21 septembre 2021

Roger Turner - Percussionnist - Reviews with Urs Lemgruber - Lol Coxhill - Michel Doneda - John Russell - Witold Olezsak - Phil Wachsmann - Pat Thomas - Isabelle Duthoit - Alex Frangenheim - Martin Klapper - Axel Dörner - Dom Lash - Eugenio Sanna - Edoardo Ricci - Birgit Uhler - Günter Christmann

Dance Steps Sergio Armaroli & Roger Turner Leo Records CD LR 899.
http://www.leorecords.com/?m=select&id=CD_LR_899
photography by Bruce Milpied.
Sergio Armaroli est un bien intéressant vibraphoniste « free » que nous avons découvert aux côtés d’Andrea Centazzo, Giancarlo Schiaffini, Harri Sjöström et Fritz Hauser. C’est avec ces deux derniers qu’il nous a livré ces deux meilleurs opus : Duos and Trios avec le saxophoniste soprano Harri Sjöström et le tromboniste Giancarlo Schiaffini sur deux morceaux et Angelica avec le percussionniste suisse Fritz Hauser, tous deux pour Leo Records, label auquel il semble abonné. Orbits avec Centazzo, Schiaffini et Sjöström et réalisé pour Ictus avait été préfacé par Evan Parker. Et voici maintenant des Dance Steps publiés à nouveau par Leo en compagnie du percussionniste Roger Turner, un des grands originaux de la percussion improvisée qui défie souvent les pronostics. Dialogues détaillés, échappées dans l’imaginaire, extension – extrapolation de la pratique du swing cosmique, introspection consciente et spontanée de la gestuelle du batteriste, souvent à la limite du silence, frôlements des surfaces et étirements continuels de suggestions mélodiques dans le chef du vibraphoniste. Armaroli louvoie aux confins des gammes. Une dérive poétique, rêve éveillé, sollicitant des atavismes rythmiques inscrits au fond des neurones et dans la sensibilité des duettistes sans le moindre cliché - réflexe. La trajectoire de Roger Turner est une exception mal comprise qui se révèle aux côtés d'originaux insituables tel Sergio Armaroli

Witold Oleszak & Roger Turner Fragments of Part Freeform Association cd FFA651


Voici le deuxième acte enregistré du tandem piano – percussion de Witold Oleszak et Roger Turner. Pas moins de 16 morceaux dont neuf autour des deux minutes et quelques-uns de 4 ou 5 minutes. Echanges vifs, explorations du cadre, piano préparé, sens en éveil, espaces ajourés, poésie du son, … Roger Turner est sans doute un improvisateur relativement insituable qui peut se révéler aussi intimiste et secret avec Phil Minton qu’explosif et ultra-polyrythmique avec Hannes Bauer et Alan Silva… Avec le pianiste Witold Oleszak, il vise la pertinence du propos soulignant ou commentant les digressions du clavier via les mécanismes, le cadre et la résonance de la « caisse » ou en poursuivant les vagues des doigtés. La musique est concise, sèche, et elle va droit au but, cultivant l’essentiel d’une belle idée par morceau. C’est un beau témoignage d’improvisations qui respirent et se meuvent dans l’évidence sans en faire trop. Le piano imprime souvent les pulsations et le percussionniste a un malin plaisir à les contourner avec légèreté et subtilité. L’attention est captée la plupart du temps avec des arrêts sur image et une foultitude de détails qui stimulent l’écoute. Alors que nombre de ses collègues essayent de se commettre avec ceux qui comptent sur la scène (notoriété et visibilité), Roger Turner montre encore une fois qu’il a plaisir à jouer avec des amis rencontrés sur la route et qui comme lui ont la plus haute idée de la musique et de la scène improvisée radicale : prendre un réel plaisir avec un excellent partenaire avec qui la communication et l’échange est une manifestation de la vie et le langage du cœur en ne souciant guère du reste. Un excellent enregistrement. On doit aussi à ce label une somme fantastique du trio légendaire the Recedents (Lol Coxhill Mike Cooper Roger Turner) en cinq cédés : Wish you were here !!

Recent Croaks Martin Klapper – Roger Turner Acta Records 1997
ROT / ROH Ulli Boettcher – Martin Klapper NurNichtNur 2007

