Misha Mengelberg Ghent Solo 1993 ICP digital
https://icporchestra.bandcamp.com/album/misha-mengelberg-ghent-solo-1993
Enregistré le 23 Novembre 1993 à Gand et retrouvé dans les archives personnelles de Misha Mengelberg après sa mort, ce concert en solo est une belle aubaine. Même un beau miracle. Je m’étais consolé de son départ avec le superbe Untrammelled Traveller en duo avec le batteur Sabu Toyozumi (Chap- Chap Records). Sabu Toyozumi qui est un personnage hors du commun, considère Misha comme étant son gourou n°1 en musique improvisée ! Mais voici une somme de tout qui rendait le jeu et les improvisations de Misha Mengelberg, un artiste unique et extrêmement attachant. Misha est un poseur de questions, un artiste qui pousse à nous faire réfléchir. Sa musique un peu folle se nourrit des singularités des grands pianistes de jazz comme Thelonious Monk, Herbie Nichols, Ran Blake, et Cecil Taylor jeune, des compositeurs tels Schönberg ou Webern, voire même John Cage, et des pianistes de cinéma muet ou de cirque. Il y dans sa musique une dose de dadaïsme Fluxus (mouvement dont il fit partie), l’air libre des musiques populaires, la plus grande simplicité et une absence de prétention. Au travers de développements de motifs dodécaphoniques et d’enchaînements non sensiques, peut surgir des allusions / fragments de Monk à la Monk (on s’y croirait). Ou la joie ludique enfantine d’une ou deux notes simplistes enfoncées et réitérées avec force en contraste avec un fragment de mélodie qui se déglingue ou s’enroule sur lui-même. Farfelu et magique. Son premier album solo Pech Onder Weg (1979) est un catalogue saugrenu de trouvailles, un herbier excentrique. Ghent Solo 1993 est une véritable tranche de vie qui sert autant à être écoutée qu’à vous faire réfléchir sur la valeur du contenu de la musique, sa finalité. Une forme d’humour, un sens du sarcasme d’accordeur et une véritable bonhommie. Et non pas une marchandise culturelle savante et éduquée …Son sens mélodique est très sûr, comme ceux de Paul Bley ou Ran Blake, Mal Waldron ou Thelonious Monk, on le reconnaît immédiatement. Adorable.
Jusqu’au soleil , l’improbable CIEL : Carine Bonnefoy Jean- Marc Chouvel Pascal Marzan Roula Safar Hortus 239
https://www.editionshortus.com/catalogue_fiche.php?prod_id=313
CIEL pour Collectif d’Improvisation Expérimental Libre. L’idée et la pratique de l’improvisation libre (expérimentale) a été mise à toutes les sources et à toutes les sauces au fil des décennies. Et cette pratique s’est étendue à un nombre exponentiel de musiciens de toute origine, obédience, venus des horizons du classique contemporain, académique ou alternatif, du jazz, du rock, des arts graphiques, de la danse, du théâtre et... autodidactes et cette multipolarité en fait tout l’intérêt. La pianiste Carine Bonnefoy a réuni le clarinettiste Jean-Marc Chouvel, la chanteuse lyrique mezzo-soprano Roula Safar et le guitariste Pascal Marzan avec sa guitare à dix cordes accordée au sixième de ton. Quel qu’en soit le « résultat musical », le fait de vouloir créer ou essayer à faire de la musique en improvisant est une expérience ou un mode de vie ou une nécessité ou simplement un essai etc… Et quelques soient les intentions personnelles ou le but ultime pour élaborer des formes, des sonorités, ... chacun s’autorise son parcours personnel, intime, rêvé en toute indépendance d’esprit ou suivant des formules, des idées etc… Il reste la liberté de l’auditeur. On découvre ici une musique raffinée, des dialogues précieux : la pianiste et le clarinettiste dans Corail. Des interventions du troisième type : la guitare en sixième de ton déguisée en harpe céleste dans Pourquoi ?. Le concours percussif de la chanteuse et la vocalisation de la clarinette – glissandi originaux - (Pourquoi ?). Il y aussi la capacité à faire cheminer une improvisation dans différents niveaux d’échanges, d’affects… minutieusement et spontanément, de nouveaux apports de plus en plus audacieux, ainsi qu'à doser ces trouvailles au fil des huit improvisations de manière évolutive. Chaque morceau acquiert une identité propre qui le distingue du précédent. Remarquable ! Petit à petit, la voix de Roula Safar se libère, improvise, la clarinette de Jean-Marc Chouvel s’envole, lumineuse ou atterrit, sombre. Les doigtés main gauche main droite de Pascal Marzan s’insèrent adroitement au milieu des échanges. De belles cadences cristallines sous les doigts de Carine Bonnefoy entraînent la féerie de la voix et du souffle (Cornet). Le souffle de JM Chouvel devient audacieusement microtonal : « jusqu’au soleil ». Et on appréciera le chant « naturel » de Roula Safar dans ses improvisations. Pour qui vient du classique stricto sensu, il y a bien une appétit d’aventures hors des sentiers battus. Moi, personnellement, j’en ressens la poésie, l’émotion non feinte, les nuances, un idéal de respect, d’écoute mutuelle, d’exigence esthétique, un feeling radieux. La musique de CIEL d’excellente facture s’écoute avec plaisir et convient très bien pour convaincre un auditeur classique « pur et dur » que la musique improvisée libre est une option possible, même souhaitable.
DUO Jean-Jacques Avenel & Daunik Lazro Bibliothèque de Massy 13 novembre 1980 . FOU Records FR-CD 68
https://www.fourecords.com/FR-CD68.htm
Encore un témoignage enregistré qui nous vient d’une époque pas tout à fait révolue. Daunik Lazro est à mon avis, au sax alto, le souffleur « free » central en France, je veux dire au cœur de l’extrême. Sans concession par rapport aux conventions en vigueur au sein du jazz ou du classique ou des variétés. Son camarade Jean-Jacques Avenel y contribue avec le plus grand bonheur. La musique de la liberté avec quelques formules de départ que les deux artistes tourneboulent, griffent, excèdent, éclatent. On se souvient du vocable qui fit florès dans l’univers du « free » hexagonal : le folklore imaginaire. En voici un exemple vivant, vivifiant, expressif, sauvage. Le souffleur assène des boucles qu’il accentue énergiquement, des fragments d’éructations dolphystes qu’il combine adroitement en en modulant sauvagement la métrique. Et par surprise pulvérise leur articulations à coups de langue sur l’anche, vocalisations (on pense à la ghïta d’Afrique du nord) et multiphoniques. L’archet du contrebassiste virevolte, se fait sourd et sombre, lyrique ou irisé transitant par différents états émotionnels et ondulations sonores. Une comptine aussi (Cordered), dédiée à Lacy et Braxton. Un thème vraiment intéressant (intervalles, construction mélodique, accents rythmiques) digne des grands free-jazzmen (Roscoe, Byard Lancaster) et variations free enflammées. Ce disque est une merveille car il nous confie l’enregistrement le plus clair du phénomène Lazro et le rapport intense qu’il entretenait alors avec son ami Jean-Jacques Avenel. Celui-ci se surpasse et démontre une grande qualité à échafauder tous les plans possibles pour bonifier la musique avec les ressources de son jeu multiforme. Du grand art ! Celui de la giration infinie sans tourner en rond. La qualité de l’enregistrement , les nuances de leur musique en vivant surpasse aisément celles confiées au sillon dans l’album solo et duo de D.L. avec JJA publié par Hat Hut sous le titre The Entrance Gates at Tshee Park. DUO est une pièce essentielle du « free » en France. On n’est jamais mieux servi que par soi-même et Jean-Marc Foussat, le preneur de son providentiel. Grâce lui soit rendu à J-MF ! Notez quand même que si ce disque est très fidèle à la musique du duo avec toutes ses nuances, on trouve ici un jeu calibré mais intense, sans doute en relation avec le lieu et son espace, et l’attention du public. Dans d’autres circonstances, Lazro pouvait se révéler plus déchaîné, expressionniste, flamboyant à l’extrême (cfr le CD ECSTATIC JAZZ du trio Lazro Avenel et Siegfried Kessler/ FOU Records FR-CD55 : plus que ça tu meurs !!). Ici il se concentre sur le contenu musical en variant les effets à l’envi et en les métamorphosant avec une belle énergie sans devenir redondant. En cela, il est vraiment choyé par son camarade, le contrebassiste Jean-Jacques Avenel, devenu plus tard un des piliers de l’équipe Steve Lacy, c’est dire. JJA est inspiré et inspirant, renouvellant les formes, les élans, les angles de fuite, plein d'énergie. Ces artistes sont avant tout sincères et authentiques, ils jouent dans l’instant afin de construire la plus belle musique possible sans chercher à impressionner le public, seulement à lui parler au cœur.
WOLF SILENT - fragments for a chamber opera Objet-a digital
DAVIDE BARBARINO pedal steel & baritone guitar, piano-midi & electronic instruments, drum programming, field recordings, JEAN-BRICE GODET bass clarinet & GERALDINE ROS voice
https://objet-a.bandcamp.com/album/wolf-silent-fragments-for-a-chamber-opera
Il y a sans doute un opéra imaginaire fictif duquel on aurait extrait les parties du livret que chante Géraldine Ros, mises en musique par Davide Barbarino avec les différents instruments mentionnés plus haut et la granuleuse clarinette basse de Jean-Brice Godet. Pas moins de huit fragments constituent une œuvre mystérieuse et enchanteresse qui gravite entre plusieurs pôles esthétiques avec une grâce séduisante (musique contemporaine, souffle issu du jazz contemporain, Webern, vocalité classique vingtiémiste, ambient, électronique, etc…). Inclassable. Chacun des acteurs musiciens évoluent en contraste dans leur idiome stylistique respectif. Les parties instrumentales jouées Davide Barbarino au piano-midi en sont l’ossature harmonique, parsemées des sonorités en suspension émanant de son électronique qui meuvent dans l’espace comme des rideaux de lumière ou des écrans d’ombre, alors que défile le long ruban sinueux en clair-obscur de la clarinette basse suave de Jean-Brice Godet dont le grain s’effrite. Mais un dialogue interactif agité entre clavier et clarinette peut très bien survenir (Caustico Lunare) jouxtant l’univers du free jazz ainsi que s’insèrent des bruissements électroniques frictionnels. La soprano Géraldine Ros est absolument remarquable, perfection du chant, de la diction avec cette emphase expressive caractéristique de la musique classique contemporaine hautement exigeante. Mais sa voix peut évoluer dans l’idiome plus populaire de la voix « naturelle » comme on peut l’entendre dans Serai Eimi Has No Fear. Cette artiste vocale, professeure de chant et compositrice s’est révélée dans de multiples créations, œuvres et concerts dont on goûte ici tout le fruit de l’expérience (cfr https://www.harmoniques.fr/geraldine-ros/). Cet enregistrement aussi délicieux que requérant est publié sur la plate-forme bandcamp Objet A du saxophoniste et compositeur Gianni Gebbia lui-même un artiste tout aussi inclassable. Une belle découverte décrite avec une belle précision par les artistes eux-mêmes, ci-dessous.
« Wolf Silent is an improvised chamber opera realised in interchangeable fragments and patterns that are never definitive. This characteristic allows the work to be renewed with each performance, escaping from a demonstrative practice and allowing each performer to become an agent of an active and personal transformation. The music provides for the maintenance of the different musical areas to which the instruments used usually belong, aiming at preserving the contrasts created by them rather than smoothing them out: a pedal steel guitar, a bass clarinet and lyrical singing form the basic triangulation, the field within which the compositions unravel. Further drift comes from the use of filters and real-time modulations for electronic sound experimentation. The lyrics, treated as a magic formulary, are composed with the technique of a continuous, never-ending cut-up poem. They develop and evoke a peculiar poetic journey with references and resonances as much with the world of Nature as with the most enigmatic and mysterious metaphysical drifts. One can find traces of poets such as Novalis, Wallace Stevens, Rilke, Hermann Hesse, T. S. Eliot, Emily Dickinson, E.E. Cummings, Dylan Thomas, Seamus Heaney, Henri Michaux among the others, sublimated by the lyrical voice or deconstructed in a sort of declamatory de-lyrism. In this fragmentation and fermentation of themes, both musical and lyrical, the work, disseminating and recomposing itself, realises its becoming-minor, in an attempt to evoke differently in each listen a peculiar direction."
Consacré aux musiques improvisées (libre, radicale,totale, free-jazz), aux productions d'enregistrements indépendants, aux idées et idéaux qui s'inscrivent dans la pratique vivante de ces musiques à l'écart des idéologies. Nouveautés et parutions datées pour souligner qu'il s'agit pour beaucoup du travail d'une vie. Orynx est le 1er album de voix solo de J-M Van Schouwburg. https://orynx.bandcamp.com
16 décembre 2024
Misha Mengelberg SOLO/ Carine Bonnefoy Jean-Marc Chouvel Pascal Marzan Roula Safar/ Jean-Jacques Avenel & Daunik Lazro/ Davide Barbarino Géraldine Ros Jean- Brice Godet
Free Improvising Singer and improvised music writer.
12 décembre 2024
Hans Schneider contrebassiste improvisateur R.I.P. (1951 – 2024)
Hans Schneider contrebassiste improvisateur R.I.P. (1951 – 2024)
Parmi les improvisateurs pionniers du free – jazz et des musiques improvisées qui ont contribué à l’explosion de la free – music en Allemagne de Cologne à Berlin, on compte deux contrebassistes incontournables : Peter Kowald et Buschi Niebergall, compagnons de la première heure de Peter Brötzmann, Alex von Schlippenbach, Fred Van Hove, Manfred Schoof, Gerd Dudek, Sven Åke Johansson. La pratique de cette musique s’est développée dans de nombreuses villes régionales dans les régions du Rhin, de la Ruhr (Wuppertal) , Hesse, Hannover, Bremen Hamburg etc… jusque Berlin même où ces musiciens se sont fédérés au tour du Globe Unity Orchestra et l’organisation Free Music Production avec ses Total Music Meeting et Workshop Freie Musik. Ces événements se sont perpétués d’année en année de 1968 jusque dans les années 2000. Et il y a toujours le festival de Moers, fondé en 1974, avec l’aide du tromboniste Günter Christmann, lui-même organisateur à Hannover (Hohe Ufer Konzerte). Mais ceci n’est que le sommet de l’iceberg. Il y eut les orchestres de Gunther Hampel et l’alors très jeune Alfred Harth et Just Music qui fut sans doute le plus ancien groupe de « musique improvisée libre dès 1965-66 à Frankfurt am Main. Peter Kowald est devenu une figure culte et ces nombreux enregistrements et concerts en solo, avec Brötzmann, le Schlippenbach Quartet, Leo Smith, Gunther Sommer, Charles Gayle et plusieurs duos avec des contrebassistes comme Barre Phillips, Maarten Altena Barry Guy et Damon Smith. Ses albums en Duos Europe America Japan avec de nombreuses personnalités sont une solide référence.
Il y eut très vite une deuxième vague et parmi les contrebassistes, il y avait l’embarras du choix : Torsten Müller, Hans Schneider, Georg Wolf, Ulrich Philipp, Rainer Hammerschmidt et plus tard Alexander Frangenheim. Parmi tous les contrebassistes, Hans Schneider incarnait une voie diamétralement opposée à la voie « propre », claire, lisible, ronde, détachée venant du classique et du jazz. Et cette démarche est partagée par ces autres collègues, spécialement Torsten Müller et plus tard Alexander Frangenheim. De nombreux bassistes free aiment à déraper, jouer des harmoniques, des glissandi, frictionner les cordes avec une pression plus forte de l’archet ou les frapper col legno presqu’occasionnellement par diversion par rapport à un jeu « normal » bien rond, « lisible » dans la tradition du pizzicato du jazz. Hans Schneider jouait souvent sans ampli et cherchait uniquement la nature profonde ligneuse du bois, de la caisse de résonance et dévoiler l’âpreté des frottements âpres, physiques un jeu qui dévoilait la nature organique de la contrebasse et de l’archet et des matières mises en œuvre dans l’instrument. Il ne passait pas d’une technique « normale » aux techniques alternatives : il vivait sa musique par-delà cette limite sans arrière-pensée. Une vision bruissante, ligneuse, sauvage, grinçante sans concession pour la facilité digitale des pizzicati ou la grâce du coup d’archet stylé d’obédience classique. On aurait aimé avoir de lui un souvenir audio de sa contrebasse jouée en solo. J’avais conservé un catalogue du label Random Acoustics du pianiste Georg Gräwe et daté de 1993. Il y était indiqué que Hans Schneider avait un CD en préparation : Ventil RA 013. J’avais mentionné l’existence de cette référence via Facebook lorsqu’on annonça le décès d’Hans Schneider en novembre dernier. Le saxophoniste Stefan Keune, un de ses proches amis et collaborateurs en fut étonné ainsi que la trompettiste Birgit Ulher et après quelques recherches, Georg Gräwe a confirmé qu’il n’y aurait aucune trace de ce futur album jamais publié. A-t-il été enregistré ?
C’est d’ailleurs au sein du Georg Gräwe Quintet que le nom d’Hans Schneider est mentionné pour la première fois : les deux LP’s FMP New Movements & Pink Pong (1976 – 1978) qui contiennent une musique vraiment intéressante. À la batterie, Achim Krämer qui continuera à jouer avec Hans par la suite. Mais le choc provient du trio FUCHS – SCHNEIDER – HUBER : Momente LP FMP 0670 1979. https://destination-out.bandcamp.com/album/momente Le clarinettiste basse et saxophoniste sopranino prodige Wolfgang Fuchs est aussi impressionnant avec sa grosse clarinette (l’instrument d’Éric Dolphy) qu’avec son saxophone sopranino.
La musique est âpre, tendance "bruitiste" , vitriolique, ravageuse avec une PROJECTION DU SON miraculeuse et hallucinante. On entendra plus tard que le moindre des effets sonores inédits, brefs et discrets glissandi claquent dans l’espace sonore. Wolfgang explore la colonne d’air, les secrets cachés du bec et de l’anche dans le sillage du jeu révolutionnaire d’Evan Parker, lui-même à la base des élucubrations des John Butcher, Urs Leimgruber, Michel Doneda ou Stefan Keune. Aussi expressionniste qu’introspectif. La démarche ardue d’Hans Schneider est le complément idéal d’un tel phénomène tant il sculpte, lézarde, craque, exaspère les résonances et vibrations ligneuses de sa contrebasse appréhendée sur sa face sombre, occulte, magique. L’archet arrachant les tréfonds de cellulose « lignans » de son grand violon est conçu comme le vecteur du bruissement, équivalent sonore de l’abstraction picturale « matiériste », délivrant les textures inouïes enfouies par des siècles de pratiques baroque et romantique. Un philosophe extrémiste du son. Hans n’essaie pas d’esbaudir l’auditeur par des figures fulgurantes. Il nourrit et inspire la recherche de son collègue en approfondissant des interférences infinies. Le troisième membre du trio, le batteur Klaus Huber carbure allègrement en faisant chavirer et éclater la polyrythmie pour faire osciller le souffleur sur orbite. On trouve là la folie Brötzmannnienne et l’atomisation explosive de la colonne d’air EvanParkerienne conçue et extériorisée de manière complètement originale avec un contrôle du son phénoménal. FMP organise alors un Berlin Jazz Workshop Orchestra sous la houlette de John Tchicaï réunissant les « jeunes » talents : Who is Who ? SAJ-24. Parmi les nombreux participants, sont réunis les pianistes Bernhardt Arndt et Georg Gräwe, Wolfgang Fuchs, Hans Schneider, Andreas Boje, Thomas Wiedermann, Friedmann Graef, Harald Dau…. Un album intéressant qui témoigne de la vivacité et du niveau de qualité de la pratique du free-jazz en Allemagne en 1979.
