. Ce séquencement aura peut-être de quoi faire réfléchir, par exemple l'auditeur avide de guitares noise saturée 'bruyante' (ici ... les passages destroy de Baptiste Vayer), qui en jetant une oreille sur la plage 1 ou 3 prend le risque de découvrir ensuite d'autres approches musicales plus introspectives, intimes ou implosées. Un travail réussi.
Christian Vasseur Steve Gibbs Nicolò Vivi FWWU+ 4DaRecords 4DACD020 https://4darecord.bandcamp.com/album/fwwu-duos-trios
Duo (Vasseur et Gibbs CD1) et Trio (le duo précité plus Nicolò Wivi CD2) de guitaristes musicalement très pointus et situés entre l’improvisation libre et la musique contemporaine expérimentale. Un des intérêts majeurs de ces artistes réside dans leurs guitares acoustiques « nylon » à onze cordes (Vasseur) et à huit cordes (Gibbs et Vivi) et l’amplification par piézo. Je cite les crédits de chaqun des 4 CD’s
CD1 : Left : Christian Vasseur 11 string alto guitar Philip Woodfield tuned in quarter tone. Twin 3-way piezos under bridge by Tao Guitars Brussels.Right : Steve Gibbs 8 string classical guitars Alastair McNeill and Jack Sanders. 4-way piezos under fretboard by Tao Guitars Brussels
CD2 : Left : Nicolò Vivi 8 string classical guitar Alastair McNeill. 4-way piezos under fretboard by Tao Guitars Brussels. Centre : Christian Vasseur 8 string classical guitar Stein Schuddinck. 4-way piezos under fretboard by Tao Guitars Brussels. Right : Steve Gibbs 8 string classical guitar Alastair McNeill. 4-way piezos under fretboard by Tao Guitars Brussels Stereo Field track 4 Left Nicolò Vivi / Right Christian Vasseur. Ouf !
Ce n’est pas la première fois que j’ai été confronté à une telle rencontre de guitaristes avec Christian Vasseur et Steve Gibbs. En effet, j’avais programmé un festival entier de guitaristes à Bruxelles : il y en avait six dont Pascal Marzan, Jean Demey, Dirk Serries et Magali Rischette. Un événement dont la richesse musicale et sonore a dépassé toutes les attentes. C’est une des plus belles réussites de ma « longue » carrière d’organisateur.
Alors, je vous le dit franchement, oubliez d’abord les références (Bailey, Chadbourne, Frith, Reichel, Sharp, Russell), cette musique se situe dans un autre univers. D’abord ces guitaristes ont une très grande expérience et des conceptions complètement allumées, dingues qui sortent de l’ordinaire. La vibration simultanée des cordes nylons conjointes des deux guitares à travers l’amplification ne ressemble à rien d’autre. Il s’agit d’un univers sonore étonnant, enfiévré, mystérieux, arachnéen avec des imbrications harmoniques aventureuses, la guitare accordée au quart de ton à la résonnance métallique y étant pour quelque chose. Un OVNI guitaristique d’obédience classique au départ métamorphosée dans un expérimentalisme radical jusqu’au bout des ongles, des doigts et des frettes. Si vous êtes à la recherche d’en enregistrement de musique d’avant-garde recherchée de guitares, voilà qui fera votre affaire. C’est sauvage, minutieux, résonnant, bruitiste, gratouilleur au niveau des fils de cuivres des cordes graves, çà résonne un peu comme un piano préparé, les harmoniques sont pures, des pulsations africaines surgissent çà et là. Une dimension percussive, des accordages surréalistes se pointent sans crier gare avec des effets percussifs en ostinato foldingue, des nuances de toucher inespérées et des tournoiements irréels. Et presque chaque pièce s’ouvre sur des sonorités différentes qui nous font voyager dans une autre partie du cosmos (les glissandi frénétiques du n°4). Ce qui est absolument fantastique, c’est le degré d’empathie et d’unité cohérente entre Vasseur et Gibbs comme si les deux jouaient du même instrument dans des constructions emboîtées avec une dextérité folle et une logique délirante (n° 5) . Et l’utilisation intelligente et appropriée de techniques « alternatives » . Sept pièces qui se surpassent l’une de l’autre durant tout le CD 1, lequel nous aurait suffi tellement c’est réussi. Mais, avec la concours de Nicolò Vivi, la surface des choses est pleinement reconsidérée et le challenge est encore plus imposant. Devoir raconter en détail tout ce qui s’y passe est un véritable pensum, la joie et la curiosité suscitée par cet étrange phénomène à cordes est indicible. Vivat !!
João Madeira & Miguel Mira 21 07 12 02 05 24 4darecords 4DRCD019 https://joaomadeira.bandcamp.com/album/21-07-12-02-05-24
Un contrebassiste, João Madeira et un violoncelliste, Miguel Mira en solo chacun plus de 16 minutes et en duo durant 38 minutes et des avec un « encore » de plus de quatre minutes. Et cela publié par l’excellent label de João, 4Darecords qui recèle de bien belles surprises et des choses vraiment pointues. Comme ce drone évolutif maîtrisé à l’archet d’une belle traite sans flancher une seconde, des gestes délicats dans les infimes changements de position du doigt sur la touche et la vibration du crin de l’archet. Mais cela dépasse l’effet de style pour une recherche formelle d’une structure construite et pensée avec soin avec de presque imperceptibles crescendo / decrescendo et une dynamique sonore qui enfle le son avec une vraie justesse. Puis l’archet danse initiant des battements qui suggèrent une de ces danses traditionnelles enfouies dans la mémoire collective. On entend le talon toucher le sol jusqu’à ce que le frottement grogne, gonfle ou s’éloigne pour enfin doubler/ tripler la cadence ou flûter une harmonique, le doigt rebondissant sur la touche jusqu’à ces pizzicati distingués et aériens avec la lenteur idoine. Ça à l’air aussi simple que c’est superbement maîtrisé. Une belle pièce. Tout l’art du violoncelliste est d’enchaîner après le final de João en évoquant l’esprit de ce qui précède en percutant les cordes de manière intimiste et insistante à la fois, aléatoire sur la surface des cordes col legno ou plus expressive en suivant le cours de sa narration… une histoire de violoncelle objet frappé, griffé, frotté, bruité en ajoutant subrepticement des notes surprises ou des enjambées irrégulières. Bref une interrogation sonore du violon basse (l’instrument de João est une contrebasse). Césure et archet saturé sur la corde vibrante par contraste , puis murmure du frottement obstiné dans l’ombre de la touche joué en lent crescendo jusqu’au mezzo-forte affirmatif. Tout comme son collègue une recherche sonore hiératique et introspective sur le champ expressif de l’instrument avec cette maîtrise incontestable qui vous fait aimer leur musique.
Rien d’étonnant que ces deux là déploient leurs effets dans un duo décalé aux formes mouvantes, lyriques mais irrégulières au niveau du temps comme l’introduction de João Madeira en pizzicati élastiques et gommeux. L’archet strie les cordes du violoncelle saturent l’espace par-dessus l’ostinato courbé du contrebassiste. Ces deux – là font partie d’une grande fratrie de cordistes lusitaniens révélées dans le sillage du violoniste Carlos Zingaro, de l’altiste Ernesto Rodrigues, du violoncelliste Guilherme Rodrigues, des bassistes Hernani Faustino et Alvaro Rosso et d’autres qui se croisent dans de nombreux ensembles de cordes frottées qui pullulent sous l’étiquette Creative Sources. Il y a donc un esprit de famille, une volonté de dialogue, de contrastes et de cohérences. On oublie ici qui du violoncelliste et de la contrebassiste cherche, implémente, dérive, se fait oublier, percute, grince ou s’élance. Une quête de formes, de sons, de frappes, de grésillements, d’harmoniques,de grondements forcenés titube, ahane, force le destin, fait crisser les ventres résonnants du corps des deux gros violons. Franchement réussi, sans redondance et droit au but.
https://creativesources.bandcamp.com/album/spleen
Vu le nombre exponentiel d’enregistrements du label Creative Sources autour de son responsable, l’altiste Ernesto Rodrigues, je n’ai pu trouver le temps pour commenter la remarquable musique à la fois puissante et fragile de ce trio atypique marqué du sceau du Spleen, une fois le titre d’une œuvre du poète Baudelaire. Atypique par son instrumentation, violon, flûte / piccolo et alto et très remarquable par l’altération précise des timbres, tonalités, intervalles commune aux trois musiciens comme s’ils chantaient d’une même voix, Spleen se déroule dans le temps en deux mouvements intitulés I , II pour faire simple, sans que la durée soit indiquée dans les détails de la pochette ornée d’une aquarelle de Carlos Zingaro,le violoniste. Cette aquarelle symbolise les difractions des lueurs sonores et des micro – altérations des sonorités sur leur hauteur imprimée par la pression des lèvres et du souffle du flûtiste Carlos Bechegas en écho aux nuances subtiles et infinis mélismes microtonaux des violonistes pressant leurs archets délicatement sur les cordes. Les sonorités irisées de Carlos Zingaro et d'Ernesto Rodrigues font corps dans un même flux, un unique faisceau de timbres moirés, un agrégat indissociable qui lui-même intègre et échange bien des nuances avec leur camarade flûtiste. Impossible de deviner lequel des deux, altiste ou violoniste émet ces sonorités chatoyantes et fantomatiques et les ombrages des vibrations des cordes où le flûtiste évolue comme un poisson dans l'eau qui s'écoule comme des aquarelles en mouvement aléatoire. Le comble de l’empathie, un sommet de togetherness par les sons, leurs interférences, leurs miroitements. Les manipulations instrumentales font appel à ces fameuses techniques alternatives, bien sûr, mais basée sur une connaissance fondamentale et organique de leurs instruments jusque dans des profondeurs insondables. Toute l’attention auditive pour leur musique est concentrée sur cette symbiose instrumentale : ses mouvements et ses enchaînements en oblitèrent la durée sensible dans un Spleen sensitif magique.
Comme j'ai souvent chroniqué les faits et gestes de Carlos Zingaro et d'Ernesto Rodrigues plus qu'à son tour, il serait bienvenu que je cadre les antécédents notoires du flûtiste Carlos Bechegas. Cet artiste exceptionnel a commis d'excellents enregistrements en duo dans les années 2000 avec les contrebassistes Peter Kowald (Open Secrets) et Barry Guy (Open Textures), le flûtiste Michel Edelin (Open Frontiers), le guitariste Derek Bailey (Right Off !),le pianiste Alex von Schlippenbach (Open Speech) et mes compatriotes Peter Jacqmyn,contrebasse, et André Goudbeek, sax alto, dans Open Density. Juste pour vous situez le niveau d ce musicien d'exception méconnu.Tous les titres de ses CD's contiennent le mot Open, ouvert. Et Spleen est bien ici un album de musique ouverte qui se singularise par une personnalité collective très forte, rare, voir unique au niveau sonore et, surtout, spontanée.
Muted Songs A Part : Marie Takahashi Baptiste Vayer Thierry Waziniak intrication label Tri 008
https://waziniakthierry.bandcamp.com/album/muted-songs
Intrication documente fidèlement les différentes pratiques et les univers sonores et musicaux dans lesquels évolue avec bonheur le percussionniste Thierry Waziniak avec de multiples complices. On l’a entendu dans un original hommage à Thelonious Monk recréant ses compositions avec son ami guitariste Pascal Bréchet. Récemment, un duo très fouillé avec le saxophoniste chercheur Michel Doneda – le chemin du jour. Aussi, deux opus où intervient la sublime vocaliste Isabelle Duthoit : Don’t Worry Be Happy et White Eyes, album où figure étonnamment un souffleur de shakuhashi (Daniel Lifermann) et une calligraphe japonaise (Yukako Matsui) … !! Il y a, entre autres, le CD Overlapping Layers de Phil Gibbs, Dom Lash et moi-même… (encore mille mercis). En outre ,Waziniak joue sur de magnifiques albums aux incroyables pochettes « magnétique – caoutchouc » du label en compagnie du violoncelliste Gaël Mevel avec des invités comme Michaël Attias, Mat Maneri , J-L Capozzo ou Gianni Mimmo. Cette production maison d’Intrication a lieu d’être grâce au travail technique et graphique de Baptiste Vayer qui se révèle ici comme guitariste improvisateur inventif de choix et même vocaliste. Le titre Muted Songs peut se référer à sa manière de mettre l’électricité sauvage de sa guitare en sourdine voilant l’énergie abrasive de son jeu cabossé. Avec les percussions habiles et elliptiques et ses "electronics"de Thierry Waziniak, on trouve l’autre pôle « cordiste » de ce trio vraiment « À Part » : l’altiste Marie Takahashi, joueuse de « violon » alto, un instrument qui s’est répandu dans la scène improvisée de ces vingt dernières années : Mat Maneri, Ernesto Rodrigues, Charlotte Hug, Ig Henneman, Szilard Mezei, Benedict Taylor. Faut – il informer ou rappeler les efforts de ces musiciens ALTISTES pour développer leurs capacités et talents, car l’alto (viola en anglais) est un instrument nettement plus difficile à maîtriser que le violon lui-même si on veut en tirer les possibilités sonores vers le haut. Donc tant mieux que soit donné une fenêtre à cette altiste dans un tel album d’improvisation exploratoire.
Ironiquement qualifié de Fine Extinction, le premier titre (10'24'') démarre avec la voix folichonne et cahotante de Baptiste Vayer et les spirales déjantées et les griffures zébrées de Marie Takahshi soutenues sournoisement par Thierry Waziniak par intermittence instantanée. Mais la guitare sauvage et ses effets envahit soudainement le décor faisant monter l'adrénaline de la "violiste" surexcitée. Et la voix s'échappe... Puis, un beat électronique et des vibrations inconnues clôturent le morceau. "Instinct Noita" (8'05)cultive une intéressante approche "minimaliste" "laminaire" faite de drones, sonorités électroniques "industrielles", crachottements, une sorte de musique "AMM" insouciante à laquelle une dimension ludique bruissante et mystérieuse s'insinue progressivement, s'enfle et aboutit à une cohérence narrative évidente incorporant aussi des sonorités plus délicates. L'art de la métamorphose imprévisible etla diversité des quatre improvisations constitue une belle caractéristique de ce trio À Part. "Captain Tarawa" s'ouvre sur les contorsions de l'archet compressant les cordes au point de rendre le jeu de Marie abrasivement destroy, par dessus les soulèvements des tambours martelés par Thierry et auquel répondent les entrailles électrocutées de la guitare à effets de Baptiste. De ce paysage sonore de départ, s'ensuit une foire d'empoigne mouvementée et des interlocutions statiques où se distinguent l'inventivité du guitariste (passage en solo à un bon moment) et la sagacité du percussionniste - électronicien. Sans vouloir conférer à leurs improvisations un format ou une approche particulière travaillée et presque préméditée en amont, le trio À Part opte pour une dérive poétique actionniste où ils semblent s'égarer et se retrouvent ahuris. The "Lines of Convergence", le quatrième morceau final, se déroule dans l'univers lisible de l'improvisation radicale où le silence a une importance prépondérante qui met en valeur distinctement et clairement les sonorités et gestes musicaux de chacun des trois improvisateurs avec en réel sens du dosage quasi minimaliste tout en retenue pointilliste au ralenti ... Et soudainement, une montée de fièvre - hausse du volume qui s'intègre dans le processus un instant avant de chuter en douceur à la fin de l'album. Comme je disais plus haut , chacune de leurs quatre improvisations enregistrées ici occupe un univers en soi souvent clairement distinct des trois autres. Ce séquencement aura peut-être de quoi faire réfléchir, par exemple l'auditeur avide de guitares noise saturée 'bruyante' (ici ... les passages destroy de Baptiste Vayer), qui en jetant une oreille sur la plage 1 ou 3 prend le risque de découvrir ensuite d'autres approches musicales plus introspectives, intimes ou implosées. Un travail réussi.