A dix ans d’intervalle, deux enregistrements révélateurs de l’art de la table recouverte d’une kyrielle d’instruments électroniques d’un autre temps et de jouets en compagnie de deux improvisateurs parmi ceux chez qui le don d’improviser confine à l’urgence immédiate et à une intuition infaillible. Le percussionniste vif-argent Roger Turner a trouvé chez l’objétiste tchèque Martin Klapper une capacité à répondre, anticiper, imaginer et détourner (à) toutes les associations de sons qui peuvent / doivent survenir. Cela dépasse les limites du dialogue, de l’interaction ou même de l’entendement dans les liens de causes à effets, soulignés par le contraste saisissant entre la fine sensibilité du percussionniste et l’aspect brut de décoffrage des bruitages de son acolyte. Recent Croaks est une rencontre aussi imagée et joyeusement ludique qu’elle requiert un sens très aigu de l’acte d’improviser basé sur une réflexion profonde et imaginative. Artiste visuel praguois impliqué dans le cinéma expérimental et danois d’adoption, Martin Klapper a sillonné les scènes nordiques et allemandes avec tout ce qui compte dans la scène improvisée active de base de Hambourg à Vienne et de Berlin à Amsterdam et Londres. Depuis le début des années nonante, il a croisé les Butcher, Chris Burn, Jeffrey Morgan, Birgit Uhler, Ulli Philipp, Roger Turner, Adam Bohman, Clive Graham, Ray Strid, etc... Contraint par l’urgence des situations, il a développé une capacité à se servir de ses objets amplifiés, gadgets électroniques, vieux tourne-disque, thérémine d’avant-guerre, dictaphone et cassettes pré-enregistrées avec un à propos ludique et une dynamique remarquable. Dans Recent Croaks, l’imagination de Roger Turner et sa frappe hyper-kinétique font des merveilles pour inventer les agrégats de sons qui semblent jaillir des bruitages de Martin Klapper. Celui-ci conserve un sang-froid admirable en contenant / contournant ce qui simule une activité débordante dans le chef du percussionniste virtuose. On rentre dans l’intimité de la complémentarité des contraires. Bon nombre de commentateurs sont obnubilés soit par l’hyper-virtuosité d’improvisateurs renommés (Evan Parker, Derek Bailey, Barry Guy ou Paul Lovens) ou la maîtrise de la concentration zen (Eddie Prévost, John Tilbury) et ne conçoivent pas qu’un virtuose brillant comme Roger Turner puisse faire sens avec un « non-musicien » devenu au fil des ans un solide artiste sonore. L’aspect humoristique « bandes dessinées » des inventions de Klapper ne doit pas occulter la conscience partagée de toutes les possibilités d’agencement spontané des sons au fil de leurs improvisations. Recent Croaks en est un véritable guide pratique. J’ajoute encore, qu’à Copenhagen, Martin Klapper dispose d’un arsenal effarant de jouets étalés sur deux tables de quatre mètres et qu’il ne peut pas transporter en voyage.
Autre percussionniste, passé celui-là dans le camp de l’électro-acoustique, Ulli Boettcher est un vétéran du collectif très pointu de Wiesbaden qui a fédéré bien des énergies autour de leur Humanoise Festival. Il a utilisé le système LISA mis au point par le STEIM d’Amterdam pour l’adapter à sa conception rythmico-pulsatoire du live-signal-processing. Cela consiste à transformer les sons d’un instrumentiste improvisateur en temps réels et pour celui-ci à dialoguer avec des éléments transformés de sa propre musique, parfois au-delà de l’imaginable. On l’a entendu en duo avec le tromboniste Paul Hubweber et leurs inventions méritaient mieux qu’une distribution confidentielle (Schnack ! NurNichtNur). Paul Hubweber est un improvisateur exceptionnel et un collaborateur de prédilection de Paul Lovens et John Edwards depuis plus de dix ans (PaPaJo). Le duo Boettcher/Hubweber est un sommet d’intégration interactive de tous les paramètres musicaux / sonores dans le cadre électro-acoustique live. L’exemple parfait de la symbiose la plus intelligente qui puisse exister dans ce domaine. C’est pourquoi, je pense, il faut écouter Rot/ Roh avec deux grilles de lectures. Les sons inventifs complètement fous de Klapper ont un côté potache évident qui amusera la galerie. Mais la construction de l’album, composé de 15 pièces distinctes, est munie de 59 ID qu’on peut utiliser en mode aléatoire en zappant d’un moment à un autre au gré de sa fantaisie. Il en résulte une cohésion dans le mariage des timbres et l'enchaînement des actions alors que la démarche semble aléatoire. Fort heureusement, Martin Klapper joue ici avec de nombreux jouets qui apportent une dynamique différente. La musique de son partenaire est réalisée en temps réel en captant et transformant les échantillons des sons de l’objétiste danois. Le duo atteint un degré de sophistication inouï dans les échanges / emprunts qui rend cette rencontre d’un type nouveau naturellement spontanée. Le sens du timing du tandem Martin Klapper – Ulli Boettcher est impressionnant. Mais qui joue quoi ? On s’en fiche ! Hautement recommandable.

Oleszak/ Turner Over the Title FreeForm Association Multi Kulti

Il y a un musicien dont la communauté improvisée peut être fier car il personnifie l'esprit éternellement insatisfait, investigateur, remise en question permanente et qu'il demeure toujours pertinent quelque soit le contexte : le percussionniste Roger Turner. En plus et visiblement, Roger n'est pas encombré par sa notoriété, il fait volontiers œuvre utile avec des artistes complètement inconnus partageant les aléas de la collaboration comme s'il était un novice. Sincère jusqu'au bout musicalement et esthétiquement. Et cet album en est un précieux témoignage. Vraiment pas gâté par les opportunités de la scène improvisée internationale à ses débuts, il s'est accroché avec l'énergie du désespoir pour survivre en ne faisant que cela : improvisation libre radicale en développant une approche personnelle et profondément originale, entre autres avec le vocaliste Phil Minton. Il faudrait quand même que les critiques qui s'extasient devant le phénomène vocal que constitue Phil Minton réalisent qu'il a un alter-ego instrumental percutant : Roger Turner, avec qui il partage une relation musicale féconde et irremplaçable depuis plus de trente années. Ces 39 minutes d'improvisation enregistrées en 2010 en Pologne avec le pianiste ("d'intérieur") Witold Oleszak confirment cette réputation et surprennent par la qualité de la dynamique du percussionniste dont les sons n'encombrent jamais l'espace autour des cordages pincés et frottés du piano. Voilà le genre d'album qu'on recommande volontiers pour répondre à la question "musique improvisée libre c'est quoi ?". En tout point remarquable. Que dire de plus sinon, écouter et y prendre du plaisir.

The Spirit Guide : Urs Leimgruber & Roger Turner Creative Works.

On tient là une belle série de duos tout frais enregistrés en 2015 ou 2016 et impliquant un instrument à vent ou deux (Lazro - McPhee). Des enregistrements bien souvent assez courts car ils expriment un moment dans un lieu (ou plusieurs) lieux face à un public, découvreur, enthousiaste ou attentif. Et de ces conditions de jeu naissent une ambiance, une couleur sonore, une concentration, une manifestation vitale. Urs Leimgruber et Roger Turner (sax soprano et ténor & percussions) ont trouvé un terrain d’entente et de complicités dans le détail, les signes, les timbres. Urs tirebouchonne la colonne d’air vocalisant les harmoniques avec une précision rare. On songe au travail de Lol Coxhill durant les dernières années sans qu’il n’y ait bien sûr le moindre emprunt à son aîné. Roger cherche, invente, tintinnabule et puis s’oublie évoquant la stature et la manière d’un Milford Graves transcendé… Urs triture le ténor comme personne … Les deux duettistes travaillent en duo depuis plusieurs années et on ne peut trouver comparses aussi bien assortis. Après autant d’années recherches dans le son et l’improvisation totale, Roger Turner & Urs Leimgruber gravent dans l’espace et le temps l’équivalent d’une fresque tracée pour l’éternité au fond d’un abîme il y a des millénaires par des humains illuminés et vierges de l’aliénation qui oppresse nos semblables. The Spirit Guide a été enregistré au Havre lors d’un beau concert de la très méritante organisation Pied Nu. Magique !