Quelques années se passent et la pratique sonore d’Hans et de ses proches collègues évoluent. Les Germaniques ont dans leurs rangs un personnage extraordinaire, un découvreur de sons radical et percussionniste délirant qui a construit la batterie de percussions la plus étonnante de l’époque : Paul Lytton. Celui-ci habite à la frontière belge non loin d’Aix la Chapelle où vit le batteur Paul Lovens. Les deux amis jouent dans un duo légendaire et sont les deux collaborateurs les plus proches d’Evan Parker avec qui Lytton joue en duo et d’autres improvisateurs radicaux comme Günter Christmann, Paul Rutherford, Maarten Altena, Radu Malfatti. Ils produisent leurs vinyles d’improvisation radicale sur leur label Po Torch. Le duo Lovens - Lytton est un modèle d’intrication sonore où il est quasi impossible de distinguer qui joue quoi (le titre du 1er album = Was It Me ?) exemplifiant le son collectif « télépathique » plutôt que l’exploit individuel « soliste ». Peu après, le nouveau trio d’Evan Parker avec Barry Guy et le même Paul Lytton inaugure son parcours par l’album Tracks/ Incus où on entend encore les live electronics low-fi du batteur alors que l’interaction du trio est nettement lisible… pour chacun des instruments… et fascinante. On y entend distinctement le jeu exceptionnel de chaque instrumentiste mis en valeur dans le moindre détail et c’est époustouflant. Un peu plus tard à l’occasion d’une tournée américaine, Paul Lytton va adopter la batterie traditionnelle tout en conservant des accessoires lyttoniens disposés sur les fûts et qu’il déplace tout en jouant avec une aisance déconcertante.
Il faut dire que les live electronics – cordes de guitare et objets amplifiés et triturés de Lytton sont alors le summum du bruitisme au sein du « free-jazz ». Et c’est tout à fait la stratégie du nouveau groupe qui réunit Wolfgang Fuchs et Hans Schneider avec Paul Lytton et un guitariste nouveau venu : Erhard Hirt. X-PACT. Aussi Wolfgang Fuchs est à la base d’un nouveau label, Uhlklang, dédié à l’aventure sonore radicale des outsiders locaux. On y trouve un album solo d’Erhard Hirt, Zwischen Der Pause, B-A-D (Berliner Austauch Dienst) avec Fuchs , Schneider, le guitariste Frans De Byl, le batteur Knut Remond et le tromboniste Andreas Boje, une association de joyeux drilles : Echo. Mais aussi le premier album noise du duo Norbert Moslang et Andy Guhl : « Knack On ». Et le super album de free-music – improvisation radicale de X-PACT : Frogman’s View. https://destination-out.bandcamp.com/album/frogmans-view
C’est alors un document magistral de cette approche plus proche de la tendance AMM où les sons s’interpénètrent ou de la future EAI que celle du Spontaneous Music Ensemble. Au sein du SME, le jeu et les actions sonores de chacun se distinguent tout en étant interactives à la nano-seconde près (Cfr Face to Face Stevens - Watts / Emanem ou The Longest Night Parker - Stevens/ Ogun). Cette approche sert de modèle à toute une génération d’improvisateurs libres british et germaniques. Chez XPACT, on entend avant tout l’aspect électro – acoustique bruitiste de Lytton, avec son cadre métallique amplifié et ses manipulations d’objets hétéroclites qui sont étroitement mêlés aux frictions et sifflements sonores produits par la guitare d’Erhard Hirt, reliée à un réseau de pédales d’effets dont il entrecroise les outputs et les inputs au point qu'il est impossible de distinguer son jeu de guitare proprement dit et qui fait quoi dans le groupe. Le placide Hans Schneider tout aussi à l’écoute que les autres joue avec précision à l’archet à moitié enfoui dans ce pandémonium opaque où surnagent les canarderies subtiles de Fuchs à la clarinette basse. Quand celui-ci s’excite de plus en plus tout en restant dans la bonne dynamique, les trois autres demeurent impassibles formant un agrégat sonique sombre et industriel. Quand l’un s’agite, l’autre émet quelques sonorités bien à son aise. Parfois l’archet prends l’initiative cahin-caha une fois que l’intensité et le bruitage s’estompent. Ou, finalement Fuchs et Lytton interagissent quelques minutes en fin de la deuxième face : fragmentation éclatée du souffle vs éparpillement des frappes millimétrées sur toutes les surfaces (bois, peau, métal, plastique) sans pour autant augmenter le volume sonore, juste l’intensité. À quoi s’ajoute les shrapnels oscillants de la guitare électrique et les grondements de la contrebasse de Hans Schneider, qui lui garde son calme. Dans le chaos apparent, se dégage un véritable sens de la construction après leur enfouissement parmi des strates sonores brutes. Ce n’est peut-être pas le « meilleur » des albums au goût de certains, mais à l’époque postpunk, de Einsturzende Neubauten, du noise naissant et du Locus Solus de John Zorn, cet album atypique avait bien fière allure en 1984.
Mais, l’improvisation libre radicale initiée par les British et relayée par les Allemands s’étend à d’autres pays. On a entendu parler du violoniste portugais Carlos Zingaro, du percussionniste italien Andrea Centazzo, et d’un pianiste grec, Sakis Papadimitriou. Voilà que celui-ci joue avec un tubiste allemand, Pinguin Moshner, et Hans Schneider à Thessalonique. Finalement, un comparse de Papadimitriou, le clarinettiste Floros Floridis, réunit un quartet comprenant Hans Schneider, Pinguin Moshner et Paul Lytton pour un concert en octobre 83 au théâtre Adônis, deux mois avant l’enregistrement du disque d’ X-PACT. Un disque sera publié par le label grec j n d records sous le titre Adônis 21.10.1983 avec le nom de groupe L.S.F.M., soit 42 minutes ininterrompues sur deux faces. Au moment du concert, Lytton ignorait que Floros est un clarinettiste, alors qu’ici il ne joue que du saxophone. Cela le fait dans le cadre du "free-jazz". Dans cet album, toute la place est laissée à l’exploration sonore du tubiste qui investigue une série d’options alors que le saxophoniste triture et expectore des sonorités compressées, vocalisées, mordantes, sauvages allant jusqu’au bout des possibilités expressives free de l’anche, du bec et de la colonne d’air. Le batteur allonge de ci de là des bruitages. Le bassiste s’infiltre patiemment dans les interstices, fait vibrer les cordes dans la pénombre et attend son tour pour proposer une nouvelle idée alors que le souffleur s’écarte un moment. Jusqu’à ce que Lytton se déchaîne avec des frappes surmultipliées et disruptives plus tard dans la performance à laquelle se mêle le bassiste avec de petits coup d’archet. Le souffleur insiste avec des ostinati désespérés en soufflant de toutes ses forces dans son soprano. Le batteur joue autant des peaux que du cadre amplifié sans qu’on comprenne où il veut en venir. Les roulements commencent une fois le souffleur bien relancé et s’amplifient pour ensuite éclater alors que l’intensité du souffle décroit graduellement pour finir par des petits sons suraigus. Face 2 le tubiste et le sax étirent les sons, la contrebasse reste à l’ombre et imprime un mouvement lent imperturbablement adopté par le tubiste, le percussionniste laisse un espace considérable afin qu’on puisse entendre le dialogue de Hans et de Pinguin ? Il parsème des sons isolés ou secoue légèrement son attirail en arrière-plan, le souffleur étant tout en son affaire. Il donne ensuite dans le souffle continu de manière chatoyante en évoluant vers une autre étape. Comme Hans préfère jouer sans amplification, il ne passe pas bien dans les micros contrairement à Momente où son jeu polymorphe crève l’écran. Une première rencontre réussie hors des sentiers battus.
Mais les musiciens d’XPACT voient grand. Sous la houlette de Hirt et de Fuchs, un orchestre plus imposant est formé, rassemblant Fuchs, Hirt, Lytton et Schneider, le tromboniste Radu Malfatti, les trompettistes Guido Mazzon et Marc Charig, le saxophoniste Norbert Möslang, le violoniste Phil Wachsmann et le violoncelliste Alfred Zimmerlin. Le groupe fut invité au Workshop Freie Muziek les 22 et 23 décembre 1984 et l’enregistrement publié par Uhlklang : Music Is Music is… en l’absence de Charig. Mais celui-ci m’a narré la gestation du groupe. Après un de leurs premiers concerts, les musiciens fêtent l’événement avec force bières et schnaps tout en cherchant un nom pour leur nouveau groupe. Jusqu’à ce que tout le monde ou presque est fin saoul, l’un d’entre eux (mais lequel ?) se lève devant l’assemblée son dernier verre à la main en éructant la bouche pâteuse : King Übü Örchestrü ! Et ainsi fut fait. Le premier album de King Übü est un modèle du genre qui pourrait servir d’étalon aux Company de Derek Bailey. C’est resté un des meilleurs documents où on improvise collectivement à plus de cinq ou six. Il sont dix ! https://destination-out.bandcamp.com/album/music-is-music-is
La Face A fait entendre sept improvisations très courtes intitulées short pieces – someone’s missing. Le plus long est seulement de 4’34’’. Chacun raconte une histoire et se distingue clairement des autres. Ils ont la discipline intuitive pour s’arrêter de jouer un instant et d’insérer des silences. Les rôles dévolus à chaque instrument sont distribués alternativement et simultanément à ceux des autres. Des sonorités étranges fusent d’ici et là et ils jouent avec des « vitesses » et des intensités différentes, les éclats épars laissent découvrir des micro-sons et des détails, les idées fusent en écho … La face 2 est une longue construction étalée dans le temps, patiemment construite et toute en nuances. Il y règne une écoute mutuelle évidente : on a presque l’impression qu’il y a une ligne de conduite, une partition. Et quand il faut, cela grouille de toute part, ça s’envole avec des dissonances remarquables. On y entend des crescendos contrôlés ou des decrescendo vers des détails insignifiants à faible volume. L’un joue de manière atomistique ultrarapide (le sopranino de Fuchs) alors qu’un autre applique patiemment deux notes au milieu des petites sonorité qui fusent ici et là ou de toute part. Le final emporté et tournoyant est, comme la longue introduction, une pièce d’anthologie avec la paire Charig / Mazzon compressant leurs embouchures en réitérant un motif survolté par-dessus le tourbillon de l’orchestre dont le son finit par mourir magiquement. Je me souviens avoir dit à Paul Lytton et Wolfgang Fuchs lors d’un déplacement en camionnette que leur musique rivalisait avec celle de Xenakis. J’étais jeune et assez impressionnable. Mais en réécoutant cet album, je suis vraiment saisi, happé dans l’écoute. Magistral.
J’ai rencontré une seule fois Hans Schneider. En 1985, je voulais programmer Evan Parker AVEC Paul Rutherford (ABSOLUMENT !), Barry Guy et Paul Lytton, le fameux trio élargi avec le tromboniste, lequel a, à mon avis, beaucoup d’affinités musicales dans les échanges avec Parker. Mais étant alors assez novice, je me suis emmêlé les pinceaux. Par ma faute Barry Guy n’était pas disponible pour Evan, les deux Paul et moi, ni pour Tony Oxley et Wachsmann une semaine plus tôt à Anvers. Donc, sans doute sur la recommandation de Paul Lytton, Parker m’annonça qu’ils joueront avec le contrebassiste Hans Schneider du groupe X-PACT. X-Pact ?? En fait à mon avis dans ce contexte le choix d’Hans Schneider était parfait. Le concert a été publié : Waterloo 1985/ Emanem 4030. Soixante minutes ininterrompues d’une seule improvisation subdivisée en parties distinctes aux proportions presqu’identiques question durée, mais différentes dans le contenu musical. Dans cet album mémorable, les deux souffleurs alternent leurs interventions en se répondant et s’échangeant les fragments mélodiques, les harmonies, les intervalles, les accents, les inflexions dans une symbiose gémellaire en prenant le temps de jouer. Paul Lytton imprime sa marque avec ses frappes sur les tambours chinois en créant un espace pour inclure ses trois camarades dans le champ sonore. Ainsi, règne un équilibre parfait pour les rendre audibles de manière strictement égalitaire et que l’auditeur puisse distinguer le moindre détail dans la musique. Détail qui a son importance : Hans Schneider joue complètement acoustique en explorant les vibrations, le corps de la contrebasse, la résistance et la tension des cordes comme un sculpteur. Quoi qu’il arrive. Subitement, les souffleurs s’écartent et un duo bruitiste irrégulier s’établit entre la contrebasse malmenée et les crissements et soubresauts des live- electronics qui laissent incrédules le public habitué au (free) jazz stricto sensu. Au final, c’est à mon avis un des meilleurs enregistrements très réussis d’un groupe d’Evan Parker et Paul Lytton, surtout grâce à la présence lumineuse de Paul Rutherford qui apporte une rare dimension supplémentaire. Le parti pris ludique discret d’Hans Schneider a alors orienté la musique dans une autre direction que s’il y avait eu Barry Guy et son jeu virtuose et hyperactif. C’est l’évidence même. Mon souvenir d’Hans Schneider est celui d’un homme sensible, amical et aussi déterminé qu’il était aimable. Durant toute la performance, il n’a pas dévié de son chemin comme s’il savait où l’aventure le mènerait, développant ses idées et sa conception de l’improvisation d’un seul tenant du début à la fin. De devoir lui permettre d’être entendu comme il le souhaite sans devoir forcer le ton et faire des signaux activistes, il a engendré une contrainte pour les trois autres qui a été en fait salutaire pour l'équilibre groupe, contrebalançant aussi la facette lyrique de Paul et Evan enfin réunis. La dynamique sonore des musiciens dans cet enregistrement signé Michel Huon est exceptionnelle vu les circonstances, les musiciens ayant joué vers minuit après une série d’autres concerts : Lol Coxhill/Mike Cooper/ Roger Turner, Fred Van Hove/ Marc Charig/ Ernst Reyseger, Christian Leroy, Tom Bruno-Eddy Loozen. J’avais contacté Emanem pour faire publier ce concert : Martin Davidson a hésité et Evan m’a d’abord répondu en disant que je voulais le faire publier parce que c’était « mon concert ». Mais une fois l’avoir écouté soigneusement, il a insisté auprès de Martin pour qu’il sorte deux mois plus tard.
Fort heureusement, Schneider et Lytton étaient retournés en Grèce pour jouer (et enregistrer) avec Floros Floridis un peu après Waterloo 85. Et cette fois avec un grand copain de Lytton, le violoniste Phil Wachsmann qui, à l’époque, joue autant avec Fred Van Hove qu’avec Tony Oxley. Ce quartet intitulé L S F W grave un excellent document : Ellispontos / jnd. Dans ce concert remarquable, Floros Floridis se concentre sur sa clarinette : son style est aérien mais charnu, lyrique mais hérissé dans les aigus qu’il distord à souhait avec un parfum de la musique grecque et une fluidité musicale. Avec le travail à l’archet de Wachsmann et Schneider, la combinaison sonore et ludique est parfaite avec les apports du clarinettiste et du percussionniste. Dans ce disque on entend clairement les grincements frottés par Hans au plus près du chevalet ou la vibration grave et ombrée proche de drones. Le tout est commenté adroitement et ponctuellement par Lytton à coups de woodblocks, cymbales chinoises renversées, de tam-tams touchés ou heurtés parcimonieusement laissant beaucoup d’espace aux trois autres. Cet album est superbe !
Mais, tout ne fonctionne pas toujours quand vous faites de l’improvisation libre dans un cadre professionnel. Certains groupes continuent durant des années voire des décennies. Une discussion intervient entre Fuchs et Hirt, et X-PACT est remisé aux oubliettes. Hirt quitte King Übü, un projet d’album Hirt – Lytton en duo est abandonné (un enregistrement a vu le jour récemment via Corbett vs Dempsey sous le titre Borne on a Whim - Duets 1981). Plus tard, c’est Torsten Müller qui jouera de la contrebasse dans King Übü et Günter Christmann rejoint l’Örchestrü. Mais pour Hans Schneider la vie continue. Un jeune saxophoniste pointe le bout de son nez : Stephan Keune. Avec Lytton à la percussion, il grave « Loft » par le Stefan Keune Trio pour Hybrid Music Productions, un micro-label qui nous fera découvrir de nouveaux artistes comme Agusti Fernandez & Christoph Irmer, Birgit Ulher & Wolfgang Ritthof, Harald Kimmig, Dirk Marwedel, Ursel Sclicht & Hans Tammenn, Giessen Improvisers Pool, Wiesbadener Improvisations Ensemble, Martin Speicher ou le trio CHW avec mon copain Paul Hubweber etc… Comme Lytton explore son attirail en live electronics et parsème l’espace de micro frappes et manipulations d’accessoires sur ses peaux ou cymbales, le jeu singulier de Hans Schneider est largement audible, approfondissement de sa démarche radicale. Malgré la configuration en trio sax ténor – basse batterie assez explicite, on est ici loin du free-jazz mais plutôt dans l’exploration sonore. Stefan Keune, dont ce sont les débuts, semble bien prometteur. Hans et Stefan deviendront amis pour la vie.
Dans les années 80, un trio British incontournable voit le jour : le saxophoniste John Butcher, le violoniste Phil Durrant et le guitariste John Russell. Il représente ce courant Londonien introspectif pointilliste sans batterie basé sur les techniques de jeu alternatives. Inévitablement, ils tournent en Allemagne au début des années 90 invités par des collectifs germaniques de cette jeune génération « post FMP ». Non contents de jouer en trio, ces trois-là se joignent à leurs collègues allemands. Deux albums séminaux enregistrés en 1991-92 paraissent sur un autre nouveau label lancé par le pianiste Georg Gräwe : Random Acoustics. Hans Schneider est responsable de l’«artwork & design ». Le design original de Hans conçoit une pochette de papier fort monochrome coloré à rabas élégante et soignée qui tranche largement sur le jewel box ou le digipack par son originalité, reconnaissable entre mille. Premier numéro (RA001), le quartet Frisque Concordance réunissant John Butcher, Georg Gräwe, Hans Schneider et le percussionniste Martin Blume. Le titre de ce « classique » incontournable de la scène improvisée est Spellings (Énoncés) ou l’art d’énoncer toutes les variations, nuances et interactions d’un quartet saxophone – piano – contrebasse – percussions contemporain. La musique est basée sur une écoute et des réactions minutieuses, équilibrées dans la répartition de chaque instrumentiste dans l’espace auditif avec un esprit musique de chambre. Les spirales fracturées de John Butcher tant au soprano qu’au ténor, le grain organique de l’archet d’Hans Schneider, les pianismes cristallins à la fois anguleux et ondulés de Georg Gräwe et les friselis et micro-frappes de Martin Blume s’unissent magistralement faisant de Spellings un album révélateur. À ce joyau, s’ajoute Concert Moves du trio Butcher – Durrant – Russell enregistré la même année après quoi ces trois musiciens deviennent des références. Profitant de la présence de Russell dans une nouvelle tournée de 1993, un autre concert rassemble Paul Lovens et son pote Johnny « Guitar » (Russell), avec Hans Schneider et ce nouveau venu, le saxophoniste Stefan Keune à Bochum où Georg Gräwe organise des concerts.
