4 septembre 2021

Schlippenbach Quartett (Alex von S - Kowald - Lovens - Parker) / Evan Parker Lawrence Casserley Joel Ryan Paul Lytton / Kasuhisa Uchihashi & Roger Turner/ Richard Duck Baker

Schlippenbach Quartett : Three Nails Left (FMP 0210) Corbett vs Dempsey
https://www.corbettvsdempsey.com/records/three-nails-left/

Album absolument atypique dans le parcours du trio et (ou) quartette d’Alex von Schlippenbach enregistré live au festival de Moers en juin 1974 et à Berlin en février 1975 avec Evan Parker, Peter Kowald et Paul Lovens. Sur la pochette, une photo noir et blanc du légendaire atelier de Lovens à Aix-la Chapelle exposant son matériel percussif et ses outils accrochés aux murs ou empilé sur le sol, des bandes magnétiques, le réveil-matin à résonateur sous la fenêtre violemment éclairée par un soleil invisible et un étau bien utile pour adapter ou réparer ses instruments. Ce réveil-matin est visible sur la pochette d’Inside – Outside Refections , le LP du Dieter Scherf Trio. On voit aussi un xylophone africain sur le mur de droite, preuve irréfutable de l’influence benninkienne des débuts. Un morceau de Moers sur la face 1 du vinyle, Range signé Kowald/Schlippenbach (23 :44) et deux morceaux plus courts sur la face 2, Black Hole signé Evan Parker (11 :57) et Three Nails Left ; For P.L. conçu par Paul Lovens (4 :11). Le dédicataire en est Paul Lytton avec qui Lovens créa un duo extraordinaire, à mon avis un des deux ou trois meilleurs groupes d’improvisation entre 1975 et 1986, année durant laquelle j’assistai à leur dernier concert. Bien que ces musiciens personnifient l’improvisation radicale, leur parcours « improvisé » dans ces trois morceaux semble balisé autour d’idées préétablies de manière viscéralement intense, agressive ou … parfois retenue dans certains instants de grâce. Il y a fort longtemps, dans les années qui ont suivi sa publication, j’ai écouté et réécouté ce disque des dizaines de fois ou plus, complètement fasciné. Cette musique était unique, rare et nous avions alors peu d’enregistrements de ce genre. On entend Alex solliciter les cordes de sa table d’harmonie dans une rare cadence par-dessus le bourdonnement de la basse de Kowald, Evan Parker saturer un faux doigté réitéré sur son sax soprano en respiration circulaire ou contorsionner incroyablement son souffle et son articulation démente alors que Lovens râcle toutes les surfaces et objets sur ses tambours chinois y compris les trois clous de gauche. Il y a une expressivité expressionniste ahurissante et une énergie noire, trouble, hallucinante qui transcendent tous les mouvements, sections et détails de ces morceaux, très différents des disques suivants du Quartett comme the Hidden Peak (FMP041) ou cet extraordinaire « unreleased » Hunting the Snake publié lui aussi par John Corbett parmi ses Unheard Music Series du label Atavistic. Mon goût personnel place cet enregistrement au-dessus de Topography of the Lungs et d’un paquet d’autres albums très réussis de cette époque. À ne pas rater.

Evan Parker Electro Acoustic Quartet Live in Iwaki – Evan Parker Lawrence Casserley Joel Ryan Paul Lytton Uchimizu Records.
https://hsppico.official.ec/items/49592777