The Recedents wishing you were here : Lol Coxhill - Mike Cooper – Roger Turner Coffret 5 CD Free Form Association. Enregistrements de 1985, 1995, 2000, 2002, 2003 et 2008.

Les quatre premières plages du premier CD me sont familières, car non seulement j’étais présent lors du concert à Waterloo le 17 août 1985, mais qu’en plus … j’en fus l’organisateur. Le CD Emanem Waterloo 1985 d’Evan Parker, Paul Rutherford, Hans Schneider et Paul Lytton provient du même festival. Mike Cooper est un des trois explorateurs de base de la guitare « couchée » , traitée et manipulée avec des objets en tout genre, morceaux de verre ou de bois, vis, gommes, ressorts, boîtes, tiges métalliques, lames etc…. avant que cette pratique soit devenue une mode. Les deux autres sont Keith Rowe et Fred Frith qui ont tous deux joué et enregistré eux aussi avec Lol Coxhill, un incontournable du saxophone soprano, inimitable. Notre saxophoniste adoré disparu a en commun avec Cooper une pratique « alternative » du blues, proche du jazz libéré. Ils se sont croisés durant les années soixante. Roger Turner est un explorateur de la percussion libérée comme il y en a quatre ou cinq dans cette scène (Lovens, Stevens, Lytton, …). Le mélange improbable, parfois tangentiel ou explosif, de leurs trois pratiques et sensibilités différentes, si pas dissemblables, procure un état permanent d’anarchie et de surprise exploratoire et s’ajuste à l’écart de toute logique. Evacuons le définitionnisme et la mesure de toute chose vue sous la lorgnette du pseudo-rationnel… et amusons-nous ! The Recedents fut un groupe à nul autre pareil et pareil à rien d'autre et cette série d’enregistrements qui le prouve est complètement décoiffante. Les trouvailles sonores et accélérations de roulement tous azimuts de Roger Turner accrochent l’oreille et entraînent l’imagination dans un dédale volatile… Pendant qu’il ferraille avec un sens de la dynamique hors norme, Mike Cooper redéfinit la guitare sur table « amplifélectronoise ». C’est dans ce contexte que Lol Coxhill nous livrait son approche la plus sonique, la plus radicale… et puis tout à trac, un air caraïbe s’insinue… A la recherche des sons dans l’instant here and now… Au fil des ans, ce trio a peaufiné son approche en équilibre instable jusqu’au dernier concert … Mike Cooper et Roger Turner ont fait mettre en vente ce magnifique coffret avec un livret contenant des photos improbables, des anecdotes, des textes, des reproductions de coupures de presse et d’affiches qui nous replongent dans l’esprit de cette musique rebelle. Le producteur : Vitold Oleszak un excellent pianiste improvisateur polonais qui a aussi enregistré un beau duo avec Roger Turner.

TIN : Axel Dörner/ Dominic Lash / Roger Turner Uncanny Valley confront ccs 73
https://www.confrontrecordings.com/tin-uncanny-valley

Le label Confront de Mark Wastell, lui-même improvisateur radical émérite, a encore frappé : une superbe et audacieuse collaboration entre deux pôles de l’improvisation libre dite « non-idiomatique ». Le percussionniste Roger Turner représente ce courant tel qu’il existe depuis les années septante tout en ayant évolué dans le raffinement sonore et tiré les conclusions de décennies de pratique. Depuis environ 45 ans, cet artiste a mûri et est devenu un incontournable de la percussion libérée. Le trompettiste Axel Dörner, au départ jazzman de haut-vol (cfr Monk’s Casino avec Alex Schlippenbach et Rudi Mahall où ces musiciens interprètent l’intégrale de la musique de Monk !), s’est imposé comme un des deux ou trois principaux chefs de file de la remise en question radicale des paramètres et de la pratique de cette improvisation libre « non-idiomatique » (quel pensum !) vers la césure de l’an 2000, sous la forme du « réductionnisme » minimaliste ou « New Silence » a/k/a « lower case ». Cette démarche a d’ailleurs été moquée par Roger Turner et le contrebassiste Dominic Lash ne s’en est pas porté plus mal, apparu quelques années plus tard avec le formidable Imaginary Trio avec Phil Wachsmann et Bruno Guastalla (Bead Records). Dominic fut d’ailleurs un élève du contrebassiste Simon H.Fell, lequel a introduit ces formes musicales minimalistes avec leurs deux plus fameux prosélytes, Mark Wastell et le harpiste gallois Rhodri Davies.
Anyway. Ce que je trouve formidable dans cette Uncanny Valley, enregistrée par Simon Reynell du label another timbre, est que ces trois instrumentistes, réunis sous le nom de guerre "TIN " arrivent à marier leurs démarches respectives tout en restant fidèles à leur credo musical. Il en résulte une musique d’une grande richesse sonore, d’actions – réactions peu prévisibles, et d’une mise en évidence de leurs musicalités respectives, malgré les pronostics. Les règles inhérentes (et volatiles) à ce genre musical concernent plus la stratégie et la compréhension des tactiques individuelles intimes à mettre en œuvre dans le cadre instantané du collectif que d’ânonner des bréviaires et de gloser indéfiniment. Ici le contraste est complètement oblitéré par les sensibilités et le jeu intelligent et pointu des trois concertistes, les manies de l’un mettant en évidence celles de l’autre, trouvant des connivences fortuites, savantes, brutes ou instiguées. Assurément, un des meilleurs albums d’improvisation récents, par-delà des nombreux sub-genres déclinés dans l’univers de la free-music.