Christian Vasseur Steve Gibbs Nicolò Vivi FWWU+ 4DaRecords 4DACD020 https://4darecord.bandcamp.com/album/fwwu-duos-trios
Duo (Vasseur et Gibbs CD1) et Trio (le duo précité plus Nicolò Wivi CD2) de guitaristes musicalement très pointus et situés entre l’improvisation libre et la musique contemporaine expérimentale. Un des intérêts majeurs de ces artistes réside dans leurs guitares acoustiques « nylon » à onze cordes (Vasseur) et à huit cordes (Gibbs et Vivi) et l’amplification par piézo. Je cite les crédits de chaqun des 4 CD’s
CD1 : Left : Christian Vasseur 11 string alto guitar Philip Woodfield tuned in quarter tone. Twin 3-way piezos under bridge by Tao Guitars Brussels.Right : Steve Gibbs 8 string classical guitars Alastair McNeill and Jack Sanders. 4-way piezos under fretboard by Tao Guitars Brussels
CD2 : Left : Nicolò Vivi 8 string classical guitar Alastair McNeill. 4-way piezos under fretboard by Tao Guitars Brussels. Centre : Christian Vasseur 8 string classical guitar Stein Schuddinck. 4-way piezos under fretboard by Tao Guitars Brussels. Right : Steve Gibbs 8 string classical guitar Alastair McNeill. 4-way piezos under fretboard by Tao Guitars Brussels Stereo Field track 4 Left Nicolò Vivi / Right Christian Vasseur. Ouf !
Ce n’est pas la première fois que j’ai été confronté à une telle rencontre de guitaristes avec Christian Vasseur et Steve Gibbs. En effet, j’avais programmé un festival entier de guitaristes à Bruxelles : il y en avait six dont Pascal Marzan, Jean Demey, Dirk Serries et Magali Rischette. Un événement dont la richesse musicale et sonore a dépassé toutes les attentes. C’est une des plus belles réussites de ma « longue » carrière d’organisateur.
Alors, je vous le dit franchement, oubliez d’abord les références (Bailey, Chadbourne, Frith, Reichel, Sharp, Russell), cette musique se situe dans un autre univers. D’abord ces guitaristes ont une très grande expérience et des conceptions complètement allumées, dingues qui sortent de l’ordinaire. La vibration simultanée des cordes nylons conjointes des deux guitares à travers l’amplification ne ressemble à rien d’autre. Il s’agit d’un univers sonore étonnant, enfiévré, mystérieux, arachnéen avec des imbrications harmoniques aventureuses, la guitare accordée au quart de ton à la résonnance métallique y étant pour quelque chose. Un OVNI guitaristique d’obédience classique au départ métamorphosée dans un expérimentalisme radical jusqu’au bout des ongles, des doigts et des frettes. Si vous êtes à la recherche d’en enregistrement de musique d’avant-garde recherchée de guitares, voilà qui fera votre affaire. C’est sauvage, minutieux, résonnant, bruitiste, gratouilleur au niveau des fils de cuivres des cordes graves, çà résonne un peu comme un piano préparé, les harmoniques sont pures, des pulsations africaines surgissent çà et là. Une dimension percussive, des accordages surréalistes se pointent sans crier gare avec des effets percussifs en ostinato foldingue, des nuances de toucher inespérées et des tournoiements irréels. Et presque chaque pièce s’ouvre sur des sonorités différentes qui nous font voyager dans une autre partie du cosmos (les glissandi frénétiques du n°4). Ce qui est absolument fantastique, c’est le degré d’empathie et d’unité cohérente entre Vasseur et Gibbs comme si les deux jouaient du même instrument dans des constructions emboîtées avec une dextérité folle et une logique délirante (n° 5) . Et l’utilisation intelligente et appropriée de techniques « alternatives » . Sept pièces qui se surpassent l’une de l’autre durant tout le CD 1, lequel nous aurait suffi tellement c’est réussi. Mais, avec la concours de Nicolò Vivi, la surface des choses est pleinement reconsidérée et le challenge est encore plus imposant. Devoir raconter en détail tout ce qui s’y passe est un véritable pensum, la joie et la curiosité suscitée par cet étrange phénomène à cordes est indicible. Vivat !!
João Madeira & Miguel Mira 21 07 12 02 05 24 4darecords 4DRCD019 https://joaomadeira.bandcamp.com/album/21-07-12-02-05-24
Un contrebassiste, João Madeira et un violoncelliste, Miguel Mira en solo chacun plus de 16 minutes et en duo durant 38 minutes et des avec un « encore » de plus de quatre minutes. Et cela publié par l’excellent label de João, 4Darecords qui recèle de bien belles surprises et des choses vraiment pointues. Comme ce drone évolutif maîtrisé à l’archet d’une belle traite sans flancher une seconde, des gestes délicats dans les infimes changements de position du doigt sur la touche et la vibration du crin de l’archet. Mais cela dépasse l’effet de style pour une recherche formelle d’une structure construite et pensée avec soin avec de presque imperceptibles crescendo / decrescendo et une dynamique sonore qui enfle le son avec une vraie justesse. Puis l’archet danse initiant des battements qui suggèrent une de ces danses traditionnelles enfouies dans la mémoire collective. On entend le talon toucher le sol jusqu’à ce que le frottement grogne, gonfle ou s’éloigne pour enfin doubler/ tripler la cadence ou flûter une harmonique, le doigt rebondissant sur la touche jusqu’à ces pizzicati distingués et aériens avec la lenteur idoine. Ça à l’air aussi simple que c’est superbement maîtrisé. Une belle pièce. Tout l’art du violoncelliste est d’enchaîner après le final de João en évoquant l’esprit de ce qui précède en percutant les cordes de manière intimiste et insistante à la fois, aléatoire sur la surface des cordes col legno ou plus expressive en suivant le cours de sa narration… une histoire de violoncelle objet frappé, griffé, frotté, bruité en ajoutant subrepticement des notes surprises ou des enjambées irrégulières. Bref une interrogation sonore du violon basse (l’instrument de João est une contrebasse). Césure et archet saturé sur la corde vibrante par contraste , puis murmure du frottement obstiné dans l’ombre de la touche joué en lent crescendo jusqu’au mezzo-forte affirmatif. Tout comme son collègue une recherche sonore hiératique et introspective sur le champ expressif de l’instrument avec cette maîtrise incontestable qui vous fait aimer leur musique.
Rien d’étonnant que ces deux là déploient leurs effets dans un duo décalé aux formes mouvantes, lyriques mais irrégulières au niveau du temps comme l’introduction de João Madeira en pizzicati élastiques et gommeux. L’archet strie les cordes du violoncelle saturent l’espace par-dessus l’ostinato courbé du contrebassiste. Ces deux – là font partie d’une grande fratrie de cordistes lusitaniens révélées dans le sillage du violoniste Carlos Zingaro, de l’altiste Ernesto Rodrigues, du violoncelliste Guilherme Rodrigues, des bassistes Hernani Faustino et Alvaro Rosso et d’autres qui se croisent dans de nombreux ensembles de cordes frottées qui pullulent sous l’étiquette Creative Sources. Il y a donc un esprit de famille, une volonté de dialogue, de contrastes et de cohérences. On oublie ici qui du violoncelliste et de la contrebassiste cherche, implémente, dérive, se fait oublier, percute, grince ou s’élance. Une quête de formes, de sons, de frappes, de grésillements, d’harmoniques,de grondements forcenés titube, ahane, force le destin, fait crisser les ventres résonnants du corps des deux gros violons. Franchement réussi, sans redondance et droit au but.
2 novembre 2025
Stefan Keune Dirk Serries Benedict Taylor/ Agogol NaabtalDeath Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues/ Simon Rose & Michel Doneda/King Imagine & Bruno Gussoni
Stefan Keune Dirk Serries Benedict Taylor Closer & Beyond a new wave of jazz digital
https://newwaveofjazz.bandcamp.com/album/closer-and-beyond
Trio acoustique saxophone, guitare & alto (viola) éclaté. Stefan Keune joue ici des sax alto et sopranino, Dirk Serries de la guitare archtop (chevalet) et Benedict Taylor de l’alto. Rappelons que Stefan Keune a joué et enregistré avec le guitariste John Russell depuis les années 90 (Frequency of Use / NurNichtNur) Cette expérience radicale entre cordes et anches s’est prolongée récemment dans un trio avec Dirk et Benedictlors d’un concert à Baarle Nassau enregistré et inclus dans un triple CD intitulé Live At Plus Étage (a new wave of jazz anwoj0060). La partie est remise dans ce nouvel album en trio enregistré en 2022 au Studio Sunnyside à Bruxelles. Je pense sincèrement que Stefan Keune se situe parmi les saxophonistes chercheurs « post Evan Parker » qui explorent toutes les ressources sonores de leur instrument (harmoniques extrêmes, « morsures » , doigtés fourchus, vocalisations,bruitisme ...). On songe à Michel Doneda, Urs Leimgruber, John Butcher, Jean-Luc Guionnet, Georg Wissel mais aussi les pratiques les plus extrêmes de Steve Lacy ou Anthony Braxton. Les phrasés staccato et les morsures soniques de Stefan Keune se meuvent avec une articulation ultra-véloce, déchiquetante, exaspérée, tordant le cou inexorablement à la notion de mélodie. Cela cadre parfaitement au jeu inquisiteur de Benedict Taylor à l’archet qui nous fait entendre une variété étonnante de frottements tout à tour ultralégers, vocalisés, saturés, fantomatiques, harmoniques torturées, en glissandi voilés ou expressifs ou encore des tournoiements affolés. S’ajoutent à cela les clusters et cascades de notes entrechoquées, bruissements métalliques, frictions des cordes sur la touche de la guitare de Dirk Serries, le responsable de a new wave of jazz. On peut y trouver des instants parsemés de silence aux détails infinis, pointillistes étirés comme si le temps allait s’arrêter. La concentration des musiciens construit une toile aux ramifications étoilées et distendues, ou un flux échancré ou dense, compressé dans un crescendo à la fois statique et hyper mouvant,…
Un excellent trio d’improvisation qui nous change du sempiternel et rituel assemblage saxophone contrebasse batterie…. Et ici le saxophoniste est un phénomène tout à fait particulier incarnant l’art sonore « abstrait » du saxophone et il a du mérite car le saxophone sopranino qu’on entend très souvent ici est un engin compliqué à manipuler. Le violoniste est un as de l’alto dont la manière et le style personnel est immédiatement reconnaissable par la finesse du jeu à l’archet qui semble à peine toucher les cordes tout en les pressant sur la touche pour en altérer la sonorité. Et l’alto demande un réel effort technique et sensible, plus malaisé à jouer à ce régime. Et donc, suivant Dirk Serries depuis plusieurs années, je mesure les progrès sensibles de ses interventions en interagissant à très bon escient tout en propulsant la furie de ses deux collègues. Excellent CD.
mistika jpeg oscillations Agogol NaabtalDeath Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues Creative Sources CS859CD
https://ernestorodrigues.bandcamp.com/album/mistika-jpeg-oscillations
Avec un titre pareil, mistika jpeg oscillations, les noms des deux artistes à coucher dehors - Agogol et Naabtal Death - et la photo de pochette, le connaisseur sera un peu interloqué d’y voir le père et le fils Ernesto et Guilherme Rodrigues incarner le (saint-) esprit de la musique improvisée libre de ceux qui sont « sc…. toujours prêts » à se commettre avec quiconque joue à improviser librement sans aucune arrière-pensée esthétique ou carriériste. Ernesto et Guilherme sont deux cordistes très remarquables, « viola » et « cello » parmi les meilleurs qui se trouvent dans la scène actuelle. Ils ont récemment enregistré avec des incontournables comme Fred Lonberg Holm, Floros Floridis, Frank Gratkowski, Alex von Schlippenbach, Willi Kellers, Ute Wassermann et un nombre exponentiel de musiciens de grand talent. Il leur arrive de croiser dans une tournée des artistes issus d’un autre filière, d’un tout autre background. Agogol et Naabtal Death sont deux artistes sonores – musiciens de la scène locale d’Hannover, celle du génial Günter Christmann et de sa muse l’extrordinaire chanteuse Elke Schipper, mais aussi de l'Atelier Grammofon. Mais ce que ces deux zèbres pratiquent vient d’une autre planète que celle de l’improvisation libre historique issue du jazz libre et dela musique contemporaine. Agogol est crédité modified electric guitar, electronics, voice et son copain Naabtal Death, amplified tortured zither, electronics, tools. On pourrait penser que ce serait une session free-noise. Mais non ! Ce quartet improbable joue avec une belle sensibilité une musique improvisée radicale soignée avec un super sens de la dynamique et l’intégration réussie de pratiques différentes dans un flux sonore détaillé de 42'48'' vraiment réussi en dehors des radars et des tendances. La musique de l’instant. Vous trouverez là une série de séquences reliées les unes aux autres dans un large panorama d’approches, de sifflements oscillatoires (l’alto / viola d’Ernesto), d’irisations électroacoustiques, des vibrations étranges, de discrets bruitages, des glitch, de chocs sur la touche du violoncelle, des ambiances – drones soutenues. Cela dure d’abord quasi trois quart d’heure : 1. playing the paintings upside down – 42 :48 plus un final 2. paintings want to rotate – 07 :47. C’est un beau message d’ouverture d’esprit. Il y a une dimension cosmique et chacun se sent libre de s’exprimer pleinement en restant lui-même dans une harmonie auditive et réactive. On est tous là sur terre pour s’écouter, se comprendre et essayer de collaborer, et cette communion des sens, des actes et de l’écoute en témoigne. Je les ai rencontrés fin juillet dernier à Atelier Gramophon à Hannover et l’un deux, AGogol, un joyeux drille sérieux comme un pape, s’est joint dans notre programme pour égayer la soirée. Mémorable ! Merci à Naabtal Death pour m’avoir tendu ce très intéressant album inclassable.
Simon Rose & Michel Doneda METAL NOTEBOOK scätter archives
https://scatterarchive.bandcamp.com/album/metal-notebook
Un duo d’anches tranchant, bruissant, extrême, deux colonnes d’air sous pression des lèvres et du souffle, une métamorphose des sons de deux saxophones. Le soprano de Michel Doneda et le baryton de Simon Rose résonnent dans l’espace fusant des harmoniques acérées ou secrètes, bourdonnant, lacérant les fréquences, leurs morsures aériennes délivrant une intense énergie physique même dans leurs coups de langues furtifs sur le bord de l’anche, fétu de bambou arrimé au bec que leurs gosiers irritent ou fait gémir. C'est autant une ascèse viscérale, qu’une une philosophie de la recherche d’un botaniste curieux des sons, qu’un trop plein d’émotions, une science de l’indicible et de sifflements revêches , la rage et l’espérance. Leurs deux personnalités sont complémentaires au-delà qu’il est possible et les croisements de leurs musiques individuelles forment un tout, un univers, un vécu collectif. Ils ne nous épargnent rien dans leurs débauches d’effets de souffle et pourtant, ils communiquent l’essentiel en une seule prise dans un instant qui dure sans qu’on en mesure le temps, effacé, extrapolé, sublimé et évanoui. 28 minutes aussi bon marché (vous payerez ce que vous pourrez pour les acquérir) que c’est absolument unique. On découvre ici la nature de leurs instruments … à l’état de nature. Une musique sauvage basée sur une écoute mutuelle intense et un travail ultra-précis. La mécanique des clés et tampons rejoint le pensée, la réflexion intime, cet état second qui distingue le rêve de l’action et les réunit dans un même temps.