Bien plus tard, quelqu’un retrouve la cassette de l’enregistrement. Publié en 2019, l’année même où John Russell nous a quitté, Live in Bochum ’93 porte un titre supplémentaire : Nothing Particularly Horrible - Keune Russell Schneider Lovens / FMR. Notez que Lovens et Russell se connaissent très bien, ayant joué avec les mêmes collègues -amis : Evan Parker, Günter Christmann et Maarten Altena. Le son est littéralement « échoïque » - réverbérant « caverneux » bien qu’on distingue clairement chaque instrumentiste. Le saxophoniste, excellent au sopranino et le batteur jouent au départ parcimonieusement pour permettre à l’auditeur de ne pas perdre une goutte des sons et harmoniques pointillistes et espacées de John Russell sur sa guitare archtop aux cordes métalliques datant de l’époque jazz-swing. Les frappes éclair et les manipulations sonores de Lovens sont étincelantes et Keune s’avère à la hauteur du guitariste et du batteur. Concentré dans une écoute intense, le bassiste ajoute petites touches et murmures graves rappelant les trois lurons à l’ordre « au bord du silence ». Si la musique de Frisque Concordance est fluide dans son jeu, raisonnée dans sa constructions et équilibrée au niveau collectif bien que kaléïdoscopique, Nothing Particularly Horrible explore des possibilités sonores étirées et plus extrêmes : hyper aigus hargneux du sopranino, cymbales et crotales frottés, crissement ou grattage bruitiste de la guitare avec un plectre en pierre, frappes maniaques sur les cymbales renversées sur les peaux, scie musicale sifflante, jeu espacé ou drone de la contrebasse et des accès et éclats rageurs. Il en résulte que, suite à ce concert, Keune et Russell forment un duo permanent qui fera plusieurs enregistrements (Excerpts & Offerings , Frequency of Use etc…) et que Schneider et Keune confortent leur collaboration future. Et aussi des amitiés profondes. Hans Schneider est sans doute le plus discret, intervenant du tac-au tac à l’intérieur ajoutant un geste, un son dans le sillage de chacun des trois autres créant le ciment qui imprime une cohérence au groupe ou indique une direction avec trois coups d’archet répétés autour duquel les autres évoluent (en 2). Un concert sensationnel qui nous fait transiter dans de multiples occurrences comme on l’entend trop rarement avec une dimension collective et exploratoire exemplaire. Hans figure aussi dans quelques plages d’un album intéressant du label Random Acoustics : Chamber Works qui réunit plusieurs artistes dans différentes formations et compositions de Georg Gräwe.
Hans figure aussi dans quelques plages d’un album intéressant du label Random Acoustics : Chamber Works de Georg Gräwe. Mais le pianiste et le bassiste s’éloignent dans des directions différentes : GG avec Gerry Hemingway et Ernst Reyseger dans un trio qui fera florès en Europe et aux USA et HS dans les arcanes de la scène « locale », devenue une véritable pépinière de talents inventifs à l’échelle de l’Europe. Le talent réel n’ayant rien à voir avec la notoriété.
Suite à ces deux ou trois réussites exemplaires que sont Ellispontos, Spellings et ce concert de Bochum 93, on va trouver Hans Schneider dans des groupes faits pour durer. Parmi ceux – ci, le QUATUOHR , un quartet qui ressemble au « jazz » par son instrumentation trompette, sax/clarinette, contrebasse et batterie, mais qui navigue dans les eaux incertaines de l'improvisation libre collective. Le trompettiste Marc Charig est un vétéran du Brotherhood of Breath et du free-jazz british (Elton Dean, Mike Osborne, Keith Tippett, Barry Guy) et un fidèle partenaire du pianiste Fred Van Hove. Le clarinettiste basse et sax soprano Joachim Zoepf est un chercheur pointu proche de Günter Christmann et joue souvent avec le batteur Wolfgang Schliemann. Hans a réalisé amoureusement les pochettes en papier fort monochrome et collé les photos tirées sur papier des musiciens (KJU - 2002) ou des instruments sans les musiciens (KJU : too – 2003). Ces deux merveilles collectives intimistes toutes en nuances sont publiées par le label Nur Nicht Nur. Son catalogue exponentiel et artisanal rassemble un grand nombre d’artistes peu ou très peu connus où brillent des perles fantastiques signées Paul Hubweber, Uwe Oberg, Ulli Philipp avec Birgit Ulher et Roger Turner ou en duo de basses avec Georg Wolf, Schliemann & Zoepf en duo, Erhard Hirt, Georg Wissel, Malcolm Goldstein, Ute Wassermann, Michal Vorfeld, Claus Van Bebber, Carl Ludwig Hübsch etc… Incontournable !! La musique de Quatuohr est la quintessence de la musique improvisée libre et dans cette atmosphère presque feutrée où chacun relaie adroitement l’autre par petites touches, accents bien placés, sons étranges, usage du silence et un sens de l’espace rare, la contrebasse de Hans Schneider opère par à coups répondant ou proposant avec cohérence juste ce qu’il faut pour que chacun occupe un angle égal dans la géographie des paysages – tableaux évolutifs et jouit d’une dynamique sonore propice qui autorise tout ce qui est possible sans entraver la liberté individuelle. Dans un des albums (KJU :) , Hans joue de la basse électrique comme le ferait un émule de John Russell. Mais ici c’est (KJU : too) que j’épluche et il y joue de la contrebasse en bonne et due forme. Il appert qu’on y entend que quelques sons épars de chacun sur lesquels s’appuient le clarinettiste pour jouer quelque note. À un moment précis, c’est le bassiste qui s’agite de courts instants sollicitant les autres à alterner à contre-courant et à répondre de plus belle et l’archet alors oscille en glissandi sur lesquels oscillent le souffle spiralé en sourdine du trompettiste. Une quantité de figures/ motifs ou actions différentes s’emboîtent comme les mots dans une phrase dans un constant renouvellement d'idées et de mouvements. Ailleurs Hans fait grincer ses cordes avec insistance comme si le moteur de la voiture était en panne, c’est là que les drôles canardent et chahutent de bonne humeur (4). C’est absolument remarquable et d’une grande richesse. L’ego du soliste « expressionniste » est complètement annihilé pour une collaboration instantanée fructueuse. Être capable d’improviser sans interruption six improvisations à ce niveau durant près d’une heure est l’achèvement de toute une vie.
Pour les fines bouches, je mentionne un des deux albums "Live Tempera" initiée par le peintre Marcus Heesch, celui-ci improvisant son art en direct en compagnie de musiciensimprovisateurs. Nur Nicht Nur (encore lui !) avait déjà publié deux extraits de concerts de Heesch avec Simon H.Fell et Lol Coxhill. Le deuxième Live Tempera sur N N N réunit le clarinettiste basse Joachim Zoepf et Hans Schneider à la guitare basse, le CD étant emballé dans une belle pochette jaune canari à rabas et du texte imprimé sur un feuillet. Un bel objet audio à déguster ! Mais direz-vous, le free-jazz « rentre-dedans » s’en est allé ? Et là vous serez surpris ! Il y a à Cologne un saxophoniste alto qui ne craint personne question outrance : rien à envier à Peter Brötzmann, à l’explosif Alan Wilkinson ou le Daunik Lazro à-l’alto-de-notre-jeunesse. J’ai parlé de Jeffrey Morgan, un sujet Américain installé à Cologne. Celui-ci, malade a abandonné son sax alto il y a une dizaine d’années et joue maintenant de la clarinette alto et du piano entre autres avec Lawrence Casserley. Avec le bassiste poids lourd – ceinture noire Peter Jacquemyn et le volatile batteur Mark Sanders, il a gravé The Raven, un brûlot à la gloire du free-free jazz agressif. Violent ! Mais sous le pseudonyme des The Flying Pyjama Fishers (Konnex) en compagnie d’Hans Schneider et de l’électronicien Konrad Doppert, il faut avoir écouté une fois dans sa vie Jeffrey Morgan. C’est à la fois musical vu l’extraordinaire contrôle du souffle dans l’anche (chauffée à blanc) et la colonne d’air et expressionniste avec une disposition d’esprit unique et une expressivité qui égale celle d’Albert Ayler sans lui ressembler le moins du monde. Et là, le travail d’Hans ne crée pas la surenchère, mais calme le jeu en finesse afin que le saxophoniste garde un cap, capte un moment de grâce. Idem pur le travail fin,discret et intéressant de Konrad Doppert. Comme il se doit dans l'improvisation libre intelligente, le souffle brûlant et les harmoniques extrêmes sont audibles dans tous leurs détails. Flamboyant !
On arrive presqu’à la fin ! Mis à part un trio avec le tromboniste Paul Hubweber et à nouveau, Erhard Hirt dont le titre, The Funny Side of Discreet évoque à la fois un standard de jazz, le titre d'un solo enregistré de Paul Rutherford, le label de Frank Zappa et le trio Iskra 1903 de Paul Rutherford par son instrumentation trombone guitare contrebasse (Acheulian Handaxe 2018), les enregistrements d’Hans Schneider se concentrent sur son travail avec Stefan Keune. En pleine vague « réductionniste », le label phare de cette tendance, Creative Sources publie The Long and The Short of It (2007) : Stefan Keune alto et sopranino sax, Hans Schneider contrebasse et le batteur Achim Krämer, son vieux copain des années Gräwe des seventies. S’ouvrant dans la fureur du free-free jazz dans le premier morceau, cet album constitue une belle carte de visite autant pour l’ensemble des facettes du souffle de Keune et la cohérence de ses deux coéquipiers. Les échanges peuvent autant se situer au bord du silence dans une démarche égalitaire (tout le monde au même niveau et dans une écoute mutuelle précise). Dans cet album dont certains morceaux semblent minimalistes, on entend clairement les affinités partagées par Stefan et Hans. Le souffle au sax soprano éclate l’articulation dans les suraigus dans de multiples cadences sauvages ou un jeu ultraprécis et asticoté au fil du rasoir qui sollicitent des instants de silence entre chaque spasme électrisant et un démarche pointilliste sophistiquée du bassiste. Celui-ci exprime avec « peu » un « beaucoup » avec de nouvelles idées qui changent constamment de registre ou d’affect relançant discrètement le souffleur. Quand le batteur se joint à eux, on songe par moment à John Stevens. Sur la lancée, c’est le label FMP lui-même qui publie No Comment sous le nom Keune - Schneider - Krämer l’année suivante. No comment ! Si ce n’est que, ça va vous changer du sax maison FMP, Brötzm. Vous n’y perdez rien au change. En effet, dans cet album Keune joue aussi du sax baryton et la musique est (un peu) plus musclée – énergétique que dans le précédent, dans la ligne dure FMP de l'époque vinyle.
https://creativesources.bandcamp.com/album/the-long-and-the-short-of-it-2
https://destination-out.bandcamp.com/album/no-comment
Mais le vieux copain de Hans, le clarinettiste et saxophoniste Wolfgang Fuchs décède malheureusement un peu plus tard après des déboires dans la gestion de FMP. Quelques années se passent. Et bouf ! Tout à trac, XPACT ressuscite sous le nom de XPACT II, soit Erhard Hirt, Hans Schneider et Paul Lytton … et le saxophoniste Stefan Keune. Concerts en vue dont un, enregistré en 2020, est publié chez FMR, le label british Future Music Records. Avec la paire sonique électro-acoustique de Lytton et Hirt s’intègre à l’esprit ludique austère du tandem Keune – Schneider. Dans cet enregistrement, Hans Schneider prend parfois les devants ou temporise adroitement alors que s’éclatent sax et batteur dans de brefs instant successifs. Toujours aux aguets, la guitare bourrée d’effets de Hirt injecte, disjoncte, soustrait, s’efface ou explose en jouant au chat et à la souris dans les interactions des trois autres. Ou scintille incognito. Mais est-ce Lytton ou Hirt ? Toujours est-il, ce qui survient avec surprise est excellement calibré en fonction du jeu collectif. On appréciera la discrète inventivité anarchiste de Paul Lytton, qui bien avancé dans la septantaine, est resté vert, bien en verve avec les ustensiles percussifs posé sur deux tables de camping brinquebalantes et son installation amplifiée (Trobriander laptop + miscellaneous table top objects). Stefan est crédité tenor sax mais on entend la folle articulation «atomistique» au sax soprano dont il cultive le registre au-delà de sa tessiture normale et en concasse les sonorités, les contorsionne, étire, explose tout en imprimant sa marque personnelle. Son "style" ets reconnaissable entre milles. La diversité des sons, des ambiances et des intrications est phénoménale. Elle peut très bien se raréfier dans avec un archet frottant légèrement le bord d’une cymbale et le ronflement à peine perceptible de l’électronique ou les cordes de la contrebasse frôlées par l’autre archet celui de Hans. Convergent plusieurs tendances de l’improvisation libre (je vous passe les qualificatifs redondants) en une seule musique, celle d’XPACT : du grand art.
https://lytton1.bandcamp.com/album/xpact-ii
Mais comme cette musique est avant tout collective et que c’était le leitmotiv de sa vie de musicien improvisateur, le dernier enregistrement d’Hans Schneider paru le réunit avec le bon vieux King Übü Örchestrü qui en 2021 a adopté Stefan Keune au saxophone sopranino (comme W Fuchs) en compagnie des vétérans Marc Charig, Lytton, Phil Wachsmann, Malvyn Poore, Alfred Zimmerlin, Phil Minton, Axel Dörner et le « plus » jeune tromboniste Matthias Muche. Titre : ROI Deux sets : ROI 3 et ROI 4 (27 :05 et 35 :06) d’une musique à nulle autre pareille. Onze musiciens improvisant ensemble en se faisant de la place à chacun d’eux pour créer un flux sonore aussi lisible qu’inextricable.
https://lytton1.bandcamp.com/album/roi
Ce parcours serait incomplet si je ne faisais pas un petit retour de trois années en arrière. J'avais mentionné plus haut l'existence de The Funny Side of Discreet, enregistré en 2018 par surprise par le trio de Paul Hubweber - Hans Schneider - Erhard Hirt. soit la formule instrumentale trombone - contrebasse - guitare du groupe Iskra 1903 de Paul Rutherford avec Derek Bailey et Barry Guy (double vinyle Incus 3/4 enregistré en 1970-71) dont les prestations radicales durant la première tournée du London Jazz Composer's Orchestra de Barry Guy en 1972 sont à l'origine de l'expression "British Disease". https://handaxe.bandcamp.com/album/the-funny-side-of-discreet
D'ailleurs le titre de ce compact est un clin d'oeil à un titre du légendaire vinyle en solo de Paul Rutherford, The Gentle Harm of the Bourgeoisie. Tout comme Rutherford (R.I.P.), Paul Hubweber souffle avec un maximum de dynamique et de nuances juste à l'opposé de la démarche ultra-puissante et quasi expressionniste de son collègue Hannes Bauer. Paul H. est sûrement un des artistes les plus sous-estimés de la scène internationale alors même qu'il a formé un magnifique trio avec John Edwards et Paul Lovens, deux des improvisateurs les plus demandés (trio PaPaJo). Depuis que Lovens a remisé ses fameux mocassins usés et ses baguettes, Paul H et John E continuent en duo (Where's My Girl ? Nur Nicht Nur). Qui plus est, le tromboniste a le chic pour proposer exclusivement des projets musicaux avec des collègues différents et qui ont une identité musicale, sonore et une esthétique chaque fois bien distincte et une qualité au sommet de la profession avec respectivement Philip Zoubek, Georg Wolf, Claus van Bebber, Ulli Böttcher, DJ Sniff, PaPaJo et ses albums solos Tromboneos,Lurix & Paranoise et Loverman. Au sein du trio Funny Side of Discreet, est associée la connivence évidente contrebasse - trombone, celle qui n'a pas échappé aux astucieux (Barry Guy et Paul Rutherford à Moers 1976, Rutherford et Paul Rogers plus tard, ou Harry Miller et Radu Malfatti) ET les tripatouillages électroniques d'Erhard Hirt, l'occasion d'écouter en détail toutes les extrapolations et métamorphoses sonores, micro-pulsatoires et frictionnelles de l'e-guitar d'Erhard Hirt ou l'humour et la poésie intrinsèque du dobro dans ce contexte. Pas de batterie, car il faut qu'on en entende le moindre détail. D'ailleurs, Erhard a publié sous l'étiquette FMP - Own, Two Concerts d'un super trio sans batteur, avec Phil Minton et John Butcher, une des meilleures productions de FMP de lère compact. Et fort heureusement, ce compact Funny Side permet d'entendre le jeu "DiscReet" d'Hans Schneider sous toutes ses coutures, boisé-ligneux, grinçant, jamais rond, mais accidenté, craquelé, frictionnel, contrasté et hyper attentif avec cette logique imparable qui associe des sonorités variées et éparses en un clin d'oeil. Et comme toujours, il est le facteur d'unité structurant du trio qui intègre autant le lyrisme aérien d'Hubweber, les grattages obsessionnels des cordes, les tirebouchonneries audacieuses de l'embouchure et de la colonne d'air au trombone,les phases de jeu à l'orée du silence salvateur, le bruitisme maniaque,les timbres électroniques de l'e-guitar et la curieuse gaucherie au dobro de Hirt, jusqu'au bout de leurs extrémités ludiques et imaginatives. La classe des vrais "super-groupes" et une fleur au chapeau des trois artistes. Cela dit, je recommande d'investiguer les labels Nur Nicht Nur, Acheulian Handaxe, Hybrid, Concepts of Doing, Edition Explico, Impakt, etc.. trop méconnus et pleins à craquer d'enregistrements essentiels.
Malheureusement, la santé d’Hans Schneider s’est affaiblie vers un état alarmant les derniers mois, jusqu’à ce qu’il nous quitte au cours du mois de novembre dernier. Il avait encore pu jouer avec son ensemble VENTIL avec Ute Wassermann, Birgit Ulher, Stefan Keune et Erhard Hirt au Festival de Moers en juin 2020. J’ai eu l’idée d’écrire ce parcours d’Hans Schneider simplement parce qu’il est évident que cette musique existe autant (si pas plus) par l’activité passionnée d’un grand nombre de praticiens que des notoriétés sur lesquels les média et certains journalistes, groupies ou cognoscenti informés se concentrent bien souvent. La liste des artistes jouant à ce niveau est absolument exponentielle et défie l'imagination à l'instar de ces musiques
https://lytton1.bandcamp.com/album/roi
Parmi les improvisateurs pionniers du free – jazz et des musiques improvisées qui ont contribué à l’explosion de la free – music en Allemagne de Cologne à Berlin, on compte deux contrebassistes incontournables : Peter Kowald et Buschi Niebergall, compagnons de la première heure de Peter Brötzmann, Alex von Schlippenbach, Fred Van Hove, Manfred Schoof, Gerd Dudek, Sven Åke Johansson. La pratique de cette musique s’est développée dans de nombreuses villes régionales dans les régions du Rhin, de la Ruhr (Wuppertal) , Hesse, Hannover, Bremen Hamburg etc… jusque Berlin même où ces musiciens se sont fédérés au tour du Globe Unity Orchestra et l’organisation Free Music Production avec ses Total Music Meeting et Workshop Freie Musik. Ces événements se sont perpétués d’année en année de 1968 jusque dans les années 2000. Et il y a toujours le festival de Moers, fondé en 1974, avec l’aide du tromboniste Günter Christmann, lui-même organisateur à Hannover (Hohe Ufer Konzerte). Mais ceci n’est que le sommet de l’iceberg. Il y eut les orchestres de Gunther Hampel et l’alors très jeune Alfred Harth et Just Music qui fut sans doute le plus ancien groupe de « musique improvisée libre dès 1965-66 à Frankfurt am Main. Peter Kowald est devenu une figure culte et ces nombreux enregistrements et concerts en solo, avec Brötzmann, le Schlippenbach Quartet, Leo Smith, Gunther Sommer, Charles Gayle et plusieurs duos avec des contrebassistes comme Barre Phillips, Maarten Altena Barry Guy et Damon Smith. Ses albums en Duos Europe America Japan avec de nombreuses personnalités sont une solide référence.