Almost even further 6 i x Jacques Demierre Okkyung Lee Thomas Lehn Urs Leimgruber Dorothea Schurch Roger Turner. Leo Records LR CD 644. (publié en décembre 2012)

Chacun de ses six artistes compte parmi ces musiciens exceptionnels sur les épaules de qui peut reposer en toute confiance les performances les plus risquées, parmi les plus inénarrables de la planète improvisation. Si la réputation de Jacques Demierre (piano), Urs Leimgruber (saxophone), Thomas Lehn (synthé analogique) et Roger Turner (percussion) n’est plus à faire, ceux qui, par exemple, écouteront Okkyung Lee improviser en solo au violoncelle, vont redécouvrir cet instrument sous un jour nouveau. Quant à Dorothea Schurch, c’est une vocaliste très prisée par ses collègues en Suisse et en Allemagne. Solistes réputés, ils sont aussi par conviction et avec la modestie la plus sincère, des partisans de l’aspect collectif de l’improvisation, celle où la voix individuelle sacrifie parfois sa singularité pour se mettre au service du tout. C’est dans cette voie difficile qu’ils nous convient avec almost even further, presqu’un peu plus loin. Presque, parce que la réussite n’est jamais totale, un musicien exigeant restant souvent insatisfait, même pour un détail. Un peu, car dans de tels groupes, le peu est aussi significatif et complexe que le nombre et la profusion. Plus loin, les limites existent pour être dépassées. 6 i x se transforme insensiblement en trio, quartet, quintet et sextet. Chaque improvisateur évolue à une vitesse différente souvent dans une réelle indépendance, créant des espaces pour autrui, intervervant au moment opportun, donnant un réel sens à des gestes simples et des sons singuliers qui se posent avec une belle évidence. Des contrastes, des presques rien appuyés, des murmures, des sons qui se meurent, tout concourt à créer un univers tactile et lisible de bout en bout. Aussi chacun excelle à interrompre ses interventions pour laisser ouvert l'espace sonore, transformé en chantier bruitiste naturel. Les quatre pièces enregistrées (26:36, 5:52, 18:32, 8:05) s’évanouissent sans que le temps se fasse sentir. On a l’impression que leur musique de chambre puisse revêtir les métamorphoses les plus variées, l’imagination et l’imaginaire individuels se nourrissent et se dilatent au contact les uns des autres. Exemplaire. Fascinant même.

The Pancake Tour Urs Leimgruber / Roger Turner duo Relative Pitch RPR 1007
Une telle association , du suisse Urs Leimgruber et du britannique Roger Turner, provient sans doute des nombreuses rencontres et retrouvailles au fil des concerts et festivals où ces deux artistes ont été amenés à s'apprécier mutuellement. Saxophoniste ténor et soprano ( UL) et percussionniste (RT), ils ont en commun un attachement au jazz qu'ils ont pratiqué très jeunes et, surtout, une auto-exigence musicale et esthétique, une forme de lucidité. Et cette exigence apparaît dès les premières secondes de "The Pancake" (12:12). Pas question d'étaler la technique virtuose et de débouler avec un paquet de notes et de sons. Une recherche méticuleuse des timbres, des souffles et des frappes, une mise en évidence de signes, de gestes, des corrélations de l'intention, plutôt. Quelques morceaux assez brefs (Art Jungle, At the Church Path et The Walking Bar) et un long déambulatoire improbable, Middle Walk (22:51) permettent soit de concentrer au plus court ou soit d'étirer les échanges à l'infini en racontant une histoire. Urs Leimgruber et Roger Turner évitent les lieux communs et pour qui connaît le saxophoniste via ces albums solos (# 13/ Leo), ce sera une belle surprise. Ses prises de bec dans la marge extrême de l'instrument expriment l'essentiel, des sons bruts, torturés ou même d'un lyrisme rare qui font la part belle à l'invention pure. Le percussionniste refuse les connexions évidentes et ne fait confiance qu'à son imagination subversive. Il gratte, frote, secoue, percute, déplace ses objets sur les peaux et les parties métalliques, frappes, résonances, collisions,. Une recherche simultanée de l'inouï et de l'évidence qui s'impose naturellement. L'exemple parfait de musiciens accomplis et reconnus, qui cherchent encore à se renouveler, à se mettre en question tout en faisant du sens. Si ces deux-là passent non loin de chez vous, n'hésitez pas un instant, allez les écouter et vous serez surpris, même par rapport à ce Pancake tour dont ils réinventent jour après jour la recette.

Berlin Kinesis WTTF Quartet Philipp Wachsmann Roger Turner Pat Thomas Alexander Frangenheim Creative Sources CS 313.

Pochette cartonnée, du neuf chez C.S. ! Un album fascinant suite au premier CD de ce quartet intrigant, Gateway 97 sur le même label et à plusieurs concerts en Allemagne et ailleurs durant lesquels ils ont gravé les huit pièces où il est question de More, Less, Front, Back et Little. Little : petit à petit, un peu plus, un peu moins, plus devant, moins derrière. Un calibrage permanent de la perspective, du portrait vivant glissant vers arrêt sur image ou s’évanouissant dans un perpétuel changement de registre. Je me suis fait souvent entendre dire, quelques années après l’enregistrement de Gateway 97 (en 1997), que ces musiciens jouaient au passé de l’actualité de l’improvisation radicale d’alors, new silence, réductionnisme et post AMM. J’ai même lu que cette musique venait du free jazz. Et bien, je ne connais pas d’équivalent dans la masse des enregistrements de l’improvisation libre, auquels j’ai eu accès, qui approche l’univers musical de ce groupe. Intégrant une multitude d’éléments sonores et musicaux dans une construction kaléidoscopique où à aucun instant on entend ce qu’il convient d’appeler « un solo » ou un enchaînement de phrases développant un discours individuel. La continuité est perpétuellement brisée. Ici chaque membre du WTTF ajoute ou soustrait une intervention subrepticement et chacune de leurs idées - interjections s’emboîte dans celles des autres avec cette capacité remarquable que chacun pense à s’arrêter de jouer quasiment à tout moment et à bon escient. Quand cela ressemble à une voix, cela ne dure jamais plus que dix ou quinze secondes. Une science de la retenue poussée très loin avec un parti pris ludique. Des jeux à tiroirs multiples sur une myriade de pulsations qui semblent déconnectées l’une de l’autre. Si Alexander Frangenheim et Philipp Wachsmann sont faits pour aller l’un avec l’autre, contrebasse et violon complices, Pat Thomas semble faire bande à part et alterne le clavier du piano et l’échantillonnage complexe. Roger Turner s’intercale avec un sens de l’épure et une légèreté qui fait dire qu’il ne joue sûrement pas de la batterie. Sa personnalité hyperkinétique commente en grattant et piquetant le sommet de ces instruments percussifs, cymbales et objets métalliques, frappes déclinées sur des peaux amorties au timbre changeant sous la pression des doigts. Le guitariste prodige Roger Smith qui tirait son extraordinaire science rythmique de la pratique des percussionnistes free parlait de sérialisme rythmique. Thomas et Wachsmann utilisent des sons électroniques par bribes projetées entre un pizz et un roulement. Lyrisme secret, spasmes décalés, pas d’élan démesuré ni d’emphase. Une science du mouvement.