Simon Rose a travaillé avec acharnement depuis ses deux trois premiers CD’s de junior de la scène londonienne (avec feu Simon H Fell, Mark Sanders, S. Noble) il y a plus de trente ans… et c’est tout à fait merveilleux de l’entendre au saxophone baryton, devenu son instrument de prédilection avec ce défricheur chercheur ultime du saxophone soprano qu’est Michel Doneda ... dont on se demande comment il parvient à contrôler l’émission de telles sonorités quasi inaccessibles par delà les limites techniques et physiques de l’instrument. Franchement, s’il y a un excès de saxophonismes dans l’univers des musiques improvisées, ces deux-là nous offrent l’indispensable, l’élémentaire. Une éclipse. Une leçon de vie.
Publié par Liam Stefani sur son mythique label digital scatter archive et que vous pouvez acquérir en payant ce que vous désirez, même quelques pennies in the heaven.
King Imagine & Bruno Gussoni Electric Path of the Samuraï
https://kingimagine2.bandcamp.com/track/electric-path-of-the-samurai
Par-dessus un dense et rebondissant réseau de sonorités électroniques étonnamment diversifiées, tournoyantes, vibratiles, croassantes, s’échappe le souffle ou les souffles paisible(s) d’un adepte du shakuhashi, la flûte japonaise « sans bec » taillée dans un tuyau de bambou à l’extrémité duquel une entaille aiguisée artistement permet de faire vibrer des notes dans cette colonne d’air tout à fait aléatoire. Vu la rusticité simplissime de cet instrument, le musicien, Bruno Gussoni, a bien du mérite, cet instrument requiert beaucoup de concentration et d’astuce pour tracer un son mélodieux d’une note à l’autre sans jamais en altérer la qualité de timbre. King Imagine est un artiste de musique électronique ukrainien basé à Kiev qui entend siffler et exploser missiles et drones Russes quasi-journellement. Cette musique a été réalisée à la fois en Ukraine (King Imagine) et à Gênes où vit le flûtiste Bruno Gussoni, lequel a travaillé avec Marcello Magliocchi et Adrian Northover ces dernières années.
Je dois dire que son travail musical électronique construit en multi-pistes agrégées les unes aux autres est vraiment réussi. En outre, aimant à jouer avec des improvisateurs qui veulent à la fois montrer leur solidarité face à cette horrible guerre et apprécient le challenge. En effet, si je comprends bien, King Imagine semble aussi insérer les interventions de Gussoni, dans le montage des pièces, tout en lui laissant aussi de l’espace : on entend plusieurs fois clairement et simultanément deux ou trois parties de flûtes en re-recording qui finissent par s’épandre largement dans un orchestration organique dans une longue pièce de 21:40, At The Sea, initiée au départ par une sorte de ressac de vagues maritimes et les accents du blues insufflées dans l’anche du bambou. Même si le niveau d’ enregistrement de la flûte n’est pas optimal, on est positivement impressionné par le savoir faire délicat des spirales sonores du shakuhachi dans les mains de Bruno Gussoni et par l’interaction en parallèle des deux improvisateurs. Les morceaux suivants, nettement plus courts offrent chacun un autre ambiance. Ce type échange musical à distance entre deux musiciens a été développé durant la pandémie du Covid 19 et c’est heureux que cette approche se perpétue entre des artistes situés loin les uns des autres dans un esprit sincèrement internationaliste.
https://newwaveofjazz.bandcamp.com/album/closer-and-beyond
Trio acoustique saxophone, guitare & alto (viola) éclaté. Stefan Keune joue ici des sax alto et sopranino, Dirk Serries de la guitare archtop (chevalet) et Benedict Taylor de l’alto. Rappelons que Stefan Keune a joué et enregistré avec le guitariste John Russell depuis les années 90 (Frequency of Use / NurNichtNur) Cette expérience radicale entre cordes et anches s’est prolongée récemment dans un trio avec Dirk et Benedictlors d’un concert à Baarle Nassau enregistré et inclus dans un triple CD intitulé Live At Plus Étage (a new wave of jazz anwoj0060). La partie est remise dans ce nouvel album en trio enregistré en 2022 au Studio Sunnyside à Bruxelles. Je pense sincèrement que Stefan Keune se situe parmi les saxophonistes chercheurs « post Evan Parker » qui explorent toutes les ressources sonores de leur instrument (harmoniques extrêmes, « morsures » , doigtés fourchus, vocalisations,bruitisme ...). On songe à Michel Doneda, Urs Leimgruber, John Butcher, Jean-Luc Guionnet, Georg Wissel mais aussi les pratiques les plus extrêmes de Steve Lacy ou Anthony Braxton. Les phrasés staccato et les morsures soniques de Stefan Keune se meuvent avec une articulation ultra-véloce, déchiquetante, exaspérée, tordant le cou inexorablement à la notion de mélodie. Cela cadre parfaitement au jeu inquisiteur de Benedict Taylor à l’archet qui nous fait entendre une variété étonnante de frottements tout à tour ultralégers, vocalisés, saturés, fantomatiques, harmoniques torturées, en glissandi voilés ou expressifs ou encore des tournoiements affolés. S’ajoutent à cela les clusters et cascades de notes entrechoquées, bruissements métalliques, frictions des cordes sur la touche de la guitare de Dirk Serries, le responsable de a new wave of jazz. On peut y trouver des instants parsemés de silence aux détails infinis, pointillistes étirés comme si le temps allait s’arrêter. La concentration des musiciens construit une toile aux ramifications étoilées et distendues, ou un flux échancré ou dense, compressé dans un crescendo à la fois statique et hyper mouvant,…
Un excellent trio d’improvisation qui nous change du sempiternel et rituel assemblage saxophone contrebasse batterie…. Et ici le saxophoniste est un phénomène tout à fait particulier incarnant l’art sonore « abstrait » du saxophone et il a du mérite car le saxophone sopranino qu’on entend très souvent ici est un engin compliqué à manipuler. Le violoniste est un as de l’alto dont la manière et le style personnel est immédiatement reconnaissable par la finesse du jeu à l’archet qui semble à peine toucher les cordes tout en les pressant sur la touche pour en altérer la sonorité. Et l’alto demande un réel effort technique et sensible, plus malaisé à jouer à ce régime. Et donc, suivant Dirk Serries depuis plusieurs années, je mesure les progrès sensibles de ses interventions en interagissant à très bon escient tout en propulsant la furie de ses deux collègues. Excellent CD.
mistika jpeg oscillations Agogol NaabtalDeath Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues Creative Sources CS859CD
https://ernestorodrigues.bandcamp.com/album/mistika-jpeg-oscillations
Avec un titre pareil, mistika jpeg oscillations, les noms des deux artistes à coucher dehors - Agogol et Naabtal Death - et la photo de pochette, le connaisseur sera un peu interloqué d’y voir le père et le fils Ernesto et Guilherme Rodrigues incarner le (saint-) esprit de la musique improvisée libre de ceux qui sont « sc…. toujours prêts » à se commettre avec quiconque joue à improviser librement sans aucune arrière-pensée esthétique ou carriériste. Ernesto et Guilherme sont deux cordistes très remarquables, « viola » et « cello » parmi les meilleurs qui se trouvent dans la scène actuelle. Ils ont récemment enregistré avec des incontournables comme Fred Lonberg Holm, Floros Floridis, Frank Gratkowski, Alex von Schlippenbach, Willi Kellers, Ute Wassermann et un nombre exponentiel de musiciens de grand talent. Il leur arrive de croiser dans une tournée des artistes issus d’un autre filière, d’un tout autre background. Agogol et Naabtal Death sont deux artistes sonores – musiciens de la scène locale d’Hannover, celle du génial Günter Christmann et de sa muse l’extrordinaire chanteuse Elke Schipper, mais aussi de l'Atelier Grammofon. Mais ce que ces deux zèbres pratiquent vient d’une autre planète que celle de l’improvisation libre historique issue du jazz libre et dela musique contemporaine. Agogol est crédité modified electric guitar, electronics, voice et son copain Naabtal Death, amplified tortured zither, electronics, tools. On pourrait penser que ce serait une session free-noise. Mais non ! Ce quartet improbable joue avec une belle sensibilité une musique improvisée radicale soignée avec un super sens de la dynamique et l’intégration réussie de pratiques différentes dans un flux sonore détaillé de 42'48'' vraiment réussi en dehors des radars et des tendances. La musique de l’instant. Vous trouverez là une série de séquences reliées les unes aux autres dans un large panorama d’approches, de sifflements oscillatoires (l’alto / viola d’Ernesto), d’irisations électroacoustiques, des vibrations étranges, de discrets bruitages, des glitch, de chocs sur la touche du violoncelle, des ambiances – drones soutenues. Cela dure d’abord quasi trois quart d’heure : 1. playing the paintings upside down – 42 :48 plus un final 2. paintings want to rotate – 07 :47. C’est un beau message d’ouverture d’esprit. Il y a une dimension cosmique et chacun se sent libre de s’exprimer pleinement en restant lui-même dans une harmonie auditive et réactive. On est tous là sur terre pour s’écouter, se comprendre et essayer de collaborer, et cette communion des sens, des actes et de l’écoute en témoigne. Je les ai rencontrés fin juillet dernier à Atelier Gramophon à Hannover et l’un deux, AGogol, un joyeux drille sérieux comme un pape, s’est joint dans notre programme pour égayer la soirée. Mémorable ! Merci à Naabtal Death pour m’avoir tendu ce très intéressant album inclassable.
Simon Rose & Michel Doneda METAL NOTEBOOK scätter archives
https://scatterarchive.bandcamp.com/album/metal-notebook
Un duo d’anches tranchant, bruissant, extrême, deux colonnes d’air sous pression des lèvres et du souffle, une métamorphose des sons de deux saxophones. Le soprano de Michel Doneda et le baryton de Simon Rose résonnent dans l’espace fusant des harmoniques acérées ou secrètes, bourdonnant, lacérant les fréquences, leurs morsures aériennes délivrant une intense énergie physique même dans leurs coups de langues furtifs sur le bord de l’anche, fétu de bambou arrimé au bec que leurs gosiers irritent ou fait gémir. C'est autant une ascèse viscérale, qu’une une philosophie de la recherche d’un botaniste curieux des sons, qu’un trop plein d’émotions, une science de l’indicible et de sifflements revêches , la rage et l’espérance. Leurs deux personnalités sont complémentaires au-delà qu’il est possible et les croisements de leurs musiques individuelles forment un tout, un univers, un vécu collectif. Ils ne nous épargnent rien dans leurs débauches d’effets de souffle et pourtant, ils communiquent l’essentiel en une seule prise dans un instant qui dure sans qu’on en mesure le temps, effacé, extrapolé, sublimé et évanoui. 28 minutes aussi bon marché (vous payerez ce que vous pourrez pour les acquérir) que c’est absolument unique. On découvre ici la nature de leurs instruments … à l’état de nature. Une musique sauvage basée sur une écoute mutuelle intense et un travail ultra-précis. La mécanique des clés et tampons rejoint le pensée, la réflexion intime, cet état second qui distingue le rêve de l’action et les réunit dans un même temps.
Simon Rose a travaillé avec acharnement depuis ses deux trois premiers CD’s de junior de la scène londonienne (avec feu Simon H Fell, Mark Sanders, S. Noble) il y a plus de trente ans… et c’est tout à fait merveilleux de l’entendre au saxophone baryton, devenu son instrument de prédilection avec ce défricheur chercheur ultime du saxophone soprano qu’est Michel Doneda ... dont on se demande comment il parvient à contrôler l’émission de telles sonorités quasi inaccessibles par delà les limites techniques et physiques de l’instrument. Franchement, s’il y a un excès de saxophonismes dans l’univers des musiques improvisées, ces deux-là nous offrent l’indispensable, l’élémentaire. Une éclipse. Une leçon de vie.
Publié par Liam Stefani sur son mythique label digital scatter archive et que vous pouvez acquérir en payant ce que vous désirez, même quelques pennies in the heaven.
King Imagine & Bruno Gussoni Electric Path of the Samuraï
https://kingimagine2.bandcamp.com/track/electric-path-of-the-samurai
Par-dessus un dense et rebondissant réseau de sonorités électroniques étonnamment diversifiées, tournoyantes, vibratiles, croassantes, s’échappe le souffle ou les souffles paisible(s) d’un adepte du shakuhashi, la flûte japonaise « sans bec » taillée dans un tuyau de bambou à l’extrémité duquel une entaille aiguisée artistement permet de faire vibrer des notes dans cette colonne d’air tout à fait aléatoire. Vu la rusticité simplissime de cet instrument, le musicien, Bruno Gussoni, a bien du mérite, cet instrument requiert beaucoup de concentration et d’astuce pour tracer un son mélodieux d’une note à l’autre sans jamais en altérer la qualité de timbre. King Imagine est un artiste de musique électronique ukrainien basé à Kiev qui entend siffler et exploser missiles et drones Russes quasi-journellement. Cette musique a été réalisée à la fois en Ukraine (King Imagine) et à Gênes où vit le flûtiste Bruno Gussoni, lequel a travaillé avec Marcello Magliocchi et Adrian Northover ces dernières années.
Je dois dire que son travail musical électronique construit en multi-pistes agrégées les unes aux autres est vraiment réussi. En outre, aimant à jouer avec des improvisateurs qui veulent à la fois montrer leur solidarité face à cette horrible guerre et apprécient le challenge. En effet, si je comprends bien, King Imagine semble aussi insérer les interventions de Gussoni, dans le montage des pièces, tout en lui laissant aussi de l’espace : on entend plusieurs fois clairement et simultanément deux ou trois parties de flûtes en re-recording qui finissent par s’épandre largement dans un orchestration organique dans une longue pièce de 21:40, At The Sea, initiée au départ par une sorte de ressac de vagues maritimes et les accents du blues insufflées dans l’anche du bambou. Même si le niveau d’ enregistrement de la flûte n’est pas optimal, on est positivement impressionné par le savoir faire délicat des spirales sonores du shakuhachi dans les mains de Bruno Gussoni et par l’interaction en parallèle des deux improvisateurs. Les morceaux suivants, nettement plus courts offrent chacun un autre ambiance. Ce type échange musical à distance entre deux musiciens a été développé durant la pandémie du Covid 19 et c’est heureux que cette approche se perpétue entre des artistes situés loin les uns des autres dans un esprit sincèrement internationaliste.
24 octobre 2025
Mirco Mariani Musica fr Strangers / Ivo Perelman duos with Ray Anderson & with Nate Wooley/ Scrap Heap Challenge Paul Lytton Joker Nies Richard Scott & Georg Wissell
Mirco Mariani Musica per Sconosciuti Music for Strangers (film music) 3CD Angelica IDA 059
https://idischidiangelica.bandcamp.com/album/musica-per-sconosciuti
Angelica est devenu au fil du temps un légendaire festival à Bologne présentant sans relâche depuis plus de 30 ans les musiques innovantes, improvisées et expérimentales, le tout suivi par une œuvre patiente de publications d’albums – CD’s d’une belle diversité. Depuis les premières parutions – anthologies documentant différents acts de leur festival, dischi di angelica a trusté des artistes aussi divers que Terry Riley, Tristan Honsinger, Fred Frith, Gianni Gebbia, Heiner Goebbels, Stefano Scodanibbio, Misha Mengelberg, Vakki Plakula, Anthony Braxton, un unique quartet Leo Smith – Pauline Oliveros – John Tilbury – Roscoe Mitchell, Phil Minton & Veryan Weston, Peter Brötzmann Mahmoud Gania et Hamid Drake, Christian Wolff, Lindsay Cooper, Alvin Curran, Massimo Pupillo, Cecil Taylor, Toshinori Kondo, Charlemagne Palestine, Philipp Corner et Uday Bawalkar le chanteur Dhrupad de la Dagarvani.