Il y eut très vite une deuxième vague et parmi les contrebassistes, il y avait l’embarras du choix : Torsten Müller, Hans Schneider, Georg Wolf, Ulrich Philipp, Rainer Hammerschmidt et plus tard Alexander Frangenheim. Parmi tous les contrebassistes, Hans Schneider incarnait une voie diamétralement opposée à la voie « propre », claire, lisible, ronde, détachée venant du classique et du jazz. Et cette démarche est partagée par ces autres collègues, spécialement Torsten Müller et plus tard Alexander Frangenheim. De nombreux bassistes free aiment à déraper, jouer des harmoniques, des glissandi, frictionner les cordes avec une pression plus forte de l’archet ou les frapper col legno presqu’occasionnellement par diversion par rapport à un jeu « normal » bien rond, « lisible » dans la tradition du pizzicato du jazz. Hans Schneider jouait souvent sans ampli et cherchait uniquement la nature profonde ligneuse du bois, de la caisse de résonance et dévoiler l’âpreté des frottements âpres, physiques un jeu qui dévoilait la nature organique de la contrebasse et de l’archet et des matières mises en œuvre dans l’instrument. Il ne passait pas d’une technique « normale » aux techniques alternatives : il vivait sa musique par-delà cette limite sans arrière-pensée. Une vision bruissante, ligneuse, sauvage, grinçante sans concession pour la facilité digitale des pizzicati ou la grâce du coup d’archet stylé d’obédience classique. On aurait aimé avoir de lui un souvenir audio de sa contrebasse jouée en solo. J’avais conservé un catalogue du label Random Acoustics du pianiste Georg Gräwe et daté de 1993. Il y était indiqué que Hans Schneider avait un CD en préparation : Ventil RA 013. J’avais mentionné l’existence de cette référence via Facebook lorsqu’on annonça le décès d’Hans Schneider en novembre dernier. Le saxophoniste Stefan Keune, un de ses proches amis et collaborateurs en fut étonné ainsi que la trompettiste Birgit Ulher et après quelques recherches, Georg Gräwe a confirmé qu’il n’y aurait aucune trace de ce futur album jamais publié. A-t-il été enregistré ?
C’est d’ailleurs au sein du Georg Gräwe Quintet que le nom d’Hans Schneider est mentionné pour la première fois : les deux LP’s FMP New Movements & Pink Pong (1976 – 1978) qui contiennent une musique vraiment intéressante. À la batterie, Achim Krämer qui continuera à jouer avec Hans par la suite. Mais le choc provient du trio FUCHS – SCHNEIDER – HUBER : Momente LP FMP 0670 1979. https://destination-out.bandcamp.com/album/momente Le clarinettiste basse et saxophoniste sopranino prodige Wolfgang Fuchs est aussi impressionnant avec sa grosse clarinette (l’instrument d’Éric Dolphy) qu’avec son saxophone sopranino.
La musique est âpre, tendance "bruitiste" , vitriolique, ravageuse avec une PROJECTION DU SON miraculeuse et hallucinante. On entendra plus tard que le moindre des effets sonores inédits, brefs et discrets glissandi claquent dans l’espace sonore. Wolfgang explore la colonne d’air, les secrets cachés du bec et de l’anche dans le sillage du jeu révolutionnaire d’Evan Parker, lui-même à la base des élucubrations des John Butcher, Urs Leimgruber, Michel Doneda ou Stefan Keune. Aussi expressionniste qu’introspectif. La démarche ardue d’Hans Schneider est le complément idéal d’un tel phénomène tant il sculpte, lézarde, craque, exaspère les résonances et vibrations ligneuses de sa contrebasse appréhendée sur sa face sombre, occulte, magique. L’archet arrachant les tréfonds de cellulose « lignans » de son grand violon est conçu comme le vecteur du bruissement, équivalent sonore de l’abstraction picturale « matiériste », délivrant les textures inouïes enfouies par des siècles de pratiques baroque et romantique. Un philosophe extrémiste du son. Hans n’essaie pas d’esbaudir l’auditeur par des figures fulgurantes. Il nourrit et inspire la recherche de son collègue en approfondissant des interférences infinies. Le troisième membre du trio, le batteur Klaus Huber carbure allègrement en faisant chavirer et éclater la polyrythmie pour faire osciller le souffleur sur orbite. On trouve là la folie Brötzmannnienne et l’atomisation explosive de la colonne d’air EvanParkerienne conçue et extériorisée de manière complètement originale avec un contrôle du son phénoménal. FMP organise alors un Berlin Jazz Workshop Orchestra sous la houlette de John Tchicaï réunissant les « jeunes » talents : Who is Who ? SAJ-24. Parmi les nombreux participants, sont réunis les pianistes Bernhardt Arndt et Georg Gräwe, Wolfgang Fuchs, Hans Schneider, Andreas Boje, Thomas Wiedermann, Friedmann Graef, Harald Dau…. Un album intéressant qui témoigne de la vivacité et du niveau de qualité de la pratique du free-jazz en Allemagne en 1979.
Quelques années se passent et la pratique sonore d’Hans et de ses proches collègues évoluent. Les Germaniques ont dans leurs rangs un personnage extraordinaire, un découvreur de sons radical et percussionniste délirant qui a construit la batterie de percussions la plus étonnante de l’époque : Paul Lytton. Celui-ci habite à la frontière belge non loin d’Aix la Chapelle où vit le batteur Paul Lovens. Les deux amis jouent dans un duo légendaire et sont les deux collaborateurs les plus proches d’Evan Parker avec qui Lytton joue en duo et d’autres improvisateurs radicaux comme Günter Christmann, Paul Rutherford, Maarten Altena, Radu Malfatti. Ils produisent leurs vinyles d’improvisation radicale sur leur label Po Torch. Le duo Lovens - Lytton est un modèle d’intrication sonore où il est quasi impossible de distinguer qui joue quoi (le titre du 1er album = Was It Me ?) exemplifiant le son collectif « télépathique » plutôt que l’exploit individuel « soliste ». Peu après, le nouveau trio d’Evan Parker avec Barry Guy et le même Paul Lytton inaugure son parcours par l’album Tracks/ Incus où on entend encore les live electronics low-fi du batteur alors que l’interaction du trio est nettement lisible… pour chacun des instruments… et fascinante. On y entend distinctement le jeu exceptionnel de chaque instrumentiste mis en valeur dans le moindre détail et c’est époustouflant. Un peu plus tard à l’occasion d’une tournée américaine, Paul Lytton va adopter la batterie traditionnelle tout en conservant des accessoires lyttoniens disposés sur les fûts et qu’il déplace tout en jouant avec une aisance déconcertante.
Il faut dire que les live electronics – cordes de guitare et objets amplifiés et triturés de Lytton sont alors le summum du bruitisme au sein du « free-jazz ». Et c’est tout à fait la stratégie du nouveau groupe qui réunit Wolfgang Fuchs et Hans Schneider avec Paul Lytton et un guitariste nouveau venu : Erhard Hirt. X-PACT. Aussi Wolfgang Fuchs est à la base d’un nouveau label, Uhlklang, dédié à l’aventure sonore radicale des outsiders locaux. On y trouve un album solo d’Erhard Hirt, Zwischen Der Pause, B-A-D (Berliner Austauch Dienst) avec Fuchs , Schneider, le guitariste Frans De Byl, le batteur Knut Remond et le tromboniste Andreas Boje, une association de joyeux drilles : Echo. Mais aussi le premier album noise du duo Norbert Moslang et Andy Guhl : « Knack On ». Et le super album de free-music – improvisation radicale de X-PACT : Frogman’s View. https://destination-out.bandcamp.com/album/frogmans-view
C’est alors un document magistral de cette approche plus proche de la tendance AMM où les sons s’interpénètrent ou de la future EAI que celle du Spontaneous Music Ensemble. Au sein du SME, le jeu et les actions sonores de chacun se distinguent tout en étant interactives à la nano-seconde près (Cfr Face to Face Stevens - Watts / Emanem ou The Longest Night Parker - Stevens/ Ogun). Cette approche sert de modèle à toute une génération d’improvisateurs libres british et germaniques. Chez XPACT, on entend avant tout l’aspect électro – acoustique bruitiste de Lytton, avec son cadre métallique amplifié et ses manipulations d’objets hétéroclites qui sont étroitement mêlés aux frictions et sifflements sonores produits par la guitare d’Erhard Hirt, reliée à un réseau de pédales d’effets dont il entrecroise les outputs et les inputs au point qu'il est impossible de distinguer son jeu de guitare proprement dit et qui fait quoi dans le groupe. Le placide Hans Schneider tout aussi à l’écoute que les autres joue avec précision à l’archet à moitié enfoui dans ce pandémonium opaque où surnagent les canarderies subtiles de Fuchs à la clarinette basse. Quand celui-ci s’excite de plus en plus tout en restant dans la bonne dynamique, les trois autres demeurent impassibles formant un agrégat sonique sombre et industriel. Quand l’un s’agite, l’autre émet quelques sonorités bien à son aise. Parfois l’archet prends l’initiative cahin-caha une fois que l’intensité et le bruitage s’estompent. Ou, finalement Fuchs et Lytton interagissent quelques minutes en fin de la deuxième face : fragmentation éclatée du souffle vs éparpillement des frappes millimétrées sur toutes les surfaces (bois, peau, métal, plastique) sans pour autant augmenter le volume sonore, juste l’intensité. À quoi s’ajoute les shrapnels oscillants de la guitare électrique et les grondements de la contrebasse de Hans Schneider, qui lui garde son calme. Dans le chaos apparent, se dégage un véritable sens de la construction après leur enfouissement parmi des strates sonores brutes. Ce n’est peut-être pas le « meilleur » des albums au goût de certains, mais à l’époque postpunk, de Einsturzende Neubauten, du noise naissant et du Locus Solus de John Zorn, cet album atypique avait bien fière allure en 1984.
Mais, l’improvisation libre radicale initiée par les British et relayée par les Allemands s’étend à d’autres pays. On a entendu parler du violoniste portugais Carlos Zingaro, du percussionniste italien Andrea Centazzo, et d’un pianiste grec, Sakis Papadimitriou. Voilà que celui-ci joue avec un tubiste allemand, Pinguin Moshner, et Hans Schneider à Thessalonique. Finalement, un comparse de Papadimitriou, le clarinettiste Floros Floridis, réunit un quartet comprenant Hans Schneider, Pinguin Moshner et Paul Lytton pour un concert en octobre 83 au théâtre Adônis, deux mois avant l’enregistrement du disque d’ X-PACT. Un disque sera publié par le label grec j n d records sous le titre Adônis 21.10.1983 avec le nom de groupe L.S.F.M., soit 42 minutes ininterrompues sur deux faces. Au moment du concert, Lytton ignorait que Floros est un clarinettiste, alors qu’ici il ne joue que du saxophone. Cela le fait dans le cadre du "free-jazz". Dans cet album, toute la place est laissée à l’exploration sonore du tubiste qui investigue une série d’options alors que le saxophoniste triture et expectore des sonorités compressées, vocalisées, mordantes, sauvages allant jusqu’au bout des possibilités expressives free de l’anche, du bec et de la colonne d’air. Le batteur allonge de ci de là des bruitages. Le bassiste s’infiltre patiemment dans les interstices, fait vibrer les cordes dans la pénombre et attend son tour pour proposer une nouvelle idée alors que le souffleur s’écarte un moment. Jusqu’à ce que Lytton se déchaîne avec des frappes surmultipliées et disruptives plus tard dans la performance à laquelle se mêle le bassiste avec de petits coup d’archet. Le souffleur insiste avec des ostinati désespérés en soufflant de toutes ses forces dans son soprano. Le batteur joue autant des peaux que du cadre amplifié sans qu’on comprenne où il veut en venir. Les roulements commencent une fois le souffleur bien relancé et s’amplifient pour ensuite éclater alors que l’intensité du souffle décroit graduellement pour finir par des petits sons suraigus. Face 2 le tubiste et le sax étirent les sons, la contrebasse reste à l’ombre et imprime un mouvement lent imperturbablement adopté par le tubiste, le percussionniste laisse un espace considérable afin qu’on puisse entendre le dialogue de Hans et de Pinguin ? Il parsème des sons isolés ou secoue légèrement son attirail en arrière-plan, le souffleur étant tout en son affaire. Il donne ensuite dans le souffle continu de manière chatoyante en évoluant vers une autre étape. Comme Hans préfère jouer sans amplification, il ne passe pas bien dans les micros contrairement à Momente où son jeu polymorphe crève l’écran. Une première rencontre réussie hors des sentiers battus.
Mais les musiciens d’XPACT voient grand. Sous la houlette de Hirt et de Fuchs, un orchestre plus imposant est formé, rassemblant Fuchs, Hirt, Lytton et Schneider, le tromboniste Radu Malfatti, les trompettistes Guido Mazzon et Marc Charig, le saxophoniste Norbert Möslang, le violoniste Phil Wachsmann et le violoncelliste Alfred Zimmerlin. Le groupe fut invité au Workshop Freie Muziek les 22 et 23 décembre 1984 et l’enregistrement publié par Uhlklang : Music Is Music is… en l’absence de Charig. Mais celui-ci m’a narré la gestation du groupe. Après un de leurs premiers concerts, les musiciens fêtent l’événement avec force bières et schnaps tout en cherchant un nom pour leur nouveau groupe. Jusqu’à ce que tout le monde ou presque est fin saoul, l’un d’entre eux (mais lequel ?) se lève devant l’assemblée son dernier verre à la main en éructant la bouche pâteuse : King Übü Örchestrü ! Et ainsi fut fait. Le premier album de King Übü est un modèle du genre qui pourrait servir d’étalon aux Company de Derek Bailey. C’est resté un des meilleurs documents où on improvise collectivement à plus de cinq ou six. Il sont dix ! https://destination-out.bandcamp.com/album/music-is-music-is
La Face A fait entendre sept improvisations très courtes intitulées short pieces – someone’s missing. Le plus long est seulement de 4’34’’. Chacun raconte une histoire et se distingue clairement des autres. Ils ont la discipline intuitive pour s’arrêter de jouer un instant et d’insérer des silences. Les rôles dévolus à chaque instrument sont distribués alternativement et simultanément à ceux des autres. Des sonorités étranges fusent d’ici et là et ils jouent avec des « vitesses » et des intensités différentes, les éclats épars laissent découvrir des micro-sons et des détails, les idées fusent en écho … La face 2 est une longue construction étalée dans le temps, patiemment construite et toute en nuances. Il y règne une écoute mutuelle évidente : on a presque l’impression qu’il y a une ligne de conduite, une partition. Et quand il faut, cela grouille de toute part, ça s’envole avec des dissonances remarquables. On y entend des crescendos contrôlés ou des decrescendo vers des détails insignifiants à faible volume. L’un joue de manière atomistique ultrarapide (le sopranino de Fuchs) alors qu’un autre applique patiemment deux notes au milieu des petites sonorité qui fusent ici et là ou de toute part. Le final emporté et tournoyant est, comme la longue introduction, une pièce d’anthologie avec la paire Charig / Mazzon compressant leurs embouchures en réitérant un motif survolté par-dessus le tourbillon de l’orchestre dont le son finit par mourir magiquement. Je me souviens avoir dit à Paul Lytton et Wolfgang Fuchs lors d’un déplacement en camionnette que leur musique rivalisait avec celle de Xenakis. J’étais jeune et assez impressionnable. Mais en réécoutant cet album, je suis vraiment saisi, happé dans l’écoute. Magistral.
J’ai rencontré une seule fois Hans Schneider. En 1985, je voulais programmer Evan Parker AVEC Paul Rutherford (ABSOLUMENT !), Barry Guy et Paul Lytton, le fameux trio élargi avec le tromboniste, lequel a, à mon avis, beaucoup d’affinités musicales dans les échanges avec Parker. Mais étant alors assez novice, je me suis emmêlé les pinceaux. Par ma faute Barry Guy n’était pas disponible pour Evan, les deux Paul et moi, ni pour Tony Oxley et Wachsmann une semaine plus tôt à Anvers. Donc, sans doute sur la recommandation de Paul Lytton, Parker m’annonça qu’ils joueront avec le contrebassiste Hans Schneider du groupe X-PACT. X-Pact ?? En fait à mon avis dans ce contexte le choix d’Hans Schneider était parfait. Le concert a été publié : Waterloo 1985/ Emanem 4030. Soixante minutes ininterrompues d’une seule improvisation subdivisée en parties distinctes aux proportions presqu’identiques question durée, mais différentes dans le contenu musical. Dans cet album mémorable, les deux souffleurs alternent leurs interventions en se répondant et s’échangeant les fragments mélodiques, les harmonies, les intervalles, les accents, les inflexions dans une symbiose gémellaire en prenant le temps de jouer. Paul Lytton imprime sa marque avec ses frappes sur les tambours chinois en créant un espace pour inclure ses trois camarades dans le champ sonore. Ainsi, règne un équilibre parfait pour les rendre audibles de manière strictement égalitaire et que l’auditeur puisse distinguer le moindre détail dans la musique. Détail qui a son importance : Hans Schneider joue complètement acoustique en explorant les vibrations, le corps de la contrebasse, la résistance et la tension des cordes comme un sculpteur. Quoi qu’il arrive. Subitement, les souffleurs s’écartent et un duo bruitiste irrégulier s’établit entre la contrebasse malmenée et les crissements et soubresauts des live- electronics qui laissent incrédules le public habitué au (free) jazz stricto sensu. Au final, c’est à mon avis un des meilleurs enregistrements très réussis d’un groupe d’Evan Parker et Paul Lytton, surtout grâce à la présence lumineuse de Paul Rutherford qui apporte une rare dimension supplémentaire. Le parti pris ludique discret d’Hans Schneider a alors orienté la musique dans une autre direction que s’il y avait eu Barry Guy et son jeu virtuose et hyperactif. C’est l’évidence même. Mon souvenir d’Hans Schneider est celui d’un homme sensible, amical et aussi déterminé qu’il était aimable. Durant toute la performance, il n’a pas dévié de son chemin comme s’il savait où l’aventure le mènerait, développant ses idées et sa conception de l’improvisation d’un seul tenant du début à la fin. De devoir lui permettre d’être entendu comme il le souhaite sans devoir forcer le ton et faire des signaux activistes, il a engendré une contrainte pour les trois autres qui a été en fait salutaire pour l'équilibre groupe, contrebalançant aussi la facette lyrique de Paul et Evan enfin réunis. La dynamique sonore des musiciens dans cet enregistrement signé Michel Huon est exceptionnelle vu les circonstances, les musiciens ayant joué vers minuit après une série d’autres concerts : Lol Coxhill/Mike Cooper/ Roger Turner, Fred Van Hove/ Marc Charig/ Ernst Reyseger, Christian Leroy, Tom Bruno-Eddy Loozen. J’avais contacté Emanem pour faire publier ce concert : Martin Davidson a hésité et Evan m’a d’abord répondu en disant que je voulais le faire publier parce que c’était « mon concert ». Mais une fois l’avoir écouté soigneusement, il a insisté auprès de Martin pour qu’il sorte deux mois plus tard.
Fort heureusement, Schneider et Lytton étaient retournés en Grèce pour jouer (et enregistrer) avec Floros Floridis un peu après Waterloo 85. Et cette fois avec un grand copain de Lytton, le violoniste Phil Wachsmann qui, à l’époque, joue autant avec Fred Van Hove qu’avec Tony Oxley. Ce quartet intitulé L S F W grave un excellent document : Ellispontos / jnd. Dans ce concert remarquable, Floros Floridis se concentre sur sa clarinette : son style est aérien mais charnu, lyrique mais hérissé dans les aigus qu’il distord à souhait avec un parfum de la musique grecque et une fluidité musicale. Avec le travail à l’archet de Wachsmann et Schneider, la combinaison sonore et ludique est parfaite avec les apports du clarinettiste et du percussionniste. Dans ce disque on entend clairement les grincements frottés par Hans au plus près du chevalet ou la vibration grave et ombrée proche de drones. Le tout est commenté adroitement et ponctuellement par Lytton à coups de woodblocks, cymbales chinoises renversées, de tam-tams touchés ou heurtés parcimonieusement laissant beaucoup d’espace aux trois autres. Cet album est superbe !