Alizarin Phil Wachsmann Roger Turner Bead Recordssp CD10

Enregistré récemment suite à plusieurs rencontres successives, ce duo consacre la synthèse et l’aboutissement de la recherche improvisée radicale « libre » après une réflexion et une pratique de toute une vie, dédiée quasi – exclusivement à cette expression musicale dans la « tradition » londonienne… J’ai fait, il y a peu la chronique de Gateway 97, un quartet (WTTF pour Phil Wachsmann, Pat Thomas, Roger Turner et Alexander Frangenheim) dans le quel interviennent ces improvisateurs essentiels que sont Phil Wachsmann pour le violon et Roger Turner pour la percussion. J’étais ébloui par les éclairs d’imagination qui traversaient ce chef d’œuvre. C’est dans une autre direction que se développe la musique de ce beau duo, Alizarin, dont les titres font allusion aux couleurs vives du « trompe l’œil set » de Catherine Hope – Jones qui s’étend sur les surfaces de la pochette et du CD. Red introduction, bitter black, salt green, viridian black, on the edge of white… etc … On aimerait caractériser les improvisations minutieuses et relâchées qui défilent, mais le ton donné aux échanges et l’inspiration sereine nous obligent à écouter avec profondeur cette musique avant de nous mettre à penser à ce à quoi elle ressemble. Alizarin nous permet de suivre l’infini cheminement de la pensée et de la gestuelle précise et retenue de deux orfèvres de l’exploration improvisée. Plutôt dans les tracés hyperboliques et des dérapages peu prévisibles que dans « les matières ». Phil Wachsmann privilégie une qualité sonore « musique de chambre » et un sens mélodique évident même lorsque ses idées frisent l’abstraction. Roger Turner semble s’égarer sur les surfaces de ses peaux et métaux.
Le duo se concentre et développe des échanges dans un mode léger voire sautillant aux antipodes des décharges énergétiques auxquelles se livrent le batteur avec le tromboniste Hannes Bauer et le clavier électronique d’Alan Silva ou avec l’équipe abrasive de Konk Pack (Thomas Lehn, Tim Hodgkinson et RT). …. Le travail sur le son est corroboré par un sens de la forme évident. Une élégance rare et une écoute récompensée de bout en bout. Le violoniste s’écarte du virtuosisme pour affirmer une maestria vivifiante des intervalles incertains « post Schönberg – Cage » avec un sourire en coin bien British. Le percussionniste sollicite une variété de frappes, grattements, résonnances, piquetages, secousses etc… très étendue avec la plus grande légèreté. Un sens de l’épure elliptique partagé et une dynamique sonore relâchée est l’atout cœur de cette musique. Evitant les pétarades hyper-kinétiques de la free-music, auxquelles Wachsmann et Turner sont historiquement associés, elle trace un extraordinaire manifeste du ralenti. Comment s’exprimer en prenant son temps sans se presser. Une écoute à l’écart des chemins aujourd’hui balisés des ismes en tout genre.
Le label Bead a initié la documentation des improvisateurs radicaux londoniens un peu à la même époque qu’Incus (label de Derek Bailey et Evan Parker) durant les années septante et prolonge son existence en distillant de petites merveilles telles que cet Alizarin. Toujours à suivre même après quarante ans d’existence.

Light air still gets dark Isabelle Duthoit Alex Frangenheim Roger Turner Creative Sources CS 398CD

Du n° 340 (Spielä) à 398 (Light Air Still...), le label Creative Sources file à toute allure laissant de rares trésors sur le côté à l’insu de bien des cognoscenti. Ainsi cet « air léger qui (malgré tout) reste sombre » en hommage au tromboniste Hannes Bauer, disparu cette année et avec qui Roger Turner, le percussionniste de ce trio, a joué durant plus d’une vingtaine d’années en compagnie d’Alan Silva (In The Tradition / In Situ). La chanteuse et clarinettiste Isabelle Duthoit avait elle-même initié un autre trio avec Hannes Bauer et Luc Ex un peu avant qu’Hannes nous quitte prématurément. Compagnon régulier de Roger Turner au sein de plusieurs projets, le très fin contrebassiste Alex Frangenheim complète l’équipée. Et quelle équipée !! On ne compte plus les collaborations hallucinantes qui lient cet extraordinaire percussionniste aux personnalités les plus marquantes de la free music tels Phil Minton, Hannes Bauer, Lol Coxhill, John Russell, Phil Wachsmann, Pat Thomas, Birgit Ulher, Urs Leimgruber etc.. pour en écrire l’histoire la plus vive. Voici maintenant que notre grand poète de la percussion improvisée poursuit l’aventure avec une vocaliste de l’impossible, la vestale du cri primal, la prêtresse du gosier libéré : Isabelle Duthoit ! En s’alliant les services d’un inventeur de sons à la contrebasse, animé d’une écoute et d’un sens de la répartie peu communs, Alex Frangenheim, le percussionniste trouve un partenaire qui se situe à jeu égal avec lui. Ces deux-là ne se contentent pas de variations d’un discours instrumental « créatif », mais s’efforcent d’inventer et de rechercher des sons rares, des idées folles, des voies extrêmes avec une expressivité et une subtilité inouïes, si on compare avec pas mal d’autres improvisateurs de même calibre … nettement plus formatés. L’indépendance totale et la complémentarité intuitive. Ce faisant, les deux instrumentistes laissent le champ libre à la vocaliste pour explorer la face la plus cachée de la voix humaine. Ce qu’Isabelle fait est indescriptible. La variation infinie des affects du cri, du spasme, de la glottisation du sifflement, du râle, le délire surréel à côté duquel la supposée poésie sonore semble platement à un effet théâtral. Il y a une émotion indicible, le voile de la souffrance, le désespoir de la raison… A la clarinette, elle torture la colonne d’air et évoque les extrémités auxquelles elle soumet son organe vocal. Ces deux compagnons traduisent cette furieuse inventivité en inventant sans relâche des parties instrumentales requérantes modifiant en permanence les paramètres sonores, les timbres, les pulsations dans un flux vibrant qui attire et stimule l’écoute. C’est un enregistrement intense, inouï, un produit parmi les plus authentiques de l’improvisation libre, une démarche musicale qui, après plus de quarante ans d’évolutions, n’a pas fini de nous étonner. Il y a d’ailleurs un parallèle indubitable à faire au niveau de la qualité entre Light air still gets dark et le CD Spielä de PaPaJo (Hubweber/Lovens/Edwards) que je viens de chroniquer ici plus haut. A tomber des nues, une fois pour toutes !!