Enregistrement live et le seul connu de l’Evan Parker Electro Acoustic Quartet réalisé au Fukushima au Japon le 5 octobre 2000. Cette ville nous est malheureusement connue pour sa centrale nucléaire sinistrée par un tsunami de sinistre mémoire. Cela fait des années que Lawrence Casserley me parle de cet extraordinaire enregistrement, lequel représente pour lui le sommet de son travail au sein du Electro-Acoustic Ensemble d’Evan Parker, documenté dans plusieurs albums publiés par ECM et Psi, ce Quartet étant une version abrégée réunie pour une tournée japonaise mémorable. Evan Parker avait prévu de le publier immédiatement sur son label Psi à cette époque, mais l’organisateur Hisachi Terauchi estimait que cela aurait été un déshonneur de ne pas le publier lui-même. Et donc après avoir attendu très longtemps, le voici en fin publié vingt ans plus tard par un label japonais quasi invisible sur la toile et non distribué. Pour cause de Brexit et de « red tape » improprement remplie (je suppose), la copie que me destinait Lawrence a fait retour à son domicile après quelques mois d’attente (!). Fort heureusement, comme Paul Lytton vit en Belgique, la copie que j’écoute m’est parvenue le lendemain. Live In Iwaki est un des enregistrements d’Evan Parker qui sort complètement des sentiers battus et de toutes les notions qu’on se fait à son sujet et sur celui de son compagnon le plus fidèle, Paul Lytton. Il n’y joue pas du tout de la « batterie » mais exclusivement de son installation de cordes métalliques et objets disposés sur un cadre genre meccano et amplifiés par micro-contact et d’éléments de percussion qui interviennent discrètement ici et là. Joel Ryan distille des ondes électroniques par le truchement de son computer et Lawrence transforme en temps réel les sons des autres à travers son signal processing instrument. Evan Parker ajoute son souffle, des éléments mélodiques, des coups de langue de manière mesurée et circonspecte veillant à s’insérer dans le flux sonore suspendu, à la fois délicat et impérieux du quartet. La musique jouée en trois mouvements de 26, 23 et 20 minutes devient bruitiste, éthérée, glissante, mystérieuse, intersidérale, minimale, chercheuse, pointilliste un instant, imbriquée, contrastée, grandiose. Miasmes, vagues, secousses, envols, compressions, relâchements… Quelques soient diversifiés les différents moments traversés, on ressent une unité dans la direction, une puissance dans l’assurance à jouer l’essentiel, à affronter l’inconnu. La symbiose et la sensibilité des quatre artistes est telle qu’on ne cherche même plus à distinguer les contributions individuelles, mais leur riche totalité. D’ailleurs, quand peut-on dire qu’il s’agit d’Evan Parker ou du processing effectué par Lawrence Casserley ? On entend les miaulements des cordes de Lytton s’échapper des vibrations électroniques suscitées par Joel Ryan ou s’agit-il de LC ?? Evan Parker laisse beaucoup d’espace d’expression à ses trois comparses. Capacité jamais prise en défait d’une écoute mutuelle intense. On entend le « soliste » au saxophone s’échapper mélodiquement durant les premières minutes du troisième morceau entouré par la magie sonore de son équipe glissant en surface et grouillant dans les profondeurs. Les idées fusent naturellement, musique auto-générative d’une logique folle et imperceptible. L’an 2000 connut le démarrage de l’EAI (electro-acoustic improvisation) avec une multitude d’enregistrements, certains passionnants, d’autres … documentaires. Ici, nous avons droit à une extraordinaire tranche de vie, une mise en abîme, histoire complexe, peu prévisible et sans doute une pièce à conviction irréfutable.

The Lincoln Stretch Bike Carrier Kasuhisa Uchihashi – Roger Turner scätter
https://scatterarchive.bandcamp.com/album/the-lincoln-stretch-bike-carrier

Ce bon vieux Liam Stefani, lui-même improvisateur électronique remarquable, fait véritablement œuvre utile. Question percussions, on croit rêver en écoutant Roger Turner : il incarne à lui tout seul le drumming free et la libre improvisation. Aussi, il faut oser se confronter à un guitariste comme Kasuhisa Uchihashi qu’on entend aussi au daxophone, l’instrument aux lames de bois frottées à l’archet créé par feu Hans Reichel. Pourquoi ? Il s’agit de deux artistes aux préoccupations musicales différentes et leur volonté de dialogue oblique, voire tangentiel est réellement opérante. Roger Turner sollicite son obsession du rythme et de la pulsation en l’éludant, le soulignant, renouvelant constamment ses approches ludiques jusqu’à nous donner le tournis en focalisant notre écoute sur le moindre détail de ses figures improbables et inventions instantanées. Enregistré en septembre 2006 à Kid Ailack à Tokyo, leur association en duo a pris forme suite à leur première rencontre en 1997 à Vienne. Ils avaient enregistré Autism au sein du trio Conforts of Madness en compagnie de Helge Hinteregger, qui m'alaissé un souvenir fabuleux. On retrouve ici toute la pertinence de leurs recherches sonores passées et à venir.