Mais, tout ne fonctionne pas toujours quand vous faites de l’improvisation libre dans un cadre professionnel. Certains groupes continuent durant des années voire des décennies. Une discussion intervient entre Fuchs et Hirt, et X-PACT est remisé aux oubliettes. Hirt quitte King Übü, un projet d’album Hirt – Lytton en duo est abandonné (un enregistrement a vu le jour récemment via Corbett vs Dempsey sous le titre Borne on a Whim - Duets 1981). Plus tard, c’est Torsten Müller qui jouera de la contrebasse dans King Übü et Günter Christmann rejoint l’Örchestrü. Mais pour Hans Schneider la vie continue. Un jeune saxophoniste pointe le bout de son nez : Stephan Keune. Avec Lytton à la percussion, il grave « Loft » par le Stefan Keune Trio pour Hybrid Music Productions, un micro-label qui nous fera découvrir de nouveaux artistes comme Agusti Fernandez & Christoph Irmer, Birgit Ulher & Wolfgang Ritthof, Harald Kimmig, Dirk Marwedel, Ursel Sclicht & Hans Tammenn, Giessen Improvisers Pool, Wiesbadener Improvisations Ensemble, Martin Speicher ou le trio CHW avec mon copain Paul Hubweber etc… Comme Lytton explore son attirail en live electronics et parsème l’espace de micro frappes et manipulations d’accessoires sur ses peaux ou cymbales, le jeu singulier de Hans Schneider est largement audible, approfondissement de sa démarche radicale. Malgré la configuration en trio sax ténor – basse batterie assez explicite, on est ici loin du free-jazz mais plutôt dans l’exploration sonore. Stefan Keune, dont ce sont les débuts, semble bien prometteur. Hans et Stefan deviendront amis pour la vie.
Dans les années 80, un trio British incontournable voit le jour : le saxophoniste John Butcher, le violoniste Phil Durrant et le guitariste John Russell. Il représente ce courant Londonien introspectif pointilliste sans batterie basé sur les techniques de jeu alternatives. Inévitablement, ils tournent en Allemagne au début des années 90 invités par des collectifs germaniques de cette jeune génération « post FMP ». Non contents de jouer en trio, ces trois-là se joignent à leurs collègues allemands. Deux albums séminaux enregistrés en 1991-92 paraissent sur un autre nouveau label lancé par le pianiste Georg Gräwe : Random Acoustics. Hans Schneider est responsable de l’«artwork & design ». Le design original de Hans conçoit une pochette de papier fort monochrome coloré à rabas élégante et soignée qui tranche largement sur le jewel box ou le digipack par son originalité, reconnaissable entre mille. Premier numéro (RA001), le quartet Frisque Concordance réunissant John Butcher, Georg Gräwe, Hans Schneider et le percussionniste Martin Blume. Le titre de ce « classique » incontournable de la scène improvisée est Spellings (Énoncés) ou l’art d’énoncer toutes les variations, nuances et interactions d’un quartet saxophone – piano – contrebasse – percussions contemporain. La musique est basée sur une écoute et des réactions minutieuses, équilibrées dans la répartition de chaque instrumentiste dans l’espace auditif avec un esprit musique de chambre. Les spirales fracturées de John Butcher tant au soprano qu’au ténor, le grain organique de l’archet d’Hans Schneider, les pianismes cristallins à la fois anguleux et ondulés de Georg Gräwe et les friselis et micro-frappes de Martin Blume s’unissent magistralement faisant de Spellings un album révélateur. À ce joyau, s’ajoute Concert Moves du trio Butcher – Durrant – Russell enregistré la même année après quoi ces trois musiciens deviennent des références. Profitant de la présence de Russell dans une nouvelle tournée de 1993, un autre concert rassemble Paul Lovens et son pote Johnny « Guitar » (Russell), avec Hans Schneider et ce nouveau venu, le saxophoniste Stefan Keune à Bochum où Georg Gräwe organise des concerts.
Bien plus tard, quelqu’un retrouve la cassette de l’enregistrement. Publié en 2019, l’année même où John Russell nous a quitté, Live in Bochum ’93 porte un titre supplémentaire : Nothing Particularly Horrible - Keune Russell Schneider Lovens / FMR. Notez que Lovens et Russell se connaissent très bien, ayant joué avec les mêmes collègues -amis : Evan Parker, Günter Christmann et Maarten Altena. Le son est littéralement « échoïque » - réverbérant « caverneux » bien qu’on distingue clairement chaque instrumentiste. Le saxophoniste, excellent au sopranino et le batteur jouent au départ parcimonieusement pour permettre à l’auditeur de ne pas perdre une goutte des sons et harmoniques pointillistes et espacées de John Russell sur sa guitare archtop aux cordes métalliques datant de l’époque jazz-swing. Les frappes éclair et les manipulations sonores de Lovens sont étincelantes et Keune s’avère à la hauteur du guitariste et du batteur. Concentré dans une écoute intense, le bassiste ajoute petites touches et murmures graves rappelant les trois lurons à l’ordre « au bord du silence ». Si la musique de Frisque Concordance est fluide dans son jeu, raisonnée dans sa constructions et équilibrée au niveau collectif bien que kaléïdoscopique, Nothing Particularly Horrible explore des possibilités sonores étirées et plus extrêmes : hyper aigus hargneux du sopranino, cymbales et crotales frottés, crissement ou grattage bruitiste de la guitare avec un plectre en pierre, frappes maniaques sur les cymbales renversées sur les peaux, scie musicale sifflante, jeu espacé ou drone de la contrebasse et des accès et éclats rageurs. Il en résulte que, suite à ce concert, Keune et Russell forment un duo permanent qui fera plusieurs enregistrements (Excerpts & Offerings , Frequency of Use etc…) et que Schneider et Keune confortent leur collaboration future. Et aussi des amitiés profondes. Hans Schneider est sans doute le plus discret, intervenant du tac-au tac à l’intérieur ajoutant un geste, un son dans le sillage de chacun des trois autres créant le ciment qui imprime une cohérence au groupe ou indique une direction avec trois coups d’archet répétés autour duquel les autres évoluent (en 2). Un concert sensationnel qui nous fait transiter dans de multiples occurrences comme on l’entend trop rarement avec une dimension collective et exploratoire exemplaire. Hans figure aussi dans quelques plages d’un album intéressant du label Random Acoustics : Chamber Works qui réunit plusieurs artistes dans différentes formations et compositions de Georg Gräwe.
Hans figure aussi dans quelques plages d’un album intéressant du label Random Acoustics : Chamber Works de Georg Gräwe. Mais le pianiste et le bassiste s’éloignent dans des directions différentes : GG avec Gerry Hemingway et Ernst Reyseger dans un trio qui fera florès en Europe et aux USA et HS dans les arcanes de la scène « locale », devenue une véritable pépinière de talents inventifs à l’échelle de l’Europe. Le talent réel n’ayant rien à voir avec la notoriété.
Suite à ces deux ou trois réussites exemplaires que sont Ellispontos, Spellings et ce concert de Bochum 93, on va trouver Hans Schneider dans des groupes faits pour durer. Parmi ceux – ci, le QUATUOHR , un quartet qui ressemble au « jazz » par son instrumentation trompette, sax/clarinette, contrebasse et batterie, mais qui navigue dans les eaux incertaines de l'improvisation libre collective. Le trompettiste Marc Charig est un vétéran du Brotherhood of Breath et du free-jazz british (Elton Dean, Mike Osborne, Keith Tippett, Barry Guy) et un fidèle partenaire du pianiste Fred Van Hove. Le clarinettiste basse et sax soprano Joachim Zoepf est un chercheur pointu proche de Günter Christmann et joue souvent avec le batteur Wolfgang Schliemann. Hans a réalisé amoureusement les pochettes en papier fort monochrome et collé les photos tirées sur papier des musiciens (KJU - 2002) ou des instruments sans les musiciens (KJU : too – 2003). Ces deux merveilles collectives intimistes toutes en nuances sont publiées par le label Nur Nicht Nur. Son catalogue exponentiel et artisanal rassemble un grand nombre d’artistes peu ou très peu connus où brillent des perles fantastiques signées Paul Hubweber, Uwe Oberg, Ulli Philipp avec Birgit Ulher et Roger Turner ou en duo de basses avec Georg Wolf, Schliemann & Zoepf en duo, Erhard Hirt, Georg Wissel, Malcolm Goldstein, Ute Wassermann, Michal Vorfeld, Claus Van Bebber, Carl Ludwig Hübsch etc… Incontournable !! La musique de Quatuohr est la quintessence de la musique improvisée libre et dans cette atmosphère presque feutrée où chacun relaie adroitement l’autre par petites touches, accents bien placés, sons étranges, usage du silence et un sens de l’espace rare, la contrebasse de Hans Schneider opère par à coups répondant ou proposant avec cohérence juste ce qu’il faut pour que chacun occupe un angle égal dans la géographie des paysages – tableaux évolutifs et jouit d’une dynamique sonore propice qui autorise tout ce qui est possible sans entraver la liberté individuelle. Dans un des albums (KJU :) , Hans joue de la basse électrique comme le ferait un émule de John Russell. Mais ici c’est (KJU : too) que j’épluche et il y joue de la contrebasse en bonne et due forme. Il appert qu’on y entend que quelques sons épars de chacun sur lesquels s’appuient le clarinettiste pour jouer quelque note. À un moment précis, c’est le bassiste qui s’agite de courts instants sollicitant les autres à alterner à contre-courant et à répondre de plus belle et l’archet alors oscille en glissandi sur lesquels oscillent le souffle spiralé en sourdine du trompettiste. Une quantité de figures/ motifs ou actions différentes s’emboîtent comme les mots dans une phrase dans un constant renouvellement d'idées et de mouvements. Ailleurs Hans fait grincer ses cordes avec insistance comme si le moteur de la voiture était en panne, c’est là que les drôles canardent et chahutent de bonne humeur (4). C’est absolument remarquable et d’une grande richesse. L’ego du soliste « expressionniste » est complètement annihilé pour une collaboration instantanée fructueuse. Être capable d’improviser sans interruption six improvisations à ce niveau durant près d’une heure est l’achèvement de toute une vie.
Pour les fines bouches, je mentionne un des deux albums "Live Tempera" initiée par le peintre Marcus Heesch, celui-ci improvisant son art en direct en compagnie de musiciensimprovisateurs. Nur Nicht Nur (encore lui !) avait déjà publié deux extraits de concerts de Heesch avec Simon H.Fell et Lol Coxhill. Le deuxième Live Tempera sur N N N réunit le clarinettiste basse Joachim Zoepf et Hans Schneider à la guitare basse, le CD étant emballé dans une belle pochette jaune canari à rabas et du texte imprimé sur un feuillet. Un bel objet audio à déguster ! Mais direz-vous, le free-jazz « rentre-dedans » s’en est allé ? Et là vous serez surpris ! Il y a à Cologne un saxophoniste alto qui ne craint personne question outrance : rien à envier à Peter Brötzmann, à l’explosif Alan Wilkinson ou le Daunik Lazro à-l’alto-de-notre-jeunesse. J’ai parlé de Jeffrey Morgan, un sujet Américain installé à Cologne. Celui-ci, malade a abandonné son sax alto il y a une dizaine d’années et joue maintenant de la clarinette alto et du piano entre autres avec Lawrence Casserley. Avec le bassiste poids lourd – ceinture noire Peter Jacquemyn et le volatile batteur Mark Sanders, il a gravé The Raven, un brûlot à la gloire du free-free jazz agressif. Violent ! Mais sous le pseudonyme des The Flying Pyjama Fishers (Konnex) en compagnie d’Hans Schneider et de l’électronicien Konrad Doppert, il faut avoir écouté une fois dans sa vie Jeffrey Morgan. C’est à la fois musical vu l’extraordinaire contrôle du souffle dans l’anche (chauffée à blanc) et la colonne d’air et expressionniste avec une disposition d’esprit unique et une expressivité qui égale celle d’Albert Ayler sans lui ressembler le moins du monde. Et là, le travail d’Hans ne crée pas la surenchère, mais calme le jeu en finesse afin que le saxophoniste garde un cap, capte un moment de grâce. Idem pur le travail fin,discret et intéressant de Konrad Doppert. Comme il se doit dans l'improvisation libre intelligente, le souffle brûlant et les harmoniques extrêmes sont audibles dans tous leurs détails. Flamboyant !
On arrive presqu’à la fin ! Mis à part un trio avec le tromboniste Paul Hubweber et à nouveau, Erhard Hirt dont le titre, The Funny Side of Discreet évoque à la fois un standard de jazz, le titre d'un solo enregistré de Paul Rutherford, le label de Frank Zappa et le trio Iskra 1903 de Paul Rutherford par son instrumentation trombone guitare contrebasse (Acheulian Handaxe 2018), les enregistrements d’Hans Schneider se concentrent sur son travail avec Stefan Keune. En pleine vague « réductionniste », le label phare de cette tendance, Creative Sources publie The Long and The Short of It (2007) : Stefan Keune alto et sopranino sax, Hans Schneider contrebasse et le batteur Achim Krämer, son vieux copain des années Gräwe des seventies. S’ouvrant dans la fureur du free-free jazz dans le premier morceau, cet album constitue une belle carte de visite autant pour l’ensemble des facettes du souffle de Keune et la cohérence de ses deux coéquipiers. Les échanges peuvent autant se situer au bord du silence dans une démarche égalitaire (tout le monde au même niveau et dans une écoute mutuelle précise). Dans cet album dont certains morceaux semblent minimalistes, on entend clairement les affinités partagées par Stefan et Hans. Le souffle au sax soprano éclate l’articulation dans les suraigus dans de multiples cadences sauvages ou un jeu ultraprécis et asticoté au fil du rasoir qui sollicitent des instants de silence entre chaque spasme électrisant et un démarche pointilliste sophistiquée du bassiste. Celui-ci exprime avec « peu » un « beaucoup » avec de nouvelles idées qui changent constamment de registre ou d’affect relançant discrètement le souffleur. Quand le batteur se joint à eux, on songe par moment à John Stevens. Sur la lancée, c’est le label FMP lui-même qui publie No Comment sous le nom Keune - Schneider - Krämer l’année suivante. No comment ! Si ce n’est que, ça va vous changer du sax maison FMP, Brötzm. Vous n’y perdez rien au change. En effet, dans cet album Keune joue aussi du sax baryton et la musique est (un peu) plus musclée – énergétique que dans le précédent, dans la ligne dure FMP de l'époque vinyle.
https://creativesources.bandcamp.com/album/the-long-and-the-short-of-it-2
https://destination-out.bandcamp.com/album/no-comment
Mais le vieux copain de Hans, le clarinettiste et saxophoniste Wolfgang Fuchs décède malheureusement un peu plus tard après des déboires dans la gestion de FMP. Quelques années se passent. Et bouf ! Tout à trac, XPACT ressuscite sous le nom de XPACT II, soit Erhard Hirt, Hans Schneider et Paul Lytton … et le saxophoniste Stefan Keune. Concerts en vue dont un, enregistré en 2020, est publié chez FMR, le label british Future Music Records. Avec la paire sonique électro-acoustique de Lytton et Hirt s’intègre à l’esprit ludique austère du tandem Keune – Schneider. Dans cet enregistrement, Hans Schneider prend parfois les devants ou temporise adroitement alors que s’éclatent sax et batteur dans de brefs instant successifs. Toujours aux aguets, la guitare bourrée d’effets de Hirt injecte, disjoncte, soustrait, s’efface ou explose en jouant au chat et à la souris dans les interactions des trois autres. Ou scintille incognito. Mais est-ce Lytton ou Hirt ? Toujours est-il, ce qui survient avec surprise est excellement calibré en fonction du jeu collectif. On appréciera la discrète inventivité anarchiste de Paul Lytton, qui bien avancé dans la septantaine, est resté vert, bien en verve avec les ustensiles percussifs posé sur deux tables de camping brinquebalantes et son installation amplifiée (Trobriander laptop + miscellaneous table top objects). Stefan est crédité tenor sax mais on entend la folle articulation «atomistique» au sax soprano dont il cultive le registre au-delà de sa tessiture normale et en concasse les sonorités, les contorsionne, étire, explose tout en imprimant sa marque personnelle. Son "style" ets reconnaissable entre milles. La diversité des sons, des ambiances et des intrications est phénoménale. Elle peut très bien se raréfier dans avec un archet frottant légèrement le bord d’une cymbale et le ronflement à peine perceptible de l’électronique ou les cordes de la contrebasse frôlées par l’autre archet celui de Hans. Convergent plusieurs tendances de l’improvisation libre (je vous passe les qualificatifs redondants) en une seule musique, celle d’XPACT : du grand art.
https://lytton1.bandcamp.com/album/xpact-ii
Mais comme cette musique est avant tout collective et que c’était le leitmotiv de sa vie de musicien improvisateur, le dernier enregistrement d’Hans Schneider paru le réunit avec le bon vieux King Übü Örchestrü qui en 2021 a adopté Stefan Keune au saxophone sopranino (comme W Fuchs) en compagnie des vétérans Marc Charig, Lytton, Phil Wachsmann, Malvyn Poore, Alfred Zimmerlin, Phil Minton, Axel Dörner et le « plus » jeune tromboniste Matthias Muche. Titre : ROI Deux sets : ROI 3 et ROI 4 (27 :05 et 35 :06) d’une musique à nulle autre pareille. Onze musiciens improvisant ensemble en se faisant de la place à chacun d’eux pour créer un flux sonore aussi lisible qu’inextricable.
https://lytton1.bandcamp.com/album/roi
Ce parcours serait incomplet si je ne faisais pas un petit retour de trois années en arrière. J'avais mentionné plus haut l'existence de The Funny Side of Discreet, enregistré en 2018 par surprise par le trio de Paul Hubweber - Hans Schneider - Erhard Hirt. soit la formule instrumentale trombone - contrebasse - guitare du groupe Iskra 1903 de Paul Rutherford avec Derek Bailey et Barry Guy (double vinyle Incus 3/4 enregistré en 1970-71) dont les prestations radicales durant la première tournée du London Jazz Composer's Orchestra de Barry Guy en 1972 sont à l'origine de l'expression "British Disease". https://handaxe.bandcamp.com/album/the-funny-side-of-discreet
D'ailleurs le titre de ce compact est un clin d'oeil à un titre du légendaire vinyle en solo de Paul Rutherford, The Gentle Harm of the Bourgeoisie. Tout comme Rutherford (R.I.P.), Paul Hubweber souffle avec un maximum de dynamique et de nuances juste à l'opposé de la démarche ultra-puissante et quasi expressionniste de son collègue Hannes Bauer. Paul H. est sûrement un des artistes les plus sous-estimés de la scène internationale alors même qu'il a formé un magnifique trio avec John Edwards et Paul Lovens, deux des improvisateurs les plus demandés (trio PaPaJo). Depuis que Lovens a remisé ses fameux mocassins usés et ses baguettes, Paul H et John E continuent en duo (Where's My Girl ? Nur Nicht Nur). Qui plus est, le tromboniste a le chic pour proposer exclusivement des projets musicaux avec des collègues différents et qui ont une identité musicale, sonore et une esthétique chaque fois bien distincte et une qualité au sommet de la profession avec respectivement Philip Zoubek, Georg Wolf, Claus van Bebber, Ulli Böttcher, DJ Sniff, PaPaJo et ses albums solos Tromboneos,Lurix & Paranoise et Loverman. Au sein du trio Funny Side of Discreet, est associée la connivence évidente contrebasse - trombone, celle qui n'a pas échappé aux astucieux (Barry Guy et Paul Rutherford à Moers 1976, Rutherford et Paul Rogers plus tard, ou Harry Miller et Radu Malfatti) ET les tripatouillages électroniques d'Erhard Hirt, l'occasion d'écouter en détail toutes les extrapolations et métamorphoses sonores, micro-pulsatoires et frictionnelles de l'e-guitar d'Erhard Hirt ou l'humour et la poésie intrinsèque du dobro dans ce contexte. Pas de batterie, car il faut qu'on en entende le moindre détail. D'ailleurs, Erhard a publié sous l'étiquette FMP - Own, Two Concerts d'un super trio sans batteur, avec Phil Minton et John Butcher, une des meilleures productions de FMP de lère compact. Et fort heureusement, ce compact Funny Side permet d'entendre le jeu "DiscReet" d'Hans Schneider sous toutes ses coutures, boisé-ligneux, grinçant, jamais rond, mais accidenté, craquelé, frictionnel, contrasté et hyper attentif avec cette logique imparable qui associe des sonorités variées et éparses en un clin d'oeil. Et comme toujours, il est le facteur d'unité structurant du trio qui intègre autant le lyrisme aérien d'Hubweber, les grattages obsessionnels des cordes, les tirebouchonneries audacieuses de l'embouchure et de la colonne d'air au trombone,les phases de jeu à l'orée du silence salvateur, le bruitisme maniaque,les timbres électroniques de l'e-guitar et la curieuse gaucherie au dobro de Hirt, jusqu'au bout de leurs extrémités ludiques et imaginatives. La classe des vrais "super-groupes" et une fleur au chapeau des trois artistes. Cela dit, je recommande d'investiguer les labels Nur Nicht Nur, Acheulian Handaxe, Hybrid, Concepts of Doing, Edition Explico, Impakt, etc.. trop méconnus et pleins à craquer d'enregistrements essentiels.