Gateway ’97 WTTF Phil Wachsmann Pat Thomas Roger Turner Alexander Frangenheim Creative Sources.

Publié récemment par Creative Sources, Gateway ’97 est une session inédite et miraculeuse d’ « improvisation libre » enregistrée au studio Gateway (Evan Parker et cie) à l’époque ou des labels de CD’s comme Emanem ou Incus prenaient leur envol. Je trouve bien dommage que personne n’ait publié cet album car, voyez-vous, il y a la musique improvisée qui se « ressemble » et celle qui se distingue par sa singularité. Ici une manière de jouer ensemble qui remet en question les habitudes et évite l’ennui, les réflexes et le flux systématique non-stop. Entre autres, chaque instrumentiste joue systématiquement avec les silences et intervient subitement au moment très précis où son partenaire s’arrête. La musique s’enchâsse avec un découpage de séquences ultra-courtes contrastant avec les intentions de chacun ou les prolongeant. Sur quasiment tous les morceaux, on les entend très rarement à quatre en même temps, tant ils parviennent à coordonner leur virevolte d’interjections en interactivité. Etonnamment ludique et difficilement descriptible. Pat Thomas jongle avec une batterie improbable d’échantillons sonores ou s’affaire au piano, Wachsmann épure le propos avec des effets électroniques rares et une quintessence mélodique épurée et Roger Turner distille des raclements métalliques dans le registre aigu de son appareillage percussif. Un peu à l’écart, l’archet rêveur du contrebassiste Alex Frangenheim s’échappe un instant dans une distance recueillie. Wachsmann et Pat Thomas ont participé au Tony Oxley Quartet (BIMP Quartet Floating Phantoms a/l/l 001) lequel a aussi compté Derek Bailey (Incus cd et Jazz Werkstatt). Wachsmann a été longtemps associé à Oxley et Barry Guy dans les années septante et quatre-vingt, bien qu’il n’en reste que deux témoignages enregistrés(the Glider and the Grinder /Bead et February Papers /Incus 18). Gateway 97 est le summum de cette saga et fait oublier largement les albums précités et la monotonie de trop nombreuses publications de ces quinze dernières années. Dynamique, extrême variété sonore, qualité de l’écoute mutuelle, sens collectif, imagination, fantaisie : cet album récolte un 10 sur 10 tout azimut. L’improvisation libre fantasmée devenue réalité !!
Je répète encore : c’est très dommage que cet album n’ait pas été publié à l’époque car la musique est aussi originale qu’optimale.

The Cigar That Talks Doneda Russell Turner Collection PiedNu

Michel Doneda est un des artistes majeurs de la scène d’improvisation radicale à avoir remis en question l’utilisation de modes de jeux qui datent parfois de l’époque où ses deux partenaires de cet album admirable se sont rencontrés au début des années 70. Il a trouvé ici avec le guitariste John Russell et le percussionniste Roger Turner deux complices aux ressources insoupçonnées. Ces deux britanniques n’ont aucune idée préconçue où peut les emmener l’improvisation. J’avais souligné les qualités de cet enregistrement publié par Bab Ili Lef : « Une Chance Pour L’Ombre » et qui rassemblait Doneda, Tetsu Saitoh, Kazue Sawaï, Kazuo Imai et Lê Quan Ninh. On retrouve ici cette ouverture, cette dimension profondément naturelle et organique. Ce dernier mot est souvent galvaudé, mais connaissant la profonde sincérité des trois protagonistes, c’est une véritable plongée dans la nature la plus vivante des sons en liberté qui nous envahit en douceur. Points de guitarismes, de percussionnismes ou de saxophonismes ici ! Mais des nuances dans une approche intelligente de la simplicité. Surtout, une profonde recherche partagée pour établir un univers sonore sensible souvent éloigné de l’idée qu’on pourrait se faire d’un tel trio pour qui connaît ces trois personnalités. Tous Toux (plage 4) rétablit cette image, mais avec toutes les qualités développées précédemment (pour autant que l’ordre des plages respecte celui des pièces enregistrées au studio Honolulu). Eyes on Uncle, la cinquième et dernière plage, débute par une séquence qui évoque un Topography of the Lungs miniature particulièrement enlevé et complètement réactualisé. Cela s’égare ensuite dans un univers onirique qui bonifie les acquits des échanges précédents. Les trois compères ont développé un grand choix d’options. L’écoute en est complètement stimulée. Un cédé remarquable et d’un groupe à recommander chaudement. Bravo à Piednu ! Le titre fumant est dû à Roger Turner.