Alors que dire de ce 3CD Box du musicien électronique Mirco Mariani et ses Music For Stangers ? Son instrumentarium rassemble étonnamment l’histoire et l’évolution des instruments électroniques et des claviers et il est suffisamment et à la fois un imaginatif et un excellent musicien pour en faire quelque chose d’intéressant, de captivant ou déroutant avec assez bien d’humour et de fausse candeur. Imaginez – vous 3 CD’s bourrés jusqu’à la gueule de trois suites ininterrompues de 136 morceaux qui s’enchaînent aisément et amusément avec l’aide de (je vous cite) : mellotron, optigan, ondioline, solovox, clavioline, pianomate, ondiola, osmose, modular synthesizers, monophonic and polyphonic synths, harpsichord, celesta, prepard pianos, harmonium, vibraphone, glasspiel, pip organ, vocoder, voice….
Comme j’ai toujours ressenti que ce qui est publié au nom de la musique dite électronique est souvent rasoir (bien que j’apprécie plusieurs chercheurs fascinants), je trouve que cette série d’enregistrements multiformes a de nombreux points positifs et pourrait convenir pour une excellente porte d’entrée – fenêtre ouverte pour un large public à la découverte de quelque chose de différent, ouvert et authentique en matière d'électroniques etc... qui tranche de la grisaille peu imaginative. Musique de films imaginaires ou réels, orphéon du 21ème s., 136 titres très courts et improbables, plusieurs ayant servi pour illustrer un documentaire d’Elisabetta Sgarbi sur le photographe Nino Migliori et des films de Pupi Avati et Aleksandr Sokurov ainsi que des films restaurés par la Cineteca de Bologne. Un point fort d’Angelica est la synergie avec des initiatives locales qu’elles soient musicales, littéraires, artistiques etc… Et cette publication de Mirco Mariani s’inscrit dans l’histoire récente de la culture à Bologne au niveau cinémathèque avec ce sourire en coin et cette fantaisie secrètement italienne qui aime tant à multiplier les plats et les spécialités culinaires à l’infini. Cette musique de films semble intemporelle ludique et organiquement narrative. Musica per Sconosciuti signifie musique pour des inconnus… peut -être des personnes qui ne connaissent pas l’histoire de la musique ou des musiques ou encore des personnes qui ne connaissent pas encore les musiques qu’ils aiment ou vont aimer. Avec cette Musica per Sconosciuti, l’auditeur lambda prétendument imperméable à la nouveauté « difficile » aura ici autant de points de repères et de bornes : quelques comptines, ritournelles, ambiances, thèmes curieux, zones soniques inouïes, attrayantes ou recherchées qui défient les classifications de genre musical, soit autant d’issues pour s’égarer, réfléchir et découvrir. En fait, trois compacts d’une musique subtile à mettre entre toutes les mains sans caveat tout en annonçant qu’il y a peut-être une vraie surprise. Extrêmement bien conçu et réalisé ! Massimo Simonini d’Angelica est un producteur avisé et imaginatif.
12 Stages of Spiritual Alchemy Ray Anderson & Ivo Perelman Fundacja Sluchaj
https://sluchaj.bandcamp.com/album/12-stages-of-spritual-alchemy
Polarity 4 Ivo Perelman & Nate Wooley burning ambulance CD
https://ivoperelman-bam.bandcamp.com/album/polarity-4
Fundacja Sluchaj a publié il y a peu de temps un superbe double album réunissant le tromboniste Ray Anderson et le saxophoniste ténor Ivo Perelman avec le contrebassiste Joe Morris et le batteur Reggie Nicholson, Molten Gold, une petite merveille d’entente free complètement improvisée. Car c’est une constante de la musique enregistrée de Perelman : « free-jazz » oui , mais toujours entièrement improvisé dans l’instant ou composition immédiate créée sur le moment au moyen d’échanges collectifs où chaque instrumentiste improvise sur un pied d’égalité sans compositions, thèmes ou partitions. Ivo Perelman a à son actif de nombreux duos avec des pianistes (Matt Shipp, principalement), des guitaristes (Joe Morris, James Emery, Pascal Marzan et Elliott Sharp), un trompettiste, Nate Wooley, un violoniste alto (Mat Maneri), des souffleurs d’anche (dont Rudi Mahall, David Murray, Joe Lovano, Joe McPhee etc...) Le voici face à un tromboniste et pas n’importe lequel : Ray Anderson. Ray Anderson a succédé à Kenny Wheeler et George Lewis dans l’extraordinaire quartette d’Anthony Braxton, dont Performance for Quartet 1979 live à Willisau (Hat Hut) est une double plaque incontournable des années 70, enregistrée avec le bassiste John Lindberg et le batteur Thurman Barker. Avec le contrebassiste Mark Helias, il a soufflé les foules dans deux rares trios trombone – basse - batterie avec rien moins que les batteurs Barry Altschul et Gerry Hemingway, eux-mêmes des indispensables collaborateurs des jeunes années de Braxton. Par la suite, il a dirigé ses propres projets à la fois « swinguants » et audacieux durant plusieurs décennies. C’est à la fois un acrobate virtuose du trombone et un puissant souffleur au son gros comme çà issu du blues, du gospel et de la tradition afro-américaine aussi subtil qu’expressionniste. Tout comme Ivo Perelman sur son instrument, il favorise le glissando sous toutes ses coutures. Ce duo, intitulé 12 Stages of Spiritual Alchemy, est donc une belle réussite (tout comme ce superbe quartette mentionné plus haut, Molten Gold, enregistré sur le même label). Les formes, variations et métamorphoses des sons, des phrases jouées simultanément, les interactions ludiques, les contenus mélodiques nés de leur écoute mutuelle et de leur imagination fertile, se succèdent avec bonheur. Les inventions se renouvellent dans une complicité fructueuse par la grâce d’une expérience d’improvisateur de premier plan. Je vous dis les sonorités émouvantes issues du grand chaudron du free-jazz afro-américain le plus atavique. Cette saveur « beurrée » du souffle au trombone, ce growl vibrant qui ramènent aux trombonistes pre-swing comme Tricky Sam Nanton chez Ellington, ce cousinage épatant de Roswell Rudd, cette chaleur quasi tropicale d’Ivo partagée par Ray, ces glissandi lyriques d’harmoniques au sax ténor qui évoquent tant la voix chantée brésilienne font merveille tout comme ces ostinatos en forme de comptines de guingois d’un curieux folklore imaginaire. Luxuriant, incisif et empâté à la fois ou des effluves vaporisés, évanescents un instant ou en crescendo vitaminés. Un rêve éveillé pour les nostalgiques… d’un Shepp mâtiné de Stan Getz. Les douze improvisations sont courtes et concises pour la plupart avec seulement les 07 Sublimation, 08 Exaltation et 09 Projection qui se suivent en étirant superbement les durées autour des 8 et 9 minutes. Cette rencontre en studio mérite d’être prolongée, car avec une première expérience, nous pouvons être sûrs qu’ils pourront encore se surpasser, voire transiter d’affirmations de leurs styles perspectifs qui font déjà coïncider plein de belles choses individuelles de chacun, pour sans doute travailler aussi la suggestion, les connexions de leurs imaginaires, une dérive innocente. Les ressources de la musique improvisée libre, même celle qui est intégralement « jazz » dit « free », sont infinies, surtout avec le talent inné de ces deux musiciens et leur exigence ludique et sonore.
D’ailleurs, Ivo Perelman vient de publier un superbe quatrième album en duo avec le trompettiste Nate Wooley pour le label Burning Ambulance, Polarity 4. Ces deux-là ont beau réitéré le titre de leur album duo à quatre reprises, je n’arrive pas à m’en lasser. Nate Wooley est un improvisateur moins « conventionnel », plus avant-gardiste que Ray Anderson. Mais qu’importe les directions esthétiques d’improvisateurs de ce calibre et surtout leurs intentions musicales profondes, leur histoire. Tous deux se comprennent, imbriquent les moindres inflexions, altérations de timbres, sonorités dans un magnifique dialogue de voyants.
Aussi, la sonorité de Nate Wooley se démultiplie du diaphane à la saturation, de l’ultraigu acide au growl, du bruissement venteux à la suggestion mélodique, tous ses effets et couleurs s’intégrant dans un « style », un voix originale, à la fois sonore radicale et jazz éméché ou carrément mélodique. L’empathie et la connivence entre le souffle et l’anche d’Ivo Perelman et les effets d’embouchure et de pistons de Nate est devenue profonde, organique et lumineuse. Ils ont en commun l’art d’accentuer les notes, d’étirer les sonorités, de planer dans le vide avec une manière héritée du jazz (très cool) ou de carburer en cascadant dans les gammes, se répondre du tac au tac et Ivo de déraper au ténor dans les hyper aigus (Five). On aimera ces évocations suggérées de fragments mélodiques qui s’enchaînent et dérivent dans des sonorités cotonneuses, fragiles, nostalgiques au bord du silence. Il y a de bonnes raisons pour laquelle Ivo Perelman et Nate Wooley persévèrent dans leur duo Polarity. Ivo Perelman, tout jazzman qu’il est, se concentre exclusivement sur l’improvisation libre instantanée principalement en duo ou trio avec bon nombre de collègues. Très souvent ses nombreux albums sont plus que satisfaisants, comme ces 12 Stages of Spiritual Alchemy. Certaines de ces rencontres donnent lieu qu’à un seul CD. D’autres se révèlent plus fructueuses dans la durée comme le désormais légendaire duo Ivo Perelman – Matthew Shipp documenté par plus d’une quinzaine de CD’s. Ces deux – là s’étaient un jour dit qu’ils semblaient avoir « tout raconté » jusqu’à ce qu’ils se remettent à l’ouvrage avec une nouvelle série d’albums… tant ils parvenaient à nourrir leur inspiration et étendre toutes les possibilités créatives de leur duo ! Ivo Perelman est un artiste très exigeant et un improvisateur de haute-volée, tout comme Nate Wooley. Je dirais même que ses capacités créatives surpassent son savoir faire et que sa volonté de fer crée une pression bienveillante et heureuse sur son collègue trompettiste, qui offre ici le meilleur de lui-même dans un mode intime, confidentiel. Le lyrisme à la fois chatoyant, aigu et voilé de Nate nourrit l’imaginaire de son collègue dans les demi-teintes. Le but du jeu est de poursuivre une quête, de se dépasser et transcender l’acquis par de nouvelles trouvailles, poser de nouvelles questions et d’y répondre en chœur, par sursauts ou en « escalier » … On songe parfois aux perspectives illusoires d’Escher dans leurs emboîtements mélodiques, mais aussi aux signes de Klee, aux lueurs de Turner, aux couleurs d’Helen Frankenthaler. Ivo Perelman est un artiste graphique et peintre qui « voit » les notes et leurs diffractions sensorielles dans de nombreuses couleurs. Et qui donc le suivrait mieux avec ce goût des nuances que ce trompettiste subtil et audacieux sensible aux colorations des souffles multiples, Nate Wooley. Ce duo est un des rares exemples remarquables de « free-jazz » entre un souffleur d’anche et un souffleur d’embouchure d’exception vraiment réussi et « évolutif » qui fonctionne comme un « groupe », pas comme une rencontre d’un soir ou une « jam ». Qui plus est, la trompette « free » radicale est un genre difficile d’un point de vue technique et physique. Ayant parcouru de nombreuses discographies, je n’ai encore rien rencontré de tel dans la formule trompette - sax ténor en duo... sans batterie , contrebasse ou piano. Une musique aussi diversifiée et cohérente réalisée avec amour en neuf improvisations lumineuses par deux artistes exigeants.
Scrap Heap Challenge Paul Lytton Joker Nies Richard Scott Georg Wissel scatter archive digital à paraître
https://scatterarchive.bandcamp.com/album/scrapheap-challenge
Scrap heap : un tas de ferraille tel ceux qu’on observe le long des voies ferrées à l’approche d’un ville « sidérurgique » comme Charleroi. Le royaume du bric-à-brac sonore, de vibrations métalliques, électriques, une frénésie de sons bruités, de bruits sonorisés, l’articulation déjantée du saxophoniste Georg Wolf d’un mimétisme parfait dans cette jungle industrielle d’électroniciens fous : Joker Nies et Richard Scott. Vous les mettez ensemble cela devient inquiétant. Si on y adjoint le percussionniste délirant number one de notre jeunesse, c’est le délire. Aujourd’hui, Paul Lytton couvre deux tables d’ustensiles de percussions diverses et d’objets idoines (grattoirs, tiges, tubes, pièces métalliques, archets) et une boîte à malice assistés par un assemblage Mécano hérissés d’ustensiles culinaires et amplifié etc… qu’il frotte et gratte, les sons recyclés via un système électronique.
Leurs cinq improvisations aux titres de circonstances (marin salvage, blow football, amphibious vehicle, walking machine, rock crawler) sont en constante mutation dans le bruitisme intégral mâtiné d’un sens aigu de la dynamique et d'une écoute mutuelle très pointue. C’est le règne de l’imagination instantanée et l’impossibilité pour l’auditeur d’identifier qui fait exactement quoi et de deviner quelle est exactement la source sonore des sons qui défilent, surgissent, s’effacent et s’entrechoquent ou s’enfouissent dans le silence sous les milles échantillons sonores, bruitistes, scories (scrap), rebuts (heap) … qui s’égaient, sursautent, tourniquent devant nos sens interloqués ou confus. Ce qui séduit au-delà de cette vivace radicalité et cette diversité sonore déroutante, c'est la capacité à ces quatre improvisateurs à se renouveler constamment ... sans lasser l'auditeur... ni surjouer ni couvrir les sons du voisin dans un kaléïdoscope sonore bigarré - outrancier de savants fous. Et comment le saxophoniste Georg Wissell parvient à naviguer et divaguer dans cet univers ribouldingue foisonnant tout en s'y intégrant naturellement. On distingue, en fait, les sons nuancés, sussurés de Joker Nies et les rebonds incessants du synthé modulaire avec ses câblages colorés de Richard Scott. De temps à autres les énergiques rafales percussives au scalpel (quelle finesse dans la sauvagerie!). Une drôle d'équipée à nulle autre pareille. Challenge 100 % réussi.
https://idischidiangelica.bandcamp.com/album/musica-per-sconosciuti
Angelica est devenu au fil du temps un légendaire festival à Bologne présentant sans relâche depuis plus de 30 ans les musiques innovantes, improvisées et expérimentales, le tout suivi par une œuvre patiente de publications d’albums – CD’s d’une belle diversité. Depuis les premières parutions – anthologies documentant différents acts de leur festival, dischi di angelica a trusté des artistes aussi divers que Terry Riley, Tristan Honsinger, Fred Frith, Gianni Gebbia, Heiner Goebbels, Stefano Scodanibbio, Misha Mengelberg, Vakki Plakula, Anthony Braxton, un unique quartet Leo Smith – Pauline Oliveros – John Tilbury – Roscoe Mitchell, Phil Minton & Veryan Weston, Peter Brötzmann Mahmoud Gania et Hamid Drake, Christian Wolff, Lindsay Cooper, Alvin Curran, Massimo Pupillo, Cecil Taylor, Toshinori Kondo, Charlemagne Palestine, Philipp Corner et Uday Bawalkar le chanteur Dhrupad de la Dagarvani.