Malheureusement, la santé d’Hans Schneider s’est affaiblie vers un état alarmant les derniers mois, jusqu’à ce qu’il nous quitte au cours du mois de novembre dernier. Il avait encore pu jouer avec son ensemble VENTIL avec Ute Wassermann, Birgit Ulher, Stefan Keune et Erhard Hirt au Festival de Moers en juin 2020. J’ai eu l’idée d’écrire ce parcours d’Hans Schneider simplement parce qu’il est évident que cette musique existe autant (si pas plus) par l’activité passionnée d’un grand nombre de praticiens que des notoriétés sur lesquels les média et certains journalistes, groupies ou cognoscenti informés se concentrent bien souvent. La liste des artistes jouant à ce niveau est absolument exponentielle et défie l'imagination à l'instar de ces musiques
https://lytton1.bandcamp.com/album/roi
Free Improvising Singer and improvised music writer.
1 décembre 2024
Harald Kimmig un violoniste de la scène allemande. De C.T. à Hybrid et String Trio.
Harald Kimmig violin.
Harald Kimmig est un violoniste improvisateur qui fut autrefois actif dans la région de Cologne, affilié à cette communauté d’improvisateurs germaniques de la seconde vague de talents qui ont suivi l’émergence des musiciens free tels Peter Kowald, Peter Brötzmann, Alex von Schlippenbach, Manfred Schoof, Buschi Niebergall, Günter Christmann et puis Hans Reichel, Rudiger Carl dont les efforts se sont fédérés dans la coopérative Free-Music Production, entraînant des personnalités telles que les pianistes Fred Van Hove et Irene Schweizer ou des souffleurs comme Evan Parker, Michel Pilz ou Steve Lacy. Au fil des années les rangs des artistes improvisateurs free s’étoffent au point que la visibilité de nombre d’entre eux devient problématique et les possibilités actuelles s'amenuisent de plus en plus. J'aborderai ce sujet plus loin. Dans ce domaine, et je répète les mots sincères de Roger Turner, il y a déjà un quart de siècle: « Les musiciens allemands sont devenus vraiment excellents, ou aussi créatifs que les British. Ça devient dur pour nous». En 1988, Jost Gebers et FMP organise une colossale résidence pour le pianiste Cecil Taylor, une manière de s’ouvrir à l’univers du free-jazz américain. Jusqu’à lors, le mouvement européen aiguillonné par des personnalités radicales comme Derek Bailey mais aussi des jazzmen de l’école ECM semblaient affirmer leur identité européenne, Bailey déclarant (à ses collègues européens) que la musique improvisée libre « non-idiomatique » n’a rien à voir avec le jazz (en fait, on s’en fout car quand on apprend à jouer de la musique on essaie différents genres musicaux pour trouver sa voie : baroque, folk, contemporain, rock, jazz, etc… alors ?).
Suite à une kyrielle de concerts de Cecil largement suivis à Berlin, une quantité impressionnante de CD’s documentant les différentes phases de la collaboration de Taylor et FMP vit le jour comme jamais auparavant dans cette musique. Première parution, un coffret de dix CD’s contenant les enregistrements du pianiste avec les percussionnistes Han Bennink, Paul Lovens, Tony Oxley, Louis Moholo et Gunther Sommer, mais aussi un duo avec Derek Bailey et un trio avec Evan Parker et Tristan Honsinger, plus deux albums en grand orchestre, Alms an Tiergarten et Legba Crossing. Coffret exceptionnel ! La crème de la crème (Evan and William Parker, Bennink, Kowad Rava, Hampel, Brötzmann, Honsinger, Sclavis, Koch, Bauer etc…) fut rassemblée avec un minimum de répétition au préalable, et cela s’entend, le résultat n’est pas trop convainquant. C’est l’opinion de Cecil, en tout cas. Mais un Workshop Orchestra avait été convié parmi la « jeune génération » dont plusieurs musiciens se sont révélés par la suite : Peter Uuskyla, Paul Plimley, Alexander Frangenheim, Georg Wolf, Biggi Vinkeloe, Ove Volquartz et un violoniste, Harald Kimmig. Ce Workshop Orchestra a travaillé au moins une bonne semaine avant leur concert à Berlin offrant au public une prestation enthousiasmante. Alors que FMP préparait la publication de « In Berlin 1988», Cecil Taylor demanda expressément que l’enregistrement du Workshop Orchestra « avec les jeunes » figurent dans la « boîte » des dix CD’s numérotés à partir de « FMP CD 1, CD2, CD3 etc ». Finalement un arrangement fut trouvé et cet enregistrement fut publié sous le titre « Legba Crossing » avec la référence FMP CD 0 et vendu exclusivement « en bonus », inclus dans les 200 premières copies du coffret. Cet album FMP CD 0 ne se trouve donc pas au catalogue des CD's "single" et n’a jamais été disponible à l’unité comme les autres albums individuels rassemblés dans cette imposante parution, sans doute un des items les plus prisés de la discographie du free-jazz.
Sorry , mais moi, j’appelle cela de la condescendance et de la discrimination. On sait qu’aux yeux de journalistes, photographes, organisateurs, cognoscenti ou autres groupies, triomphent le culte de la personnalité et une adoration des "élites" dont certains ont un mérite extraordinaire d'avoir défendu cet art contre vents et marées. Mais on ne peut même pas imaginer qu’un artiste à peine connu puisse être un créateur de haut vol.
Il se fait que, contacté plus tard par Ove Volquartz en 1990, Cecil Taylor et son management ont acquiescé avec enthousiasme pour renouer avec les membres du Workshop Orchestra, entre autres à la Dokumenta de Kassel et dans deux ou trois festivals (Cfr Cecil Taylor "Göttingen" Cd Fundacja Sluchaj). Entre autres, parce que Cecil n’en n’a rien à foutre de la notoriété, il suffit de consulter sa discographie pour s’en rendre compte, ce qui compte pour lui c’est le résultat musical collectif et aussi le vrai talent individuel d'un artiste. Quelle ne fut pas la surprise d’Harald Kimmig lorsque Jost Gebers lui téléphona pour lui annoncer que Cecil Taylor l’invitait à prendre part une de ses tournées de 1989 ! Il semble qu’il ne faut pas attendre l’avis de critiques pontifiants et ultra-informés pour avoir du talent. En fait, si vous avez réellement un talent spécial et « unique » , même un peu caché, ce sont très souvent les artistes de haut vol, les pionniers les plus acharnés et incontournables qui vont venir vous féliciter et vous encourager, et aussi vous inviter à les joindre. C’est mon expérience personnelle et c’est celle d’Harald Kimmig, même si celui-ci est resté modeste et n’a pas eu la grosse tête par la suite. Donc Harald Kimmig a joué dans plusieurs groupes de Cecil Taylor en différentes circonstances. C.T. a tenu aussi qu’un de ses groupes avec Harald Kimmig soient publiés par FMP : « Looking (Berlin Version) Corona » (FMP CD 31 enreg. 1989 Corona est une composition importante) soit 71 minutes d’une musique ultra-énergétique avec le percussionniste Tony Oxley (qui fut son batteur attitré par la suite) et un trio de cordes : Harald Kimmig violon Muneer Abdel Fataah violoncelle et William Parker, contrebassiste attitré du pianiste. Jouer avec Cecil Taylor, ce n’est pas un cadeau : il faut vraiment assurer au-delà de ses forces. Où croyez vous qu'Harri Sjöström a acquis sa capacité à souffler comme si son sax soprano allait exploser ? Je suis chanteur et mes prestations improvisées tournent en général autour des trente minutes en solo ou avec des pointes de trois quart d’heures en duo. En quartet, cela peut durer une heure, mais souvent ou pas toujours "à mon aise". Je peux foutre ma voix en l’air : multiples concerts successifs, les voyages, la fatigue, le froid, l’humidité, le manque de sommeil, une grippe et les cordes vocales qui encaissent au fil d’une tournée ou d’un festival. Et nous souffrons tous des circonstances, fatigue, blessure éventuelle, maladie, arrivée tardive etc… Avec Cecil, comme le témoigne Harald Kimmig, le concert dure deux fois deux heures ! Et le groupe joue au maximum de son intensité tous les soirs et je vous décris pas sur "les répétitions" : avec Cecil il faut s'accrocher et rester cool. H.K. déclare qu’il sentait qu’il allait « mourir » après quinze minutes de jeu, mais il a tenu le coup seize fois cette durée et tous les concerts suivants.
Mais bon, Harald décida assez vite de suivre sa voie personnelle au milieu d’une des scènes les plus vivaces et originales en matière d’improvisation radicale : celle du tromboniste Paul Hubweber, de la trompettiste Birgit Ulher, des guitaristes Erhard Hirt, Hans Tammen, Hainer Wormann, Frank Ruhl, des clarinettistes ou saxophonistes Wolfgang Fuchs, Stefan Keune, Joachim Zoepf, Georg Wissel, Theo Jörgensmann, Ove Volquartz,Jeffrey Morgan, Martin Speicher, Dirk Marwedel, et ensuite Rudi Mahall... , des flûtistes Nils Gerold et Angelika Sheridan … des contrebassistes Hans Schneider, Torsten Müller, Georg Wolf, Ulrich Philipp, Alexander Frangenheim et Rainer Hammerschmidt, des violonistes Gunda Gottschalk et Christoph Irmer ... et Harald Kimmig (!), des pianistes Bernhard Arndt, Georg Gräwe, Martin Theurer, Ursel Schlicht, Uwe Oberg, des électroniciens Joker Nies, Konrad Doppert, Thomas Lehn, Ulli Böttcher, des tubistes Melvyn Poore, Pinguin Moshner, Carl Ludwig Hübsch, des batteurs Achim Krämer, Willi Kellers, Wolfgang Schliemann, Michael Vorfeld, Jörg Fischer, Michael Griener, l'accordéoniste Ute Völker etc… les chanteuses Ute Wassermann et Marianne Schuppe etc… . Ces musiciens, et de nombreux autres, basés à Cologne, Wiesbaden, Bremen, Hamburg, Hannover, Berlin, Stuttgart ou Fribourg en Brisgau (H.K.) ont contribué à étendre, développer et innover dans l’univers sonore interactif de l’improvisation libre au grand bonheur de certains de leurs prédécesseurs éminents : Paul Lovens, Paul Lytton, Günter Christmann, Peter Kowald, Sven Åke Johansson avec qui certains d’entre eux ont joué ou tourné.
Leur univers se situe dans le prolongement direct de celui des improvisateurs Londoniens : citons Derek Bailey, John Stevens, Trevor Watts, Evan Parker, Paul Rutherford, Eddie et Keith d’AMM, Keith Tippett, Tony Oxley, Paul Lytton, Barry Guy, Jamie Muir, Hugh Davies, Phil Wachsmann, Roger Smith et les chanteuses Maggie Nicols et Julie Tippetts etc… bien avant que ne se révèlent deux as incontournables de cette génération, Phil Minton et Roger Turner.
Nombre des artistes précités ont une discographie conséquente ou relativement bien fournie. Mais Harald Kimmig ne s’est jamais trop préoccupé de publier des enregistrements, et ce, durant des décennies. Aux yeux du public informé, il doit apparaître comme un obscur outsider, un qui joue sans doute "aux entrées" en se cantonnant à jouer dans sa ville ou dans sa région avec de temps à autre un saut à Hambourg ou Berlin. Sa discographie intentionnelle, celle dont il est lui-même le responsable se limite à trois albums, c’est-à-dire les albums dont il a initié la réalisation lui-même. Aussi, mis à part son travail avec Cecil Taylor, il ne figure pas dans les discographies d'artistes incontournables de la scène improvisée et cela depuis des décennies. Plus récemment, il a enregistré en trio avec le bassiste Daniel Studer et le violoncelliste Alfred Zimmerlin qu'on entend rarement avec "le gratin". Je reviendrai plus loin sur cette collaboration permanente. Mais il a de sérieuses connexions dans le monde de la danse, une discipline qui a une influence profonde sur sa démarche, tout comme les arts graphiques (cfr pochette de one body one bow one string). Il a pu ainsi faire évoluer son talent dans d'autres sphères. J'en profite de rappeler le décès récent du contrebassiste Hans Schneider, musicien improvisateur essentiel dont je vous entretiendrai tout prochainement.
Harald Kimmig violin solo « Im Freien » hybrid cd 15. 1997
Harald Kimmig – Christoph Schiller Regen Creative Sources 2007
Harald Kimmig One body, one bow, one string inexhaustible editions ie-014 2014
https://inexhaustibleeditions.bandcamp.com/album/one-body-one-bow-one-string
Convié à jouer à Lisbonne en 2017 par Ernesto et Guilherme Rodrigues, respectivement alto et violoncelle, Harald Kimmig n’a pas eu à discuter : deux enregistrements figurent au label Creative Sources des Rodrigues en compagnie de ces derniers, de Miguel Mira, Alvaro Rosso et Vasco Trilla (Blattwerk et Zweige). Je ne les ai pas écoutés pour la simple et bonne raison qu’Ernesto Rodrigues, un musicien exceptionnel est le champion incontesté de la documentation : son label Creative Sources atteint un nombre record de productions : + 860 numéros au catalogue depuis l’an 2000 et il figure dans un grand nombre de CD’s. Impossible de tout appréhender. Comme Harald habite plus près de Bâle, Berne ou Zurich que des autres grands villes allemandes, il ne faut pas s’étonner de le voir évoluer en Suisse. Depuis environ 2012 , il fait partie d’un String Trio que je considère comme le groupe « à cordes frottées de la famille des violons » ultime , culte , extraordinaire ex-aequo avec l’exceptionnel Stellari Quartet de Phil Wachsmann, Charlotte Hug, Marcio Mattos et John Edwards (deux CD’s Emanem). Mais si les Stellari se retrouvent sur une scène de temps à autres, lors d’un festival ou de quelques concerts, les trois musiciens du String Trio, Kimmig, le violoncelliste vétéran Alfred Zimmerlin et le contrebassiste Daniel Studer se retrouvent une fois par mois pour jouer, réfléchir, discuter et envisager d’autres modes de jeux, des collaborations, Zurich se trouvant à 60km de Fribourg en Brisgau. Un « vrai » groupe d’improvisation.
Avec l’entregent des Suisses, le String Trio enregistre Erzahlend, un double CD pour le label Unit (2012), mais je n’ai pu l’écouter. Quelques années plus tard Raw du Trio Kimmig Studer Zimmerlin and John Butcher voit le jour chez Leo Records et cela a été une véritable révélation juste avant que je puisse écouter le CD Solo One violin one bow one string. Cet album RAW en quartet est d’une richesse extraordinaire mettant autant en évidence tout le savoir-faire du saxophoniste (ultra-documenté), les inventions et l’étendue peu commune des possibilités des trois cordistes qui, comme le dit si bien le violoniste Jon Rose, jouent comme les cinq doigts de la main dans un gant de velours. Les métamorphoses soniques du trio sont mirobolantes on passe dans tous les états du gazeux au liquide, du granuleux au boisé, des stries auditives au solide arachnéen. Un éternel labyrinthe musical et un des tout meilleurs albums de Butcher et d'improvisation "cordiste".
Pour décrire sa musique, il faut absolument avoir vu jouer Harald Kimmig : son jeu et sa démarche sont proches de la danse et basées sur le mouvement du corps et le geste. Gestes répétés sans relâche de la main tenant l’archet, battant les cordes dans de fascinants crescendos dont l'angle est à peine perceptible,frottant, griffant, percutant col legno ou avec les doigts à même le corps du violon, bruitages claquant dans l'espace, actions simultanées formant une polyphonie – polyrythmie sauvage, organique. Il fait craquer, siffler, gémir ou chanter son instrument d’un seul tenant. C’est ce qu’on peut entendre dans cet album Solo One body, one bow one string durant deux longues improvisations de 35 et 26 minutes (part I, part II). Mais même cela ne vous prépare à une performance solo dans une acoustique propice, spéciale ou même caverneuse. Avec mes deux camarades d’O.M.F.I, le saxophoniste (sopranino) Jean-Jacques Duerinckx et le contrebassiste Mattia Masolini (absent ce soir-là), nous l’avons invité à se produire le 20 octobre 2024 à Bruxelles dans la Chapelle du Grand Hospice, un énorme bâtiment historique devenu « un squat officiel " de la Ville de Bruxelles. Les gérants nous prêtent ce lieu magique à l’acoustique problématique. Nettement plus haute que large, cette salle carrée carrelée et plafonnée est surmontée par une haute coupole de la dimension d'un super étage supplémentaire avec des colonnes. Le résonnance ultra-réverbérante est telle qu’un quintet sax, trompette, piano basse, batterie, ou avec guitare électrique improvisant librement court à sa perte. Même le jeu « normal » au piano solitaire en devient problématique, les cuivres , aïïïe ..! Nous présentons des concerts dans ce lieu singulier afin que les improvisateurs se plient à ses propriétés acoustiques difficiles. Facile pour un vocaliste, je suis gâté, mais pour les autres !! Pour ce faire, nous invitons trois musiciens en solo suivi d’une rencontre à trois et souvent des musiciens qui ne jouent pas ensemble. Ou bien alors, un solo, un duo , suivi d’un trio. Cela a été le cas avec Harald Kimmig et deux copains de Bruxelles, le percussionniste Andres Navarro et le tromboniste Christophe Morisset. Harald ne s’est pas fait prier, il a ouvert le concert en solo et ce fut sans doute la plus brillante démonstration musicale et instrumentale pour inscrire son improvisation (une demi-heure) dans cet environnement hasardeux à laquelle j’ai assisté depuis plus de deux années et, même, depuis très longtemps. On atteint là le niveau du Derek Bailey « acoustique » d’Aïda (Incus 40) ou de Drop Me Off at 96th (scätter), du Barre Phillips de Journal Violone a/k/a Basse Barre, des Open Secrets de Peter Kowald, du Paul Rutherford de Gentle Harm (Emanem)et Old Moers Almanach, ou des solos forcenés de Paul Rogers (Listen /Emanem et Being /Amor Fatti), des pirouettes incessantes de Fred Van Hove et des saxophonistes parmi les plus exemplaires (Parker de Saxophone Solos, Coxhill, Butcher, Leimgruber ou Doneda) ou la détermination de Birgit Ulher avec ses improbables sourdines.