Edoardo Ricci Eugenio Sanna Roger Turner I Signali della Ritratta Burp Publications MHMusic MHM7 1999
Parmi tous les albums de Roger Turner, il y en a un que les amateurs d'émotions fortes et d'improvisation radicale échevelée feraient bien de dénicher. Un enregistrement live de 1999 à Pise avec deux des pointures locales de l'improvisation : le guitariste Eugenio Sanna et le saxophoniste alto, clarinettiste basse et, ici, cornettiste Edoardo Ricci. À l'instar de Roger Turner, Edoardo Ricci est une bâte de scène délirante et un sérieux client niveau instrument. Vous ajoutez à ça les pratiques sonores bruitistes et décapantes d'Eugenio Sanna à la guitare électrique avec objets et plaques de métal entre les cordes, et vous avez affaire à une sauvage rencontre du troisième type. Roger est un percussionniste pointu et sophistiqué idéal pour des improvisateurs appliqués et plus introspectifs comme Urs Leimgruber, John Russell ou Phil Wachsmann ou encore Phil Minton qui s'il a l'air fou, ne se commet pas dans des folies expressionnistes. Non seulement, Roger aime prendre son pied avec des musiciens "locaux" peu connus, il considère cela comme étant aussi excitant que ses partenaires habituels avec qui il essaye de faire des tournées. En plus, il se prête joyeusement à tous les excès, délires et outrances "expressionnistes" et scéniques et cela sans jamais perdre de vue sa "raison sociale" de chercher des sonorités rares, des actions intrépides, des rafales de coups épars et contrastés, frottements singuliers, micro roulements hystériques, aterrissages catastrophes. Edoardo Ricci n'est pas en reste articulant sons vocalisés et couinements frénétiques, usant vicieusement du microphone. Eugenio Sanna développe une panoplie de sons électriques les moins usités avec glissandi dangereux, harmoniques, crissements, harmonies dingues, intervalles disjoints, travaillant sa pédale de volume comme un forcené. Plus "non-idiomatique" que Bailey lui-même car il adore les bruits purs, l'électricité rebelle, etc... et évite de s'enfermer dans un "style". Il crée un contrepoint, contraste, univers sonore aussi distant que complémentaire. Une coordinations de gestes, sons affolants, accents imprévisibles, trouvailles sonores, rafales à tout berzingue, moments d'humour, instants introspectifs - exploratoires et fracas qui laissent l'auditeur pantois. Bailey/ Bennink / Parker se sont rendus incontournables avec l'album mythique Topography of the Lungs (Incus 1 - 1970). Cette équipe Pisane entonnent I Signali della Ritrata et après ça, on n'a qu'à plus se tailler, car plus dingue que ça, tu meurs ! Sperrgut Birgit Uhler / Damon Smith/ Martin Blume Balance Point Acoustics BPA 009
Umlaut trio PUT ( Birgit Uhler Ulrich Philipp Roger Turner) NurNichtNur.

Label californien du contrebassiste Damon Smith, BPA relate ses aventures sonores avec des improvisateurs européens tels Tony Bevan (un des rares saxophonistes basse de la planète improvisation), Wolfgang Fuchs, Joëlle Léandre, Phil Wachsmann, Martin Blume, etc.. et ses potes états-uniens, comme l’excellent percussionniste Jerome Bryerton ou la chanteuse Aurora Josephson. Three October Meetings avec Wolfgang Fuchs est à cet égard un enregistrement à recommander. Faisant suite à l’exceptionnel trio PUT de Birgit Uhler avec Roger Turner et le contrebassiste Ulrich Phillipp (Umlaut Nurnichtnur), sperrgut est une rencontre vive du tandem Damon Smith et Martin Blume avec LA trompettiste de la scène improvisée européenne. Cet enregistrement d’un concert de 2004 nous laisse entendre le moindre détail du jeu des improvisateurs. Birgit Uhler favorise les morceaux courts et concentrés, comme dans ce Umlaut et son duo avec la chanteuse Ute Wassermann (Kuntstoff – Creative Sources). Curieusement, chaque morceau est titré par des mesures de volume comme s’il s’agissait de mesures de cadres pour chaque tableau sonique. Côté pochette comme toujours avec notre trompettiste de Hambourg, nous avons droit à un élégant gribouillage sur polaroïd. Je recommande ce cédé car il est sans doute son album le plus accessible et un des meilleurs qu’elle ait produit. Martin Blume est excellent dans l’art du dialogue et sa frappe caractéristique est particulièrement variée. Elle est immédiatement reconnaissable par sa qualité boisée et son jeu très fin sur les cymbales et accessoires métalliques. Damon Smith est un contrebassiste sensible et inspiré qui laisse vibrer l’instrument de manière particulièrement adéquate pour un tel trio. Les deux hommes laissent le champ sonore complètement ouvert aux introspections de la trompettiste et aux infinies nuances de son jeu. J’avais déjà chroniqué très positivement les albums de BU pour Creative Sources. Parmi eux, Scatter est un remarquable et audacieux solo de trompette. Sperrgut est donc un disque excellent (super gut !), mais rien là ne nous prépare à la claque magistrale reçue à l’écoute de Umlaut par le trio PUT, mentionné plus haut. (Umlaut / 2000 - Nurnichtnur 1000425). On sait qu’une partie des improvisateurs allumés engagés actuellement dans un renouvellement de l’improvisation libre par des voies plus minimalistes tient ce « style » de musique improvisée pour dépassé ou daté, comme pouvait nous sembler le devenir le « free jazz » à l’époque nous nous essayions à devenir « non-idiomatiques » (!). On pourrait mettre beaucoup au défi de jouer avec autant de précision. C’est absolument renversant. On a là le meilleur de Roger Turner et Ulrich Philipp démontre qu’il est un contrebassiste beaucoup trop sous-estimé. Son feeling à l’archet est absolument unique. Il vaut parfois mieux faire un retour en arrière de quelques années pour découvrir un joyau passé inaperçu que de se précipiter sur les nouveautés recensées par le site de Peter Stubley. Une musique collective avec absence d’ego et une invention surprenante. J’adore car il y a une qualité unique dans cette musique que vous ne trouverez que dans ce disque. Jimmy Giuffre enregistra en juin 55, un album génial : « Tangents in Jazz ». Ici, on a affaire à « Tangents in Free Improvisation ». A découvrir absolument.