Alors que dire de ce 3CD Box du musicien électronique Mirco Mariani et ses Music For Stangers ? Son instrumentarium rassemble étonnamment l’histoire et l’évolution des instruments électroniques et des claviers et il est suffisamment et à la fois un imaginatif et un excellent musicien pour en faire quelque chose d’intéressant, de captivant ou déroutant avec assez bien d’humour et de fausse candeur. Imaginez – vous 3 CD’s bourrés jusqu’à la gueule de trois suites ininterrompues de 136 morceaux qui s’enchaînent aisément et amusément avec l’aide de (je vous cite) : mellotron, optigan, ondioline, solovox, clavioline, pianomate, ondiola, osmose, modular synthesizers, monophonic and polyphonic synths, harpsichord, celesta, prepard pianos, harmonium, vibraphone, glasspiel, pip organ, vocoder, voice….
Comme j’ai toujours ressenti que ce qui est publié au nom de la musique dite électronique est souvent rasoir (bien que j’apprécie plusieurs chercheurs fascinants), je trouve que cette série d’enregistrements multiformes a de nombreux points positifs et pourrait convenir pour une excellente porte d’entrée – fenêtre ouverte pour un large public à la découverte de quelque chose de différent, ouvert et authentique en matière d'électroniques etc... qui tranche de la grisaille peu imaginative. Musique de films imaginaires ou réels, orphéon du 21ème s., 136 titres très courts et improbables, plusieurs ayant servi pour illustrer un documentaire d’Elisabetta Sgarbi sur le photographe Nino Migliori et des films de Pupi Avati et Aleksandr Sokurov ainsi que des films restaurés par la Cineteca de Bologne. Un point fort d’Angelica est la synergie avec des initiatives locales qu’elles soient musicales, littéraires, artistiques etc… Et cette publication de Mirco Mariani s’inscrit dans l’histoire récente de la culture à Bologne au niveau cinémathèque avec ce sourire en coin et cette fantaisie secrètement italienne qui aime tant à multiplier les plats et les spécialités culinaires à l’infini. Cette musique de films semble intemporelle ludique et organiquement narrative. Musica per Sconosciuti signifie musique pour des inconnus… peut -être des personnes qui ne connaissent pas l’histoire de la musique ou des musiques ou encore des personnes qui ne connaissent pas encore les musiques qu’ils aiment ou vont aimer. Avec cette Musica per Sconosciuti, l’auditeur lambda prétendument imperméable à la nouveauté « difficile » aura ici autant de points de repères et de bornes : quelques comptines, ritournelles, ambiances, thèmes curieux, zones soniques inouïes, attrayantes ou recherchées qui défient les classifications de genre musical, soit autant d’issues pour s’égarer, réfléchir et découvrir. En fait, trois compacts d’une musique subtile à mettre entre toutes les mains sans caveat tout en annonçant qu’il y a peut-être une vraie surprise. Extrêmement bien conçu et réalisé ! Massimo Simonini d’Angelica est un producteur avisé et imaginatif.
12 Stages of Spiritual Alchemy Ray Anderson & Ivo Perelman Fundacja Sluchaj
https://sluchaj.bandcamp.com/album/12-stages-of-spritual-alchemy
Polarity 4 Ivo Perelman & Nate Wooley burning ambulance CD
https://ivoperelman-bam.bandcamp.com/album/polarity-4
Fundacja Sluchaj a publié il y a peu de temps un superbe double album réunissant le tromboniste Ray Anderson et le saxophoniste ténor Ivo Perelman avec le contrebassiste Joe Morris et le batteur Reggie Nicholson, Molten Gold, une petite merveille d’entente free complètement improvisée. Car c’est une constante de la musique enregistrée de Perelman : « free-jazz » oui , mais toujours entièrement improvisé dans l’instant ou composition immédiate créée sur le moment au moyen d’échanges collectifs où chaque instrumentiste improvise sur un pied d’égalité sans compositions, thèmes ou partitions. Ivo Perelman a à son actif de nombreux duos avec des pianistes (Matt Shipp, principalement), des guitaristes (Joe Morris, James Emery, Pascal Marzan et Elliott Sharp), un trompettiste, Nate Wooley, un violoniste alto (Mat Maneri), des souffleurs d’anche (dont Rudi Mahall, David Murray, Joe Lovano, Joe McPhee etc...) Le voici face à un tromboniste et pas n’importe lequel : Ray Anderson. Ray Anderson a succédé à Kenny Wheeler et George Lewis dans l’extraordinaire quartette d’Anthony Braxton, dont Performance for Quartet 1979 live à Willisau (Hat Hut) est une double plaque incontournable des années 70, enregistrée avec le bassiste John Lindberg et le batteur Thurman Barker. Avec le contrebassiste Mark Helias, il a soufflé les foules dans deux rares trios trombone – basse - batterie avec rien moins que les batteurs Barry Altschul et Gerry Hemingway, eux-mêmes des indispensables collaborateurs des jeunes années de Braxton. Par la suite, il a dirigé ses propres projets à la fois « swinguants » et audacieux durant plusieurs décennies. C’est à la fois un acrobate virtuose du trombone et un puissant souffleur au son gros comme çà issu du blues, du gospel et de la tradition afro-américaine aussi subtil qu’expressionniste. Tout comme Ivo Perelman sur son instrument, il favorise le glissando sous toutes ses coutures. Ce duo, intitulé 12 Stages of Spiritual Alchemy, est donc une belle réussite (tout comme ce superbe quartette mentionné plus haut, Molten Gold, enregistré sur le même label). Les formes, variations et métamorphoses des sons, des phrases jouées simultanément, les interactions ludiques, les contenus mélodiques nés de leur écoute mutuelle et de leur imagination fertile, se succèdent avec bonheur. Les inventions se renouvellent dans une complicité fructueuse par la grâce d’une expérience d’improvisateur de premier plan. Je vous dis les sonorités émouvantes issues du grand chaudron du free-jazz afro-américain le plus atavique. Cette saveur « beurrée » du souffle au trombone, ce growl vibrant qui ramènent aux trombonistes pre-swing comme Tricky Sam Nanton chez Ellington, ce cousinage épatant de Roswell Rudd, cette chaleur quasi tropicale d’Ivo partagée par Ray, ces glissandi lyriques d’harmoniques au sax ténor qui évoquent tant la voix chantée brésilienne font merveille tout comme ces ostinatos en forme de comptines de guingois d’un curieux folklore imaginaire. Luxuriant, incisif et empâté à la fois ou des effluves vaporisés, évanescents un instant ou en crescendo vitaminés. Un rêve éveillé pour les nostalgiques… d’un Shepp mâtiné de Stan Getz. Les douze improvisations sont courtes et concises pour la plupart avec seulement les 07 Sublimation, 08 Exaltation et 09 Projection qui se suivent en étirant superbement les durées autour des 8 et 9 minutes. Cette rencontre en studio mérite d’être prolongée, car avec une première expérience, nous pouvons être sûrs qu’ils pourront encore se surpasser, voire transiter d’affirmations de leurs styles perspectifs qui font déjà coïncider plein de belles choses individuelles de chacun, pour sans doute travailler aussi la suggestion, les connexions de leurs imaginaires, une dérive innocente. Les ressources de la musique improvisée libre, même celle qui est intégralement « jazz » dit « free », sont infinies, surtout avec le talent inné de ces deux musiciens et leur exigence ludique et sonore.
D’ailleurs, Ivo Perelman vient de publier un superbe quatrième album en duo avec le trompettiste Nate Wooley pour le label Burning Ambulance, Polarity 4. Ces deux-là ont beau réitéré le titre de leur album duo à quatre reprises, je n’arrive pas à m’en lasser. Nate Wooley est un improvisateur moins « conventionnel », plus avant-gardiste que Ray Anderson. Mais qu’importe les directions esthétiques d’improvisateurs de ce calibre et surtout leurs intentions musicales profondes, leur histoire. Tous deux se comprennent, imbriquent les moindres inflexions, altérations de timbres, sonorités dans un magnifique dialogue de voyants.
Aussi, la sonorité de Nate Wooley se démultiplie du diaphane à la saturation, de l’ultraigu acide au growl, du bruissement venteux à la suggestion mélodique, tous ses effets et couleurs s’intégrant dans un « style », un voix originale, à la fois sonore radicale et jazz éméché ou carrément mélodique. L’empathie et la connivence entre le souffle et l’anche d’Ivo Perelman et les effets d’embouchure et de pistons de Nate est devenue profonde, organique et lumineuse. Ils ont en commun l’art d’accentuer les notes, d’étirer les sonorités, de planer dans le vide avec une manière héritée du jazz (très cool) ou de carburer en cascadant dans les gammes, se répondre du tac au tac et Ivo de déraper au ténor dans les hyper aigus (Five). On aimera ces évocations suggérées de fragments mélodiques qui s’enchaînent et dérivent dans des sonorités cotonneuses, fragiles, nostalgiques au bord du silence. Il y a de bonnes raisons pour laquelle Ivo Perelman et Nate Wooley persévèrent dans leur duo Polarity. Ivo Perelman, tout jazzman qu’il est, se concentre exclusivement sur l’improvisation libre instantanée principalement en duo ou trio avec bon nombre de collègues. Très souvent ses nombreux albums sont plus que satisfaisants, comme ces 12 Stages of Spiritual Alchemy. Certaines de ces rencontres donnent lieu qu’à un seul CD. D’autres se révèlent plus fructueuses dans la durée comme le désormais légendaire duo Ivo Perelman – Matthew Shipp documenté par plus d’une quinzaine de CD’s. Ces deux – là s’étaient un jour dit qu’ils semblaient avoir « tout raconté » jusqu’à ce qu’ils se remettent à l’ouvrage avec une nouvelle série d’albums… tant ils parvenaient à nourrir leur inspiration et étendre toutes les possibilités créatives de leur duo ! Ivo Perelman est un artiste très exigeant et un improvisateur de haute-volée, tout comme Nate Wooley. Je dirais même que ses capacités créatives surpassent son savoir faire et que sa volonté de fer crée une pression bienveillante et heureuse sur son collègue trompettiste, qui offre ici le meilleur de lui-même dans un mode intime, confidentiel. Le lyrisme à la fois chatoyant, aigu et voilé de Nate nourrit l’imaginaire de son collègue dans les demi-teintes. Le but du jeu est de poursuivre une quête, de se dépasser et transcender l’acquis par de nouvelles trouvailles, poser de nouvelles questions et d’y répondre en chœur, par sursauts ou en « escalier » … On songe parfois aux perspectives illusoires d’Escher dans leurs emboîtements mélodiques, mais aussi aux signes de Klee, aux lueurs de Turner, aux couleurs d’Helen Frankenthaler. Ivo Perelman est un artiste graphique et peintre qui « voit » les notes et leurs diffractions sensorielles dans de nombreuses couleurs. Et qui donc le suivrait mieux avec ce goût des nuances que ce trompettiste subtil et audacieux sensible aux colorations des souffles multiples, Nate Wooley. Ce duo est un des rares exemples remarquables de « free-jazz » entre un souffleur d’anche et un souffleur d’embouchure d’exception vraiment réussi et « évolutif » qui fonctionne comme un « groupe », pas comme une rencontre d’un soir ou une « jam ». Qui plus est, la trompette « free » radicale est un genre difficile d’un point de vue technique et physique. Ayant parcouru de nombreuses discographies, je n’ai encore rien rencontré de tel dans la formule trompette - sax ténor en duo... sans batterie , contrebasse ou piano. Une musique aussi diversifiée et cohérente réalisée avec amour en neuf improvisations lumineuses par deux artistes exigeants.
Scrap Heap Challenge Paul Lytton Joker Nies Richard Scott Georg Wissel scatter archive digital à paraître
https://scatterarchive.bandcamp.com/album/scrapheap-challenge
Scrap heap : un tas de ferraille tel ceux qu’on observe le long des voies ferrées à l’approche d’un ville « sidérurgique » comme Charleroi. Le royaume du bric-à-brac sonore, de vibrations métalliques, électriques, une frénésie de sons bruités, de bruits sonorisés, l’articulation déjantée du saxophoniste Georg Wolf d’un mimétisme parfait dans cette jungle industrielle d’électroniciens fous : Joker Nies et Richard Scott. Vous les mettez ensemble cela devient inquiétant. Si on y adjoint le percussionniste délirant number one de notre jeunesse, c’est le délire. Aujourd’hui, Paul Lytton couvre deux tables d’ustensiles de percussions diverses et d’objets idoines (grattoirs, tiges, tubes, pièces métalliques, archets) et une boîte à malice assistés par un assemblage Mécano hérissés d’ustensiles culinaires et amplifié etc… qu’il frotte et gratte, les sons recyclés via un système électronique.
Leurs cinq improvisations aux titres de circonstances (marin salvage, blow football, amphibious vehicle, walking machine, rock crawler) sont en constante mutation dans le bruitisme intégral mâtiné d’un sens aigu de la dynamique et d'une écoute mutuelle très pointue. C’est le règne de l’imagination instantanée et l’impossibilité pour l’auditeur d’identifier qui fait exactement quoi et de deviner quelle est exactement la source sonore des sons qui défilent, surgissent, s’effacent et s’entrechoquent ou s’enfouissent dans le silence sous les milles échantillons sonores, bruitistes, scories (scrap), rebuts (heap) … qui s’égaient, sursautent, tourniquent devant nos sens interloqués ou confus. Ce qui séduit au-delà de cette vivace radicalité et cette diversité sonore déroutante, c'est la capacité à ces quatre improvisateurs à se renouveler constamment ... sans lasser l'auditeur... ni surjouer ni couvrir les sons du voisin dans un kaléïdoscope sonore bigarré - outrancier de savants fous. Et comment le saxophoniste Georg Wissell parvient à naviguer et divaguer dans cet univers ribouldingue foisonnant tout en s'y intégrant naturellement. On distingue, en fait, les sons nuancés, sussurés de Joker Nies et les rebonds incessants du synthé modulaire avec ses câblages colorés de Richard Scott. De temps à autres les énergiques rafales percussives au scalpel (quelle finesse dans la sauvagerie!). Une drôle d'équipée à nulle autre pareille. Challenge 100 % réussi.
13 octobre 2025
Anna Homler Wolfgang Schliemann Joachim Zoepf/ Thanos Chrysakis Earle Brown David Ryan Christian Wolf Morton Feldman & Tim Hodgkinson/ Federico Reuben Mark Hanslip Dominic Lash Paul Hession / Andrea Bini & Sergio Fedele
Anna Homler Wolfgang Schliemann Joachim Zoepf Jaw Acheulian Handaxe
https://handaxe.bandcamp.com/album/jaw
Recorded live at the 8th Nozart Festival Cologne by Ansgar Ballhorn April 3rd 2004. Enregistrée il y a plus de vingt ans, cette rencontre atypique entre la chanteuse conteuse Anna Homler et les deux improvisateurs pointus que sont le percussionniste Wolfgang Schliemann et le souffleur Joachim Zoepf (sax soprano et clarinette basse) méritait vraiment d’être publiée. À sa voix expressive, Anna Homler ajoute l’utilisation ludique de jouets et d’appareils, dont une boîte musicale ce qui crée une connexion interactive avec les improvisations instrumentales alambiquées radicales du tandem Schliemann Zoepf. Schliemann développe un jeu pointilliste et disparate avec plusieurs instruments et accessoires de percussions tout en créant un espace pour ses deux collègues. La chanteuse ajoute une approche narrative à son Gesprech-Gesang (chanté-parlé) volatile et subtilement expressif. Anna Homler est une des vocalistes chanteuses parmi les plus originales parmi les nombreuses chanteuses qui s’adonnent à la libre improvisation et que je n’ai jamais manqué de commenter, expliquer et soutenir dans mes nombreux articles. Irrésistible et hors des catégories. Je trouve que cette collaboration est superlative au niveau du dialogue et de l’empathie collective. Si nos deux lascars au sax et à la percussion sont des artistes plutôt abstraits face à cette chanteuse qui n’hésite pas à chanter un texte avec une mélodie ou zézayer ses pensées, leurs interventions sont orientées vers un seul but : illustrer la vocalité et l’expression d’Anna Homler de manière astucieuse, discrète, subtile et aérée, pointilliste avec les possibilités sonores de leurs instruments et les objets percussifs de Wolfgang Schliemann. De même la chanteuse utilise de curieux objets / jouets et (peut-être ?) des appeaux dans une dimension bruissante évoquant des volatiles à l’instar des contorsions de la colonne d’air de Joachim Zoepf à la clarinette basse. Il n’y a rien à dire de plus que cette rencontre d’un soir intitulée Jaw datant d’il y a plus de vingt ans est une belle démonstration d’ouverture d’esprit de la part de chaque artiste et surtout, on y trouve des moments d’anthologie magiques pouvant illustrer le leitmotiv trop rarement invoqué dans cet univers de « spécialistes » qu’est l’impro « non idiom… ou autre ique ou isme) de la diversité affichée dans la cohérence totale. Si leur style ne se répand pas en avalanches énergétiques, il est d'une précision rare, chaque son, chaque mouvement est à sa place et surgit au meilleur instant avec une formidable évidence. Magnifique et sans prétention. Acheulian Handaxe est un label à suivre de près.