Le concert commence par des coups brefs sur l’instrument, chocs, bruits, griffes, grincements, puis ondulations, harmoniques, sifflements en crescendo minutieux où se croisent de subtils changements d’humeur et de résonnances impalpables. Kimmig aspire la salle, subjugue son auditoire avec une sublime évidence sans gaspiller la moindre miette, le moindre instant. Il fait venir le silence à lui, phagocyte l’écoute. Et tout à trac dans le climax de son mouvement perpétuel, il lance les oscillations de son archet sur les cordes dans des spirales virtuoses dont les sons se chevauchent, vibrent comme une voix magique, avec la "voix" naturelle du violon, "comme on lui a appris". Sa qualité de timbre est radieuse, irridescente, magnétique, sublimée. Le son de la voix d'un ange... qui passe. Dès lors, la puissance de son jeu due à une rare capacité de projection sonore fait littéralement monter le centre de la vibration du violon à deux mètres au-dessus de sa tête dans l’espace amplifié par la Chapelle elle-même et son dôme dont le sommet se situe à plus de six mètres de hauteur. Affolant, magique. Jean-Jacques, lui même un virtuose exigeant, décollait de son siège, bouleversé. Pour réaliser ce que je viens de décrire, il faut un sens musical du lieu en en évaluant et mesurant ses fréquences précises grâce au fruit de l’expérience et à une intuition savante et pragmatique. C’est sur ce type de phénomène acoustique que travaille Evan Parker quand il preste en solo dans une église ou une salle particulière jusqu’au point où on entend vibrer fortement les osselets de l’oreille interne (dont le fameux Incus qui fut aussi le logo de son label vinylique du même nom). Ast’a blieft !
NB : cette capacité à évaluer la fréquence sonore d'une pièce est une capacité connue des musiciens curieux qui ont cherché sur leur instrument tout ce qui est possible et l'impossible à la fois. Un ami, le contrebassiste Jean Demey, a un métier énorme dans plusieurs domaines musicaux, c'est aussi un maître des percussions à main orientales (Derbuka, Daf) dans leur tradition originale. Il est aussi un clarinettiste basse 'd'occasion'. Un jour il rentre dans une galerie d'art où il devait prester un concert avec une sculptrice. Il déballe sa clarinette basse et fait immédiatement vibrer l'entièreté du local, le son devenant énorme, envahissant toute la pièce qui se transforme en une véritable caisse de résonance. Il avait soufflé cette note du premier coup juste après avoir dit un mot ou deux en entrant. Je raconte cela parce que la musique c'est ça aussi ! Il faut écouter et comprendre où on se trouve en un instant.
https://soundcloud.com/kimmig-studer-zimmerlin/sets/im-hellen-string-trio
D’autres albums du String Trio paraissent sur hat(now)Art (Hat Art – hatology), un label suisse (héhé) qui devient Ezz-thetics peu après la sortie de leur IM HELLEN. Un monument de la musique contemporaine : Kimmig-Studer-Zimmerlin IM HELLEN String Trio (hat (now) Art 201. 2017). Un professeur de composition réputé fait écouter ce disque à ses élèves du Conservatoire parmi plusieurs autres compositions de compositeurs réputés en leur demandant de découvrir lequel parmi eux contient une improvisation. Résultat des courses : jamais personne ne devine qu’il s’agit du String Trio – Im Hellen. Il y a neuf courts morceaux dont le plus long s’étend sur 10:58. Rien que ce passage infernal où Harald martèle ses cordes frénétiquement avec le revers de son archet (col legno) est d’une inventivité sonore mirobolante : il applique la force suffisante au milli-poil pour atteindre la résonance du bois de l’archet et de la touche pour une expressivité et un rendu acoustique ultra-lisible et précis. C’est aussi compliqué que de jouer du Bach (Partitas pour violon seul). Bouf ! Mais ce n’est pas tout. Ezz-thetics (1010) propose dans son catalogue l’album Kimmig-Studer- Zimmerlin and George Lewis, le tromboniste afro-américain, instrumentiste virtuose au-delà du possible et compositeur contemporain dont un anarchiste notoire peu prompt aux compliments et qui déteste les hiérarchies, le saxophoniste français Michel Doneda, le décrit comme étant un des plus grands musiciens contemporains, un enthousiaste bien éloigné des considérations oiseuses de ce bas monde qui agitent trop souvent la profession. Vraiment à écouter.
Tout récemment, le STRING TRIO est devenu électrique et électronique et c’est une tout autre aventure : Black Forest Diary (Wide Ear WER 1014).https://wideearrecords.bandcamp.com/album/black-forest-diary
Pour en revenir à son premier album, IM FREIEN, il est composé de morceaux courts qui constituent l’amorce sonore de sa carrière. On y trouve déjà tous les éléments constitutifs de sa démarche actuelle où tous ces sonorités, techniques et gestes se fondent dans un flux d’un seul tenant qui fait l’effet d’une véritable composition instantanée conçue en temps réel dans les circonstances spécifiques d’un lieu. Avec ses échappées de glissandi chatoyants, frénétiques et expressifs (8 Drinnen – GLUT 5:54) et ce sens polyphonique d’un autre type, IM FREIEN est alors une rare carte de visite publiée sur un micro-label qui servit de havre temporaire à une série d’artistes de premier plan : Hybrid Music Productions. Qui n’a jamais entendu parler de ce label en France, aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne, Italie, aux USA ou en Belgique ? J’en ai trouvé quelques-uns au hasard de mes pérégrinations et rencontres. Citons Ebro Delta, un des premiers CD « internationaux » du pianiste Agusti Fernandez en duo avec le violoniste Christoph Irmer de Wuppertal (Hybrid CD 18 1999). Une démonstration exemplaire de l’obsolescence de l’adage extrême du syndrome Tchaïkovsky qui veut que le piano et le violon ça ne va pas ensemble pour les raisons que l’on sait. Mais dites, qui est vraiment à même d’accorder vraiment un piano pour satisfaire les exigences d’un violoniste ou d’un violoncelliste ? Une étonnante réussite. Christoph fait partie d’un des meilleurs groupes d’improvisation, Canaries on The Pole. Stefan Keune est le dernier des oisillons anchistes à être tombé du nid pour succéder au terrorisant Wolgang Fuchs au sein de XPACT II. Sommé de désigner lors d’une interview, un saxophoniste qu’il adore et qui se situe « dans son lignage musical », Evan Parker a eu le cri du cœur pour l’alors inconnu Stefan Keune, duettiste du guitariste acoustique par excellence, John Russell (cfr Frequency of Use publié par Nur Nicht Nur le label corne d’abondance des improvisateurs germaniques). Et bien, son premier album enregistré, Loft, (Köln) – Stefan Keune Trio avec contrebassiste Hans Schneider (RIP) et Paul Lytton est le n°3 de Hybrid Music Productions en 1992.
Lors de ses tournées sur le continent, le contrebassiste John Edwards, un musicien très demandé, n’a de cesse de faire escale à Aachen. Y réside un tromboniste unique en son genre, celui qui fait exploser son trombone en jouant en douceur avec une vivacité étonnante et un sens de la dynamique exceptionnel au bord du silence : Paul Hubweber. Edwards et lui avaient un trio avec Paul Lovens, PaPaJo et continuent l'aventure en duo le plus souvent possible. On trouve son premier enregistrement marquant dans le CHW Trio sur le même Hybrid au n° 7 (1992) avec le batteur Hannes Clauss, le guitariste Hainer Wörmann et lui-même Paul Hubweber au trombone sous le titre Serendipity. J’ai quasi tous ses albums et il n’y en n'a pas deux qui se ressemblent. Airmail de la trompettiste Birgit Ulher et du percussionniste Wolfgang Ritthof inaugure l’évolution fascinante d’une grande artiste du son et de l’embouchure qui n’a rien à envier aux Peter Evans, Axel Dörner, Franz Hautzinger ou Nate Wooley en matière d’innovation révolutionnaire trompettistique (Hybrid n°13 1996). Son art a fait le tour du monde avec de nombreux artistes tout aussi passionnants dont Gino Robair, Heddy Boubaker ou Ute Wassermann. Le son dit minimaliste introspectif et « tubulaire » animé par un sens aigu des pulsations et du timing. Et alors Die Klangraümer (Hybrid 10) par Mangelware est sans doute le premier album de Thomas Lehn l’as du synthé analogique en compagnie du souffleur Andreas Wagner et du bassiste Guido Haffner. Dans Erdtöne - Notation Des Lots (Kreta) , on trouve le saxophoniste Martin Speicher, le percussionniste Michael Vorfeld, le contrebassiste Georg Wolf et le guitariste Hans Tammen qui vit aujourd’hui à New York : Hybrid n° 17, lui-même une suite du CD Hybrid n°1, Giessen Improvisers Pool. Hans Tammen duettise avec la pianiste Ursel Schlicht dans Duo Statements (Hybrid 11 ). Un autre pianiste, Uwe Oberg en solitaire dans Olo Olo Piano Music (Hybrid n° 6). Le saxophoniste Dirk Marwedel et ses Improvisationen Über Die Trichter-Skala (Hybrid 14)est aussi un as du sax sopranino. L’electro-acoustic improvisation ou EAI, elle, trouve une de ses racines dans Nefastismaschine du groupe Maxwell Dämon de Ulrich Böttcher, Uwe Buhrdorf et Ulrich Philipp, crédités Elektronik et respectivement Perkussion, Klarinette und Kontrabass. C’est complètement détonnant et mystérieux. Et une fois le tour d’Hybrid presqu’achevé, je vous passe le parcours de Nur Nicht Nur, un des deux ou trois labels les plus passionnants des années 90-2000 éclipsant question renouvellement et recherche d’autres qui se sont contentés de nous livrer des registres qu’on avait déjà entendus durant l’ère Incus, FMP, Po Torch, etc.. (encore que le duo Lovens - Lytton pouvait se révéler très surprenant).
Tout cela pour dire que la plus grande richesse des musiques improvisées radicales ne se situent pas qu’au niveau des musiciens à la notoriété internationale, mais tout autant grâce à cette multitude d’acteurs passionnés, fascinés par la découverte de nouveaux territoires sonores, ceux qui prennent des risques et se remettent en question, certains étant capables d’électriser les « masses populaires » de manière irrévocable. C’est le cas de notre ami Harald Kimmig un vrai phénomène et de nombreux de ces condisciples cités ici. Il faut déplorer qu’un nombre de journalistes, promoteurs, organisateurs « responsables » restent à la surface des choses, négligent le talent réel pour le sensationnel, le scoop, les valeurs sûres, celles qu'on entend dansles festivals importants. Avec une solide dose de conformisme. Il faut voir certains individus "cognoscenti" se précipiter à la suite d’artistes (archi)connus pour se rendre au restaurant, faire des photos, glaner des informations, quémander des signatures sur un CD ou un LP, et conforter leur statut d’auditeur de première classe, mais méprisent, parfois cordialement, ceux dont le talent reste dans l’ombre, ou en s’ouvrant à eux comme s’ils allaient leur faire une faveur. Certains d'entre eux ne reçoivent plus aucune considération de ceux qui sont sensés faire connaître cette musique.
Il s’agit d’une musique collective et cette musique est faite d’affinités, de communauté d'intentions esthétiques, mais aussi d’amitié, de respect, de compréhension et d’entraide. Opportunistes, carriéristes, égocentriques,obsédés des références et du C.V., mythomanes, dégagez ! Faites de la place à l'authenticité.
Harald Kimmig est un violoniste improvisateur qui fut autrefois actif dans la région de Cologne, affilié à cette communauté d’improvisateurs germaniques de la seconde vague de talents qui ont suivi l’émergence des musiciens free tels Peter Kowald, Peter Brötzmann, Alex von Schlippenbach, Manfred Schoof, Buschi Niebergall, Günter Christmann et puis Hans Reichel, Rudiger Carl dont les efforts se sont fédérés dans la coopérative Free-Music Production, entraînant des personnalités telles que les pianistes Fred Van Hove et Irene Schweizer ou des souffleurs comme Evan Parker, Michel Pilz ou Steve Lacy. Au fil des années les rangs des artistes improvisateurs free s’étoffent au point que la visibilité de nombre d’entre eux devient problématique et les possibilités actuelles s'amenuisent de plus en plus. J'aborderai ce sujet plus loin. Dans ce domaine, et je répète les mots sincères de Roger Turner, il y a déjà un quart de siècle: « Les musiciens allemands sont devenus vraiment excellents, ou aussi créatifs que les British. Ça devient dur pour nous». En 1988, Jost Gebers et FMP organise une colossale résidence pour le pianiste Cecil Taylor, une manière de s’ouvrir à l’univers du free-jazz américain. Jusqu’à lors, le mouvement européen aiguillonné par des personnalités radicales comme Derek Bailey mais aussi des jazzmen de l’école ECM semblaient affirmer leur identité européenne, Bailey déclarant (à ses collègues européens) que la musique improvisée libre « non-idiomatique » n’a rien à voir avec le jazz (en fait, on s’en fout car quand on apprend à jouer de la musique on essaie différents genres musicaux pour trouver sa voie : baroque, folk, contemporain, rock, jazz, etc… alors ?).
Suite à une kyrielle de concerts de Cecil largement suivis à Berlin, une quantité impressionnante de CD’s documentant les différentes phases de la collaboration de Taylor et FMP vit le jour comme jamais auparavant dans cette musique. Première parution, un coffret de dix CD’s contenant les enregistrements du pianiste avec les percussionnistes Han Bennink, Paul Lovens, Tony Oxley, Louis Moholo et Gunther Sommer, mais aussi un duo avec Derek Bailey et un trio avec Evan Parker et Tristan Honsinger, plus deux albums en grand orchestre, Alms an Tiergarten et Legba Crossing. Coffret exceptionnel ! La crème de la crème (Evan and William Parker, Bennink, Kowad Rava, Hampel, Brötzmann, Honsinger, Sclavis, Koch, Bauer etc…) fut rassemblée avec un minimum de répétition au préalable, et cela s’entend, le résultat n’est pas trop convainquant. C’est l’opinion de Cecil, en tout cas. Mais un Workshop Orchestra avait été convié parmi la « jeune génération » dont plusieurs musiciens se sont révélés par la suite : Peter Uuskyla, Paul Plimley, Alexander Frangenheim, Georg Wolf, Biggi Vinkeloe, Ove Volquartz et un violoniste, Harald Kimmig. Ce Workshop Orchestra a travaillé au moins une bonne semaine avant leur concert à Berlin offrant au public une prestation enthousiasmante. Alors que FMP préparait la publication de « In Berlin 1988», Cecil Taylor demanda expressément que l’enregistrement du Workshop Orchestra « avec les jeunes » figurent dans la « boîte » des dix CD’s numérotés à partir de « FMP CD 1, CD2, CD3 etc ». Finalement un arrangement fut trouvé et cet enregistrement fut publié sous le titre « Legba Crossing » avec la référence FMP CD 0 et vendu exclusivement « en bonus », inclus dans les 200 premières copies du coffret. Cet album FMP CD 0 ne se trouve donc pas au catalogue des CD's "single" et n’a jamais été disponible à l’unité comme les autres albums individuels rassemblés dans cette imposante parution, sans doute un des items les plus prisés de la discographie du free-jazz.
Sorry , mais moi, j’appelle cela de la condescendance et de la discrimination. On sait qu’aux yeux de journalistes, photographes, organisateurs, cognoscenti ou autres groupies, triomphent le culte de la personnalité et une adoration des "élites" dont certains ont un mérite extraordinaire d'avoir défendu cet art contre vents et marées. Mais on ne peut même pas imaginer qu’un artiste à peine connu puisse être un créateur de haut vol.
Il se fait que, contacté plus tard par Ove Volquartz en 1990, Cecil Taylor et son management ont acquiescé avec enthousiasme pour renouer avec les membres du Workshop Orchestra, entre autres à la Dokumenta de Kassel et dans deux ou trois festivals (Cfr Cecil Taylor "Göttingen" Cd Fundacja Sluchaj). Entre autres, parce que Cecil n’en n’a rien à foutre de la notoriété, il suffit de consulter sa discographie pour s’en rendre compte, ce qui compte pour lui c’est le résultat musical collectif et aussi le vrai talent individuel d'un artiste. Quelle ne fut pas la surprise d’Harald Kimmig lorsque Jost Gebers lui téléphona pour lui annoncer que Cecil Taylor l’invitait à prendre part une de ses tournées de 1989 ! Il semble qu’il ne faut pas attendre l’avis de critiques pontifiants et ultra-informés pour avoir du talent. En fait, si vous avez réellement un talent spécial et « unique » , même un peu caché, ce sont très souvent les artistes de haut vol, les pionniers les plus acharnés et incontournables qui vont venir vous féliciter et vous encourager, et aussi vous inviter à les joindre. C’est mon expérience personnelle et c’est celle d’Harald Kimmig, même si celui-ci est resté modeste et n’a pas eu la grosse tête par la suite. Donc Harald Kimmig a joué dans plusieurs groupes de Cecil Taylor en différentes circonstances. C.T. a tenu aussi qu’un de ses groupes avec Harald Kimmig soient publiés par FMP : « Looking (Berlin Version) Corona » (FMP CD 31 enreg. 1989 Corona est une composition importante) soit 71 minutes d’une musique ultra-énergétique avec le percussionniste Tony Oxley (qui fut son batteur attitré par la suite) et un trio de cordes : Harald Kimmig violon Muneer Abdel Fataah violoncelle et William Parker, contrebassiste attitré du pianiste. Jouer avec Cecil Taylor, ce n’est pas un cadeau : il faut vraiment assurer au-delà de ses forces. Où croyez vous qu'Harri Sjöström a acquis sa capacité à souffler comme si son sax soprano allait exploser ? Je suis chanteur et mes prestations improvisées tournent en général autour des trente minutes en solo ou avec des pointes de trois quart d’heures en duo. En quartet, cela peut durer une heure, mais souvent ou pas toujours "à mon aise". Je peux foutre ma voix en l’air : multiples concerts successifs, les voyages, la fatigue, le froid, l’humidité, le manque de sommeil, une grippe et les cordes vocales qui encaissent au fil d’une tournée ou d’un festival. Et nous souffrons tous des circonstances, fatigue, blessure éventuelle, maladie, arrivée tardive etc… Avec Cecil, comme le témoigne Harald Kimmig, le concert dure deux fois deux heures ! Et le groupe joue au maximum de son intensité tous les soirs et je vous décris pas sur "les répétitions" : avec Cecil il faut s'accrocher et rester cool. H.K. déclare qu’il sentait qu’il allait « mourir » après quinze minutes de jeu, mais il a tenu le coup seize fois cette durée et tous les concerts suivants.
Mais bon, Harald décida assez vite de suivre sa voie personnelle au milieu d’une des scènes les plus vivaces et originales en matière d’improvisation radicale : celle du tromboniste Paul Hubweber, de la trompettiste Birgit Ulher, des guitaristes Erhard Hirt, Hans Tammen, Hainer Wormann, Frank Ruhl, des clarinettistes ou saxophonistes Wolfgang Fuchs, Stefan Keune, Joachim Zoepf, Georg Wissel, Theo Jörgensmann, Ove Volquartz,Jeffrey Morgan, Martin Speicher, Dirk Marwedel, et ensuite Rudi Mahall... , des flûtistes Nils Gerold et Angelika Sheridan … des contrebassistes Hans Schneider, Torsten Müller, Georg Wolf, Ulrich Philipp, Alexander Frangenheim et Rainer Hammerschmidt, des violonistes Gunda Gottschalk et Christoph Irmer ... et Harald Kimmig (!), des pianistes Bernhard Arndt, Georg Gräwe, Martin Theurer, Ursel Schlicht, Uwe Oberg, des électroniciens Joker Nies, Konrad Doppert, Thomas Lehn, Ulli Böttcher, des tubistes Melvyn Poore, Pinguin Moshner, Carl Ludwig Hübsch, des batteurs Achim Krämer, Willi Kellers, Wolfgang Schliemann, Michael Vorfeld, Jörg Fischer, Michael Griener, l'accordéoniste Ute Völker etc… les chanteuses Ute Wassermann et Marianne Schuppe etc… . Ces musiciens, et de nombreux autres, basés à Cologne, Wiesbaden, Bremen, Hamburg, Hannover, Berlin, Stuttgart ou Fribourg en Brisgau (H.K.) ont contribué à étendre, développer et innover dans l’univers sonore interactif de l’improvisation libre au grand bonheur de certains de leurs prédécesseurs éminents : Paul Lovens, Paul Lytton, Günter Christmann, Peter Kowald, Sven Åke Johansson avec qui certains d’entre eux ont joué ou tourné.