-Vario 41 Boris Baltschun John Butcher Gunther Christmann Michael Griener edition explico 14 (2004 cdr à120 copies)
-Vario 44 John Butcher Gunther Christmann Thomas Lehn John Russell Dorothea Schürch Roger Turner edition explico 15 ( 2006 cdr à 250 copies)
-In Time Gunther Christmann Alberto Braida edition explico 16 (2010 cdr à 120 copies)

Il fut un temps très éloigné où Gunther Christmann était un improvisateur libre aussi bien documenté en disques que ne l’étaient Derek Bailey et Evan Parker et ses disques étaient relativement bien distribués dans le réseau Incus- FMP-Moers-ICP-Futura etc…. Chef de file de l’improvisation radicale sur le continent, le tromboniste - contrebassiste, et puis violoncelliste, avait publié pas moins de quatre albums avec son compère Detlev Schönenberg (un percussionniste mémorable qui a définitivement abandonné la scène il y a trente ans) pour FMP et Ring Records. Lorsque Ring se transforma en Moers Music, le label n’eut pas moins de quatre vinyles de Christmann à son catalogue. Tous ces documents sont aujourd’hui indisponibles sur le marché. Les copies qu’on trouve en « occasion » ou en « collectors » restent à un prix relativement accessible car le patronyme de cet improvisateur essentiel ne fait pas l’objet du snobisme des acheteurs branchés de raretés, lesquels sont souvent/parfois plus fétichistes que mélomanes, si j’en crois les résultats du site collectorsfrenzy. Quant à la production de Gunther Christmann de ces vingt dernières années et de son projet Vario, elle échappe au radar des labels qui furent, il n’y a guère, bien distribués (Emanem, Incus, FMP, Intakt, Victo, Potlatch). Sur la foi de la participation de Paul Lovens et Mats Gustafsson, FMP - repris en main par Jost Gebers – a bien édité un superbe trio enregistré à l’époque où le souffleur nordique commençait à défrayer la chronique, mais je pense qu’il a dû passer inaperçu. Le tromboniste de Langenhagen, qu’on entend aujourd’hui jamais bien loin d’Hambourg ou d’Hanovre, confie l’essentiel de sa production à sa modeste edition explico, sous forme de CDr publiés dans leur boîtier d’origine sur le quel est collé une plaque de bois ou avec une épreuve photographique originale, Christmann étant aussi un artiste graphique pour le besoin de la cause. Ainsi le morceau de bois rectangulaire de Vario 44 a le titre tamponné trois fois à l’encre rouge en tête bêche, transformant ainsi le CDR (excellente qualité sonore) en pièce de collection / œuvre d’art qu’il vend exclusivement à un prix supérieur au CD sans même en livrer des copies aux critiques ou à ses copains et même, je parie, à ses collègues les plus chers. C’est pourquoi on n’a peu d’échos de sa production même si Vario 34-2 , sorti en en 1999 chez Concepts of Doing, rassemblait Paul Lovens, Mats Gustafsson, Christmann lui-même, Thomas Lehn, Frangenheim et le guitariste suédois Christian Munthe, alors complice habituel de Mats G et compte parmi les meilleurs exemples d’improvisation collective qui sublime les marottes individuelles des participants pour surprendre et raviver nos sens. Vario est donc un ensemble à géométrie variable, fondé en 1979 et, sans doute, l’alternative la plus réussie aux Company de Derek Bailey. Depuis 1976 et son album solo publié par C/S, Gunther Christmann a initié le sens de l’épure bien avant tout le monde. Savoir exprimer un enchaînement d’idées complexes en moins de deux minutes.
Ici, le grand art est au tournant, spécialement, cette conversation à six de Vario 44 où la profusion des voix individuelles et des paramètres possibles revête une exemplaire dimension constructive et interactive. Vous entendrez très rarement des improvisateurs (très) réputés adopter ces modes de jeux qui permettent à plus de trois ou quatre musiciens de se faire entendre et développer la musique collective aussi bien qu’en trio. Comme souvent chez Christmann, on a droit à la déclinaison de l’ensemble dans toutes les formules à raison de 20 morceaux. Souvent les « connaisseurs » se réfèrent à des noms d’artistes réputés, ici John Butcher, Thomas Lehn, John Russell, Roger Turner, pour porter une évaluation a priori du groupe… Vous pouvez oublier cette façon de voir les choses ici. Si, par exemple, un Derek Bailey avait dû se joindre à Vario 44, cela aurait été à contremploi. Par contre, un Phil Minton aurait été tout indiqué. Dorothea Schurch s’intègre d’ailleurs parfaitement en ajoutant une touche poétique. Joëlle Léandre insiste toujours pour que dans de tels groupes (sextet , septet), on organise le déroulement du concert de manière à tirer parti du potentiel en duos, trios , quintet avec un sens de la forme et une logique. Les auditeurs ne sont pas là pour s’emmerder. Rompu à ces exercices et grâce à l’exigence de Christmann, les musiciens parviennent à marier l’équilibre instable de l’improvisation avec un sens de la forme exceptionnel et les outrances sonores radicales.
Cette session de 2006 fut aussi l’occasion pour John Russell et Roger Turner de renouer avec leur camarade et d’apporter leur grain de sel éminemment british dans cette super-session. Édité à 250 copies, il en reste encore : edition.explico.music.art@web.de . Quant au duo du pianiste Alberto Braida avec Christmann, sa fraîcheur et l’esprit de recherche qui les anime fait qu’on réécoute volontiers leur In Time. J’ajoute encore qu’Edition Explico avait publié un superbe témoignage de la rencontre de G.C. avec Phil Minton, For Friends and Neighbours. Cet opus rend Edition Explico incontournable…. . Il vaut mieux tard que jamais …

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