Music for Guitars, Bass Clarinets & Contrabasses Earle Brown David Ryan, Christian Wolf, Morton Feldman Thanos Chrysakis Tim Hodgkinson Aural Terrains TRRN1957.
https://www.auralterrains.com/releases/57
Le compositeur Grec Thanos Chrysakis est un excellent producteur de projets de musique contemporaine originaux très souvent focalisés sur des instruments particuliers comme les clarinettes basses, les trombones avec une sélection de compositeurs incontournables voire atypiques comme ici Earle Brown, Christian Wolf ou Morton Feldman ainsi que ses propres compositions et celles de ses collaborateurs proches, tels le clarinettiste Tim Hodgkinson ou le guitariste David Ryan. Il empile les réussites sur son label Aural Terrains en diversifiant régulièrement le choix des instruments. Aussi sa démarche fait appel à des improvisateurs libres. Dans cet album enregistré le 10 décembre 2023 au Café OTO à Londres, on retrouve le bassiste Dominic Lash, les clarinettistes Chris Cundy, Tim Hodgkinson et Jason Alder. Il introduit de nouveaux musiciens à ses équipes comme l’excellent guitariste William Crosby qui interprètent Fields and Refrains de David Ryan composé pour une seule guitare acoustique (15:10) nous éclairant sur les possibilités sonores de la guitare en apportant un regard neur et des techniques inusitées. C’est justement David Ryan qui dirige 4 Systems (1954 - 5:08) d’Earle Brown pour cinq clarinettes basses (Alder, Cundy , Hodgkinson et deux nouvelles venues Michelle Hromin et Hannah Shilvock), composition ouvrant l’espace sonore et la dynamique. Tilbury 4 de Christian Wolff fait rencontrer quatre des clarinettistes basses précédents avec la guitare électrique jouée par William Crosby et les deux contrebasses de Lash et de Gwen Reed. Chaque musicien intervient quasiment seul au seuil du silence Une œuvre quasi diaphane de 5:25 datant de 1970. Suivi de The Possibilty of A New Work for Electric Guitar de Morton Feldman (1966 – 7:03) dans un esprit très similaire à la précédente interprétée par William Crosby. Je dois ajouter que le guitariste et compositeur David Ryan a publié ses compositions dans l'album Fields and Refrains (Aural Terrains TRRN 1648 avec entre autres William Crosby et Dominic Lash. Il n'est pas inutile de comparer les deux versions de cette composition de D. Ryan dans les deux albums par le même interprète. Riverwind (2023 - 17:50) de Thanos Chrysakis est une de ses oeuvres orchestrales parmi les plus réussies rassemblant trompette (Jack Jones), deux clarinettes en Sib, deux clarinettes basses, un clarinette contrebasse, deux guitares électriques et deux contrebasses avec les instrumentistes déjà cités dont aussi le guitariste James O’Sullivan sous la direction de Leo Geyer. Il s’agit d’une belle œuvre spectrale avec une phase proche du free-jazz radical. Plus loin on rencontre une guitare noise abrasive. La démarche de Chrysakis est limpide : pour à la fois illustrer son projet de composition qui s’impose comme partie centrale de l’album et nourrir la diversité musicale et l’intérêt du public, il reprend une série d’œuvres composées par d’autres compositeurs pour chacun ou plusieurs des instruments qui figurent dans Riverwind, celle – ci se distinguant musicalement de ces œuvres qui la précèdent dans l’ordre de l’album. Il reste alors deux compositions pour conclure ce cheminement particulier. One To Five d’Earle Brown (1970 – 5 :57) conduite par David Ryan reprend une bonne partie l’instrumentation de Riverwind au niveau des clarinettes (moins la cl. contrebasse), mais avec une seule guitare électrique et une seule contrebasse. Mais cette œuvre a une toute autre optique avec ses mouvements saccadés, parsemés de silences et de breaks, avec une rythmique sous-jacente et des effets de tutti agrémentés de pointillisme. Cette sélection d’œuvres différentes fait que ce programme s’écoute volontiers grâce à sa diversité pointue et aux contrastes de chaque composition par rapport aux autres. Kryptoplégma de Tim Hodgkinson (2023 - 14:12) est écrit pour un orchestre semblable à celui de Riverwind : trompette, clar Sib, deux clarinettes basses, une clarinette basse, deux guitares électriques, et deux contrebasses et dirigée par son compositeur. Celui-ci a opté pour un style de composition dynamique et enlevée similaire à ces œuvres de jazz d’avant-garde avec de larges intervalles dissonants, guitares noise, alternances rapides de chaque instruments en mouvements disjoints, hoquets, passages presque silencieux, combinaisons de notes isolées de plusieurs souffleurs qui se chevauchent à une double croche près. Hodgkinson utilise à bon escient une série d’idées d’écriture qui se succèdent avec bonheur. L’ensemble de l’album et la succession de ces sept compositions dans l’ordre de celui-ci apportent un réelle bonification pour chacune des œuvres jouées par la grâce de leurs qualités intrinsèques qui mettent en valeur toutes les autres. Un excellent travail réalisé et enregistré la même soirée en concert et un sens rare de la synergie dans chaque projet de Thanos. Il faut pouvoir le faire, signalons-le. Chapeau Thanos Chrysakis, Aural Terrains et tous ceux qui ont participé au projet !
Quartetics Federico Reuben Mark Hanslip Dom Lash Paul Hession Bead Records
https://www.beadrecords.com/reuben/hanslip/lash/hession-quartetics
L’antique label de musiques improvisées Bead Records fondé par un collectif autour du violoniste Philipp Wachsmann, (avec Tony Wren, Peter Cusack, puis Matt Hutchinson etc…) a fait peau neuve récemment et propose des idées nouvelles sous la responsabilité du percussionniste Emil Karlsen avec un panel diversifié de musiciens intéressants. Que dire de ce nouveau Quartetics composé de Federico Reuben (laptop improvisation / live coding), du saxophoniste ténor Mark Hanslip, du contrebassiste Dominic Lash et du batteur Paul Hession. On pourrait croire que leur musique soit dans la lignée du free-jazz qu’on entend toujours un peu partout dans les festivals et les clubs avec le sempiternel trinôme saxophone, contrebasse, batterie + guitare électrique, clavier ou électronique, la vulgate du jazz libre d’avant-garde qui peut être ressentie comme un cliché. Je découvre que Mark Hanslip a sérieusement évolué depuis ses collaborations avec Javier Carmona, Tony Bianco, Ollie Brice et le Crux Trio ou Michael Garrick. Son jeu artistement découpé fait de larges intervalles est assez particulier. Face au drumming crépitant et irrégulier de Paul Hession, un fidèle de feu Simon Fell et du saxophoniste explosif Allan Wilkinson dans un trio hard-free saturé en diable, le jeu sophistiqué de Hanslip et ses subtiles inversions harmoniques créent un équilibre instable et un contraste remarquable qui mettent en valeur les deux musiciens. Vous ajoutez à cette équation volatile le travail sonique multiforme de Dominic Lash à l’archet et on aboutit à un approfondissement des perspectives et des percées dans l’univers éclaté des sons de la free music sans plan A ou plan B. La contribution « électronique » de Federico Reuben est tout à fait pertinente, entretenant des échanges avec les frappes millimétrées free plus radicales d’Hession dont on découvre la finesse et la précision en empathie avec la dynamique et le chaos des improvisations au laptop avec une multitude de facéties sonores surgissant de nulle part. Son output est particulièrement intéressant et multiforme. Un très bon point pour Hession, les drummers free excitants devenant trop rares parmi la génération montante. Par-dessus, le souffle d’Hanslip trace son chemin sinueux sur un canevas polyrythmique qui s’appuie sur les impulsions des trois autres. Leur musique faite de voix qu’on jugerait disparates ou antagonistes du point de vue formel se révèle étonnamment cohérente, dynamique et profondément lisible. L’auditeur a le plaisir d’entendre clairement toutes les interventions et interactions individuelles dans le son global de ce Quartetics durant les cinq improvisations collectives sur une durée de 33 minutes. Et oui , la qualité de l’enregistrement et le savoir-faire des instrumentistes ! Et chacun a le loisir de cultiver ses marottes personnelles au bénéfice de l’ensemble. Je trouve cet album vraiment remarquable. Congratulations. Duo PsicoGeografico Iskra Andrea Bini & Sergio Fedele. Setola di Maiale.
https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM5010
Un bien curieux duo de multi-instrumentistes improvisateurs qui alimentent 9 sequenze (pluriel de sequenza) d’improvisations contemporaines. Andrea Bini joue du piano, de la « flauto dolce basso » soit une flûte à bec basse, voix, « richiamo » soit un appel ou un cri, rombo ou grondement, percussions et gong. Sergio Fedele est crédité ecatorf, un instrument à vent de son invention avec anches coulisses, pavillons combinant plusieurs tuyaux et des éléments mobiles et d’une grande complexité au niveau de la construction. Une espèce de monstre avec lequel on obtient de curieux effets de souffles similaires à la clarinette contrebasse et au trombone. Il ajoute à ce curieux instrument hybride, le sax alto, la clarinette contra alto, la clarinette et l’ocarina bassa. Iskra signifie l’étincelle en Russe et servit de titre pour la revue marxiste de Lénine lors de son séjour en Grand Bretagne. Plus tard, Paul Rutherford intitula son trio avec Derek Bailey et Barry Guy, Iskra 1903, tandis qu’un groupe free suédois s’est baptisé Iskra. Ses 9 Sequenze s’intitulent Iskra 01, Iskra 02 , etc… jusqu’à Iskra 09 et les notes de pochette indiquent clairement les instruments utilisés. Parmi ces 9 pièces , Andrea Bini jouent du piano dans cinq d’entr’elles, la première nous faisant entendre les possibilités sonores et dynamiques de cet ecatorf mystérieux dans une approche avant garde contemporaine réussie Pour la deuxième pièce avec sax alto et piano, la musique se rapproche de l’univers du free-jazz. Au fil de chaque improvisation, le centre de gravité et l’approche musicale varie comme dans ce duo percussions et clarinette contra alto rêveuse. On y entend des frappes clairsemées sur un tambour et la résonance d’un gong face à un souffle retenu et note à note parsemé de silences dans une ambiance intime. Chacun de ces duos cultivent une ambiance particulière avec les moyens de chacun des instruments sollicités successivement d’un Iskra à l’autre. On y trouve l’étincelle de la sensibilité sans pour autant y mettre le feu aux poudres. On est plus ici dans la réflexion ou les appels d’oiseaux au sein d’une volière comme dans cet Iskra 04 et son dialogue ocarina basse et flûte à bec basse et quelques trouvailles sonores. Iskra 05 : retour à la démarche musique contemporaine entre la clarinette contralto et le piano dans le sillage de Iskra 01. J’en apprécie la résonnance des cordes « bloquées » du piano et le cheminement de la clarinette de graves discrets à la limite du souffle vers les égosillements des harmoniques aiguës Chaque pièce offre ainsi une nouvelle opportunité sensible et bien choisie et l’ecatorf en est bien la part de mystère (Iskra 06). Un album d’improvisation à part soigneusement préparé et simplement poétique. En fait, une belle réussite.
https://handaxe.bandcamp.com/album/jaw
Recorded live at the 8th Nozart Festival Cologne by Ansgar Ballhorn April 3rd 2004. Enregistrée il y a plus de vingt ans, cette rencontre atypique entre la chanteuse conteuse Anna Homler et les deux improvisateurs pointus que sont le percussionniste Wolfgang Schliemann et le souffleur Joachim Zoepf (sax soprano et clarinette basse) méritait vraiment d’être publiée. À sa voix expressive, Anna Homler ajoute l’utilisation ludique de jouets et d’appareils, dont une boîte musicale ce qui crée une connexion interactive avec les improvisations instrumentales alambiquées radicales du tandem Schliemann Zoepf. Schliemann développe un jeu pointilliste et disparate avec plusieurs instruments et accessoires de percussions tout en créant un espace pour ses deux collègues. La chanteuse ajoute une approche narrative à son Gesprech-Gesang (chanté-parlé) volatile et subtilement expressif. Anna Homler est une des vocalistes chanteuses parmi les plus originales parmi les nombreuses chanteuses qui s’adonnent à la libre improvisation et que je n’ai jamais manqué de commenter, expliquer et soutenir dans mes nombreux articles. Irrésistible et hors des catégories. Je trouve que cette collaboration est superlative au niveau du dialogue et de l’empathie collective. Si nos deux lascars au sax et à la percussion sont des artistes plutôt abstraits face à cette chanteuse qui n’hésite pas à chanter un texte avec une mélodie ou zézayer ses pensées, leurs interventions sont orientées vers un seul but : illustrer la vocalité et l’expression d’Anna Homler de manière astucieuse, discrète, subtile et aérée, pointilliste avec les possibilités sonores de leurs instruments et les objets percussifs de Wolfgang Schliemann. De même la chanteuse utilise de curieux objets / jouets et (peut-être ?) des appeaux dans une dimension bruissante évoquant des volatiles à l’instar des contorsions de la colonne d’air de Joachim Zoepf à la clarinette basse. Il n’y a rien à dire de plus que cette rencontre d’un soir intitulée Jaw datant d’il y a plus de vingt ans est une belle démonstration d’ouverture d’esprit de la part de chaque artiste et surtout, on y trouve des moments d’anthologie magiques pouvant illustrer le leitmotiv trop rarement invoqué dans cet univers de « spécialistes » qu’est l’impro « non idiom… ou autre ique ou isme) de la diversité affichée dans la cohérence totale. Si leur style ne se répand pas en avalanches énergétiques, il est d'une précision rare, chaque son, chaque mouvement est à sa place et surgit au meilleur instant avec une formidable évidence. Magnifique et sans prétention. Acheulian Handaxe est un label à suivre de près.