Leur univers se situe dans le prolongement direct de celui des improvisateurs Londoniens : citons Derek Bailey, John Stevens, Trevor Watts, Evan Parker, Paul Rutherford, Eddie et Keith d’AMM, Keith Tippett, Tony Oxley, Paul Lytton, Barry Guy, Jamie Muir, Hugh Davies, Phil Wachsmann, Roger Smith et les chanteuses Maggie Nicols et Julie Tippetts etc… bien avant que ne se révèlent deux as incontournables de cette génération, Phil Minton et Roger Turner.
Nombre des artistes précités ont une discographie conséquente ou relativement bien fournie. Mais Harald Kimmig ne s’est jamais trop préoccupé de publier des enregistrements, et ce, durant des décennies. Aux yeux du public informé, il doit apparaître comme un obscur outsider, un qui joue sans doute "aux entrées" en se cantonnant à jouer dans sa ville ou dans sa région avec de temps à autre un saut à Hambourg ou Berlin. Sa discographie intentionnelle, celle dont il est lui-même le responsable se limite à trois albums, c’est-à-dire les albums dont il a initié la réalisation lui-même. Aussi, mis à part son travail avec Cecil Taylor, il ne figure pas dans les discographies d'artistes incontournables de la scène improvisée et cela depuis des décennies. Plus récemment, il a enregistré en trio avec le bassiste Daniel Studer et le violoncelliste Alfred Zimmerlin qu'on entend rarement avec "le gratin". Je reviendrai plus loin sur cette collaboration permanente. Mais il a de sérieuses connexions dans le monde de la danse, une discipline qui a une influence profonde sur sa démarche, tout comme les arts graphiques (cfr pochette de one body one bow one string). Il a pu ainsi faire évoluer son talent dans d'autres sphères. J'en profite de rappeler le décès récent du contrebassiste Hans Schneider, musicien improvisateur essentiel dont je vous entretiendrai tout prochainement.
Harald Kimmig violin solo « Im Freien » hybrid cd 15. 1997
Harald Kimmig – Christoph Schiller Regen Creative Sources 2007
Harald Kimmig One body, one bow, one string inexhaustible editions ie-014 2014
https://inexhaustibleeditions.bandcamp.com/album/one-body-one-bow-one-string
Convié à jouer à Lisbonne en 2017 par Ernesto et Guilherme Rodrigues, respectivement alto et violoncelle, Harald Kimmig n’a pas eu à discuter : deux enregistrements figurent au label Creative Sources des Rodrigues en compagnie de ces derniers, de Miguel Mira, Alvaro Rosso et Vasco Trilla (Blattwerk et Zweige). Je ne les ai pas écoutés pour la simple et bonne raison qu’Ernesto Rodrigues, un musicien exceptionnel est le champion incontesté de la documentation : son label Creative Sources atteint un nombre record de productions : + 860 numéros au catalogue depuis l’an 2000 et il figure dans un grand nombre de CD’s. Impossible de tout appréhender. Comme Harald habite plus près de Bâle, Berne ou Zurich que des autres grands villes allemandes, il ne faut pas s’étonner de le voir évoluer en Suisse. Depuis environ 2012 , il fait partie d’un String Trio que je considère comme le groupe « à cordes frottées de la famille des violons » ultime , culte , extraordinaire ex-aequo avec l’exceptionnel Stellari Quartet de Phil Wachsmann, Charlotte Hug, Marcio Mattos et John Edwards (deux CD’s Emanem). Mais si les Stellari se retrouvent sur une scène de temps à autres, lors d’un festival ou de quelques concerts, les trois musiciens du String Trio, Kimmig, le violoncelliste vétéran Alfred Zimmerlin et le contrebassiste Daniel Studer se retrouvent une fois par mois pour jouer, réfléchir, discuter et envisager d’autres modes de jeux, des collaborations, Zurich se trouvant à 60km de Fribourg en Brisgau. Un « vrai » groupe d’improvisation.
Avec l’entregent des Suisses, le String Trio enregistre Erzahlend, un double CD pour le label Unit (2012), mais je n’ai pu l’écouter. Quelques années plus tard Raw du Trio Kimmig Studer Zimmerlin and John Butcher voit le jour chez Leo Records et cela a été une véritable révélation juste avant que je puisse écouter le CD Solo One violin one bow one string. Cet album RAW en quartet est d’une richesse extraordinaire mettant autant en évidence tout le savoir-faire du saxophoniste (ultra-documenté), les inventions et l’étendue peu commune des possibilités des trois cordistes qui, comme le dit si bien le violoniste Jon Rose, jouent comme les cinq doigts de la main dans un gant de velours. Les métamorphoses soniques du trio sont mirobolantes on passe dans tous les états du gazeux au liquide, du granuleux au boisé, des stries auditives au solide arachnéen. Un éternel labyrinthe musical et un des tout meilleurs albums de Butcher et d'improvisation "cordiste".
Pour décrire sa musique, il faut absolument avoir vu jouer Harald Kimmig : son jeu et sa démarche sont proches de la danse et basées sur le mouvement du corps et le geste. Gestes répétés sans relâche de la main tenant l’archet, battant les cordes dans de fascinants crescendos dont l'angle est à peine perceptible,frottant, griffant, percutant col legno ou avec les doigts à même le corps du violon, bruitages claquant dans l'espace, actions simultanées formant une polyphonie – polyrythmie sauvage, organique. Il fait craquer, siffler, gémir ou chanter son instrument d’un seul tenant. C’est ce qu’on peut entendre dans cet album Solo One body, one bow one string durant deux longues improvisations de 35 et 26 minutes (part I, part II). Mais même cela ne vous prépare à une performance solo dans une acoustique propice, spéciale ou même caverneuse. Avec mes deux camarades d’O.M.F.I, le saxophoniste (sopranino) Jean-Jacques Duerinckx et le contrebassiste Mattia Masolini (absent ce soir-là), nous l’avons invité à se produire le 20 octobre 2024 à Bruxelles dans la Chapelle du Grand Hospice, un énorme bâtiment historique devenu « un squat officiel " de la Ville de Bruxelles. Les gérants nous prêtent ce lieu magique à l’acoustique problématique. Nettement plus haute que large, cette salle carrée carrelée et plafonnée est surmontée par une haute coupole de la dimension d'un super étage supplémentaire avec des colonnes. Le résonnance ultra-réverbérante est telle qu’un quintet sax, trompette, piano basse, batterie, ou avec guitare électrique improvisant librement court à sa perte. Même le jeu « normal » au piano solitaire en devient problématique, les cuivres , aïïïe ..! Nous présentons des concerts dans ce lieu singulier afin que les improvisateurs se plient à ses propriétés acoustiques difficiles. Facile pour un vocaliste, je suis gâté, mais pour les autres !! Pour ce faire, nous invitons trois musiciens en solo suivi d’une rencontre à trois et souvent des musiciens qui ne jouent pas ensemble. Ou bien alors, un solo, un duo , suivi d’un trio. Cela a été le cas avec Harald Kimmig et deux copains de Bruxelles, le percussionniste Andres Navarro et le tromboniste Christophe Morisset. Harald ne s’est pas fait prier, il a ouvert le concert en solo et ce fut sans doute la plus brillante démonstration musicale et instrumentale pour inscrire son improvisation (une demi-heure) dans cet environnement hasardeux à laquelle j’ai assisté depuis plus de deux années et, même, depuis très longtemps. On atteint là le niveau du Derek Bailey « acoustique » d’Aïda (Incus 40) ou de Drop Me Off at 96th (scätter), du Barre Phillips de Journal Violone a/k/a Basse Barre, des Open Secrets de Peter Kowald, du Paul Rutherford de Gentle Harm (Emanem)et Old Moers Almanach, ou des solos forcenés de Paul Rogers (Listen /Emanem et Being /Amor Fatti), des pirouettes incessantes de Fred Van Hove et des saxophonistes parmi les plus exemplaires (Parker de Saxophone Solos, Coxhill, Butcher, Leimgruber ou Doneda) ou la détermination de Birgit Ulher avec ses improbables sourdines.
Le concert commence par des coups brefs sur l’instrument, chocs, bruits, griffes, grincements, puis ondulations, harmoniques, sifflements en crescendo minutieux où se croisent de subtils changements d’humeur et de résonnances impalpables. Kimmig aspire la salle, subjugue son auditoire avec une sublime évidence sans gaspiller la moindre miette, le moindre instant. Il fait venir le silence à lui, phagocyte l’écoute. Et tout à trac dans le climax de son mouvement perpétuel, il lance les oscillations de son archet sur les cordes dans des spirales virtuoses dont les sons se chevauchent, vibrent comme une voix magique, avec la "voix" naturelle du violon, "comme on lui a appris". Sa qualité de timbre est radieuse, irridescente, magnétique, sublimée. Le son de la voix d'un ange... qui passe. Dès lors, la puissance de son jeu due à une rare capacité de projection sonore fait littéralement monter le centre de la vibration du violon à deux mètres au-dessus de sa tête dans l’espace amplifié par la Chapelle elle-même et son dôme dont le sommet se situe à plus de six mètres de hauteur. Affolant, magique. Jean-Jacques, lui même un virtuose exigeant, décollait de son siège, bouleversé. Pour réaliser ce que je viens de décrire, il faut un sens musical du lieu en en évaluant et mesurant ses fréquences précises grâce au fruit de l’expérience et à une intuition savante et pragmatique. C’est sur ce type de phénomène acoustique que travaille Evan Parker quand il preste en solo dans une église ou une salle particulière jusqu’au point où on entend vibrer fortement les osselets de l’oreille interne (dont le fameux Incus qui fut aussi le logo de son label vinylique du même nom). Ast’a blieft !
NB : cette capacité à évaluer la fréquence sonore d'une pièce est une capacité connue des musiciens curieux qui ont cherché sur leur instrument tout ce qui est possible et l'impossible à la fois. Un ami, le contrebassiste Jean Demey, a un métier énorme dans plusieurs domaines musicaux, c'est aussi un maître des percussions à main orientales (Derbuka, Daf) dans leur tradition originale. Il est aussi un clarinettiste basse 'd'occasion'. Un jour il rentre dans une galerie d'art où il devait prester un concert avec une sculptrice. Il déballe sa clarinette basse et fait immédiatement vibrer l'entièreté du local, le son devenant énorme, envahissant toute la pièce qui se transforme en une véritable caisse de résonance. Il avait soufflé cette note du premier coup juste après avoir dit un mot ou deux en entrant. Je raconte cela parce que la musique c'est ça aussi ! Il faut écouter et comprendre où on se trouve en un instant.
https://soundcloud.com/kimmig-studer-zimmerlin/sets/im-hellen-string-trio
D’autres albums du String Trio paraissent sur hat(now)Art (Hat Art – hatology), un label suisse (héhé) qui devient Ezz-thetics peu après la sortie de leur IM HELLEN. Un monument de la musique contemporaine : Kimmig-Studer-Zimmerlin IM HELLEN String Trio (hat (now) Art 201. 2017). Un professeur de composition réputé fait écouter ce disque à ses élèves du Conservatoire parmi plusieurs autres compositions de compositeurs réputés en leur demandant de découvrir lequel parmi eux contient une improvisation. Résultat des courses : jamais personne ne devine qu’il s’agit du String Trio – Im Hellen. Il y a neuf courts morceaux dont le plus long s’étend sur 10:58. Rien que ce passage infernal où Harald martèle ses cordes frénétiquement avec le revers de son archet (col legno) est d’une inventivité sonore mirobolante : il applique la force suffisante au milli-poil pour atteindre la résonance du bois de l’archet et de la touche pour une expressivité et un rendu acoustique ultra-lisible et précis. C’est aussi compliqué que de jouer du Bach (Partitas pour violon seul). Bouf ! Mais ce n’est pas tout. Ezz-thetics (1010) propose dans son catalogue l’album Kimmig-Studer- Zimmerlin and George Lewis, le tromboniste afro-américain, instrumentiste virtuose au-delà du possible et compositeur contemporain dont un anarchiste notoire peu prompt aux compliments et qui déteste les hiérarchies, le saxophoniste français Michel Doneda, le décrit comme étant un des plus grands musiciens contemporains, un enthousiaste bien éloigné des considérations oiseuses de ce bas monde qui agitent trop souvent la profession. Vraiment à écouter.
Tout récemment, le STRING TRIO est devenu électrique et électronique et c’est une tout autre aventure : Black Forest Diary (Wide Ear WER 1014).https://wideearrecords.bandcamp.com/album/black-forest-diary
Pour en revenir à son premier album, IM FREIEN, il est composé de morceaux courts qui constituent l’amorce sonore de sa carrière. On y trouve déjà tous les éléments constitutifs de sa démarche actuelle où tous ces sonorités, techniques et gestes se fondent dans un flux d’un seul tenant qui fait l’effet d’une véritable composition instantanée conçue en temps réel dans les circonstances spécifiques d’un lieu. Avec ses échappées de glissandi chatoyants, frénétiques et expressifs (8 Drinnen – GLUT 5:54) et ce sens polyphonique d’un autre type, IM FREIEN est alors une rare carte de visite publiée sur un micro-label qui servit de havre temporaire à une série d’artistes de premier plan : Hybrid Music Productions. Qui n’a jamais entendu parler de ce label en France, aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne, Italie, aux USA ou en Belgique ? J’en ai trouvé quelques-uns au hasard de mes pérégrinations et rencontres. Citons Ebro Delta, un des premiers CD « internationaux » du pianiste Agusti Fernandez en duo avec le violoniste Christoph Irmer de Wuppertal (Hybrid CD 18 1999). Une démonstration exemplaire de l’obsolescence de l’adage extrême du syndrome Tchaïkovsky qui veut que le piano et le violon ça ne va pas ensemble pour les raisons que l’on sait. Mais dites, qui est vraiment à même d’accorder vraiment un piano pour satisfaire les exigences d’un violoniste ou d’un violoncelliste ? Une étonnante réussite. Christoph fait partie d’un des meilleurs groupes d’improvisation, Canaries on The Pole. Stefan Keune est le dernier des oisillons anchistes à être tombé du nid pour succéder au terrorisant Wolgang Fuchs au sein de XPACT II. Sommé de désigner lors d’une interview, un saxophoniste qu’il adore et qui se situe « dans son lignage musical », Evan Parker a eu le cri du cœur pour l’alors inconnu Stefan Keune, duettiste du guitariste acoustique par excellence, John Russell (cfr Frequency of Use publié par Nur Nicht Nur le label corne d’abondance des improvisateurs germaniques). Et bien, son premier album enregistré, Loft, (Köln) – Stefan Keune Trio avec contrebassiste Hans Schneider (RIP) et Paul Lytton est le n°3 de Hybrid Music Productions en 1992.
Lors de ses tournées sur le continent, le contrebassiste John Edwards, un musicien très demandé, n’a de cesse de faire escale à Aachen. Y réside un tromboniste unique en son genre, celui qui fait exploser son trombone en jouant en douceur avec une vivacité étonnante et un sens de la dynamique exceptionnel au bord du silence : Paul Hubweber. Edwards et lui avaient un trio avec Paul Lovens, PaPaJo et continuent l'aventure en duo le plus souvent possible. On trouve son premier enregistrement marquant dans le CHW Trio sur le même Hybrid au n° 7 (1992) avec le batteur Hannes Clauss, le guitariste Hainer Wörmann et lui-même Paul Hubweber au trombone sous le titre Serendipity. J’ai quasi tous ses albums et il n’y en n'a pas deux qui se ressemblent. Airmail de la trompettiste Birgit Ulher et du percussionniste Wolfgang Ritthof inaugure l’évolution fascinante d’une grande artiste du son et de l’embouchure qui n’a rien à envier aux Peter Evans, Axel Dörner, Franz Hautzinger ou Nate Wooley en matière d’innovation révolutionnaire trompettistique (Hybrid n°13 1996). Son art a fait le tour du monde avec de nombreux artistes tout aussi passionnants dont Gino Robair, Heddy Boubaker ou Ute Wassermann. Le son dit minimaliste introspectif et « tubulaire » animé par un sens aigu des pulsations et du timing. Et alors Die Klangraümer (Hybrid 10) par Mangelware est sans doute le premier album de Thomas Lehn l’as du synthé analogique en compagnie du souffleur Andreas Wagner et du bassiste Guido Haffner. Dans Erdtöne - Notation Des Lots (Kreta) , on trouve le saxophoniste Martin Speicher, le percussionniste Michael Vorfeld, le contrebassiste Georg Wolf et le guitariste Hans Tammen qui vit aujourd’hui à New York : Hybrid n° 17, lui-même une suite du CD Hybrid n°1, Giessen Improvisers Pool. Hans Tammen duettise avec la pianiste Ursel Schlicht dans Duo Statements (Hybrid 11 ). Un autre pianiste, Uwe Oberg en solitaire dans Olo Olo Piano Music (Hybrid n° 6). Le saxophoniste Dirk Marwedel et ses Improvisationen Über Die Trichter-Skala (Hybrid 14)est aussi un as du sax sopranino. L’electro-acoustic improvisation ou EAI, elle, trouve une de ses racines dans Nefastismaschine du groupe Maxwell Dämon de Ulrich Böttcher, Uwe Buhrdorf et Ulrich Philipp, crédités Elektronik et respectivement Perkussion, Klarinette und Kontrabass. C’est complètement détonnant et mystérieux. Et une fois le tour d’Hybrid presqu’achevé, je vous passe le parcours de Nur Nicht Nur, un des deux ou trois labels les plus passionnants des années 90-2000 éclipsant question renouvellement et recherche d’autres qui se sont contentés de nous livrer des registres qu’on avait déjà entendus durant l’ère Incus, FMP, Po Torch, etc.. (encore que le duo Lovens - Lytton pouvait se révéler très surprenant).
Tout cela pour dire que la plus grande richesse des musiques improvisées radicales ne se situent pas qu’au niveau des musiciens à la notoriété internationale, mais tout autant grâce à cette multitude d’acteurs passionnés, fascinés par la découverte de nouveaux territoires sonores, ceux qui prennent des risques et se remettent en question, certains étant capables d’électriser les « masses populaires » de manière irrévocable. C’est le cas de notre ami Harald Kimmig un vrai phénomène et de nombreux de ces condisciples cités ici. Il faut déplorer qu’un nombre de journalistes, promoteurs, organisateurs « responsables » restent à la surface des choses, négligent le talent réel pour le sensationnel, le scoop, les valeurs sûres, celles qu'on entend dansles festivals importants. Avec une solide dose de conformisme. Il faut voir certains individus "cognoscenti" se précipiter à la suite d’artistes (archi)connus pour se rendre au restaurant, faire des photos, glaner des informations, quémander des signatures sur un CD ou un LP, et conforter leur statut d’auditeur de première classe, mais méprisent, parfois cordialement, ceux dont le talent reste dans l’ombre, ou en s’ouvrant à eux comme s’ils allaient leur faire une faveur. Certains d'entre eux ne reçoivent plus aucune considération de ceux qui sont sensés faire connaître cette musique.
Il s’agit d’une musique collective et cette musique est faite d’affinités, de communauté d'intentions esthétiques, mais aussi d’amitié, de respect, de compréhension et d’entraide. Opportunistes, carriéristes, égocentriques,obsédés des références et du C.V., mythomanes, dégagez ! Faites de la place à l'authenticité.
Free Improvising Singer and improvised music writer.
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