Confabulations Duck Baker ESP 5065
http://www.espdisk.com/guitar
Duos avec Derek Bailey, Steve Beresford, John Butcher, Mark Dresser, Michael Moore et Roswell Rudd. Trio et Quartet avec Alex Ward John Edwards & Steve Noble.
Richard Duck Baker est un guitariste acoustique exemplaire et somme toute unique en son genre qui joue de la guitare six cordes nylon acoustique avec tous les doigts de la main droite en étant inspiré par la tradition du jazz et des musiques populaires et traditionelles. Cet Américain découvert au milieu des années 70 est au départ un spécialiste de la guitare « fingerstyle » en ragtime, blues, folk etc… qui a travaillé avec Stefan Grossman et John Renbourn et enregistré bien des morceaux oubliés des jazz Chicagoan ou Swing et du folklore irlandais. Dès 1977, il s’est inséré dans la free-music avec Eugène Chadbourne et Henry Kaiser (Guitar Trios / Parachute) et a exploré avec succès comment interpréter / rejouer en solo les musiques de Thelonious Monk et d’Herbie Nichols conçues pour le piano. Deux albums solos magistraux ont été publiés : Spinning Song the Music of Herbie Nichols (produit par John Zorn en 1994) et Duck Baker Plays Monk (Triple Point Records 2018). Quoi donc de plus normal de le retrouver en compagnie de feu Roswell Rudd, le tromboniste insigne du free-jazz et spécialiste numéro 1 de la musique d’Herbie Nichols ? D’ailleurs, aujourd’hui, Duck Baker construit des compositions inspirées et extrapolées de l’architecture musicale de celles de Nichols pour son trio avec le clarinettiste Alex Ward et le bassiste John Edwards augmenté du batteur Steve Noble. Herbie Nichols demeure un pianiste toujours trop peu connu, bien que son œuvre enregistrée se situe au cœur de nombreuses questions et réponses du jazz moderne au-delà du bebop. Ode To Jo et Tourbillion Air dévoilent seulement quelques aspects du travail de Baker avec Ward et compagnie, lequel prend tout son sens lorsque l’on écoute attentivement le CD Déjà Vouty en trio et Coffe For Three en quartet. Surgit un très fin échange avec la guitare de Derek Bailey enregistré en 2002 avant que le Carpal Tunnel Syndrome n’ait raison des capacités instrumentales du « Godfather » de la free-music européenne (Indie Pen Dance) : leurs lignes anguleuses et contrariantes s’interpénètrent à la limite du fouillis. Tout au long des plages de cet album, on apprécie le style à la fois épuré et sursautant de Baker sur sa guitare aux cordes nylon à laquelle il imprime un puissant sens du tempo. Tempo décalé avec de très fréquents arrêts et démarrages anticipés à l’infime fraction de seconde près. Virtuose évitant les paquets de note. Shenandoah fonctionne comme une sonate improbable avec l’archet majestueux du contrebassiste Mark Dresser, un compagnon de Braxton durant les années 80 et 90. Ils remettent cela dans Pope Slark (enreg en 1994) dans un registre plus onirique. East River Delta Blues et Signing off valent leur pesant de beurre frais baratté à l’ancienne avec la sonorité tailgate si caractéristique du vétéran free, Roswell Rudd, frère d’armes des Archie Shepp, John Tchicaï et Steve Lacy des beaux jours de la New Thing. Duos enregistrés en 2002 au Tonic à NYC. Deux saxophonistes de haut vol se distinguent particulièrement dans des dialogues de choix : Michael Moore dans Imp Romp 2 et John Butcher dans The Missing Chandler, tous deux saisis au Café Oto en 2008 et 2009. Car, notre ami habite dans la région londonienne et n’a pu donc s’empêcher de se commettre avec un des plus « British » parmi tous les improvisateurs, le pianiste Steve Beresford. En fait, la démarche de Duck Baker est tout à fait spéciale et ne peut être comparée ou examinée sous l’éclairage de guitaristes improvisateurs tels que Derek Bailey, Fred Frith, John Russell ou Keith Rowe. Pour se faire une idée valable de son apport, un magnifique albums solo, Outside (Emanem 5041) documente son ardu cheminement entre 1977 et 1983 avec entre autres deux versions de Peace d’Ornette Coleman et deux duos surprenants avec Eugene Chadbourne. Une place à part dans l’univers musical contemporain qui transcende les époques, les genres avec un talent absolument unique.

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