Music for Guitars, Bass Clarinets & Contrabasses Earle Brown David Ryan, Christian Wolf, Morton Feldman Thanos Chrysakis Tim Hodgkinson Aural Terrains TRRN1957.
https://www.auralterrains.com/releases/57
Le compositeur Grec Thanos Chrysakis est un excellent producteur de projets de musique contemporaine originaux très souvent focalisés sur des instruments particuliers comme les clarinettes basses, les trombones avec une sélection de compositeurs incontournables voire atypiques comme ici Earle Brown, Christian Wolf ou Morton Feldman ainsi que ses propres compositions et celles de ses collaborateurs proches, tels le clarinettiste Tim Hodgkinson ou le guitariste David Ryan. Il empile les réussites sur son label Aural Terrains en diversifiant régulièrement le choix des instruments. Aussi sa démarche fait appel à des improvisateurs libres. Dans cet album enregistré le 10 décembre 2023 au Café OTO à Londres, on retrouve le bassiste Dominic Lash, les clarinettistes Chris Cundy, Tim Hodgkinson et Jason Alder. Il introduit de nouveaux musiciens à ses équipes comme l’excellent guitariste William Crosby qui interprètent Fields and Refrains de David Ryan composé pour une seule guitare acoustique (15:10) nous éclairant sur les possibilités sonores de la guitare en apportant un regard neur et des techniques inusitées. C’est justement David Ryan qui dirige 4 Systems (1954 - 5:08) d’Earle Brown pour cinq clarinettes basses (Alder, Cundy , Hodgkinson et deux nouvelles venues Michelle Hromin et Hannah Shilvock), composition ouvrant l’espace sonore et la dynamique. Tilbury 4 de Christian Wolff fait rencontrer quatre des clarinettistes basses précédents avec la guitare électrique jouée par William Crosby et les deux contrebasses de Lash et de Gwen Reed. Chaque musicien intervient quasiment seul au seuil du silence Une œuvre quasi diaphane de 5:25 datant de 1970. Suivi de The Possibilty of A New Work for Electric Guitar de Morton Feldman (1966 – 7:03) dans un esprit très similaire à la précédente interprétée par William Crosby. Je dois ajouter que le guitariste et compositeur David Ryan a publié ses compositions dans l'album Fields and Refrains (Aural Terrains TRRN 1648 avec entre autres William Crosby et Dominic Lash. Il n'est pas inutile de comparer les deux versions de cette composition de D. Ryan dans les deux albums par le même interprète. Riverwind (2023 - 17:50) de Thanos Chrysakis est une de ses oeuvres orchestrales parmi les plus réussies rassemblant trompette (Jack Jones), deux clarinettes en Sib, deux clarinettes basses, un clarinette contrebasse, deux guitares électriques et deux contrebasses avec les instrumentistes déjà cités dont aussi le guitariste James O’Sullivan sous la direction de Leo Geyer. Il s’agit d’une belle œuvre spectrale avec une phase proche du free-jazz radical. Plus loin on rencontre une guitare noise abrasive. La démarche de Chrysakis est limpide : pour à la fois illustrer son projet de composition qui s’impose comme partie centrale de l’album et nourrir la diversité musicale et l’intérêt du public, il reprend une série d’œuvres composées par d’autres compositeurs pour chacun ou plusieurs des instruments qui figurent dans Riverwind, celle – ci se distinguant musicalement de ces œuvres qui la précèdent dans l’ordre de l’album. Il reste alors deux compositions pour conclure ce cheminement particulier. One To Five d’Earle Brown (1970 – 5 :57) conduite par David Ryan reprend une bonne partie l’instrumentation de Riverwind au niveau des clarinettes (moins la cl. contrebasse), mais avec une seule guitare électrique et une seule contrebasse. Mais cette œuvre a une toute autre optique avec ses mouvements saccadés, parsemés de silences et de breaks, avec une rythmique sous-jacente et des effets de tutti agrémentés de pointillisme. Cette sélection d’œuvres différentes fait que ce programme s’écoute volontiers grâce à sa diversité pointue et aux contrastes de chaque composition par rapport aux autres. Kryptoplégma de Tim Hodgkinson (2023 - 14:12) est écrit pour un orchestre semblable à celui de Riverwind : trompette, clar Sib, deux clarinettes basses, une clarinette basse, deux guitares électriques, et deux contrebasses et dirigée par son compositeur. Celui-ci a opté pour un style de composition dynamique et enlevée similaire à ces œuvres de jazz d’avant-garde avec de larges intervalles dissonants, guitares noise, alternances rapides de chaque instruments en mouvements disjoints, hoquets, passages presque silencieux, combinaisons de notes isolées de plusieurs souffleurs qui se chevauchent à une double croche près. Hodgkinson utilise à bon escient une série d’idées d’écriture qui se succèdent avec bonheur. L’ensemble de l’album et la succession de ces sept compositions dans l’ordre de celui-ci apportent un réelle bonification pour chacune des œuvres jouées par la grâce de leurs qualités intrinsèques qui mettent en valeur toutes les autres. Un excellent travail réalisé et enregistré la même soirée en concert et un sens rare de la synergie dans chaque projet de Thanos. Il faut pouvoir le faire, signalons-le. Chapeau Thanos Chrysakis, Aural Terrains et tous ceux qui ont participé au projet !
Quartetics Federico Reuben Mark Hanslip Dom Lash Paul Hession Bead Records
https://www.beadrecords.com/reuben/hanslip/lash/hession-quartetics
L’antique label de musiques improvisées Bead Records fondé par un collectif autour du violoniste Philipp Wachsmann, (avec Tony Wren, Peter Cusack, puis Matt Hutchinson etc…) a fait peau neuve récemment et propose des idées nouvelles sous la responsabilité du percussionniste Emil Karlsen avec un panel diversifié de musiciens intéressants. Que dire de ce nouveau Quartetics composé de Federico Reuben (laptop improvisation / live coding), du saxophoniste ténor Mark Hanslip, du contrebassiste Dominic Lash et du batteur Paul Hession. On pourrait croire que leur musique soit dans la lignée du free-jazz qu’on entend toujours un peu partout dans les festivals et les clubs avec le sempiternel trinôme saxophone, contrebasse, batterie + guitare électrique, clavier ou électronique, la vulgate du jazz libre d’avant-garde qui peut être ressentie comme un cliché. Je découvre que Mark Hanslip a sérieusement évolué depuis ses collaborations avec Javier Carmona, Tony Bianco, Ollie Brice et le Crux Trio ou Michael Garrick. Son jeu artistement découpé fait de larges intervalles est assez particulier. Face au drumming crépitant et irrégulier de Paul Hession, un fidèle de feu Simon Fell et du saxophoniste explosif Allan Wilkinson dans un trio hard-free saturé en diable, le jeu sophistiqué de Hanslip et ses subtiles inversions harmoniques créent un équilibre instable et un contraste remarquable qui mettent en valeur les deux musiciens. Vous ajoutez à cette équation volatile le travail sonique multiforme de Dominic Lash à l’archet et on aboutit à un approfondissement des perspectives et des percées dans l’univers éclaté des sons de la free music sans plan A ou plan B. La contribution « électronique » de Federico Reuben est tout à fait pertinente, entretenant des échanges avec les frappes millimétrées free plus radicales d’Hession dont on découvre la finesse et la précision en empathie avec la dynamique et le chaos des improvisations au laptop avec une multitude de facéties sonores surgissant de nulle part. Son output est particulièrement intéressant et multiforme. Un très bon point pour Hession, les drummers free excitants devenant trop rares parmi la génération montante. Par-dessus, le souffle d’Hanslip trace son chemin sinueux sur un canevas polyrythmique qui s’appuie sur les impulsions des trois autres. Leur musique faite de voix qu’on jugerait disparates ou antagonistes du point de vue formel se révèle étonnamment cohérente, dynamique et profondément lisible. L’auditeur a le plaisir d’entendre clairement toutes les interventions et interactions individuelles dans le son global de ce Quartetics durant les cinq improvisations collectives sur une durée de 33 minutes. Et oui , la qualité de l’enregistrement et le savoir-faire des instrumentistes ! Et chacun a le loisir de cultiver ses marottes personnelles au bénéfice de l’ensemble. Je trouve cet album vraiment remarquable. Congratulations. Duo PsicoGeografico Iskra Andrea Bini & Sergio Fedele. Setola di Maiale.
https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM5010
Un bien curieux duo de multi-instrumentistes improvisateurs qui alimentent 9 sequenze (pluriel de sequenza) d’improvisations contemporaines. Andrea Bini joue du piano, de la « flauto dolce basso » soit une flûte à bec basse, voix, « richiamo » soit un appel ou un cri, rombo ou grondement, percussions et gong. Sergio Fedele est crédité ecatorf, un instrument à vent de son invention avec anches coulisses, pavillons combinant plusieurs tuyaux et des éléments mobiles et d’une grande complexité au niveau de la construction. Une espèce de monstre avec lequel on obtient de curieux effets de souffles similaires à la clarinette contrebasse et au trombone. Il ajoute à ce curieux instrument hybride, le sax alto, la clarinette contra alto, la clarinette et l’ocarina bassa. Iskra signifie l’étincelle en Russe et servit de titre pour la revue marxiste de Lénine lors de son séjour en Grand Bretagne. Plus tard, Paul Rutherford intitula son trio avec Derek Bailey et Barry Guy, Iskra 1903, tandis qu’un groupe free suédois s’est baptisé Iskra. Ses 9 Sequenze s’intitulent Iskra 01, Iskra 02 , etc… jusqu’à Iskra 09 et les notes de pochette indiquent clairement les instruments utilisés. Parmi ces 9 pièces , Andrea Bini jouent du piano dans cinq d’entr’elles, la première nous faisant entendre les possibilités sonores et dynamiques de cet ecatorf mystérieux dans une approche avant garde contemporaine réussie Pour la deuxième pièce avec sax alto et piano, la musique se rapproche de l’univers du free-jazz. Au fil de chaque improvisation, le centre de gravité et l’approche musicale varie comme dans ce duo percussions et clarinette contra alto rêveuse. On y entend des frappes clairsemées sur un tambour et la résonance d’un gong face à un souffle retenu et note à note parsemé de silences dans une ambiance intime. Chacun de ces duos cultivent une ambiance particulière avec les moyens de chacun des instruments sollicités successivement d’un Iskra à l’autre. On y trouve l’étincelle de la sensibilité sans pour autant y mettre le feu aux poudres. On est plus ici dans la réflexion ou les appels d’oiseaux au sein d’une volière comme dans cet Iskra 04 et son dialogue ocarina basse et flûte à bec basse et quelques trouvailles sonores. Iskra 05 : retour à la démarche musique contemporaine entre la clarinette contralto et le piano dans le sillage de Iskra 01. J’en apprécie la résonnance des cordes « bloquées » du piano et le cheminement de la clarinette de graves discrets à la limite du souffle vers les égosillements des harmoniques aiguës Chaque pièce offre ainsi une nouvelle opportunité sensible et bien choisie et l’ecatorf en est bien la part de mystère (Iskra 06). Un album d’improvisation à part soigneusement préparé et simplement poétique. En fait, une belle réussite.
10 octobre 2025
Urs Leimgruber Duos with Bobby Burri, Fritz Hauser, Tizia Zimmermann, Christy Doran / Derek Bailey & Paul Motian / John Edwards Daniel Thompson.
AIR vol.3 Urs Leimgruber Duos with Bobby Burri, Fritz Hauser, Tizia Zimmermann, Christy Doran. Creative Works CD CW 1079.
https://creativeworksrecords.jimdoweb.com/
Troisième mouture des duos du saxophoniste Urs Leimgruber au saxophone soprano publiée par Creative Works en compagnie de ses camarades du groupe OM, le bassiste Bobby Burri et du guitariste électrique Christy Doran, du percussionniste Fritz Hauser, lui aussi un vieux compagnon et d’une nouvelle venue dans l’univers d’Urs, l’accordéoniste Tizia Zimmermann. Pour rappel les coffrets AIR VOL.1 comportait des duos avec Gerry Hemingway, Hans Peter Pfamatter, Jacques Demierre et le VOL.2 des duos avec Joëlle Léandre, Magda Mayas et Dorothea Schürch. Ce volume 3 est tout aussi méritant que les précédents, le saxophoniste ne se privant pas d’explorer les infinies ressources sonores du saxophone soprano tant au bord du silence qu’aux extrémités des hyper-aigus des harmoniques extrêmes de l’instrument qu’il manie avec autant de contrôle que de dérive aléatoire. On aimera les belles tentatives de dialogues tangentiels avec la contrebasse trafiquée d’effets de Bobby Burri et les contorsions électroniques subtiles de Christy Doran. Dans ces échanges le souffleur fascine par sa poésie sonore zen et ses effets acoustiques avec la colonne d’air, doigtés fourchus, pincements forcenés de l’anche et ce souffle si singulier à la recherche des imperfections transformées en art – sculpture vivante et palpitante de l’air et du son. Le duo avec le percussionniste Fritz Hauser est une excellente confrontation entre le jeu sur les pulsations et les battements rythmiques et les extrêmes du souffle au sax soprano. Pour les deux artistes, il s’agit de créer une interaction oblique entre deux conceptions différentes qui aboutit à la fusion dans une démarche bruitiste (en #4) où le frottement des peaux avec une mailloche en caoutchouc évoque la vocalité du saxophone soprano. La matière sonore est devenue ténue, vibratile, hiératique et supérieurement épurée et stridente. Dans d’autres plages, les frappes coordonnées du batteur autour de pulsations croisées génèrent des réactions éclatées, déchirantes mais retenues du saxophoniste ou des interventions rêveuses au lyrisme secret. Une belle découverte que la présence de Tizia Zimmermann dans ces Duos, secouant son instrument de souffles à touches qu’est l’accordéon en contorsionnant les sonorités, clusters, bruissements face aux giclées et cris perçants de Leimgruber. L’excellence des Duos, leur spontanéité, la sincérité et la simplicité de la démarche, l’intense recherche de formes imprévisibles et de sons inouïs font de ce troisième volume et des deux précédents, une écoute recommandée pour méditer et goûter la profondeur humaine et esthétique des improvisations en duo d'Urs Leimgruber et ses fidèles amis.
Duo in Concert Derek Bailey Paul Motian Frozen Reeds fr24v
https://frozenreeds.bandcamp.com/album/duo-in-concert
Publié en 2023. J’aurais aimé chroniquer ce Duo In Concert plus tôt. Encore eut-il fallu mettre la main sur ce vinyle plus tôt. Enregistré au Jazz Marathon de Groningen le 7 décembre 1990, ce concert réparti sur les deux faces du vinyle est tout à fait remarquable 35:28 qui court aussi sur la face B suivie d’un encore de 9’. Un autre concert à NYC en 1991 est proposé en digital sur le site de Frozen Reeds et j’ai bien trouvé le code pour le téléchargement dans la pochette. C’est vers cette époque que Derek Bailey a commencé à être invité avec des improvisateurs jazz et des batteurs comme Jack De Johnette, Tony Williams (projets Arcana avec Bill Laswell), le guitariste Pat Metheny ou le saxophoniste Lee Konitz. Sur la pochette du LP, on peut lire un commentaire du guitariste Bill Frisell qui, lui a longtemps joué avec Motian, mais aussi avec John Zorn et George Lewis, des collaborateurs fréquents de Derek Bailey. À l’intérieur de la pochette, on trouve un feuille insérée qui contient une conversation des guitaristes Henry Kaiser et Bill Frisell, à nouveau. Ceux-ci soulignent que Paul Motian était alors très concentré sur son groupe (le trio avec Bill Frisell et Joe Lovano, parfois augmenté d’autres artistes) et n’était pas intéressé de jouer en « sideman » ou de rencontrer d’autres artistes. Mais il fut alors très content à l’idée de jouer avec Derek Bailey. Il faut dire que même si Derek Bailey a un tout autre univers musical, ses nombreuses collaborations avec des « grands » du jazz contemporain tels qu’ Anthony Braxton, Steve Lacy, David Holland, George Lewis, Kenny Wheeler, leurs commentaires enthousiastes et son évidente inventivité virtuose ont du éveiller l’intérêt de nombreux musiciens d’envergure. Ce duo est en tout point excellent et excellemment joué et entendre un drumming aussi swinguant que subtilement et délicatement polyrythmique face au style particulier de Derek Bailey est tout à fait réjouissant. Dans le jeu et les sonorités de Paul Motian, on ressent clairement les rudiments et l’élégance issues de la pratique des pères de la batterie jazz comme Papa Jo Jones et Kenny Clarke. Le jeu de guitare de Derek est étincelant, zig-zagant et tournoyant obliquement dans les infinis dédales dodécaphoniques ou sériels et ces intervalles extravagants où pointent ces harmoniques brefs ou lancinants d’une justesse absolue. Dans la poursuite du concert, après avoir chacun développé longuement leurs idées et réagit à celles de l’autre, on entend le drumming libre, mais contenu, de Motian dilater, décaler et se métamorphoser en implosions des pulsations vers une polyrythmie plus anarchique et réjouissante. Le guitariste facétieux se met alors à cisailler les cordes suramplifiées en augmentant le volume avec un effet légèrement « destroy », avec un certaine goguenardise. J’apprécie beaucoup cet album et je pense que les enregistrements de Bailey des années de la deuxième partie des seventies, des années 80 et début 90 donnent un excellent éclairage de son travail. On a l’embarras du choix avec le guitariste : il y a beaucoup d’excellents albums en solo, duo ou trio, et si un acheteur doit se limiter à quelques disques pris au hasard de leur disponibilité, il sera rarement déçu et très très souvent enthousiaste.
C’est le cas de ce Duo In Concert, même si je préférais un album complet en duo avec les percussionnistes Paul Lovens, Paul Lytton et Roger Turner avec qui Derek Bailey n’a jamais enregistré d’album, même s’il y a un court morceau avec Lovens sur Idyllen Und Katastrophen (LP Po Torch) et un album digital récent Im Podewil par Lovens – Bailey – Jon Rose datant de la même période. Je plonge maintenant sur leur concert de NYC 1991 publié en digital et qui s'avère tout aussi excellent, mais avec une qualité d'enregistrement nettement moins réussie, malheureusement.
P.S. Comme me l'a fait remarquer verbalement mon défunt ami et guitariste John Russell (celui-ci a été un élève "technique" de D.B. au début des années 70), le jeu multiforme de Derek Bailey est, entre autres, basé sur les positions de la main gauche des accords de guitare jazz évolués (be-bop, George Van Eps, etc...) et les harmonies développées par Bill Evans, qu'il modifie et altère par de subtils déplacements de doigts pour atteindre des constructions harmoniques dodécaphoniques. Simultanément, il ajoute des changements de volume grâce à deux, puis une, pédale(s) de volume, des harmoniques,des pressions des cordes derrière le chevalet. On ajoute à cela une rythmique d'une précision diabolique et un maniement d'expert de plectres qu'il fabriquait lui-même avec de la résine. Mon ami Daniel Thompson qui a repris cette technique de fabrication de plectres et quelques items de D.B. pourrait expliquer ceci avec précision.
John Edwards & Daniel Thompson Where the Butterflies Go. Earshots EAR027
https://earshots.bandcamp.com/album/where-the-butterflies-go
On a entendu ces deux musiciens, le contrebassiste John Edwards et le guitariste Daniel Thompson, dans le Runcible Quintet avec le saxophoniste Adrian Northover, le flûtiste Neil Metcalfe et le percussionniste Marcello Magliocchi dans une succession de compacts aussi volatiles et métamorphiques les uns que les autres. Les retrouver en duo est une belle surprise pour voir jusqu’où les papillons vont ou s'envolent. Daniel Thompson a évolué dans le sillage de son ami John Russell, lui-même compagnon d’Edwards et Evan Parker dans un excellent trio acoustique. En effet, Daniel Thompson ne joue de la guitare qu’acoustique sans amplification ni effet. Tout est dans les doigts et les plectres : il utilise des plectres de feu Derek Bailey, mais il développe une autre approche, pointilliste, arachnéenne, grouillante, des boucles de notes obstinées ou des griffures métalliques. Derek avait un style très typé et aisément reconnaissable, un système atonal et mélodique très personnel même s’il était aussi un explorateur de sonorités en diable. L’univers de Daniel Thompson est plus instantané, polymorphe, basé sur l’imagination et l’imaginaire et pas toujours reconnaissable d’un enregistrement à l’autre. Son collègue est sans doute le contrebassiste de prédilection d’un grand nombre d’improvisateurs d’envergure et de poids lourds du free-jazz. Mais John Edwards aime aussi à naviguer et s’égarer dans les méandres et eaux troubles de l’improvisation totale. On retiendra de lui une énergie phénoménale à faire vibrer la contrebasse, sa carcasse boisée, les cordes sur la touche, et actionner l’archet sur toutes les directions possibles. Ses pizzicatos sont puissants, charnels, vibratiles, résonnants, sourds ou bruissants. Les deux ensemble en duo devient un parfait régal, une foire, une dérive poétique, un idéal de musique improvisée sans souffleurs criants, sans batterie crépitantes, sans amplis saturés, mais une intrigante histoire de cordes coordonnées dans l’anarchie et un lâcher prise sans retour. On n’a pas fini de découvrir indéfiniment une combinatoire exponentielle d’éléments sonores, bruitistes, fragmentaires, de chassés-croisés courses-poursuites sans résolution finale. Ou simplement un sens de la respiration de notes vibrantes égrenées en toute quiétude et s'enchaînant remarquablement avec un sixième sens, celui des formes musicales évidentes (en 3). Quatre Pièces pour chaque saison : For Summer, For Autumn, For Winter, For Spring. Earshots Recordings (le tromboniste Edward Lucas) vient d’ajouter une page remarquable à son catalogue.
https://creativeworksrecords.jimdoweb.com/
Troisième mouture des duos du saxophoniste Urs Leimgruber au saxophone soprano publiée par Creative Works en compagnie de ses camarades du groupe OM, le bassiste Bobby Burri et du guitariste électrique Christy Doran, du percussionniste Fritz Hauser, lui aussi un vieux compagnon et d’une nouvelle venue dans l’univers d’Urs, l’accordéoniste Tizia Zimmermann. Pour rappel les coffrets AIR VOL.1 comportait des duos avec Gerry Hemingway, Hans Peter Pfamatter, Jacques Demierre et le VOL.2 des duos avec Joëlle Léandre, Magda Mayas et Dorothea Schürch. Ce volume 3 est tout aussi méritant que les précédents, le saxophoniste ne se privant pas d’explorer les infinies ressources sonores du saxophone soprano tant au bord du silence qu’aux extrémités des hyper-aigus des harmoniques extrêmes de l’instrument qu’il manie avec autant de contrôle que de dérive aléatoire. On aimera les belles tentatives de dialogues tangentiels avec la contrebasse trafiquée d’effets de Bobby Burri et les contorsions électroniques subtiles de Christy Doran. Dans ces échanges le souffleur fascine par sa poésie sonore zen et ses effets acoustiques avec la colonne d’air, doigtés fourchus, pincements forcenés de l’anche et ce souffle si singulier à la recherche des imperfections transformées en art – sculpture vivante et palpitante de l’air et du son. Le duo avec le percussionniste Fritz Hauser est une excellente confrontation entre le jeu sur les pulsations et les battements rythmiques et les extrêmes du souffle au sax soprano. Pour les deux artistes, il s’agit de créer une interaction oblique entre deux conceptions différentes qui aboutit à la fusion dans une démarche bruitiste (en #4) où le frottement des peaux avec une mailloche en caoutchouc évoque la vocalité du saxophone soprano. La matière sonore est devenue ténue, vibratile, hiératique et supérieurement épurée et stridente. Dans d’autres plages, les frappes coordonnées du batteur autour de pulsations croisées génèrent des réactions éclatées, déchirantes mais retenues du saxophoniste ou des interventions rêveuses au lyrisme secret. Une belle découverte que la présence de Tizia Zimmermann dans ces Duos, secouant son instrument de souffles à touches qu’est l’accordéon en contorsionnant les sonorités, clusters, bruissements face aux giclées et cris perçants de Leimgruber. L’excellence des Duos, leur spontanéité, la sincérité et la simplicité de la démarche, l’intense recherche de formes imprévisibles et de sons inouïs font de ce troisième volume et des deux précédents, une écoute recommandée pour méditer et goûter la profondeur humaine et esthétique des improvisations en duo d'Urs Leimgruber et ses fidèles amis.
Duo in Concert Derek Bailey Paul Motian Frozen Reeds fr24v
https://frozenreeds.bandcamp.com/album/duo-in-concert
Publié en 2023. J’aurais aimé chroniquer ce Duo In Concert plus tôt. Encore eut-il fallu mettre la main sur ce vinyle plus tôt. Enregistré au Jazz Marathon de Groningen le 7 décembre 1990, ce concert réparti sur les deux faces du vinyle est tout à fait remarquable 35:28 qui court aussi sur la face B suivie d’un encore de 9’. Un autre concert à NYC en 1991 est proposé en digital sur le site de Frozen Reeds et j’ai bien trouvé le code pour le téléchargement dans la pochette. C’est vers cette époque que Derek Bailey a commencé à être invité avec des improvisateurs jazz et des batteurs comme Jack De Johnette, Tony Williams (projets Arcana avec Bill Laswell), le guitariste Pat Metheny ou le saxophoniste Lee Konitz. Sur la pochette du LP, on peut lire un commentaire du guitariste Bill Frisell qui, lui a longtemps joué avec Motian, mais aussi avec John Zorn et George Lewis, des collaborateurs fréquents de Derek Bailey. À l’intérieur de la pochette, on trouve un feuille insérée qui contient une conversation des guitaristes Henry Kaiser et Bill Frisell, à nouveau. Ceux-ci soulignent que Paul Motian était alors très concentré sur son groupe (le trio avec Bill Frisell et Joe Lovano, parfois augmenté d’autres artistes) et n’était pas intéressé de jouer en « sideman » ou de rencontrer d’autres artistes. Mais il fut alors très content à l’idée de jouer avec Derek Bailey. Il faut dire que même si Derek Bailey a un tout autre univers musical, ses nombreuses collaborations avec des « grands » du jazz contemporain tels qu’ Anthony Braxton, Steve Lacy, David Holland, George Lewis, Kenny Wheeler, leurs commentaires enthousiastes et son évidente inventivité virtuose ont du éveiller l’intérêt de nombreux musiciens d’envergure. Ce duo est en tout point excellent et excellemment joué et entendre un drumming aussi swinguant que subtilement et délicatement polyrythmique face au style particulier de Derek Bailey est tout à fait réjouissant. Dans le jeu et les sonorités de Paul Motian, on ressent clairement les rudiments et l’élégance issues de la pratique des pères de la batterie jazz comme Papa Jo Jones et Kenny Clarke. Le jeu de guitare de Derek est étincelant, zig-zagant et tournoyant obliquement dans les infinis dédales dodécaphoniques ou sériels et ces intervalles extravagants où pointent ces harmoniques brefs ou lancinants d’une justesse absolue. Dans la poursuite du concert, après avoir chacun développé longuement leurs idées et réagit à celles de l’autre, on entend le drumming libre, mais contenu, de Motian dilater, décaler et se métamorphoser en implosions des pulsations vers une polyrythmie plus anarchique et réjouissante. Le guitariste facétieux se met alors à cisailler les cordes suramplifiées en augmentant le volume avec un effet légèrement « destroy », avec un certaine goguenardise. J’apprécie beaucoup cet album et je pense que les enregistrements de Bailey des années de la deuxième partie des seventies, des années 80 et début 90 donnent un excellent éclairage de son travail. On a l’embarras du choix avec le guitariste : il y a beaucoup d’excellents albums en solo, duo ou trio, et si un acheteur doit se limiter à quelques disques pris au hasard de leur disponibilité, il sera rarement déçu et très très souvent enthousiaste.
C’est le cas de ce Duo In Concert, même si je préférais un album complet en duo avec les percussionnistes Paul Lovens, Paul Lytton et Roger Turner avec qui Derek Bailey n’a jamais enregistré d’album, même s’il y a un court morceau avec Lovens sur Idyllen Und Katastrophen (LP Po Torch) et un album digital récent Im Podewil par Lovens – Bailey – Jon Rose datant de la même période. Je plonge maintenant sur leur concert de NYC 1991 publié en digital et qui s'avère tout aussi excellent, mais avec une qualité d'enregistrement nettement moins réussie, malheureusement.
P.S. Comme me l'a fait remarquer verbalement mon défunt ami et guitariste John Russell (celui-ci a été un élève "technique" de D.B. au début des années 70), le jeu multiforme de Derek Bailey est, entre autres, basé sur les positions de la main gauche des accords de guitare jazz évolués (be-bop, George Van Eps, etc...) et les harmonies développées par Bill Evans, qu'il modifie et altère par de subtils déplacements de doigts pour atteindre des constructions harmoniques dodécaphoniques. Simultanément, il ajoute des changements de volume grâce à deux, puis une, pédale(s) de volume, des harmoniques,des pressions des cordes derrière le chevalet. On ajoute à cela une rythmique d'une précision diabolique et un maniement d'expert de plectres qu'il fabriquait lui-même avec de la résine. Mon ami Daniel Thompson qui a repris cette technique de fabrication de plectres et quelques items de D.B. pourrait expliquer ceci avec précision.
John Edwards & Daniel Thompson Where the Butterflies Go. Earshots EAR027
https://earshots.bandcamp.com/album/where-the-butterflies-go
On a entendu ces deux musiciens, le contrebassiste John Edwards et le guitariste Daniel Thompson, dans le Runcible Quintet avec le saxophoniste Adrian Northover, le flûtiste Neil Metcalfe et le percussionniste Marcello Magliocchi dans une succession de compacts aussi volatiles et métamorphiques les uns que les autres. Les retrouver en duo est une belle surprise pour voir jusqu’où les papillons vont ou s'envolent. Daniel Thompson a évolué dans le sillage de son ami John Russell, lui-même compagnon d’Edwards et Evan Parker dans un excellent trio acoustique. En effet, Daniel Thompson ne joue de la guitare qu’acoustique sans amplification ni effet. Tout est dans les doigts et les plectres : il utilise des plectres de feu Derek Bailey, mais il développe une autre approche, pointilliste, arachnéenne, grouillante, des boucles de notes obstinées ou des griffures métalliques. Derek avait un style très typé et aisément reconnaissable, un système atonal et mélodique très personnel même s’il était aussi un explorateur de sonorités en diable. L’univers de Daniel Thompson est plus instantané, polymorphe, basé sur l’imagination et l’imaginaire et pas toujours reconnaissable d’un enregistrement à l’autre. Son collègue est sans doute le contrebassiste de prédilection d’un grand nombre d’improvisateurs d’envergure et de poids lourds du free-jazz. Mais John Edwards aime aussi à naviguer et s’égarer dans les méandres et eaux troubles de l’improvisation totale. On retiendra de lui une énergie phénoménale à faire vibrer la contrebasse, sa carcasse boisée, les cordes sur la touche, et actionner l’archet sur toutes les directions possibles. Ses pizzicatos sont puissants, charnels, vibratiles, résonnants, sourds ou bruissants. Les deux ensemble en duo devient un parfait régal, une foire, une dérive poétique, un idéal de musique improvisée sans souffleurs criants, sans batterie crépitantes, sans amplis saturés, mais une intrigante histoire de cordes coordonnées dans l’anarchie et un lâcher prise sans retour. On n’a pas fini de découvrir indéfiniment une combinatoire exponentielle d’éléments sonores, bruitistes, fragmentaires, de chassés-croisés courses-poursuites sans résolution finale. Ou simplement un sens de la respiration de notes vibrantes égrenées en toute quiétude et s'enchaînant remarquablement avec un sixième sens, celui des formes musicales évidentes (en 3). Quatre Pièces pour chaque saison : For Summer, For Autumn, For Winter, For Spring. Earshots Recordings (le tromboniste Edward Lucas) vient d’ajouter une page remarquable à son catalogue.
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